JOSÉPHINE DE BEAUHARNAIS - 1763-1796

 

XIV. — JOSÉPHINE PENDANT LA RÉVOLUTION.

 

 

Durant tout ce temps, qu'est devenue Joséphine ? On est en droit de penser que d'octobre 1791 à septembre 1792, elle ne s'est éloignée de Paris, où elle continue à avoir son appartement rue Saint-Dominique, que pour des séjours à Fontainebleau, chez sa tante, et pour des villégiatures chez des amis, surtout à Croissy, où l'emmène sa voisine d'appartement, Mme Hosten-Lamotte, née de Louvigny, cette créole de Sainte-Lucie qui l'a attirée dans sa maison et qui, ayant une fille presque du même âge qu'Hortense, se trouve lui faire une société précieuse : cette Mme Hosten tient en location du sieur Bauldry, depuis 1791, une gentille maison à Croissy : Joséphine connaît déjà ce village où l'on a tout lieu de présumer qu'elle a fait une villégiature à sa sortie de Panthemont. Elle accepte avec plaisir d'y revenir chez son amie et ce séjour exerce sur son existence une action décisive ; car, outre qu'elle y fait connaissance de M. Chanorier, des Vergennes, de Mme Campan, elle y entre en relations avec Réal, fils d'un garde-chasse de Chatou, qui s'est élevé dans la basoche, est devenu procureur au Châtelet, s'est fait un des conducteurs du mouvement, un des hommes en vue de la Révolution, mais est resté en termes d'amitié déférente avec Chanorier. Par Réal, elle aura Tallien ; l'un secrétaire de la Commune du Dix Août ; l'autre substitut du procureur de la même Commune. Elle a déjà Barère — M. de Vieuzac, — ancien constituant, en amitié de longue date avec Beauharnais, qu'il a connu chez la Genlis. Et on a vu Réal à la Commune, Tallien et Barère à' la Convention se faire les défenseurs, quasi les répondants d'Alexandre.

La facilité de mœurs de Mme de Beauharnais, a dit Albert Lezai-Marnésia, ses habitudes de galanterie et sa bonté naturelle attiraient chez elle sans donner d'ombrages, du moins pour le moment, et lui donnaient même, par ses nombreuses relations avec plusieurs des hommes influents du temps, les moyens de rendre de nombreux services.

Après les événements d'août, la chute du trône, devant la continuelle agitation de Paris, Joséphine est prise de peur, — sinon pour elle-même, car elle croit que les discours et le nom de son mari la couvrent, au moins pour ses enfants. Elle les confie à son amie, la princesse de Hohenzollern, laquelle, quittant Paris, va se réfugier avec eux dans une terre du prince de Salm, à Saint-Martin en Artois, en attendant une occasion pour passer en Angleterre : au printemps, tout sera calmé, et la princesse ramènera les enfants, à moins que Joséphine n'aille les chercher. Mais, dès qu'Alexandre a eu vent de ce départ, il a expédié de Strasbourg un courrier avec ordre de s'opposer à l'émigration et de lui ramener Eugène, qu'il a placé au Collège national.

Il est à penser que c'est par Réal et Tallien que, en septembre, Joséphine a quelque moyen de rendre service à l'ancienne abbesse de Panthemont ; nul doute, au surplus, qu'elle ne soit liée avec la plupart des hommes influents, avec ceux du moins qui, dans la Constituante, avaient été du parti avancé et qui sont revenus à la Convention ou ont été appelés, soit dans les armées, soit dans le gouvernement, à occuper de grandes places. Elle est restée en des termes d'affection avec Charlotte Robespierre, mais elle ne se borne point là. On sait d'elle une lettre, en date du 26 novembre 1792, qui la montre assez en intimité avec le ministre de la Guerre (c'est encore Servan, un Girondin), pour lui recommander un certain citoyen Pauly, dont elle connaît le mérite, et qu'elle veut faire commissaire des Guerres ; sans doute afin de n'être pas confondue avec sa belle-sœur dont le mari est émigré, elle signe : La citoyenne Beauharnais, femme du maréchal de camp. Comme elle est bonne et obligeante, a dit quelqu'un qui l'a connue alors, elle s'emploie à lui rendre autant de services qu'il lui est possible. Dès lors, ajoute-t-on, sa réputation de conduite est fort compromise, mais celle de sa bonté, de sa grâce et de la douceur de ses manières ne se dément point.

Mme de Beauharnais, écrit Albert de Lezai-Marnésia, femme du monde en tout temps fort répandue, avait passé avec la légèreté de son caractère de ses relations anciennes à des relations nouvelles, se prêtant sans trop de peine aux exigences du temps ; or ce temps voulait que chacun se fit peuple et même bas peuple, qu'on en affichât le langage et les allures : elle y façonnait ses enfants qu'elle envoyait sur sa porte se familiariser avec ceux de la rue. Je vois encore dans le lointain du passé le petit Eugène et sa sœur Hortense offrant aux passants des bagatelles de toutes sortes à acheter et en rapportant triomphalement le prix à leur mère.

Les deux fils Lezai qui, après de terribles aventures aux États-Unis, avaient dû, au retour, se séparer violemment de leur père — lequel les avait mis à la porte — grâce à la cousine de feu leur sœur, la comtesse Claude de Beauharnais, trouvaient au milieu des orgies sanguinaires, les agréments d'une société charmante quand la société avait disparu et les plaisirs de l'intimité avec une femme aimable et galante en même temps qu'une sauvegarde. Fontanes, fort lié chez Mme de Beauharnais, était en même temps en intimité avec les Lezai, ayant été le commensal et l'hôte de leur père et ayant au cadet donné des leçons de poésie. Cette société eût été charmante, n'était qu'elle manquait de ce qui fait infailliblement le ressort de tout groupement humain. Joséphine s'avisa donc des moyens d'en gagner. Le commerce enfantin que faisaient les enfants de notre amie lui suggéra, écrit Albert Lezai, l'idée d'en entreprendre un sur une plus grande échelle. Il lui était revenu que certains articles du commerce de Paris étaient fort recherchés en Belgique et pouvaient s'y vendre avec beaucoup d'avantage. Il n'en fallut pas davantage pour électriser de jeunes têtes peu familiarisées d'ailleurs avec les combinaisons réfléchies du commerce. Nous nous persuadâmes aisément que, si nous pouvions composer une petite pacotille des objets en faveur en Belgique, nous doublerions bien vite notre capital, qu'un premier succès serait bientôt suivi d'un autre, etc., etc. Mais, pour nous procurer les objets sur lesquels se fondaient nos espérances de fortune, il fallait un capital que nous n'avions pas. Cependant, à farce de nous indus-trier, nous parvînmes à faire un fonds spécial de douze louis, dont Mme de Beauharnais avait fourni la plus grosse part et auquel M. de Fontanes parvint, en réunissant toutes ses ressources, à contribuer pour un douzième[1]. Douze louis en numéraire, à cette époque, n'étaient pas un médiocre avoir. Mme de Beauharnais fut chargée de l'employer à l'acquisition des objets sur lesquels se fondait notre spéculation et moi de la délicate mission d'aller les faire valoir en Belgique.

Albert Lezai n'eut rien de plus pressé, en arrivant à Bruxelles, que d'aller se confier à un ancien camarade de son frère au régiment du Roi qui avait émigré et faisait le courtier pour quantité de gens qui avaient formé le même rêve que Joséphine. Et cet honnête homme leva le pied, emportant toutes les marchandises qu'on lui avait confiées et emmenant une actrice de la Comédie pour l'aider à les manger.

Quand, fort penaud, Albert Lezai revint de chez les Belges, la situation à Paris était telle qu'on ne lui parla guère des douze louis. On était à la fin de mai ; tout se préparait pour l'écrasement de la Gironde et les Lezai allaient être obligés de quitter Paris et de se cacher en province.

Il est permis de penser que, tout en entretenant des rapports presque d'intimité avec certains Montagnards, Joséphine, en admettant qu'elle ait des opinions politiques, s'arrête aux Girondins et, sur la foi de Lanjuinais, qui formellement la lui donne, il faut citer cette lettre qui, par sa forme autant que par les doctrines qui y sont exposées, détonne pourtant étrangement dans sa correspondance ; mais, affirme Lanjuinais : cette lettre est de Mme de Beauharnais : elle parait avoir été écrite après le Trente et un mai. La voici : Homme respectable, législateur courageux, permettez à une femme qui connaît l'austérité de vos principes et votre dévouement héroïque, de vous adresser l'expression de sa sensibilité. Le mérite persécuté l'innocence flétrie, la vertu calomniée eurent toujours droit à ses hommages et déjà vous auriez reçu les siens si elle avait pu se procurer plus tôt votre adresse. Ah ! sans doute l'oppression où on veut vous faire gémir est un véritable triomphe. Je ne vous dirai point : Persévérez ; non ! ce n'est pas à des caractères tels que le vôtre qu'on peut témoigner cc doute injurieux. Un jour viendra, mon cœur me le présage, où la France reconnaissante bénira votre fermeté sublime et saura mettre à votre place vos implacables ennemis. En attendant, souffrez que j'aille vous voir, vous admirer, vous offrir mes services s'ils pouvaient vous être utiles.

Je ne signe point ma lettre ; non que je n'eusse le courage d'avouer hautement une démarche dont je suis fière, mais de peur de compromettre un être qui m'est cher et dont la destinée est irrévocablement attachée à celle de la République.

Au moment où elle écrit cette lettre, Joséphine est encore à Paris où elle a fait sans doute son principal établissement durant l'hiver de 93. Elle a certainement coupé par des voyages à Fontainebleau, mais non par une résidence continue, car, lorsque, le 5 février 1793, le marquis et Mme Renaudin y ont obtenu l'attestation de leur civisme, Joséphine n'a pas été mentionnée. Elle vit rue Saint-Dominique où son intimité avec Mme Hosten s'est encore resserrée et, par elle, elle est en liaison avec quantité de ses parents et de ses amis formant une société assez fermée, presque réactionnaire, où paraissent surtout des créoles : Hosten, Merceron, Boissonnières, Mornay, Turbé, une Mme  Lefranc de Pompignan, cette Mme de Beaufort, plus tard Mme d'Hautpoul, qui écrivit quantité de romans et Duval d'Eprémesnil, promis bientôt à la guillotine.

On trouvait encore le courage de se réunir, de faire des parties, de dîner ensemble, de jouer la comédie. Puis, menant une vie double,- triple, Joséphine s'échappait de là dans d'autres sociétés demeurées plus inconnues, dans d'autres parties moins honnêtes : c'est la seule explication qu'on puisse donner de sa tranquille confiance au milieu des hasards qu'elle affronte.

Cependant, au milieu de septembre, après que la loi des suspects a été rendue, point à hésiter : il lui faut, comme ex-noble, un domicile hors Paris pour obtenir un certificat de civisme et, soit qu'elle soit déjà installée à Croissy, soit qu'elle y vienne à ce dessein, elle y élit sa résidence, et Mme Hosten, dont le futur gendre, M. de Croisent, vient d'acheter, à Croissy même, la belle propriété Delahaye-Desfosses, lui cède, dans la maison Bauldry, la suite de son bail dei 200 livres. Le 26 septembre, la citoyenne Beauharnais se présente à la municipalité pour y faire sa déclaration et, deux jours après, elle est rejointe par son fils, le citoyen Eugène Beauharnais, venant de Strasbourg. Alexandre, en effet, lorsqu'il a dû s'éloigner dans les six heures, a laissé son fils au collège et, le collège fermant, les élèves ont été renvoyés.

Dans ces déclarations, nulle mention d'Hortense : son nom n'est cité dans aucun des actes postérieurs qui établissent, durant cet automne de 1793, au moins jusqu'au 22 décembre, le séjour continu de Joséphine et de son fils à Croissy. Est-ce une simple omission, vu le peu d'importance de la personne ? On serait tenté de le penser : Mme Rémusat qui était encore Mile de Vergennes et qui a passé cet été de 93 à Croissy, chez Chanorier, atteste que ce fut à ce moment qu'elle connut Hortense, moins âgée qu'elle de trois ou quatre ans. Je me souviens encore, a-t-elle écrit, qu'elle venait me rendre visite et, s'amusant à faire l'inventaire des quelques petits bijoux que je possédais, me témoignait souvent que toute son ambition pour l'avenir consistait à être maîtresse d'un tel trésor. Toutefois, on peut croire que Hortense ne vivait point chez sa mère d'une façon, continue, soit qu'elle fût plus souvent près de son grand-père à Fontainebleau, ou qu'on l'eût mise en pension, ou que la citoyenne Lanoy, sa bonne, l'eût gardée à Paris, et que ce fût elle la couturière prétendue chez qui elle était placée comme apprentie.

Joséphine en effet — peut-être sur des ordres venus de son mari, peut-être sur les conseils de Chanorier — a trouvé ce moyen de prouver son civisme et son admiration pour Jean-Jacques : si Hortense apprend la couture chez la citoyenne Lanoy, Eugène est apprenti menuisier chez le père Cochard, agent national de la commune de Croissy ; il est même considéré comme bon patriote et défenseur de la Patrie, car à ce titre il reçoit, le 19 octobre, un sabre et un fusil.

Cela n'empêche pas Joséphine de fréquenter chez les bourgeois du village et du château, de maintenir, de resserrer, d'étendre, des relations qui toutes, par la suite, reparaissent dans sa vie : Chanorier qui lui fera acheter Malmaison ; Mlles de Vergennes, l'une qui, devenue Mme Rémusat sera dame du palais — et en quelle faveur ! — l'autre, Mme Champion de Nansouty, qui aura pour son mari toutes les places ; Mme Hosten et ses filles, dont l'une, Mme de Croiseul, aura ses enfants élevés aux frais d'Hortense ; l'abbé Maynaud de Pancémont qui, associé à Bernier pour la négociation du Concordat, sera évêque de Vannes, aumônier de la princesse de Piombino et, victime des Chouans, aura, par ordre de l'Empereur, sa statue de marbre érigée dans son église cathédrale ; Réal enfin, qui sera conseiller d'État, commandant de la Légion, commandeur de la Réunion, comte de l'Empire avec 16.000 francs de dotation, et auquel l'Empereur fera des dons manuels, plusieurs de 100.000 francs, un de 500.000. Le lien entre Napoléon et Réal, c'est Joséphine ; l'occasion entre Réal et Joséphine, c'est Croissy.

Au mois de janvier 1794, Joséphine munie du certificat de civisme qu'elle a obtenu à Croissy, rentre rue Saint-Dominique. Dans ses entours, on la tient si bien en faveur près des puissants du jour, qu'on n'hésite point à s'adresser à elle, et elle s'emploie, se met en avant avec une admirable inconscience, ne se doutant point que, si protégé qu'on soit, le mieux qu'on ait à faire en un tel temps c'est de ne point parler, de ne point écrire, de ne point se signaler — de se terrer.

Sa belle-sœur Marie-Françoise de Beauharnais a été écrouée à Sainte-Pélagie le 31 octobre 1793 (10 brumaire an II)[2]. On vient lui demander d'obtenir sa liberté. Pourquoi est-ce à elle qu'on s'adresse ? Pourquoi Fanny ne fait-elle point agir Cubières en faveur de sa propre fille ? Joséphine n'a jamais eu d'intimité avec sa belle-sœur, n'en aura jamais. Alexandre et son frère aîné sont brouillés depuis la Constituante ; mais Joséphine est obligeante de nature, elle multiplie les pas et les démarches, apprend enfin que tout dépend de Vadier, président du Comité de Sûreté générale ; Vadier a été de la Constituante, il a été lié avec Beauharnais ; elle ne peut se faire recevoir par lui, elle lui écrit :

Paris, 28 nivôse l'an II de la République française une et indivisible[3].

LIBERTÉ. - ÉGALITÉ.

LAPAGERIE-BEAUHARNAIS À VADIER, REPRÉSENTANT DU PEUPLE.

Salut, estime, confiance, fraternité.

Puisqu'il n'est pas possible de te voir, j'espère que tu voudras bien lire le mémoire que je joins ici. Ton collègue m'a fait part de ta sévérité, mais, en même temps, il m'a fait part de ton patriotisme pur et vertueux et que, malgré tes doutes sur le civisme des ci-devants, tu t'intéressais toujours aux malheureuses victimes de l'erreur.

Je suis persuadée qu'à la lecture du mémoire, ton humanité et ta justice te feront prendre en considération la situation d'une femme malheureuse à tous égards, mais seulement pour avoir appartenu à un ennemi de la République, à Beauharnais l'aîné, que tu as connu et qui, dans l'Assemblée constituante, était en opposition avec Alexandre, ton collègue et mon mari. J'aurais bien du regret, Citoyen représentant, si tu confondais dans ta pensée Alexandre avec Beauharnais l'aîné. Je me mets à ta place : tu dois douter du patriotisme des ci-devants, mais il est dans l'ordre des possibilités que, parmi eux, il se trouve des ardents amis de la Liberté et de l'Égalité. Alexandre n'a jamais dévié de ces principes : il a constamment marché sur la ligne. S'il n'était pas républicain, il n'aurait ni mon estime, ni mon amitié. Je suis Américaine et ne connais que lui de sa famille, et s'il m'eût été permis de te voir, tu serais revenu de tes doutes. Mon ménage est un ménage républicain : avant la Révolution, mes enfants n'étaient pas distingués des sans-culottes, et j'espère qu'ils seront dignes de la République.

Je t'écris avec franchise, en sans-culotte montagnarde. Je ne me plains de ta sévérité que parce qu'elle m'a privée de te voir et d'avoir une petite conférence avec toi. Je ne te demande ni faveur, ni grâce, mais je réclame ta sensibilité et ton humanité en faveur d'une citoyenne malheureuse. Si on m'avait trompée en me faisant le tableau de sa situation et qu'elle fût et te parût suspecte, je te prie de n'avoir aucun égard à ce que je te dis, car, comme toi, je suis inexorable ; mais ne confonds pas ton ancien collègue. Crois qu'il est digne de ton estime.

Malgré ton refus, j'applaudis à ta sévérité pour ce qui nie regarde, mais je ne puis applaudir à tes cloutes sur le compte de mon mari. Tu vois que ton collègue m'a rendu tout ce que tu lui avais dit : il avait des doutes ainsi que toi, mais voyant que je ne vivais qu'avec des républicains, il a cessé de douter. Tu serais aussi juste, tu cesserais de douter si tu avais voulu me voir.

Adieu, estimable citoyen, tu as ma confiance entière.

LAPAGERIE-BEAUHARNAIS,

N° 46, rue Saint-Dominique, faubourg Saint-Germain.

Ainsi, au cours des démarches qu'elle a faites en faveur de sa belle-sœur — démarches qu'elle sait le plus ordinairement rendre efficaces en y mettant toutes ses grâces, — Joséphine a appris que son mari était menacé, car, sous cette forme qu'elle emploie, est-ce Mme de Beauharnais ou Alexandre, qu'elle défend ? Elle a échoué, mais elle espère encore adoucir le monstre. Qu'il la voie seulement l'Américaine ! Mais Vadier soixante ans de vertus, ferme sa porte : c'est le moyen qu'il a trouvé de rester vertueux.

 

 

 



[1] La parole d'Albert Lezai qui fut préfet et pair de France, vaut, elle vaut d'autant plus que Lezai n'a nul intérêt à présenter les faits comme il les raconte, qu'il précise ses souvenirs par des dates inoubliables telles que le Dix août, le Vingt et un janvier et le Trente et un mai. Ce qu'il dit de Fontanes, des habitudes qu'il eut avec lui, de l'intimité entre Joséphine et Fontanes, a cette époque de la Révolution, se trouve en contradiction absolue avec ce qu'ont avancé les biographes de Fontanes, Roger et Sainte-Beuve. Il est parfaitement certain que Fontanes, aussi bien que sa fille, la comtesse Christine de Fontanes, chanoinesse, celle-là qui tenait son nom de Christine, de Lucien et d'Elisa Bonaparte, avaient résolu de cacher, dissimuler, travestir ou supprimer tout ce qui, de la vie ou des œuvres de ce marquis, n'attestait point le plus virginal dévouement aux Lys. S'il est démontré ainsi que Fontanes était à Paris durant les derniers mois de 92 et les premiers de 93, que penser des histoires que conta sa fille au sujet de son mariage et de son séjour à Lyon ?

[2] Cette date qui correspondrait au 10 brumaire an II a été contestée. On m'écrit : Dans une lettre adressée par Joséphine au citoyen André Dumont et datée du 16 VENDÉMIAIRE an II (7 octobre 1793), on lit : Je veux vous trouver, etc., — en sollicitant de nouveau avec ardeur de vous la liberté de ma malheureuse belle-sœur, dont on m'a assuré que vous aviez les pièces... Sans doute, si, le 16 vendémiaire an II, Joséphine sollicite avec ardeur de nouveau la liberté de sa belle-sœur, c'est que celle-ci a été incarcérée antérieurement...

Sans doute. Seulement il n'est guère vraisemblable qu'on ait daté une lettre du 16 vendémiaire an II (7 octobre), puisque le Calendrier républicain fut décrété seulement le 24 octobre (3 brumaire an II) et définitivement le 24 novembre (4 frimaire). Il eût fallu un esprit de divination très rare pour connaître ainsi par avance les noms que Fabre imposerait aux mois. On n'ignore point que, durant les mois d'octobre et novembre 1793, les documents datés selon l'ère républicaine le sont du N° jour du premier ou du deuxième mois de l'an II. Ainsi le Moniteur commence seulement le 7 octobre 1793 à dater du 16 du premier mois l'an IIme de la République française. En tête du numéro du 8 octobre, on lit : Le Calendrier civil décrété par la Convention nationale le samedi 5 octobre ayant commencé le commencement de l'année au 22 septembre, nous suivons aujourd'hui cette date nouvelle pour le numéro et le folio du journal. Le n° 265 du 22 septembre doit donc être numéroté 1... jusqu'à ce jour qui donne le n° 17.

Devant l'impossibilité où se trouve le vulgaire de s'y reconnaître on tolère au n° 35 du 5 du 2e mois de l'an IIe, l'insertion en petits caractères de la date de l'ère chrétienne (26 octobre). Ce n'est qu'à dater du n° 38 (29 octobre) que le Journal officiel est aussi daté.

Octodi, 1re Décade de Brumaire, l'an 2 de la République une et indivisible (29 octobre vieux style).

Il n'y eut donc pas de mois de vendémiaire en l'an II.

Il faut donc lire VENDÉMIAIRE an III.

Marie-Françoise Beauharnais, ayant divorcé le 12 septembre 1793 de François Beauharnais, s'était, par suite de la loi sur les ex-nobles, réfugiée à Champigny-sur-Marne, chez une dame Sarobert. Ordre, le 29 octobre, de perquisitionner chez cette dame et de l'arrêter, ainsi que Mme de Beauharnais. Ordre d'écrou à Pélagie signé par les membres du Comité de Sûreté générale (Vadier, Jagot, David, Dubarran), le 31 octobre (Io brumaire) ; le 30 nivôse (19 janvier 1794), lettre du citoyen Dourit à un représentant demandant de soumettre une pétition de la citoyenne Beauharnais, malade à Pélagie ; ordre de transfert aux Anglaises de l'Oursine, 27 germinal an II (15 juin) ; ordre de réintégration à Pélagie, 4 floréal an II (23 avril) ; transfert à Port-Libre le 8 vendémiaire an III (29 septembre) ; en liberté le 16 vendémiaire an III (7 octobre 1794), le jour même où Joséphine écrit à André Dumont et prouve ainsi son pouvoir.

[3] 17 janvier 1794.