L'Europe va se ruer aux Tuileries, Anglais, Allemands, Napolitains, Prussiens, Polonais. Le 2 de chaque mois, il y aura un dîner où seront invités les deux consuls, les huit ministres et leurs femmes, le ministre de la République Italienne, dix conseillers d'État, quatre généraux, soit trente personnes, auxquelles le Consul ajoutera celles qu'il lui plaît de prier. Le dîner se donne au rez-de-chaussée dans les appartements de Mme Bonaparte. Le 15 du mois, il y a un autre dîner plus nombreux encore, où les femmes paraissent, assez rares d'abord, car le 15 pluviôse (4 février 1804), sur quatre-vingt-six convives il n'y a que sept dames : deux de la famille, Hortense et Mme Murat, puis Mme Davout qui, étant née Leclerc, est belle-sœur de Paulette, Mme Bessières, la femme du commandant de la Garde, Mme Devaines dont le mari est conseiller d'État et siégera un mois durant à la nouvelle Académie française et puis Mme Didelot et Mme Legendre de Luçay, dont les maris vont être préfets du Palais et qui s'exercent au métier. Le 2 ventôse, il n'y a que Mme Chaptal et M-e Fouché, mais le 15, qui est le samedi 6 mars, il s'en trouve quinze sur cent vingt-quatre convives — membres du Corps diplomatique, du Sénat, du Corps législatif, du Tribunat, des Tribunaux, cinquante et un généraux ou colonels ; les femmes, sauf Mmes Vaubois, Mme Bernadotte et Mme Richepanse, sont la plupart les femmes des aides de camp du Consul, mais la société civile commence à se former avec Mmes de Luçay et Didelot, Mme Devaines, Mme Lavallette et Mme Lagrange ; on retrouvera ces femmes-là durant toute la période napoléonienne, et certaines, comme Mme Devaines, si toutes ses lettres étaient publiées, auraient écrit assurément la meilleure histoire de cette cour. Le 15 germinal (le lundi 5 avril) on voit apparaître les clames étrangères, Allemandes, Napolitaines, Génoises, Prussiennes, Romaines, Espagnoles, Russes, il y en a treize et vingt et une Françaises. Quelques hommes anglais, point encore de femmes : elles paraîtront seulement le 15 floréal (5 mai). Et cela continue ainsi ; il y a chaque fois prés de deux cents personnes. Certaines nuances avertissent que le Consul prétend à un rang supérieur et qu'il y porte non seulement sa femme qui, dès ce moment, est amenée à recevoir les dames étrangères et qui en arrive presque tout de suite à tenir cercle, mais ses frères qui, sans qualité dont ils soient revêtus, figurent en tête de toutes les listes. Lui-même aux jours de banquet passe seul à table, puis viennent Cambacérès et Mme Bonaparte. On reste à table une demi-heure et dans la soirée, Mme Bonaparte joue au reversi avec une dame, un ambassadeur et un ministre, comme faisait la reine. Le Consul demande qu'on exécute un sabre de dimensions médiocres et commodes pour qu'il soit porté par lui dans les grandes solennités. Il devra être d'accord avec les usages et les formes civiles du costume consulaire et dessiné de manière à avoir pour ornements le Régent et d'autres diamants d'un aussi grand prix. Bonaparte, à ce propos, raconte dans le Moniteur comment le Régent le plus beau diamant que l'on connaisse avait été mis en gage et a été retiré par le gouvernement et il ajoute : Le luxe et la parure des diamants ne conviennent, il est vrai, qu'aux femmes, mais le Régent, par sa grandeur, sa beauté et sa rareté, fait exception. L'établissement de cette épée fut payé à Boutet 6.689 fr. 51. Le Premier Consul la portait aux grands dîners et en faisait assez volontiers les honneurs : Remarquant, dit un général qui dîna un de ces soirs-là aux Tuileries, avec quelle attention on regardait cette épée, il dit, en la sortant du baudrier : Vous voyez, Messieurs, l'épée du chef du gouvernement français. Elle contient pour 54 millions de diamants. Comme le marquis de Lucchesini s'avança pour la considérer de plus près, il la lui remit. Elle passa ensuite de mains en mains. J'ignore, ajoute Thiébaut, l'effet que leur fit la possession momentanée de ce joyau, mais, après le premier étonnement, j'eus la sensation de tenir entre mes mains le symbole d'un esprit nouveau, la glorification de la force militaire figurée par l'incroyable richesse d'une épée. Chaque jour ce sont de nouvelles signatures de paix, de nouvelles présentations, des fêtes nouvelles, toutes politiques il est vrai ; car, lorsque Hortense épouse, rue de la Victoire, le frère du Consul et que Bonaparte en profite pour réhabiliter le mariage de Caroline, c'est Mme de Montesson qui, par un bal, célèbre les noces de sa jeune amie et le faubourg Saint-Germain s'empresse à y être invité. Mais, pour ces fêtes républicaines inusitées et singulières qui n'ont point de modèle royal auquel l'on puisse se conformer, il faut bien qu'on imagine et qu'on règle une étiquette, pour quoi Benezech ne parait point suffire. Benezech qui, avant la Révolution, dirigeait un bureau
d'affaires et était propriétaire des Petites Affiches, n'a de rapport
avec l'ancienne cour que sa femme, veuve du baron de Boeils. Il était très brun, gros et d'une belle prestance. Il
avait, écrit Revellière, les manières, les
formes, les habitudes d'un courtisan consommé ; aussi, dès le temps du
Directoire, dans tout ce qui tenait à ses fonctions, tachait-il d'introduire
l'ancien protocole monarchique. Cela ne lui avait point réussi, bien
qu'il fût d'une activité rare, souple, adroit, plein
de ressources et que rien ne l'embarrasse. Mais il avait eu le tort de
se laisser tenter par cette place : On avait alors
une si grande idée des magistratures civiles, et l'on regardait encore le
service de cour comme si peu honorable, que les conseillers d'État furent
scandalisés de voir un ancien ministre de l'Intérieur, un de leurs collègues,
la canne d'huissier à la main, faire le maître des cérémonies et même le
maître d'hôtel du Premier Consul. Telle fut, en effet, l'impression
générale et il sentit lui-même qu'il avait devancé les âges et que ses temps
n'étaient point venus. Bien que, comme chargé spécialement de
l'administration du Palais, il eût, entre autres agréments relatifs à sa
fonction, un logement dans les bâtiments de l'Orangerie, il n'était point en
faveur et il n'aspirait qu'à trouver une place où il pût faire fortune. Aussi
intrigua-t-il pour être envoyé, avec le général Leclerc, comme préfet
colonial à Saint-Domingue ; il y mourut presque aussitôt après son arrivée et
le Premier Consul soutint par une pension, que compléta Joséphine, la misère
de sa femme et de ses deux filles. On lui avait donc donné des adjoints et ce furent Legendre de Luçay, qui était préfet du Cher, et Didelot, qui avait été préfet du Finistère ; leurs pères étaient fermiers généraux et eux-mêmes, avant la Révolution, étaient de finance. Ils avaient, dès le Consulat, été accueillis dans l'administration où l'on ne saurait dire, vu le peu de temps qu'ils y sont restés, qu'ils aient particulièrement réussi ; mais cela n'était point en question. On les avait pris pour des gens bien nés et peut-être sur leur bonne foi, bien qu'en vérité cela donnât à rire. Ce fut par une lettre du troisième Consul — Le Brun — que Mme de Luçay, qui était née Papillon d'Auteroche, nièce par suite de Papillon de la Ferté, jadis intendant des Menus, fut instruite de la nouvelle. La lettre qu'elle reçut au lieu de son mari qui venait d'être malade, était accompagnée d'une dépêche officielle. Le gouvernement, citoyen préfet, écrivait Le Brun, le 25 vendémiaire an X (17 octobre 1801), veut donner plus de dignité à la représentation consulaire et, pour cela, il a cru qu'il fallait quatre personnes qui fussent chargées de faire les honneurs du palais aux ambassadeurs, aux autorités constituées, et qui pussent remplir quelques missions de confiance près les cours étrangères. C'est mieux que ce qu'étaient les introducteurs des ambassadeurs ; c'est mieux que ce que vous avez vu le citoyen Benezech. Pour remplir ces places, le gouvernement désire des hommes qui, ayant une considération personnelle acquise par des fonctions honorables, par des circonstances de famille et de fortune, puissent recevoir chez eux les ambassadeurs et les étrangers distingués, donner enfin l'idée d'une nation polie et d'un gouvernement honorable. Quand Luçay arriva de Bourges à Paris et qu'il vit Le Brun, celui-ci lui parla longuement de la nouvelle place des préfets du Palais. On veut rendre ces places marquantes, lui dit-il, et, pour cela, d'abord, il est convenu qu'il y aura toujours un des quatre préfets nommé ambassadeur chez l'une des grandes puissances. Le service ne se fera que par cieux, de façon qu'on aura toujours six mois dans l'année pour disposer son temps à son gré. Le temps du service ne sera pas par lui-même très assujettissant parce que le Premier Consul a éloigné les jours de réception. On ne compte pas que les nouveaux préfets doivent avoir-une trop grande maison ni que leur maison doive être ouverte. Ils donneront seulement à diner, à peu près une fois par mois, aux ambassadeurs et auront, clans le même espace, quelques jours de réception, le soir, où il ne s'agira que de thé, brioches, etc. Ainsi, écrit M. de Luçay à sa femme, je suis sûr que cela te fera plaisir. Chaque jour il lui envoie de nouvelles informations au sujet des attributions et du traitement de la place. On ira au Conseil d'État, où l'on aura un bureau ; le traitement sera de 25.000 francs ; on aura le costume écarlate avec broderie d'argent. Je pense, écrit M. de Luçay, que ma place sera autre chose que ce qu'elle est aujourd'hui. Si elle n'était que ce qu'elle est dans ce moment elle nie flatterait bien peu. Le pauvre homme ! Un habit rouge, 25.000 Francs, des présentations à faire, des gens à placer, des cortèges à conduire, c'est tout et c'est assez. Car les magnificences promises, entre autres les ambassades et les grandes places, disparaîtront comme sur la mer les palais de la fée Morgane. Les préfets n'ont, à la vérité, aucune notion de ce qu'ils
doivent faire ou faire faire pour 25.000 francs et il leur manque la première
des vertus d'un courtisan : savoir rester debout. Dès son début, M. de Lucay
écrit à sa femme : J'avais passé quatre heures sur
mes jambes chez le Premier Consul. De là, j'ai été chez le consul Lebrun où
l'on ne s'asseoit pas davantage. Hier, j'ai encore passé quatre heures debout
chez le Premier Consul où j'ai commencé mon apprentissage en présentant,
concurremment avec M. Henezech, les ambassadeurs ; puis j'ai dîné au Palais
avec environ cent vingt personnes. Mais cela ne serait rien encore : J'ai passé mes journées, écrit-il, sans chapeau sur la tête. Et cela est la grosse
affaire : Pourvu qu'au milieu de ces événements extraordinaires, M. de Luçay
ne se soit pas enrhumé. Tout les presse à ce moment, et comment les heures suffisent-elles ? Il s'agit de finir ces traités de paix dont les préliminaires seuls sont signés ; de recevoir l'Europe entière qui, par curiosité ou par intérêt, se rue sur le Paris révolutionnaire et l'envahit ; il faut alterner les dîners à quarante-cinq personnes où parait les Bonaparte, avec les banquets à cent quatre-vingts couverts où, au milieu des personnages les plus décoratifs du gouvernement, les militaires décorés de sabres d'honneur ont une place distinguée : Dans ces banquets, il s'agit de faire des expériences comme de répandre le pain à trois et quatre sols la livre, qui, quoique moins blanc que l'autre, n'en est pas moins déclaré par les convives très bon et très savoureux. Il s'agit de préparer cette expédition de Saint-Domingue dont Napoléon voudra plus tard rejeter la faute sur Joséphine, comme si la France entière n'y avait pas applaudi — économistes, créoles, soldats, tous ceux qui voyaient justement dans Saint-Domingue un Eldorado, l'Eldorado qui, par le labeur forcé de ses nègres, négresses et négrillons, avait apporté à la France de l'ancien régime son luxe aimable, son renouveau de plaisirs, ses joies d'élégance, le suprême raffinement de ses lingeries blanchies dans les Iles. Le Consul va au théâtre, il assiste aux Français aux débuts, dans Mélanie, de Mlle Bourgoing, cette fleur nouvelle, tout à l'heure la déesse des ris et des plaisirs, au teint clair, dont les yeux doux éclairent le visage un peu court d'une illumination de gaîté. Et l'ascension de Mme Bonaparte continue. On ne lui présente pas encore officiellement les femmes : c'est dans des maisons tierces, comme chez Mme de Montesson, que la cérémonie s'accomplit. Ainsi les choses se passent pour Mme Diwoff, tout récemment arrivée de Berlin. Mme Bonaparte la reçoit le matin aux Tuileries, puis l'invite à déjeuner avec des gens qui ont quelque chose à demander. Lorsque, en mars, Mme Diwoff est présentée au Premier Consul : N'est-ce pas, lui dit-il, madame, qu'on danse ici mieux qu'à Berlin. Si j'ose dire, nos jeunes dames et nos-jeunes gens dansent trop bien pour des honnêtes gens ! Mot qui doit porter, car il le répète et il y tient. N'est-ce pas le temps où lorsque chez elle, en solo, danse Mme Récamier, les Anglais montent sur les meubles pour la regarder. Aussi bien chez Mme Hamelin que chez M de Beauharnais le goût de la danse a pris une forme de passion, mais, sauf quand on valse, ce qui est indécent et ne se fait pas, la femme et l'homme dansent isolés, seule façon qu'on les admire et qu'ils déploient leurs grâces. Ainsi font-ils leurs effets, niais, fort justement, le Consul n'aime point que les hommes et les femmes de la société jouent aux baladins et suffit-il de quelques paroles de ce genre pour mettre les sociétés au pas. Rien de plus difficile au surplus que de régler et d'accorder ces pas de danse et, pour peu qu'on les perde des yeux, comment ne sortiraient-ils pas des règles ? Il s'agit de faire mieux et de. bien plus : Celui qui vient de conclure la paix avec l'Europe, qui s'efforce en ce moment à doter la France d'un Code de Lois qui résistera à un siècle d'attaques, le Premier Consul est entré en lutte déclarée avec le Tribunat, le Corps Législatif et l'Institut, à propos du Concordat. Il s'agit de savoir si Daunou et Dupuis, deux des coryphées de la résistance, entreront au Sénat ; il s'agit de savoir si Bernardin de. Saint-Pierre, honni à l'Institut, pressé, presque battu, parce qu'il a dit qu'il croyait à l'existence de Dieu, aura le droit d'exprimer, en des ternies aussi modérés. une opinion que le Premier Consul trouve admissible. Il s'agit de savoir si le pacificateur du monde, qui sent derrière lui la France, s'arrêtera devant ce barrage d'imbéciles et de gredins, pour qui le mot de liberté signifie d'abord l'oppression des autres. Laissant Lucien négocier avec les parlementaires, acheter les uns, menacer les autres, il part pour Lyon on il a convoqué la Consulte Italienne. C'est la République Cisalpine qu'il transforme, à laquelle il va donner une constitution analogue à celle qu'il médite pour la France. Ce voyage de Lyon est la première occasion où Mme Bonaparte est mise officiellement en vue ; où elle parait revêtue d'une sorte de dignité officielle. A l'arrivée, après soixante heures de route dans la neige, concert et bal ; deux jours après, bal offert par le commerce à Mme Bonaparte ; puis, bal offert par les généraux. Et on lui dédie des vers, et, dans les fabriques qu'elle visite avec son mari — par exemple chez de Barre, Théoleyre et Dutilleux — des métiers sont montés où l'on achève en sa présence un écran en velours à son chiffre. Le 30 nivôse (20 janvier) la fête lui est uniquement offerte. Une députation de Lyonnaises lui présente une corbeille de fleurs qu'elle reçoit avec autant de grâce que de sensibilité. Le fond de la salle offre la représentation d'Androclès tirant l'épine de la blessure du lion. L'allégresse générale est excitée par une musique agréable, une illumination éclatante, une affluence prodigieuse et surtout par la présence du Premier Consul et de son épouse. Mme Bonaparte, ainsi que presque toutes les dames qui participent à la fête, est vêtue en étoffes de soie de fabrication lyonnaise et c'est là une des politesses que le Premier Consul sait faire à la ville de Lyon. Bien autre chose pour Mme Bonaparte le 5 pluviôse (25 janvier) quand elle va seule à la fête qui lui est offerte par l'armée dans le bâtiment de Sainte-Marie de Bellecour. Après avoir parcouru la salle, elle prend place sur une estrade surmontée de guirlandes et de couronnes de fleurs avec cette inscription : Les grâces unies à la valeur. Et au retour à Paris, le pas est franchi. Le 18 ventôse (9 mars) les journaux annoncent que les épouses des ambassadeurs, ministres et envoyés des puissances étrangères ont été présentées à M'me Bonaparte et qu'elles lui ont présenté chacune plusieurs dames de leur nation qui se trouvaient à Paris. Cela est le rétablissement de l'étiquette que l'on suivait vis-à-vis de la reine. Mais voici bien mieux : C'est, après les illuminations et les fêtes qui célèbrent la paix d'Amiens, la publication d'une autre paix à propos de laquelle on présage l'assassinat du Consul et-la reprise de la Révolution, c'est la proclamation du Concordat. A six heures du matin, la loi est promulguée par le Consul, soixante coups de canon ; à huit heures dans les rues, un cortège la proclame. A dix heures et demie, le Consul fait défiler la parade dans la cour du Carrousel, et il distribue des drapeaux à diverses unités nouvelles. A onze heures et demie, en habit écarlate sans revers, avec large broderie de palmes eu or sur toutes les coutures, un sabre d'Egypte suspendu par un baudrier très étroit, avec un col noir, des culottes de soie, des souliers à boucle, un chapeau à la française avec panache tricolore, il part des Tuileries. En tête, hussards, chasseurs, dragons, grenadiers de la garnison, puis infanterie légère de la Garde, légion de gendarmerie d'élite à pied et à cheval, grenadiers à pied, chasseurs à cheval de la Garde. Ensuite les voitures des conseillers d'Etat, des membres du corps diplomatique, et celles à quatre chevaux des ministres et celles à six des Consuls. Au-devant de la voiture du Premier Consul six chevaux de main conduits par des mamelucks. Sa voiture à huit chevaux est couverte de laquais en livrée verte et or, les généraux de la Garde chevauchent à côté et deux piquets de cavalerie la cernent ; le cortège se termine par les grenadiers à cheval et cinquante gendarmes. Toute la domesticité des ministres, des ambassadeurs, des consuls est en livrée. Tout-reluit de neuf, tout éclate d'argent et d'or ; on est déjà loin des fiacres au numéro couvert de papier. Quand Bonaparte entre dans l'église quatre bataillons d'infanterie y sont établis et tiennent toutes les issues. La messe est célébrée pontificalement, avec des chœurs du Conservatoire pour lesquels Sarrette, d'un ton de maître, a réclamé des répétitions sous peine d'empêcher l'exécution. Puis les évêques prêtent serment aux mains du Consul. Au retour, salve de soixante coups de canon. Rien ne s'est passé, nul attentat des généraux boudeurs. Si pourtant : une bataille de dames. Le Premier Consul a ordonné de réserver à Notre-Dame, pour sa femme et sa famille, la tribune qui séparait le chœur de la nef. On y a placé une sentinelle, mais Mme Hulot arrive avec sa fille Mme Moreau, force la consigne et s'empare du siège destiné à Mme Bonaparte. Le Consul le voit en entrant dans l'église et il ressent .si vivement l'injure qu'il ne reverra point Moreau. Ainsi, écrit le ministre de Prusse à sa cour le 8 floréal (28 avril), tout reprend autour du Premier Consul et de son épouse les allures et l'étiquette de Versailles. Le luxe d'apparat, équipages, livrées, nombreux domestiques, reparaissent de tous côtés. On met du choix clans l'admission des étrangers et les femmes étrangères présentées au Premier Consul, au cercle de son épouse, lui sont nommées par tilt des Préfets du Palais. Il prend quelque goût pour la chasse, et les forêts où chassaient jadis les rois de France et les princes du sang vont être réservées pour lui et les officiers de sa suite... Il ne manque qu'un nom nouveau à ce nouvel état de choses. Le Sénat, qui a reçu un premier et formel avertissement, prend une délibération portant réélection de Bonaparte pour dix années. Le Consul refuse : Le suffrage du peuple, dit-il ; m'a investi de la suprême magistrature. Je ne me croirais pas assuré de sa confiance si l'acte qui m'y retiendrait m'était pas encore sanctionné par son suffrage. Le 20 floréal, les Consuls, le Conseil d'Etat entendu, arrêtent : Le peuple français sera consulté sur cette question : Napoléon Bonaparte sera-t-il Consul à vie. Le peuple répond : sur 3.577.259 suffrages exprimés 3.568.885 veulent que Bonaparte soit consul à vie, 8.374 refusent. Deux années ont suffi pour que le peuple affirmât ainsi sa confiance, ses espoirs et sa volonté. |