NAPOLÉON DANS SA JEUNESSE

 

1769-1793

§ 1. — LA FAMILLE BONAPARTE. - LA FAMILLE RAMOLINO. - LA NAISSANCE DE NAPOLÉON.

 

 

Napoléon est né à Ajaccio, le 15 août 1769, de Charles-Marie de Bonaparte et de Marie-Letizia Ramolino.

 

Qu'étaient-ce que les Bonaparte ?

Leur nom patronymique est sans doute Buonaparte, mais on trouve ce nom écrit avec ou sans u, indifféremment précédé ou non de la particule : tel, il est encore un des noms qui, en Corse, changent le moins de physionomie ; ainsi, dans la plupart, les désinences ne sont point fixes ; on dit Ramolini ou Ramolino, Paravicini ou Paravicino. Ce dernier nom — celui d'une tante de Napoléon — se trouve écrit dans des actes publics de dix façons, au point d'y être entièrement défiguré.

Si Napoléon a préféré Bonaparte à Buonaparte, qu'importe[1] ? Le reproche qu'on lui en ferait serait aussi justifié que celui de ne point avoir fait sonner l'e final de son nom.

 

On a longuement discuté sur l'origine des Bonaparte et sur la question de savoir si la famille, établie en Corse au XVIe siècle, était une branche des familles de même nom établies en diverses parties de l'Italie.

Plus que probablement l'origine est commune. Les Bonaparte de Florence portent identiquement les mêmes armoiries que les Bonaparte de Corse : De gueules à trois cotices d'argent accompagnées de deux étoiles à six raies de même. Les Bonaparte de Trévise n'ont point ajouté les étoiles, mais ont gardé : de gueules à deux cotices d'argent[2].

Ce n'est point là une preuve, mais c'est un commencement de preuve. Il est d'ailleurs, sur ce point, un travail fait d'après les sources et qui paraît définitif[3].

L'auteur a établi sur pièces la généalogie des Bonaparte depuis 923 jusqu'en 1264. Il s'est référé, fort justement, pour la période suivante (1264-1567), à l'excellent mémoire d'Emmanuel Gerini (Memorie storiche délia Lunigiana, p. 75 et suiv.) et pour la troisième période aux actes authentiques fournis par Charles Bonaparte au juge d'armes de France[4].

Ce qui était le plus nécessaire était de déterminer les origines ; car, sur ce point, les romanciers avaient donné carrière à leur imagination et abondaient en légendes. Les uns voulaient que les Bonaparte, descendant des Kalomeroi, se rattachassent aux empereurs d'Orient ; d'autres, prétendaient avoir découvert, à Majorque, que les Bonaparte se nommaient en réalité Bonpart et avaient pour ancêtre le Masque de fer ; un certain comte Vincenzo Ambrogio Gaddi di Aragona écrivait, en 1806, un gros livre pour démontrer qu'ils venaient directement des Césars Romains et se fondait pour le prouver sur le surnom de Parthus ou Parthicus donné à quelque empereur[5]. Point de grande maison romaine à laquelle, selon l'usage italien, on n'eût cherché à rattacher les Bonaparte, le tout sans la moindre preuve. Ici, au contraire, l'on marche constamment d'après des documents d'une authenticité certaine et qui, recueillis par un savant dont la critique était aussi exercée que l'érudition, ne peuvent laisser place à aucun doute.

Le premier document où il soit fait mention de la famille des Cadolingi (ainsi nommée du comte Kadolo, troisième de la descendance) vise Conrad, fils de Tedice, et est en date de la huitième année du règne de Bérenger, c'est-à-dire de l'an 923. C'est un acte par lequel Conrad, fils de Tedice, pour son âme et pour les âmes de sa femme Ermengarde et de son fils, fait don à Dieu et à l'église des Saints Zénon-Ruffin-et-Félix, cathédrale de Pistoie, de son manoir de Vicofaro avec ses dépendances. Il prend en cet acte le titre de comte en la cité de Pistoie. Ce titre était-il héréditaire ou tenait-il à une délégation impériale, on ne sait ; mais, ce qui résulte de la suite des documents, c'est que, dans leurs domaines, mouvant de la cité de Pistoie, et qui, s'étendant dans la vallée de Nievole jusque sous les murs de Lucques, rejoignaient la vallée inférieure de l'Arno et s'avançaient de ce côté jusqu'à cinq milles de Florence, les Cadolingiens ne relevaient que de l'Empereur et non des ducs ou marquis de Toscane.

Ce qui n'est pas moins prouvé, c'est que le titre comtal, s'il fut d'abord concédé viagèrement, devint bientôt héréditaire. Kadolo, fils de Conrad, est qualifié comte, et son existence et celle de ses trois femmes est prouvée par deux actes de donation faits en 953 à l'église de Saint-Zénon, et par l'acte de fondation du monastère du Saint-Sauveur de Fucecchio dit de Borgo Nuovo. Lothaire, fils de Kadolo, fonde à son tour, en 994, le monastère du Saint-Sauveur de Settimo et continue, en 1006 et 1027, à enrichir le monastère de Borgo. On lui connaît deux enfants : une fille, Berthe, abbesse de Cavriglia du val d'Arno, qui a été béatifiée par le pape Benoit XIV et dont les Bénédictins célèbrent l'office chaque année le 24 mai, et fin fils, Guillaume, surnommé, on ne sait pourquoi, le Bulgare, qui paraît dans des donations faites à la cathédrale de Lucques et aux deux monastères de Saint-Sauveur en 1034 et 1048. En 1058, 1061 et 1070, comme feudataire de l'Empire, Guillaume le Bulgare est un des grands qui assistent Godefroi de Lorraine, duc et marquis de Toscane, puis Béatrix sa femme dans divers plaids tenus à Saint-Pellegrin et à Florence. En 1068, il est un des témoins du jugement de Dieu entre les moines de Vallombreuse et l'évêque simoniaque de Florence, Pierre de Pavie ; il reçoit du spectacle auquel il a assisté une si vive impression qu'il prend lui-même l'habit et meurt en religion l'an 1073. Le fils de Guillaume Bulgare, Hugues, surnommé le Grand-comte, fonde en 1080 l'hôpital de Rosaio, en 1088 l'église de Saint-Jean-Baptiste de Fucecchio, en 1089, le monastère de Camaldules de Morrona. En 1090, il renonce à tout patronage sur le monastère de Settimo ; il bâtit et dote, en 1096, le monastère de Sainte-Marie de Montepiano, et, la même année, ayant perdu sa femme Cécile, il institue, sur le territoire de la paroisse de Saint-Julien à Settimo, un hôpital pour les pauvres pèlerins qui subsiste avec sa destination jusqu'au milieu du XVIIIe siècle.

Des quatre fils du Grand-comte, un, Bulgarinus, semble avoir pris part à la première croisade ; deux autres, Ranieri et Lothaire, meurent sans hoirs vers 1099 ; Hugues seul continue la postérité. On trouve de lui, entre les années 1097 et 1112, vingt et un actes de donations. On est en lieu de penser, il est vrai, que ces donations sont fictives et qu'elles ont pour objet de mettre les biens de la famille sous la sauvegarde de l'Église dont les possessions seules en ces temps de guerres civiles étaient généralement respectées. Hugues, qui, comme ses ancêtres, est fort attaché à l'Empire, entraine la ville de Volterra dans le parti des Pisans, Gibelins déclarés. Les Florentins, après avoir ravagé et pillé toutes ses possessions, le poursuivent jusqu'en son château de Montecascioli, son dernier refuge. Après une énergique défense, le château est pris et détruit, et les Florentins réunissent à leurs domaines une grande partie des biens des Cadolingiens.

Hugues ne survit pas à ces événements qui prennent place en 1113. De ses fils, le cadet, Hugues, est un des chefs de l'armée qui soutient en Toscane le parti de l'Empire et il parait comme tel dans un acte de 1122, à côté de Frédéric de Souabe, qui sera Frédéric Barberousse. Il est le père du cardinal Guido qui, sous les pontificats de Calixte II, d'Innocent II, de Lucius II, d'Eugène III, joue dans l'Église romaine un rôle prépondérant et est l'un des conseillers du Saint-Siège qui contribuent le plus au maintien de l'unité catholique.

Le fils aîné du vaincu de Montecascioli, le comte Guido, pour conserver le peu qui lui reste de ses biens, a été contraint, en 1141, de jurer fidélité à l'archevêque de Pise et à la commune et de se mettre sous leur protection. C'est la déchéance de la famille, l'abandon par elle de cette Immédiateté de l'Empire qui la faisait quasi souveraine. A titre de vassal des Pisans, Guido est compris dans le traité de paix conclu entre Lucques et Pise, sous la médiation de Welf, marquis de Toscane ; il meurt, bientôt après, laissant deux fils, Hugues et Ardouin. Hugues est un des chefs des Pisans dans leur guerre contre les Génois et les Lucquois réunis et contribue à la victoire de Motrone ; mais, après la défaite de Frédéric Barberousse à Legnano, le parti gibelin est abattu pour longtemps. En 1198, les cités de Toscane forment ensemble une grande ligue qui achève les dernières résistances des comtes ruraux et des vassaux de l'Empire. A mesure qu'ils les ont désarmés, les Florentins obligent leurs adversaires à venir s'établir dans leur ville où une surveillance étroite maintient sans crédit et sans influence les seigneurs dépossédés. C'est ainsi que Janfaldo, fils de Hugues, habite en 1235 la paroisse de San Niccolò de Florence. Il y fait encore une donation à l'Église, mais, dans cet acte qui montre combien à présent est restreinte sa fortune, s'il ne garde plus le titre de comte — car il n'en a plus ni l'autorité ni les privilèges — il revendique le souvenir de ses ancêtres et tient à constater sa filiation et sa race.

Janfaldo a un fils : Guillaume. Celui-ci, fidèle aux opinions que les siens ont toujours professées, opinions que consacrent en quelque sorte le surnom qu'il prend ou qu'on lui donne, le surnom de BUONAPARTE, n'hésite pas, en janvier 1261, lorsque les Gibelins ont un moment l'avantage à Florence, à entrer dans le conseil insurrectionnel de la commune. Avec ce conseil, il expulse les Guelfes, il ratifie la ligue conclue avec les Gibelins de Sienne ; mais, bientôt, les Guelfes retrouvent leurs succès accoutumés. Sans attendre l'exil qui le menace, Guillaume Bonaparte émigre à Sarzane. C'est un contumace que vise en 1268 le décret de la République par lequel Guillaume Bonaparte et ses fils sont déclarés rebelles et exclus à jamais du territoire florentin.

 

Que fut la vie des Bonaparte à Sarzane durant sept générations ? Une petite ville, un grand village, mais avec les goûts d'art et de culture, les instincts d'indépendance et de gouvernement, les rêves d'ambition, les intrigues populaires qui, en toute agglomération d'hommes qui se fait alors en Italie, germent du sol, et rendent profondément instructives les luttes entre quelques citoyens d'un bourg, pour des intérêts que le plus souvent on ignore ; tant l'habileté est grande chez les deux partis, tant leur ingéniosité est efficace, tant ils sont féconds en ressources, tant ils courent de belles aventures, tant les hommes abondent, avec des destinées inférieures à leur génie qu'ils emploient tout entier pourtant sur ces minuscules théâtres. Et, tour à tour, selon les besoins, ces citoyens administrent leur cité, se chargent d'ambassades qu'ils mènent en diplomates avisés près des républiques rivales, des empereurs ou des ducs, se coiffent de l'armet de guerre, ceignent l'épée et se ruent aux batailles, égaux sans cesse à leur fortune et, comme de naissance, aptes à tout entreprendre et à tout mener à fin. Pour savoir la politique, c'est à ces maîtres qu'il faut s'adresser et, pour le métier de la guerre, ils ont des habiletés, des ruses et des expédients qui les rendent incomparables.

A Sarzane, les Bonaparte comme les autres citoyens d'importance ont été membres du conseil ou syndics de la commune, prieurs et capitaines des Anciens, gouverneurs des forteresses qui relevaient de leur ville, ambassadeurs, tantôt près la république de Lucques, tantôt près des Visconti, ou même près des Empereurs ; ils ont fait la guerre et la paix et ont été mêlés à toute la vie civile, politique, religieuse, militaire de leur nouvelle patrie. Mais l'horizon y était borné et l'argent manquait. Dans la, première moitié du XVIe siècle. François, septième descendant de Guillaume, passe en Corse et s'y établit.

 

Ses descendants prennent bientôt leur part à l'administration de la ville près de laquelle ils ont leurs biens. A chaque génération, on les voit siéger dans le conseil des Anciens et commander la milice, s'allier aux familles les plus distinguées et mener là une existence presque semblable à celle qu'ils ont eue à Sarzane. Toutefois, les intérêts sont moindres ; il y a encore cette continuelle alerte qui tient les cerveaux éveillés et les corps dispos, mais on ne se frotte point à d'autres peuples et les querelles, pour être aussi vives, pour exiger autant de diplomatie et de courage, ne regardent plus des objets qu'on peut dire historiques : le nom de Florence et de Lucques les mots d'empereur et de prince ne sonnent plus dans les ambassades à remplir. Bien qu'ils aient leur demeure à Ajaccio, c'est dans deux cantons assez éloignés de cette ville qu'ils ont leurs possessions, exercent leur patronage acquièrent peu à peu, non ces droits féodaux qui, du serf, font le plus souvent, en France, l'ennemi du seigneur, mais cette autorité patriarcale qu'on retrouve presque semblable en Écosse où les chefs de clans ont de singuliers traits d'analogie avec les chefs de pièves[6]. Bocognano est à six lieues et demie d'Ajaccio ; Bastelica presque à pareille distance. C'est à Ajaccio que les Bonaparte ont leur résidence, mais c'est à Bocognano et à Bastelica qu'ils ont leurs partisans.

C'est avec les gens de Bocognano et de Bastelica que marche Charles Bonaparte lorsqu'il prend part à la lutte pour l'indépendance. C'est à Bocognano et à Bastelica que Napoléon recrute pour son bataillon de volontaires ses meilleurs soldats et que, aux jours des proscriptions, il trouve des amis assez dévoués pour protéger sa vie au péril de la leur.

Autant qu'il est permis d'en juger, la fortune des Bonaparte est médiocre et a plutôt diminué qu'augmenté à chaque génération. Ils ne font point le commerce, ont quelques terres, des troupeaux, des vignes, une maison de ville, une habitation de campagne, vivent tant bien que mal des produits de leurs biens, mais vivent noblement — c'est-à-dire sans rien faire — et chichement.

Parfois, quelque prébende qu'obtient un cadet à la cathédrale d'Ajaccio vient aider un peu la famille, mais c'est là tout. Point d'esprit d'aventure, point d'idée d'aller se refaire sur le Continent. On vit là où l'on est né, content, semble-t-il, d'une existence modeste que remplissent les charges municipales et les soucis du lendemain. Mais, en Charles Bonaparte, le dixième descendant de François l'émigré de Sarzane, l'ambition apparaît et se fait jour.

 

Charles Bonaparte est né à Ajaccio le 27 mars 1746[7]. Resté orphelin à quatorze ans, il se trouve sous la tutelle de son oncle Lucien, archidiacre de la cathédrale, homme de volonté et d'intelligence qui semble s'être donné pour tâche de relever la famille. Est-ce l'archidiacre qui, dès 1759, en vue de quelque succession future, a rétabli le lien avec les Bonaparte de Toscane et a obtenu d'eux, le 28 juin, une reconnaissance authentique de consanguinité, d'autant plus utile que, cette branche jouissant du patriciat en vertu de lettres récognitives délivrées par le grand-duc de Toscane le 28 mai 1757, les Bonaparte de Corse se trouvent par là même agrégés à la plus haute noblesse ? En tous cas, tout de suite après la mort de Joseph (le père de Charles, élu en 1760 ancien de la ville et décédé cette même année), c'est l'archidiacre qui prend résolument la direction de la fortune et de la famille. C'est lui, semble-t-il, qui engage le procès avec les Jésuites au sujet de l'héritage Odone, accaparé par eux quoiqu'une substitution perpétuelle l'assure aux Bonaparte au défaut des diverses branches mâles des Odone[8]. C'est lui enfin, qui, vraisemblablement, envoie Charles à Corte pour y suivre les cours de cette Université que Paoli vient d'improviser et où des professeurs corses enseignent quantité de choses[9] — hormis la médecine et la chirurgie qu'on pourrait tenir pour les plus nécessaires, mais, ne s'étant point trouvé de médecin ou de chirurgien corse, on se passe de ces sciences plutôt que de les faire enseigner par un continental. Par contre, on y a le choix entre la théologie, l'histoire ecclésiastique, le droit canon et le droit civil, la philosophie, les mathématiques, les humanités, la rhétorique et la procédure. Charles prend le droit — les deux droits, Utrumque jus, comme on disait.

Étant d'Ajaccio, d'une des villes maritimes dont Paoli ambitionne la conquête et dont, dès à présent, par toutes sortes de moyens il cherche à s'attirer les sympathies, il est tout naturel qu'il soit présenté au général. Il rédige en son honneur quelques vers singulièrement flatteurs : car il a la muse facile à la louange[10], et il est reçu au nombre des secrétaires du gouvernement. Dans un voyage qu'il fait à Ajaccio cette même année, il s'éprend de Mlle Letizia Ramolino, nièce d'un chanoine de la cathédrale ami de son oncle. Outre qu'il aime cette jeune fille, belle alors à miracle[11], elle est un beau parti et d'une famille égale à la sienne.

 

La famille Ramolino, qu'on a dite bourgeoise et de petite origine[12], se rattache authentiquement et sans interruption à une des maisons les plus illustres d'Italie : celle des comtes de Collalto qui ont eu une domination quasi-souveraine en Lombardie avant le XIVe siècle. A la fin du XVe, le magnifique seigneur Gabriel Ramolino, gentilhomme florentin, fils du magnifique seigneur Abraham Ramolino, comte de Collalto, grand chevalier de l'ordre de Saint-Jean, est major aux gardes de Charles V, roi de Naples[13]. Par son mariage avec Clori Centurione, fille du sénateur Fabrice Centurione, il acquiert à Gênes de puissants protecteurs et, le 2 février 1490, il obtient du doge, des gouverneurs et procurateurs de la Sérénissime République d'importantes concessions de terres à Ajaccio où il vient s'établir. Il n'a qu'un fils, Nicolas Ramolino, qualifié, en 1524, illustre colonel au service de la République, et dont les descendants occupent les plus hautes dignités dans leur ville adoptive. Morgante, fils de Nicolas, est délégué le 8 juillet 1542 au sénat de Gênes comme orateur par le conseil des Anciens d'Ajaccio ; Gio Girolino, fils aîné de Morgante, est magnifique colonel et, le 8 mars 1622, est élu capitano della citta ; son petit-fils, du même nom, est admis au conseil des Anciens par ordre de la Sérénissime République, malgré qu'il n'ait pas vingt-cinq ans accomplis. Il a trois fils : l'aîné meurt sans hoirs, le troisième est abbé. Du second, Jean-Augustin, lieutenant dans la compagnie corse du capitaine Rocca, et époux de Marie-Thérèse Ricci, proviennent quatre fils : Jean-Jérôme, marié à Angela-Maria Pietra-Santa ; dom François-Marie, prêtre, curé archiprêtre d'Ajaccio ; Bernardin qui, s'étant marié à Angela-Maria Ornano, est père d'André Ramolino ; et Paduo-Antonio, époux de Maria Pretronille, d'où Angela-Maria, mariée à M. Lévie, dont les descendants ont été autorisés à relever le nom de Ramolino.

 

C'est de l'aîné des fils de Jean-Augustin, de Jean-Jérôme, qu'est née à Ajaccio le 24 août 1750[14] Maria Letizia Ramolino. Sa mère, née Pietra-Santa, d'une famille noble originaire de Sartène[15], étant devenue veuve en 1755, se remaria en 1757 à François Fesch, capitaine dans la marine génoise, originaire de Bâle, qui, pour l'épouser, se fit catholique. Elle eut de son second mari, le 3 janvier 1763, un fils unique, Joseph Fesch, qui joua un rôle important dans la vie de Napoléon.

Ce second mariage de Mme Ramolino ne doit point étonner. Son premier mari avait aussi servi les Génois. Il avait été nommé par la Sérénissime République commandant des troupes à Ajaccio, puis, en 1750, inspecteur général des ponts et chaussées de l'île de Corse[16]. Il avait dans ces emplois amassé une certaine fortune dont sa fille avait hérité.

 

Letizia Ramolino a quatorze ans au moment de son mariage ; son mari en a dix-huit. Le jeune ménage a un premier enfant, un fils, en 1765 ; une fille en 1767, tous deux morts en bas âge. Charles qui, dit-on, fait en 1766 un voyage à Rome[17], réside le plus ordinairement à Corte où, en dehors de ses fonctions auprès de Paoli, il est un des membres influents de la Consulte nationale[18]. Sa femme qui l'y a accompagné, accouche le 7 janvier 1768 d'un fils : Joseph. A la suite du traité du 15 mai 1768 par lequel la république de Gênes cède à la France le royaume de Corse, la lutte s'engage entre les Français, déjà maîtres des villes maritimes, et les Corses. Charles y prend part et, durant cette campagne des plus vives, a plusieurs occasions de se signaler. C'est ainsi qu'on le trouve à l'affaire de Borgo, le 7 octobre 1768 servant d'aide de camp à Paoli[19]. Ce combat de Borgo est une victoire pour les Corses qui tuent aux Français 1.600 hommes[20], leur font 700 prisonniers dont un colonel, leur blessent 600 hommes dont le comte de Marbeuf, commandant en second du corps expéditionnaire, et plusieurs officiers de distinction.

La campagne de 1768 se termine tout à leur avantage ; mais, dès le commencement de l'année suivante, aux renforts considérables qu'a reçus l'armée française, au système de guerre qu'a adopté le nouveau commandant en chef, le comte de Vaux, il est facile de voir que la soumission de la Corse n'est plus qu'une question de jours : le 9 mai, le combat de Ponte Novo porte un coup suprême à l'indépendance, moins par le nombre des miliciens qui y périssent que par les soupçons qu'éveillent les trahisons et par le découragement qu'inspire l'impéritie des chefs. Renonçant à la lutte, Paoli songe déjà à s'embarquer pour le continent ; il réalise ce projet le 13 juin, et emmène avec lui, sur deux navires anglais, trois cent quarante des patriotes les plus compromis.

Fuyant devant l'invasion française, les débris de l'armée corse battus à Ponte Novo, les membres du gouvernement, les femmes, les enfants, se sont réfugiés dans les solitudes du Monte-Rotondo.

Mme Bonaparte enceinte de son cinquième enfant est du nombre des fugitives. Déjà l'armée française est à Corte et nulle résistance n'est organisée. Le comte de Vaux, dit-on 3, prend l'initiative d'envoyer des parlementaires aux réfugiés qui députent à leur tour près de lui Charles Bonaparte et Nicolas-Louis Paravicini d'Ajaccio, Laurent et Damien Giubega de Calvi, Dominique Arrighi de Speloncato, J. Th. Arrighi et J. Th. Boerio de Corte et Thomas Cervoni de Soveria[21]. Le général en chef les reçoit au mieux, leur annonce le départ de Paoli, la soumission de l'île entière, loue leur courage et leur fidélité, leur promet la protection du Roi. Laurent Giubega répond au nom de tous avec une dignité singulière, et cet échange de paroles est pour inspirer aux vainqueurs du respect pour les vaincus, aux vaincus de la confiance en leurs vainqueurs.

Le comte de Vaux délivre à tous les réfugiés de Monte-Rotondo des passeports et des sauvegardes pour retourner dans leurs foyers. Charles, avec sa femme et ses enfants, revient à Ajaccio où, le 15 août 1769, Letizia met au monde son fils : Napoléon.

 

Cette date de la naissance de Napoléon a été contestée. On a dit que, dans un but de lucre, Charles Bonaparte aurait donné comme cadet celui de ses enfants qui était réellement l'aîné, et réciproquement. Il convient donc de rechercher, d'abord, quelle était la conviction de Napoléon lui-même au sujet de l'époque de sa naissance ; puis, quelles raisons on allègue au sujet d'une substitution d'actes de naissance.

Dans un document qu'il intitule Époques de ma vie[22] et où il a réuni les dates qu'il lui importait le plus de se remémorer, Napoléon a tracé son itinéraire de 1769 à 1788 et fournit ainsi la base même de toute étude sérieuse sur cette période de son existence. Voici ce document :

ÉPOQUES DE MA VIE

Né en 1769 le 15 du mois d'août.

Parti pour la France le 15 décembre 1778.

Arrivé à Autun le 1er janvier 1779.

Parti pour Brienne le 12 mai 1779.

Parti pour l'École de Paris le 30 octobre 1784.

Parti pour le régiment de La Père en qualité de lieutenant en second le 30 octobre 1789.

Parti de Valence pour semestre à Ajaccio 1786, 1er septembre.

Je suis donc arrive dans ma patrie 7 ans 9 mois après mon départ, âgé de 17 ans 1 mois. J'ai été officier à l'âge de 16 ans 15 jours.

Arrivé le 19 septembre 1786, j'en suis parti le 12 septembre 1787 pour Paris d'où je suis reparti pour Corse, où je suis arrive le 1er janvier 1788, d'où je suis parti le 1er juin pour Auxonne.

Ainsi, par trois fois, Napoléon affirme qu'il est né le 15 août 1769. Il l'écrit d'abord en toutes lettres. Puis, il fait le calcul de l'âge qu'il avait lorsqu'il est revenu dans sa patrie : 17 ans 1 mois ; enfin, il dit son âge lorsqu'il a été nommé officier. Ici, un lecteur superficiel pourrait croire à une contradiction : Napoléon écrit : Parti pour le régiment de La Fère en qualité de lieutenant en second, le 30 octobre 1785 et plus bas : J'ai été officier à l'âge de 16 ans 15 jours. S'il avait été officier seulement le 30 octobre 1785, il aurait eu à ce moment seize ans deux mois et quinze jours et non seize ans et quinze jours ; mais, en fait, c'est le 1er septembre 1785 que, comme ses camarades, les cadets gentilshommes, il a été promu au grade, en attendant que deux mois après, il eût l'emploi de lieutenant en second à la compagnie des bombardiers d'Autun du régiment de La Fère du Corps royal de l'artillerie. Cette apparente contradiction est au contraire, une preuve auxiliaire de la véracité de Napoléon.

Il avait donc l'intime certitude qu'il était né le 15 août 1769. Autrement, il ne l'eût point affirmé par trois fois, en une pièce tout intime, toute personnelle, qu'il n'avait écrite que pour lui seul et qui après un siècle a été découverte dans un carton oublié. Voilà pour ce qui touche Napoléon.

Pour ce qui concerne l'acte qu'on attribue à son père, la démonstration sera plus facile encore. Voici le fait brutal.

On a affirmé, récemment encore, et l'on a prétendu prouver[23] que Napoléon était né à Corte le 7 janvier 1768, que c'était son frère Joseph qui était né à Ajaccio le 15 août 1769 et que, pour permettre à Napoléon d'entrer, après l'âge requis, à l'école de Brienne, son père avait substitué le certificat de baptême du cadet au certificat de baptême de l'aîné. On se fonde pour le démontrer sur une série de dates inexactes fournies, soit par Joseph, soit par Napoléon lui-même lors de leurs mariages réciproques.

Pour admettre cette théorie, il faudrait que cette substitution eût été opérée dans la prime enfance des deux frères, avant qu'ils eussent conscience de leur âge, puisque Napoléon, ses frères et sœurs cadets ont toujours envisagé Joseph comme l'aîné de la famille ; puisque Joseph s'est toujours considéré comme tel et qu'il a très hautement et très formellement réclamé ses droits d'aînesse, puisque Napoléon a toujours regardé comme certaine la date de sa naissance et qu'il l'a ainsi constaté dans des notes aussi intimes. Qu'on eût ainsi interverti les dates de naissance au moment, où les enfants partaient pour le collège d'Autun, il n'est guère possible de l'admettre ; on n'eût point confié aux deux enfants un tel secret sans que, à un moment, ils le laissassent échapper et on vient de voir qu'ils n'en ont jamais eu le moindre soupçon. Donc, c'est presque à l'époque de leur naissance qu'il faut remonter, tout au moins à l'époque de leur entière inconscience.

Mais, dans quel but alors cette substitution ?

Jadis on disait : c'était pour que Napoléon pût dire qu'il était né Français et pût participer aux avantages que lui donnait l'indigénat[24]. Mais ces avantages étaient accordés à tous ceux qui, la conquête de la Corse accomplie, la soumission opérée, se trouvaient en âge et en droit d'en profiter. Les exemples et les preuves abondent. Il a donc fallu changer de système. On a dit : Le père de Napoléon a fait une série de faux pour rajeunir son fils Napoléon, vu que Napoléon avait dépassé l'âge d'entrée à l'École militaire et qu'il s'agissait de tromper le ministre de la Guerre. C'est bien là l'accusation telle qu'elle a été formulée. Or, dès 1778, le ministre de la Guerre était informé que l'intention de Charles Bonaparte était de faire entrer son fils aîné dans les ordres, et son cadet dans le service. On a tenu note, écrivait-il, que le plus jeune des enfants de M. Buonaparte qui sont inscrits soit agréé de préférence pour les écoles militaires} l'aîné paraissant se destiner à l'état ecclésiastique[25]. Donc, le ministre eût donné la place indifféremment à Joseph ou à Napoléon. Donc, il n'y avait nul besoin de le tromper, nulle utilité de faire des faux et nulle nécessité de s'en servir.

La question qui paraissait vidée depuis trente ans[26] ayant été soulevée de nouveau, il a bien fallu discuter. Peut-être est-elle enterrée pour quelque temps.

 

Il est inutile de chercher à Ajaccio la maison et la chambre où naquit Napoléon[27]. Nul ne doit ignorer que la maison Bonaparte a été saccagée et, dit-on, brûlée, par les Paolistes en 1793, qu'elle a été reconstruite à la fin de l'an V et au commencement de l'an VI[28], que Napoléon n'a pu venir dans la maison nouvelle qu'une seule fois, à son retour d'Égypte lorsqu'il a relâché à Ajaccio, du 10 au 14 vendémiaire an VIII, et que, le 2 germinal an XIII, il a fait donation de cette maison qui ne pouvait lui rappeler aucun souvenir au cousin de sa mère, M. André Ramolino. Il a par le même acte donné audit M. Ramolino trois autres petites maisons dites : maison Badine, maison Gentile et maison Pietra-Santa à la condition que, par la démolition de la maison Pietra-Santa et de partie de la maison Gentile, une place fût établie devant la maison Bonaparte et pavée aux frais du donataire.

La maison à l'extérieur et à l'intérieur, les décorations, l'aspect même des lieux, tout est modifié profondément. Rien ne subsiste qui soit contemporain de la naissance de Napoléon[29].

 

 

 



[1] La première fois que le nom est prononcé à la Convention, le Moniteur l'écrit : Buona-Parte. Dans le tableau des officiers généraux présenté par Dubois-Crancé en germinal an III, il est écrit Buonaparté (Neapolone). Napoléon lui-même parait avoir, sinon signe Buona-Parte lorsqu'il donnait son nom entier, au moins avoir usé pour son paraphe des deux lettres B. P.

[2] Histoire de la maison de Gondi, par Corbinelli, Paris, 1705,2 vol. in-4°. Cette affirmation s'y trouve produite par suite de l'alliance contractée en 1632 par Marie de Gondi avec Louis Buonaparte, fils de Fulvio Buonaparte. La tradition du passage en Corse d'une branche des Buonaparte de Sarzane est établie dans le curieux livre : Relazioni d'alcuni viaggi fatti in diverse parti della Toscana, par Gio. Targioni Tozzetti, Florence, 1779, t. XII, p. 91.

[3] L'éminent doyen de la faculté de Douai, M. Abel Desjardins, en même temps qu'il recueillait à Florence les éléments de son ouvrage : Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, a mené, sur les origines des Bonaparte de Corse, un travail sur pièces dont je ne saurais, après l'avoir sévèrement contrôlé, mieux faire que d'adopter toutes les conclusions. Ce travail est demeuré inédit. Une copie authentique et autographe appartenait à S. A. I. Madame la princesse Mathilde. Elle a daigné en disposer en ma faveur.

M. Abel Desjardins est arrivé par d'autres voies aux mêmes conclusions que M. Federico Stefini dans Le Antichità dei Bonaparte, Venezia, 1857, fol. Mais, bien qu'il ait lui-même découvert un grand nombre de pièces à l'appui de la thèse qu'il soutient, il convient de reconnaître que la base première lui a été fournie par le comte Louis Passerini, lequel a lui-même publié d'importants documents sous le titre Della origine della famiglia Bonaparte dimostrata con documenti, Florence, 1856, 8°, extr. de l'Archivio storico Italiano, t. III, p. 2 et t. IV, p. 1. Voir aussi Reumont, Bonaparte'sebe Erinnerungen in Toscana dans le tome IV de ses : Beitragen zur Italienischen Geschichte, Berlin, 1855.

[4] Sans empiéter sur le domaine de mon jeune ami Alberto Lumbroso, le savant et infatigable chercheur dont on ne saurait trop recommander la Bibliografia Napoléonica, il est nécessaire d'indiquer quelques-uns des ouvrages qui ont été consacrés eu Italie à l'étude de la question. Il convient d'attacher une importance aux Cenni intorno alla genealogia della famiglia Buonaparte di Felice Turotti, Brescia, 1852, in-8°. Ce travail a pour base l'arbre généalogique établi en 1809 par le savant Giuseppe Alli-Maccherani, par ordre de la grande-duchesse Elisa ; il faut mettre à part de même la Storia genealogica della famiglia Bonaparte dalla sua origine, scritta da un Summiniatenze, Firenze, 1845, in-8°, mais je ne trouve rien à prendre ni dans le pamphlet I Malaparte ed i Bonaparte, Torino, 1869. in-12, ni dans la Famiglia Bonaparte dal 1783 fino al 1834, per N.-J. de C. (Nicolas-Jeno de Coronci), Napoli, 1840, in-8°, ni, en général, il faut l'avouer, dans les livres français : M. A. Silvy a publié en 1858 une brochure : Des origines de la famille Bonaparte (Paris, in-8°), c'est une analyse du livre de Stefani. De même, la brochure de Rapetti, Quelques mots sur les origines des Bonaparte, n'a aucune valeur ; ce n'est rien que les Bonaparte avant 1789, de M. J. Favé, Rennes, 1853, in-8°, et j'ai vainement cherche la Biographie de Laetitia Ramolino, par M. Alfred Courval, où se trouve, selon M. d'Orcet (Revue Britannique d'avril 1893) une très curieuse généalogie des Bonaparte.

[5] Manuscrit en ma possession.

[6] Il y a bien en Corse une noblesse féodale, mais les cinq ou six fiefs qu'elle possède sont sans importance par rapport à l'ensemble de la population. Les privilèges de cette noblesse ont été singulièrement amoindris par Paoli, et l'on peut dire que si elle a encore, par rapport aux autres nobles, une supériorité morale, elle n'a de supériorité effective que dans l'étendue de ses biens. Quant aux autres nobles, tous leurs privilèges consistent, a dit un auteur corse, à prendre dans les actes publics et privés les qualifications de seigneurs et de nobles, sans qu'il en résulte ni suprématie pour eux, ni infériorité pour les autres.

[7] Sa sœur Gertrude, de cinq ans plus âgée que lui, épouse le 25 juin 1763 son cousin germain Nicolo Paravicini, fils de J.-B. Paravicini — frère de Saveria, femme de Joseph Bonaparte — et de Mlle Benielli.

[8] Cette succession vient aux Bonaparte de Virginia Odone, arrière-grand-mère de Joseph, de Lucien et de Napoléon Bonaparte (ledit Joseph père de Charles), mariée en 1657 à Charles-Marie Bonaparte.

[9] Jacobi, Histoire générale de la Corse, Paris, 1835, II, 272.

[10] J'ai trouvé dans les papiers Libri un Cauzone sans signature qui pourrait bien être de Charles Bonaparte, mais on connaît assez sa poésie par le sonnet à Marbeuf.

[11] Qu'on se souvienne de ce portrait qui appartient à Mme la duchesse de Padoue, ce portrait où Mme Bonaparte est représentée dans le costume corse avec une sorte de voile noir sur la tête, ce portrait qui à l'Exposition des portraits du siècle, attira et retint tous les regards. C'est ainsi qu'il faut se la figurer, plus jeune encore, plus fraîche, d'une beauté de lignes qu'on retrouve, de notre temps, en une de ses petites-filles : Mme la comtesse Bracci-Castracane.

[12] Miot, Mémoires, II.

[13] Documents originaux fournis par M. le conseiller Levie-Ramelino.

[14] La date est douteuse. M. le baron Larrey dans son livre Madame Mère, Paris, 1892, 2 vol. in-8°, incline pour le 29 août 1749 ; M. de Brotonne dans Les Bonaparte et leurs alliances paraît tenir pour le 24 août 1750. L'acte de baptême n'a pas été retrouvé.

[15] Mme Angela-Maria Pietra-Santa avait une sœur, Antoinette, laquelle épousa M. Benielli dont elle eut une fille nommée aussi Antoinette, devenue en 1774 la femme d'Hyacinthe Arrighi de Casanova. Les Benielli, comme on a vu ci-dessus, étaient déjà alliés aux Bonaparte. Le 2 germinal an XIII, l'Empereur, étant au château de Malmaison, rachète au cardinal Fesch les pièces de terre sises aux lieux dits Stiletto et Timizzoli près d'Ajaccio, appartenant précédemment à la commune d'Ajaccio adjugés à Son Eminence en vertu de la loi du 13 pluviôse an IX, et il en fait donation à dame Marie-Anne Pietra-Santa, veuve Benielli, et à son défaut, à Antoinette Benielli, épouse de Hyacinthe Arrighi à charge par elle de faire bâtir une belle maison du coût de 50.000 francs dans l'endroit où l'on agrandit la ville d'Ajaccio et l'obligation à ses enfants de s'établir à Ajaccio. Cette donation fut le moindre des bienfaits de Napoléon envers cette famille : on sait quelle fut la fortune surprenante de Jean-Toussaint Arrighi de Casanova, créé duc de Padoue, élevé au grade de général de division, comblé de dotations et de présents. On aura dans un autre livre à expliquer toute cette histoire.

[16] C'est ce qui explique comment une parente très proche de Mme Bonaparte avait épousé un Franc-Comtois, M. Charles Rolier, lequel était venu pour des travaux publics en Corse. M. Rolier eut une fille que l'Empereur dota et qu'il maria à Lefebvre-Desnouettes, son écuyer, colonel des chasseurs de la Carde. Il leur donna à leur mariage son hôtel de la rue Chantereine — entre autres choses — car Lefebvre-Desnouettes fut toujours un des préférés de l'Empereur.

[17] Nous n'en avons trouvé nulle trace. Il s'agissait, dit Iung, I, 34, de poursuivre une instance pour la substitution des biens Odone.

[18] Dès 1765, par suite du traité de Compiègne du 7 août 1764, deux bataillons français occupaient Ajaccio, mais cette occupation n'était considérée que comme temporaire et n'entraînait nullement que les Ajacciens se considérassent comme sujets. D'histoire de la conquête de la Corse a été écrite d'une façon définitive au point de vue militaire et français par M. le comte Pajol, Les guerres sous Louis XV, Paris, Didot, 1885 et suiv., 7 vol. in-8°, t. VI, p. 31 et suivantes.

[19] Jacobi, II, 331.

[20] Renucci, Storia di Corsica, Bastia, 1834, in-8°, I, 85.

[21] Certains historiens placent cette députation à la date du 23 mai (Iung, I, 38). Sans donner de date, Renucci indique formellement qu'elle est postérieure au départ de Paoli, c'est-à-dire au 13 juin.

[22] Inédit ; fonds Libri.

[23] Th. Iung, Bonaparte et son temps, t. Ier, p. 39 et suivantes. — Dr Fournier, Napoléon Ier (trad. Jaeglé), t. Ier, p. 5.

[24] Voir Eckard, Question d'état civil et historique. Napoléon Buonaparte est-il né Français ? Paris, 1826, in-8° et Note supplétive s. d. qui indique la plupart des éléments des polémiques auxquelles a donné lieu la fixation de cette date.

[25] Cette pièce a été publiée cil 1866 par M. de Montzey, Institutions d'éducation militaire jusqu'en 1789, Paris, 1866, in-8°, p. 246. Donc M. Iung, qui a publié eu 1880 Bonaparte et son temps et qui, dans ce livre, emprunte fréquemment ses documents à Montzey sans le citer, n'a pu manquer d'en avoir connaissance. Quant au docteur Fournier, malgré les apparences d'impartialité qu'il prétend se donner, il est évident au premier coup d'œil que son érudition, toute de surface, n'a pour base que les pamphlets.

[26] Jal dans son Dictionnaire critique (p. 900) avait déjà par d'autres arguments lumineusement éclairé la question, mais les deux documents que je viens de citer lui manquaient pour sa démonstration.

[27] Voir une description poétique par M. Pierre Loti, intitulée : Dans le passé mort. Il est regrettable que le point de départ soit faux et cela gâte un peu ce très beau morceau ; mais, à coté, combien d'inepties auxquelles a donné naissance la description de la chambre natale !

[28] Lettre de Joseph du 17 messidor V, et lettre de Madame du 5 brumaire VI (ap. Larrey, I, 260).

[29] On pourrait s'étonner que, malgré la donation de l'an XIII, la maison Bonaparte soit sortie de la famille Ramolino pour rentrer aujourd'hui aux mains de S. M. l'impératrice Eugénie. Cela tient à des causes qui demandent à être expliquées. Le 28 décembre 1851, M. André Ramolino, donataire delà maison Bonaparte, mourait, laissant pour légataire universel son neveu M. Levie-Ramolino, lequel recueillait sa succession. Le 1er décembre 1834, Madame Mère, prenant la qualité d'héritière, en France, des biens délaissés par son petit-fils, le roi de Rome, mort le 25 juillet 1832, assignait M. Levie-Ramolino par-devant le tribunal de première instance d'Ajaccio, en délaissement des immeubles compris dans la donation du 2 germinal an XIII, attendu que la donation était révoquée de plein droit par la survenance d'un enfant au donateur, c'est-à-dire par la naissance du roi de Rome. Après la mort de Madame Mère, l'instance était reprise au nom de ses héritiers par exploit du 25 août 1S37. Elle restait néanmoins impoursuivie jusqu'au 7 décembre 1842, où elle était reprise par Joseph Bonaparte, cessionnaire des autres ayants droit. Une transaction intervenait entre les parties le 3 juin 1843. M. Levie-Ramolino cédait à titre purement gracieux à Joseph Bonaparte, afin qu'il pût lui donner une destination conforme à ses désirs, la maison dite Bonaparte, située dans la ville d'Ajaccio, aboutissant d'une part à la place Letizia, d'autre part à la rue del Pevero avec toutes ses dépendances. (Il en avait refusé 300.000 francs de Pozzo di Borgo en 1833 et plus tard 200.000 francs du duc d'Orléans.) Par contre le prince Joseph se désistait de toute instance sur les autres biens faisant l'objet de la donation de l'an XIII. Il entrait en possession en juin 1844 par son fondé de pouvoirs, M. Antoine Ponte. A la mort du roi Joseph (28 juillet 1844), la maison paraît avoir été délaissée quelque temps par son gendre, le prince Charles de Canino (mari de la princesse Zénaïde) à la famille Pietra-Santa, en garantie, d'un legs de 50.000 francs fait par le cardinal Fesch (dont Joseph avait été légataire universel) à son filleul M. Prosper Pietra-Santa. Reprise plus tard par la princesse Zénaïde, la maison fut offerte par elle à l'empereur Napoléon III.