NAPOLÉON DANS SA JEUNESSE

 

LA JOURNEE DE L'EMPEREUR AUX TUILERIES

INTRODUCTION.

 

 

Le portrait d'un homme tel que Napoléon ne se peint pas au premier coup. Une étude n'y suffit point ni une toile. Après un siècle presque écoulé, pour garder l'espoir qu'on présentera aux yeux, avec un air au moins de ressemblance, ce formidable modèle, il faut se pénétrer de lui sous tous les aspects où il se montre selon le jour et la lumière, ne négliger aucun des procédés matériels qui peuvent mener à acquérir une portion si mince soit-elle de la réalité, étudier chaque ligne, détailler chaque ride, photographier, de la face, chacun des méplats et des angles, ne lâcher le morceau qu'après l'avoir poussé aussi loin que permettent de le faire les artifices du métier et la plus scrupuleuse attention. Pour les accessoires et pour chacun d'eux, pareil travail : il faut les isoler et, un par un, chercher comme ils sont faits ; les démonter, car il a peut-être mis en chacun quelque chose de lui-même, les grouper enfin, car il importe que le personnage soit placé dans son milieu et se meuve dans son atmosphère. Ce sont la les cartons qu'un peintre soucieux de la vérité doit remplir avant d'approcher de sa toile. Plus tard, tous ces morceaux épars et dispersés, il essaiera peut-être de les assembler pour construire le portrait qu'il rêve, mais ici la conscience et l'application ne lui suffiront point. Vainement s'efforcera-t-il de combiner ses études et jamais ne parviendra-t-il sans doute à dresser, telle qu'il l'entrevoit, illuminée par la gloire qui jaillit d'elle, l'image souveraine de Celui qui fui, entre les hommes, le plus près de ce que l'on nommait un dieu. Peut-être ne le tentera-t-il même jamais, tant il sent son effort impuissant et sa valeur inégale, mais ces études qu'il a menées avec une pleine sincérité, il peut espérer qu'elles garderont, aux yeux du public, leur justesse et leur caractère, qu'elles fourniront plus tard, à quelque autre plus habile, des traits et des accents de nature et c'est pourquoi, sachant que la vie est brève, il les sort de son atelier et les montre.

 

Telle cette série de volumes. Ils n'ont nulle prétention de dire le dernier mot sur celui dont l'Histoire s'occupera sans cesse ; seulement de marquer quelques points de repère et de relever certains faits caractéristiques. Avant tout essai de synthèse, c'est par des analyses successives et lentes, précises, minutieuses, qu'il faut procéder, et ce ne sont ici, selon le terme usité en Allemagne, que des contributions à l'histoire.

Dans un premier livre, j'ai tenté de distinguer quel avait été chez Napoléon, le goût et l'impulsion vers la femme, quelle part de lui prenaient les sens, comment ses sentiments affectifs avaient pu être modifiés, soit par l'éducation, soit par l'exercice de la puissance suprême ; ce qu'avait été pour lui, extérieurement et intérieurement, la passion par excellence : l'Amour. J'essaierai plus tard de déterminer quelles ont été en lui les notions héréditaires de l'esprit de famille, quelles applications il leur a données, comment il y a cédé ou résisté ; car c'est là le sentiment qui, après l'amour, est le moins conventionnel, celui que l'homme tient le plus de la nature. Après, je rechercherai quelles formes il a adoptées vis a vis des êtres, des femmes en particulier, quel sort il leur a réglé, quel rôle il leur a tracé, quelles relations il a eues avec elles, hors de l'amour ; car la femme est le lien premier de toute société civilisée et l'être social qu'est l'homme ne se comprend et se définit que par ses rapports avec les femmes.

A côté — et c'est là le but d'une autre série d'investigations dont je publie ici le premier volume — je me propose de rendre un compte minutieux des habitudes et de la règle d'existence que s'est donnée Napoléon, de décrire avec exactitude son appartement, de l'y suivre tout un jour, du matin jusqu'au soir, en sorte que ce soit à des idées nettes qu'il soit permis de s'arrêter, lorsque l'on parle de lui, et qu'on puisse se le représenter, sinon tel qu'il fut réellement, du moins tel que, après un siècle, il est loisible de se l'imaginer. Le courant normal de cette existence ainsi décrit, il faudra plus tard montrer les fêtes et les plaisirs que l'Empereur donne à sa Cour bien plus qu'à lui-même : les spectacles, les concerts et les bals ; puis, faire défiler les cortèges de représentation et déployer la pompe entière des cérémonies. Il faudra encore descendre aux menus détails de l'organisation de la Maison impériale, faire revivre le peuple des chambellans, des écuyers, des maîtres de cérémonies, des officiers de la vénerie et des préfets du Palais ; montrer d'où viennent ces gens et où ils vont ; comment ils se sont recrutés, ce qu'ils ont reçu d'argent et d'honneur, et de quelle façon ils ont payé leur dette de reconnaissance. Enfin, il faudra, hors de Paris, suivre la Cour dans les petits et les grands voyages à Fontainebleau, à Compiègne, à Rambouillet, puis en ces résidences lointaines que les Constitutions impériales ont fixées aux divers points de l'Empire : il faudra rendre compte des façons et des êtres ; décrire les ajustements et les plaisirs, et noter les formes dernières que la monarchie impériale a données aux villégiatures souveraines.

 

Telle est une partie de l'œuvre entreprise, celle qui, aujourd'hui, semble à l'auteur assez avancée pour qu'il ne soit point trop audacieux à lui d'en dire le plan. Il ne s'en dissimule ni les difficultés, ni les embarras. Pour dégager chacun des points qu'il étudie successivement, il doit l'isoler et le regarder au microscope. De là, un grossissement sans doute démesuré qui peut mener le lecteur à prendre la partie pour le tout et à conclure avant que tous les éléments de conviction n'aient été fournis. En groupant étroitement des faits qui, dispersés sur toute une vie, n'y gardent qu'une importance médiocre, on leur prête une solennité et une suite qu'ils n'ont pas dans la réalité. Voici la chasse par exemple. Qu'on veuille, en un livre, raconter uniquement Napoléon chasseur : il faudra que l'auteur entre dans le détail de l'organisation de la vénerie ; qu'il ait recueilli les moindres événements de chaque laisser-courre, qu'il conte par le menu chacun des hallalis ; qu'il suive l'Empereur dans ses tirés en inscrivant chaque tableau avec le nom des invités et le nombre des pièces. Cela sera son sujet et il le devra épuiser. Mais arrivé à la fin du volume, le lecteur pourra s'imaginer que Napoléon, en toute sa vie, n'a fait que chasser, alors qu'il a fait peut-être quelque autre chose.

Là est le danger de ces monographies. Prises isolément, elles donnent du modèle une idée médiocrement exacte, bien que, en soi, chacun des faits allégués soit authentique. A l'ensemble, peut*être, les plans se trouveront rétablis, et l'accumulation des détails fera moins d'ombre à la figure. D'ailleurs, quel système adopter, en dehors de celui-ci, qui permette d'acquérir des notions précises et qui ne présente point des vices plus graves ?

 

Pour apprendre Napoléon, on ne se contenterait point à présent d'un morceau de style, écrit de verve sur le coin d'une table. Certes, que sa vie fournisse une rare matière à développements poétiques, d'accord ; mais la génération qui a précédé la nôtre a excellé en cet art et, de Byron à Hugo, n'a guère laissé de thèmes à remplir. Le cycle n'est point fermé pour cela : en nos jours, des jeunes hommes, avec des mots vibrants et des images violentés se reprennent a traduire l'immortelle épopée ; mais, pour enflammée que soit leur prose, les idées dont ils se servent, et même les images ne peuvent être neuves. Ils transcrivent, en la langue d'aujourd'hui et de demain, les chants, aux formes incorrectes et vieillies, qui, durant un demi-siècle, ont consolé la Nation, l'ont relevée à ses propres yeux, lui ont rendu, dans les Ages les pires qu'elle eût à traverser, l'orgueil d'elle-même et dont les rythmes à présent' ne semblent usés que parce qu'ils ont traîné si longtemps au gosier du peuple. Les chants d'aujourd'hui auront-ils cette même gloire, éveilleront-ils les mêmes échos, nul ne le souhaite plus que moi ; mais, chanter est affaire aux jeunes et parce que la Légende doit maintenir ses droits sur l'unie de la France, est-ce à dire que l'Histoire doit abdiquer les siens ?

Aussi bien, l'une servira l'autre : l'enquête que mènera l'Histoire n'aura nullement pour effet de détruire la Légende ; car la Légende n'est que la vérité historique, poétisée si l'on veut, agrandie et généralisée par des côtés, mais presque toujours singulièrement exacte. L'Histoire apportera des éléments nouveaux dont demain la Légende tirera parti, qu'elle sublimera à son gré, dont elle adoucira et estompera les contours, auxquels elle prêtera la poésie sublime dont seule l'imagination du peuple peut parer son héros.

Mais il faut une histoire nette, précise, s'appuyant uniquement sur des documents certains, une histoire qui descende à l'extrême détail et, autant qu'il est possible humainement, ne laisse nulle gerbe à glaner au champ qu'elle s'est tracé. Il faut une histoire écrite sans autre préoccupation que la recherche de lu vérité, hors de toute idée de parti, avec une indépendance entière, qui ait la sécheresse, la minutie d'une instruction judiciaire et qui, pour prouver l'impartialité de l'auteur, ne dissimule rien des défauts, n'atténue nulle des tares, aille sans jamais faiblir jusqu'au bout des informations recueillies. Toute autre manière de procéder serait futile, malhonnête et irait contre le but poursuivi. Le Héros doit apparaître tout entier, éclairé sur toutes ses faces par une implacable lumière ; nul voile qui dérobe un morceau de lui ; c'est affaire à d'autres de passer des chemises de zinc sur sa chair de marbre. Nulle restriction en l'exposé de ses actes, la vérité tout entière. On ne peut plus le louer avec des phrases : la vérité seule y peut suffire.

 

Et du même coup se trouveront réfutés à la fois les pamphlets haineux et les apologies imbéciles. Celles-ci, par leurs niaiseries, sont pires que les libelles. Mesurer l'Empereur à la même aune qu'un commerçant adroit qui lient proprement ses livres et se contente d'un bénéfice modeste sur les produits qu'il débite ; polir les arêtes sur sa médaille au point de la rendre pareille à ces pièces où l'on distingue encore l'effigie d'un souverain, sans qu'on puisse distinguer quel il est ; enlever à son caractère et à son esprit tous leurs excès pour ramener ses traits physiques et moraux à une formule bourgeoisement banale et honnêtement vulgaire, c'est comprendre moins encore sa nature que si on lui prêtait des vices extrêmes, des ambitions sans mesure, même des crimes sans exemple. Du moins on le laisserait grand : ce serait le génie du mal, mais ce serait encore un génie. Ce ne serait pas une sorte d'élève du Ghetto, mâtiné d'usure et de libéralisme.

Aux prétendus impartiaux qui en toute occasion abaissent leurs compatriotes devant l'étranger, aux moralistes de cabinet qui semblent ignorer volontairement tous les dessous malpropres de l'existence humaine et appliquent à Napoléon une règle philosophique qu'ils n'ont sans doute point empruntée à leurs contemporains, les faits répondront.

Etant soupçonné de m'être hypnotisé sur Napoléon, je dois, plus que tout autre, m'abstenir de toute polémique et réserver, autant qu'il sera possible, mes appréciations personnelles. Je ne dirai que ce que j'ai trouvé dans les papiers et ne me sens pas en droit de présenter des conclusions. Si réservées qu'aient été celles d'un premier volume, elles ont attiré des critiques dont je reconnais la justesse. Ce que j'apporte est un fragment d'une enquête. Le jugement ne pourra être rendu que lorsque l'enquête entière sera sous les yeux du public.

 

Le système que j'ai adopté de n'indiquer aucune des sources où j'ai puisé a été vivement attaqué, non seulement en France, mais dans d'autres pays. Je m'y tiens pourtant. D'une part, il me semble inutile de faire participer le lecteur au travail très long et très complexe auquel je me suis livré. D'autre part, les indications que je fournirais n'apprendraient rien à personne, puisque la plupart des documents sur lesquels j'ai travaillé m'appartiennent ou dépendent d'archives privées. Prochainement, je serai en mesure de publier intégralement certains des textes dont je me suis servi : on verra alors s'ils sont ou non authentiques. D'ailleurs, sauf en des cas où le silence m'a été imposé, je suis prêt à donner aux travailleurs qui y prennent intérêt toutes les justifications qu'ils souhaiteront : c'est ainsi que j'ai déjà fait et les plus sévères en matière de documentation on', bien voulu se contenter de mes explications.

 

Devant ce livre, paraissant moins de six mois après le premier tome de Napoléon et les Femmes, on dira peut-être que j'ai voulu profiter du succès et m'attacher à la mode. C'est le présent volume qui, de fait, devait être publié d'abord. Une revue a imprimé, l'an dernier, en mars et avril 1893, les trois articles qui en forment la trame. Si je les ai complétés, c'a été avec des notes recueillies de longue date ; je n'ai rien eu à emprunter à certains ouvrages de seconde main qui ont été mis en vente depuis lors et je tiens, pour des motifs qu'on appréciera, à établir, pour ces études, une priorité qui n'est point contestable.

Quant à la mode, je n'ai point le loisir de la suivre. Il me serait impossible d'improviser un livre qui, bon ou mauvais, est le résultat de vingt ans d'études. Ce n'était point la mode de se déclarer bonapartiste le jour où je me suis affirmé tel et, si la mode passe d'écrire sur l'Empire, je n'en continuerai pas moins mon œuvre. D'ailleurs, je ne crois pas que ce soit une mode.

A la fin du second Empire, ç'a été une mode d'attaquer Napoléon III au travers de Napoléon Ier, de contester l'origine de son pouvoir, de s'acharner à sa politique religieuse, de nier sa grandeur militaire, de mettre en scène ses dernières campagnes et de détailler sa défaite suprême. C'était un jeu d'opposition pareil à celui qui consistait à vêtir Napoléon III en Caracalla ou en Néron pour l'amusement de quelques lettrés d'Académie. Où nous a menés cette haine de Napoléon, ce mépris de la gloire militaire, cette apologie de la paix à tout prix, on le sait. Mais, cela n'a point corrigé les pamphlétaires. L'Empire tombé, restait le principe d'autorité, le principe de gouvernement, le principe même d'unité : tout cela était Napoléon. Il fallait le démolir et on s'y empressa. Cela rapporta d'écrire contre l'Empereur, et les dédicaces de tels livres furent bien payées. D'ailleurs, nulle contre-partie, nulle riposte, soit qu'on craignît de se compromettre, soit plutôt que l'on ne sût pas. Dans le parti bonapartiste, où les militants étaient surtout d'anciens administrateurs, on était peu et mal préparé à ces études qui exigent une éducation spéciale et de longues recherches. La vie active les avait entraînés, et la révolution de Septembre leur faisait leurs premiers loisirs. Sans doute, instruits comme ils étaient de leur métier, en sachant toutes les ressources, en connaissant tous les dessous, ils auraient eu moins de peine que d'autres à remonter aux origines et à discerner quelle part y avait prise l'Empereur. Si, alors, dans ce personnel vraiment supérieur, il s'était trouvé quelques hommes de bonne volonté qui, en chacune des branches où s'éparpille l'activité humaine et où le gouvernement doit faire sentir son action, — ponts et chaussées, mines, administration préfectorale, financière et judiciaire, industrie, commerce, diplomatie, — eussent recherché documentairement qui en avait constitué l'organisme, qui en avait prévu et assuré le développement, qui y avait imposé la règle à la fois la plus profitable aux particuliers et à l'État, de leurs livres se serait dégagée forcément l'idée la plus haute que l'on puisse prendre de Napoléon. Partout on eût rencontré ses idées, ses décrets, son esprit universel de classification, cet inaltérable bon sens qui le préservait en même temps des arguties des rhéteurs, des minuties des fiscaux et des exagérations des littérateurs.

Mais aux hommes qui réunissent la compétence, l'instruction et l'expérience dans une carrière donnée, manquent souvent les idées générales, plus souvent encore le goût d'écrire ; ils sont habitués à ne rien faire que d'immédiatement utile et dont ils voient sur-le-champ paraître les résultats. Le dossier qu'on leur soumet les appelle au travail et ils y sont les bourreaux d'eux-mêmes, mais ils reculent devant une œuvre spéculative et qui ne reçoit pas de sanction. De plus, dès qu'il s'agit pour eux d'écrire un livre, une sorte de timidité professionnelle arrête leur plume et paralyse leurs doigts. Ils craignent d'en trop dire et, à force d'être discrets, cessent d'être instructifs. Ce n'est pas qu'on n'ait vu à cette époque paraître quelques travaux honorables, mais ils ne sont point sortis d'un public spécial et très restreint, et on n'a voulu voir que de la politique de parti dans ces tentatives d'histoire.

Il n'était d'ailleurs réservé à aucun écrivain de métier de déterminer le courant qui, aujourd'hui, reporte tous les esprits vers Napoléon. Cela s'explique : La plupart des hommes qui font, par profession, des livres, sortent du professorat, du journalisme ou du barreau, ces trois écoles où l'on enseigne la haine de Napoléon, où, par tradition, par métier, par intérêt, on est contraint de le détester.

Napoléon ne représente-t-il pas la gloire militaire, et les gens de guerre, grâce à lui, n'usurpent-ils pas une part de l'attention que les gens de lettres estiment que le public doit uniquement à leurs œuvres ? Abaisser l'armée par de quotidiennes insultes, par l'énoncé chaque jour répété des mêmes calomnies, en réclamer la suppression, exalter les Congrès de la paix, provoquer, par les associations internationales, l'oubli et le mépris de la Patrie, n'est-ce point là le travail où se sont empressés les philosophes notoires et les écrivains en vogue, et n'est-ce point en s'inspirant de ces fécondes doctrines que, aujourd'hui, de nouveaux moralistes exaltent les Sans-Patrie et apologient les anarchistes ?

De plus, Napoléon représente l'autorité, et nulle, classe dans l'État n'en supporte plus impatiemment la contrainte. Les lois impitoyables par lesquelles l'Empereur avait muselé les trois gueules de la Révolution, ne sont point de celles qui s'oublient. Il avait obligé les avocats à défendre leurs clients sans insulter ni le gouvernement, ni les particuliers. Il avait obligé les professeurs à enseigner à leurs élèves les matières qu'ils étaient payés pour exposer ; sans leur prêcher l'athéisme ni le mépris des lois. Il avait oblige les gens de lettres à respecter le gouvernement légitime de leur pays, à ne point révéler aux ennemis les points faibles de la défense, à ne point, corrompre l'imagination du peuple. Donc Napoléon, pour eux tous, était l'ennemi, lui, ses doctrines, son esprit, sa personne même, et il l'est demeuré.

Par conséquent, rien à attendre des écrivains de profession, tant que ceux-ci se sont recrutés dans ces milieux. Mais il était réservé à un homme qui n'était ni littérateur, ni professeur, ni avocat, de poser devant l'opinion la question sous son vrai jour.

Lorsque, au pamphlet qu'il venait d'imprimer contre la France royale et révolutionnaire, M. H. Taine ajouta ce scandaleux portrait de l'Empereur qui portait les caractères décisifs, du libelle, le Prince Napoléon, exilé, riposta par ce morceau d'histoire et d'éloquence qu'il intitula : Napoléon et ses détracteurs. L'on sentit alors comme un frémissement dans le public. Enfin, quelqu'un osait tenir tête et reporter la guerre sur le territoire ennemi. Enfin, l'Empereur trouvait, en l'un de ses descendants, un avocat digne de sa cause. Mieux préparé que qui que ce fût à un tel travail, puisqu'il avait présidé à la publication de la Correspondance, et que, depuis son extrême enfance, son esprit ne s'était nourri que des traditions et des souvenirs du grand homme, portant en lui-même des parties frappantes de son hérédité physique et morale, le Prince était de ceux dont la voix, lorsqu'elle s'élève, porte, malgré la clameur des foules, aux extrémités du forum. En une langue qui n'appartient qu'à lui, qui dédaignait les procédés de rhétorique et ne sacrifiait jamais à la tournure d'une phrase la parcelle la plus infime de la pensée, il dit ce qu'il savait et ce qu'il pensait de l'Empereur, et ces quelques pages, passant par dessus la tête du professeur de rhétorique qui en avait fourni l'occasion, allèrent en bien des cœurs éveiller la passion endormie pour le grand mort.

 

Aussi bien, les temps étaient arrivés. Les vingt générations qui, depuis 1871, avaient passé sous le drapeau, y avaient appris ce qu'on enseigne dans toutes les armées du monde : que Napoléon a été le plus grand homme de guerre de tous les temps. A mesure que nos jeunes officiers étudiaient l'histoire des grandes guerres, à mesure que leurs chefs se mettaient en mesure de la leur enseigner, l'admiration, le respect, la passion pour l'Empereur-chef d'armée absorbait tout autre sentiment. Ce n'était plus pour la légende qu'ils s'enthousiasmaient, c'était pour le réel et le tangible, car ils étudiaient de près, ils épluchaient chaque campagne, chaque opération, chaque détail d'organisation. La correspondance militaire de Napoléon était leur bréviaire. Non contents de ce qui était imprimé, ils voulaient apprendre, par les documents, comment, à la guerre, en dehors des grands coups qu'il portait, il éclairait, menait, nourrissait son armée ; sur quelles informations il prenait ses décisions, comment il conduisait ses services de l'avant et de l'arrière, et, après chaque publication nouvelle, on était bien obligé de confesser que si la France a été vaincue, c'est parce qu'elle a déserté ses ordonnances et que les autres les ont adoptées.

Des officiers, cette vénération était descendue aux soldats. De quelle gloire leur parler pour les émouvoir, sinon de sa gloire ? Quelle-armée leur proposer pour modèle, sinon son armée ? Quelles victoires leur faire célébrer, sinon ses victoires ? Ainsi, peu à peu, par la seule puissance des faits, sans complicité d'aucune sorte, sans entente préalable, partout, dans toute l'armée, par laquelle passe toute la nation, la lumière se fit.

 

Les peintres militaires, plus en contact que quiconque avec l'armée, furent les premiers a traduire par île frappantes images ces pensées des soldats. Las, eux aussi, de représenter depuis dix-sept ans les désastres de l'année terrible, ils voulurent en sortir et allèrent tout droit a ce fonds inépuisable de gloire, où les épisodes abondent, où tout est pittoresque, hommes et chevaux, et donnent matière a compositions intéressantes. Virent-ils plus loin ? non. Mais en faisant leur métier en conscience, en exécutant d'excellents tableaux ou de merveilleux dessins, ils se trouvèrent avoir servi singulièrement le mouvement qui se préparait. Reproduits à l'infini, leurs tableaux vinrent frapper l'esprit des foules et, lorsqu'on ouvrit devant elles, en 1889, sur l'esplanade des Invalides, l'exposition du Ministère de la guerre, ce qu'elles y virent acheva la conversion.

 

Dans ce palais d'un jour, grâce à l'intelligente initiative de quelques membres d'une commission dont, a coup sûr, le ministre n'attendait point un si vaillant effort, se trouvaient réunies toutes les reliques des généraux et des soldats de ce siècle. Planant au-dessus d'eux, partout visible et présente, l'image de Napoléon. De toute la foire nationale, ce palais fut le plus visité. En y entrant à vagues profondes, dès le vestibule, les plus excités et les plus bruyants se taisaient. Quelque chose de religieux et de sacré pénétrait en leurs Ames troubles. Us passaient le long des vitrines, silencieusement, d'un mouvement très lent, très doux, continu. Toujours des tôles qui se baissaient regardant, d'autres, puis d'autres, et encore, et toujours, un fleuve d'hommes, de femmes et d'enfants qui coula durant des mois. La gloire, ils en buvaient par tous leurs yeux, de la gloire de peuple, de paysans et d'ouvriers comme eux, partis un jour du champ paternel ou de l'atelier, et revenus, après cinq ans, tout couverts d'or, chargés de décorations, tenant en main un bâton de maréchal d'Empire, riches à acheter des provinces et appelés d'un nom nouveau et sonore, un nom de victoire qui était à' eux, mieux encore que le nom de leur père. Et Celui-là, qui, très haut, au-dessus de tous, distribuait a sa guise là fortune et la renommée, ils le reconnaissaient, Celui dont en leur enfance leur parlaient les vieux soldats, Celui dont si longtemps ils avaient vu l'image au-dessus de la grande cheminée de la chaumière paternelle, l'Homme, le vainqueur, le martyr, l'être surnaturel dont les malheurs seuls ont égalé les joies, dont le nom seul, mystérieux et unique, est comme le mot de ralliement universellement compris, qui fait communier tous les peuples en une religion d'admiration et de respect.

Et puis, comme éveillés du silence de la tombe par une loi divine, les témoins de l'Épopée se mirent à parler. Ce fut étrange alors : toutes les autres voix, celles dont le public aimait le mieux entendre les contes, dont il savourait les violences obscènes, dont il recueillait avec complaisance les grossières roulades, ne trouvèrent plus un auditeur.

Tout se rua vers ces bouches d'ombre qui enfin disaient les secrets attendus. Et ces secrets, c'étaient ceux de notre grandeur passée ; la confiance en l'homme de génie, le dévouement, l'abnégation ; c'étaient les beaux coups de sabre donnés ou reçus, les étranges cavalcades à travers l'Europe, les carrés enfoncés d'un élan superbe, les fleuves traversés à la nage, les aventures plus surprenantes que tout roman, et, à la lueur des coups de canon, dans une brume de poudre et de poussière sanglante, Il apparaissait, Lui, son chapeau sur les yeux, sa longue redingote au corps, impassible, serein, superbe.

Et puis, on le voyait en sa vie, on le suivait en ses tendresses et ses douleurs. On se sentait pour lui la même âme que ses grognards. On réapprenait à l'aimer. Lorsque, aux derniers jours, à Sainte-Hélène, il inscrivait dans son testament le nom de ce Marbot, qu'il savait à coup sûr entre ses braves, mais dont le talent d'écrivain venait seulement d'être révélé par une brochure de quelques pages ; lorsqu'il l'engageait à continuer à écrire pour la défense de la Gloire des Armées françaises et à en confondre les calomniateurs et les apostats, prévoyait-il, l'Empereur, que ce livre de Marbot, enfoui durant un demi-siècle, publié presque par hasard, viendrait, au jour marqué, éveiller en tous les cœurs, même les plus fermés et les plus secs, la sympathie pour les soldats, la passion pour leurs aventures, le respect pour leur stoïcisme sans phrases, et l'amour, un amour généreux et puissant comme était le leur, pour Celui qui, vingt années durant, lutta, pour la France et avec la France, contre le monde.

 

Tout cela a préparé le mouvement : mais ce n'est point cela encore qui l'a produit. Sous le coup d'événements où il semblait que le souvenir de Napoléon n'eût rien à voir, la Nation s'est brusquement trouvée en un tel état d'âme, que seule, la religion de l'Empereur pouvait la consoler, l'aguerrir et la réhabiliter à ses propres yeux. Son nom est un symbole : Il synthétise l'idée de gloire, l'idée d'autorité, l'idée d'honnêteté. La Nation est lasso des défaites et regarde vers les victoires. La Nation est lasse de l'anarchie parlementaire et regarde vers l'homme qui lui a rendu la sécurité et l'ordre. La Nation est lasse de sentir à l'encan la conscience de ceux qui la gouvernent et regarde vers Celui qui, inflexible, a fait rendre gorge aux financiers et à vider les poches des fournisseurs.

Au peuple qui est simpliste, il faut un nom pour représenter d'un coup tout son rêve. Or, depuis \m siècle, chaque fois que le peuple, enlisé dans cette boue mouvante du parlementarisme, se sent au moment même de périr ; par un effort désespéré, au risque de précipiter l'agonie, à travers le sable .qui clôt ses lèvres, à travers l'ordure qui emplit sa bouche, il jette son cri d'appel suprême, le cri dernier après lequel il ne reste qu'à mourir, et c'est cet homme qu'il appelle à son secours, et c'est ce nom qu'il prononce comme celui de l'être surnaturel qui seul peut le sauver.

En 1799, lorsqu'il voulait se libérer de l'ignominie directoriale ; en 1815, on 1830, en 1848, lorsqu'il prétendait se soustraire à l'oppression des aristocrates et des financiers ; en 1848 encore, lorsqu'il était las de l'anarchie républicaine, cinq fois déjà en un siècle, c'est ce nom seul, qui, pour le peuple, a résumé toutes ses aspirations. Mais pour tous, en 1799, en 1815, pour la plupart en 1830, pour la masse même en 1848, ce nom était celui d'un vivant et c'était à son génie que le peuple faisait appel. A présent, nulle impression de survivance, nulle croyance à une hérédité, nulle pensée qui s'adresse à un descendant. C'est à Napoléon mort, ce n'est à aucun Napoléonide vivant que va l'âme des foules. Napoléon apparaît comme un être de raison, un être de légende et de rêve, si grand, si fort, à ce point supérieur à l'humanité environnante que, pour cette nation qui n'a plus guère de foi aux dieux anciens, c'est lui qui devient le Dieu.

Nul parti à présent qui .puisse le prendre à la France : Il est trop loin dans le temps, trop haut dans la gloire. A elle seule, il peut servir de conducteur et de guide, car, seule, elle est égale à lui, et peut, sans défaillir, supporter le poids de son nom.

Vainement, à côté de son culte, essaie-t-on d'en créer un rival : Jeanne d'Arc, déclarée vénérable par l'Eglise après avoir été condamnée par elle, Jeanne d'Arc réclamée et accaparée par les catholiques, érigée en thaumaturge dont les actes merveilleux ont été non seulement inspirés, mais conduits par une divinité, échappe désormais à la Patrie. La visionnaire que mènent saint Michel et sainte Catherine, n'incarne plus l'âme de la France, cette âme révoltée contre l'Anglais envahisseur qui, descendue en la petite bergère de Domrémy, lui inspirait ses vaillants espoirs et, jusqu'à la mort, son amour joyeux et doux pour notre terre. La statue de Jeanne, que chacun honorait à sa mode, pouvait réunir tous les croyants à la Patrie. L'autel de Jeanne ne réunira plus que les croyants à une religion.

Jeanne d'ailleurs, si glorieux que soit son souvenir, représente seulement la lutte contre l'étranger, la défense du sol natal. Elle est loin dans les temps, et dans des temps si différents du nôtre, que, hormis la patrie, rien de ce qui l'a touchée et fait agir n'est pour émouvoir. Lui, au contraire, tient à toutes nos fibres et il n'est pas un atome de sa chair dont notre chair ne soit faite. Il a porté notre société tout entière ; il a fait ses lois et ses institutions. Il lui a imprimé la forme qu'elle garde encore après un siècle écoulé. Il a souffert toutes nos misères ; il nous a donné toutes nos joies. Vingt années durant, il a conduit cette résistance formidable de la France toute seule contre l'Europe tout entière. Il a été la Révolution en ce qu'elle a de sublime : Il a été la Patrie en ce qui est le plus sacré, car après toutes les gloires qu'il lui avait données, il a succombé avec elle et c'est un commun désastre qui les a anéantis-, elle pour un temps, lui, en tant que souverain, pour toujours.

 

Et que l'on n'aille point dire que, à ce désastre, ce soit Napoléon qui a entraîné la France. L'histoire est là pour répondre. Valois et Bourbons, la Révolution et l'Empire, le gouvernement d'hier et celui de demain-ont rencontré et rencontreront toujours les mêmes ennemis, dès qu'ils seront la France, qu'ils auront souci de sa mission, de ses intérêts et de sa gloire. Les coalitions qu'on forme contre la France ne tiennent point au régime intérieur qu'elle adopte ; elles tiennent à la configuration même de l'Europe et à ce fait que, toujours, la France sera jalousée uniquement parce qu'elle est la France.

Le système politique auquel les rois Bourbons avaient été par la force même des choses contraints de s'arrêter, qu'ils avaient mis trois règnes et deux siècles à former, c'est— qu'on y regarde — le même système que Napoléon a été contraint d'adopter ; seulement, il l'a réalisé en quinze ans. Les Bourbons avaient dû, pour couvrir leurs frontières, constituer la Ligue du Rhin, mettre des rois à eux sur les trônes d'Espagne, et de Naples, se créer un point d'appui dans la haute Italie, chercher l'annexion de la Belgique. Qu'a fait Napoléon ?

Avec l'Angleterre, est-ce lui qui a engagé la lutte ? Qu'on laisse de côté la Guerre de Cent ans, les Guerres de religion, qu'on ne prenne l'histoire qu'à Louis XIV, où est la page qui n'est point rougie, par les Anglais, du sang de France ? Guerre, de 1666 à 1667, de 1672 à 1679, de 1688 à 1697, de 1701 à 1714, de 1740 à 1748, de 1755 à 1763, de 1778 à 1783, de 1793 à 1800 : dans le seul dix-huitième siècle, sur cent années, quarante et une de guerre ouverte, déclarée, officielle. Quiconque sur le continent attaque la France, a l'Angleterre derrière soi. C'est Napoléon qui gouverne et cela continue comme au temps des Bourbons : c'est que ce ne sont ni les Bourbons, ni Napoléon que l'Angleterre prétend détruire, c'est la France.

En ces quinze ans, se trouve ramassée et représentée tout entière l'histoire nationale. A lui seul, Napoléon synthétise les grandeurs et les désastres de toute la dynastie bourbonienne. Par lui, se résument, se confondent et se rejoignent des victoires pareilles à Denain et des défaites semblables à Malplaquet. En lui, s'incarne à la fois la lutte pour l'indépendance des mers et la lutte pour les frontières naturelles. Comme Henri IV, il apporte la paix aux consciences ; comme Louis XIV, il organise l'administration : mieux que tous les rois, il fait l'unité de la nation, et Condé, Turenne, Luxembourg, Villars, Saxe, sont ses soldats dans le passé comme dans le présent Lannes, Davout et Masséna.

 

La méconnaissance de Napoléon a mené la France et son armée aux désastres de 1870 ; elle a mené la nation aux orgies du parlementarisme, à cette corruption éhontée qui a fait de la halle aux lois une bourse aux suffrages : elle a mené le gouvernement même à cet abaissement du principe d'autorité qui a relâché tous les ressorts, détruit l'administration, introduit l'indiscipline dans toute la hiérarchie ; elle a mené la société à cette anarchie morale qui a pourri et désagrégé la classe qui se prétend dirigeante bien avant qu'elle ait provoqué dans la classe qui ne possède point et qui ne veut plus être dirigée, le prosélytisme de la bombe. Cette société a peur à présent. C'était quand on jetait bas celui qui seul pouvait la protéger qu'elle aurait dû trembler. Elle s'étonne de la fréquence des attentats anarchistes. C'est leur rareté qui devrait l'étonner. Lorsque l'anarchie est dans les esprits des bourgeois, comment ne descendrait-elle pas dans la masse du peuple ? Pourquoi les bourgeois auraient-ils seuls le monopole de satisfaire leurs appétits, dès que les appétits et les intérêts servent uniquement de base à In Société, que le principe d'autorité n'a plus de fidèles et que la Patrie même n'est qu'une figure oratoire qui sert à couvrir toutes les dépenses et à justifier toutes les concussions ?

 

La Patrie, l'Autorité, la Société, voilà ce que représente Napoléon. Lui seul nous apporte une foi et une espérance commune, une commune religion, un culte commun. Lui seul nous peut délivrer d'une terreur commune. En lui seul, nous, Français, qui ne sommes point des oppresseurs et qui sommes las d'être des opprimés, nous pouvons et devons communier. C'est parce qu'ils ont su honorer leurs héros et leur garder des Ames fidèles que, à côté de nous, d'autres peuples ont grandi. Un cuistre a dit que le maître d'école prussien avait vaincu à Sadowa, sottise : c'est Frédéric le Grand. Et c'est lui, vivant, qui, à Sedan, a vaincu Napoléon mort.

 

La France couchée dans son armure de guerre dort d'un lourd sommeil, d'un sommeil qui dure depuis vingt-quatre ans. Autour d'elle, grouille et s'agite la tourbe des rhéteurs et des vendus qui la tiennent pour leur proie. Ils crient et disputent, ils hurlent des chiffres, ils simulent des indignations, ils sifflent, ils rient, ils s'amusent. Elle, sans que leur bruit parvienne à troubler son rêve, repose, rêvant aux temps passés, et elle ne sent même pas qu'ils lui ont volé son manteau de pourpre pour s'y tailler comme des tuniques des rois. Mais, que le Héros, appelé par ces clameurs, gravisse la montagne, qu'il paraisse, que, d'un geste, il disperse et précipite cette bande de gouvernants, qu'il se penche au chevet de la Vierge guerrière et qu'il la baise au front, soudain, elle se dressera plus radieuse et plus fière, sa lance au poing, son casque au front ; telle que, jadis, lorsque, planant dans l'azur au dessus des aigles envolées, elle menait les travailleurs de gloire faire leur moisson dans les plaines d'Iéna.

S'il tarde, le Héros que, depuis des jours, nous attendons, si la mort doit nous prendre avant son heure, au moins par le culte de Celui-là qui, à nos pères, fut le sauveur, préparons une génération qui soit pieuse à sa mémoire, qui reçoive l'enseignement de son histoire et grandisse dans sa religion. Qui sait ? Il se trouvera peut-être quelque enfant, né pour la gloire, qui se sentira digne de prendre ses traces et qui, par un Montenotte, montrera qu'il sait les chemins qui conduisent à Marengo...

 

FRÉDÉRIC MASSON.

Mars 1894.

 

Quand, il y a trente ans (en 1893), je publiai ce livre dont les premiers chapitres avaient paru dans la Vie Contemporaine, revue de famille dont M. Jules Simon était le directeur, j'avais utilisé les éléments qui se trouvaient à la disposition du public et j'y avais joint les notes que mes recherches m'avaient fournies. Je n'avais pu malheureusement accéder à certains documents dont je ne me dissimulais point l'intérêt mais dont la jalousie d'un concurrent écartait soigneusement ceux qui eussent pu prétendre à les utiliser. Ainsi n'ai-je pu avoir communication des Mémoires du Baron Fain parus seulement quinze ans plus tard.

Je veux, dans cette édition définitive, utiliser les éléments que fournissent les mémoires à l'histoire du Cabinet, mais je ne saurais les fondre à mon texte de 1893. Il y aurait la une prétention intolérable ; mais il doit m'être permis d'ajouter en notes quelques-uns de ces éléments qui complètent ma rédaction originale. Ces notes n'auront nulle prétention d'être autre chose qu'une addition de faits.

 

Août 1921.