Lorsque le 26 brumaire (16 novembre), le Général avait quitté Milan pour se rendre à Rastadt, Joséphine avait annoncé qu'elle allait partir pour Rome ; sa venue avait été annoncée à Joseph, et au cas qu'il y eût du bruit ou quelque inconvénient, l'ambassadeur devait envoyer un courrier à Florence pour qu'elle n'en fit rien. Elle n'alla point à Rome, mais à Venise où on lui donna des fêtes merveilleuses — les plus brillantes et les plus agréables qu'elle eût reçues ; puis elle reprit la route de France par Turin. A son passage, elle vint dîner chez Miot qui y était ministre, et fit apporter avec elle une cassette renfermant des objets précieux dont elle ne voulait pas se séparer un moment. Elle écrivait à Bessières : Le temps est affreux, les chemins détestables. J'ai acheté deux cents bouteilles de liqueurs que j'ai fait mettre à l'auberge de la Bonne femme. Faites-moi le plaisir de ne pas les oublier quand vous passerez. Et elle termine : Adieu, aimable citoyen. Comptez sur mon amitié. Elle passa par Lyon qui fut illuminé : On lui a donné des bals et des fêtes. Une couronne de roses pour elle et une branche de lauriers, pour apporter à son mari. Les artistes lyonnais ouvrirent une souscription pour lui faire hommage d'une médaille à la gloire du Général. Pourtant elle ne se pressait pas. Depuis le 4 frimaire (24 novembre) on l'attendait à Paris ; le 16 frimaire le Général y était arrivé ; il avait reçu tous les honneurs, du Directoire, des Tribunaux, des Conseils ; il avait été élu membre de l'Institut (5 nivôse - 26 décembre 1797) et il n'avait point manqué d'assister aux séances où il avait fait des rapports, notamment sur la voiture à vapeur du citoyen Queugnot ; il était allé avec ses frères et ses sœurs visiter à Juilly le jeune Jérôme qu'il avait trouvé jouant aux barres dans le parc avec une ardeur extraordinaire. Mais Joséphine n'arrivait pas. Au 21 frimaire (11 décembre), Mme Campan la croyait à Paris. Elle n'y était pas encore vingt jours après. Le Journal des Hommes libres qui la disait arrivée le 4 nivôse (24 décembre), qui annonçait le 5 ; pour le lendemain, la fête que le ministre des Relations extérieures devait lui offrir, prétendait le 10 que la citoyenne Bonaparte était arrivée d'hier ; qu'elle avait été arrêtée en route par les fêtes nombreuses dont plusieurs communes avaient embelli son passage ; elle arrivait en réalité le 13 nivôse (2 janvier 1798). Impossible de dissimuler que, pour cette fête qui lui est offerte par M. de Talleyrand, Mme Bonaparte est singulièrement en retard, car, sur le mémoire des dépenses, Bellanger, l'architecte, le gendre de Sophie Arnould, écrit : Le ministre voudra bien observer que les différents délais causés par le retard de l'arrivée de Mme Bonaparte ont causé une dépense plus grande pour les objets en location. Témoins les 930 arbres, arbustes et fleurs fournis en location par Muller, jardinier fleuriste, qu'il a fallu déplacer quatre fois et qui sont restés quatre jours au lieu d'une nuit. Les personnes qui avaient reçu du ministre avec leur invitation, un billet ainsi conçu : Vous jugerez convenable, j'en suis sûr, de vous interdire tout habillement provenant des Manufactures anglaises, avaient été décommandées trois fois. Et pourtant à cette fête où deux cents femmes des plus jolies et des mieux parées se disputaient les regards de Bonaparte ; où presque toutes avaient le caractère grec qui, par les victoires de Bonaparte, dit Peltier, a cessé d'être étranger parmi nous ; où une Française de Céphalonie à dont le caractère de beauté annonçait encore mieux l'origine que le ruban orné de lettres grecques qu'elle portait en écharpe ; où Mme de Staël s'était promis d'enlever le Général et reçut de lui les réponses qui la déconcertèrent, à cette fête où Bonaparte, sans s'inquiéter du qu'en dira-t-on, venait d'affirmer hautement son amour pour elle, où chacune avait remarqué qu'il était très amoureux et excessivement jaloux, Joséphine a marqué un détachement, une mauvaise humeur que chacun a remarqués. Lorsqu'à dix heures et demie, elle entra avec son mari, qui n'était pas en uniforme, dans le salon de l'hôtel Galliffet, tous les invités s'empressaient. Madame, le voilà, c'est lui, dit M. Ochs, envoyé de Bâle, à une citoyenne qui se trouvait près de lui et qui semblait moins enthousiaste. Et c'était la citoyenne Buonaparte ! La citoyenne Buonaparte était de très mauvaise humeur au bal de Talleyrand, dit Alexandre. Pensait-elle que sa coiffure, cette espèce de bonnet en drap d'or que les mauvais plaisants prétendaient être celui du doge de Venise, ne lui seyait point ? Redoutait-elle que son voyage prolongé l'eût fatiguée et qu'on trouvât comme Stanislas de Girardin qu'elle n'était plus jolie, qu'elle avait quarante ans et les paraissait bien ; ce qui est certain, c'est que tous les frais que le ministre avait combinés pour elle semblèrent en pure perte. Pourtant n'était-ce pas d'un joli goût ce couplet de Despréaux que chanta Laïs au souper. D'un guerrier, d'un héros vainqueur Ô compagne chérie, Vous qui possédez tout son cœur Seule avec la Patrie, D'un grand peuple à son défenseur Payez la dette immense, En vous chargeant de son bonheur Vous acquittez la France. Et bien mieux : pour peu qu'elle l'aimât, comment résister à ce mot d'une jeune fille qui s'approche de lui — d'elle par suite, car il ne la quitte pas de la soirée — qui dit à sa mère : Maman, c'est un homme ! Que regrette-t-elle donc ? L'hôtel de la rue Chantereine que, en son absence, son architecte d'alors a mis au goût le plus nouveau, lui a-t-il déplu ? A-t-elle trouvé la frise du salon peu ornementale, son cabinet de toilette où de tous côtés les glaces renvoient son image, peu décent, ou le mobilier de la chambre à coucher avec les lits à l'antique qu'un ressort écarte ou rapproche et les tambours qui servent de sièges, et la toile de tente qui fait les rideaux, d'un goût un peu trop militaire ? Ce ne sont pas là sans doute les motifs de sa mauvaise humeur : elle cherche des yeux et du cœur le compagnon qu'elle vient de quitter et qui fut la cause de son retard. Elle semble peu se soucier de l'enthousiasme que la foule témoigne à chaque pas que fait le Général et que Marmont caractérise ainsi dans une lettre qu'il écrit à Joseph : L'opinion de Paris est ce qu'elle doit naturellement être ; lassitude de la Révolution, admiration saris bornes pour le grand homme du siècle, indifférence pour les affaires publiques, bavardages contre-révolutionnaires sans but et sas objet, voilà toujours les Parisiens. Pourtant doit-elle faire bonne mine à mauvais jeu, car Bonaparte va acheter à son intention pour 52.400 francs, le 6 germinal an VI (26 mars 1798), cette petite maison de Julie Carreau, épouse séparée de François-Joseph Talma, à laquelle Joséphine semblait assez attachée pour avoir en vendémiaire an III contracté un bail dont elle ne savait point comme elle paierait le premier terme. Il appelle à sa table et dans son salon les hommes de lettres les plus célèbres, des hommes comme Arnault, Lemercier, Legouvé, Ducis, Chénier, Collin d'Harleville, Bernardin de Saint-Pierre, et puis des musiciens comme Méhul, des artistes comme David, et des acteurs comme Talma. Très peu de femmes ; on pourrait dire point, n'étaient les femmes de quelques hauts fonctionnaires ; presque point d'hommes politiques, sauf Barras et Talleyrand ; mais beaucoup de militaires, et d'abord, au bas bout, ses aides de camp comme Louis, Junot et Sulkowski — celui-ci si avant dans l'intimité de Joséphine qu'elle le charge de la mission la plus délicate : réclamer à Rousselin, détenteur des papiers de Hoche, les lettres qu'elle a écrites à celui-ci. Et puis des généraux, tels que César Berthier ou Desaix. Joséphine sans amie, sans confidente, sans relation féminine, livrée à elle-même dans cette foule, s'accrochait à ceux avec lesquels elle pouvait, tresser un lien, surtout avec des pailles de Fontainebleau. Alors, si elle rencontrait quel qu'un de cette sorte — comme Desgenettes — elle se mettait à lui conter avec un épanchement inattendu, toutes sortes de choses, les unes relatives à son intérieur, insistant sur ce qu'elle avait eu trois enfants, et enfin arrivant jusqu'à des mésintelligences de famille, qui devaient bientôt faire scandale. Elle avait besoin de s'épancher et faute d'interlocutrice, elle prenait un interlocuteur. Cela pouvait la mener loin. Dans le jour elle attendait Bonaparte. Il s'était logé dans un petit appartement très simplement meublé, où il passait la plus grande partie de la journée, entre des cartes géographiques qu'il avait étendues sur le tapis (le son cabinet ; il se traînait de l'une à l'autre, un compas et un crayon en main et formait des projets tantôt d'une descente en Angleterre, tantôt d'une expédition en Égypte. Il allait quelquefois au théâtre où il se plaçait dans une loge grillée et, le plus souvent, il rentrait chez lui à neuf heures du soir, pour lire et étudier à la lueur d'une lampe jusqu'à deux ou trois heures après minuit. L'une des seules exceptions, fut, après un dîner chez Barras où il avait conduit Ducis et Arnault : il les emmena à la-représentation de retraite de Mme Vestris où l'on avait remis Macbeth à la scène. A l'entrée de Mme Bonaparte, le public éclata en applaudissements qui redoublèrent quand le Général força Ducis à prendre place à côté de sa femme sur le devant de la loge. Cependant Joséphine ne perdait point de vue Barras : Elle
lui écrivait le 8 nivôse : Je viens d'apprendre, mon
cher Barras, que vous étiez incommodé. J'allais moi-même prendre de vos
nouvelles lorsque j'ai su que vous ne receviez pas. Faites-moi l'amitié, mon ami,
de me faire donner de vos nouvelles et de me dire le jour et le moment où je
pourrai vous voir. Il a fait si froid tous ces jours-ci que je ne suis pas
sortie de chez moi. Bonsoir, mon cher Barras, amitié sincère pour la vie.
Et dans ce flot incessant de billets qu'elle lance vers lui, celui-ci encore
le 29 nivôse : J'espérais, après avoir fait deux
visites que je ne pouvais remettre, rentrer chez moi à temps pour vous voir,
mon cher Barras, mais mon étoile ne m'a pas bien servie puisque je suis
rentrée chez moi lorsque vous eu sortiez. J'irai demain réparer ma sottise et
vous prier, mon cher Barras, de faire l'amitié à Bonaparte et à moi de venir
dîner avec nous le deux pluviôse. Vous n'y trouverez que quelques membres de
l'Institut et le citoyen et la citoyenne Verninac. Bonsoir, mon cher Barras,
je vous embrasse et je vous aime de tout mon cœur. Plus curieux est ce
court billet qui est assurément du 28 ventôse (10
février), le jour où Bonaparte est revenu de son voyage d'inspection
sur les côtes, de Boulogne à Anvers, et qu'elle écrit à Botot : Bonaparte est arrivé cette nuit ; je vous prie, mon cher
Botot, de témoigner mes regrets à Barras de ne pouvoir pas aller dîner chez
lui. Dites-lui de ne pas m'oublier. Vous connaissez mieux que personne, mon
cher Botot, ma position. Adieu. Amitié sincère. Dans son voyage, le Général a constaté que les côtes de la Manche ne pouvaient rien fournir pour une expédition en Angleterre. Desaix, de retour de Bretagne où il a fait des constatations identiques, a de nombreux entretiens avec lui. L'idée de l'expédition en Méditerranée prévaut décidément. Il y a, au moins, à Toulon, l'apparence d'une flotte et l'on peut penser que cette flotte suffira, sinon pour combattre la flotte anglaise, au moins pour transporter outre-mer une armée française et pour accomplir l'aphorisme que Bonaparte a lancé en 1795, et qu'il a aux trois quarts réalisé : La Méditerranée doit être un lac français. Chargé le 15 ventôse (5 février), d'exécuter les mesures projetées pour l'armement dans la Méditerranée, il échange ce titre le 14 germinal (3 avril) contre celui de commandant en chef de l'Armée d'Angleterre, mais c'est toujours de la même expédition qu'il s'agit et il la prépare avec une passion extraordinaire, recrutant, à l'Institut, comme chez sa femme, dans les seuls salons qu'il fréquente, des littérateurs, des savants de tous les genres, des naturalistes, des musiciens, des peintres, et peut-on dire des amateurs. N'est-ce pas chez Joséphine que Mme de Krény, l'une des seules femmes qui soient admises rue de la Victoire, amène Vivant Denon, collaborateur de l'abbé de Saint-Non et de David, l'auteur de Julie ou le Bon père, car il n'avoue pas encore : Point de Lendemain. Il fut secrétaire d'ambassade à Naples, bien et mal avec Marie-Caroline et nul n'a eu une vie plus amusante et plus dramatique. Bonaparte l'engage à venir avec lui dans cette étonnante compagnie où s'étaient empressés sur sa fortune les hommes de France les plus connus. Les préparatifs pour l'expédition étaient aussi avancés qu'ils pouvaient l'être de loin : Bonaparte reçut à ce moment un paquet timbré et cacheté Directoire : Il l'ouvrit et y trouva un plan de Cayenne que décorait cette inscription : Aux Grands Hommes, la Patrie reconnaissante. Il partit à la fin avec sa femme, le 15 floréal (4 mai) pour prendre le commandement de son armée. Il arriva à Toulon le 20 (9) entre huit et neuf heures du matin, sur un bidet de poste, et pour toute exhibition de passeport il cria aux gardes de la consigne : Laissez passer. Je suis le général en chef Bonaparte. Et il s'achemina vers l'hôtel de la Marine. Un quart d'heure après, déboucha une berline qui contenait Mme Bonaparte, son fils Eugène et Bourrienne. L'un des premiers actes du Général fut une algarade très vive qu'il fit à des sans-culottes venus d'une petite ville voisine pour réclamer des mesures de terreur. Il les secoua comme il convenait, interdit toutes perquisitions pour la recherche d'émigrés dans l'armée et sur l'escadre. Mme Bonaparte s'étant levée et s'appuyant sur l'une des épaules de son mari l'applaudissait et le caressait avec la plus touchante sensibilité. Avant l'embarquement, elle visita l'Orient qu'allait monter le Général en chef. Le 30 floréal (19 mai), il écrit à Baras (sic). Toulon, le 30 floréal. Nous mettons à la voile à l'instant par un très beau temps. Nous avons été contrariés six jours par des vents d'Est très violents. Je te salue. Ma femme te salue. BONAPARTE. Il avait été décidé que Joséphine ne partirait pas avec lui : Bonaparte, écrit-elle à sa fille le 26 floréal (15 mai), ne veut pas que je m'embarque avec lui. Il désire que j'aille aux eaux avant que d'entreprendre le voyage d'Égypte. Il m'enverra chercher dans deux mois. Il semblait bien que ce fût décidé : Des côtes de Corse, Bonaparte, le 4 prairial (23 mai), écrit à Joseph : Ma femme va attendre quelques jours à Toulon qu'elle sache que nous avons passé la Sicile, après quoi elle ira aux eaux. Le 7 prairial (26 mai) Joséphine écrit à Barras : Je suis restée à Toulon, mon cher Barras. Bonaparte a craint de rencontrer des Anglais. Il n'a pas voulu m'exposer. Si je ne pars pas sous quinze jours, j'irai à Plombières pour y prendre les eaux et j'irai clans deux mois rejoindre Bonaparte en Égypte. Mais le 10 (29 mai), tout est changé et Bonaparte écrit à son frère : J'écris à ma femme de venir me rejoindre. Si elle est à portée de toi, je te prie d'avoir des égards pour elle. Mais elle s'est mise en route : De Valence, elle écrit : Je suis à la poste, mon cher Barras, arrêtée par un citoyen qui me prie de lui donner pour vous une lettre de recommandation. Sa position me parait si malheureuse que je n'ai pu lui refuser ce service. D'ailleurs, je sais que c'est vous faire plaisir que de vous mettre à même d'obliger les malheureux. Elle passe à Lyon où elle rencontre Tallien qui la trouve bien malade et d'où elle écrit à Barras le 22 prairial (10 juin) : J'apprends, mon cher Barras, que le général Brune fait ce qu'il peut pour faire casser le marché de la compagnie Bodin. Écrivez, je vous en prie, au général Brune en leur faveur. Nous leur devons bien l'un et l'autre tout notre intérêt et j'espère, mon cher Barras, que vous vous opposerez à ce que l'on ne fasse pas une infamie à la compagnie Bodin. Vous leur rendrez service en écrivant pour eux au général Brune et, je vous en prie, ne perdez pas de temps. Vous savez que je prends à ces personnes beaucoup d'intérêt. En effet ! La compagnie Bodin n'a-t-elle pas accrédité comme ambassadeur, près de Mme Bonaparte, cet Hippolyte Charles, adjoint au général Leclerc lorsqu'il était adjudant général à Marseille, qui par un hasard se trouvait à Paris en l'an IV et déjà assez avant dans les grâces de Joséphine pour qu'il fût mis sur son passeport et qu'il fit tout le voyage avec elle. Il avait tout ce qu'il fallait pour lui plaire : Petit, fort bien fait, avec un joli visage, la peau brune, des cheveux très noirs, des mains et des pieds fort petits, gai, vivant, ne parlant qu'en calembours et faisant le polichinelle, il excellait à amuser les yeux et sa physionomie était complétée à merveille par le sobriquet qu'il prit en 91 lorsqu'il entra au service : Il s'appela l'Éveillé. Il était cela : largement dépensier, boute-en-train, un drôle de corps qui se plaisait à amuser les gens. Il était ami intime de Duroc et de Junot et, dès l'arrivée de Joséphine à Milan, il s'établit près d'elle au palais Serbelloni, toutes et quantes fois que Napoléon en partait. Il y déjeunait et y prenait ses aises. Pourtant il appartenait à l'armée comme capitaine à la suite du 1er hussards, et l'on peut penser que, dès lors, il s'occupait d'affaires : Il reçut ordre de revenir en France et peu s'en fallut qu'il ne fut pas fusillé. Duroc et Junot le tirèrent d'affaire. Toutefois bien qu'il eût demandé à se retirer le 18 ventôse an IV, il resta en apparence dans l'armée jusqu'au 27 ventôse an VI (17 mars 1798). C'était sans doute pour porter l'uniforme du Cr hussards, qui lui seyait, quoiqu'il ne figurât point sur le contrôle. Il fallait qu'après le départ de Bonaparte M. Charles ait rejoint Joséphine à Lyon pour la pousser sur la compagnie Bodin. L'accompagna-t-il à. Plombières et lui tint-il compagnie aussi bien que la citoyenne Cambis ? En tout cas, Joséphine n'en fait pas mention dans les lettres qu'elle envoie à Barras. Elle lui écrit le 30 prairial cette lettre caractéristique : Je vous ai écrit avant-hier, mon
cher Barras : Je crains que ma lettre ne vous soit pas parvenue, attendu que
je ne connaissais pas la formalité qui exige de les affranchir. Je vous
priais, mon cher Barras, de me donner souvent de vos nouvelles et de me faire
passer de celles de Bonaparte aussitôt que vous en aurez. J'ai besoin d'en
avoir. Je suis si chagrine d'être séparée de lui que j'ai une tristesse que
je ne puis vaincre. D'ailleurs, son frère avec lequel il a une correspondance
si suivie, est tellement abominable pour moi que je suis toujours inquiète
loin de Bonaparte. Je sais qu'il a dit à un de ses amis qui me l'a répété,
qu'il n'aurait de tranquillité que lorsqu'il m'aurait brouillée avec mon mari
; c'est un être vil, abominable que vous connaîtrez un jour. Je ne suis occupée ici que de ma santé. Il n'y a point de société. J'ai avec moi la citoyenne Cambis qui a bien voulu m'accompagner aux eaux. Je ne vois qu'elle et le médecin des eaux. Je suis logée dans une maison très honnête, le mari et la femme .ressemblent à Philémon et Baucis. Je voudrais bien, mon cher
Barras, que les eaux de Plombières vous fussent ordonnées et que vous vous
décidiez à venir les prendre. Vous seriez réellement bien aimable d'avoir une
maladie pour me faire plaisir. Je vous suis trop attachée, je vous aime pour
vous, mon cher Barras ; c'est un sentiment qui vous est dû lorsqu'on a le
plaisir de vous connaître et personne plus que moi ne l'éprouve. Je vous
envoie une lettre pour Bonaparte que je vous prie de lui faire passer tout de
suite. Je vous adresserai toutes mes lettres pour lui. Je vous en prie, soyez
bien exact à les lui faire parvenir. Vous le connaissez et vous savez combien
il m'en voudrait de ne pas recevoir de mes nouvelles. La dernière lettre
qu'il m'a écrite est bien tendre et bien sensible. Il me dit de venir le
rejoindre bien vite, qu'il ne peut vivre sans moi. Aussi je me dépêche de
faire les remèdes qui me sont ordonnés pour aller bien vite rejoindre
Bonaparte, que j'aime bien malgré ses petits défauts. C'est assez vous
ennuyer, mon cher Barras, je finis en vous priant de m'écrire souvent et de
croire à la sincérité de mon amitié pour vous. Elle ne finira qu'avec ma vie. J'ai été très bien reçue dans ce pays-ci par la commune et par les habitants. Vous seriez bien aimable de m'envoyer les journaux. Joséphine avait donc commencé sa cure, sous la conduite du citoyen Martinet, médecin aux eaux, lorsque, le 2 messidor au matin, étant dans son salon, occupée à ourler des madras et causant avec la citoyenne Adrienne Cambis, le général Colle et le citoyen Latour, Mme de Cambis qui était sur le balcon l'appela pour lui faire voir un joli petit chien qui passait dans la rue. Toute la société courut à ce balcon qui était élevé de plus de quinze pieds. Les planches cédèrent et les quatre personnes tombèrent : Les deux hommes sur leurs pieds, les deux femmes assises. Ce fut, écrit le citoyen Martinet dans son Journal physico-médical des eaux de Plombières pour l'an VI de la République, ce fut à prévenir les suites fâcheuses (paralysie, dépôt, commotion dans le cerveau), que je m'appliquai principalement. La saignée du bras fut donc employée d'abord et la boisson de l'infusion théiforme d'arnica. La citoyenne B... qui était la plus maltraitée et la moins forte, fut mise ensuite dans un bain un peu chaud, ce qui est un puissant résolutif. Je lui avais aussi fait administrer un lavement avant le bain et elle l'avait bien rendu et avait uriné. Je fis ensuite appliquer aux parties qui avaient porté sur le pavé et qui étaient les plus contuses, des sangsues qui furent répétées encore aux vaisseaux hémorroïdaux qui s'étaient gonflés. Des compresses trempées dans de l'eau-de-vie camphrée furent mises sur les contusions, et, par-dessus, des topiques chauds et émollients ; des pommes de terre cuites à l'eau par exemple faisaient un bon effet. On tenait le ventre libre par des lavements. Et Martinet continuant à déshabiller l'épouse du jeune héros, n'a garde d'omettre quoi que ce soit des frictions, liniments, douches, purgatifs qu'il a concertés avec le citoyen Diguerle son prédécesseur, le citoyen David, chirurgien en chef de l'Hôpital du Luxembourg et le Dr Kenens venu quarante jours après l'accident pour diriger la cure du citoyen Rewbell. Encore n'en dit-il qu'une partie, car, au compte de Parisot le jeune, agent de la commune de Plombières, tous les officiers de santé de Plombières, du Val d'Ajol, et des lieux environnants, étaient accourus et se disputaient l'honneur de la soigner et cette cure devait fournir à Martinet son Traité des maladies chroniques et des moyens de les guérir, lui procurer pour sa fille, le 2 frimaire an VII, le parrainage du citoyen Paul Barras et de Marie-Joseph-Rose Tascher, épouse dé Napoléon Bonaparte, membre de l'Institut de France, valoir une bourse à son fils au Lycée de Nancy et, lorsqu'il mourut en 1808, procurer à sa fille, une pension de 1.200 francs pour le temps de son éducation ! Le 14 messidor (2 juillet) Joséphine écrit à Barras : Je profite, mon cher Barras, du premier moment de calme que j'éprouve depuis ma chute pour vous remercier ; mon ami, de l'intérêt que vous m'avez marqué et de la charmante lettre que j'ai reçue de vous. Elle a mis du baume sur mes blessures en me donnant une nouvelle preuve de votre amitié. J'ai bien de la peine à me remettre de ma chute, mon cher Barras. Je ne puis pas encore marcher. J'éprouve aux reins et au bas-ventre des douleurs horribles. On me fait prendre tous les jours des bains. On attend que je sois un peu plus forte pour me faire prendre des douches, la seule chose qui, disent les médecins, pourra me rétablir. En attendant je souffre cruellement. Il y a auprès de moi dans ce moment, mon cher Barras, le chef de bataillon Lahorie qui était l'ami intime de mon premier mari et qui n'a cessé, depuis la guerre, de servir avec distinction dans les Armées du Rhin et de la Moselle. Le général Desaix l'aime et l'estime beaucoup. Ce bon Lahorie dès qu'il a su l'événement, a demandé un congé au général Gillot. Il est venu me donner ses soins. Il serait bien doux pour moi, mon cher Barras, de reconnaître tant de soins en lui faisant obtenir le grade d'adjudant général qu'il mérite par ses services militaires, grade qu'il aurait obtenu depuis longtemps sans son grand dévouement pour mon premier mari. Rendez-moi le service, mon cher Barras, de me répondre à ce sujet. Si vous voulez l'obliger et me rendre un service essentiel, vous arrangerez cela avec le général Schérer ; il connaît et aime beaucoup le citoyen Lahorie qui est vraiment un homme distingué. Adieu, mon cher et excellent ami, donnez-moi souvent de vos nouvelles et croyez que vous avez en moi une amie tendre et sincère qui vous aime pour la vie. Ci-joint une lettre pour Bonaparte, donnez-moi de ses nouvelles. Malgré ces recommandations si chaudes et qu'oh peut dire si bien gagnées, Lahorie ne fut point, à ce moment, promu adjudant général. Il s'attacha de plus en plus à la fortune de Moreau et l'on sait où cette fortune le conduisit. Aussi bien, si Barras avait suivi les recommandations de Joséphine, il eût empli de ses protégés toutes les administrations de l'État. Elle ne pouvait se défendre de proposer son influence ici ou là ; à Plombières, c'était à l'agent de la commune, le citoyen Parisot, ou c'était au maréchal de logis de la gendarmerie, ou c'était à Lahorie venu pour la' soigner, ou à Beurnonville qui, en quittant Plombières le 19 thermidor, emporte une lettre d'autant plus chaude[1] que, à en croire Barras lui-même, il a été ou il est dans ses bonnes grâces. La note est moins tendre pour le citoyen Rémusat qui désire obtenir la place de sous-chef de la première division des bureaux de la Guerre, et qui mérite sous tous les rapports la préférence, ayant travaillé longtemps dans les administrations, mais M. Rémusat n'est point venu, il n'a point envoyé sa femme, il s'est contenté de lettres, il n'a que ce qu'il mérite. Au début d'une de ces lettres de recommandation qu'elle écrit
à Barras, elle lui dit : J'ai reçu une lettre
charmante de Bonaparte. Il me dit qu'il ne peut pas vivre sans moi et d'aller
m'embarquer à Naples. Je désirerais bien que ma santé me permit de partir
tout de suite, mais je ne vois pas de terme à ma guérison. Je ne puis rester
debout ni assise dix minutes de suite sans éprouver des douleurs terribles
aux reins et au bas-ventre. Je ne fais que pleurer, les médecins assurent
que, dans un mois, je serai rétablie. Si, dans quinze jours, je ne trouve pas
de soulagement, je me rendrai à Paris. Mon cher Barras, vous n'avez pas idée
de ce que je souffre ! Bonaparte qui ignore l'accident, comme le reste, a envoyé la frégate la Pomone pour la chercher et, au début de thermidor (23 juillet 98), elle parait encore bien décidée à partir. Elle écrit alors à Mme Marmont : Je ne veux pas laisser partir M. votre oncle, madame, sans vous assurer de mon amitié la plus vraie et sans vous témoigner la part que j'ai prise à l'accident qui vous est arrivé. Ménagez-vous bien, madame ; vous savez que nous avons un bien grand voyage à faire et votre mari me gronderait si vous arriviez malade. Aussi, nia belle daine, ayez bien soin de vous. J'espère être à la fin du mois à Paris et vous trouver bien portante. D'ici à cette époque je serai charmée d'avoir de vos nouvelles. Bonaparte nie mande d'aller à Naples m'embarquer : vous voyez que nous parcourrons toute l'Italie, nous irons à Malte et de là en Égypte... Or, vers ce même moment la tempête qui couvait depuis près
d'un an éclata en Égypte sur la tête de Joséphine. Son fils Eugène lui écrit
de Gizeh le 6 thermidor : Ma chère maman, j'ai tant
de choses à te dire que je ne sais par où commencer ; Bonaparte depuis cinq
jours paraît bien triste et cela est venu à la suite d'un entretien qu'il a
eu avec Julien, Junot et même Berthier. Il a été affecté plus que je ne
croyais de cette conversation. Tous les mots que j'ai entendus (reviennent) à ce
que Charles est venu dans la voiture jusqu'à trois postes de Paris, que tu
l'as vu à Paris, que tu as été aux Italiens avec lui dans les quatrièmes
loges, qu'il t'a donné ton petit chien, que même il est en ce moment près de
toi ; voilà en mots entrecoupés tout ce que j'ai pu entendre. Tu penses bien,
maman, que je ne crois pas cela, mais ce qu'il y a de sûr, c'est que le
général en est très affecté. Cependant, il redouble d'amitiés pour moi. Il
semble, par ses actions, vouloir dire que les enfants ne sont pas garants des
fautes de leur mère ; mais ton fils se plait à croire tout ce bavardage
fabriqué par tes ennemis. Il ne t'en aime pas moins et ne désire pas moins de
t'embrasser. J'espère que quand tu viendras tout sera oublié. Mais, le
lendemain (7 thermidor), Bonaparte
écrit à Joseph : Je peux être en France dans deux
mois, je te recommande mes intérêts. J'ai beaucoup de chagrin domestique, car
le voile est entièrement déchiré. Toi seul nie reste sur la terre Ton amitié
m'est bien chère. Il ne me reste plus pour devenir misanthrope qu'à la perdre
et à te voir me trahir... C'est une triste
position que d'avoir à la fois tous les sentiments pour une même personne
clans un même cœur... Tu m'entends... Fais en sorte que j'aie une campagne à mon arrivée, soit
près de Paris ou en Bourgogne. Je compte y passer l'hiver et m'y enfermer. Je
suis ennuyé de la nature humaine. J'ai besoin de solitude et l'isolement. Les
grandeurs m'ennuient. Le sentiment est desséché. La gloire est fade. A vingt-neuf
ans, j'ai tout épuisé, il ne me reste plus qu'à devenir bien vraiment
égoïste. Je compte garder ma maison. Jamais je ne la donnerai à qui que ce
soit. Je n'ai plus que de quoi vivre. Adieu, mon unique ami, je n'ai jamais
été injuste envers toi. Tu me dois cette justice malgré le désir de mon cœur
de l'être !... Tu m'entends ! Embrasse ta
femme, Jérôme. Ces lettres ayant été interceptées par les Anglais, la situation, en apparence, demeura telle qu'au retour de Bonaparte, et Joséphine continua à représenter son mari clans des fêtes comme celle qui fut offerte à Plombières, le 10 thermidor, par l'administration centrale du département des Vosges et qui revint à 2.938 fr. 25 ou à celle qui lui fut donnée à Epinal, lors de son passage, moyennant 4.121 fr. 10. Le paiement de celle-ci exigea une forte correspondance avec le ministre de L'Intérieur, mais il fallut bien qu'il payât. Il y eut mieux : le Directoire, par l'intermédiaire du ministre de l'Intérieur, envoya à Joséphine un sabre qu'il destinait au Général. En répondant au ministre le 12 thermidor, Joséphine eut soin de relever l'inconvenance commise à l'égard de son mari. Peut-être, écrit-elle, cet hommage aurait pu lui être décerné avec plus d'éclat, niais sûrement, il ne pouvait l'être avec plus de plaisir que par celle qui s'est toujours imposé le devoir de faire taire son cœur pour ne voir que la gloire et le bien-être de la Patrie. Elle y joignait des remerciements, où l'on ne reconnaissait point son style, sur les fêtes que lui avait offertes la patrie de François de Neufchâteau : Je n'ai éprouvé dans ce jour d'enchantement, dit-elle, qu'un seul regret c'est que ma santé encore convalescente ne m'ait pas permis de me livrer à tous ces plaisirs autant que mon cœur y prenait de part. Cependant elle allait partir après trois mois de séjour et elle envoyait à Paris en avant-garde sa fille Hortense qu'elle avait appelée, dès son accident, pour lui tenir compagnie et qu'elle ne voulait point garder avec elle pour le retour. Hortense arriva à Paris le 24 fructidor [11 août 1798] et descendait à l'hôtel Vauban, rue Saint-Honoré, n° 88, d'où le lendemain matin, elle écrivit à Barras cette lettre d'un tour vraiment aimable pour une fille de seize ans : Je suis arrivée de Plombières hier au soir fort tard. Je compte aller après demain à Saint-Germain. Maman m'a recommandé d'aller vous donner de ses nouvelles. Voulez-vous bien m'indiquer le moment qui vous sera le plus commode pour me recevoir. Je vous prie de ne pas douter du plaisir que j'aurai à vous réitérer les sentiments d'attachement que je vous ai voués. Cinq jours phis tard, le 29 fructidor [16 août], Joséphine arrive dans la nuit. Mon premier soin, écrit-elle à Barras, a été d'envoyer chez vous pour savoir de vos nouvelles.
J'ai appris que vous étiez à la campagne et que vous n'arriverez que fort
tard ; comme je suis bien inquiète des nouvelles que j'ai appris par Malte,
mon cher Barras, voulez-vous que j'aille vous voir ce soir à neuf heures.
Donnez des ordres pour que personne ne puisse entrer. C'est la nouvelle de la défaite d'Aboukir que Bonaparte a connue le 27 thermidor [14 août] et au sujet de laquelle il a immédiatement dépêché un courrier à Malte. A. partir de ce moment, l'armée qui déjà était presque séparée de la France, ne peut plus que par hasard faire parvenir de ses nouvelles. Joséphine est entièrement privée de directions ou d'avis, malgré que Bonaparte, en expédiant Louis le 16 vendémiaire an VII (8 octobre), eût recommandé qu'on lui donnât de bons conseils. La bataille est ouverte entre elle et ses beaux-frères, et, bien qu'elle continue à accabler Barras de Ses billets, de ses demandes de rendez-vous, de ses recommandations et de ses instances[2], on sent quelque peu de refroidissement dans son amitié. Elle poursuit en l'an VII un mariage pour Hortense, elle écrit à Barras : J'ai vu ce matin le citoyen Rewbell. Je lui ai dit que vous deviez l'engager à aller à Grosbois décadi. Cela lui a fait grand plaisir. N'oubliez pas de le faire prier. Je vous mènerai Hortense. C'est là tout et cela suffit. Mais Rewbell tombe (27 floréal, 16 mai 1799). Férue de mariage, Joséphine passe alors à Gohier élu le 28 prairial (6 juin) que tout de suite elle cajole ; car voici, du 29, une lettre d'elle où, en le remerciant d-u service qu'il a rendu à la citoyenne Kreny son amie, elle l'invite amicalement à venir dîner à la campagne. A présent, elle a engagé un orchestre que tout entier elle occupe de ses affaires : elle a Gohier chez qui elle amène ses amis, et qui amène les siens chez elle ; elle a Rousselin qui, sur la demande qu'elle en a faite, a rendu à Sulkowski les lettres qu'elle avait écrites à Hoche,— Rousselin est à ce moment secrétaire général du ministère de la Guerre, sous Bernadotte et elle le met sérieusement à contribution — ; et puis il y a Bruix et l'on s'étonne à trouver cette lettre qui sort du ton habituel de la solliciteuse et qui, à la date du 21 nivôse (10 janvier 1799), paraît marquer un étrange recul, si on la rapproche surtout d'une lettre postérieure ; elle écrit donc à Bruix : Plus vous mettez d'obligeance à m'être utile, plus je dois, citoyen ministre, craindre de vous compromettre. Je pense qu'il est plus convenable de vous 'laisser la liberté de disposer en faveur de la personne qui vous conviendra de l'affaire dont nous avons parié ce matin et, même en donnant à Bodin la préférence, cela pourrait faire soupçonner que je vous ai sollicité. D'ailleurs, je désire, citoyen ministre, qu'il n'y ait pas un tiers, ne voulant avoir d'obligation qu'à vous seul. Et en post-scriptum : Faites-moi le plaisir de prévenir votre ami de ne pas se donner la peine de passer chez moi. Cela devient inutile. Or moins de cinq mois-plus tard, le 3 messidor (21 juin), elle écrit à Barras : Il doit être fait aujourd'hui, mon cher Barras, un rapportait Directoire relatif à la compagnie Bodin. Je vous prie de vous intéresser en sa faveur. C'est avec peine que je vous distrais un instant de vos grandes occupations, mais la situation de cette compagnie est tellement difficile qu'il est impossible qu'elle puisse se soutenir si on ne prend pas un parti à son égard. Ce n'est pas un nouveau marché qu'elle sollicite, mais la résiliation de celui qui existe. Je compte tellement sur votre amitié, mon cher Barras, que j'en abuse souvent, et pour moi, et pour les personnes qui m'intéressent, mais l'empressement que vous avez toujours mis à m'obliger, m'est un garant de votre indulgence. Je compte donc sur vos bons offices ; la compagnie Bodin n'en eut jamais un plus pressant besoin. A la fin de l'an VII, la situation de Joséphine peut paraitre inextricable. Elle a bien une prodigieuse quantité de perles, de diamants et de camées qui composaient dès lors son écrin digne de figurer dans les mille et une nuits. Elle a reçu en Italie des présents qui eussent rendu puissamment riche une femme qui ne se fut pas laissée entrainer par ses goûts à des dépenses désordonnées et qui ne se fût pas comme à dessein noyée dans un océan de dettes. Elle a des antiques, des tableaux, des statues, des mosaïques, mais point d'argent et ce qu'elle doit était immense. Tout récemment, le 2 floréal, elle s'est laissée tenter par une demeure de campagne, car en réalité elle ne peut se sentir dans cette maison de la rue de la Victoire, où son architecte a dépensé, durant qu'elle était en Italie, infiniment d'argent pour la mettre au dernier goût, sans parvenir à lui donner les airs, la respectabilité, les aisances et les commodités qui eussent convenu, car il n'a point eu le droit d'agrandir un cadre qu'il a seulement eu à orner. Il a donc seulement, à grands frais, militarisé une petite maison[3]. |
[1] Plombières, le 19 thermidor.
Le général Beurnonville, notre ami commun, quitte Plombières, mon cher Barras. Il se rend à Paris pour vous inviter à vous intéresser à lui et à empêcher l'injustice qu'on veut lui faire éprouver. Je n'ai pas besoin, mon cher Barras, de vous engager à vous intéresser à un homme que vous aimez depuis si longtemps. Ses services, son dévouement à la patrie et ses malheurs lui ont acquis des droits à la reconnaissance nationale et le gouvernement ne sera sûrement pas ingrat envers un de ses plus zélés défenseurs. Son attachement pour vous mérite que vous preniez à sa position le plus vif intérêt. Vous avez été souvent, mon cher Barras, le sujet de nos conversations. Il ne m'a pas quittée tout le temps de ma maladie Il vous dira tout ce que j'ai souffert et combien il me tarde de vous revoir. Adieu, mon cher Barras, je vous embrasse et vous aime bien.
[2] Demande de radiation définitive en faveur du citoyen Dufresne Saint-Léon. Demande de la place de receveur des contributions du département de Loir-et-Cher pour le citoyen Lefebvre. Un ami et associé du citoyen Raimond. La personne qui vous remettra ce billet (un fournisseur pour les fourrages). Une affaire qui regarde son beau-frère et sa tante. Le citoyen Giguarday. Le citoyen Chandeleer, pharmacien. Le porteur de celle lettre. Le lieutenant Bayer. La citoyenne Larrey. Louis-François Menour. Le citoyen Ozon. La personne qui vous remettra mon billet, etc., etc.
[3] Au sujet de Malmaison sur quoi je ne m'étendrai guère ici, je renvoie à mon Livre Joséphine Impératrice el Reine dont un chapitre est consacré à l'achat et aux agrandissements de Malmaison.