NAPOLÉON ET SON FILS

 

VIII. — L'ENFANT DE FRANCE.

 

 

(Juillet 1811-Octobre 1812)

 

Premier séjour à Saint-Cloud. — La gouvernante et la mère. — La gouvernante et la dame d'honneur. — Marie-Louise et son fils. — Napoléon et son fils. — La vie ne doit pas être interrompue. — Vaccination du Roi de Rome. — Voyage de l'Empereur à Rambouillet et à Cherbourg. — Marie-Louise et les portraits de son fils. — L'Empereur et l'Impératrice en Hollande et sur les bords du Rhin. — La dentition du Roi de Rome. — Gratitude et présents de l'Empereur. — Le retour du Roi de Rome à Paris. — Ses jouets. — Sa petite calèche. — Comment se le représenter ? — Les portraits officiels. — Le Premier de l'An. — Le Roi de Rome à l'Elysée. — Nécessité de lui construire un palais. — Le Palais du Roi de Rome. — Le Gigantesque. — Départ pour l'expédition de Russie. — L'Empire vidé de soldats. — L'anniversaire de la naissance du Roi de Rome. — Le Roi de Rome à Meudon. — L'Institut des Princes de la Famille impériale. — La bibliothèque. — La collection ad usum Regis. — L'Atlas des Départements. — Le service d'assiettes de Sèvres. — Les meubles en velours peint. — Idées sur l'éducation. — Le gouverneur de Meudon. — Le personnel de Meudon. — Lettre de l'Empereur. — Le Roi de Rome est sevré. — Son portrait par Mlle Thibault. — Son portrait par Gérard. — Marie-Louise et son fils pendant la guerre de 1812.

 

A Saint-Cloud, où l'on était venu aussitôt après les relevailles, le 20 avril, le Roi de Rome avait été établi au rez-de-chaussée, à gauche du palais, dans un appartement qui donnait directement sur les jardins. Mme de Montesquiou y avait fait compléter le mobilier qu'elle voulait toujours prêt pour les voyages ; car, à cette fois, il avait fallu apporter des Tuileries les berceaux, les petits meubles d'usage, et jusque des flambeaux. Le Roi aura donc, pour Saint-Cloud un berceau portatif en fer, tendu en levantine et en taffetas voit que rehausseront dos broderies et des passementeries d'or, et que surmontera une couronne dorée mat ornée de quatorze plumes d'autruche ; et ce berceau, qu'on pourra replier dans un étui, sera encastré dans un lit de fer, garni de même en gros de Florence brodé d'or, dont la couronne, en cuivre doré, à la hauteur de neuf pieds, sera parée de plumes faisant panaches. La gouvernante, la nourrice, la berceuse, les premières-femmes auront des lits en fer pliants à placer dans des étuis, car l'enfant suivra la Cour qui se déplace sans cesse. De même, sur l'ordre de Mme de Montesquiou, l'argenterie est complétée : cassolette pour brûler des parfums dans la chambre du Roi, réchauds à feu, lampes pour bain-marie servant de veilleuses, flambeaux de toutes tailles : Biennais a jeté sur le vermeil de tous ces objets, — même de seringues, — des lauriers, des aigles, des abeilles et des hermines.

La gouvernante commande, ordonne, dispose : c'est son devoir et c'est le droit de sa charge ; elle y est singulièrement attentive, zélée, prévoyante, mais elle n'admet point d'autorité que la sienne. La mère, qu'est-elle en comparaison ? Marie-Louise a eu l'intention, la velléité du moins de s'occuper de son enfant, de l'avoir quelquefois à elle. Elle a commandé à ses lingères une bercelonnette de 3.792 francs pour y coucher le petit roi quand on le portera chez elle. Elle tient note de tous les progrès qu'il fait, de son poids et de sa taille ; elle le fait peindre pour envoyer son portrait à son grand-père ; elle parle avec une émotion attendrie de sa force, de la façon dont il tient sa tête, de sa ressemblance avec Napoléon. Il y a en elle de la maternité qui tressaille ; mais la maternité, si elle est de l'instinct, ne se développe que par l'accoutumance. Il y faut l'habitude et l'expérience ; il faut que la jeune mère, sortie des affres de l'accouchement, prenne goût à l'enfant, qu'elle s'empare de lui, qu'elle le possède, qu'elle bénisse, en le voyant lui sourire, les souffrances qu'il lui a causées. Il faut que, de la mère à l'enfant sorti d'elle, une intimité presque physique se maintienne et que, dans la vie à laquelle l'enfant s'éveille, le sein maternel demeure l'asile des joies, le refuge des larmes, l'abri tutélaire et presque divin. Il faut qu'à cette tâche où la nature l'a conviée, la mère porte une application de toutes les heures pour qu'elle y trouve sa récompense ; il faut qu'entre elle et l'enfant ne s'interpose nul être qui, par l'habitude et la familiarité, la remplace et la prime ; il faut que, par le matériel des soins, elle se rende nécessaire et provoque ainsi, à mesure que la connaissance se produit, une gratitude qu'on peut dire physique ; il faut qu'à l'esprit elle s'applique comme au corps, que son langage de tendresse devienne le balbutiement du petit être, que la chanson dont elle l'endort soit la musique de ses rêves, que les gestes dont elle le prend soient l'école de ses mouvements : il faut qu'elle soit la gardienne et l'institutrice, celle qui apporte constamment la vie, l'être unique, consolateur, surnaturel, que paie au centuple de ses peines un regard, un rire, un mot, — est-ce un mot ? — Maman !

Marie-Louise a vingt ans ; elle est timide, anxieuse, point intelligente ni adroite. Elle voudrait bien aimer son fils ; elle l'aime aidant qu'elle peut l'aimer ; elle voudrait le garder près d'elle, mais, avoir l'en laid, c'est avoir la gouvernante ?, et elle sent sur elle le regard de cette dame, très vertueuse sans doute, très attentive, mais aussi froide et dédaigneuse, aussi convaincue qu'elle a assumé une mission et que rien ne peut l'empêcher de la remplir. Et Mme de Montesquiou a quarante-six ans, — vingt-six ans de plus que Marie-Louise, — l'âge où, si l'on éprouve déjà pour l'enfance des faiblesses de grand'mère, on a gardé pour la jeunesse des sévérités d'institutrice. Devant elle, comment s'essayer à être mère, comment apprendre les gestes qui caressent ? Comment, devant un tel témoin, se mettre de niveau avec l'enfant, oser les mignonnes paroles qui chantent, les jeux délicieux et risibles ? D'ailleurs, cela est-il loisible ? L'étiquette stipule bien que, le malin, la gouvernante portera ou fera porter l'enfant chez l'Impératrice, que, vers onze heures, lorsque l'Empereur déjeune sous les grands marronniers, la gouvernante se présentera de nouveau devant l'Impératrice ; que, après midi, l'Impératrice viendra à son tour dans l'appartement des Enfants ; mais, de prendre, de porter, de soigner le petit, de passer des heures à le regarder respirer et vivre, d'assister à l'intimité de sa toilette, de voir comme il tette et digère, fi ! cela est affaire à la gouvernante, aux sous-gouvernantes, à l'écuyer, à la faculté, aux premières-femmes, point à la mère. En France il n'est point permis à la souveraine d'être mère. Pour l'être à son gré, Marie-Antoinette a dû faire un coup d'Etat, et il lui a fallu le prétexte de la banqueroute Guémené, pour enlever les Enfants de France à la princesse de Marsan et les confier à Mme de Polignac, chez qui du moins elle les voyait tout son soul.

Par surcroît, avant même qu'il y eût un roi de Rome, la lutte était ouverte entre la dame d'honneur et la gouvernante, quelle que fut la titulaire de l'office. Celle-ci prend le rang que perd celle-là, et c'est assez, mais c'est bien pis avec Mme de Montesquiou. Elle est de la plus ancienne noblesse, et Mme de Montebello hait à la mort quiconque n'est point noble à sa façon ; elle est de belle et haute tenue, de vertu sévère, de langage châtié, de piété sincère et affirmée ; Mme de Montebello croit peu, parle gras, fait jaser, brusque les gens et remplit sa place au plus mal. C'est ici un épisode, et le plus frappant, de l'antagonisme entre les deux sociétés, l'une que la gouvernante incarne avec toutes les vertus et aucun des vices qu'elle eut jadis ; l'autre que la dame d'honneur représente avec tous ses défauts d'origine et tous ceux qui ont pu lever d'une aussi brusque fortune. Par fonction, la dame d'honneur accompagne constamment l'Impératrice qui ne croit qu'en elle, n'aime qu'elle, ne pense que par elle ; d'autre part, la gouvernante ne quitte pas le Roi de Rome. Donc des heurts continuels, des échanges sinon de propos, au moins de regards ; au retour dans l'Appartement intérieur, gloses, critiques, insinuations, calomnies. Il est impossible, dans de telles conditions, que la présence de la gouvernante ne devienne pas importune, que la visite de l'enfant ne soit pas suppliciante, que la visite a l'enfant ne se trouve pas abrégée. Et alors, Marie-Louise, pliée sous le joug d'une de ces amitiés, qui, chez la femme, absorbent toutes les facultés de la volition, et qui réduisent celle qui la subit à une passivité où elle méconnaît inconsciemment tous ses devoirs, ne développe point des sentiments qui, chez elle, — ses lettres le montrent, — sont au moins en germe, et que, dans un milieu différent, elle eût plus amplement éprouvés.

D'ailleurs, à prendre la forme de penser et de vivre qu'imposent à la souveraine les lois de l'étiquette française, est-ce là une école pour être mère ? L'enfant à peine né lui échappe ; ayant pour mission de le mettre au monde, elle ne peut avoir pour occupation de l'élever. Elle doit à la dynastie de renouveler perpétuellement le miracle : c'est sa fonction, son but et son devoir. Le reste ne la regarde pas, mais l'Etat. Telle, en France, a été la destinée des reines que, de leurs filles, élevées en un monastère lointain, elles n'ont, comme Marie Leczinska, connaissance que par des portraits jusqu'à l'âge où les princesses reçoivent une Maison et rentrent à la Cour.

Cette forme de penser que la Royauté impose à la souveraine, est-elle pour paraître aux femmes de 1811 anormale et exceptionnelle ? Malgré Rousseau, l'Emile et la Mode, la maternité n'a été qu'un jeu dont les femmes se sont lassées vite, et, s'il se présente quelque exception, n'est-ce pas, dans nombre de cas, par affectation, simulation et littérature ? Le plus souvent, l'enfant nouveau-né est confié aux meneurs pour être mis en nourrice, parfois aux environs de Paris, ce qui fait un but aux promenades d'été, d'ordinaire au loin, sous prétexte de bon air. Il n'en revient guère avant ses sept ans et c'est pour entrer au collège, en pension ou au couvent. Là, il y reste dix années avec des sorties rares et des vacances médiocres, et ensuite, c'est, pour les garçons, une école militaire ou civile, pour les filles, le mariage. Le matériel des soins regarde la nourrice, la lingère ou l'infirmière. Quand, dans la bourgeoisie, on a payé 500 à 1.000 francs de pension, on a donné à ses enfants la plus grande éducation, et l'on se tient quille. Ce sont là les mœurs : l'angle sous lequel Marie-Louise envisage la maternité n'a donc rien de choquant pour les contemporains : elle-même n'a-t-elle pas été élevée fort loin de l'Impératrice Thérèse, uniquement confiée à ses ayas, et lorsque, après la catastrophe de 1805, sa mère l'a reprise à Mme de Colloredo, laquelle est restée pour elle la maman, l'impératrice ou la gouvernante ? Et pourtant, c'est la Maison de Lorraine où Marie-Thérèse a introduit des habitudes de maternité presque bourgeoises, restées de tradition chez ses descendants. Marie-Louise est formée depuis son premier âge à regarder l'enfance des princes, même leur jeunesse, presque de la même façon que l'étiquette impériale l'oblige à la considérer. Et, avec des motifs différents. C'est de cette façon aussi que les bourgeoises en France comprennent la maternité. Nourrice ou gouvernante, peu importent la quotité du salaire, le titre et les honneurs : le fait est que la mère se décharge de ses devoirs maternels sur une salariée.

Par surcroît, entre Marie-Louise et son enfant, il y a l'Empereur : sans doute, l'Empereur aime son fils, il l'aime doublement, parce qu'il est son fils et qu'il est sa dynastie ; il le prend, il le secoue, il veut à deux mois, le faire goûter à son vin et à la sauce des plats. Il le porte sur son bras, il l'interroge, il s'étonne qu'il ne réponde pas. Il le taquine comme il fait des autres enfants auxquels il tire les oreilles ou frotte la tête, sans trop de souci de leur faire mal, avec cette inconscience qui tient à ce qu'on ne lui rend pas les coups. Il aime son fils, certes ; il a placé à fonds perdu l'avenir du monde sur cette frôle existence ; mais il n'est point de ces pères qui s'hypnotisent sur leur enfant. Le Roi de Rome a sa gouvernante qui répond de lui ; s'il a besoin de quelque chose, la gouvernante demandera ce qu'il lui faut ; la vie ne peut s'arrêter parce qu'un enfant est né ; les grands et les petits voyages auront lieu comme à l'ordinaire et l'Impératrice y est nécessaire ; parfois, le Roi de Rome suivra la Cour ; le plus souvent il restera avec la gouvernante : c'est ainsi, durant l'année 1811, du 14 au 22 mai, où l'empereur est à Rambouillet, du 22 mai au 4 juin, où il va à Cherbourg, du 6 au 13 août, où il retourne à Rambouillet, du 19 septembre au Il novembre, où il voyage en Hollande et sur le Rhin : or, pour Marie-Louise, ces absences continuelles, n'est-ce pas l'interruption de toute habitude, et, par là, de tout attachement ?

 

Dès les premiers jours, on a la preuve que l'Empereur est bien déterminé à ne changer ni sa vie, ni celle de l'Impératrice à cause de l'enfant. A la fin d'avril, la petite vérole s'étant répandue dans Paris, la faculté de la Cour a jugé que le Roi devait être vacciné. Depuis trente ans, l'opération a perdu de sa gravité et l'inoculation est devenue courante ; mais l'Empereur, qui s'en est institué le grand propagateur, ne peut perdre cette occasion d'attester par quelque solennité la confiance qu'il y porte, et d'ailleurs la place de médecin vaccinateur, ayant été créée, doit être remplie. Le 4 mai, donc, Bourdois de la Motte, Auvity, Dubois et Boyer, convoqués par Corvisart, se réunissent à la Maison de Retenue, avec Husson, médecin de l'Hôtel-Dieu et de l'Hôpital de vaccine, secrétaire du Comité central de vaccine, médecin vaccinateur désigné par Corvisart. Husson prend du vaccin sur une enfant de dix mois, Caroline Getting, et pratique des piqûres à chaque bras sur les deux enfants de la nourrice : Marie-Louise-Eugénie Auchard, âgée de trente-quatre mois, et Jean-Louis Auchard, âgé de six mois, et sur l'enfant de la première-femme, Marie-Clémentine Froment, âgée de quatre mois. Procès-verbal en forme est dressé ; chaque jour, la faculté visite les boutons et en constate l'état : le 10, elle se détermine pour la petite Froment qui est apportée le 11 à Saint-Cloud ; là, en présence de la gouvernante et de la faculté de la Cour, Husson fait trois piqûres à chacun des bras de Sa Majesté le Roi, et introduit dans chacune d'elles du vaccin de l'enfant de Mme Froment. Pendant l'opération, le Roi reste attaché au sein de sa nourrice, et il conserve après son inoculation la gaieté qu'il avait auparavant. Procès-verbal, signé par les six médecins ; chaque jour, visite et procès-verbal. Les six boutons se développent : le 21, le 22 et le 23, le Roi a un peu d'agitation, Husson lui prend du vaccin qu'il inocule avec succès à deux enfants qui, plus tard, seront inoculés de la petite vérole. La matière prise sur ces deux enfants est insérée, par quatre générations successives, à trente-neuf sujets, sur lesquels la vaccine a son effet complet : il y a ainsi quarante et un témoins du succès de l'opération. Le 31, lors de la chute des croules qui sont jointes aux procès-verbaux, le Roi est purgé avec du sirop de chicorée et du sirop de fleur de pécher, ce qui produit des résultats souhaitables, dont il est pris acte. Compte est rendu dans les gazettes des succès de l'opération dont le préfet de la Seine dira, le 6 juillet, dans la prochaine séance de la Société centrale de vaccine, que l'heureuse vaccination du Roi de Rome assure pour l'avenir les progrès et l'adoption générale d'une méthode que le plus grand des Souverains a choisie pour l'héritier du premier trône du monde. Quant à Husson, il reçoit 6.000 francs d'honoraire et le titre de Médecin vaccinateur des Enfants de France.

Sans doute, c'est un effet d'opinion que l'Empereur a cherché ; sans doute, il croit la vaccination sans danger, mais, aux précautions qu'on a prises, on ne juge pas qu'elle soit indifférente ; or, le 14, dans l'après-midi, trois jours après la première opération, il est parti pour Rambouillet et il a laissé a Saint-Cloud l'enfant avec son service. Tous les jours, il est vrai, un page, parti à neuf heures du matin, porte des nouvelles du Roi à Leurs Majestés, mais Rambouillet est une première étape : le 17, en remerciant Mme de Montesquiou des soins qu'elle prend du petit roi, en lui disant qu'il est sans inquiétude par la confiance qu'il lui porte, l'Empereur annonce son départ pour la Normandie. J'espère, dit-il, jouir des progrès qu'il aura faits d'ici à quinze jours, car je compte faire un voyage d'ici Cherbourg qui durera ce temps-là.

L'Impératrice l'accompagne, et ce voyage, aussi bien que la reprise prématurée de la vie habituelle, des grandes promenades à cheval, à pied et en voiture, moins de quatre semaines après l'accouchement ébranle sa santé jusque-là robuste. Ses cheveux tombent ; une maigreur presque diaphane remplace cet aimable embonpoint qui, avec la fraîcheur à présent disparue, faisait sa seule beauté. Une lassitude générale l'envahit qui la rend encore plus molle de pensée, plus faible de volonté, la livre sans défense à l'unique domination de la dame d'honneur. C'est à ce moment suis doute, que Dubois prévient l'l'empereur qu'une nouvelle grossesse ; serait dangereuse. Dubois est dans son rôle ; mais aussi, les souffrances et les angoisses qui ont accompagné les premières couches ont laissé une terreur profonde dans l'esprit de Marie-Louise : elle continue à s'en plaindre, alors que tant de mères les bénissent, et n'est-il pas vraisemblable que, pour lui fa in ; sa cour, Mme de Montebello, par Corvisart, avec qui elle est en si grande intimité, a soufflé Dubois ?

Napoléon tient compte de l'avis, bien que ses desseins s'en trouvent ajournés, mais il ne paraît pas comprendre que, pour une femme aussi jeune, les fatigues des voyages et de la vie où il l'entraîne, passent celles de la maternité.

Le Roi a donc sa vie à part, comme il a sa maison, comme il a sa messe, comme il a sa table. S'il suit ses parents dans leurs voyages à Trianon, du 10 au 23 juillet, du 24 au 29 août, il est établi au petit château, tandis que l'Empereur est au grand. De même à Compiègne où la Cour est du 30 août au 21 septembre. Il arrive un ou deux jours avant l'Empereur, il pari un jour après lui. Ce n'est pas que Napoléon et Marie-Louise ne l'aiment point, mais c'est l'étiquette et c'est l'ordre établi. Marie-Louise l'aime surtout en peinture. A tout instant elle veut de ses portraits. Isabey lui en fait au moins sept en 1811. A l'un de ses bracelets d'habitude, le cadenas est un portrait du Roi, tête nue avec de petites ailes, et autour, selon la mode du temps, le nom de l'entant est écrit en acrostiche par la lettre initiale des pierres précieuses. Chaque fois qu'elle écrit à sa famille ou à son ancienne aya, elle parle de son fils avec une tendresse dont le Ion semblerait un peu appris et convenu, si elle n'écrivait en français où elle est toujours contrainte ; lorsqu'elle écrit en allemand, la phrase plus libre trouve des mots chantants et gentils. Ce n'est pourtant pas une flamme qui la dévore. Au moment où l'enfant commence la crise de la dentition, elle le quitte pour près de deux mois et elle n'a pas l'air de s'en affecter le moins du monde.

Sans doute, l'Empereur a ordonné à Bessières, qui est laissé à Paris pour commander la Garde, d'aller voir souvent le Roi de Rome, de voir Mme de Montesquiou et de prendre toutes les précautions pour veiller à sa sûreté. C'est à lui que Mme de Montesquiou devra s'adresser en cas d'événement, et c'est lui qu'elle devra prévenir. Par Bessières et par Mme de Montesquiou, l'Empereur et l'Impératrice auront des nouvelles chaque jour ; mais il ne faudra pas répondre par des ordres. Mme de Montesquiou entend rester sa maîtresse, et c'est lorsqu'il lui plaît qu'elle suit les instructions de l'Empereur. Ainsi a-t-il prescrit qu'au sortir de Compiègne, le Roi allât s'installer à Meudon, mais Madame mère y est déjà ; Mme de Montesquiou, qui ne veut point de mélange, retourne à Saint-Cloud où elle a appelé sa belle-fille et son petit-fils Napoléon, de trois mois plus âgé que le Roi de Rome. L'Empereur lui écrit : Puisque vous n'avez pas été à Meudon, je suppose que c'est que le rapport de la Faculté y aura été contraire. Il me paraît cependant bien extraordinaire que cette maison si bien située, ne soit pas saine. Je désire que la Faculté, peut-être trop soigneuse, n'aille pas contre son but, et que l'on forme de bonne heure la constitution du Roi par un régime solide. Au reste, ajoute-t-il, je m'en rapporte avec confiance sur cela à vous, Madame. Malgré le blâme déguisé, Mme de Montesquiou reste à Saint-Cloud, et l'Empereur, ayant dit, n'insiste pas et continue son voyage.

Au reste, ne fait-il pas mieux ? C'est au Loo que l'Impératrice est bien heureuse en apprenant que son fils a passé aussi bien le moment de la dentition qui est toujours une crise terrible pour les enfants ; il a percé sa première dent le 26 octobre et si, comme l'annoncent les journaux, le travail s'est fait sans occasionner aucune altération à sa santé, ce n'est point de Hollande ou des bords du Rhin que Leurs Majestés eussent pourvu à quelque accident, ou même qu'elles en eussent à temps été informées. La chose n'alla peut-être pas si facilement, car, le Il novembre lorsqu'elles arrivèrent à Saint-Cloud, et que la gouvernante qui les avait manquées dans le bois de Boulogne, leur présenta l'enfant à l'entrée du grand vestibule, Marie-Louise le trouva bien fortifié, ayant quatre dents et disant papa, mais maigri et pâle. Elle s'étonna qu'il ne la reconnût pas : belle parole de princesse que nul n'est censé devoir ignorer, comme la Loi.

De Mme de Montesquiou et des soins qu'elle a pris, nulle mention par Marie-Louise, tandis que Napoléon s'ingénie à reconnaître ses services. Point de désir formé par elle qu'il n'accueille ou ne prévienne. Elle demande une récompense pour Mme de Boubers, sous-gouvernante, qui fit seule le service : voici, le 3 décembre, une dotation de 10.000 francs de rente sur le Grand-Livre ; pour M. de Canisy : voici une augmentation de 6.000 francs de dotation sur le Mont de Milan ; aux étrennes, pour la nourrice, 12.000 francs : pour chacune des trois premières femmes, 1.200 francs sans compter 1.000 francs d'indemnité pour les robes et autres vêlements gâtés au service du Roi de Rome et pour les berceuses, les Pilles de garde-robe, les serviteurs de tous les ordres, des 500 francs, des 300 francs, des 100 francs. A la gouvernante elle-même, qui ne demande rien, un médaillon avec les portraits de l'Empereur et de l'Impératrice, enrichi de brillants de 98.944 francs et une dotation de 50.000 francs de rente sur le Domaine extraordinaire, dans les départements du Pô et de la Stura, Mme de Montebello manque de mourir d'envie, et elle tourmente si fort l'Impératrice qu'elle obtient une dotation pareille.

Mme de Montesquiou, qui a l'âme trop fière pour quémander des présents, se fait volontiers l'interprète de ses parents et des gens de son monde : elle obtient des restitutions de terres, des rappels d'exil, des levées de surveillance. Pour les pauvres aussi elle demande. La cassette du Roi est de 24.000 francs par an : cela ne lui suffit pas, et, lorsqu'elle rend compte des dépenses de 1811 qui se soldent par un excédent de crédit de 9.990 fr. 80, elle demande que cette somme soit portée à titre de supplément de fonds à la cassette pour l'exercice 1812. Le haut prix du blé pendant cette année, écrit-elle à l'Empereur, ayant augmenté le nombre des pauvres, a multiplié les demandes des malheureux bien au delà des moyens accordés au Roi pour de bonnes œuvres. Je renoncerais avec peine au plaisir d'attirer sur ses premières années les bénédictions de ces infortunés secourus en son nom. L'Empereur approuve et contresigne.

Il est rentré le 30 novembre à Paris où son fils l'a suivi le lendemain. A cause du froid qui est terrible, on a renoncé au voyage de Fontainebleau où les meubles du Roi et de sa maison étaient déjà portés. L'enfant, quoiqu'il ait huit mois à peine, s'essaie à marcher ; on a pour lui quantité de chariolles, l'une que. sur les idées de la gouvernante, a construite un menuisier de Saint-Cloud nommé Bouillier, les autres, qu'au milieu des joujoux, a fournies Cacheleu : les jouets même attestent que l'esprit de l'enfant commence à s'éveiller : quilles en bois d'if poli, roulette en acajou avec grelot d'argent, ménage en buis de quatre-vingt-dix pièces, piano à trois octaves à touches d'ivoire, totons à numéros en ivoire et en nacre, surtout un beau mouton couvert en laine, dont la tête et les jambes sont en bois sculpté et qui, monté sur des roulettes en cuivre, l'ait sonneries grelots et la clochette d'argent pendus à son collier de velours et d'or. Tantôt, pour les étrennes, il aura d'autres moutons qui vivent. La reine de Naples lui l'ait présent d'une charmante petite calèche, exécutée par Tremblay, carrossier, rue de Duras, gravée et ciselée par Baltzer, rue Saint-André-des-Arts ; on y attellera deux moulons mérinos qu'ont dressés les frères Franconi et qui, conduits par un page, promèneront l'enfant sur la terrasse du Bord de l'Eau. De là, la première popularité qui vienne au Roi de Rome. Cet habituel spectacle frappe l'esprit des Parisiens : chacun en veut la représentation et les gravures se multiplient, hop grossières pour être officieuses, trop nombreuses pour n'être pas un succès d'imagerie.

D'ailleurs, ce n'est pas seulement à la terrasse du Bord de l'Eau qu'on voit le petit roi. Parfois, ses voitures, délaissant le bois de Boulogne, passent, escortées du piquet de Chasseurs, sur les boulevards ; plus souvent, par la rue Impériale, elles gagnent le parc Monceau. On regarde l'enfant démailloté, vêtu maintenant des dentelles et des jolis linges que lui prépare Mlle Minette. La layette mise à part, sa garde-robe, en 1811, n'a pas coûté moins de 10.030 francs chez Minette et de 5.430 francs chez Lolive, de Beuvry. Sur les blancheurs des batistes et sur le flot mouvant des valenciennes, tranche le large ruban de la Légion ou de la Couronne de fer dont il use toute une pièce. Il a les pieds dans de petits chaussons sans semelle, de satin, rarement de percale, ce qui montre que les chariolles ne sont pas encore de grand usage.

Comment se le faut-il représenter alors ? Entre tant de portraits, quel lui ressemble ? De ceux d'Isabey, un seul est connu, qui fui envoyé par l'Impératrice à l'empereur d'Autriche[1]. On pourrait y croire, quoique Isabey soit trop courtisan pour ne pas embellir ses modèles ; mieux valent les dessins de Prud'hon qui, chez l'Impératrice dont il est aussi professeur, a vu l'enfant et qui fournit une impression de nature. La tête est forte, un nez assez gros relève brusquement et brise la ligne ; le front très haut, démesuré, s'abat sur l'œil à fleur de tête. Nulle ressemblance avec l'Empereur : ces deux portraits de Prud'hon, un de Durand-Duclos et un modelage de Couriger, qui sans doute servit pour le petit profil en biscuit de Sèvres, ont une analogie qui frappe et doivent être, vrais. Toutes les autres représentations sont dynastiques. L'Empereur a adopté pour sa propre effigie une expression qui s'approche assez peu de la réalité. Il a voulu fixer dans la mémoire des peuples, d'une façon définitive, le type d'après lequel les sujets devront imaginer le souverain. L'Empereur, fondateur de la quatrième dynastie, doit apparaître à ses peuples majestueux, serein et grave, beau d'une beauté presque surhumaine, tels les Césars déifiés. Que ses portraits ressemblent à sa personne, il ne s'en soucie point ; c'est assez que les traits distinctifs ressortent dans les tableaux, les statues ou les monuments, de façon que nul ne puisse le méconnaître et ne soit tenté de le confondre. Ainsi se rend-il aux yeux des nations, supérieur aux accidents de la vie, à la vieillesse et aux changements qu'elle apporte ; ainsi ne peut-il être touché par les diagnostics qu'on tirerait de sa santé d'après tel ou tel portrait ; ainsi, en prohibant la multiplicité des interprétations diverses que les artistes donneraient de sa physionomie, assure-t-il, par la persistance d'une image répandue a l'infini, la connaissance universelle et la perpétuation sans limite du type en qui il s'incarne, un nom qu'il porte et de la gloire qu'il y attache.

La prévision dynastique donne à ce dessein toute son ampleur : Napoléon veut pour sa dynastie un type officiel, un caractère physique qui la distingue. En généralisant ce qui est le plus individuel dans sa physionomie propre, en atténuant, même en supprimant dans ses portraits l'impression de nature, en ramenant son image à des données conventionnelles et idéales, il permet davantage à ses descendants de s'en approcher. D'ailleurs, que le Roi de Rome l'ait ou non, il le lui impose. Tout artiste qui exécute le portrait officiel de l'enfant fait de son visage la réduction juvénile du visage impérial. Que ce soit Prud'hon, Gérard, Isabey, Mme Thibault, l'enfant qu'ils représentent n'est qu'un Napoléon ramené à l'enfance, et non pas le Napoléon vrai, mais le Napoléon type, celui dont Chaudet et Canova, David et Gérard ont formulé l'image officielle. A ces poitrails, il est impossible de se lier plus qu'à ceux faits de l'Empereur depuis 1805. Sans transition, on passe du nez, retroussé, jaillissant de la hase du Iront, tel que le montrent les dessins d'après nature, à un ne/, droit engagé dans le Iront même ; d'yeux saillants et à Heur du front, à des yeux enfoncés sous l'arcade sourcilière ; le galbe rond, la hauteur du front restent pareils, mais, sur le front élargi, on ramène filialement la mèche paternelle.

Ce qui est acquis, c'est l'air de santé et de belle humeur de l'enfant qui ne pâtit point de soins trop minutieux, qui prend de la force au point que, sans flatterie, on le trouve vigoureux comme s'il avait le double de son âge et auquel on commence à servir des potages, pour la confection desquels a été spécialement engagée Mme Colaud, mère d'une des filles de garde-robe.

Le voici, ce petit, le 1er janvier, arrivant dans le cabinet de l'Empereur avec l'Impératrice : on lui a mis en main un bouquet, chef-d'œuvre de Mme Bernard, la fleuriste célèbre. Il a quatre dents du fond qui sont percées, on attend les deux incisives, et il est un peu souffrant et pâle ; il dit papa et maman, au moins le prétend-on, mais c'est tout ; au dire de sa mère, il la connaît très bien ; pourtant ce n'est pas assez pour qu'on le montre dans les cérémonies et son rôle est terminé pour le jour de l'An de 1812. De même ne paraît-il pas aux fêtes de la Cour, bien qu'il soit l'objet principal du mémorable quadrille des Heures dansé sur le théâtre du Palais ; c'est en son honneur que l'on voit, sur un livret de Dupaty, la reine de Naples en France et la princesse Pauline en Rome, proclamer ses destinées au milieu des Nymphes du Tibre, des Heures du Jour et du Soir, des douze Constellations, des quatre Génies, d'Apollon, d'Iris et de Zéphyr. Il ne paraît pas, mais son image. Des mains de la France, Rome reçoit, à genoux, ce Romulus nouveau, dans le ballabile général des Heures, des Génies, des Nymphes et des étoiles.

Il est constamment présent devant la pensée de l'empereur, et pour toucher le maître, c'est son nom qu'il faut évoquer ou son souvenir. N'est-ce pas pour lui qu'on reprend, au Théâtre de la Cour, l'Hector, de Luce de Lancival, et Talma ne sait-il pas ce qu'il lait, lorsque du ton le mieux étudié, il lance à la loge impériale :

D'un Hector au berceau, Dieu, protégez l'enfance !

Lui se contente de pousser à souhait. On a remplacé à ses pieds les petits chaussons de satin blanc, rose ou bleu, par des brodequins de Florence qui tiennent la cheville ; en février, voici des souliers de maroquin rouge, puce ou vert, qui marquent le progrès des pas incertains, autant que l'apparition des bourrelets, certains en velours noir. Comme il sort par tous les temps et que le froid est très vif cet hiver, il porte, sous ses robes de batiste ou de mousseline brodée, des robes de mérinos, et, par dessus, un carrick en levantine bleue ou rose, à franges ; il a des mitaines pour ses poignets ; sur ses bonnets de mousseline et de tulle garnis de malines, il est coiffé de capotes de percale ou de batiste à valenciennes, et c'est un joli enfant.

Seulement, de la façon dont il faut qu'il soit installé, on ne sait que faire de lui, lorsque, le 17 février, l'Empereur, las des Tuileries où il est prisonnier de la foule et où il n'a pas de jardin qui lui appartienne, se décide brusquement à aller habiter l'Elysée repris a Joséphine. On le laisse aux Tuileries ; et bien fait-on, car le palais n'ayant pas été habité depuis longtemps, l'Empereur s'y enrhume cruellement et toute la Cour à son exemple.

Il est de fait que lorsque Napoléon a ordonné, de 1802 à 1800, la réfection et l'aménagement des divers palais, il a prévu ses appartements et ceux de l'Impératrice, point des appartements d'enfants. Aux Tuileries, le Roi de Rome ne pourra occuper indéfiniment ces annexes des Atours de l'Impératrice, et combien de temps faudra-t-il encore pour que le grand maréchal ait un logement convenable dans la Galerie et laisse libre le Pavillon des Enfants de France ? A l'Elysée, faute de pièces au premier étage dont on puisse disposer, on pense à acheter un hôtel voisin au général Sébastiani, qui en demande 888.000 francs ; mais, comme cette maison est frappée d'une servitude de passage au profit de la voisine appartenant à M. Bérenger, et que celui-ci ne veut pas vendre la ruelle sans la maison, c'est 350.000 francs de plus, et encore 600.000 pour construire une galerie menant à couvert à l'Élysée. L'Empereur y renonce et décide que le Roi habitera, au second étage, les chambres qu'occupaient jadis les enfants Murat. Il n'y a pas à penser à des aménagements qui pourtant sont nécessaires ; on se contente d'apporter les meubles que le Roi avait à Saint-Cloud, et, le 22, on l'établit mal que bien.

Napoléon n'a pas besoin de celle leçon pour pousser avec activité la recherche d'une habitation pour son fils. Déjà, comme maison de campagne, il lui a assigné le château de Meudon ; comme lieux de promenade Monceau dont il prétend rétablir le pavillon, et Bagatelle qu'on aménage, mais il a un bien autre projet. De longue date, ses architectes, Fontaine et Percier, ont préparé les plans d'un palais impérial qui eût été érigé à Lyon, et eut coûté dix millions. Le 27 avril 1810, Fontaine a apporté ces plans et, le 17 juin, le modèle. Devant l'Empereur, on a fait la remarque que ce palais, tel qu'il est conçu, ferait bien mieux sur un site élevé ; l'architecte en est convenu et s'est empressé de proposer le sommet de la montagne de Chaillot. L'idée, rejetée alors, fermente ; dans l'esprit de Napoléon ; il en parle souvent ; il la rattache à l'espérance qu'il a d'être père, et, à la fin, le 29 novembre, il ordonne à Fontaine de lui présenter un projet pour l'embellissement du bois de Boulogne, en y ajoutant une maison de plaisance bâtie sur le sommet de la montagne de Chaillot. Rien de moins fixé dans son esprit que le plan de cette maison ; sera-ce Compiègne, l'Elysée, Trianon ; ne sera-ce pas Versailles ? Le 7 janvier 1811, il demande ce qu'il en coulera, soit pour les acquisitions de maisons et de terrains, soit pour les constructions ; le chiffre de vingt millions ne l'effraie pas et, dans un Conseil des Bâtiments, tenu le 19, il est au moment de se décider ; il s'arrête devant les critiques du ministre de l'Intérieur ; mais l'idée l'obsède ; le 23, il vient en personne reconnaître la position et, quoique les plans ne soient ni terminés, ni approuvés, il adopte le principe, décide que le palais sera construit, et déclare qu'il s'appellera le Palais du Roi de Rome.

Cela dit, il veut en faire un monument supérieur à tous les palais passés et présents. Le 12 avril, après avoir examiné et critiqué le plan en relief que Fontaine a fait exécuter par Jacob et qui est exposé au Louvre dans le salon du Pavillon de l'Horloge, il demande des renseignements précis sur les palais qu'ont eus les empereurs romains, sur les palais modernes les plus beaux et les mieux aménagés qui soient en Europe et, sans qu'il ait pris encore un parti définitif, une idée grandiose se lève dans son esprit, un plan tel qu'il eût transformé en entier ces deux rives de la Seine et leur eût imprimé à jamais le caractère impérial.

Du pont d'Iéna, par des rampes pour lés voilures, par des escaliers pour les piétons, on accéderait à la cour d'honneur inscrite dans une immense colonnade circulaire. Entre cette colonnade et les bâtiments de service, d'un coté, cour dos ministres, de l'autre, cour des princes : plus loin, dans la déclivité favorable du terrain, cuisines, offices, remises, écuries, logements de suite. Le palais domine tout : il a quatre cents mètres de façade. Au midi, l'Appartement d'honneur occupe tout le centre ; au nord, les appartements de l'Empereur et ceux de l'Impératrice ; dans les ailes en retour, vestibules, antichambres, salons de réception ; dans deux ailes prolongeant la façade du nord, appartements des princes et appartements des princesses. Au midi, la vue s'étend sur le Champ de Mars transformé en un cirque immense ayant pour fond l'École Militaire. Le long de la rivière, d'un coté, palais des Archives, palais des Arts, palais de l'Université, hôtel des Douanes : de l'autre, casernes, hôpital militaire, maisons de retraite. A l'ouest, Paris avec ses ponts, ses palais et la Cité que domine Notre-Dame : à l'est, les coteaux de Sèvres, Meudon et Saint-Cloud. Au nord, un parterre s'élève en terrasse au dessus du plateau de la plaine ; on franchit le boulevard d'enceinte sur un pont couvert ayant l'aspect d'un arc de triomphe ; on pénètre dans un parc aux eaux vives, borné, d'un côté, par la Muette où est établie la Vénerie avec la faisanderie et une ménagerie à l'antique ; de l'autre, par la route de Saint-Germain (avenue de la Grande-Armée). Au rond-point de l'Etoile, avec l'Arc de Triomphe pour portique inaugural, se détache l'avenue plantée de quinconces qui mène au palais. Au delà des bâtiments de la ménagerie et de la faisanderie qui se développent sur seize cents mètres de façade, c'est le grand parc, le bois de Boulogne, entre Boulogne, la Seine et Neuilly, avec Bagatelle comme rendez-vous de chasse.

Pour eu plan gigantesque et qui, après un siècle écoulé, paraît insensé, l'exécution, en 1811, est relativement facile. La plus grande partie des terrains sont au Domaine ; beaucoup de propriétaires offrent spontanément leurs maisons et leurs jardins qui n'ont pas de valeur et seront bien payés. Seuls les héritiers Gaignier, qui possèdent un petit immeuble sur l'esplanade, refusent toute proposition. Fontaine en parle à l'Empereur qui se souvient du meunier de Sans-Souci et qui ne pense pas un instant à un décret d'expropriation pour cause d'utilité publique. L'architecte doit seulement modifier les plans ; on voyait encore, en 1814, cette maison debout au milieu de toutes celles qui avaient été démolies pour les dispositions du palais. Du palais même, il n'y avait encore que les fondations et le portique à trois arcades qui eût donné accès aux escaliers et aux corridors souterrains conduisant directement au palais.

L'édifice subit des destinées si étranges, les plans en furent si souvent remaniés et suivirent si exactement, à partir de la fin de 1812, les alternatives de la fortune de l'Empereur, que le mieux est de s'arrêter à la conception qui fut admise au début de cette année, après que, pour les distributions, l'Empereur eut étudié, avec ses architectes, outre les palais de France, — l'Elysée, Trianon, Compiègne et Versailles, — les palais de Herbu, de Stuttgard, de Coblentz, de Stockholm, de Saint-Pétersbourg, de Madrid, de Mantoue, de Florence et de Naples. A chacun il a pris ce qui le distingue en agrément, en beauté, en majesté, mais chaque emprunt, il l'a sublimé, afin que nul monument au monde ne fut comparable à celui qu'il imagine. Il le lui faut colossal comme son rêve, avec des salles des fêtes où la Cour de l'Empereur mondial tiendra à l'aise, des jardins suspendus, des eaux jaillissantes, des colonnades comme à Saint-Pierre, un terre-plein comme à Pitti, des galeries de tableaux comme à Madrid ; tel qu'il déconcerte par son immensité et que, même en ruines, il annonce le Conquérant, sa fortune et sa gloire.

 

C'est l'amusette où il se distrait, durant qu'il prépare son expédition de Russie, qu'il se promet l'empire du Monde, que, de son cabinet, il dirige vers le Nord ces milliers d'hommes qui, partis des Pyrénées et des Appenins, du golfe de Tarente et du Zuyderzée, seront, à l'heure dite, rendus sur les frontières de Pologne pour en finir avec cette petite Europe, et, après avoir pris haleine, passer à l'Asie. Il a besoin de gigantesque, de surhumain, d'irréel, peut-on dire ; car ce qu'il imagine pour ses palais ou ses conquêtes passe l'habituel des conceptions au point qu'un effort de tout l'esprit est nécessaire pour le réaliser. Il faut, au delà de nos histoires et de nos temps, remonter aux Césars, aux rois d'Assyrie ou d'Egypte. C'est Rome, Ninive ou Thèbes ; non Athènes ; mais, entre l'impression d'ait que donne le Parthénon et la stupeur que produit le Palatin, il est permis d'hésiter : l'un atteste les empereurs, l'autre des artistes. Un monument rêvé par Napoléon ne peut être que colossal comme sa pensée.

 

Il va donc laisser ainsi sa femme et son fils, et s'éloigner de cinq cents lieues. Pour gouverner, Cambacérès qui est un pleutre, et des ministres qui sont des commis. Les deux hommes de tête — et d'intrigue — sont hors de la place. Au lieu de Fouché, Savary, qui est un gendarme : au lieu de Talleyrand, personne, car Maret suit l'armée. A Paris, pour commander la place, un bon adjudant de quartier, Hulin, qui a la pratique des révolutions ; sous lui, quelques vétérans qui n'ont fait campagne que dans les rues, mais qui, de 89 à l'an VIII, en ont appris tous les jeux, Hulin commande à l'unique régiment de Garde de Paris — 46 officiers et 1.998 hommes — et à quelques cohortes de gardes nationaux tout récemment appelés quand ils se croyaient quittes de tout service, à peine instruits, nullement militaires. On ne saurait compter les deux bataillons de Vétérans, la Garde départementale et les augustes débris de Royale Pituite, transformés en Garde du Sénat. Les dépôts de la Garde sont réduits à néant aussi bien que celui du 32e ; on en a tiré tous les hommes valides. Les deux nouvelles compagnies que l'Empereur a autorisé Bessières à former aux Grenadiers et aux Chasseurs, pour la garde de Paris et pour faire le service auprès de l'Impératrice et du Roi de Rome, sont composées, par ordre, des hommes malingres, sortant des hôpitaux ou vieux et qui ont besoin de repos. En officiers, la compagnie de Grenadiers a un lieutenant en second, la compagnie de Chasseurs deux lieutenants. Et c'est tout. L'Empereur a fait partir tout ce qui marche.

Ainsi, non-seulement il n'abandonne pas une parcelle de son autorité, mais il désarme l'administration. Il n'a pas besoin d'elle. Lui seul continuera à gouverner l'empire, cet empire qui est l'Europe occidentale, par des estafettes qui, aux meilleurs temps, prendront à l'aller dix, quinze et enfin dix-huit jours, en sorte que, de lu question posée à la décision reçue, il se sera écoulé vingt, trente, trente-six jours ! Lui seul, car, de l'Impératrice, il ne saurait être question : nul ne doit l'inquiéter d'affaires ; elle n'a ni signature à donner, ni conseil à tenir ; elle n'est et ne peut être de rien. Le nom de l'Empereur suffira pour tenir tout en paix, pour effrayer les factions, pour déjouer les complots, pour arrêter les invasions et les descentes, pour conjurer les révoltes de la faim. — En cette année 1812 est la terrible année de disette. Sur les routes, on rencontre chaque jour des êtres morts de faim ; partout on distribue des soupes à la Rumford, on ouvre des souscriptions, — remèdes vains qui montrent la plaie béante ; seul indice d'ailleurs, car on fait le silence sur les émeutes, châtiées si rudement qu'à Caen, en un jour, huit têtes roulent sur un même échafaud. Pus un instant d'hésitation, pas un retour sur cette France entièrement vidée de soldats ; nulle inquiétude. Au présent, son nom suffit ; à l'avenir, son fils.

A l'Élysée, comme, à partir du 30 mars, à Saint-Cloud, il travaille plus encore que d'ordinaire, mais point aux choses de l'intérieur ; il en est comme désintéressé ; il ne doute pas que tout n'aille au mieux ; il ne prend aucune précaution. Il n'attire même pas, par quelque manifestation publique, l'attention des peuples sur l'enfant qui doit assurer leurs destinées. S'il va voir, à la Galerie de Diane, le portrait où Gérard a représenté Marie-Louise avec le Roi de Rome, cela ne regarde personne ; au jour anniversaire de la Naissance, il refuse d'autoriser les témoignages d'allégresse que le ministre de l'Intérieur propose de favoriser. Point de fête, ni à la Ville, ni à la Cour, point de poèmes couronnés ni rémunérés. Seul Lemaire en produit un dans une séance publique de son cours de poésie latine, et il est de Virgile : c'est un centon par quoi se trouve célébré le siècle de Napoléon ; point d'argent à Fouqueau de Pussy, à Mme Dufrenoy, à Ruthiger, à F.-P. Palloy, qui ont accordé leurs luths pour l'anniversaire. Rien de public, hormis le 22 mars, à l'audience du dimanche, la présentation, par les maires des Bonnes-villes, de la médaille qu'elles ont frappée en l'honneur du baptême. C'est, gravée par Andrieu, une des pièces les mieux réussies de cette suite incomparable par qui la gloire de Napoléon se trouve assurée alors que les livres auront disparu, que les monuments seront en poussière et que les derniers débris de l'œuvre gigantesque, dispersés au vent des barbaries, seront abolis de la mémoire des hommes. On verra le héros, lauriers en tête, glaive au côté, vêtu d'un costume qui ne saurait être confondu avec l'antique, présentant de ses bras tendus l'héritier de son trône. On déchiffrera les noms de ces capitales, pour la première fois réunies sous un même sceptre ; on épellera les vocables des Bonnes-villes qui, comme des points lumineux, illumineront cette carte d'Europe sur laquelle Napoléon a répandu son empire, et, devant ce témoin irrécusable, à la face d'or, d'argent et de bronze, l'antiquaire devra confesser que cela ne fut pas une table et que le XIXe siècle eut aussi son Alexandre.

Pour son jour de naissance, le petit aura des jouets : de son père et de sa mère, un maillet en acajou avec lettres incrustées sur chaque face, découpures et grelots en argent ; un tambour à main en acajou découpé, monté en argent, une pièce chinoise roulante et mouvante, une toupie du diable montée en ivoire et garnie en velours, un lancier polonais roulant et mouvant ; de sa tante Caroline, bien mieux, une pièce mécanique contenue dans une boîte en or émaillé, avec un cercle de perles fines entourant un médaillon d'où un oiseau sort pour chanter un air.

Quand, le 30 mars, l'Empereur part avec l'Impératrice pour Saint-Cloud, reniant, un peu souffrant, reste à l'Elysée, d'où, le 8 avril, il sera mené à Meudon.

 

A Meudon, le vieux château, celui de la duchesse d'Étampes, du cardinal de Lorraine, de Servien, de Louvois, du Grand dauphin, laboratoire de guerre durant la Révolution, a été incendié en l'an IV, et a achevé de disparaître en l'an XI et l'an XII. Le château neuf, édifié vers 1693 par le Grand dauphin, s'est trouvé en assez bon état, en l'an XIII, pour mériter délie conservé, domine tous les palais royaux, il a perdu son mobilier et ses glaces, mais il a gardé ses boiseries et ne réclame que des réparations sans reconstruction. L'Empereur y a appliqué une centaine Ar mille francs par année (88.776 en l'an XIII, 19.823 en l'an XIV). Toutefois, il n'a meublé alors, pour 35.000 francs, que le rendez-vous de chasse. Ce n'a été que le 23 juin 1810 que, destinant Meudon à recevoir l'Institut des Princes de la Famille impériale, il a envoyé Fontaine pour fixer les distributions et dresser l'état du mobilier nécessaire. Depuis la mort de Napoléon-Charles, l'Empereur a laissé dormir ce projet. Mais, en 1810, il s'y est attaché sérieusement, et peut-être est-ce un fait assez insignifiant qui a déterminé ce réveil. Au commencement de mars, l'imprimeur Didot a sollicité l'autorisation d'entreprendre, à ses frais, sous les auspices de l'Impératrice, une collection des grands classiques français. Le 10 avril, donnant une forme nouvelle à cette proposition et l'appuyant d'un Hommage au Roi de Rome, où il a employé des caractères expressément dessinés et fondus à ce dessein, il a écrit au secrétaire d'Etat : Ce que mon père et moi avons commencé pour l'éducation du Dauphin, je désirerais l'exécuter avec une supériorité remarquable et l'étendre à votre choix, suivant le plan qui m'en serait tracé, à l'usage du Roi de Rome. L'idée a souri à l'Empereur, qui a demandé des éclaircissements et a été au moment d'accorder une souscription de 74.000 francs pour deux exemplaires sur peau de vélin et cinquante exemplaires sur papier vélin de chacun des volumes de la collection projetée ; mais, à la réflexion, le dessein lui a paru médiocre, et, du projet de Didot, il est passé à un projet qui lui est personnel et qui lui est bien autrement magnifique.

A la Maison d'éducation des Princes, où qu'elle soit placée à Meudon ou à Versailles, — ne vient-il pas de demander à Costaz, intendant des Bâtiments, un rapport approfondi sur les constructions qui, à Versailles, pourraient y être affectées ? — il veut une bibliothèque de 6.000 volumes. Sur ses ordres, Daru commande au bibliothécaire Barbier de dresser un tableau de celle bibliothèque avec un devis approximatif du prix qu'elle coûtera. Le 14 juin, Barbier présente le catalogue comprenant les meilleurs ouvrages dans tous les genres des connaissances humaines. La théologie y est double, catholique et protestante, les deux doctrines étant présentées au même titre, conformément aux Constitutions de l'Empire. Les 6.013 volumes qui paraissent nécessaires coûteront 35.549 francs. C'est trop. Barbier remanie le catalogue, le réduit à 1.000 volumes ; pour l'examiner, Daru réunit, le 10 octobre, dans son cabinet, une commission composée de Delambre, Cuvier, Dacier, Sylvestre de Sacy et Anisson-Dupéron ; mais il s'agit à présent de bien autre chose que de recueillir ces volumes : c'est d'imprimer tous ces ouvrages à l'Imprimerie impériale, dans le format in-12, en choisissant le plus beau papier, les caractères les plus commodes et en donnant à chaque volume cinq à six cents pages. La Collection ad usum Delphini, entreprise particulière, a eu trente et un volumes ; la Collection ad usum Regis, entreprise d'Etat, en aura quatre mille et formera une encyclopédie véritable. C'est en les portant au gigantesque que Napoléon conçoit à ce moment toutes les idées ; c'est pourquoi elles avortent. Pour la Collection ad usum Regis, on en resta au catalogue, comme, pour le Palais du Roi de Rome, aux fondations.

L'Institut des Princes ne fut pas plus réalisé en 1811 qu'il ne l'avait été en 1806, qu'il ne devait l'être en décembre 1813, où l'idée fut reprise ; mais, outre qu'il suggère à l'Empereur la restauration de Meudon. il attire son attention sur les méthodes d'éducation qui devront être appliquées à son fils, et, en 1812, bien que le Roi de Rome n'ait qu'un an, certaines idées sont déjà formées chez Napoléon et il commence à les appliquer.

Il a estimé que, dès leur premier âge, les Enfants de France doivent apprendre la France ; mais, comment les en instruire sans les fatiguer ? Comment les familiariser avec elle et, dans leur cerveau mou, imprimer des notions ineffaçables, à la fois justes, précises ri dynastiques, sur les diverses parties qui composent l'Empire ? Comment rendre agréables les premières connaissances relatives à la topographie, à la statistique, à l'histoire même ? Comment les synthétiser de façon que, sans fatigue, en se jouant et par manière de récréation, leur mémoire retienne un nombre, égal pour chaque département, de faits présentant une certaine analogie ? Par ordre de l'Empereur, le ministre de l'Intérieur s'adresse à Q.-E. Visconti, pour qu'il forme cette galerie des départements de l'Empire, qui semble aussi utile que magnifique. Visconti dresse un projet, tout en images : quatre grands dessins par département. Dessin du règne — monument, institution, bienfait de l'Empereur qui a eu lieu dans le département ou dont le département a été plus particulièrement l'objet ; dessin du chef-lieu — vue topographique et surtout monument ; dessin topographique — nom du département ; dessin historique — ancien, moyen Age, moderne. Visconti travaille ; peut-être exécutera-t-on comme il le demande son projet d'alias, mais la forme en est pédante, et ce n'est pas là ce qu'a prétendu l'Empereur. Lui-même, alors, imagine un service d'assiettes de table, sur lesquelles seront reproduits des sujets de l'histoire romaine, de l'histoire de France, des caries géographiques et diverses espèces d'animaux. On exécutera ces assiettes à Sèvres, mais il faut d'abord les sujets. Denon en est chargé ; il cherche donc ceux qui lui paraissent propres à être exprimés en peinture, à intéresser un enfant, à exciter sa curiosité et à orner sa mémoire de faits historiques qui puissent lui inspirer du goût pour l'étude de l'histoire. Il indique, pour une première livraison, soixante-dix sujets : onze qu'il tire de l'histoire romaine, trente-deux de l'histoire de France, huit des grands phénomènes que présente la nature, dix-huit de l'histoire naturelle : sur ceux-ci : quadrupèdes, oiseaux, poissons, pas plus que sur ceux-là : Saut du Niagara, Chute du Rhin, Mont-Blanc, Grand-Saint-Bernard, Eruption de l'Etna, l'Empereur ne fait d'objection ; de même accepte-t-il l'histoire romaine en dix sujets ; mais, sur l'histoire de France, il exerce sa censure : il ne veut pas qu'on montre à son fils Saint Louis pris pour juge par les vainqueurs pendant sa captivité en Afrique ; François Ier se faisant armer chevalier par Bayard ; Henri IV assiégeant Paris et faisant passer des vivres aux assiégés ; il biffe des anecdotes assez sottes sur Louis XI et Louis XIII, et, de sa propre histoire, il supprime l'Erection du Monument à la mémoire de Virgile, tandis qu'il approuve la Prise de Mantoue, la Bataille des Pyramides, la Révolte du Caire, les Pestiférés de Jaffa, le Passage du Saint-Bernard, l'Arrivée des Monuments d'Italie, le Code Napoléon, la Légion d'Honneur, les Embellissements de Paris, la Mort du duc de Montebello, le Baptême du Roi de Rome. Ce sont là les faits qu'il entend fixer dans l'esprit de son fils et qui lui semblent les plus dignes de mémoire. Brongniart, le directeur de la Manufacture de Sèvres, consulté sur le rapport de Denon, répond qu'il peut fabriquer chaque année, pour une somme de 10.050 francs, vingt-quatre assiettes à bords plats, fond gros vert ou gros bleu, avec ornements en or changeant à chaque sujet, douze d'histoire à 500 francs, six de grands phénomènes à 375, six d'histoire naturelle à 250. La commande est donnée, et au moins les dessins de certaines scènes sont exécutés.

Cette méthode est poussée plus loin. Les sieurs Delaneuville et Cie, exploitant, rue des Saints-Pères, n° 30, les brevets du sieur Antoine Vauchelet, ont appliqué à l'ameublement la peinture, sur velours ou autres étoffes, d'abord des ornements, des vases et des fleurs, puis des monuments et des vues. Pour lit Salon du Roi de Rome au palais du Sénat, ils oui confectionné, en velours fond bleu, à bordure couleur or, une décoration complète, consistant en huit pièces de tenture, trois canapés, dix fauteuils et six chaises, et formant un album de Rome et des environs eu quarante-six vues. Le succès marqué qu'ils ont obtenu et qui a décidé la reine Caroline à leur commander, pour Naples, un ameublement analogue, représentant des vues de Paris, détermine d'autres dessins pour les appartements du Roi, qui apprendra ainsi les aspects de son empire.

Ne faut-il pas trouver ainsi, chez Napoléon, l'indice d'un système d'enseignement par les yeux, d'une sorte de préliminaire de la leçon de choses ? Il veut de la connaissance plus que de la science, du jugement plutôt que de l'acquis, l'application des détails plutôt que l'élude des théories, surtout point de parties spéciales trop poursuivies, car il estime que la perfection ou le trop de succès dans certaines parties, soit des arts, soit des sciences, est un inconvénient pour les princes. Les peuples, a-t-il dit, n'ont qu'à perdre d'avoir pour roi un poète, un virtuose, un naturaliste, un chimiste, un tourneur, un serrurier.

Si prévoyant qu'il soit, il n'aborde point, dès 1812, le problème de l'éducation de son fils. Il ne songe point au gouverneur qu'il lui donnera. On a publié, à Londres, en 1850, une brochure intitulée : De l'Education des Princes du sang de France, système d'éducation pour le Roi de Rome et attires princes du sang de France, rédigé par le Conseil d'État, arec l'approbation et sous l'instruction personnelle, de l'empereur Napoléon. Dès la première ligne et par la date même où ce système aurait été approuvé — juillet 1815 — on est averti de la fraude et du mensonge. L'auteur, le colonel d'Assigny, sous-gouverneur des Pages depuis l'an XIII, a prétendu poser par là sa candidature à la direction de l'Institut des Princes. Pas une des idées qu'il expose ne peut être de l'Empereur, qui a six années devant lui et qui est à Wilna et à Witepsk à l'époque où il est censé approuver ces déclamations.

De même, parce que, le 5 janvier 1812, il a nommé le général de division comte Randon de Pully gouverneur du Palais de Meudon, où va résider son fils, n'a-t-il nullement entendu, comme on l'a dit, le nommer gouverneur du Roi de Rome. Sans doute, M. de Pully est d'une ancienne famille dont trois branches au moins — Randon d'Hanneucourt, Randon du Lauloy et Randon de Pully — sont al tachées à l'Empire. Fils d'un Randon seigneur de la Malboisière et d'une Picquefeu de Longpré, entré à dix-sept ans, en 1768, dans Berchiny, d'où il est passé aux Mousquetaires ; capitaine de dragons en 1770, lieutenant-colonel du 10e de Cavalerie eu 1789, rallié à la Révolution, tandis que sa femme, née Desmier d'Archiac, émigrait avec ses deux enfants ; colonel et général de brigade en 1792, général de division le 8 mars 1793, il a été le héros des premières guerres ; puis, bien qu'il oui divorcé, il a été presque laissé de coté depuis le 1er août 1793 ; pris en gré par le Premier consul, constamment employé par lui comme divisionnaire et comme inspecteur de cavalerie, il a rendu alors d'excellents services ; mais il a soixante et un ans, et il est vieux pour la guerre : l'Empereur donc, en même temps qu'il organise Meudon, qu'il l'agrandit du Petit parc, des étangs de Chalais et de Trivaux, rachetés du prince de Neuchâtel et de Joséphine Carcano, veuve Visconti ; qu'il le dote d'une batterie de cuisine de 30.000 francs et d'une lingerie de 33.000, y veut un gouverneur comme dans les autres palais impériaux, et, pour cette mission de confiance, il désigne Pully, auquel il assigne ainsi un supplément de retraite de 15.000 francs. Comme, en outre, Pully a la cravate de commandant depuis le 25 prairial an XII, qu'il a reçu une dotation de 10.000 francs le 15 août 1809 et qu'il continue à figurer dans le cadre des généraux employés, et à en loucher la solde, la place est bonne, mais la responsabilité est grande. Le gouverneur est sous les ordres directs de la gouvernante ; elle commande, il exécute ; mais c'est lui qui, somme toute, pourvoit à la sûreté du Roi de Rome, et avec quoi ? le personnel de la maison du Roi se compose du secrétaire, d'un chapelain, l'abbé Valentino, de dix domestiques, dix valets de pied et un service de bouche ; le personnel du palais, d'un adjudant, un concierge, — Hambart, l'ancien valet de chambre de l'Empereur, — et neuf employés, trotteurs, portiers, jardiniers, fontainiers et garde-magasin ; la garnison, du piquet d'honneur, de vingt fantassins commandés par un officier, de quelques gendarmes et sapeurs. Rien dans le village ; il faut aller à Sèvres pour du renfort. Au reste, qui pense a cela ?

On a bien assez à faire, au début d'avril, de s'installer. La gouvernante, qui règle tout, selon les droits de sa charge, s'inquiète qu'on suive l'étiquette ; il faut que la chambre de l'enfant soit assez spacieuse pour contenir au moins trois grands lits : le lit du Prince, sous l'impériale duquel on montera le berceau, le lit de la gouvernante, le lit de la nourrice ; et puis, le berceau venu de Saint-Cloud est à présent trop petit pour l'enfant, il faut prendre celui de l'Elysée : et puis Mme de Montesquiou demande des meubles de jardin, des ployants garnis de peau jaune, une grande tente en coutil rayé de 1.333 francs ; tout ce qui est nécessaire pour un séjour qui doit durer plusieurs mois, dans une maison où le Garde-Meuble a fait porter ce qui est prévu par le règlement, mais rien de plus.

A Saint-Cloud, durant ce temps, l'Empereur tient des cercles, donne des audiences, reçoit des présentations et des serments. On le voit à Saint-Germain, à Rambouillet, à Paris, au Raincy, à Courbevoie, au bois de Boulogne ; nulle mention qu'il paraisse à Meudon. Sans doute, il doit y venir, sans doute le Roi de Rome doit venir à Saint-Cloud ; mais le Journal des Voyages, qui enregistre tous les déplacements, est muet à ce sujet. Est-ce l'Empereur qui a commandé le silence ? S'émeut-il à la pensée de quitter son fils ou prétend-il ne point éveiller l'attention ? Pourtant, nulle inquiétude sur sa sûreté ; nul scrupule d'emmener Marie-Louise qui, elle, est toute à la joie de retrouver à Dresde son père et sa belle-mère, de revoir ensuite sa famille et son pays, et d'y déployer le luxe, l'élégance et l'éclat, qui lui plaisent.

A cette guerre qui va décider des destinées du monde, Napoléon part connue à un voyage d'agrément, avec la cour la plus nombreuse et le train le plus somptueux. L'enfant reste avec sa gouvernante et sa maison. On enverra de ses nouvelles par chaque estafette. Le 9 mai, l'Empereur est en roule.

 

On va maintenant s'occuper de sevrer l'enfant ce qui n'ira pas sans une grande consommation de pain d'épice de Reims. Mme de Montesquiou rend compte chaque jour, et, parfois, l'Empereur répond par un mot d'approbation : de Dresde, le '^{ mai : J'apprends avec plaisir la bonne santé du Roi. J'ai confiance, en fait de médecine, dans mon premier médecin, Corvisart ; de Königsberg, le 16 juin : Je ne puis que vous témoigner ma satisfaction des soins que vous prenez du Roi. J'espère que vous m'apprendrez bientôt que les quatre dernières dents sont faites. J'ai accordé pour la nourrice tout ce que vous avez demandé ; vous pouvez lui en donner l'assurance. Cela marque la fin de la nourriture, et Mme Auchard va rentrer dans le commun des êtres : elle emporte, outre son trousseau, pour plus de vingt mille francs de diamants, de bijoux et d'argenterie, au moins autant d'argent qu'elle a reçu en cadeau, outre ses gages ; une rente de -1.800 francs en tiers consolidé sur le Grand-Livre — l'usufruit à elle, la nue propriété à ses enfants — et une pension annuelle et viagère de 0.000 francs sur le trésor de la Couronne. A chaque nouvel an elle aura encore, en etrenn.es, près de 0.000 francs[2].

Les nourrices retenues, Mme Carville et Mme Mortier, seront licenciées du même coup, avec une gratification supplémentaire de 6.000 francs. La surveillante, Mme Bruslon, qui reçoit 3.000 francs, est conservée, ainsi que la maison de la rue de Rivoli, pour le cas d'une nouvelle grossesse.

L'enfant, sevré à quatorze mois, supporte bien l'épreuve ; Mme de Montesquiou surveille et dirige tout au mieux, avec le concours de Mme de Boubers. Le régime qu'elle institue est sévère : le matin, le petit roi a les potages que remue toujours la femme Colaud ; dans le jour, on ne sert à sa table qu'un seul repas, composé de deux potages, le bœuf, une entrée, un rôti et un entremets. Comme à Saint-Cloud et aux Tuileries, les mets sont accommodés aux cuisines, la gouvernante a demandé, pour les renfermer et les apporter, une boite, dont elle donne le dessin à Jacob, et dont elle aura une des clefs, l'autre restant aux mains du cuisinier. L'entant s'essaie à marcher, mais ses chutes sont fréquentes : tous ses salons, à Saint-Cloud comme aux Tuileries et à l'Élysée, seront donc, sur le pourtour, garnis d'une sorte de matelas ayant trois pieds de hauteur propre à le préserver de tout choc et couvert d'une housse en quinze-seize vert : tout ce vert est pour ménager ses yeux. Les attentions de la gouvernante vont au moral aussi bien qu'au physique ; ne se montrent-elles pas dans les sujets des pendules qu'elle a choisies pour les appartements des Tuileries ? Pour la chambre du Roi, la Muse de l'Histoire debout et appuyée sur une borne antique ; pour le cabinet, un enfant ayant auprès de lui des attributs militaires, recevant les levons de sa mère ; pour le salon, l'Étude appuyée sur des livres. Par tous les cotés, elle l'élève vraiment et le dresse ; elle s'ingénie à développer son intelligence, à corriger son caractère, à réprimer ses colères, à retenir ses fantaisies. Elle a pris sa charge comme un devoir, s'est retirée du monde, exilée de sa famille, condamnée à une vie d'abnégation, et elle prétend, de son pupille, faire d'abord un chrétien qui prenne ensuite les sentiments et les habitudes d'un souverain. Elle ne néglige rien de ce qui convient à ce sujet ; le petit roi est velu comme un prince des contes de fées, et c'est joli, les Ilots de dentelles dont sont couvertes ses robes de batiste brodée, les hautes valenciennes qui frissonnent à son linge, ses chapeaux de castor blanc à ganses d'argent que garnissent des plumes blanches, ses mignons souliers de maroquin de couleurs vives qui tranchent sur le blanc des jupes. Elle pense à tout. Au printemps, pour faire le buste du petit roi, elle a appelé, à Meudon, Treu, de Bâle, qui est en réputation pour les jolies figurines qu'il modèle ; tantôt, pour fêter l'Empereur, elle lui enverra le portrait en miniature de son fils, assis sur un mouton, qu'elle a fait peindre par Mme Aimée Thibault et payé 1.098 francs sur la Cassette. Confié à M. Débonnaire de Gif, auditeur au Conseil d'Etat, qui porte à l'Empereur le travail des ministres, ce présent arrive au jour dit, et, le 23 août, de Smolensk, l'empereur répond : J'ai reçu le portrait du Roi. Je l'ai trouvé fort ressemblant. Il me fournit une occasion que je saisis avec plaisir de vous témoigner toute ma satisfaction des soins que vous prenez pour lui. Cette miniature ne quittera pas l'Empereur ; elle raccompagnera dans ses mauvaises fortunes ; elle sera le dernier objet sur lequel il posera ses regards[3].

Plus tard, sans doute sur cet exemple, Marie-Louise veut, elle aussi, envoyer à l'Empereur un portrait de son fils. Une miniaturiste ne lui suffit pas, il lui faut Gérard et une grande toile. Bausset, qui va rejoindre le quartier générai, est chargé de la caisse qui couvre l'impériale de sa voiture. II arrive pourtant, et c'est le 6 septembre, le matin de la Moskowa. L'Empereur veut voir son fils fout de suite, le fait porter à sa tente, appelle lui-même les officiers de sa Maison et les généraux qui attendent ses ordres : Messieurs, leur dit-il, si mon fils avait quinze ans, croyez qu'il serait ici autrement qu'en peinture. Puis, après avoir considéré le portrait avec bien du plaisir et beaucoup plus qu'on ne pourrait le supposer au milieu de ses grandes occupations, il dit vivement et comme s'arrachant à une émotion qu'il s'efforce de maîtriser : Retirez-le ; il voit de trop bonne heure un champ de bataille !

Pendant tout le séjour que fait l'empereur au Kremlin, ce portrait est placé dans sa chambre à coucher. Il le montre avec orgueil à Rapp et lui dit avec une satisfaction que ses yeux ne cachent pas : Mon fils est le plus bel enfant de France ! Dans la retraite, ce tableau a été perdu : heureusement, Gérard en avait exécuté au moins deux répliques, dont une, donnée par l'Empereur à Mme de Montesquiou, est conservée dans une branche de ses descendants. Le 1S juillet, Marie-Louise venant de Prague est rentrée à Saint-Cloud. Dans le vestibule, elle a trouvé le Roi de Rome, arrivé le même jour de Meudon, que la gouvernante lui a présenté. L'enfant est très beau, très fort. Il court partout tout seul ; il a quinze dents, mais il ne veut pas parler et on craint que les dents qu'il doit percer sous peu de temps, ne le retardent encore. Retrouvant après plus de deux mois de séparation, ce petit être, Marie-Louise devrait s'estimer heureuse de le posséder : mais à peine en jouit-elle. A des jours, et surtout aux jours de fête populaire, on la voit bien le promener en calèche dans le parc de Saint-Cloud ; elle écrit bien qu'elle ne se lasse pas d'avoir auprès d'elle son fils qui est si intelligent, qu'elle a trouvé si embelli et si grandi ; elle dit bien qu'elle s'occupe beaucoup de lui ; de fait, elle ne sait pas et elle ne peut pas. Inexperte et maladroite, redoutant d'autant plus de l'être, elle a comme une peur d'instinct de casser son enfant, si elle ; le touche, le prend et le porte. Et puis, constamment, la gouvernante s'interpose, et, comme la dame d'honneur se rend plus ouvertement hostile à proportion de l'unique empire qu'elle a pris sur la faiblesse de l'Impératrice, Mme de Montesquiou se renferme et se rend plus froide à mesure qu'on se retire d'elle. Sans doute, amène-telle chaque jour, comme c'est son devoir, l'enfant chez l'Impératrice, mais elle seule commande, règle et dirige, elle est la mère véritable : c'est ainsi de par les Constitutions et sur l'ordre de l'Empereur : de Moscou, le 16 octobre, en même temps qu'il écrit seulement à Marie-Louise : Le petit Roi le rend, j'espère, bien contente ; n'écrit-il pas à Mme de Montesquiou : J'agrée les sentiments que vous m'exprimez. C'est moi qui vous suis tout à fait redevable pour les soins que vous prenez du petit Roi : j'en suis très reconnaissant. J'entends parler avec plaisir des espérances qu'il donne. Ces paroles de reconnaissance sortent tellement de son style habituel, qu'on ne saurait méconnaître la profondeur du sentiment qu'il exprime, et l'approbation si pleine qu'il donne à Mme de Montesquiou reçoit, des circonstances, presque un air de blâme contre Marie-Louise. Au moins, pour celle-ci, le petit Roi est une distraction, pour celle-là, il est la vie même.

 

 

 



[1] Isabey avait conservé de ce portrait une répétition où il avait corsé le décor de drapeaux français et autrichiens et de lauriers. Cette aquarelle fait aujourd'hui partie de la collection de Mme Rolle.

[2] Après avoir quitté son nourrisson, Mme Auchard se retira à Lagny, où son mari acheta, de compte à demi avec un de ses amis, M. Trianon, une propriété appelée le Château Saint-Laurent, qui coûta 60.000 francs. Auchard fit des emprunts pour payer la moitié du principal, l'ameublement, l'installation. Il tira 13.405 francs de l'argenterie et d'une partie des bijoux, mais cela ne suffit pas. Il mourut avant la fin de l'Empire, ainsi qu'un de ses enfants. Les frais de succession (9.798 fr.), le séjour des troupes étrangères (3.000 fr.), la perte de la pension sur le Trésor, éprouvèrent fort Mme Auchard, qui se mit à poursuivre de ses demandes Marie-Louise. Elle reçut d'elle de bonnes sommes, mais ses dettes n'en montaient pas moins, en 1821, à 37.425 francs. Elle se libéra en vendant, le 18 novembre, la moitié indivise du château Saint-Laurent. Il lui restait un capital assez fort, et sa rente de 4.800 fr. ; elle eut de plus, en 1830, sur la liste civile de Louis-Philippe, une rente de 2.000 francs dont elle jouit jusqu'à sa mort, le 15 novembre 1846. Son fils, malgré l'allocation annuelle de 6.000 francs qu'il avait, en 1853, obtenue de l'empereur Napoléon III, demandait sans cesse et proposait des combinaisons pour payer ses dettes. Il mourut à Lagny, le 25 mars 1871. De son autorité privée, il s'était fait baron.

[3] De ce portrait, il existe sans doute plusieurs répliques : une exécutée du 19 au 23 septembre 1812 ; d'autres, payées le 12 février, le 11 septembre, le 2 octobre 1813. Ce portrait a été gravé, sinon aux frais de l'Impératrice à qui a été dédiée la planche, du moins avec sa souscription de 000 francs et celle du Moi de 1.000 francs.