AUTOUR DE SAINTE-HÉLÈNE

PREMIÈRE SÉRIE

 

LE CAS DU GÉNÉRAL GOURGAUD.

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

 

 

GROUPE I. — LES PUBLICATIONS DE SIR WALTER SCOTT.

 

PIÈCE N° I

EXTRAITS DE LA VIE DE NAPOLÉON BUONAPARTE EMPEREUR DES FRANÇAIS, PAR SIR WALTER SCOTT[1].

 

Comme il (le général Gourgaud) était auprès de l'Empereur au moment de sa chute, il crut qu'il était de son devoir de l'accompagner à Sainte-Hélène. Lorsqu'il fut dans l'île, il prit moins de part aux plaintes et aux querelles de Napoléon avec le gouverneur que les généraux Bertrand, Montholon et le comte Las Cases ; il évita toute apparence d'intrigue avec les habitants et fut regardé, par sir Hudson Lowe, comme un brave et loyal soldat qui avait suivi son empereur dans l'adversité, sans intervenir dans toutes les discussions que le gouvernement considérait comme préjudiciables à sa propre autorité. C'est ainsi que sir Hudson Lowe en parle constamment dans ses dépêches au gouvernement.

Cet officier avait laissé en France une mère et une sœur auxquelles il était vivement attaché et qui l'aimaient avec la plus vive tendresse. Par amitié pour elles et par suite du désir qu'il avait de les revoir, le général Gourgaud souhaita de revenir dans sa patrie. La mésintelligence qui régnait entre lui et le comte Bertrand (?) donnèrent (sic) plus de force encore à la résolution. Il demanda au gouverneur et obtint la permission d'aller directement, à Londres. Avant de quitter Sainte-Hélène, il parla à sir Hudson Lowe et au baron Stürmer, le commissaire autrichien, des secrètes espérances et des plans que l'on formait à Longwood. Lorsqu'il arriva en Angleterre, au printemps de 1818, il ne fut pas moins sincère envers le gouvernement et l'informa des divers projets de fuite qui avaient été proposes à Napoléon, des facilités et des difficultés qu'offraient ces plans et les raisons qui lui faisaient préférer de rester dans l'ile plutôt que de tenter de s'évader. A cette époque, on supposa que le général Gourgaud désirait rentrer en grâce auprès du roi de France ; peu importe ; quelles qu'aient été ses intentions particulières, les minutes de l'information qu'il avait donnée à sir Hudson Lowe, au baron Stürmer et ensuite, à Londres, au sous-secrétaire d'État de la Guerre, sont conservées aux Archives. Ces informations sont conformes entre elles et leur authenticité ne saurait être mise en question. Tous les détails y sont indiqués avec le plus grand soin, mais la plus grande réserve est observée à l'égard des noms, afin que personne ne pût être inquiété pour aucune des choses qui y sont relatées ; en général, ces minutes, ainsi qu'on pouvait s'y attendre, oui un air de simplicité et de véracité. Nous aurons souvent occasion d'en référer à ces documents, afin que le lecteur puisse mettre les projets réels de Napoléon en opposition avec le langage dont il se servait pour les exécuter. Nous n'avons copié de ces minutes que ce qui concernait Napoléon. Nous apprenons que le général Gourgaud, en revenant sur le continent, a repris toute su tendresse pour la mémoire de l'Empereur, ce qui peut lui faire regretter d'avoir communiqué les secrets de sa prison à des oreilles moins amies. Mais ce changement rie sentiments ne peut diminuer en rien la vérité de son témoignage, ni détruire le droit que nous avons de mettre au jour les communications qu'il a faites.

Avant ainsi indiqué la source dans laquelle nous puisons, nous revenons aux querelles de Napoléon avec sir Hudson Lowe.

Ce ne fut pas, selon le général Gourgaud, faute de moyens de s'échapper que Napoléon resta à Sainte-Hélène. Une fois, on avait formé le projet de remmener dans une malle de linge sale. On avait supposé les sentinelles anglaises tellement stupides qu'une autre fois on proposa de le l'aire sortir hors du camp, déguisé en domestique portant un plat. Lorsque le baron Stürmer représenta l'impossibilité que des projets aussi extravagants eussent été même préparés, Gourgaud répondit qu'il n'y avait pas d'impossibilité pour ceux qui avaient des millions à leur disposition. Oui, je le répète, continua-t-il, il peut s'évader seul et aller en Amérique quand il le voudra. — Eh ! pourquoi reste-t-il ici ? répliqua le baron Stürmer. Gourgaud répondit que tous ceux qui l'entouraient le pressaient de s'échapper, mais qu'il préférait rester dans l'ile. Il trouvait un secret orgueil à l'importance qu'on mettait à le garder et à l'intérêt que son sort inspirait généralement. Il disait très souvent : Je ne puis plus vivre en particulier ; j'aimerais mieux être prisonnier ici que libre aux États-Unis.

Le général Gourgaud dit cependant que l'événement sur lequel Napoléon comptait le plus pour recouvrer la liberté, était un changement de politique à la cour d'Angleterre, lequel porterait au ministère le parti qui formait alors l'opposition et qu'il supposait, trop témérairement sans doute, devoir lui rendre la liberté. Les ministres anglais reçurent du général Gourgaud les mêmes assurances ; elles sont exprimées ainsi dans l'original :

Au sujet de la fuite du général Buonaparte, M. Gourgaud a certifié que, bien que Longwood, par sa situation, fût en étal d'être parfaitement protégé par les sentinelles, cependant il était assuré qu'il n'y aurait aucune difficulté à éluder en tout temps la vigilance de celles qui étaient placées autour de la maison et de l'enclos ; et enfin qu'il ne lui paraissait nullement impossible de s'évader de l'Ile. Il a avoué que ce projet avait été discuté à Longwood parmi les gens de Napoléon qui désiraient donner là-dessus chacun leur plan ; mais il a observé qu'il croyait que le général Buonaparte était tellement persuadé qu'il pourrait bientôt quitter Sainte-Hélène, soit qu'il y eût un changement de ministère, soit que les Anglais s'ennuyassent de supporter la dépense que sa captivité leur occasionnait, qu'il ne voulait pas courir les chances auxquelles une tentative de fuite l'exposerait. Il parait aussi, par l'aveu même du général Gourgaud et par plusieurs circonstances qu'il nous a fait connaître, que Bonaparte avait toujours considéré l'époque du départ des armées alliées du territoire français comme devant être la plus favorable à son retour et qu'il fit valoir, auprès du général Gourgaud, les conséquences d'un loi événement pour l'engager à ne quitter Sainte-Hélène qu'après cette époque.

Les communications du général Gourgaud portent de plus, ce que d'ailleurs d'autres circonstances indiquent suffisamment, que, comme Napoléon espérait obtenir sa liberté de l'opinion publique en Angleterre, il était jaloux que sa condition ne fût pas oubliée et encore plus que l'attention fût soigneusement éveillée là-dessus par une série de publications se succédant l'une à autre, et modifiées suivant le caractère et le talent des divers auteurs, mais portant toutes le même cachet qui indiquait qu'elles avaient été rédigées, en tout ou en partie, dans l'intérieur de Longwood. En conséquence, les divers ouvrages de Warden, O'Meara, Santini, la lettre de Montholon et quelques autres pamphlets furent publiés, l'un après l'autre, pour fixer les esprits sur ce sujet, et, bien que ces ouvrages parussent être faits par des mains différentes, ils visaient tous au même but et semblaient autant de flèches tirées d'un même carquois. Gourgaud a mentionné cette espèce de feu de file et son but ; même le Manuscrit de Sainte-Hélène, recueil dans lequel les dates et les faits sont intervertis et confondus, fut l'ouvrage de Buonaparte, selon le général Gourgaud, et composé pour embarrasser et mystifier le public anglais. Il dit à sir Hudson Lowe qu'il ne devait pas considérer ces pamphlets comme dirigés contre lui personnellement, mais bien comme dictés par des calculs politiques et dans le but d'obtenir quelque relâchement de vigilance en réitérant les plaintes. Suivant la même autorité, la fameuse lettre de Montholon fut écrite en grande partie par Napoléon : il en fut de même de l'écrit de Santini, quoique si grossièrement déguisé qu'il le désavoua ensuite. D'autres écrits, dit-il, devaient paraître sous les noms de capitaines, de marchands, car Napoléon était possédé d'une manie d'écrire qui ne lui laissait pas de relâche.

Les communications[2] que donna le général Gourgaud à sir Hudson Lowe, lorsqu'il le quitta, tirent connaître à celui-ci les curieux détails de ce fait que la vente de l'argenterie ne fui qu'une comédie à laquelle on avait eu recours pour produire en Angleterre et en Europe une très forte impression ; car, à cette époque, l'argent ne manquait pas à Longwood. Sir Hudson Lowe croyait que le général Gourgaud faisait allusion aux fonds appartenant à Las Cases et que ce partisan dévoué avait mis à la disposition de Napoléon, mais le général Gourgaud répondit : Non ! Non ! Avant cela ils avaient reçu 210.000 francs, presque tout en doublons d'Espagne. Il dit de plus que c'était le prince Eugène qui avait donné de l'argent aux banquiers. A Londres, le général lit les mêmes communications. Nous copions ici les termes dans lesquels ces communications furent faites à Lord Bathurst.

Le général Gourgaud a dit : Je m'étais aperçu que le général Bonaparte avait reçu une somme considérable en doublons d'Espagne, c'est-à-dire dix mille louis, au moment même où il disposait de sa vaisselle ; lui avant demandé avec instance quelles étaient les personnes qui avaient pris part à cette transaction. Napoléon se contenta de m'assurer que le mode de transmission avait été purement accidentel et que, tel étant le cas, il croyait que je ne chercherais point a faire une découverte qui trahirait ceux qui l'avaient obligé, sans autre effet que de les faire punir, ou d'empêcher qu'une telle chose arrivât à l'avenir. Cette possession d'argent ne lui était pas nécessaire pour ajouter aucun moyen de corrompre la fidélité de ceux qu'il jugerait profitable de séduire : car on savait, à n'en pouvoir douter, que toutes, les lettres de change, n'importe de quelle valeur qu'elles fussent, que Napoléon tirerait sur le prince Eugène ou sur toute autre personne de sa famille, seraient scrupuleusement acquittées. Le général Gourgaud a dit, de plus, que Napoléon avait eu la politique de se créer un moyen pour l'exécution de ses plans, en plaçant des sommes d'argent à la disposition de lui, Gourgaud, et qu'il avait eu à supporter la, mauvaise humeur de Napoléon et les importunités de Bertrand parce qu'il avait refusé de se prêter à faciliter une correspondance secrète...

Il est à remarquer[3] que cette communication avec les habitants et ceux qui visitaient Sainte-Hélène n'offrait pas un danger imaginaire... Les révélations du général Gourgaud sont sur ce point très décisives. Le général avoua volontiers qu'il avait toujours existé une communication non interrompue entre les habitants de Longwood et toux de l'ile, sans l'intervention du gouverneur et même à son insu : qu'on s'était servi de ce moyen pour recevoir et transmettre des lettres, mais aussi pour les imprimés, de l'argent et divers objets dont les habitants de Longwood pouvaient avoir besoin, et que la correspondance avait lieu en grande partie directement avec la Grande-Bretagne : que les personnes i]ni s'v employaient étaient les Anglais qui visitaient de temps en temps Sainte-Hélène, auprès desquels les personnes de la suite de Bonaparte et ses domestiques avaient un libre accès et qui, généralement parlant, se montraient disposés, les uns par pure obligeance, les autres pour de très légères sommes, à porter en Europe les lettres ou les paquets qu'on leur confiait. Il paraîtrait aussi que les capitaines et ceux qui étaient à bord des vaisseaux marchands qui touchaient à l'Ile, soit que ces vaisseaux appartinssent ou non à la Compagnie des Indes, étaient considérés a Longwood comme particulièrement accessibles à la séduction des talents de Buonaparte, de façon que les habitants de Longwood ont envisagé comme une affaire de peu de difficulté d'obtenir un passage sur un de ces bâtiments pour le général Buonaparte lorsqu'il voudrait sortir de l'Ile.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Gourgaud[4] a avoué qu'il n'avait aucune foi à la maladie. Il dit que Napoléon, était tellement abattu qu'il parlait de se détruire, lui et ses fidèles serviteurs, en les réunissant dans un petit appartement où brûlerait du charbon de bois, genre de mort assez doux et que le chimiste Bertholet avait, je crois, recommandé. Néanmoins, le général Gourgaud prétendit qu'on en imposait aux Anglais sur l'état du général Bonaparte, parce que sa santé n'était pas réellement altérée et que les représentations à ce sujet ne méritaient que peu ou point de croyance. Le Dr O'Meara était certainement la dupe de l'influence que le général Buonaparte exerce toujours sur ceux avec lesquels il a de fréquentes communications, et, quoique le général Gourgaud ait eu lieu de se louer de M. O'Meara, sa connaissance intime du général Buonaparte le mettait à même d'affirmer que son étal de santé n'était nullement pire qu'il ne l'avait été pendant quelque temps avant son arrivée à Sainte-Hélène.

 

PIÈCE N° II

PIÈCES PUBLIÉES EN 1827 PAR SIR WALTER SCOTT[5].

On a vu qu'à la suite de la publication faite par sir Walter Scott de la Vie de Napoléon Buonaparte, le général Gourgaud protesta contre les passages le concernant, qu'on 'vient de lire, par une lettre en date du 23 août 1827. Je défie qui que ce soit, écrivait-il, de présenter un écrit, une simple note, une seule ligne de moi qui ne se trouve empreinte des sentiments de fidélité, de dévouement que je dois au grand homme qui daigna m'honorer de son estime et de sa familiarité, et me continuer ses bienfaits au delà du tombeau.

Sir Walter Scott n'avait point connaissance du Journal de Gourgaud, dont la publication eût été la plus opportune des répliques ; il n'avait en mains que les témoignages officiels rapportant ses déclarations orales. J'avoue, écrivit-il, qu'il ne me vint pas à la pensée que ce qui était affirmé avoir fait le sujet d'assertions et d'attestations positives, dût être mis en doute parce que cela n'était appuyé que par une communication verbale, faite devant des témoins responsables, et que la signature de la personne ne se trouvait pas au bas. J'ai été accoutumé à considérer la parole d'un homme d'honneur comme aussi digne de foi que sa signature.

Décida à mettre les preuves sous les yeux du publie, afin qu'on vit jusqu'à quel point elles justifiaient ce qu'il avait écrit dans l'Histoire de Napoléon, sir Walter Scott publia : 1° une suite d'extraits et de notes de passages que, disait-il, je ne juge pas nécessaire de transcrire tout au long, parée que je les ai trouvés épars dans une correspondance très étendue et parce que les faits qu'ils contiennent, en tant que j'ai cherché à m'appuyer sur eux, sont plus amplement détaillés dans la pièce n° 2 : lettre écrite par M. Goulburn, sous-secrétaire des Colonies, au ministre lord Bathurst.

Bien que les Notes extraites par sir Hudson Lowe doivent se trouver la plupart publiées in extenso avec les documents d'où elles furent prises, il m'a paru essentiel de les donner ici, telles que sir Walter Scott les imprima en 1827, ne serait-ce que pour montrer qu'il n'a rien imaginé, que, lorsqu'il s'est perdu dans le dédale d'affaires qui paraissaient fort compliquées, telles que la pension faite à Gourgaud, ce fut de bonne foi et sans dessein de nuire, et que, le plus souvent, il a suivi scrupuleusement l'esprit des textes, en laissant de côté toutefois, comme il l'a dit, tout objet d'une nature plus inférieure, le général Gourgaud ayant, dans ses communications avec nos ministres et d'autres, fait allusion à des affaires d'une nature plus secrète, et personnelles soit à lui, soit à d'autres individus qui résidaient à Sainte-Hélène. Je n'ai fait d'exception que pour le rapport du baron Stürmer dont l'analyse par Walter Scott équivaut presque à une copie et dont on trouvera le texte complet à la Pièce IV (H) et pour le rapport de Balmain dont on trouvera le texte complet à la pièce V, (E).

F. M.

 

A

NOTES RELATIVES AUX COMMUNICATIONS DU GÉNÉRAL GOURGAUD À SIR HUDSON LOWE ET AUX COMMISSAIRES DES PUISSANCES ALLIÉES RÉSIDANT À SAINTE-HÉLÈNE.

Gourgaud, officier très instruit, ayant été nomme aide de camp du duc de Berry, fut néanmoins un des premiers à l'abandonner dans les Cent Jours. Il accompagna Bonaparte à Sainte-Hélène, parce qu'il se trouvait attaché directement a sa personne lors de sa chute. Il a pris moins de part dans les querelles avec le gouverneur que Bertrand et Montholon, etc., et n'est nullement entré dans les débats que ces deux officiers eurent l'un avec l'autre. Il avait reçu plusieurs lettres touchantes de sa mère et de ses sieurs auxquelles il était très attaché. Sa conduite a paru a sir Hudson Lowe celle d'un brave officier qui suit son chef dans l'adversité. En conséquence, sir Hudson Lowe le fait passer directement en Angleterre.

Gourgaud, en prenant congé de sir Hudson Lowe. lui donna sa parole d'honneur qu'il n'était jamais entré dans aucune intrigue politique, dit qu'il ne voulait accuser personne, mais qu'il devait tous les tracas et les mortifications qu'il avait éprouvés à son refus de prendre part à des choses qu'on lui avait proposées ; que la vérité serait connue un jour et qu'alors sir Hudson Lowe apprendrait qu'il avait quitté Longwood plutôt que de participer à aucune affaire politique.

Bertrand avait donné à Gourgaud une traite de 500 £ sur M. Balcombe, que celui-ci ne voulut pas payer. Celle circonstance était ignorée de Bertrand, qui, lorsque le général Gourgaud demanda de l'argent, déclara, dans une conversation avec un officier anglais, que l'Empereur avait donné à la mère de Gourgaud une pension de 12.000 francs, Gourgaud pensait que cette allégation avait pour objet de lui porter préjudice auprès des Bourbons. Il déclara qu'on avait tenté de l'aire de lui l'exécuteur de quelques ordres. Il convenait qu'il avait une fois reçu un hou de 12 000 francs, mais à la condition de placer cet argent au compte de Bonaparte et que son refus de le faire lui occasionna beaucoup de mauvais traitements de la part de Napoléon et toutes sortes de persécutions de celle de Bertrand. On finit par lui déclarer qu'à moins qu'il ne se prélat à la chose, on ne lui permettrait pas de rester à Sainte-Hélène. Finalement, il envoya celle lettre par le 53e régiment (Il y en a beaucoup plus long sur cette querelle.)

Gourgaud parla de la vente de la vaisselle comme d'une supercherie, parce qu'on avait de l'argent en abondance. Sir Hudson Lowe, avant l'ait observer que ce pouvait être relui qui avait été fourni par Las Cases, Gourgaud répondit : Oh ! non ! Avant cela, ils ont eu 240.000 francs en or, une grande partie en quadruples d'Espagne. Il dit en outre que c'était le prince Eugène qui avait l'ait remettre cette somme entre les mains de MM. Andrew, Street et Parker. Il parla ensuite des pamphlets que Ion faisait circuler et du dessein de s'en faire un moyen en France et en Angleterre, chose à laquelle il avait été invité à prêter les mains.

Il rapporta que Bonaparte avait dit à Talleyrand que le comte Bertrand était l'homme le plus faux et le plus dissimulé de la France.

Dans une certaine occasion, Bonaparte avait dit que Las Cases avait plus de talent que Talleyrand : une autre fois que c'était plutôt un homme médiocre.

Courtaud communiqua également au baron Stürmer la circonstance des 240.000 francs.

Napoléon fit part au général Gourgaud de l'idée de se détruire et Bertrand appuya la chose. Le plan était de se renfermer tous avec du charbon allumé, genre de mort doux et qui avait été recommandé par Bertholet le chimiste.

Gourgaud a dit que le général Wilson devait être l'éditeur du pamphlet de Santini.

Piontkowski était soupçonné par Gourgaud d'être espion de Fouché.

Le livre de M. Ellis sur Sainte-Hélène frustra considérablement l'espérance de Napoléon qui attendait beaucoup de sa conversation avec Lord Amherst. Gourgaud ajouta que plusieurs pamphlets devaient paraître ; que sir Hudson Lowe ne devait pas considérer les injures dirigées contre lui comme lancées avec l'intention de l'outrager personnellement, mais par politique ; que Napoléon comptait obtenir quelque chose à force de plaintes.

Les ouvrages que Napoléon pensait lui avoir fait le plus de mal étaient l'Itinéraire de Paris à l'île d'Elbe par Truchsess et l'Ambassade à Varsovie par de Pradt.

Mélange qu'offrait son caractère. Quelquefois il parlait comme une divinité, quelquefois dans un style très inférieur.

Ces assertions sont transmises à lord Bathurst par sir Hudson Loue qui semble avoir conçu une opinion très favorable de la franchise de caractère du général Gourgaud. Elles parurent réclamer un redoublement, de vigilance et de la les règlements du 9 octobre 1816[6].

 

Rapport adressé à S. A. le prince Metternich par le baron Stürmer le 14 mai 1818[7].

 

Rapport du comte Balmain au major Gorrequer, le 20 mars 1818[8].

Gourgaud a dit à Balmain qu'il avait envoyé un cartel à Czernitcheff quand les Alliés étaient à Paris en 1811 et aussi qu'il avait provoqué Montholon à Sainte-Hélène parce que celui-ci siégeait plus près que lui de Napoléon. On exprime une très médiocre opinion de la véracité de Gourgaud ; mais on convient qu'il avait des talents comme officier d'artillerie.

Bertrand a fait à des officiers anglais des rapports contre Gourgaud, disant qu'il insistait pour avoir autant de bougies que lui, qui avait une femme et des enfants avec lui, et que Gourgaud ne rendait aucune portion des provisions qui lui étaient allouées.

 

Mention d'une conversation entre Gourgaud et Napoléon, appuyée, je suppose, quoique ce ne soit pas explicitement rapporte, sur l'autorité de Gourgaud.

On prétend que, dans une dispute avec Gourgaud, Napoléon lui dit : Après tout, vous seriez content de rentrer à mon service, si je débarquais de nouveau en France ?Non, répondit Gourgaud, si la France était affligée d'un malheur tel que votre retour, on nie trouverait dans les rangs opposas, combattant jusqu'au dernier soupir pour empêcher le rétablissement de votre pouvoir. Ceci est mentionné d'une manière incidente après que le général Gourgaud eut quitté l'Angleterre.

 

B

LETTRE DE M. GOULBURN, SOUS-SECRÉTAIRE D'ÉTAT DU DÉPARTEMENT DES COLONIES AU COMTE BATHURST, PRINCIPAL SECRÉTAIRE DE CE DÉPARTEMENT.

Downing Street, le 10 mai 1818.

Milord, conformément A vos ordres, j'ai eu plusieurs conférences avec le général Gourgaud, dans le but de nous assurer s'il était disposé à fournir quelques nouveaux détails sur les divers points mentionnés dans les dépêches les plus récentes de sir Hudson Lowe.

Les renseignements que j'ai revus de lui, d'une manière extrêmement détaillée, présentent en substance ce qui suit : Le général Gourgaud n'a l'ait aucune difficulté de nous avouer qu'il a toujours existé une communication libre et facile entre les habitants de Longwood et ce pays, et qu'on en a l'ait usage, non seulement pour receveur et transmettre les lettres, mais encore pour se procurer des pamphlets, de l'argent et d'autres objets dont on pouvait, de temps en temps, avoir besoin à Longwood ; que la correspondance a eu lieu, pour la plus grande partie, directement avec la Grande-Bretagne, et que les personnes employées à l'entretenir sont ces Anglais qui, de temps en temps, visitent Sainte-Hélène, auprès de tous lesquels les personnes de la suite ou les domestiques de Bonaparte ont un libre accès et qui, généralement parlant, sont disposés, beaucoup d'entre eux sans exiger aucune rémunération et d'autres pour une très petite récompense pécuniaire, à faire passer en Europe toute lettre ou paquet confié à leur charge. Il paraîtrait aussi que les capitaines et autres individus à boni des vaisseaux marchands qui touchent à l'ile, qu'ils appartiennent à la Compagnie des Indes orientales ou à d'autres personnes, sont considérés à Longwood comme étant particulièrement accessibles à la séduction qu'exercent les talents du général Bonaparte et à tel point en effet que les habitants de Longwood ont regardé comme un chose très peu difficile de procurer le passage a bord d'un de ces vaisseaux au général Bonaparte, si, à une époque quelconque, il avait en vue de s'évader.

Le général Gourgaud a déclaré avoir eu personnellement connaissance que le général Bonaparte avait reçu une somme considérable en argent d'Espagne (10 000 £) dans le temps même où il vendit sa vaisselle, mais, étant pressé par moi concernant les personnes qui avaient pris part a cette affaire, il se contenta de m'assurer que le mode de transmission de l'argent avait été purement accidentel ; et que, la chose étant ainsi, il espérait que je n'insisterais pas sur une révélation qui ne pourrait avoir aucun effet, ni pour ce qui regardait la punition îles personnes impliquées dans l'affaire, ni pour empêcher que pareille chose n'arrivât à l'avenir. D'un autre côté, dans la manière d'envisager ce sujet, la possession effective de furies soin mes d'argent ne pouvait ajouter aux moyens de corrompre la fidélité de ceux qu'on serait tenté de séduire, puisqu'il était bien connu que toute lettre de change, quel qu'en fût le montant, tirée par le général Bonaparte sur le prince Eugène ou certains autres membres de la famille serait scrupuleusement acquittée.

Il m'assura toutefois, en réponse à mes questions, que ni M. Balcombe, ni M. O'Meara n'eurent la moindre pari à l'affaire mentionnée plus haut, et que le premier, quoique s'étant trouvé depuis peu très mécontent, n'avait jamais, dans aucune affaire d'argent, trahi la confiance qu'on avait mise en lui. Il refusa au reste très positivement de me donner la même assurance relativement à la part qu'auraient pu prendre l'un et l'autre aux actes tendant à favoriser une correspondance clandestine.

Sur le sujet de l'évasion du général Bonaparte, il me dit en confidence que, bien que Longwood fût. par sa situation, dans le cas d'être bien gardé par des sentinelles, il était certain qu'on n'éprouverait, en aucun temps, de difficulté à éluder In vigilance des factionnaires placés autour de la maison et de ses dépendances et, en un mot, qu'une évasion de l'ile ne lui paraissait nullement impraticable. Il avoua que ce sujet avait été discuté à Longwood et que les personnes de l'établissement avaient été invitées à présenter séparément leur plan pour l'exécution de lu chose ; mais il exprima lu croyance que le général Bonaparte était si fortement pénétré de l'idée qu'il lui serait permis de quitter Sainte-Hélène, soit par suite d'un changement de ministère en Angleterre, soit parce que les Anglais ne voudraient pas supporter les frais de sa détention, qu'il ne se déciderait certainement pas à courir les basants auxquels une tentative d'évasion pourrait l'exposer. Il parait néanmoins, d'après la déclaration du général Gourgaud et d'autres circonstances mentionnées par lui, que le général Bonaparte a toujours envisagé l'époque où les années alliées quitteraient la France comme étant la plus favorable à son retour, et que la probabilité de cette évacuation et les conséquences qui s'ensuivraient furent employées par lui comme un argument pour dissuader le général Gourgaud de le quitter avant cette époque.

Au sujet de la santé du général Bonaparte, le général Gourgaud a déclaré qu'on nous eu avait lteaueoupimpo.se ; que le général Bonaparte, pour ce qui regardait son physique, n'était aucunement changé, et qu'il n'y avait nulle vérité dans ce qu'on avait dit à ce sujet ; que le Dr O'Meara était certainement dupe de l'influence que le général Bonaparte exerce toujours sur les personnes avec lesquelles il a de fréquentes relations ; et que, bien que lui, Gourgaud, n'ait personnellement qu'à- se louer de M. O'Meara, la connaissance intime qu'il avait du général Bonaparte, le mettait a même d'affirmer avec confiance que sa santé n'était pas du tout plus mauvaise qu'elle n'avait été antérieurement à son arrivée à Sainte-Hélène.

J'ai l'honneur, etc.,

Signé : HENRY GOULBURN.

 

Dans le cours de ma conversation avec le général Gourgaud, il a été nécessairement question de beaucoup de choses qui n'avaient que peu ou point de rapport a l'évasion du général Bonaparte, mais qu'il n'est peut-être pas sans intérêt de rapporter[9]...

Quant aux mémoires qu'on dit que le général Bonaparte a écrits, pendant son séjour a Sainte-Hélène, le général Gourgaud m'a appris qu'il n'y en avait encore qu'une très petite partie de terminée ; que Bonaparte avait beaucoup dicté à différentes époques ; mais qu'il s'occupait plutôt a dicter des chapitres particuliers, a différentes reprises et avec des variantes plus ou moins importantes, qu'à avancer l'ouvrage ; que les seules parties complètes sont.la campagne d'Egypte et la bataille de Waterloo, une campagne en Italie et une en Russie, mais qu'il s'est montré dernièrement moins actif dans ce genre de travail, par la crainte de compromettre des individus avec lesquels il ne peut s'ôter de l'idée qu'il aura de nouveaux rapports à une époque peu éloignée.

Entre autres choses incidentes, il rapporta que le Manuscrit venu de Sainte-Hélène, qui fut publié il y a quelque temps, était l'ouvrage d'une personne de rétablissement de Longwood et non, comme on l'avait supposé, de Mme de Staël ou de M. de Constant ; que les anachroniques qui s'y trouvaient ,V avaient été mis à dessein, et que ce n'était pas, a beaucoup près, le seul écrit envoyé de Sainte-Hélène pour être publié en Angleterre, en fait d'ouvrages détachés ou d'articles de journaux.

Pour ce qui regarde la manière de vivre du gérerai Bonaparte à Sainte-Hélène, il parait qu'il exige impérativement, des personnes de sa suite, les mêmes respects et la même obéissance qu'ils lui témoignaient lorsqu'il était empereur de France, et qu'il a constamment l'habitude d'interrompre les discussions où le nom de général est prononcé, en disant que, dans Longwood, il est encore et sera toujours empereur. Les principaux officiers de sa suite sont toujours en dissidence et les querelles entre le général Bertrand et le comte Montholon ont été quelquefois si loin que chacun d'eux avait insisté auprès du général Gourgaud pour qu'il ne fréquentât pas l'autre, menaçant dans je cas contraire de rompre toute société avec lui. Ce général Gourgaud représente Bonaparte comme beaucoup plus sujet à des accès de colère qu'il ne l'était autrefois et comme avant éprouvé un changement considérable dans son moral, quoique sa santé, dans l'opinion du général, ne soit aucunement détériorée : Vous le croiriez quelquefois une divinité même. C'est un dieu qui vous parle ; mais il y a des occasions où vous le trouveriez au-dessous de l'ordinaire. Tels sont les termes dans lesquels il me transmit son opinion générale du caractère de Bonaparte.

H. G.

 

 

 



[1] Paris 1827, Tome IX, p. 188.

[2] Paris 1827, Tome IX, p. 222.

[3] Paris 1827, Tome IX, p. 244.

[4] Paris 1827, Tome IX, p. 295.

[5] Pièces justificatives de la lettre de Sir Walter Scott à l'éditeur du Weekly-journal d'Edimbourg réimprimées par le général Gourgaud dans sa Réponse à sir Walter Scott, Paris, 1827 in-8°.

[6] Il y a là soit une inadvertance, soit une erreur de copiste. Certes, les déclarations du général Gourgaud, faites en 1818, n'ont pu motiver les restrictions de 1816 : elles on ont motivé d'autres, en 1818, qu'on verra ci-dessous. Mais Gourgaud triompha du lapsus : Ceci, dit-il, prouve évidemment la mauvaise foi de sir Walter Scott. C'est du 9 octobre 1816 que datent les mesures oppressives prises contre Napoléon, et c'est en 1818 que j'ai eu pour la première fois l'occasion de parler avec sir Hudson Lowe ! Ainsi tombe toute la justification du ministère anglais, imaginée par un romancier trop habitué à compter sur la facile crédulité de ses lecteurs.

[7] Voir le texte complet, Pièce n° IV, B.

[8] Cf. Pièce n° V, E.

[9] Suit un long récit de la bataille de Waterloo et des circonstances qui la suivirent inutile à reproduire ici.