La promotion dont Napoléon faisait partie comprenait cinquante-huit lieutenants en second affectés à l'artillerie, et Bonaparte y était classé le 42e ; mais la plupart de ses camarades de sortie avaient deux ou trois ans d'école. Les jeunes gens venant de Brienne qui étaient entrés en même temps que lui, le 22 octobre 1784, firent partie des promotions de 1786, 1787 et 1788. Sur les cinquante-huit promus, huit seulement venaient de l'École militaire : ils y étaient entrés, Roquefeuil en 82, Lelieur de Ville-sur-Arce en 83, Raymond de la Nougarède en 82, Picot de Peccaduc et le Picard de Phélyppeaux en 81, Broglie et des Mazis en 83. Ils avaient donc de deux à quatre années de préparation et le classement que Napoléon avait obtenu dans ces conditions mérite d'être remarqué. De plus, il faut signaler qu'il était, à ce qu'il semble, le premier Corse qui fût sorti de l'École militaire[1] et, dans l'artillerie, à cette époque, on ne cite qu'un seul de ses compatriotes, M. de Massoni, qui fût officier[2]. Cela lui assurait dans son pays une place à part. Des huit élèves promus, trois furent désignés pour le régiment de La Fère : Lelieur de Ville-sur-Arce, Bonaparte et le chevalier dos Mazis. Ces deux derniers partirent de concert. Napoléon n'eut point comme on a dit à emprunter d'argent pour faire ce voyage. On a vu dans le budget des dépenses de l'École qu'un crédit était ouvert annuellement à cet effet[3] ; Bonaparte d'ailleurs, s'il eût été embarrassé, ne se fût point adressé aux Permon qu'il ne connaissait pas à cette époque, mais il aurait eu recours à M. de Marbeuf, près de qui, en souvenir de son père, il aurait été assuré de trouver bon accueil et auquel il s'était empressé, dès son premier jour de liberté, d'aller présenter ses devoirs[4]. Il espérait encore à ce moment obtenir un congé pour aller revoir sa mère qu'il avait quittée depuis six ans mais l'ordre de rejoindre son régiment était formel, et, sorti de l'École le 28, le 30, il était en route pour Valence. On peut s'étonner que les règlements, si bien combinés, si sévères, si paternels en même temps, n'aient point prévu dans quels embarras pouvaient se trouver des jeunes gens, des enfants de seize ans, élevés sans nulle vue sur le monde et lâchés ainsi brusquement en pleine vie, avec toutes les tentations d'une indépendance si nouvelle. Peut-être doit-on penser que quelque officier de l'état-major de l'École les accompagnait jusqu'à destination. Toutefois, l'on raconte[5] que, le 25 octobre, Napoléon et des Mazis arrivèrent à Lyon par les Turgotines, qu'ils se logèrent près du bureau des voitures, à Port-Neuville, qu'ils coururent les cafés et autres lieux de plaisir, eurent bientôt épuisé leur bourse et se trouvèrent heureux de rencontrer un M. Barlet, ancien secrétaire de M. de Marbeuf, que Napoléon connaissait, qui les ravitailla et donna même à son jeune ami une lettre d'introduction pour M. de Tardivon, abbé de Saint-Ruff qui résidait à Valence[6]. On ajoute que plus tard, en nivôse an X, le Premier Consul, lorsqu'il vint présider à Lyon la Consulte cisalpine, se montra d'une singulière ingratitude pour ce M. Barlet auquel il refusa sa radiation de la liste des émigrés parce que Barlet, dans sa pétition, avait rappelé l'ancien service rendu. Sans examiner si le fait allégué n'est point démenti par ce qu'on sait du caractère de Napoléon, il suffit de faire remarquer que, parti le 30 octobre de Paris, Bonaparte ne pouvait se trouver le 25 à Lyon[7]. De plus on doit se demander comment, au bout de huit ans, Napoléon qui était parti de Corse tout enfant aurait ainsi reconnu en un passant ce M. Barlet, comment encore il se serait fait reconnaître de lui ? On ne nie point l'anecdote, mais du moins peut-on dire qu'elle est des moins vraisemblables. A son arrivée à Valence qu'il faut fixer aux premiers jours de novembre. Napoléon fut logé militairement dans la maison de Mlle Bou[8] qui formait l'angle de la Grande-Rue et de la rue du Croissant. Mlle Bou, personne d'âge respectable, dont le père avait tenu en cette même maison un billard et un petit café[9], louait des chambres aux officiers, et, après avoir profité quelques jours du logement par billet, Bonaparte devint son locataire et son pensionnaire. Il conserva d'elle un bon souvenir : le 12 octobre 1799, traversant Valence à son retour d'Égypte, il la reconnut lorsqu'elle vint à la poste pour le voir et lui donna un cachemire de l'Inde et une boussole d'argent que l'on conserve aujourd'hui dans le musée de la ville. Déjà en 1794, à Nice il avait accueilli son frère, employé de commerce à Lyon, puis administrateur du district de Valence, et il lui avait donné la table et le logement ; il le fit nommer agent de change à Paris et, plus tard, étant consul et empereur, il lui accorda diverses audiences et plusieurs faveurs[10]. Sortant de l'École militaire sans avoir passé par les écoles spéciales, Napoléon avait à faire son apprentissage et dut, pendant trois mois, selon un règlement plus démocratique qu'on ne croit, monter trois gardes dans chaque grade et faire la petite et la grande semaine des grades qui y étaient astreints[11]. Ce ne fut que le 10 janvier 1786 qu'il fut reçu officier. Le régiment de la Fère, dans lequel il était placé, était à cinq brigades de quatre compagnies. Il avait pour colonel le chevalier de Lance, brigadier des armées du Roi, pour lieutenant-colonel le vicomte d'Urtubie, pour major M. Labarrière, pour quartier-maître trésorier M. de Goy. Bonaparte figurait dans la cinquième brigade (brigade de bombardiers) dont le chef était M. de Quintin : il appartenait à la première compagnie commandée par M. Masson d'Autume et avait pour lieutenant en premier M. de Courcy : son lieutenant en troisième, officier de fortune, se nommait Grosbois ; son sergent-major Bravier : c'est ce Bravier qui en août 1811, adressait à S. M. l'Empereur et Roi une touchante pétition : il avait été réformé, il n'avait pour vivre qu'une pension de 260 francs, il rappelait que, comme sergent au régiment de La Fère, il avait été connu de l'Empereur. Napoléon lui envoya 500 francs. Dès 1802, M. Masson d'Autume, ancien émigré, avait été nommé par le Premier Consul conservateur de la bibliothèque de l'École d'application de l'artillerie et du génie à Metz. Quant à M. de Courcy, qui s'était retiré de l'armée en 1791, Napoléon ne manquait pas, chaque fois qu'il passait à Valence où Courcy est mort au commencement de la Restauration, d'aller le visiter pour le remercier des bons conseils qu'il lui avait donnés[12]. Pour ses anciens camarades du régiment de La Fère qui consentirent à servir la France avec lui, Napoléon eut toujours des grâces particulières et l'on peut assurer que les noms qu'il avait connus alors n'ont point été en vain prononcés devant lui. Ainsi, le chevalier de Boubers, capitaine au 1er bataillon, meurt en 1800 ; mais sa femme, née Folard, est nommée gouvernante des enfants du prince Louis, puis sous-gouvernante du roi de Rome, titrée baronne de l'Empire et comblée de bienfaits. La Riboisière et Sorbier, tous deux lieutenants, sont l'un après l'autre grands officiers de l'Empire, inspecteurs généraux d'artillerie, Grands aigles et le reste. Hédouville cadet est ministre plénipotentiaire près le Prince Primat ; des Mazis aîné, administrateur de la Loterie ; Mabille, administrateur des postes ; Rolland de Villarceaux, préfet du Gard. Un de ses anciens camarades qui le haïssait et que ses opinions royalistes ne rendent point suspect reconnaît qu'avoir été du régiment de La Fère était un des meilleurs titres qu'on pût invoquer près de lui[13]. A Sainte-Hélène, les noms lui revenaient en foule, les détails sur tel et tel[14], et l'expression de sa reconnaissance allait à ceux qui, comme le lieutenant-colonel, M. d'Urtubie, avaient rendu facile et agréable son apprentissage d'officier. Il n'est point indifférent de rechercher la carrière des sous-lieutenants ne sortant pas de l'École de Paris, qui, faisant partie de la promotion de Napoléon, ont été désignés en même temps que lui pour le régiment de La Fère. Les quatre emplois vacants avaient été dévolus à M. de Damoiseau classé le neuvième dans la promotion, à M. de Guerbert de Bellefonds (n° 28), à M. de Belly de Bussy (n° 40), et à M. de Marescot de la Noue (n° 46). Damoiseau[15] émigra dès 91, fut à l'armée de Condé, passa en 95 au service de la Sardaigne, puis du Portugal. Il y fut nommé major dans l'artillerie de la marine et, étant plutôt mathématicien que soldat, fut employé à calculer les éphémérides nautiques. Adjoint à l'observatoire de Lisbonne, membre de la Société maritime et adjoint à l'Académie des sciences, il avait déjà une notoriété et sa carrière semblait faite lorsque les Français envahirent le Portugal. Après la capitulation de Cintra, il revint en France avec Junot et demanda à rentrer dans l'artillerie. Employé d'abord à l'armée d'Espagne, puis aux sous-directions de Bastia et d'Antibes, il était chef de bataillon à la chute de l'Empire. En 1817, il fut retraité avec le grade de colonel ; ce fut alors qu'il mit au jour des travaux astronomiques et mathématiques qui lui valurent d'être nommé successivement membre de l'Académie des sciences, directeur de l'observatoire de l'École militaire et membre du bureau des longitudes. On n'a rien trouvé sur la carrière de Guerbert de Bellefonds après l'émigration : quant à Belly de Bussy, l'on sait qu'après sa radiation, il s'était simplement retiré en Champagne dans ses terres. Le 12 mars 1814, pendant la campagne de France, l'Empereur demanda des guides ; on lui parla d'un ancien officier qui connaissait le pays à merveille. Belly de Bussy — ou, comme l'écrivait Fain, Billy-Bussy — se présenta ; Napoléon le reconnut aussitôt, causa avec lui, le nomma immédiatement colonel d'artillerie et l'un de ses aides de camp. Il lui donna 12.000 francs pour s'équiper, et, à Fontainebleau, il le porta pour une somme de 50.000 francs sur l'état des gratifications prévues par le traité. Nommé chevalier de Saint-Louis par les Bourbons le 27 décembre 1814, Belly de Bussy n'en reprit pas moins son service près de l'Empereur au retour de l'île d'Elbe. On ne retrouve pas ses traces après la seconde Restauration. Quant à Bernard-François de Marescot de la Noue, qui semble bien le même qu'on trouve à Brienne avec Napoléon, il émigra, puis se joignit en 1795 aux royalistes de la Vendée. Rentré au service sous le Consulat, il fut nommé lieutenant-colonel et décoré de l'étoile de la Légion. Après la campagne de 1807, il quitta de nouveau et fut choisi par le Sénat comme membre du Corps législatif pour le département de Loir-et-Cher. A la Restauration, il fut chevalier de Saint-Louis. Ce ne fut qu'après son arrivée au régiment que Napoléon fit faire son uniforme[16], presque semblable d'ailleurs à celui qu'il portait à l'École militaire. C'était l'habit bleu avec collet rabattu, parements et doublure rouge, veste et culotte bleue. Un bordé rouge égayait le devant de l'habit et les poches posées sur le côté et découpées en écusson. A la Révolution, il y eut ce changement qu'on ajouta des revers et que le collet se redressa. Une seule épaulette, en losanges alternés d'or et de soie, avec une contre-épaulette. C'était une passion que Napoléon avait pour cet uniforme : Je n'en connais de plus beau que mon habit d'artilleur, disait-il à Morfontaine quand, sous le Consulat, il essayait pour la première fois l'habit de colonel des grenadiers à pied. Ayant tout à apprendre de son métier d'artilleur, Napoléon a-t-il, autant qu'on le dit, autant qu'il le dit lui-même, fréquenté le monde ? Ne confond-il point deux époques ? ne mêle-t-il point dans sa mémoire ses deux séjours à Valence ? Il faut se méfier ici des témoignages intéressés : sans doute, plus tard, tout le monde aura voulu l'avoir connu, mais en ce moment, à Valence, personne ou presque personne ne le connaît. La plupart des relations qu'on lui prête sont de fantaisie. Il n'a pu, en 1785-86, connaître, à Valence, M. Bachasson de Montalivet, puisque, à cette date, celui-ci était conseiller au Parlement de Grenoble et qu'il n'est revenu, à Valence, qu'en 1791[17], Mme du Colombier n'a pu le mettre en relations avec l'abbé Raynal, puisque, depuis 1781, à la suite de la publication de l'Histoire philosophique du commerce des deux Indes, l'abbé Raynal fuyant devant la condamnation prononcée contre lui par le Parlement, voyageait en Hollande, en Prusse et en Suisse, et qu'il n'eut qu'en 1787 permission de rentrer en France, à la condition encore de ne point venir à Paris. L'abbé de Saint-Ruff, il le vit certainement, car il a gardé de lui bonne mémoire. Mieux encore se souvenait-il de Mme Grégoire du Colombier qui l'avait aimablement accueilli, de sa fille, Mlle Caroline, avec qui il se ménageait au matin piquant de petits rendez-vous pour manger des cerises[18]. A Sainte-Hélène il parlait de ces dames avec une profonde reconnaissance ; n'eût-il point fait de même des autres personnes qui l'auraient accueilli ? Sa mémoire a été d'autant plus frappée de ces bontés qu'il se sentait plus isolé et plus triste. Il avait seize ans depuis le 15 août 1785 ; jusqu'au mois de janvier, il fut constamment occupé par ses devoirs militaires ; ensuite, il lui fallut apprendre tout de son métier d'officier. Car l'École de Paris n'étant, on l'a vu, rien moins qu'une école d'instruction, rien moins surtout qu'une école supérieure de guerre, il n'avait jusque-là point vu un canon et tout ce qu'on lui avait montré, ç'avait été la théorie du fantassin, au plus quelques notions sur le service dans les places. Il était timide et sauvage, il était pauvre avec les onze cent vingt livres par an qu'il recevait de solde et de pension[19] ; il n'avait point d'argent à dépenser aux superfluités d'élégance : tout ce qu'il pouvait retrancher de son nécessaire passait à acheter des livres[20] et tout le temps qu'il n'employait pas a ses exercices, il le passait à lire et à rêver. Deux passions impérieuses absorbaient son esprit : sa patrie d'abord, puis, Rousseau. Patrie et famille, c'était tout un pour lui. Pour la famille, il se sentait une responsabilité d'autant plus grande que les besoins, là-bas, étaient plus grands, que lui seul sur le continent pouvait y apporter quelque secours, qu'il avait pris une idée plus haute de lui-même par son entrée dans le Corps royal, par le fait que, seul de ses compatriotes, il était officier d'artillerie. — Il dit toujours officier ; n'indique jamais son grade, son pauvre grade de lieutenant en second. — Il était le chargé d'affaires de la famille en France, et à seize ans, il se tenait pour le protecteur des orphelins restés en Corse. C'est lui qui demandait, pour eux, les places dans les séminaires[21] ou les écoles, qui sollicitait pour la mère, écrivait les pétitions et les mémoires. Dès son arrivée au régiment ce rôle s'est imposé à lui : il le remplit. Mais il en est un autre qu'il s'est imposé à lui-même : il prétend être l'historien de sa patrie. A ce moment, il n'a encore que des notions confuses et très vagues sur les événements qui ont amené la conquête de la Corse, mais il veut s'en instruire : Boswell qu'il a lu peut-être à Brienne, que, en tout cas, il a désiré lire dès ce moment et qu'il a certainement lu depuis sa sortie de l'école, a contribué à former son admiration pour Paoli. Il prétend pousser son étude à fond. On le voit par sa lettre au libraire de Genève. Et c'est la Corse aussi qui l'amène à Rousseau. Rousseau n'a-t-il pas dû en être le législateur, ne s'en est-il pas proclamé l'ami ? Rousseau, c'est le séducteur immortel des âmes inquiètes, le traducteur inspiré des amours confuses, impossibles et toujours rêvées ; c'est en même temps le prophète attendu qui donne une formule à ces aspirations d'un peuple, las d'une organisation politique qui ne répond plus à ses besoins, las d'une hiérarchie sociale dont il a perdu le sens, las d'une civilisation dont il ne voit plus que les vices, et qui prétend revenir à la liberté, à l'égalité, à la nature. C'est l'oracle de quiconque se tient pour incompris, déshérité, persécuté. C'est celui qui porte aux ambitieux la parole qui seule peut leur plaire : que, hormis le génie, rien n'est légitime. L'influence de Rousseau, on la trouvera empreinte si profondément dans les trois morceaux qui se rapportent à cette époque qu'il est inutile d'y insister. La Corse et Rousseau, voilà tout le Bonaparte de 86[22]. |
[1] Luce Quilico de Casabianca a fait ses preuves pour La Flèche en 1775, mais on ne voit pas qu'il ait été à l'Ecole militaire.
[2] Roman, Souvenirs d'un officier royaliste, II, 49.
[3] Voir en plus Hennet, loc. cit., 71 et 86. C'était là la répétition de l'ordonnance du 7 septembre 1770 laquelle stipulait en outre que les élèves sortant recevraient un trousseau composé d'un uniforme complet, 12 chemises, 12 cols, 12 paires de chaussons, 12 mouchoirs, 2 bonnets de nuit, 2 paires de bas, une boucle de col en argent, une paire de boucles de souliers et une paire de boucles de jarretières, une épée d'uniforme et un porte-manteau de basane. Les Elèves avaient à toucher de plus les 200 livres de pension qui étaient allouées à chacun d'eux, non, comme on a dit sur la cassette du Roi, mais sur les fonds de l'Ecole. Cette pension leur était continuée jusqu'au grade de capitaine. (Edit de janvier 1751, art. XIX. Ordonnance du 30 janvier 1761, etc.)
[4] Lettre de Napoléon à M. Amielh, citée par Iung, Lucien Bonaparte, avec indication : Collection de M. de Coston à Montélimar.
[5] Honoré Vieux, Napoléon à Lyon. Lyon, 1848, in-8°.
[6] Coston, I, 75. L'ordre de Saint-Ruff comme on sait, avait été uni en 1771 à celui de Saint-Lazare, mais l'abbé avait conservé une pension. J'ai parlé de cette affaire dans mon livre : Le cardinal de Bernis depuis son ministère, p. 274, note 1. Il peut y avoir des opinions diverses au sujet de la façon dont Napoléon a connu M. de Tardivon. Il dit (Mémorial, I, 137) qu'il lui a été présenté par Mme du Colombier. Coston lui donne comme introducteur M. Barlet et ajoute fort justement que M. de Tardivon et l'archevêque Marbeuf, ayant été chanoines de Lyon en même temps, n'avaient pu manquer de se connaître. Enfin, ne peut-on penser que l'union de l'ordre de Saint-Ruff à celui de Saint-Lazare lequel était comme attaché à l'Ecole militaire, faisait de M. de Tardivon le correspondant bénévole des jeunes officiers.
[7] On n'a point retrouvé le nom de M. Barlet sur les Listes des émigrés du département du Rhône. On ne saurait d'ailleurs s'expliquer comment M. Barlet aurait pu demander alors sa radiation, puisque, sauf exceptions dont il n'est pas, les émigrés dits du 31 mai avaient été radiés en masse. Cette anecdote semble donc de pure fantaisie.
[8] Coston, I, 77, et documents particuliers.
[9] Lettres de Louis Bonaparte à Mésangère, publiées par le baron de Coston, Lyon, 1889 in-8°, p. 8.
[10] Coston, loc. cit., p. 9.
[11] Il convient de signaler à cette date un curieux portrait de Bonaparte, au bas duquel on lit : Mio caro amico Buonaparte. Pontornini del 1785, Tounone. Ce dessin faisait partie des collections du Musée des Souverains (il ne figure pas au Catalogue) et est maintenant au musée de Versailles. Je n'ai retrouvé nulle part le nom de Pontornini, mais, à défaut d'autre renseignement, ce qui peut donner au dessin une apparence d'authenticité, c'est que Tournon était à deux lieues de Valence et que si Bonaparte y avait retrouvé un compatriote, il avait pu s'y lier avec lui. Je ne crois pas que Napoléon ait prononcé nulle part le nom de Pontornini.
[12] Coston, I, 79, notes 1 et 2.
[13]
Souvenirs d'un officier royaliste, par M. de R. (Roman). I, p. 108, note 1.
[14] Mémorial, I, 136.
[15] Marie-Charles-Théodore, baron de Damaiscau, né à Besançon, le 9 avril 1768, mort à Paris, le 6 avril 1836, était d'une ancienne famille militaire, fils d'un officier général.
[16] A leur arrivée au corps, les cadets recevaient un uniforme payé sur les revenus de l'Ecole militaire (Hennet, loc. cit., p. 86). Par conséquent, toute cette histoire, racontée par Mme la duchesse d'Abrantès (I, 85), démontrée déjà fausse par le rapport des dates, est encore démontrée fausse par l'impossibilité des faits. Si j'insiste sur les mémoires de Mme d'Abrantès, c'est que, récemment réimprimés, ils servent de prétexte au renouvellement de quantité de légendes.
[17] Rochas, Biographie du Dauphiné, II, 153, et Notice, par le comte Camille Bachasson de Montalivet sur le comte Jean Pierre Bachasson de Montalivet, p. 6.
[18] J'ai dit ailleurs : Napoléon et les femmes, t. I, p. 6, ce que Napoléon empereur avait fait pour son ancienne amie de jeunesse. On assure que chez les descendants de Mlle du Colombier se trouvent des papiers inédits de Napoléon.
[19] Napoléon, comme lieutenant en second, touche par an d'après l'ordonnance du 3 novembre 1776 : 800 francs d'appointements payés par le Trésor royal, plus 120 francs de logement payés par les provinces ; enfin la pension de 200 livres faite sur les fonds de l'Ecole à tout élève sortant de l'Ecole militaire jusqu'à ce qu'il ait atteint le grade de capitaine. On a établie de la façon suivante quelle pouvait être la dépense de Napoléon (Iung, I, 156). Pour sa chambre chez Mlle Bou 8 l. 8 s. par mois ; pour sa pension à l'hôtel des Trois-Pignons 351. ; 15 l. pour retenues mensuelles et réceptions ; 30 l. pour l'habillement, l'entretien et le café militaire, cela fait 1.078 livres par an. Il reste donc 42 livres pour les menus plaisirs de l'année entière. Ce calcul est vraisemblable, mais je ne vois point où l'on en a puisé les éléments.
[20] Outre qu'il est abonné au cabinet de lecture de M. Aurel (Coston, I, 86), Napoléon achète des livres, comme il ressort du passage des mémoires de Joseph cité plus loin, et de la lettre suivante adressée de Valence le 29 juillet 1786 à M. Paul Borde, libraire à Genève (Coston, I, 99, d'après l'original).
Valence, le 29 juillet 1786.
A monsieur Paul Borde,
libraire à Genève.
Je m'adresse directement à
vous, Monsieur, pour vous prier de me faire passer les Mémoires de Mme de
Valens (sic) et Claude Auct pour servir de
suite aux Confessions de J.-J. Rousseau.
Je vous prierai également de
m'envoyer les deux derniers volumes de Vllisloire des Révolutions de Corse, de
l'abbé Germanes. Je vous serais obligé de nie donner note des ouvrages que vous
avez sur l'ile de Corse ou que vous pourriez me procurer promptement.
J'attends votre réponse pour
vous envoyer l'argent à quoi cela montera.
Vous pouvez m'adresser votre
lettre : A monsieur Buonaparte, officier d'artillerie au régiment de La Fère en
garnison à Valence, Dauphiné.
Je suis, Monsieur, avec une
parfaite considération, votre très humble et très obéissant, etc.
BUONAPARTE officier d'artillerie.
[21]
Valence, 25 novembre 1785.
A M. Amielh, directeur du
petit séminaire d'Aix.
Monsieur, on ne pouvait être
plus sensible que je le suis à l'intérêt que vous voulez bien prendre pour
nous. L'on ne pouvait être en même temps plus mortifié de la peine que vous
vous êtes donnée. Je ne conçois pas comment mes chers parents ont pu être
inquiets un moment. Je leur ai écrit deux fois avant de sortir de Paris et je
leur ai mandé le dérangement de notre plan. Je vis à Paris M. de Marbeuf, qui
me dit que Lucciano, mon frère, ne pouvait pas encore être élevé à Aix, et
qu'ainsi, il fallait qu'il restât à Brienne ; d'un autre côté, j'eus un ordre
extraordinaire de rejoindre le régiment à Valence et j'y suis actuellement
depuis trois semaines pendant lequel temps j'ai écrit trois fois en Corse.
Jugez de là, Monsieur, si je suis coupable-de la moindre négligence. J'aurais
dû, il est vrai, vous le mander, mais je me suis imaginé que M. Fesch, que je
crois en Corse, vous en aurait écrit.
Je n'aurai mon semestre qu'au
mois de septembre prochain. Pour lors, Monsieur, je me ferai une fête d'avoir
le plaisir de faire connaissance avec un homme pour qui je prends le plus vif
intérêt.
Faites-moi passer, je vous
prie, les lettres dont vous êtes chargé, quoique je m'imagine bien ce qu'elles
contiennent.
Je suis avec la plus grande
considération, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
NAPOLEONE DI BUONAPARTE.
(Lettre publiée par Iung, Lucien Bonaparte et ses mémoires, avec indication de source : collection de M. de Coston à Montélimar. Cette lettre d'une haute importance démontre ce qui a été dit ci-dessus du désir qu'avait Napoléon de se rendre en Corse et de sa visite à Marbeuf.)
[22] Mss. I, II et III. On s'étonnera peut-être de ne point trouver à cette date parmi les écrits de Napoléon une certaine fable qu'on lui attribue : Le lapin, le chien et le chasseur et que quelques-uns même, entre autres Coston (I, 37), disent avoir été composée en 1782. Il suffit de la moindre attention pour voir que cette fable n'a pu être écrite par Napoléon, ni en 1782, ni en 1786. Si faible soit-elle, elle est à rimes croisées, à vers irréguliers, et on a vu comment rimait et versifiait Napoléon.