GROUPE II. — CONFIRMATION DES DOCUMENTS PUBLIÉS PAR SIR WALTER SCOTT TÉMOIGNAGE DES RÉSIDENTS À SAINTE-HÉLÈNE.PIÈCE N° III
EXTRAIT DE : EVENTS OF A
MILITARY LIFE BY WALTER HENRY, SURGEON OF THE FORCES[1]. Vers ce temps, le général
Gourgaud se querella avec Napoléon, quitta Longwood et alla résidera l'autre
extrémité de l'ile. Diverses versions circulèrent en ce temps à Longwood sur
les causes de la rupture, qui n'étaient pas favorables au général et il fut
même ouvertement accuse par les Français d'avoir menacé de divulguer certains
secrets au gouvernement anglais, s'il ne recevait pas une somme d'argent pour
garder le silence. A toute occasion, les compagnons de Napoléon firent tout
ce qu'ils purent pour infirmer sa véracité en dénigrant son caractère après
qu'il les eût quittés ; mais certaines des histoires qu'ils contaient étaient
trop improbables pour être crues ; ainsi, M. O'Meara m'assura que Gourgaud,
lorsqu'il trouva qu'il ne pouvait extorquer de l'argent, employa cette
extraordinaire menace concernant les complots formés à Longwood pour
l'évasion de Napoléon : J'écrirai ce que je sais et
ce que je ne sais pas. Maintenant, dans toute
cette matière, je crois qu'ils traitaient Gourgaud avec grande injustice et,
dans cette opinion, j'ai été récemment confirmé par un officier qui a eu de
meilleurs moyens de connaître les faits réels qu'aucune autre personne qui
servit à Sainte-Hélène. Ce qui suit est l'extrait d'une communication que me
fit la personne en question, dont le caractère est digne de tous les
respects. Tant d'absurdités ont été
écrites sur le général Gourgaud que je me sens porté à vous raconter
brièvement quelles furent les circonstances qui entourèrent sa séparation
d'avec Napoléon. A Longwood, aussi bien que sur le tronc, la politique
machiavélique Divide et Impera, était
la règle de l'ex-empereur ; le résultat lui en était cependant extrêmement
préjudiciable, car, ainsi livrée à la jalousie, à la méfiance, à l'inimitié,
la petite bande des gens de sa suite trouva bientôt que leur position n'était
rien moins qu'agréable. J'imagine que le comte de Las Cases fut très heureux
de sortir de ce gâchis et le général Gourgaud trouva à la fin sa situation
isolée si pénible qu'elle n'était pas supportable plus longtemps. Officier
d'ordonnance actif et intelligent, il avait rapidement obtenu des grades lors
des luttes de Napoléon en Allemagne, avant la bataille de Leipzig — il est
mentionné très favorablement dans les mémoires de Caulaincourt (?) — et j'estime qu'il suivit son maître en exil par
attachement pour sa personne. Je ne connais pas exactement l'origine de sa
mésintelligence avec Napoléon à Longwood, mais j'ai des raisons de penser que
leurs relations n'étaient rien moins que cordiales, presque depuis le temps
de l'arrivée à Sainte-Hélène. Au moment où Gourgaud demanda permission pour
quitter l'Ile, le comte Bertrand et Montholon formaient, avec lui-même, toute
la suite. Si les deux premiers étaient encore en termes suffisants pour se
parler, Montholon et Gourgaud étaient en inimitié ouverte, ainsi que l'a
souvent déclaré ce dernier. Bertrand et Montholon avaient leurs
établissements distincts, et vivaient confortablement avec leurs familles,
tandis que Gourgaud restait dans la solitude. J'allais souvent le voir ci
causer avec lui et toujours il se lamentait sur la rigueur de sa destinée et
soupirail après la belle France, Paris et les boulevards. A la fin la maladie du pays prit le meilleur de lui et il se
détermina à quitter Longwood. Sir Hudson Lowe m'envoya chercher et, m'ayant
annoncé le désir de Gourgaud, me demanda s'il me serait agréable de demeurer
avec lui jusqu'à ce qu'une occasion se présentai pour lui de quitter
Sainte-Hélène. Je vous propose cela, ajouta
le gouverneur, parce que je pense qu'un tel
arrangement serait agréable au général Gourgaud, et en considération que sa
conduite a été tout à fait sans reproche au point de vue de nos règlements,
aussi loin qu'ils le pouvaient concerner ; je serais donc fort aise de lui
être agréable en telle matière. En conséquence, le général Gourgaud et
moi fûmes installés dans une maison confortable, dans laquelle la table et
les domestiques nous furent donnés aux frais du gouvernement. Nous vivions
près des résidences des commissaires russe et autrichien que nous visitions à
l'occasion et rien ne pouvait surpasser l'attention et les prévenances
hospitalières de sir Hudson Lowe pour le général Gourgaud. Si celui-ci vit
encore, je suis certain qu'il garde un agréable souvenir du traitement qu'il
recul. Pour rendre justice à cet
homme excellent et si grossièrement calomnié, sir Hudson Lowe, je dois
rapporter à présent une circonstance que, j'en suis sûr, le général Gourgaud
serait tout prêt à confirmer. Lorsque celui-ci quitta Longwood, je
l'accompagnai à la résidence du gouverneur, et je saisis un moment favorable
pour le laisser en tête-à-tête avec sir Hudson. A peine sortions-nous à
cheval de Plantation-House que le général me témoigna par ses exclamations sa
surprise que sir Hudson eût reçu simplement sa visite comme un général
recevrait celle d'un autre gentleman, sans faire aucune allusion à Longwood :
Je m'attendais, ajouta-t-il, que le gouverneur eût saisi avec avidité une occasion
aussi favorable que la lui offrait mon état d'excitation pour tirer de moi
des informations sur les agissements à Longwood. Je ne reviens, pas de mon
étonnement, non, je n'en reviens pas. Ces expressions de surprise, il
les répétait encore et encore durant notre courte retraite. Je dois ajouter
que j'eus plusieurs occasions de remarquer la délicatesse vraiment
chevaleresque de sir Hudson vis-à-vis du général Gourgaud. Quoique l'Empereur et le
général ne se fussent pas séparés les meilleurs amis, cependant, quand il fut
connu à Longwood que ce dernier était dépourvu d'urgent, une somme
considérable lui avait été offerte par Napoléon et il avait été très pressé
de l'accepter lorsqu'il quitta Longwood ; il refusa de la recevoir. Mais, peu
après, quand il fui sur le point de s'embarquer pour l'Angleterre, le pauvre
général éprouva les habituels inconvénients d'une situation de pénurie et
m'envoya à Longwood pour demander au maréchal Bertrand un prêt de deux à
trois cents livres elle maréchal refusa, disant que l'Empereur lui avait
offert une somme beaucoup plus grande que Gourgaud ne pouvait refuser sans
manquer de respect ; mais il ajouta que, si le général Gourgaud acceptait le
don de l'Empereur, il lui prêterait aussi la somme qu'il demandait. Les mots
de Bertrand furent : Qu'il ne me mette pas dans la
position de manquer à l'Empereur. Gourgaud fui totalement décontenancé par le refus de Bertrand, qui était tout à l'ait inattendu, mais il continua de se refuser à se mettre lui-même dans le cas d'une obligation pécuniaire vis-à-vis de Napoléon, et il eût fait voile pour l'Europe sans un shilling, si sir Hudson Lowe, aussitôt qu'il apprit celle circonstance, ne lui avait envoyé par moi un billet pour une somme de cent livres sur son banquier à Londres[2]. PIÈCE N° IVEXTRAIT DE : HISTOIRE DE LA CAPTIVITÉ DE NAPOLÉON À SAINTE-HÉLÈNE PAR W. FORSYTH[3] ALe 6 février, O'Meara
informa le gouverneur que le général Gourgaud lui avait dit la veille, qu'il
était dans l'intention de demander la permission de quitter l'ile. Sir Hudson
Lowe l'avant questionné sur le motif de cette détermination du général
Gourgaud, O'Meara dit que ce devait être par suite de sa mésintelligence avec
le comte Montholon qui l'avait mis en disgrâce auprès de Napoléon, que,
d'ailleurs, depuis quelque temps, sa santé était fort mauvaise ; il avait
perdu l'appétit ; il maigrissait beaucoup et appréhendait une autre attaque
de dysenterie. O'Meara ajouta que Gourgaud, en lui disant cela, avait les
larmes aux yeux et qu'il était extrêmement abattu. Il était depuis longtemps
excessivement malheureux et le découragement l'avait pris. O'Meara pensait
même que, dans l'état où se trouvait actuellement le général, une attaque de
dysenterie ou quelque autre maladie l'emporterait probablement. Le gouverneur
lit la remarque que le général Gourgaud et le comte Montholon avaient été
fort longtemps mal ensemble, mais que sa détermination était plutôt une
conséquence de sa mésintelligence avec Napoléon Bonaparte qui avait pris le
parti de Montholon contre lui. O'Meara dit que cela devait être ainsi, que
Gourgaud vivait misérablement et qu'il était presque toujours isolé ; il
voyait rarement Napoléon et dînait seulement avec lui, de temps en temps, le
dimanche, quand on l'invitait, mais non pas à beaucoup près aussi souvent que
les Montholon ou les Bertrand. Le 7, le général Gourgaud lui-même vint
trouver sir Hudson Lowe à Plantation-House et lui demanda de quitter Longwood
le plus lot possible. Il dit : Je ne puis pas vivre
ici plus longtemps sans déshonneur. On m'a traite connue un chien. J'aimerais
mieux mourir dans une prison en France que rester ici à jouer le rôle de
chambellan entièrement privé de mon indépendance. Napoléon a voulu me faire
faire des choses contraires a mon honneur ou me forcer par de mauvais
traitements à le quitter. J'ai dit au maréchal (Bertrand) que je ne parlerais
pas contre l'Empereur, parce que cela me ferait du tort à moi-même, mais
qu'ils ne m'attaquent pas ! Le gouverneur fit observer
au général que son départ de Longwood l'exposerait à de fausses
interprétations ; on pourrait le regarder comme étant chargé d'une mission
secrète de Napoléon ou on lui reprocherait de l'avoir abandonné. Quant an
premier point, Gourgaud dit qu'il savait bien qu'il serait exposé à des
soupçons et que, en conséquence, il demandait d'être traité avec beaucoup de
rigueur ; qu'il serait très satisfait si, à son arrivée en Angleterre, on
l'envoyait prisonnier en France. A l'égard de la seconde imputation, il dit :
Quant à cela, j'y suis tout à l'ait indifférent.
Qu'on m'attaque, je répondrai. J'aimerais mieux aller en prison que de vivre
de la manière dont nous vivons. . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une correspondance pleine
d'irritation avait eu lieu entre ces deux officiers (Gourgaud et Montholon) avant que Gourgaud demandât la permission de
quitter Longwood et il avait même envoyé un cartel à Montholon. Sir Hudson
Loue craignait tellement que leur querelle se terminal par un duel qu'il
avait particulièrement recommandé à l'officier d'ordonnance d'être aux aguets
pour l'empêcher. Le 8 février, sir Hudson
Loue écrivit à Gourgaud qu'il serait heureux de lui faciliter la réussite de
sa demande d'une autorisation pour retourner en Europe, aussi promptement que
la nature de ses instructions le lui permettrait et qu'en attendant, il
donnerait ordre qu'on lui assignât un appartement pour y demeurer jusqu'à, ce
qu'une occasion de quitter l'île se présentât. Le 16, M. Baxter alla voir
le général Gourgaud qui demeurait alors dans la maison de M. Beale et il a
fait le mémorandum suivant de la conversation qui s'établit alors entre eux :
Je suis allé voir aujourd'hui le général Gourgaud
pour m'informer de sa santé et je l'ai trouvé parfaitement bien. Dans une
longue conversation que nous avons eue relativement au mauvais traitement
qu'il a reçu de Bonaparte et à l'influence que cela a eu sur sa détermination
de quitter Longwood, il m'a dit entre autres choses que Bertrand s'était
efforcé de le persuader de déclarer, dans sa lettre à Bonaparte pour lui
annoncer son intention de le quitter, que su mauvaise santé seule l'y
obligeait. Il s'y est positivement refusé et m'a prié de lire la lettre qu'il
si adressée à Bonaparte pour lui notifier son désir de le quitter[4]... Conformément aux
règlements, tous les papiers du général Gourgaud furent examinés par le major
Gorrequer. Pendant le temps que dura cet examen, le général conversait
librement, et quelques-unes de ses remarques dont le major Gorrequer lit une
minute pour le gouverneur sont fort intéressantes. Le major dit qu'il trouva
dans les papiers du général Gourgaud le brouillon de son récit des événements
qui eurent lieu pendant l'année 1815. Le général lui dit que la bataille de
Waterloo étant un sujet qui blessait profondément les sentiments de Napoléon
Bonaparte et sur lequel l'ex-empereur ne pouvait pas écrire lui-même, il lui
avait ordonné d'en rédiger le récit ; lorsqu'il fut prêt, Bonaparte lui dit
de le garder, parce que, en le publiant en son propre nom, il se ferait une
réputation dans le monde. En conséquence, le général Gourgaud avait résolu de
l'envoyer en Angleterre pour y être publié ; mais, plus tard, connue on
voulut exiger de lui d'agir d'une manière (qu'il n'expliqua point au major Gorrequer) qui l'aurait compromis, il divisa en plusieurs
parties la bonne copie de cet ouvrage, qu'il mit dans des bouteilles, avec
l'intention de les enterrer dans le jardin de Longwood. Il lit part de son
projet au général Montholon, et, comme ensuite il refusa de faire ce qu'on
lui demandait. Montholon parla de cette circonstance à Napoléon qui envoya
chercher Gourgaud et lui ordonna de lui remettre tout le récit de la bataille
de Waterloo. Le général Gourgaud voulut s'en dispenser en disant que Napoléon
lui-même avait désiré qu'il le gardât et le publiât en son propre nom, cet
ouvrage ayant d'ailleurs été composé par lui ; mais Napoléon insista pour
l'avoir et il fut forcé de le lui donner[5]. Le général Gourgaud dit aussi au major Gorrequer
qu'il avait en sa possession la carte identique de Belgique, dont Napoléon
s'était servi lors de la bataille de Waterloo et sur laquelle les positions
des troupes avaient été marquées au crayon par Napoléon lui-même la veille de
la bataille. Il dit que, depuis le départ de Las Cases, toutes les campagnes
d'Italie avaient été révisées et augmentées par Napoléon, particulièrement
celle d'Egypte, qu'il caresse beaucoup, dit-il, comme son ouvrage favori.
D'après une quantité de feuillets détachés et de brouillons de notes, il
parait que Napoléon avait écrit quelques essais sur les relations politiques
de l'Angleterre et de l'Amérique, sur l'expédition de Copenhague et d'autres
sujets. Il y avait aussi de nombreuses notes sur l'invasion russe, mais il ne
s'y trouvait rien sur les événements de Moscou, ni sur la subséquente
histoire de celle campagne ; le général Gourgaud dit qu'il lui laissa cette
partie à préparer, ne pouvant pas s'occuper lui-même d'un sujet aussi triste
pour lui. La plus grande partie des
notes et des brouillons étaient à peine lisibles, surtout ceux écrits sous la
dictée rapide de Napoléon. Ceux écrits de la main de Napoléon étaient à peu
près indéchiffrables pour une personne non accoutumée à son écriture. Le
général Gourgaud dit qu'à Longwood tout le monde croyait que le gouverneur
avait ouvert le paquet adressé à lord Liverpool, ce que, cependant, le major
Gorrequer nia positivement. Le général l'assura alors que, même avant que la
lettre lut donnée à sir Hudson Lowe pour être transmise en Angleterre,
plusieurs copies en avaient déjà été envoyées à Londres pour y être publiées.
On s'attendait à Longwood à la voir imprimée dans les derniers journaux qui
étaient arrivés et l'on voulait que le général Gourgaud en emportât une copie
en Angleterre, ce qu'il avait refusé de faire. Il ajouta qu'on en attendait
un grand effet et il se servit de cette expression : C'est
une pièce de 48 pour Longwood. Il dit que cette lettre était
certainement très bien écrite, la meilleure chose de ce genre que Napoléon
eût composée depuis qu'il était à Sainte-Hélène. Il prit ensuite sur la table
dans ses deux mains plusieurs paquets de papiers et dit : J'aurais pu, si j'avais voulu, envoyer chaque semaine un
aussi gros paquet que cela en Angleterre. Il assura qu'il n'était
nullement difficile à Longwood d'envoyer des lettres par d'autres voies que
celle du gouverneur, ajoutant que, quant à lui, il n'en avait envoyé qu'une
qui était à sa mère ; mais qu'il aurait pu en envoyer trente si cela lui
avait plu... Dans le cours de la conversation, le général Gourgaud répéta : J'ai été traité comme un chien. Les Français à Longwood
voulaient me compromettre, afin que je fusse obligé de rester ici toute ma
vie. La seule autre
particularité qui mérite d'être rapportée, c'est que le général Gourgaud dit
au major Gorrequer fine le capitaine Poppleton qui était autrefois officier d
ordonnance à Longwood, avait reçu à son départ, en présent de Napoléon, une
tabatière en or qu'il avait vue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . Le lendemain, le général
Gourgaud dit au gouverneur que, quant à lui, il ne doutait pas que la lettre
à lord Liverpool eût été envoyée en Angleterre sans être ouverte ; mais qu'on
ne croirait jamais cela à Longwood : il savait très bien ce qu'on répondrait
a une pareille assertion et il pouvait même dire par anticipation les mots
dont on se servirait : Voilà un nouveau mensonge du
gouverneur. Mais les mêmes plaintes auraient eu lieu lors même qu'un
ange eût été envoyé comme gouverneur à Sainte-Hélène ; c'était une
conséquence inévitable de la situation : satisfaire les exilés français était
une chose impossible. Si l'on eût accordé à l'Empereur l'île dans toute son
étendue, il aurait été également mécontent ; ce n'étaient pas seulement Longwood
et les restrictions qui lui déplaisaient, c'était Sainte-Hélène tout entière
: Enfin, il a été empereur, il ne l'est plus et
voilà ce que c'est. Le général Gourgaud ajouta
: Il veut toujours être empereur. Sa maison se
composerait de deux personnes seulement qu'il n'en voudrait pas moins être
empereur chez lui ; il semble être né, si je puis m'exprimer ainsi, avec ces
idées impériales ou royales qu'il ne pourra jamais abandonner. Le général
dit encore que la meilleure manière de faire sa cour à l'Empereur était de
mal parler du gouverneur ; mais les invectives que Napoléon se permettait
contre ce dernier devaient être attribuées à un motif politique et non
personnel, il espérait toujours obtenir quelque chose à force de plaintes. Gourgaud assura que la
raison pour laquelle Napoléon gardait le silence au sujet de la construction
d'une nouvelle maison, était que, tant qu'il restait dans sa demeure
actuelle, il se flattait de l'idée que son séjour à Sainte-Hélène serait
seulement temporaire, tandis que la construction d'une nouvelle maison
semblerait indiquer que sa résidence devait y être permanente. Un jour, chez le baron
Stürmer, Gourgaud dit que Napoléon lui avait une fois fortement conseillé de
mettre un terme a sa vie. lui en donnant pour raison l'existence
insupportable qu'il menait à Sainte-Hélène, et que Bertrand avait employé les
mêmes arguments dans le même but, il déclara aussi que lui-même (apparemment par manière de
réciprocité) avait proposé à Napoléon
de se détruire tous les deux ensemble, en s'enfermant dans une chambre avec
du charbon de bois. Il dit que l'Empereur pouvait faire croire à Bertrand que
la nuit était le jour. Il assura aussi que le livre de Warden avait été écrit
sous la direction de Napoléon et qu'il en avait vu plusieurs lettres à
Longwood. Il expliqua comment il se trouvait des anachronismes dans le livre,
en disant qu'on les avait mis exprès pour que l'ouvrage parût une compilation
de Warden. Cela est fort difficile à croire et c'est justice de déclarer que
le comte Balmain, le commissaire russe, avait une pauvre opinion de la
véracité de Gourgaud. Il le regardait comme un vantard et il faut reconnaître
que ce défaut parait avoir été une des principales ombres de son caractère. Le comte Balmain, se
trouvant à dîner, le 20 mars, à Plantation House, avec le major Gorrequer,
dit à celui-ci que Gourgaud aimait prodigieusement à lui parler de ses duels
et à se vanter. Le comte raconta ensuite que le général prétendait avoir eu
une fois une querelle avec Montholon parce que ce dernier avait l'habitude de
se placer à table plus près que lui de Napoléon, à propos de quoi il avait
dit à Montholon que ; s'il prenait de nouveau la préséance sur lui à table,
il lui faudrait se battre en duel avec lui. Le comte Balmain ajouta que le
général Gourgaud s'était comporté très ridiculement depuis qu'il avait quille
Longwood. Il parlait inconsidérément et l'on ne pouvait pas ajouter foi à ce
qu'il disait... Il ne nous reste qu'à rapporter
ici quelques particularités d'une conversation remarquable que le gouverneur
eut avec le général Gourgaud, le 14 mars, jour où il s'embarqua pour
l'Angleterre. Elle est contenue dans deux lettres de sir Hudson à lord
Bathurst datées, l'une du 14, l'autre du 15 mars 1818. Sir Hudson Lowe
rapporte que Gourgaud lui dit qu'on avait reçu à Longwood une forte somme en
or, à l'époque où l'argenterie fut brisée. Le général parlait de cela comme
d'une ruse indigne, puisqu'on avait de l'argent en abondance et qu'on ne
manquait pas de ressources. Le gouverneur, voulant connaître la manière dont
les Français s'étaient procuré cet argent, fit la remarque qu'ils avaient
tiré du comte Las Cases une forte somme vers l'époque où l'argenterie avait
été mise en pièces. Oh ! ce n'était pas cet
argent-là, s'écria Gourgaud. Avant, ils
avaient 210.000 francs en or, dont une grande partie en doublons d'Espagne.
Oh ! ils ne manquent pas d'argent ! Sir Hudson Lowe dit dans
une de ses lettres : Il m'a informé que le prince Eugène est la personne qui
a remis de l'argent entre les mains de MM. Andrew, Street et Parker pour
l'usage de Napoléon Bonaparte : et il a dit au baron Stürmer que le comte Las
Cases a reçu un mandat de 200.000 francs, de sorte que les 4.000 £ lui auront
été plus que remboursées... Gourgaud est exaspéré de quelques traits de la
conduite du comte Bertrand : il m'a répété une remarque de Napoléon Bonaparte
sur la justesse d'une observation l'aile sur lui (Bertrand) par Talleyrand, que
c'était l'homme le plus faux et le plus dissimulé de France. En
résumé, la brouillerie est complète : et il en résultera, j'imagine, quelque
impression sur le reste de l'Europe. Le général Gourgaud m'a
parlé avec indignation du subterfuge dont on s'est servi pour briser
l'argenterie à une époque où les Français avaient eu leur possession une
grande quantité d'argent ; il a aussi fait allusion à un projet de former en
France ou en Angleterre un noyau auquel on lui avait proposé de prendre part
: mais il parlait avec tant de volubilité, et parfois d'une manière si
ambiguë (paraissant
désirer éviter toute explication précise),
que je ne pouvais pas bien saisir sa pensée sur tous les points ; mais je
crois que tout ce que j'ai dit sera plus clairement raconté par lui, si à son
arrivée en Angleterre, il ne tombe pas trop en de mauvaises mains. B[6].LE BARON DE STÜRMER AU PRINCE METTERNICH. S. d. Le général Gourgaud part
aujourd'hui pour l'Angleterre sur le Camden. Depuis qu'il a quitté
Longwood, il est venu me voir presque tous les jours. J'ai mis à profit ses
visites pour me procurer de nouveaux détails sur Bonaparte et son existence à
Sainte-Hélène. Voici, mou prince, le résumé des conversations que nous avons
eues ensemble : Qu'a dit Bonaparte de la
mort de la princesse Charlotte ?
— Il l'a regardée comme un malheur de plus dans sa position. Tout le monde
sait que la princesse de Galles a pour lui une admiration presque fanatique.
Il espérait que, lorsque sa fille serait montée
sur le trône, elle profiterait de l'empire qu'elle avait sur elle pour le
faire transporter en Angleterre. Une fois là,
disait-il, je suis sauvé. Il m'a dit, en
apprenant cette nouvelle : Eh bien ! voilà encore un
coup imprévu, c'est ainsi que la fortune déjoue tous nos projets. Parle-t-il quelquefois
de son avenir ? — Il est persuadé
qu'il ne restera pas à Sainte-Hélène et s'obstine à croire que le parti de
l'opposition parviendra à l'en tirer. Il parait n'avoir pas renoncé pour
toujours à remonter sur le trône. Si je reviens en
France, m'a-t-il dit lorsque nous nous sommes séparés, venez me trouver, je vous accorderai de nouveau ma
protection. Que pense-t-il des
Bourbons ? — Il prétend que Louis
XVIII est révolutionnaire et que, par sa conduite, il s'expose aux plus
grands dangers. Ce n'est pas ainsi, dit-il, que s'opèrent les changements de dynastie. La prudence
voulait qu'il se défit de tous mes maréchaux. Il fallait mettre hors d'état
de nuire tout ce qui n'était pas de son parti, Labédoyère et le maréchal Ney
n'étaient pas seuls dangereux. Parle-t-il de sa femme
et de son fils ? — Il se plaint de
Marie-Louise. Selon lui, elle n'aurait jamais dû quitter Paris en 1811. Au lieu de Mme de Montebello, c'était, dit-il, Mme de Beauvau que j'aurais dû placer auprès d'elle. Elle
l'aurait dirigée autrement et les choses n'en seraient pas là. Il est
persuadé qu'il serait encore sur le trône. Il parle souvent de son fils ;
surtout depuis quelque temps. Qu'a-t-il dit de
l'affaire du colonel Latapie et de cette prétendue tentative de l'enlever ? — Il dit que cela peut être vrai, mais qu'il
connaît ces gens-là, que ce sont dos aventuriers et que jamais il ne se
serait confié a eux. Pensez-vous qu'il puisse
s'échapper d'ici ? — Il en a eu dix
fois l'occasion et il l'a encore au moment où je vous parle. Je vous avoue que cela
me parait impossible. — Eh ! que ne
l'ait-on pas quand on a des millions a sa disposition. Ait reste, quoique
j'aie à me plaindre de l'Empereur, je ne le trahirai jaunis. Je le répète, il
peut s'évader seul et aller en Amérique quand il le voudra. Je n'en dirai pas
davantage. S'il le peut, que ne le
fait-il ? L'essentiel est d'être hors d'ici. — Nous le lui avons tous conseillé. Il a toujours combattu nos
raisons et y a résisté. Quelque malheureux qu'il soit ici, il jouit
secrètement de l'importance qu'on met à sa garde, de l'intérêt qu'y prennent
toutes les puissances de l'Europe, du soin que l'on met ù recueillir ses
moindres paroles, etc. Il nous a dit plusieurs fois : Je ne peux plus vivre en particulier ; j'aime mieux être prisonnier ici
que libre aux États-Unis. Continue-t-il à écrire
son histoire ? — Il en écrit des
fragments, mais il est probable qu'il ne l'achèvera jamais. Quand on lui
demande s'il ne veut pas que l'histoire le peigne tel qu'il a été, il répond
qu'il est souvent plus avantageux de se laisser deviner que de se mettre trop
à découvert. Il parait aussi que, ne regardant pas ses grandes destinées
comme finies, il ne veut pas dévoiler des plans dont l'exécution n'a pas été
entièrement achevée et qu'il peut reprendre un jour avec succès. Qui de vous a rédigé la fameuse lettre de M. de Montholon ?[7] — L'Empereur lui-même. Il nous en a dicté la plus grande partie. Il serait heureux qu'il s'en fût tenu la, mais vous verrez incessamment paraître a Londres de prétendues lettres écrites par des capitaines de vaisseaux marchands et dans lesquelles on parle beaucoup de l'Empereur. Elles sont de lui. Le sujet en est plat, les détails puérils, la conception mauvaise. Vous aurez peine à croire par exemple que l'ouvrage publié sous le nom de Santini était de lui. Il se fait par la beaucoup plus de tort qu'il ne le croit ; mais personne ne peut le guérir de cette manie d'écrire. En général, ce n'est ni Bertrand, ni .Montholon qu'il fallait a l'Empereur. C'était le duc de Rovigo, le duc de Bassano, des hommes à caractère en un mot qui l'eussent empêché de faire des sottises. Combien n'en avons-nous pas fait depuis que nous sommes ici ? Comment est-il dans son
intérieur ? — Excellent avec ses
domestiques, cherchant à donner du relief à tout ce qui l'entoure ; élevant
très haut les petits talents de ceux qui en ont et en prêtant à ceux qui n'en
ont pas. Quelle est son attitude
avec les personnes de sa suite ? —
Celle d'un souverain absolu. Je l'ai souvent vu jouer cinq heures de suite
aux échecs et souffrir que nous fussions debout pendant tout ce temps à le
regarder. Comment Mme de Montholon
est-elle parvenue à lui plaire ?[8] — Elle joue la femme savante, sait assez bien
l'histoire de France et ne cesse de répéter à l'Empereur que l'on devrait
guillotiner tous les jours quatre-vingts Parisiens pour les punir de l'avoir
trahi ; que la France mérite d'être vingt-cinq fois plus malheureuse qu'elle
ne l'est, etc. Il écoule tout cela avec plaisir. Agréez etc. Signé : STÜRMER. PIÈCE N° VEXTRAITS DES DÉPÊCHES DU COMTE BALMAIN AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES[9]. A.Sainte-Hélène, 25 janvier 1818, n st., par le Leveret,
cap. Theed. ... Étant malade depuis
environ quinze jours, je n'ai vu personne ni rien appris de nouveau. On m'a dit
seulement que Gourgaud, ne pouvant s'accorder avec Montholon, u demandé à
Bonaparte la permission de retourner en Europe et que celui-ci a répondu : Ce n'est pas la peine, mon ami, patientez un peu. Encore
douze mois et vous m'enterrerez. B.Sainte-Hélène,
18 février 1818, n st., William Pitt, de la Compagnie des Indes, cap. Graine. ... Le général Gourgaud qui
depuis longtemps est en querelle avec le comte Montholon fit, ces jours
derniers, la sottise de l'appeler en duel. Bonaparte défendit à celui-ci de
se battre et voulut faire arrêter l'autre. Il y eut bien du vacarme à ce
sujet. Enfin Gourgaud, désespérant de donner à Montholon un coup d'épée,
quitta brusquement Longwood le 13 de ce mois. Le gouverneur l'a établi dans
une petite maison de campagne prés de Plantation House. Il y déclame contre
son ancien maitre d'une manière indécente. On ne parle pas encore de son
retour en Europe. Bonaparte ne regrette pas cette perte. Gourgaud est un peu
mauvaise tête, c'est un vrai soldat qui ne se retient sur rien. Ne
connaissant pas encore tous les détails de son affaire avec Montholon, je me
réserve d'en écrire longuement à la première occasion. Votre Excellence
trouvera sous ce pli la copie de plusieurs lettres qu'il vient de me
communiquer. ANNEXESPièces communiquées par le général Gourgaud[10]. A M. le général comte Montholon, chambellan, etc. etc. Longwood,
le 4 février 1818. J'avais oublié vos anciens
torts, Monsieur, ou plutôt je vous les avais pardonnes. J'avais espéré que
vous changeriez ; je me suis trompé. Vous paraissez destine à me nuire dans
toutes les circonstances. Avant que vous ne fussiez auprès de l'Empereur,
depuis longtemps j'étais déjà bien avec lui ; depuis que vous y êtes, j'y
suis mal. Vous êtes la cause des mauvais traitements dont il m'accable ; ils
sont tels qu'il ne m'est plus permis de les supporter sans me déshonorer,
c'est vous, Monsieur, qui êtes l'auteur de tous mes malheurs. Je vous en
demande satisfaction. J'espère que vous savez pourquoi j'ai différé jusqu'à
ce jour. Pur ce que j'ai souffert on pourra apprécier l'attachement que
j'avais pour l'Empereur. Vous avez cru triompher en
me réduisant à celle dure extrémité de partir. Vous avez cru que mon départ
serait attribué au manque du courage nécessaire dans une situation connue la
mienne ici. Vous avez cru que cela vous forait valoir davantage, vous qui
restez, vous qui n'éprouvez que de bons traitements, etc., etc. Vous voilà
détrompé ; forcé de me séparer de l'Empereur à qui j'avais sacrifié toute,
mon existence, pour qui j'ai tout quille, pour qui j'ai tout perdu, je ne
partirai qu'après m'être vengé du succès de vos intrigues et de vos
manœuvres, ou bien je tomberai sous vos coups, mais au moins d'une manière
plus honorable et plus digne d'un homme de cœur que celle que vous avez
employée jusqu'ici, et, quel que soit mon sort, j'emporterai l'estime des
honnêtes fions. Voilà, Monsieur, comment je veux quitter Longwood. Signé : GOURGAUD. P.-S. —Je suis en droit de choisir les armes, je vous
laisse cet avantage ; mais, vu les circonstances où nous nous trouvons, il
est, je crois, nécessaire de nous concerter sur les autres dispositions. Je
vous prie donc de me dire où nous pourrons avoir une entrevue à ce sujet. Cette lettre n'a pu être
remise le 4, qu'à cinq heures du soir. Aussitôt que M. de Montholon l'eut
entre ses mains, il la porta sans l'ouvrir à Sa Majesté et, à dix heures du
soir. La lettre suivante me fut remise. A M. le général Gourgaud, chez lui. Longwood, le 4 février 1818. J'ai reçu votre lettre, Monsieur.
Plusieurs fois, depuis dix-huit mois, nous nous sommes mutuellement
provoqués. L'Empereur en avant été instruit, a exigé ma parole d'honneur que
je n'accepterais aucun cartel tant que je serais près de lui. En effet, tout
duel entre nous serait un grand scandale et un surcroît d'affliction à
ajouter à sa position. Dans d'autres circonstances, quanti je serai libre de
ces devoirs, j'accepterai votre cartel. Signé : MONTHOLON. Aussitôt j'ai répondu ce
qui suit : A M. le comte Montholon. Longwood, le 4 février 1818. Il me semble, Monsieur,
que, s'il était vrai que l'Empereur eût exigé votre parole d'honneur de n'accepter aucun cartel, il aurait
aussi exigé votre parole d'honneur que
vous vous conduiriez en honnête homme, car vous avouerez qu'il y aurait eu de
la lâcheté d'en avoir agi comme vous avez lait avec moi, lorsque vous pensiez
n'avoir rien à craindre. Réfléchissez, je vous prie, à tout le mal que vous
m'avez fait. Vous parlez de scandale. Pourquoi le provoquez-vous ? Signé : GOURGAUD. Je vous renouvelle encore
la demande d'une entrevue. Le comte Montholon n'a pas répondu. À Sir Hudson Lowe. Longwood,
le 8 février 1818. Monsieur le général, Depuis la maladie grave que
j'ai essuyée il y a deux ans, ma santé a toujours été plus ou moins chancelante.
Très souvent, j'ai été tourmente par de nouvelles attaques de dysenterie et
de mal au foie. A ces peines physiques, se sont jointes des peines morales.
J'ai éprouvé de grands chagrins : leur influence m'a été fatale. Elle a
détruit le peu de santé qui me restait, au point que je suis forcé de vous
prier de vouloir bien faciliter mon retour en Europe où l'air de ma patrie et
les soins de ma famille soulageront tous mes maux. J'ose espérer, monsieur le
général, que vous aurez de moi assez bonne opinion pour croire que je n'en
agis ainsi que parles motifs les plus puissants. J'ai l'honneur, etc. Signé : GOURGAUD. P.-S. — Je vous serais bien obligé si, on attendant mon
départ de l'ile, vous pouviez me placer dans un autre lieu que Longwood. Je
crois que le changement d'air me ferait du bien. A l'Empereur Napoléon. Longwood, ce 11 février 1818. SIRE, Au moment de m'éloigner de
ce séjour, j'éprouve un sentiment bien douloureux. J'oublie tout ; je ne suis
occupé que de la pensée que je vais me séparer pour jamais de celui à qui
j'avais consacré toute mon existence. Celte idée m'accable. Je ne puis
trouver de consolation que dans la persuasion où je suis que j'ai toujours
fait mon devoir. Je cède à la fatalité. Dans mon malheur, j'ose espérer,
Sire, que vous conserverez quoique souvenir de mes services et de mon
attachement, que même vous rendrez justice à mes sentiments et aux motifs de
mon départ, et qu'enfin, si j'ai perdu votre bienveillance, je n'ai pas perdu
votre estime. Daignez, Sire, recevoir mes
adieux, et agréer les vœux que je fais pour votre bonheur. Plaignez mon sort,
et, qu'en pensant quelquefois à moi, que Votre Majesté dise : Celui-là, au
moins, avait un bon cœur. Je suis, etc. Signé : GOURGAUD. Réponse du 12 février. Monsieur le général baron
Gourgaud, je vous remercie des sentiments que vous m'exprimez dans votre
lettre d'hier. Je regrette que le mal de foie qui est si funeste dans ce
climat ait nécessité voire départ. Vous êtes jeune. Vous avez du talent. Vous
devez parcourir une longue carrière. Je désire qu'elle suit heureuse. Ne
doutez jamais de l'intérêt que je vous porte. Signé : NAPOLÉON. Le lendemain, 13 février
1818, j'ai quitté Sa Majesté pour toujours. Signé : GOURGAUD. C.Sainte-Hélène, le 27 février 1818, par le Camden, de la Compagnie des Indes, cap. Larking. Le Dr O'Meara et Mme
Bertrand m'ont donné sur l'affaire du général Gourgaud les détails suivants : Il y a longtemps que
Bonaparte le voit de mauvais œil et l'a éloigné d'auprès de lui. L'humeur
inquiète et chagrine de cet officier l'en ont dégoûté. Il l'a même en
aversion et prend plaisir a le vexer, a le bien mortifier et a le pousser à
bout. Gourgaud, désolé de sa disgrâce, ne cessait de s'en plaindre à
Bonaparte. Je vous ai servi, lui dit-il un
jour, avec zèle et fidélité. Je vous ai sacrifié ma
liberté, mon existence entière, et vous m'abandonnez. — Bah ! répondit l'autre, où
sont vos pertes, vos malheurs ? Votre sort est heureux. J'ai perdu mon
empire, ma gloire. Voilà des revers et je ne dis mot. Mais vous êtes mou,
faible. Vous me faites pitié. Gourgaud eut beau pleurer
et lamenter, il ne rentra plus en faveur et tomba dans le désespoir. Il s'en
prit d'abord a Bertrand de ce qui lui arrivait, puis à Las Cases, enfin a
Montholon et il les appela l'un après l'autre en duel. Jaloux de Bonaparte
comme de sa maîtresse, il s'attaquait à tous ceux qui en étaient bien vus et
mieux traités que lui. Il accusa jusqu'aux valets de cabaler, d'intriguer
contre lui, de conspirer sa perte. Nul Français à Longwood n'échappa à son
humeur noire et mélancolique. On a cru un moment que sa tête s'embarrassait,
qu'il devenait fou. On avait peur de lui et, à cause de cela, il n'est pas
regretté du tout. Avant de s'en séparer, Bonaparte lui offrit 500 £ d'argent
de voyage, lui donna 12.000 francs de pension et lui dit : Si le sort
me ramène en Europe, venez m'y trouver, je vous accueillerai. — Oui, s'écria Gourgaud, j'irai
à la rencontre de Votre Majesté, mais avec un fusil à deux coups. C'est une incartade bien extravagante. Le gouverneur fait un
pompeux éloge de Gourgaud ; il l'élève jusqu'aux nues. C'est un homme, dit-il, de
grand jugement, incapable d'intrigue, de bassesse et qui jamais n'a violé les
règlements. Que n'ajoute-t-il un homme qui, étant brouillé avec
Bonaparte et en querelle avec ses compatriotes, parait-il approuver ma
conduite illibérale envers eux, me donner raison sur tout, être ma créature ?
Voilà au fond ce qui lui fait aimer, estimer, prôner ce général... D.Sainte-Hélène,
le 14 mars 1818, n. st. par le Camden, de la Compagnie des Indes, cap.
Larking. ... Le général Gourgaud est
parti ce matin pour l'Angleterre à bord d'un vaisseau de la Compagnie des Indes.
On ne l'a pas envoye préalablement au Cap de Bonne-Espérance. C'est une
faveur toute particulière. On croit à Sainte-Hélène qu'il a une mission
secrète de Bonaparte, que sa brouillerie à Longwood n'est qu'une pure
comédie, un moyen adroit de tromper les Anglais et qu'on devrait se méfier
davantage. Je ne suis point de cet avis-là. Gourgaud est imprudent ; il
connaît peu les hommes, encore moins les affaires. On ne peut, sans risquer
infiniment, le charger d'un rôle si difficile. Il se trahirait lui-même à
chaque instant. E.Sainte-Hélène,
le 10 mars 1818, n. st., par le Bombay, de la Compagnie des Indes,
cap. Hamilton. ... Lorsque le général
Gourgaud quitta l'Ile de Sainte-Hélène, il n'avait que 17 £ en poche.
Bonaparte, ainsi que je l'ai mandé à Votre Excellence dans mon rapport mle n° 6, lui en offrit 500 ou 12.000 francs, mais il
les refusa net en disant : Je ne veux devoir à Votre
Majesté que la pension de 12.000 francs qui sert aux aliments de ma famille.
Bertrand voulut aussi lui en prêter 200 et il les refusa également. J'eus
beau lui représenter qu'en donnant trop d'essor a sa mauvaise humeur, a son
ressentiment, il s'exposait à être h sec en Angleterre. Ces 500 £, me disait-il, sont
trop pour mes besoins et pas assez pour mon honneur. L'Empereur en a donné
autant à son piqueur, à des valets qui retournaient chez eux, et Las Cases en
a obtenu 200.000 francs. Je vendrai ma montre, mes habits, mais je ne ferai
pas de bassesse. Pour le comte Bertrand, priez-le de me rendre 20 pounds
qu'il me doit. Je ne lui en demande pas davantage et rappelez-lui surtout que
je suis dans une position à jouer l'Empereur par-dessous jambe, que je puis
révéler ses secrets, que mon journal de Longwood vaut à Londres 15.000 £ et
qu'il est important de ne pas me pousser a bout. Trois jours avant son
départ, n'ayant pas de quoi payer ses gens, son équipement, il devint sombre,
mélancolique, baissa furieusement de ton et se décida enfin a écrire au grand
maréchal la lettre que Votre Excellence trouvera ci-joint en copie. Bertrand
lui fit répondre que la maison Balcombe and C° serait autorisée a lui
délivrer 500 £ ; que, s'il s'obstinait a les refuser, personne ne lui
prêterait le sol, vu que ce serait manquer à l'Empereur. Il lui renvoya en
même temps sa dette de 20 pounds. Gourgaud, ne sachant où donner de la tête,
alla à cheval jusqu'à la grande porte de Longwood et pria le lieutenant
Jackson, son surveillant, d'entrer chez Bertrand, de lui faire mille
protestations d'amitié et de le lui amener, mais celui-ci refusa de le voir,
de l'entendre, de lui écrire et fut inexorable. Votre Excellence trouvera
sous ce pli la copie d'un rapport de Jackson relatif à ce fait. Réduit à la dernière
nécessité, Gourgaud accepta les 500 £ de Bonaparte, courut incontinent chez
Balcombe, ne le trouva pas à son comptoir, le chercha inutilement en ville, à
la campagne, de tous côtés, et partit le même jour sans savoir où ni quand il
les loucherait. Le lendemain, Bonaparte, en
les lui assignant sur un banquier à Londres, dit à Bertrand : Qu'on ne me parle plus de cet homme, c'est un fou. Il
était jaloux, amoureux de moi. Que diable ! Je ne suis pointant pas sa femme
et ne puis coucher avec lui. Il écrira contre nous. Je lésais et m'en moque.
Si on le reçoit en France, il y sera enfermé, pendu ou fusillé. Il
est sûr que Gourgaud, quand il a la tête montée, peut courir à sa perte. A Waterloo, me disait-il un jour, j'ai
voulu tuer l'Empereur, lui tirer un coup de pistolet. Je ne sais ce qui m'a
arrêté. — A Paris, en 1814, j'étais parmi les
tapageurs. J'ai crié vive Napoléon ! et me suis battu en duel avec les
étrangers. Ceci achève de le peindre. Après son éloignement de Longwood, il eut toute liberté de nous voir et était fort assidu auprès de M. de Stürmer. Il lui parlait sans cesse souvent à tort et à travers de Bonaparte et de sa suite. Le commissaire d'Autriche a pris note de tous ses entretiens, et voici, mot pour mot, ce qu'il a écrit au prince Metternich[11] : . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . A Varsovie, Bonaparte
disait : Du sublime au ridicule, il n'y a qu'un pas.
A Sainte-Hélène, il répète cent fois par jour : Du
Capitole à la Roche Tarpéienne, il n'y a qu'un pas. Quand il est de
bonne humeur et fort en train de parler, ce qui ne lui arrive pas souvent, il
fait signe à Bertrand ou Montholon de s'asseoir près de lui et ne manque
jamais de leur dire : Prends un siège, Cinna, prends, et sur toute
chose... Il aime la tragédie,
surtout l'Iphigénie de Racine, et déclame assez bien. Quand il est d'humeur
chagrine on seulement ennuyé, il se promène autour de son billard, s'exerce à
en chasser les billes de la main et chante un petit air italien : Fra Martino, Fia Martino, Suona la Campana, Suona la
Campana. Quelquefois aussi, il fait appeler Marchand, son valet de
chambre, et lui parle des nouvelles et caquets de la ville ou bien de détails
de la cuisine et du ménage. P.-S. — Le gouverneur
m'envoie a l'instant même la copie ci-jointe d'une lettre qu'il a écrite au
marquis de Montchenu pour lui recommander le général Gourgaud et faciliter
son retour en France. ANNEXES1Lettre du général Gourgaud au comte Bertrand. Monsieur le maréchal, Mon départ de cette île
étant fixé à vendredi, c'est-a-dire à après-demain, et me trouvant dans une
grande détresse, je prends le parti de recourir aux offres obligeantes que
vous ave/bien voulu me faire, lorsque j'ai quitté Longwood, de me prêter
quelque argent sur vos fonds d'Angleterre, car, réellement, je ne sais où
donner de la tête. Je puis bien partir d'ici sans un sol, mais, arrivé en
Angleterre, que ferai-je surtout si je ne puis rentrer en France d'un an ou
plus ? Tout en vous priant de me
rendre le service que je vous demande, je dois vous prévenir que je
m'acquitterai le plus tôt que je pourrai, mais je ne puis vous fixer
l'époque, car, depuis longtemps, je n'ai aucune nouvelle de ma famille,
peut-être même, en ce moment, est-elle en prison. D'ailleurs, sans cette
circonstance, je n'aurais pas attendu si longtemps pour faire la démarche que
je fais à présent : mais vous me connaissez assez pour être bien persuade
combien il doit m'être pénible d'emprunter sans savoir quand je pourrai
rendre. La nécessité seule pouvait vaincre ma répugnance. Je vous serais bien obligé de m'envoyer un reçu des 29 volumes que l'on m'avait donnés et qu'on m'a redemandés[12]. J'en avais donné reçu. J'ai bien renvoyé les livres, mais on ne m'a pas rendu mon reçu. Les 20 £ dont je vous ai
donné les reçus en quittant Longwood ne m'ont pas été remises. Je vous prie de
me les faire passer. J'en ai grand besoin. Vous m'aviez promis de me
venir voir. Permettes-moi de vous rappeler votre promesse, car le temps
passe. Aujourd'hui et demain à Sainte-Hélène, après demain en mer. J'ose
espérer que vous ne me forcerez pas de croire que les malheureux n'ont plus
d'amis. Agréez, etc. Signé : GOURGAUD. P.-S. — Présentez, je
vous prie, mes hommages respectueux et reconnaissants à madame la Maréchale.
Embrassez-la de ma part ainsi que vos enfants. Mon cœur n'est pas celui d'un
ingrat et je ne puis me persuader que tout le monde m'a déjà oublié.
Adieu ! Adieu ! 2Rapport du lieutenant Jackson au gouverneur sir Hudson Lowe (traduction). Sainte-Hélène,
15 mars 1818. Monsieur. J'ai l'honneur de vous
informer que, en conformité de vos instructions, j'ai accompagné le général
Gourgaud à la barrière d'entrée de Longwood dans la matinée du 13 courant.
Là, il me demanda d'aller trouver le général Bertrand, de lui dire qu'il
l'attendait et qu'il désirait le voir quelques minutes parce qu'il n'avait
pas reçu de réponse à la lettre qu'il lui avait envoyée le 11 courant. Je
trouvai le général Bertrand en conversation avec deux commandants de navires
de la Hotte de Chine dont aucun ne parlait français. Il m'invita a m'asseoir
et me demanda où était le général Gourgaud. Je lui dis que je l'avais laissé
à la barrière, et qu'il serait heureux si le général Bertrand voulait bien
venir l'y voir. Je lui demandai s'il avait reçu une lettre du général. Il
répondit : Oui, mais je ne sais ce qu'il veut. Il me
parle d'argent. N'en a-t-il pas reçu de Balcombe ? Je répliquai que
non. Mais comment ? Je lui ai dit quatre fois que l'empereur avait mis 12.000
francs à sa disposition et qu'il n'avait qu'à les demander à Balcombe. Il y a
à présent un mois que cette somme est dans ses mains. Pourquoi ne l'a-t-il
pas reçue ? Il me dit qu'il a besoin d'argent : qu'il reçoive donc les 12.000
francs que l'Empereur a eu la bonté de lui ordonner. Si cette somme ne lui
suffit pas il n'a qu'à me le dire. Enfin, tout ce que j'ai est à son service.
Mais qu'il ne me mette pas dans la position de manquer à l'Empereur : je suis
homme de l'Empereur. Les ennemis de l'Empereur sont les miens. J'estime
Gourgaud. Longtemps je lui disais qu'il ferait des bêtises. Je ne suis pas
instruit de beaucoup des choses qui se sont passées entre lui et Sa Majesté,
mais je sais qu'il a tort. Il doit tout à l'Empereur. Elevé a côté de
l'Empereur. L'Empereur a tout fait pour lui. Il était, je crois,
lieutenant... Etait-ce à lui à s'opposer à l'Empereur ? Entrer en discussion
avec lui ? Si, à présent, je lui prêtais de l'argent, cesserait l'aider
contre l'Empereur. Moi contre l'Empereur ! Si je m'oubliais a un tel point,
mes amis me donneraient tort, les siens me donneraient tort et lui-même,
après quelque temps, me donnerait tort. C'est une tête chaude, sans
réflexion. Il s'en va, que fera-t-il ? Qu'en résultera-t-il ? Le monde est
divisé en deux partis : les amis et les ennemis de l'Empereur. Ses amis lui
donneront tort et ses ennemis se moqueront de lui. Dans sa lettre,
il dit que j'avais promis de l'aller voir. Ce n'est pas vrai. Jamais je ne
lui ai fait telle promesse. Je ne pourrais le voir que devant un officier
anglais et, dans une telle situation, que lui dirais-je ? Je ne pourrais que
lui dire : Mon cher Gourgaud. je vous conseille telle ou telle chose.
Impossible. Le monde entier nous regarde dans notre Ile et c'est une justice
que je dois à mon caractère, à ma position, à ma conduite et, si vous voulez,
à ma fierté. Il est vrai que j'ai été une fois voir M. de Las Cases, mais
c'était pour une affaire très importante. Il s'agissait de lui persuader de
rester à Sainte-Hélène. Je ne pourrai pas non plus lui écrire sans que ma
lettre ne fut lue d'un officier anglais, et d'ailleurs, il sait que je n'écris
a personne. Retournez au général Gourgaud. Racontez-lui ce que je viens de
vous dire, et tâchez, si vous prenez intérêt à lui, de lui faire accepter
l'argent que lui accorde l'Empereur. Et alors, je serai tout à ses ordres et
tout ce que je possède sera à son service. Il me parle de rendre l'argent
quand il le pourra : s'il en prend, qu'il me le restitue quand il sera en
état de le faire ou à mes enfants si je n'existe plus. Mais, je vous le
répète, s'il ne prend pas les 12.000 francs de l'Empereur, il n'en aura pas
de moi. L'Empereur lui a donné une pension de 12.000 francs pour sa mère. Si
elle n'est pas payée régulièrement, qu'il m'écrive, j'en ferai mon affaire. Signé : J.-B. JACKSON. 3Lettre du gouverneur sir Hudson Lowe au marquis de Montchenu, commissaire de France. Sainte-Hélène,
13 mais 1818. Monsieur le marquis, Le général baron Gourgaud
étant sur le point d'embarquer pour l'Europe, je crois un devoir envers lui
de vous taire connaître que son départ ne vient d'aucune mésintelligence avec
les autorités anglaises, que c'est un effet de son propre choix, qu'il m'a
paru toujours tenir une conduite égale et convenable aux circonstances où il
se trouvait, ne se mêlant pas, a ma connaissance, d'affaires politiques, ni
ne donnant aucun motif à soupçonner qu'il ait aucun dessein caché contraire
aux intérêts de votre souverain en quittant cette lie. J'ai l'honneur d'être, etc. Signé : HUDSON LOWE. PIÈCE N° VI.EXTRAITS DES DÉPÊCHES DU BARON STÜRMER[13] AU PRINCE DE METTERNICH. A.Sainte-Hélène,
ce 23 février 1818. Mon prince, Le nombre des Français
attachés a l'ex-empereur vient de subir une nouvelle diminution. Le général
Gourgaud a quitté Longwood le 13 de ce mois à la suite d'une querelle qu'il a
eue avec le comte de Montholon. Ennemis depuis longtemps, ils avaient été
plusieurs fois sur le point de se battre. Le général Gourgaud, jaloux de voir
la faveur de M. de Montholon croître à mesure que la sienne baissait et
attribuant à celui-ci les mauvais traitements qu'on lui faisait essuyer, jura
de se venger ou de s'en aller. Bonaparte exigea de M. de Montholon sa parole
d'honneur qu'il n'accepterait aucun cartel tant qu'il serait auprès de lui.
Irrité par ce refus, Gourgaud menaça d'assommer son rival à coups de
cravache. Bonaparte cria à l'assassinat et voulut le faire arrêter. Il ne
resta à Gourgaud d'autre parti à prendre que d'aller mettre son sort entre
les mains du gouverneur. Faites de moi ce que vous
voudrez, lui dit-il, j'aime mieux aller en
prison que de rester à Longwood. Sir Hudson Lowe l'établit dans une
maison de campagne près de Plantation House : il y est traité à merveille et
peut aller partout avec un officier anglais qui loge avec lui et ne le quitte
pas. Ses papiers ont été examinés, mais on n'y a rien trouvé qui pût le
compromettre. Le gouverneur me pressa avec instance, il y a quelques jours,
de lui dire ma façon de penser sur cet esclandre. Croyez-[vous]
me demanda-l-il que Gourgaud soit de bonne foi et
que sa brouillerie avec Napoléon soit réelle ? Je lui répondis que
personne ne pouvait en juger mieux que lui ; mais que, d'après mes propres
observations, le général Gourgaud gardait trop peu de mesure pour le supposer
chargé d'une mission secrète. Je suis du même avis,
me répliqua-t-il, d'ailleurs je l'ai toujours vu le
même. Je le crois homme d'honneur. Sa conduite et ses principes n'ont jamais
varié. Le général Gourgaud ignore
encore combien de temps il restera ici et si on l'enverra directement en
Europe ou s'il devra d'abord aller au Cap de Bonne-Espérance. Son intention
est de se rendre en France et d'y vivre dans le sein de sa famille, si on lui
permet d'y rester. Il s'estimerait heureux de rentrer au service, mais il
n'ose se flatter d'être employé de nouveau. Il a déclaré à Bonaparte, en le
quittant, qu'il lui conserverait un attachement éternel, mais qu'il se
battrait contre lui, si son devoir le lui ordonnait. Celui-ci parait le
regretter peu. Sa présence à Longwood y causait du trouble et du désordre.
Officier brave et distingué, il n'est rien moins que courtisan. Il a eu des
scènes avec M. de Las Cases dont il était jaloux et jusqu'aux domestiques, il
s'est mis mal avec tout le monde, Bonaparte lui a reproché que c'était à
cause de lui que Las Cases était parti. Le général Gourgaud se
plaint d'être entièrement démuni d'argent. Il m'a dit que le comte Bertrand
lui avait prêté 50 £ et que c'était là toute sa fortune : mais je liens de
lionne part que Bonaparte vient de lui faire un don de 500 £ et qu'il a
assuré à sa mère une pension de 12.000 francs réversible sur lui après la
mort de Mme Gourgaud. Le gouverneur parait ignorer cette circonstance. B.Sainte-Hélène,
le 23 février 1818. ... Je demandai hier au
général Gourgaud ce qu'il pensait de la santé de Bonaparte : Il nous enterrera tous, me répondit-il, il a un corps de fer. Je lui parlai de l'endure des
jambes. Cela date depuis Moscou, me dit-il, il en est de même de ses insomnies. Depuis que je le
connais, il n'a jamais dormi plusieurs heures de suite. Quanta son mal de
côté, personne n'a pu savoir encore au juste ce qui en est. C.Sainte-Hélène,
le 23 février 1818. Je m'étais proposé
d'envoyer à aujourd'hui à Votre Altesse quelques réflexions qui doivent
servir de commentaire aux observations de Bonaparte sur le discours de lord
Bathurst ; mais le hasard m'ayant mis en rapports suivis et presque
journaliers avec le général Gourgaud qui loge à côté de moi, je vais mettre à
profit cette circonstance pour vérifier quelques particularités qui ne me
sont connues qu'imparfaitement. D.Sainte-Hélène, le 14 mars 1818[14]. (Voir ci-dessus, Pièce H. Pièce IV, B et Pièce V.) E.Sainte-Hélène,
le 31 mars 1818. ... Le général Gourgaud a
quitté l'Ile le 14 de ce mois, comme j'avais eu l'honneur de l'annoncer à V.
A. Entièrement dépourvu d'argent
et ayant refusé celui que Bonaparte lui avait fait offrir, il pria le comte
Bertrand de lui en prêter de ses propres fonds et lui écrivit a cet effet la
lettre ci-jointe[15]. Il n'a reçu aucune réponse. La veille de son
embarquement, il prit le parti d'aller le voir ; ne voulant pas entrer dans
l'enceinte, il convint avec M. Jackson (c'est le nom de l'officier anglais qui était
chargé de l'accompagner partout) que
celui-ci irait seul chez le grand maréchal et le prierait de sa part de venir
à la barrière. Votre Altesse verra par le rapport de M. Jackson ci-joint[16] que le gouverneur m'a communiqué, que le comte
Bertrand a décliné cette entrevue et qu'il a fait dire au général Gourgaud
qu'il ne pouvait, sans offenser son maître, lui prêter de l'argent, tant
qu'il se refuserait d'accepter les 500 £ que celui-ci avait mis à sa
disposition. Cette réponse déconcerta le
général Gourgaud. Le gouverneur voulut le tirer d'embarras, mais il lui
répondit qu'il ne pouvait profiter de ses offres. On
m'accuserait, lui dit-il, de m'être mis à la
solde de l'Angleterre ; ce serait le moyen de me discréditer entièrement et
de me mettre hors d'état de répondre aux calomnies que Bonaparte fera
répandre contre moi. Enfin, quelques heures avant son départ, il se
décida à faire demander les 500 £ que Bonaparte lui avait fait assigner chez
Balcombe. Celui-ci assura qu'il n avait ni ordre ni fonds. Le gouverneur lit
écrire au comte Bertrand, mais la réponse n'ayant pu arriver avant la nuit,
le Camden mit à la voile et le général Gourgaud partit sans avoir son argent.
Ce ne fut que le lendemain que l'on envoya à sir Hudson Lowe une lettre de
change de 500 £ payable à Londres. Il l'endossa en laveur du général Gourgaud
et l'expédia par un bâtiment de la Compagnie des Indes qui fit voile le même
jour pour l'Europe. Quant à la pension de
12.000 francs accordée à la mère de Gourgaud, je n'ai pu savoir au juste ce
qui en est. Le gouverneur m'a dit que ce dernier lui en avait parlé
confidentiellement, mais qu'il lui avait promis de garder le secret. Je me suis borné, me dit-il, à en rendre compte à mon gouvernement. Tout ce que
j'ai pu découvrir, c'est que Gourgaud a obtenu cette pension au mois de
juillet dernier, dans le temps de sa plus grande faveur, à force de
sollicitations et de représentations sur la gêne où se trouvait sa mère. Je ne m'appesantirai pas
sur ce qu'on dit à Longwood de son départ ; le rapport de M. Jackson ne
laisse rien à désirer à cet égard. Bonaparte parait s'en féliciter : il n'en
est que plus tranquille. Il se livre maintenant sans réserve au goût qu'il
parait avoir pris tout à coup pour Mme de Montholon et que Gourgaud avait
pris à tache de contrarier et de tourner en ridicule. Après avoir flatté pendant
quelque temps les caprices de l'ex-empereur en remplissant auprès de lui les
nobles fonctions de pourvoyeuse. Mme de Montholon a su triompher de ses
rivales et s'est élevée jusqu'au lit impérial. Son mari, dit-on, en est tout
fier. Bonaparte a dit dernièrement en parlant de Gourgaud : Je crois en vérité que cet homme était amoureux de moi :
cela commençait à me fatiguer. Je ne pouvais pas coucher avec lui. Sa tête se
dérange : il se fera prendre ou fusiller en France, c'est le sort qui
l'attend. Il dira du mal de moi ; je m'en moque ; un libelle de plus ou de
moins, que m'importe ! J'ai cru devoir communiquer
au gouverneur le rapport que j'ai eu l'honneur d'adresser à Votre Altesse le
14 de ce mois[17] parce qu'il contient quelques détails relatifs à la
surveillance. Il l'a lu avec la plus grande attention. C'est, m'a-t-il dit, la
pièce la plus intéressante que j'aie vue depuis que je suis ici. Il
m'a su tant de gré de lui avoir fait cette communication qu'il m'en remercie
chaque fois que nous en parlons. Voyant le prix qu'il y attachait, je lui en
ai laissé prendre une copie qu'il a envoyée aussitôt à Mylord Bathurst. Nous
avons beaucoup causé de la possibilité d'une évasion dont il y est l'ait
mention. Il croit qu'elle n'existe pas et assure qu'il ne comprend rien à
tout ce qu'en a dit Gourgaud... PIÈCE N° VIIEXTRAITS DES DÉPÊCHES DU MARQUIS DE MONTCHENU COMMISSAIRE DU ROI DE FRANCE A SAINTE-HELÈNE[18]. A[19].Sainte-Hélène,
20 janvier 1818. ... M. de Montholon est
actuellement l'homme qui jouit de toute la confiance, ce dont Bertrand
enrage. Il use de sa faveur avec beaucoup de hauteur. Gourgaud qu'il traite
très mal et que son maître ne traite guère mieux a eu envie de partir. Il a
osé, la semaine dernière, faire part de sa résolution au grand homme qui lui
a répondu très froidement d'attendre encore : Prenez
patience, dans douze mois vous m'aurez enterré ou je ne serai plus ici.
Je croirais assez à la première partie ; quant à la seconde c'est une autre
affaire... B.Sainte-Hélène,
18 février 1818[20]. [Gourgaud était depuis
longtemps odieux à Montholon et, quoique ce dernier soit aussi brouillé avec
Bertrand, il avait fini par lui persuader que le moyen le plus sûr pour taire
parler d'eux et faire croire aux plaintes que leurs amis ne cessent de porter
contre la prétendue manière dont ils sont traités, était d'engager l'un d'eux à se tuer. [Le caractère faible de
Gourgaud leur parut admirable pour ce projet ; depuis longtemps, il était
très maltraité par son doux maître et très affecté. Il était entièrement
brouillé avec les Montholon et il ne voyait plus que les Bertrand. Toutes les
fois qu'il se plaignait de son sort, Bertrand coulait tout doucement, et avec
un air pensif : Oh ! quand on est réellement
malheureux et qu'on n'a pas de famille, on peut... un coup de pistolet !... Après avoir répété
plusieurs fois cette phrase, à laquelle Gourgaud ne répondait jamais, on le
crut déterminé. Alors, Buonaparte le fit venir un matin, sur le prétexte de
discuter un objet de mathématiques ; le point fut éclairci. Puis, Buonaparte
se mit à causer, prit un ton doucereux, eut l'air de le plaindre et finit par
s'attendrir en apparence, ce qui fit un grand effet. Quand il crut l'avoir
assez louché, il finit par lui dire : Nous sommes
ici tous bien malheureux... Je crois que vous
auriez un moyen grand, noble de vous en tirer... Il eut l'air
d'hésiter et puis il finit par dire : Un coup de
pistolet termine bien des choses ! [Gourgaud répondit
sur-le-champ : Oui. Sire, nous sommes tous
malheureux, noire sort nous est commun, il faut le finir ensemble et d'une
manière douce. Pour cela, je propose que nous nous retirions tous dans le
cabinet de Votre Majesté, portes et fenêtres bien fermées, et que nous nous
fassions apporter une grande quantité de vin de Champagne ; nous ferons allumer
un grand feu de charbon au milieu de la chambre ; nous boirons beaucoup et
nous serons tous asphyxiés en même temps.] [La réponse ne plut pas, on lui tourna le dos et on ne lui reparla plus.] Parmi tous les moyens de dégoût qu'on a cherché à lui donner le plus amer et celui qu'on croyait le plus propre à lui faire adopter le parti qu'on voulait lui faire prendre, connaissant son grand attachement et son dévouement au grand homme était de le faire venir de lui. En conséquence Bonaparte lui avait dit plusieurs fois : Vous changez à vue d'œil, je crains pour votre tête ! Enfin, un jour, il lui dit plus sérieusement : Mon cher Gourgaud, prenez garde à vous s'il en est encore temps ; je vous en avertis, votre tête est absolument déménagée ! Et puis le conseil ordinaire[21]... [Le coup[22] a manqué à leur grand étonnement, cartons les amis,
et surtout ceux de l'opposition, n'auraient pas manqué de dire : Voyez comme ils sont traités ! Gourgaud, homme de cœur et
d'un courage brillant à la guerre, n'a pu supporter les outrages dont on les
abreuve ; il a mieux aimé se brûler la cervelle ! Cette mort aurait
fait assurément un grand bruit.] C.Sainte-Hélène,
le 12 mars 1818[23]. ... Gourgaud qui, depuis
longtemps, était brouillé ouvertement avec les Montholon et très maltraité
par son doux maitre, n enfin pris le parti de la retraite. Il a quitté
Longwood le 13 février dernier. Le gouverneur lui a loué une petite maison
qu'il habite avec un officier qu'on lui a donné et qui ne le quitte jamais ;
du reste, il est parfaitement libre de voir qui il veut. Son histoire est
assez plaisante pour que je vous la donne. Elle vous amusera peut-être un
moment et vous fera faire des réflexions. Je la joins ici séparément. Il
tient des propos assez déplacés sur l'ingratitude de son maître, et tous les
habitants de l'Ile sont convaincus que son départ n'est qu'un jeu pour
envo.ver un émissaire en Europe. Le gouverneur ne le croit pas, ni moi non
plus, parce qu'il n'a rien de ce qu'il faut pour être chef de parti, a moins
que la bravoure seule pût suffire. Il ne parait pas douter de sa rentrée en
France et même au service. Il assure qu'en prenant congé de Bonaparte, ce
dernier lui dit : [Si
jamais les circonstances me ramènent en France, je vous ferai appeler et je
me souviendrai de vos services, et qu'il lui répondit : J'irai au-devant de vous, mais avec un fusil à deux coups
pour vous brûler la cervelle.] Votre Excellence sait sans
doute qu'il avait été fait colonel de l'artillerie il cheval de la Garde en
1814, commandant de tout le dépôt de Vincennes et chevalier de Saint-Louis,
fait général pendant les Cent-Jours, et enfin actuellement à Sainte-Hélène
par suite de son attachement a Bonaparte dont il était officier d'ordonnance
depuis une douzaine d'années. C'est un homme d'un caractère faible, qui a
beaucoup de valeur et encore plus de jactance ; qui n'a que deux noms dans sa
bouche, le sien et celui de l'Empereur. Sa mère, sœur de Dugazon, habite
Versailles. Il dit encore que, si on ne l'emploie pas, il se fera maitre de
mathématiques dans une école publique, car il ne met aucun doute à sa rentrée
en France. Il n'a pas encore osé m'en
parler, mais tout le monde m'en parle pour lui. Je réponds simplement qu'il y
a trop longtemps que j'ai quitté Paris pour avoir une opinion, et surtout que
je ne connais nullement le ministre actuel de la Guerre. Vous sentez bien, monsieur
le duc, que je ne m'aviserai pas de vous donner un avis, je me bornerai à
dire que, si l'on veut entendre parler à toute heure de Bonaparte, et surtout
par un homme venant de Sainte-Hélène, ce qui redoublera la curiosité, on ne
pourra pas mieux s'adresser qu'a lui. C'est pour cela qu'il serait encore
plus dangereux dans une école qu'au service. C'est un bavard, très fanfaron,
très suffisant : mais je suis du très petit nombre de personnes qui croient
ici à la sincérité de sa retraite. Dès que son départ sera fixé, j'aurai
l'honneur de vous en prévenir (Ce 13). Le gouverneur vient de
m'annoncer son départ, parle bâtiment qui vous portera ma lettre. Il est très
décidé, à ce qu'il dit, d'aller droit en France à tous risques. M. et surtout Mme de
Montholon sont dans ce moment les seuls en faveur. Madame, après s'être
contentée d'abord du titre de pourvoyeuse, est enfin montée jusqu'au lit
impérial. File a tout fait changer : on dine maintenant à deux heures, au
lieu de huit. Ses désirs sont des ordres. On travaille dans ce moment à faire
renvoyer les Bertrand, qui sont furieusement dégoûtés. Mme Bertrand n'a plus,
depuis le départ de Gourgaud, aucune société (ils ne voient point les Montholon). Mme de Montholon a fait, il n'y a pas longtemps,
un extrait de fille. Leur but, en restant ici les derniers, est d'enterrer
leur patron dont ils espèrent la meilleure part de la succession. Voici
cependant un trait assez frappant de sa part. Quand Gourgaud est parti,
Buonaparte lui a dit : Vous êtes appliqué, studieux,
prenez dans ma bibliothèque tous les doubles, cela vous servira d'occupation.
Il le fit sur-le-champ et emporta les livres avec lui. Deux jours après son
départ, Bonaparte envoya son bibliothécaire pour, les reprendre, avec un mot
de sa main où il dit qu'il n'a pas pu les donner, parce qu'il les doit à son
fils, et on les a remportés. Je sais positivement que Buonaparte s'occupe
beaucoup de la France, qu'il parle très souvent du Roi dont il ne dit jamais
de mal, mais il blâme son administration, et alors il s'étend longuement sur
ce qu'il aurait fait... Vous voyez que je n'aurais jamais pu rentrer en 1815.
Je connais les Français mieux que le roi, etc. Comme il revient souvent sur
cette conversation, et que tout ce qui est fait est fait, je crois inutile
d'entrer dans des détails minutieux sur tout ce qui ne peut pas se refaire.
Ce sera tout au plus le sujet de quelques conversations quand j'aurai le très
grand bonheur de vous revoir, monsieur le duc. J'ai aussi appris qu'il y
avait eu un petit conseil tenu le matin du jour de la bataille de Waterloo,
où il fut décidé que Fouché serait fusillé. Sa fuite fit retarder le projet
qui fut remis sur le tapis après son arrivée a Paris. Mais alors on ne trouva
plus l'exécution possible. Causant encore des grands revers qu'il a essuyés
dans les dernières années, il a dit : J'ai fait une
grande bêtise quand j'ai épousé cette... sacrée
Marie-Louise. Elle m'a toujours porté malheur. Ce 14 matin, une heure avant le départ. Je dînai avant-hier chez le
gouverneur, il me recommanda beaucoup Gourgaud qu'il aime : je lui demandai
le motif de son attachement, il me répondit : C'est
le seul qui n'ait jamais violé les règlements. Je le regardai d'un air
qui l'étonna, il me répéta la même chose, et je lui dis avec le plus grand
sang-froid : Je ne crains pas beaucoup un homme qui
viole mes règlements quand j'ai la force nécessaire pour les faire exécuter,
mais je crains beaucoup celui qui viole ses serments. Il resta étonné.
Je reçois dans le moment une lettre de lui dans laquelle il énonce son
opinion sur Gourgaud ; je lui ai promis de l'envoyer il M. d'Osmond comme il
m'en a prié, et j'y joins deux mots sans observations, en engageant
l'ambassadeur de vous la transmettre purement et simplement avec son mémoire.
Mais voici une autre chose, trois, officiers de l'état-major général sont
venus hier soir faire une visité chez moi, ils m'ont raconte des choses
effroyables sur sa conduite des trois premiers mois de 1810, après que
Monseigneur le duc de Berry lui eût fait avoir la croix de Saint-Louis, ils
m'ont assuré les tenir de lui ; ce n'est rien moins que de l'argent donné et
distribué au nom de son doux maître, et autres choses semblables sur
lesquelles je ne m'étends pas, ne pouvant fournir aucunes preuves, mais qui
doivent réveiller la suspicion. Mon devoir, monsieur le duc, est de prévenir
Votre Excellence, et le vôtre de décider, c'est un homme à qui les habitants
de Longwood accordent beaucoup de bravoure et de talents — mais une bien
mauvaise tête. Je suis, etc. DEMONTCHENU. D[24].Sainte-Hélène,
le 28 mars 1818. Monseigneur, j'ai eu
l'honneur d'écrire à Votre Excellence il y a huit jours et elle croira
facilement que notre rocher ne fournit pas toutes les semaines des événements
à raconter. Voici cependant ce qui me parait assez intéressant pour devoir
vous être mandé sur-le-champ. Le vaisseau de la Chine
parti il y a huit jours et qui a emmené Gourgaud vous porte en même temps mon
opinion sur lui. Dînant hier chez le
gouverneur avec le baron de Stürmer, le premier me dit : Il faut que je vous donne copie du rapport de Jackson (ce Jackson est l'officier
auquel Gourgaud avait été confié). Je vous préviens que je l'envoie par l'escadrille de la Chine
qui part demain et je vous conseille d'en faire autant. Quelques moments après
Stürmer me dit aussi : Il faut qu'à mon tour je vous
fasse mon cadeau. Je vous donnerai demain malin le résultat de mes
conversations les plus importantes. Gourgaud occupait une
petite bicoque à côté du baron et il allait y passer presque toutes les
soirées. On ne jouait point, on y buvait du punch, et il se livrait assez
facilement, car, je le répète, il est très bavard, très fanfaron et très
mauvaise tête. Les deux pièces ci-jointes vous le feront mieux connaître que
tout ce que je pourrais dire. [Buonaparte a été fâché de sa désertion, mais
il est aussi très aise d'en être délivré. Il m'aime
trop ; il m'obsède. Que me veut-il 1 Je ne puis pourtant pas coucher avec lui
! — Et puis que fera-t-il ? Quelques
pamphlets ? Je suis au-dessus de cela. Ira-t-il se jeter en France entre les
mains d'un gendarme, comme il le dit, ou faire quelque autre étourderie, il
se fera fusiller.] Comme il le mérite, ce
sera bien fait. Vous verrez, monsieur le
duc, par les réponses de Bertrand, que Mme Gourgaud a une pension de
Buonaparte de 12.000 francs et Mme Bertrand assure qu'elle est réversible au fils. Voici actuellement ce qui s'est
passé au moment de son départ et que je n'ai pu vous mander parce que le
paquet était fermé et embarqué. Gourgaud, au moment du
départ, n'avait que vingt louis ; il alla le malin chez le gouverneur pour le
consulter et se décider a prendre ou a refuser les 12.000 francs. Le
gouverneur lui conseilla de les prendre. Il ne se décida pas ; il vint chez
moi et il me demanda mon avis. Ma réponse fut que je n'en avais pas adonner.
Il insista. Je lui dis : Comment voulez-vous que je
vous donne un conseil ? Je ne connais ni votre position, ni vos relations.
Il voulut alors affecter un grand mépris pour Buonaparte, une grande
franchise et finit par me dire : Je n'ai point de
droits pour vous demander votre avis comme ami, mais je vous le demande comme
général. Je lui répondis : Si j'étais obligé
de quitter un service parce que le chef m'aurait fait essuyer trop de
mécontentements, rien ne me ferait accepter une gratification de sa part, car
je ne voudrais pas contracter des obligations au moment de la séparation.
— Eh bien, vous me décidez, je ne les prendrai pas. Il est bon que vous sachiez
qu'il était très piqué parce que Bonaparte lui avait donné autant qu'aux
valets qui l'avaient quitté et 10.000 £ à Las Cases : c'est de lui que je
l'ai su et le gouverneur m'a assuré que c'était vrai. Il était alors environ
deux heures. On venait (d'embarquer) tout ce qui
restait à terre. Tout était prêt pour le départ. Quelques moments après, le
gouverneur qui était venu en ville le fit appeler. Il changea alors d'avis,
et ils allèrent ensemble chez Balcombe pour toucher. Balcombe était absent.
Son associé et commis soutint qu'il n'y avait plus de fonds et qu'il ne
pouvait pas paver. Le temps pressait. On avertit Longwood par le télégraphe,
mais point de réponse. Le vaisseau était sous voile ; il fallut s'embarquer,
mais sans argent. Il jeta les hauts cris tint beaucoup de propos et fut bien
mortifié d'avoir fait sa dernière démarche sans avoir rien reçu. Cependant, le lendemain, le
gouverneur reçut un bon de 12.000 francs qu'il endossa et il le fil partir le
même jour par un vaisseau des Indes qui retournait en Angleterre. En lui parlant de l'opinion de Buonaparte sur les différents ouvrages qui ont paru depuis sa chute, il nous a dit : L'Empereur avoue que ceux qui l'ont le mieux peint sont l'Itinéraire de Fontainebleau à l'Ile d'Elbe par le comte de Truchsess, commissaire prussien, et l'Ambassade de Varsovie par l'abbé de Pradt. C'est pourquoi ils sont tentés de lui attribuer le Manuscrit venu de Sainte-Hélène. . . . . . . . . . E.Jamestown, île Sainte-Hélène, 5 mai 1818. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . J'ai appris toute l'histoire de Gourgaud et je crois pouvoir vous en garantir la vérité[25]. Gourgaud, fils d'une
berceuse de Mgr le duc de Berry et neveu de Dugazon qui était très lié avec
le Premier Consul, était entré a l'École Polytechnique où il avait fait de
bonnes études. En en sortant, il fut placé dans un régiment d'artillerie à
cheval et y parut très distingué. Bonaparte devenu empereur, voulut avoir
pour officiers d'ordonnance des officiers distingués dans toutes les armes.
L'amitié que l'on avait alors pour Dugazon fit nommer son neveu qui n'était
que lieutenant. Il fut l'ait capitaine quelque temps après et enfin chef d'escadron.
En 1814, il était à Fontainebleau au départ de Bonaparte et fit mine de le
suivre. Celui-ci qui désirait emmener le plus d'officiers possible, lui donna
le brevet de colonel ; mais, sous prétexte du non consentement de sa mère, il
resta et Mgr le duc de Berry lui lit confirmer son brevet de colonel. Il eut,
dans l'intervalle, une scène très scandaleuse dans laquelle se trouvèrent
impliqués beaucoup d'officiers à demi-solde et qui fit du bruit. (Il me l'a racontée très
ingénument.) Le duc de Berry l'apprit,
lui lava la tête et lui pardonna. Il le fit employer quelque temps après
comme colonel dans la Garde. En sortant du cabinet de Mgr le duc de Berry,
Gourgaud rencontra le maréchal Soult qui lui dit : Mon
cher, il faut bien prendre garde, car il y a des traîtres parmi nous. Le 22 ou le 23 de mars, il
reprit ses fonctions comme premier officier d'ordonnance auprès de Bonaparte,
le suivit à Waterloo et le rejoignit à Paris. Bonaparte ayant abdiqué pour la
seconde fois, se retira à la Malmaison. Gourgaud s'y rendit et sollicita la
permission de le suivre : elle lui fut refusée, en disant qu'il n'était point
dans l'intimité, que Bonaparte, en se retirant, n'emmenant point
d'artillerie, n'avait pas besoin d'officiers de cette arme. — Il vanta alors
son attachement, la manière dont il avait trahi Mgr le duc de Berry, l'argent
qu'il avait distribué aux canonniers pour l'en débaucher (l'on ne croit pas à
Longwood à ce dernier article), et il
insistait sur ce que, si on l'abandonnait, c'était vouloir le faire fusiller.
(Car, à cette
époque, jugeant du Roi d'après leur doux maître, ils croyaient tous que l'on
serait bien plus sévère.) Enfin, pour
s'en défaire, on lui donna le grade de général et le maréchal Davout se prêta
a l'intercaler... Bonaparte parti, il le suivit de manière à arriver à
Rochefort en même temps. Là il y eut encore des contestations, mais il
s'embarqua bon gré mal gré et se trouva ainsi sur le Bellérophon. Arrivé ici, il fut assez
modeste dans le commencement, mais, petit à petit, il eut des prétentions et
il finit par être en faveur, ce qui dura jusqu'à l'arrivée d'un livre imprimé
sous le nom du chirurgien du Northumberland. Le chirurgien raconte
que, pendant la traversée, Gourgaud lui montra un sabre, sur lequel était
gravé : Tel jour, à Brienne, j'ai sauvé la vie à
l'Empereur en tuant un cosaque qui était prêt à le percer.
Buonaparte, très irrité, fit assembler toute sa suite, fit venir Gourgaud,
et, lui montrant le livre, il lui dit : Lisez et
vous serez indigné. Gourgaud lut ou fit semblant de lire et dit : Je ne comprends pas bien. — Eh bien ! M. de Las Cases va vous l'expliquer. Après cette
explication, Buonaparte lui dit : Sans doute vous
allez prendre la plume pour réfuter cet article et requérir l'insertion dans
toutes les gazettes. — Mais, Sire... —
Mais quoi ! Si vous m'aviez sauvé la vie, est-ce que
je ne l'aurais pas vu ? Ne vous en aurais-je pas récompensé ?... Allez me chercher ce sabre. — Il l'apporta, et
Buonaparte lut l'inscription ; très courroucé, il lui dit : Cassez ce sabre ou je le casserai moi-même. — Mais, Sire, ce n'était pas tout près de vous, c'était à
une vingtaine de pas. — Vous êtes un
imposteur, nous n'avons pas vu un seul cosaque et il n'y en avait pas à cette
armée ! Contrit et humilié, il remporta son sabre sans être cassé, car
je l'ai vu embarquer pour l'Europe[26]. Depuis lors, les charmes de
Mme de Montholon ayant attiré la faveur sur son mari, Gourgaud a éprouvé
beaucoup de dégoût ; ne pouvant plus les supporter, il alla trouver Bertrand
et lui annonça l'intention de partir ; Bertrand lui répondit : Vous connaissez l'Empereur ; il est inconstant ; vous
avez été en faveur, maintenant c'est Montholon : attendez, votre tour viendra.
Quelques jours après, il reparla il Bertrand et lui déclara positivement
qu'il voulait partir. On lui dit qu'il en était le maître. En ce cas je m'en irai et je forai un libelle foudroyant.
— Eh bien, ce ne sera qu'un de plus ; vous
n'apprendrez rien de neuf, car vous n'avez jamais su aucun secret. Il
revint encore a la charge quelque temps après ; Bonaparte lui donna les
conseils que j'ai déjà eu l'honneur de vous mander (voyez ma dernière dépêche). Croyant qu'on voulait le retenir, il devint plus
hardi et lit par écrit les propositions suivantes : Je
demande 30.0000 francs et je veux être fait lieutenant général. On les montra à Bonaparte
qui était bien décidé à le laisser partir, car il en était fort las. Il lui
fut répondu par Bertrand, de la part de son maître, qu'il fallait, être
totalement fou pour oser lui demander un grade dans la position où il était,
que, si on venait à le savoir, il serait déshonoré aux yeux de l'Europe. Il
répondit : Je sais bien que l'Empereur n'a pas
d'année, mais je veux avoir mon brevet en poche pour en faire usage quand
l'occasion s'en présentera et je le demande. — Quant aux 10.0000 écus,
Bertrand lui dit : Votre mère a eu, l'année dernière
(le 27
juillet 1817), une pension
de 12.000 francs, et vous demandez encore de l'argent ! — Mais ma mère peut être
en prison ou morte ! — Eh bien ! Si votre
mère est morte, je m'engage a vous la faire payer pendant votre vie très
exactement ; écrivez-moi seulement si elle éprouve des difficultés... C'est-a-dire, cependant, tant que l'Empereur vivra ou que
les fonds qu'il laissera pourront y suffire, car je n'entends pas prendre
l'engagement sur ma fortune. — Mais je n'ai
point d'argent pour partir. — Eh Bien,
voulez-vous une, deux années d'avance ? On va vous les donner. Il
insista toujours sur ses demandes et eut une audience ; il y fut très
maltraité. Bonaparte lui dit : Vous osez me menacer
d'un libelle ? Qu'est-ce que vous apprendrez ?... Vous voulez aller en France, vous y serez fusillé. Je vous
connais, le premier officier mécontent que vous rencontrerez tournera votre
pauvre télé ! Vous êtes un ingrat, vous me trahissez ; vous avez déjà trahi
le Roi qui vous avait placé dans sa garde. Vous serez puni comme vous le
méritez. Allez où vous voudrez, vous êtes né canaille, canaille vous mourrez.
Il quitta Longwood le lendemain. Le gouverneur qui s'était
engoué de lui, lui avait loué une petite maison où il a été très bien
entretenu pendant un mois. On poussait même la recherche jusqu'il lui donner
cinq bouteilles de vin de Constance par semaine. Le gouverneur espérait que,
pendant ce temps-là, il pourrait raccommoder ses affaires, mais on n'a plus
voulu le recevoir à Longwood. Au bout du mois, on l'a fait partir et
Bonaparte lui a donné douze mille francs à toucher à Londres. Faites-vous rapporter,
monsieur le duc, ma dernière dépêche pour lier toute l'histoire que je ne veux
pas recommencer pour ne pas vous ennuyer. Pendant ce mois, je lui ai donné
deux fois à déjeuner, j'ai été une fois chez lui et je l'ai vu deux fois chez
le gouverneur. Je voulais en tirer quelque chose. Le baron de Stürmer qui,
comme j'ai eu l'honneur de vous le mander, était logé tout près de lui s'en
chargea et j'ai eu l'honneur de vous envoyer le résumé de ses principales
réponses. J'ai eu, en outre, l'honneur de vous envoyer, monsieur le duc, le
rapport du lieutenant Jackson dont le gouverneur m'a donné une copie... PIÈCE N° VIII
A EXTRAIT DE : NOTES ET REMISESCENCES OF A STAFF OFFICER RELATING TO WATERLOO AND ST HELENA BY LIEUT. COL BASIL JACKSON[27]. L'animosité de Gourgaud contre Montholon était violente, et il protestait que s'il le rencontrait jamais en Europe, il l'appellerait en duel. Je n'ai jamais pu obtenir d'élucider quelle avait été la cause réelle de cette inimitié, mais j'ai été amené à penser qu'elle venait de jalousie au sujet de la situation prépondérante de Montholon dans la maison de Napoléon et de la faveur dont il jouissait. Pour en finir avec Gourgaud, je dois ajouter que, à son débarquement en Angleterre, après une ou deux entrevues avec le sous-secrétaire d'Etal, il tomba aux mains de quelques radicaux de marque qui lui représentèrent l'insanité de sa conduite en se tournant contre Napoléon : que, comme son serviteur, il était réellement, quelqu'un, tandis qu'il se ruinait seulement lui-même en se montrant son ennemi. H réf. ils travaillèrent si bien le pauvre homme faible, qu'il fut induit a montrer et à rendre éclatant qu'il était toujours l'homme de l'Empereur, ce qu'il fit en adressant une lettre à .Marie-Louise, dans laquelle il s'indignait contre le traitement que subissait Napoléon aux mains du gouvernement et de sir Hudson Lowe ; et, avant publié cette lettre, Gourgaud tomba à zéro dans l'opinion de toutes les personnes qui pensaient droit. La conséquence immédiate fut que le gouvernement le fit arrêter, et le mit dehors du pays, à la charge d'un constable de police, en vertu de l'Alien-Act alors en vigueur. Il fut débarqué à Hambourg où il tomba dans des difficultés pécuniaires. . . . . . . . . . . . . . . . Eventuellement, il retourna en France où, selon sa propre impression, il devint un homme d'importance, épousa de l'argent ou, comme il l'exprimait, fit un mariage de convenance, mena un tilburie anglaise (sic) et monta au sommet de la société élégante de Paris ; mais, ce qui me surprit le plus, fut d'apprendre des Montholon qu'il était devenu un homme raisonnable ; bien plus, mon étonnement fut au comble lorsque j'appris qu'ils étaient a présent en termes de visite avec leur archi-ennemi de Sainte-Hélène. |
[1] London, 1813. T. II, p. 46 (traduction).
[2] On sait que Gourgaud avait finalement accepté la somme de 12.000 francs offerte par l'Empereur ; que ce fut par suite d'un concours de malentendus qu'il ne put la toucher à Sainte-Hélène et qu'il la toucha à Londres où l'Empereur avait aussitôt envoyé l'ordre qu'on la lui payât. Voir à ce sujet, pièce V, annexe 2.
[3] Paris. S. d. II, p. 399. Forsyth résume les minutes du major Gorrequer, les dépêches d'Hudson Lowe, et les rapports de Baxter. N'ayant point en mains les matériaux dont il s'est servi je me crois obligé de donner ici la plus grande partie de son texte.
[4] Voir cette lettre, pièce V, avec la lettre de Gourgaud au gouverneur et celle de Napoléon à Gourgaud, où le prétexte de santé est donné pour motiver le départ du général. Comme il est admis que ce prétexte, adopté d'abord par Gourgaud et accepté par l'Empereur, n'a été, selon aucune des deux versions, le motif véritable, il parait inutile d'insister sur la discussion de textes que Forsyth institue à ce sujet.
[5] Il résulte du Journal que l'Empereur a formellement fait réclamer au général Gourgaud, par le grand maréchal, les notes sur Waterloo (II, 468) ; qu'il avait antérieurement, le 4 septembre 1817, exigé que Gourgaud lui remit la copie au net du même manuscrit. Gourgaud n'en avait pas moins gardé le brouillon qu'il publia à Londres, chez Ridgway, sous le litre : La Campagne de 1815 ou relation des opérations militaires qui ont eu lieu en France et en Belgique pendant les Cent-Jours. Cet ouvrage parut la même année en France, chez Mongie aîné (format in-8°) et chez Plancher (format in-12). On trouve dans les Souvenirs de Lord Holland (p. 175) cette lettre d'O'Meara à Lord Holland, en date de Lyon's Inn, 17 janvier 1823. Lorsque Gourgaud était sur le point de quitter Sainte Hélène on lui demanda de rendre tout ce qu'il avait d'écrit sous la dictée de l'Empereur et de donner sa parole d'honneur que rien de ce qui avait été ainsi écrit n'était resté entre ses mains. Il remit quelques papiers et donna sa parole qu'il avait tout rendu : mais, environ trois semaines après son départ, on découvrit qu'il avait furtivement emporté quelques brouillons de la dictée de l'Empereur, avec lesquels il a composé le récit de la bataille de Waterloo qu'il a publié peu de temps après son arrivée en Angleterre.
Cette assertion d'O'Meara se trouve continuée parla lettre suivante de William Holmes à Green Mühlens — Holmes est l'intermédiaire à peu près unique choisi par O'Meara pour recevoir et transmettre aux éditeurs les manuscrits envoyés de Sainte-Hélène —. Cette lettre est en date de Londres, le 21 octobre 1818. Le général Gourgaud n'a point été autorisé de publier la bataille de Waterloo : il est vrai, il a apporté quelques fragments de Sainte-Hélène que l'Empereur lui avait dictés, dont il a formé un ouvrage, mais il n'a pas bien agi, car c'est moi qui possède l'ouvrage comme l'Empereur veut le publier, qui est en entier dicté par lui-même ; à présent je ne peux le donner au public parce qu'il diffère en plusieurs points de celui de Gourgaud. Conseillez-moi quoi faire ? (SCHLITTER, Kaiser Franz und die Napoleoniden, p. 501.)
En 1820 parut à Paris, chez Danois l'aîné, sous le titre : Mémoires pour servir à l'Histoire de France en 1815, le manuscrit réel de Napoléon qui avait été transmis à Barrois par O'Meara. Le volume, in-8°, de 330 pages, fut saisi à la requête du ministère public et rendu à la circulation par arrêt de la Cour d'assises du 21 mars 1850, bien que rien n'y fasse allusion à la publication, du général Gourgaud, c'est, en fait, le désaveu et la réfutation du livre de celui-ci.
[6] FORSYTH, IV, 366 (pièce 118). Je reproduis ici in extenso ce document dont des extraits importants ont été donnés dans la pièce II, alors que la substance en avait clé exactement rendue dans la pièce I. Le même document se trouve cité par Balmain (pièce V avec adjonction), par Stürmer (pièce VI avec adjonction) et par Montchenu (pièce VII).
[7] Stürmer dit : Avant de lui (Hudson Lowe) laisser prendre copie de mon rapport, j'avais substitué à cette question : Qui de vous a rédigé les observations sur le discours de lord Bathurst ? celle-ci : Qui de vous a rédigé la fameuse note de M. de Montholon ? (Die Berichte des Freihern von Stürmer, p. 128.) Voir ci-dessous PIÈCE n° VI.
[8] Cette dernière question et la réponse sont rayées sur le copie-lettres du comte Balmain. (V. ci-dessous Pièce n° V.)
[9] Publiées Russkie Archiv., Année 1869, p. 653 et s. Collationnées sur le copie-lettres du comte Balmain. Les pièces annexes sont inédites.
[10] Bien que ces pièces n'aient point été publiées dans le Russkie Archiv., je les laisse jointes à la dépêche dont elles sont l'annexe. Elles sont prises sur le copie-lettres du comte Balmain.
Elles ont été publiées déjà par Forsyth (tome IV, n° 114, 115, 116 et 117), mais sans les annotations de Gourgaud et sans qu'il soit dit qu'elles aient été communiquées par Gourgaud.
[11] Voir plus haut, Pièce IV (B), la dépêche de Stürmer telle que la rapporte Forsyth. Balmain ajoute seulement cette note à l'article de l'évasion. Il a fait à d'autres personnes la même confidence et leur a dit, en outre, que Bonaparte pouvait s'échapper dans un panier de linge sale, dans un tonneau de bière, une caisse de sucre, que ce moyen avait été proposé et mis en délibération à Longwood. Il a répété ces sottises à tous les coins des rues, en assurant toujours qu'il ne trahirait pas l'Empereur, mais il n'a rien su dire de plus et on s'est moqué de lui.
Balmain ajoute les deux paragraphes ci-contre qui ne paraissent pas empruntés à Stürmer.
[12] Note du comte Balmain : Bonaparte lui avait donné tous les doubles de sa bibliothèque, mais lorsqu'il le vit décidé à partir, il les lui redemanda en disant que ces livres appartenaient de droit au petit Napoléon.
[13] Extraits de : Die Berichte des Kais. Kön. Commissärs Barthotomæus Freiherrn von Stürmer aus St Helena, herausgegeben von Dr HANNS SCHLITLER, Vienne, 1880, p. 121 et s.
[14] Le baron de Stürmer ajoute en fin de sa relation : Le général Gourgaud m'a dit que Bonaparte lui avait fait offrir de l'argent au moment du départ de Longwood et qu'il ne l'avait pas accepté. Je ne veux rien devoir à l'Empereur, me dit-il, ce serait me lier volontairement. Je veux être maître de mes actions et de mes discours. Il m'est revenu d'autre part que le général Gourgaud a en effet refusé les 500 £ qu'on lui avait offertes.
[15] Voir Pièce V, E. annexe 1.
[16] Voir Pièce V, E, annexe 2.
[17] Pièces IV, B.
[18] Les parties de ces dépêches qui ont été publiées par M. Georges Firmin-Didot en 1891, sont placées entre crochets. Elles ont toutefois été collationnées sur les originaux du ministère des Affaires étrangères, rectifiées et corrigées.
[19] (Inédit).
[20] Comme annexes à sa lettre du 18 février, Montchenu reproduit les lettres de Gourgaud à Montholon (4 fév.), Montholon à Courtaud (même date), Gourgaud à Montholon (même date)* Il ajoute : A cela le plat Montholon n'a rien répondu : puis, il simule une ligne de mots barrés : Ce qui est effacé, écrit-il, c'est une déclaration de coups de fouet sur la figure en cas de refus. Cette déclaration a été répétée plusieurs fois publiquement. En marge, Montchenu écrit : Bonaparte dit : Vous voyez bien qu'il est fou ; il faut le faire arrêter.
Viennent ensuite les lettres de Gourgaud à Hudson Lowe du 8 février, de Gourgaud a l'Empereur du 12 février*. En face des mots : Mal au foie, Montchenu annote dont il n'a pas dit un mot. Puis il ajoute : Après cette réponse, Gourgaud va disant partout que M. de Montholon craint plus les coups d'épée que les coups de cravache.
* V. ci-dessus Pièce V, H, annexes.
[21] Cf. Journal, I, 315. II, 67,
130.
[22] Firmin-Didot, 134.
[23] Aff. Étr. Inédit sauf le passage entre crochets.
[24] La partie entre crochets seule publiée par M. G. Firmin-Didot.
[25] L'on pouvait penser que cette dépêche avait été publiée par M. G. Firmin-Didot (loc. cit., 146). Mais à chaque phrase il y a mauvaise copie, omission, adjonction ou changement de mots, de membres de phrase, parfois de phrases entières !
F. M.
[26] Parmi les témoignages de sa bravoure il aimait surtout à nous montrer une épée, sur la lame de laquelle étaient gravées ses prouesses, dans une inscription qui attestait que c'était avec cette arme fidèle et glorieuse qu'il avait, en Russie, sauvé les jours de Napoléon, sur la tête duquel était déjà levé le bras énorme d'un cosaque.
WARDEN, Ed. Cabanes, 157.
Gourgaud répond : Comment M. Warden a-t-il pu lire sur la lame de ce sabre que c'était avec lui que j'avais sauvé la vie de l'Empereur en 1812, tandis que l'inscription porte que c'est le 29 janvier 1814, à Brienne, que j'ai arrêté d'un coup de pistolet un cavalier qui se précipitait sur l'Empereur ?
Journal, Annexes, II, 520.
Donc, le sabre porte réellement l'inscription. Au surplus, Gourgaud a fait inscrire la même mention dans ses états de services.
[27] Londres, 1903, in-8°, p. 148 et s. Le récit donné par Jackson dans ses Notes and Réminiscences, ajoute pou de choses à la lettre qu'il avait ci-devant écrite à Henry sous le coup des événements ri il ne parait utile de conserver que la conclusion.