NAPOLÉON DANS SA JEUNESSE

 

1769-1793

APPENDICE.

 

 

Les documents qui suivent nous ont été communiqués pendant le cours de l'impression. Ils se rapportent aux premiers paragraphes des Notes sur la jeunesse de Napoléon et, sur certains points, infirment quelques appréciations, en même temps qu'ils en corroborent certaines autres. Tels quels, nous avons cru devoir les joindre à cette publication, quitte à les refondre plus tard dans une nouvelle édition.

 

I. — CONSTITUTION DE DOT DE LETIZIA RAMOLINO[1] (Voir § 1.)

 

La dot constituée à Maria-Letizia Ramolino, fille de feu Jean-Jérôme, par son oncle André, à l'occasion de son prochain mariage avec Charles Bonaparte, fils de feu Joseph, consiste en sept mille livres, représentées :

1° Par trois lignes (leuze) du clos de la Torre Vecchia, sis dans le Campo dell Oro, lequel a pour limites d'un côté le fleuve, de l'autre les Bodiccie appartenant à la commune d'Ajaccio, en haut la Torracia del Principe, et en bas les clos dits du Prunello appartenant à M. Paolino Colonna.

2° Par le four qui existe dans le bourg de cette ville, dans la localité dite de Sainte-Catherine, avec l'entresol de plain-pied, dans lequel [entresol] il y a ledit four, l'appartement au-dessus où habite la boulangère et une chambre contiguë audit appartement, qui reçoivent la lumière nécessaire de l'appartement supérieur de la maison occupée par le boucher, avec expresse déclaration que, comme ladite maison se compose de trois appartements, tous les trois sont obligés aux réparations des fondations et du toit, lesquels sont en commun.

... lesquels appartement, chambre, four et le reste ci-dessus mentionné tiennent d'un côté à la maison de M. Antoine Oberri, de l'autre à la maison dudit André Ramolino, du côté de derrière au site d'Orco du même, et du devant à la voie publique. Et de même l'appartement supérieur de la maison du boucher auquel continent d'un côté la maison du chanoine Gioachino Celli, de l'autre la maison de Barbaruccia, femme de M. Giacomo Cossia, et par devant la voie publique.

Pour le reste, André cède et assigne à ladite Letizia, outre tout ce qui est indiqué ci-dessus, autant de parties de vignes du vignoble du Vitullo qu'il sera nécessaire pour l'entier paiement des susdites 7.000 livres.

 

II. — CERTIFICAT D'INDIOEXCE DÉLIVRÉ A CHARLES DE BUONAPARTE[2] (§ 5.)

 

Nous soussignés, nobles de l'île de Corse, demeurant à Ajaccio, certifions à tous qu'il appartiendra que M. Charles de Buonaparte, quoique gentilhomme, est pauvre, tous ses biens consistans presque dans ses appointements d'assesseur et qu'en conséquence il ne peut donner à ses enfants l'éducation proportionnée à sa naissance.

Fait à Ajaccio le 24 juin 1776.

Signé : ANNIBALE FOLACCI

Pietro COLONNA de Sigri d'Ornano.

Nous Demetrio Stefanopoli, avocat au Conseil supérieur de Corse et le premier au siège royal d'Ajaccio, faisant les fonctions de juge à la récusation de M. Charles de Buonaparte assesseur, certifions à tous ceux qu'il appartiendra que les signatures ci-dessus sont celles des sieurs Annibale Follaci et Pietro Colonna des seigneurs d'Ornano, nobles de cette ville et que foi doit être ajoutée aux certificats qu'ils délivrent en leur qualité, certifions en outre que le contenu en icelui est véritable, en témoin de quoi nous avons signé le présent et y fait apposer le cachet de nos armes.

Fait à Ajaccio, ce 24 juin 1776.

(Signé) DEMETRIO STEFANOPOLI.

Vu et certifié véritable par nous subdélégué de la province et ville d'Ajaccio.

A Ajaccio, le 25 juin 1776.

(Signé) PONTE.

 

III. — BREVET DE CADET GENTILHOMME A NAPOLEONE DE BUONAPARTE[3] (§ 8.)

 

Mons. le Mis de Timbrune, ayant donné à Napoleone de Buonaparte, né le 15 août 1769, une place de cadet-gentilhomme dans la compagnie de Cadets-gentilshommes établis à mon Ecole Militaire.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je vous écris cette lettre pour vous dire que vous ayez à le recevoir et faire reconnoître en ladite charge de tous ceux et ainsi qu'il appartiendra et la présente n'étant pour autre fin, je prie Dieu qu'il vous ait, Mons. le Mis de Timbrune, en sa sainte garde, Écrit à Versailles le 22 octobre 1784.

(Signé) LOUIS

(plus bas) le Mal de SÉGUR.

 

IV. — PROCÈS-VERBAL D'AUTOPSIE DE CHARLES DE BONAPARTE[4] (§ 8.)

 

L'ouverture du cadavre de Monsieur Bonaparte a confirmé la façon de penser de Messieurs les médecins d'Ajaccio sur la cause du vomissement rebelle, opiniâtre et héréditaire, qui l'a enlevé. Lorsqu'il arriva dans cette ville et qu'il nous eut donné sa confiance, nous ne pûmes qu'acquiescer à la façon de penser de Messieurs ses médecins et nous reconnûmes comme eux que la grosse tumeur qu'il portait dans le bas-ventre avait son siège dans la tunique de l'estomac, vers son orifice inférieur, et qu'il y avait lieu de croire que le pylore y était compris. Selon cette façon de penser, on conclut, comme messieurs les médecins de Corse, que ce vomissement était incurable, qu'il terminerait les jours du malade et que l'art pourrait tout au plus les lui prolonger en adoucissant les différents symptômes qui accompagnaient ce vomissement.

L'ouverture du cadavre fut faite par M. Bousquet, chirurgien-major du régiment de Vermandois et M. Fabre, élève en chirurgie de cette ville, signés ici avec nous en présence de plusieurs officiers de ce régiment.

On trouva tous les viscères du bas-ventre en assez bon état à l'exception de l'estomac, qu'on trouva gonflé par le liquide que le malade avait pris. L'orifice inférieur de ce viscère formait une tumeur de la longueur et du volume d'une grosse patate ou d'une poire d'hiver allongée. Cette tumeur était très résistante et d'une consistance à demi cartilagineuse. Les tuniques de l'estomac. vers le milieu de la grande courbure, étaient très épaisses et d'une consistance très ferme, approchant du cartilage. Cette épaisseur des tuniques devenait plus considérable à mesure qu'elles avançaient [vers le] pylore, et cet orifice inférieur de l'estomac était contenu dans le centre de la tumeur et si fort rétréci qu'il fallut y donner un coup de scalpel pour introduire le bout du doigt ; cette tumeur n'allait point au delà du pylore, l'intestin duodénum était dans son état naturel.

Quoique nous ayons dit que tous les viscères du bas-ventre, à l'exception de l'estomac, étaient dans leur état naturel, nous avouons que nous trouvâmes la partie concave du foie gorgée et la vésicule du fiel extrêmement remplie d'une bile très foncée ayant acquis le volume d'une poire médiocre allongée.

Quoique le pancréas parût très sain, on s'aperçut aisément des grains glanduleux plus fermes que dans l'état naturel. Les viscères contenus dans la poitrine étaient très sains.

Après la connaissance parfaite de la cause de ce fâcheux vomissement, il parait qu'il n'est pas possible de pouvoir la vaincre dès qu'une fois elle est établie ; on peut tout au plus se flatter de pouvoir la prévenir par l'usage d'un bon régime de vie et des remèdes en état de prévenir les engorgements lymphatiques des tuniques de l'estomac.

1° Dans cette vue, nous proposons d'user des aliments de facile digestion, de préférer le jardinage et les fruits mûrs et fondants à la viande, de s'interdire toute espèce de viande noire, de pâtisserie, fromage vieux et de tout aliment salé et desséché à la fumée, de se sevrer entièrement de toute espèce de liqueurs, et de boire toujours le vin bien trempé, d'éviter la vie oisive et de faire journellement un exercice modéré, surtout à cheval.

2° De faire usage dans les saisons convenables des racines, feuilles des plantes légèrement apéritives, soit sous forme de bouillon ou d'apozème et même de leurs sucs, y joignant les cloportes ; d'user des préparations du fer les plus douces dès le commencement et allant graduellement aux plus fortes ; du petit lait armé de la vertu des cloportes et des préparations du fer, de la terre foliée de tartre, de la gomme ammoniac. C'est à Monsieur le médecin à varier ces secours suivant les circonstances et même à leur en substituer d'autres s'il le juge convenable. Feu monsieur Bonaparte nous ayant assuré que les eaux acidulées ferrugineuses qu'on trouve dans l'île lui avaient été très avantageuses, on croit qu'elles réussiraient en les donnant pour boisson ordinaire pendant très longtemps.

Délibéré à Montpellier ce 25 février 1785.

Signé : FARJON, LAMURE, BOUSQUET et FABRE.

Certifié conforme à l'original resté dans mes mains à la disposition de l'autorité.

Le baron A. DUBOIS.

Paris, le 14 juillet 1811.

 

V. — BREVET DE LIEUTENANT A NAPOLEONE DE BUONAPARTE[5] (§ 8.)

 

Mons. le Cher de Lance ayant donné à Napoleone de Buonaparté la charge de lieutenant en second de la Compagnie de Bombardiers de d'Autume du Régiment de La Fère de mon Corps royal de l'Artillerie....

Je vous écris cette lettre pour vous dire que vous ayez à le recevoir et faire reconnaître en ladite charge de tous ceux et ainsi qu'il appartiendra et la présente n'étant pour autre fin, je prie Dieu qu'il vous ait. Mons. le Cher de Lance, en sa sainte garde.

Écrit à Saint-Cloud, le 1er septembre 1785.

(Signé) LOUIS.

(plus bas) : Le maréchal de SÉGUR.

 

VI. — LETTRE DE MADAME BONAPARTE A L'INTENDANT DE L'ÎLE DE CORSE[6] (1785) (§ 9.)

 

Attendu le retour de M. l'Intendant, M. Rousseau.

A Monseigneur,

Monseigneur l'Intendant de l'Ile de Corse.

Monseigneur,

Marie Ramolini, veuve Buonaparte, d'Ajaccio, a l'honneur d'implorer votre justice et votre bonté, afin que vous daigniez, vous intéresser à l'entier dessèchement du marais dit des Salines situé à un petit quart de lieue de ladite ville. Depuis l'année 1585, époque à laquelle la commune d'Ajaccio en fit donation à Jérôme Buonaparte, ancêtre du mari de la suppliante, on a toujours eu à cœur de délivrer la ville et ses environs d'un ennemi aussi dangereux. En effet, ledit Jérôme Buonaparte, dès le quinzième siècle, dessécha une partie de ce marais et la convertit en une fertile prairie. Ses héritiers suivirent son plan, mais ne travaillant qu'avec de petits moyens et par intervalles, leur entre prise ne pouvait que traîner en longueur.

L'envie, Monseigneur, de suivre les traces de ses ancêtres et de joindre à son intérêt propre celui du bien public, engagèrent mon mari en 1778 dans cette entreprise où il dépensa en pure perte plus de 2.000 livres. Il implora ensuite les secours du gouvernement qui lui accorda 6.000 livres qui suffirent à peine pour les premiers travaux. Enfin, le peu de succès de cette entreprise commençait à le décourager, lorsqu'en 1779, monsieur le comte de Marbeuf, à qui la réussite de ce projet tenait fort à cœur pour le bien de la ville et des troupes logées au faubourg, ayant eu la générosité de lui offrir sa protection et sa bourse, le décida d'aller en avant. Les travaux furent donc repris en 1779 sous des auspices aussi favorables et continués par intervalles jusqu'à 1783 : l'entreprise fut poussée à un point qu'on ne peut plus douter de sa réussite. Monsieur le comte de Marbeuf eut le plaisir, à la vue et satisfaction de toute la ville, d'assister lui-même à faire semer de l'orge dans les deux tiers du marais desséché. Généralement, la dépense de ce dessèchement se monte à vingt-neuf mille et soixante-dix livres. Mais il n'est pas achevé. Un tiers reste encore marécageux et demande le plus prompt secours.

Le mari de la suppliante ayant épuisé toutes ses ressources et beaucoup dérangé ses affaires dans ce travail dont le succès ne donnait aucun soulagement à sa famille, résolut de demander le secours du gouvernement. Il eut l'honneur, au mois de mai 1784, de présenter un mémoire à Monseigneur le contrôleur général : ce ministre ne fut pas insensible à ses représentations, mais il écrivit à M. de Boucheporn de faire faire ceux des travaux qui ne pouvaient pas se différer sans risque. Mais voyant toujours cette affaire traîner en longueur, le mari de la suppliante prit le parti, au commencement de cette année 1785, d'aller se jeter de nouveau aux pieds du trône, mais la mort l'a arrêté dans sa route. Puisse, Monseigneur, la faible esquisse de la douleur d'une veuve chargée de huit enfants, innocentes victimes de cette entreprise, vous faire jeter un coup d'œil favorable sur ma triste situation et vous engager à faire terminer un ouvrage dont la ville attend la fin avec tant d'impatience. Monsieur le comte de Marbeuf pourra vous assurer la vérité de l'exposé et la suppliante s'offre à la prouver par les pièces justificatives, si vous daignez lui faire connaître votre volonté là-dessus. Puissiez-vous vous laisser émouvoir à mes prières et puisse Celui qui peut tout n'être pas insensible à celles que moi et mes enfants formeront toujours pour votre conservation.

Je suis avec respect,

Ladite suppliante,

veuve BUONAPARTE[7].

 

VII. — NAPOLÉON AU SERVICE RUSSE (§ 12.)

 

Dans un article récemment paru, M. Rambaud avait donné cette indication : Un fait curieux, resté, je crois, ignoré des historiens de Napoléon, c'est que celui-ci adressa une pétition à Zaborowski en vue de prendre du service dans l'armée russe. La pétition n'eut pas de suite parce que la Tzarine avait prescrit de n'accepter les étrangers que dans un grade inférieur à celui qu'ils occupaient et que le jeune Bonaparte ne voulut pas consentir à déchoir.

Le même fait ayant été relaté par M. le comte Waliszewski dans son livre : Autour d'un trône (page 62), j'ai eu recours à son obligeance pour savoir d'où il l'avait tiré. La source commune où il l'avait puisé, ainsi que M. Rambaud, est l'Archive russe, année 1866, page 1375 M. le comte Waliszewski voulut bien me traduire le passage : il porte que Zaborowski, lieutenant de Potemkin, envoyé en 1788 sur les bords de la Méditerranée, avait reçu un jour la visite d'un jeune officier d'artillerie appelé Napoléon Bonaparte, sortant d'une école française, séjournant momentanément en Corse auprès de sa famille ; ce jeune homme sollicitait un engagement et une question de grade mit obstacle à l'enrôlement.

La date de 1788 rendant le fait possible, puisque, de janvier à juin, Napoléon est en congé en Corse, il s'agissait de vérifier si, dans les Archives italiennes, se trouverait quelque indication de nature à confirmer ou à infirmer ce renseignement. Sans doute, il est singulier a priori que Napoléon, après avoir passé seulement onze mois à son régiment, pense déjà à quitter le service de France. Il ne se rencontre dans ses papiers aucune trace d'études sur la Russie, et ce point est assez remarquable puisque sur l'histoire de presque tous les autres peuples ses notes sont abondantes. Il faudrait p .r que le fait fût possible qu'il se plaçât exactement dans le mois de mai, c'est-à-dire postérieurement à la lettre de Joseph du 18 avril, à son examen subi le 24, et à son retour en Corse qui n'a pu avoir lieu que huit ou dix jours après. Joseph disant : Je suis dans le doute si je reverrai Napoléon à mon arrivée à Ajaccio, c'est que le départ de Napoléon pour la France est imminent et c'est que Napoléon ne doit pas passer par la Toscane où est Joseph. Mais enfin ce ne sont pas là des preuves : dans le courant de mai, Napoléon aurait pu changer d'avis, passer à Livourne, voir Zaborowski. M. Biagi a bien voulu pousser à fond l'investigation : dans les registres des passeports délivrés par le Grand-duché, il n'a point, à ces années, trouvé une seule mention de Napoléon Bonaparte. La Gazetta di Firenze de l'année 1788 est muette sur la flotte russe et sur Zaborowski ; seulement aux Archives de Florence (Ministère toscan des Affaires étrangères) se trouve une lettre du ministre de Toscane à la cour de Russie en date de Saint-Pétersbourg, le 3 mars, dans laquelle il dit avoir réitéré au vice-chancelier les assurances amicales qu'on aura les plus grands égards pour les vaisseaux de la flotte de S. M. l'Impératrice qui aborderaient dans les ports de Toscane.

Jusqu'ici donc, la recherche est demeurée infructueuse et le problème posé n'est pas résolu.

 

VIII. — NAPOLÉON A AUXONNE (Juin 1788-septembre 1789) (§ 13.)

 

Nous avons dit que l'on manque, durant cette période, de documents précis sur la vie extérieure de Napoléon. Une lettre qu'on a pu voir à l'Exposition de la République et de l'Empire comble en partie cette lacune. Cette lettre entièrement autographe porte le timbre d'Auxonne et est adressée à Madame, Madame de Buonaparte, à Ajaccio, en Corse.

Auxonne, le 12 janvier 1789.

Ma santé qui est enfin rétablie me permet de vous écrire longuement. Ce pays-ci est très malsain à cause des marais qui l'entourent et des fréquents débordements de la rivière qui remplissent tous les fossés d'eau exhalant des vapeurs empestées. J'ai eu une fièvre continue pendant certains intervalles de temps et qui me laissait ensuite [quatre] jours de repos, venait m'assiéger de nouveau pendant tout autant de temps. Cela m'a affaibli, m'a donné de [longs] délires et m'a fait souffrir une longue convalescence. Aujourd'hui que le temps s'est rétabli, que les neiges ont disparu, ainsi que les glaces, les vents et les brouillards, je me remets à vue d'œil. J'en ai profité pour écrire à M. de Campy. Aussitôt que j'aurai sa réponse, je vous en ferai part... Cette période malheureuse pour les finances de France retarde furieusement la discussion de notre affaire. Espérons cependant que nous en serons quittes pour nos longues et pénibles attentes et que l'on nous dédommagera de tout... Le Roi vient de faire un emprunt de trente millions. La Caisse d'escompte les lui a fournis à 5 p. 100 et remboursables en 1792. Ainsi, cela permet que l'on attende patiemment la conclusion des opérations des États généraux... La discorde semble avoir jeté la pomme au milieu des Trois ordres, et déjà le Tiers-État l'a emporté pour le nombre des députés à avoir, mais cette victoire est peu de chose s'il n'obtient pas la délibération par tête au lieu de celle par ordre qui [est] aussi antique que la Monarchie. Le Clergé et la Noblesse paraissent être disposés à défendre bravement leurs droits et anciennes prérogatives. Outre ces divisions générales, il n'y a pas de province où il n'y ait quatre ou cinq autres partis pour différents objets. En tous cas, les lettres de convocation ne sont pas encore expédiées. Ainsi les États ne peuvent se tenir avant le mois de mai ou de juin... Le Roi d'Espagne, comme vous le savez, est mort il y a quelques mois... Celui d'Angleterre est tombé fol et la Régence, après de longues discussions, est accordée au Prince de Galles. L'Empereur est en danger. L'on dit qu'il est attaqué d'une hydropisie de poitrine. Les froids ont suspendu les travaux de la campagne. Le Danemark qui voulait se déclarer contre la Suède en a été empêché par les déclarations des cours de Berlin et de Londres.

Il paraît que le Conseil de la Guerre s'occupe de rédiger notre ordonnance. Nous le saurons d'ici à un mois. Nous verrons ce qu'ils veulent faire de nous. Il paraît toutefois que le Génie sera malmené. L'on parlait, il y a deux mois, de le réduire à 150 officiers. Cette perspective n'est pas plaisante pour eux et, dans le fait, ils sont 350 et cela est certainement trop... Quel changement a-t-on fait en Corse ? Que dit-on des [.....] ? Donnez-moi des nouvelles de Joseph. Est-il parti pour Pise ou est-il resté ?... Adieu [......] zio Lucciano, maman, minana, etc. etc., etc. et Monsieur Louis. Mariana se porte bien.

J'aurais bien lieu d'être inquiet. Je n'ai [pas] reçu des nouvelles de Corse depuis le mois d'octobre. Donnez-m'en donc tout de suite.

 

IX. — NAPOLÉON A AUXONNE ET VALENCE - Février 1791-septembre ou octobre 1791 (§ 15.)

 

Entre autres reliques infiniment précieuses qu'il tient de son père, l'héroïque colonel Biadelli, M. le comte Lucien Biadelli possède un volume du Cours de mathématiques à l'usage du Corps royal d'artillerie par M. Bezout, de l'Académie royale des sciences et de celle de la marine. Paris, 1781, 8°. Tome Ier seul. Sur le titre de ce volume se trouvent l'indication : Ex libris de Buonaparte et la signature Bonaparte, au-dessous de la mention : Exemplaire Vaugrigueuse jusqu'à 1783. Cette mention complète et rectifie la note 6 de la page 115 du tome 1er ; établit l'époque où les relations se sont formées entre Vaugrigneuse et Napoléon. Dans le corps du volume, en dehors de griffonnages et de calculs sur les marges, on relève de la main de Napoléon, page 75, cette date : 25 février 1791, Napoléon a donc, durant son second séjour à Auxonne, au milieu des études si variées auxquelles il se livrait, repris sérieusement son cours de mathématiques.

Enfin, sur la feuille de garde terminale du volume se trouve, de la main de Napoléon, une liste singulièrement curieuse en ce qu'elle réunit des noms qui, bien qu'appartenant tous à l'artillerie, ne semblent point avoir figuré en même temps, soit au 1er régiment (La Fère) où Bonaparte a servi jusqu'en avril 1791, soit au 4e (Grenoble) où il a été nommé ensuite. Faudrait-il penser que cette liste comprend des officiers détachés à l'École d'artillerie en même temps que d'autres employés au régiment de la Fère, ou faut-il y voir un mémento dressé par Napoléon pour conserver le souvenir des officiers auxquels, dans les deux régiments, il était particulièrement attaché ?

Voici cette liste où l'orthographe fantaisiste adoptée par Napoléon rend encore les assimilations plus difficiles : néanmoins, grâce à M. Gabriel Cottreau, un de mes collègues les mieux armés de la Sabretache, je crois avoir identifié la plupart des personnages.

Sappel col.[8], Vaugrigneuse[9], Vaumaure[10], Carmigane[11], Pelletier[12], Malet-Trumillet[13], Malet[14], La Grange[15], Roland[16], Buonaparte, Bidon[17], Dissautier[18], Bussi[19], Marescou[20], La Bœuf[21], Saint-Germain[22], Fougène[23], Berthou[24], Gouvion[25], Beauvais[26], Duprat[27], Résignan[28], Taviel[29].

 

 

 



[1] Archives Frasseto. Malgré l'intérêt qu'il présente, ce document de six pages in-folio ne me parait pas, à cause des répétitions, devoir être publié in extenso. J'en extrais seulement le passage caractéristique que M. Biagi a bien voulu traduire.

[2] Inédit. Archives Frasseto.

[3] Inédit. D'après original exposé en mai 1895 (Exposition historique de la Révolution et de l'Empire ; et appartenant à S. A. I. le Prince Victor Napoléon, auquel il a été offert par M. Frasseto.

[4] Inédit. D'après une copie faite par le baron Dubois sur le procès-verbal original, document m'appartenant. Il est inutile de faire remarquer de quelle importance est ce document dont, comme on l'a vu, tome Ier, page 119, l'on connaissait l'existence, mais dont on ignorait le texte. Qu'on rapproche l'autopsie de 1785 de l'autopsie de 1821, qu'on se souvienne du nombre prodigieux de membres de la famille morts en deux générations de pareilles affections, et l'on aura matière à de singulières réflexions. (Ed.)

[5] Inédit. D'après l'original exposé en mai 1895 (Imposition historique de la Révolution et de l'Empire) et appartenant à S. A. I. le Prince Victor Napoléon, auquel il a été offert par M. Frasseto.

[6] Inédit. Archives Frasseto. Cette lettre semble être de l'écriture très appliquée de Napoléon : on y retrouve au moins toutes les caractéristiques principales. L'affaire des Salines, sur laquelle on manquait jusqu'ici d'indications, se trouvait pourtant soulevée dans la lettre de Mme Bonaparte (ou plutôt de Napoléon) du 12 avril 1788 (t. Ier, p. 198), laquelle prouve que, en 1785, les Bonaparte avaient obtenu gain de cause.

[7] La signature est de la même écriture que le corps de la supplique et n'a aucune ressemblance avec celle de Mme Bonaparte. On peut croire, — et l'absence de lieu et de date y engage encore davantage, — que, rédigée, écrite et signée à Valence par Napoléon, la pétition a été par lui envoyée directement à la Cour.

[8] De Sappel, colonel du 1er régiment (La Fère) du 1er avril 1791 au 1er novembre 1792. On trouve dans l'Etat delà Légion : de Sappel, colonel du 2° d'artillerie à pied, retraité, officier de la Légion en 1809.

[9] Voir tome Ier, p. 115, note 6.

[10] De Vauxmort, lieutenant en second en 1790 (Annuaire). — de Vauxmoret, lieutenant en second en 1792 (Annuaire). Capitaine en premier, 1er avril 1793.

[11] Carméjane, lieutenant en second dans la Fère en 1789, colonel en 1806, baron de l'Empire avec 7.000 francs de dotation, retraité maréchal de camp honoraire en 1819.

[12] Pelletier de Montereau, lieutenant en second en 1790. — Un Pelletier chevalier de Saint-Louis à l'armée de Condé en 1796.

[13] Un Mallet de Fumilly à l'École Militaire.

[14] De Mallet, lieutenant en premier rang de capitaine en 1790.

[15] De la Grange, lieutenant en premier dans la Père en 17S5 ; lieutenant en premier rang de capitaine en 1790. — Lieutenant-colonel au 4° en 1791. — Sans doute Vimal de la Grange.

[16] De Rolland, lieutenant en second dans la Fère en 1785, capitaine en second 1792.

[17] Jullien de Bidon, lieutenant en premier dans la Père en 1790, capitaine-commandant au 5e en 1793.

[18] D'Issautier, capitaine dans la Fère en 1785 et 1790.

[19] Voir tome Ier, p. 133.

[20] Voir tome Ier, p. 133.

[21] Est-ce Le Bœuf de Valdahon qu'on trouve à l'Ecole militaire en 1785 ?

[22] Un Saint-Germain fait ses preuves en 1781. Le même, peut-être, est sous-directeur à Béthune et à Hesdin en 1789.

[23] Peut-être Fouler, lieutenant au 4e en 1791.

[24] Berthon, capitaine au 4e en 1791.

[25] Gouvion, capitaine au 4° en 1791, lieutenant-colonel de volontaires en 1791, général de division, sénateur, pair de France, comte de l'Empire.

[26] Voir tome Ier, page 111, note 1.

[27] Lieutenant en premier au 4e en 1791.

[28] Ducos de Révignan, capitaine au 4e en 1791.

[29] Lieutenant en second au 4e en 1791, général de division en 1811, baron de l'Empire.