(Novembre-Décembre 1810)Consultations du grand maître des Cérémonies sur la formation de la Maison. — La gouvernante des Enfants de France. — Rang et serment. — Nomination de Mme la comtesse de Montesquiou. — Mme de Montesquiou, son passé, son caractère. — Pourquoi elle est choisie. — Mme de Montesquiou forme la Maison. — Budget de cette Maison. — Règlement. — Honneurs et fonctions de la gouvernante. — Les sous-gouvernantes. — Mme de Boubers et Mme de Mesgrigny. — L'écuyer, M. de Canisy. — Le secrétaire de la gouvernante. — Les médecins. — Les femmes-rouges. — Les femmes-noires. — Les berceuses. — Les femmes-blanches. — La domesticité. — La nourrice. — La maison de retenue. — Conclusions à tirer de cette formation de la Maison. Monsieur le comte, écrit, le 5 octobre, le grand maréchal au grand maître des Cérémonies, je vous engage, quand vous viendrez à Fontainebleau, à apporter ce que vous pouvez avoir sur l'annonce de la grossesse des reines, les baptêmes, la nomination et les fondions des gouvernantes, parce qu'il est probable qu'on fera ce travail ici. J'ai déjà beaucoup de renseignements, que je vous donnerai sur les deux premiers articles, et même tout ce que l'on peut avoir ; mais je n'ai rien sur le troisième. C'est le plus important sans doute et le plus difficile, car là, tout est de tradition et rien n'est écrit. Ségur se hâte de s'enquérir. On lui dit que, sous l'ancien ne monarchie, la charge de gouvernante des Enfants de France, la seule grande charge de la Couronne pour les femmes, était inamovible, et que le Parlement en enregistrait le brevet. La gouvernante avait le pas sur toutes les dames ; Louis XV étant mineur, Mme de Ventadour tenait la Cour ; pendant les voyages, les Enfants de France restant à Versailles, la princesse de Marsan donnait l'ordre. Si la princesse de Lamballe eut le pas sur la gouvernante, ce ne fut pas comme surintendante de la Maison de la Reine, mais comme princesse ; du sang. La gouvernante nommait à toutes les places du service, sauf pour les sous-gouvernantes qu'elle présentait seulement à la nomination du Roi, mais jamais sa présentation ne fut refusée, et les sous-gouvernantes étaient entièrement à ses ordres. Elle nommait même les médecins. Son grand office la mettait bien au dessus de la dame d'honneur : elle avait en effet un travail direct avec le Roi pour les nominations et pour les dépenses qu'elle seule ordonnançait. File était présente à ht naissance et recevait l'Enfant, les sous-gouvernantes tenant les coins du drap. Elle couchait dans la chambre de l'Enfant, où deux lits semblables étaient dressés : l'un pour elle, l'autre sur lequel était placé le berceau. Dans les enviions, elle se faisait arranger un cabinet de toilette. Mme de Marsan, de Guéméné et de Polignac avaient en outre un appartement communiquant à celui des Princes. La gouvernante répondait aux harangues laites aux Enfants ; à toute heure de jour ou de nuit, elle pouvait se présenter chez le Roi ou chez la Reine ; elle avait une clef de l'appartement du Roi ; elle recevait le mot. Quand l'Enfant sortait en chaise à porteurs, elle le tenait sur ses genoux ; un huissier et des valets de pied précédaient ; une sous-gouvernante, la nourrice et une surveillante suivaient. Si c'était en voiture, elle donnait ses ordres à l'écuyer cavalcadour et à l'officier des Cardes du corps commandant le piquet de service ; une sous-gouvernante montait avec elle ; la nourrice et deux femmes de chambre suivaient dans une autre voiture. Son couvert était mis à la table de l'Enfant ; elle lui faisait l'essai des mets ; quand il était sevré, elle était assise près de lui pendant qu'il dînait, lui coupait et préparait les aliments. Elle était chargée du renouvellement de la garde-robe, qui avait lieu tous les trois ans. et tout ce qui venait de l'Enfant lui appartenait. Elle seule passait la chemise aux Enfants : enfin, la messe était célébrée tous les jours dans l'appartement des Enfants. Ainsi parle Ségur, un peu au hasard de ses souvenirs, des
souvenirs de quelques personnes de la cour de Louis XV et de Louis XVI, mais
subalternes, car. bien sûr, on n'a rien à apprendre des Polignac ni des
Tourzel ; il n'y a rien aux Cérémonies, et presque rien n'a été écrit sur
celle charge. L'Empereur n'est point satisfait. Il
manque de données sur la gouvernante, son rang, ses fonctions, la même chose
sur les sous-gouvernantes et ce qui est inférieur. Pourquoi donnait-on
le mot à la gouvernante ? Les princesses avaient-elles ainsi que le Dauphin
un lieutenant des Gardes du corps ? Surtout, comme Ségur a dit que la
gouvernante avait le premier rang à la Cour, faut-il entendre qu'elle passait
avant la dame d'honneur et avant les grands officiers ? Sa place était-elle à
vie ? Le Dauphin allait-il à six ou à huit chevaux ? Le Roi de Rome
devrait-il recevoir de la Majesté ? Quel était, en Allemagne, le traitement
du roi des Romains ? Ségur n'est pas embarrassé de répondre que l'on doit donner de la Majesté au Roi de Rome ; le roi des Romains l'avait, et la Sacrée Majesté après son couronnement ; que le Dauphin et toute la Famille royale allaient à huit chevaux, les princes du sang à six ; que la charge de gouvernante était à vie, témoin la démission de Mme de Guéméné ; mais, sur la question du rang, qu'il sent brillante, il ne se soucie point d'affronter Mme de Montebello et l'Impératrice, et il se réserve. Il a dit que la gouvernante était la première de toutes les femmes de la Cour parce qu'il l'a toujours entendu dire ainsi ; mais, anciennement, à la Cour, il n'y avait aucune distinction de rang, sauf le tabouret pour les duchesses. L'Empereur s'arrête alors à cette formule : Lorsque la gouvernante est avec les Enfants de France,
rien ne peut la séparer d'eux. Ils marchent immédiatement après l'Empereur,
et la gouvernante ne cède alors le pas à personne, pas même aux princesses.
Sans les Enfants, elle a le pas sur toutes les dames de la Cour, mais elle ne
prend pas la place assignée à la dame d'honneur par son service. Ainsi, si
elle accompagne le cortège de Leurs Majestés à la chapelle, elle marche
immédiatement après les princesses. Au spectacle de la Cour, elle se place
dans la loge des grands officiers ; à la table de l'Empereur, à la droite de
Sa Majesté ; aux grands Cercles, sur le premier pliant du rang placé à la
droite de l'Empereur. Cette question réglée — et elle est majeure, étant données
les influences et les brigues, surtout l'attention que porte alors l'Empereur
à tout ce qui est étiquette, rangs et préséances, — on passe à la formule du
serment. Il le faut conforme aux précédents monarchiques, mais avec une
nuance impériale discrète et la suppression des mots vieillis qui sentiraient
trop l'ancien régime. Après bien des corrections et des retouches, on adopte
cette rédaction : Je jure obéissance aux Constitutions
et fidélité à l'Empereur, le promets de servir, avec assiduité et dévouement
et dans toutes les fonctions de la charge que Sa Majesté m'a conférée, les
Enfants qu'il plaira à Sa Majesté de me confier ; d'observer exactement les
ordres qu'elle me donnera et de veiller à ce que chacune des dames et autres
personnages placés sous mes ordres remplissent bien leur devoir ; de pourvoir
avec économie et pour les intérêts de Sa Majesté, aux dépenses qui me sont
attribuées ; de n'entretenir aucune correspondance étrangère ; de n'avoir
aucun rapport avec les princes étrangers et de n'en point recevoir de
présents, et, s'il vient à ma connaissance quelque chose de préjudiciable à
la sûreté ou au service de Sa Majesté ou des Enfants de France, de l'en
avertir sur le champ. Ces préliminaires remplis très en hâte, car le grand maître, malade à Paris, n'a pu envoyer les premiers renseignements que le 15 octobre, et, pour établir le rang et la formule de serment, il a fallu des correspondances qui ont mené jusqu'au 21, l'Empereur ne s'arrête pas davantage. Sans attendre à ; mémoire qu'il a fait demander a d'Hauterive sur les prérogatives du roi des Romains, sans régler le service de la gouvernante et des sous-gouvernantes, il passe à la nomination, comme s'il prétendait ainsi déjouer les intrigues, éviter les compétitions et surprendre la Cour. Par un décret en date du 22 octobre, la comtesse de Montesquiou est nommée gouvernante des Enfants de France. Elle est la femme du grand chambellan qui, le 29 janvier 1809, a remplacé le prince de Rénovent. Née Le Tellier de Louvois, dernière représentante, avec sa sœur la duchesse de Doudeauville, de la branche aînée d'une famille rendue glorieuse par ses services, elle tient par son arrière grand'mère, aux Noailles, par sa grand'mère aux Gontaut, par sa mère aux Le Ragois de Bretonvilliers et aux Sainte-Aulaire. A quinze ans, par contrat du 3 janvier 1780, elle a été mariée à Elisabeth-Pierre baron de Montesquiou, d'une des maisons les plus anciennes et les plus illustres de la vieille France, car, par les comtes de Fezensac, issus des ducs de Gascogne, rois de Navarre, elle remonte à Charibert, roi de Toulouse, descendant de Clovis. Présentée le 14 janvier 1781, elle a été de la Cour, surtout chez Monsieur, dont son mari était premier écuyer en survivance. Sa conduite a été intacte, sa réputation parfaite. Elle s'est occupée à merveille de ses enfants, dont elle a eu trois de 1782 à 1789. A la Révolution, bien que son beau-père, le marquis, eût pris parti pour le 'fiers et fût des principaux de la Constituante, elle a été épargnée par les pamphlétaires royalistes, ce qui vaut tous les certificats. Par l'influence de Mirabeau et de l'abbé de Montesquiou, son mari a été nommé, le 4 avril 1791, ministre du Roi près de l'Electeur de Saxe. Elle l'a accompagné à Dresde, où elle est restée, lorsque, en septembre 1792, dans un accès de zèle royaliste, M. de Montesquiou eut quitté son poste et s'en fut venu à Londres. Vers la fin de 1792, elle est rentrée en France, où son mari l'a retrouvée, et ils semblent l'un et l'autre, avoir échappé à la Terreur. Sans doute a-t-elle vécu en quelque coin ignoré de la Sarthe, où elle est accouchée d'un quatrième et d'un cinquième enfant. Au Couronnement, son mari a reparu avec une fonction officielle, mais combien mince ! celle de président de Canton — les Chinois, comme on se plaisait à dire, qui, dans la foule des habits brodés, faisaient un peu l'effet des députés du Tiers à la procession des Etals Généraux. On lui a compté sa bonne volonté : en l'an XIV, il a été élu par le Sénat député au Corps législatif pour le département du Nord. Il s'est fait une place dans cette assemblée qui, pour muette qu'elle est, n'en travaille que mieux ; en 1808, il a été président de la commission des finances et s'est trouvé dès lors approché de l'Empereur qui l'a apprécié. D'ailleurs, son fils aîné, Rodrigue-Charles-Eugène, a été, dès 1806, désigné pour officier d'ordonnance de l'Empereur, et, depuis 1807, sans quitter le service actif, il est chambellan de l'Impératrice : cela fait un pont. Au début de 1809, l'Empereur, spontanément, nomme M. de Montesquiou grand chambellan, et, en 1810, il le désigne comme président du Corps législatif, avec un traitement spécial de 0.000 francs par mois. De la sorte, Mme de Montesquiou se trouve de la Cour ; on lui fait politesse, et elle est mise parfois sur la liste des voyages ; ainsi elle est venue, le 2 août 1810, à Trianon. Là, comme on sait, l'Empereur n'invitait à sa table que sept ou huit personnes, les autres mangeaient avec le grand maréchal. Un soir, Mme de Montesquiou, ne s'attendant pas à être appelée, avait prié le préfet de service de ne pas oublier ses deux plats de maigre, car elle était fort pieuse et c'était un vendredi. L'Empereur lui fait dire qu'elle dînera avec lui, et il la place à sa droite. Plus occupée de sa conscience que de l'honneur qui lui est fait, elle voit avec embarras qu'il n'y a rien de maigre, et commence tranquillement à dîner avec du pain et du beurre. L'Empereur la regarde et ne dit mot. Soudain, on pose sur la table impériale les plats qu'elle a demandés pour la table de service ; son embarras est au comble ; elle pense que l'Empereur se formalisera d'une telle inconvenance, mais elle n'en mange pas moins toute seule le maigre qu'on a apporté pour elle. Napoléon regarde toujours sans mot dire. Chacun est persuadé que cet acte de dévotion — et dévotion est bigoterie — la perd à jamais dans l'esprit du maître. C'est tout le contraire : l'anecdote est restée gravée dans l'esprit de Napoléon qui y a vu un trait de caractère. En recevant le serment de Mme de Montesquiou, il lui dit : Madame, je vous confie les destinées de la France. Faites de mon fils un bon Français et un bon chrétien, l'un ne saurait aller sans l'autre, et, comme quelques courtisans sourient : Oui, Messieurs, affirme-t-il, la religion est, à mes yeux, l'appui de la morale et des bonnes mœurs. Y eut-il d'autres noms prononcés ? On a dit Mme de Ségur, la femme du grand maître ; mais n'était-elle pas bien âgée à cinquante-cinq ans ? Certes, elle était née Daguesseau, et on la citait pour modèle, mais elle était de petite santé et l'on pouvait craindre qu'elle ne menât point l'Enfant jusqu'à l'âge où il passerait dans les mains des hommes. L'Empereur, en la nommant vice-présidente de la Société maternelle, lui marqua le cas qu'il faisait de ses vertus, mais n'alla pas plus loin. Pour la considération et la convenance, Mme de Montesquiou était ce qu'il fallait : C'était, a-t-on dit avec un désir de malignité, une personne à qui les devoirs étaient nécessaires. Heureuses, celles-là ! Toutefois, de sa naissance et de ses alliances, n'avait-elle point reçu, pris et gardé quelque hauteur ? Son mari, ses fils, ses beaux-frères étaient ralliés à l'Empire, mais sa sœur et tous ses entours restaient intransigeants : l'oncle de son mari, l'abbé de Montesquiou, était, à Paris, le correspondant attitré du comte de Lille ; son beau-frère, La Rochefoucauld, se tenait dans une opposition marquée. Par une pente naturelle, elle fut tournée à se rendre, ainsi que son mari, l'appui et l'intermédiaire de l'ancienne noblesse, et elle s'y employa d'autant mieux qu'elle trouvait ainsi à justifier devant sa conscience la place qu'elle occupait. Elle le fit d'ailleurs de bonne foi, pour rendre service aussi bien à l'Empereur, qui y gagnait des courtisans, qu'à ses protégés, qui en recevaient des grâces : Napoléon ne comptait-il pas qu'il en serait ainsi ! Celte nomination marque, en effet, une étape nouvelle vers la reconstitution, autour du trône, d'une cour telle qu'eût été celle du Roi. Ayant à choisir la dame d'honneur de l'Impératrice, l'Empereur a pris la duchesse de Montebello, femme d'un maréchal d'Empire mort à l'ennemi, parce qu'elle représentait quelque chose de la Société nouvelle et de la Révolution : moins d'un an plus tard, ayant à désigner une gouvernante des Enfants de France, il ne pense même pas qu'il puisse investir d'une telle charge la femme d'un de ses compagnons d'armes, la duchesse d'Istrie, par exemple : il va de lui-même à ce qui est le mieux né, le mieux allié, à ce qui, en même temps, est le plus religieux, par suite, le plus éloigné des doctrines modernes, et c'est à la vieille France qu'il confie l'éducation de l'empereur futur. Aussitôt nommée, Mme de Montesquiou s'occupe de la formation de la Maison et du règlement à y donner, et elle y travaille avec le grand maréchal. L'on a pour modèle la Maison des Enfants telle qu'elle était conseillée en 1780 : mis à part le Dauphin, qui avait alors reçu sa maison particulière, les Enfants de France — le duc de Normandie et Madame — avaient une gouvernante, la duchesse de Polignac (la marquise de Tourzel ne fut nommée qu'après le 21 juillet), et quatre sous-gouvernantes : Mme de Mackau, née Fitte de Soucy, Mme de Soucy, née Lenoir, Mme Fitte de Soucy, née Mackau, et Mme de Villefort ; pour la chambre, un secrétaire des commandements et un secrétaire de la chambre ; pour la santé, un médecin et un chirurgien ; puis, réserve l'aile de l'instruction, dont il ne s'agit pas encore, quatre premières femmes, quatorze femmes de chambre, compris les survivancières, quatre valets de chambre, quatre garçons, quatre portefaix et une femme de garde-robe. C'est sur ces bases qu'on établit à la Maison nouvelle : elle comprend une gouvernante à 10.000 francs, deux sous-gouvernantes à 12.000, un secrétaire des commandements à 12.000, un secrétaire de la gouvernante à 9.000, un médecin à 15.000, un chirurgien à 12.000, deux premières-femmes à.'i.000, deux berceuses à 2.400, deux femmes de la garde-robe à 1.500, deux filles de la garde-robe à 1.000, deux huissiers à 3.800, quatre valets de chambre à 3.400, deux garçons de garde-robe à 1.800 ; de plus, pendant la nourriture, une nourrice à 2.400, avec deux nourrices retenues à 1.300, et une bonne pour elles, et, pour la table de la gouvernante, un maître d'hôtel à 3.000 et un tranchant à 1.800. Au budget de la Maison des Enfants, on rattache, pour l'exercice 1811, un chirurgien accoucheur, pour l'accouchement seulement, à 15.000 francs ; on y comprend une layette de 100.000 francs pour ce qui concerne les Enfants. On a prévu d'ailleurs pour garde-robe, toilette et atours des Enfants, 30.000 francs, que l'Empereur réduit à 20.000 ; pour habillement et entretien des nourrices, 10.000 francs, que l'Empereur réduit à 5.000. Avec 30.000 francs pour l'imprévu, le chiffre total qu'il admet est 357.260 francs. Ce chiffre doit être singulièrement majoré et ne représente pas la dépense effective. La plupart des articles que l'intendant général avait d'abord proposés au compte de la Maison des Enfants ont en effet été reportés au compte général de la Maison impériale. Ainsi avait-on prévu une bouche complète, comportant vingt employés, garçons de fourneau, de cuisine, d'office, de cave, d'argenterie, de porcelaine, lingères, frotteurs, hommes de peine et allumeur, avec 17.618 francs de gages et d'habillement ; on avait passé 9.000 francs pour le blanchissage, 36.000 pour l'éclairage, 50.000 pour le chauffage, 101.835 pour la bouche et 13.000 pour l'entretien de l'argenterie, de la lingerie et de la batterie de cuisine, les frais de transport et d'emballage. A la bouche, on avait, pour la gouvernante, une table de cinq couverts, chacun a 24 francs par jour ; pour les sous-gouvernantes, une table de deux couverts au même tarif ; on avait compté la nourriture des premières-femmes, de la nourrice et des berceuses à 6 francs, et celle des vingt et un autres employés de 5 à 3 francs. Toul cela subsiste : seulement, au lieu d'être portée au budget de la Maison des Enfants, la somme totale, 227.483 francs, est admise en augmentation au service du grand maréchal. De même, la cassette — 100.000 francs — est portée au chapitre de la Maison de l'Impératrice, et la dépense, selon un ordre bientôt révoqué, en sera ordonnancée par la dame d'honneur ; de même, au service de l'intendant général, — article du mobilier des palais, — les 300.000 francs pour l'ameublement de l'appartement des Enfants, à raison de 50.000 dans chaque palais, Tuileries, Saint-Cloud, Trianon, Fontainebleau, Rambouillet et Compiègne ; de même, au service du grand aumônier, les appointements du chapelain qui célébrera la messe, chaque jour, dans l'appartement des Enfants. La seule diminution effective est sur le service d'écurie, que le grand écuyer évaluait, pour dépenses de premier établissement, à 203.018 francs, et pour dépenses ordinaires, à 274.369 francs. Encore avait-il fait état, pour le premier établissement d'une écurie de cent chevaux, de soixante-deux chevaux venant des écuries du roi de Hollande, ce qui avait permis de restreindre les achats a trente-huit chevaux de 1.500 francs l'un, et, défalcation faite des voitures et des harnais restant à Amsterdam, de n'en commander de neufs que pour 96.574 francs ; il n'en restait pas moins, année commune, une dépense d'environ 300.000 francs. Aussi, en marge de la proposition, l'Empereur écrit : Les Enfants n'auront pas d'écurie. On leur fera servir vingt-quatre chevaux des écuries de l'Empereur. Plus tard, ce nombre de vingt-quatre semblera au-dessous des besoins ; il sera porté à trente et pourra même être augmenté dans le cas où la gouvernante le demanderait, et lorsque cela ne gênera pas le service de Leurs Majestés. En tout cas, on devra atteler trois voitures de ville à deux chevaux, une voilure de promenade à huit, deux berlines de campagne ou deux calèches de promenade à six, et réserver les chevaux de selle nécessaires pour les écuyers et les piqueurs. Le budget réel passe ainsi 900.000 francs : au compte définitif, il moulera au delà du million, et pourtant il n'est point d'article, si mince soit-il, de chacun des chapitres, que l'Empereur n'ait revu avec une attention scrupuleuse pour combiner la tradition et la magnificence avec l'économie et la régularité, bases inébranlables de l'administration impériale. Le budget arrêté, l'Empereur, par un décret en date du 25 novembre, donne à la Maison des Enfants son règlement et son organisation définitifs : La Maison des Enfants de France, dit-il, est commune à tous les princes, fils ou petits-fils de France, jusqu'à ce qu'ils aient atteint l'âge de sept ans, époque à laquelle ils passent aux mains des hommes, et pour les princesses, filles ou petites-filles de France, jusqu'à l'époque où l'Empereur juge à propos de leur composer une maison particulière. La gouvernante des Enfants de France est le chef de toute leur Maison. Pour les appartements réservés dans chaque palais, pour le mobilier à y fournir, pour la Louche, l'écurie et l'aumônerie, la Maison des Enfants est servie par les services correspondants de la Maison de l'Empereur. Toutefois, dans les palais qui seront particulièrement consacrés à l'habitation des Enfants, la gouvernante commande aux officiers civils et militaires de la Maison de l'Empereur. Ailleurs, elle donne ses ordres à tout ce qui fait le service près des Enfants. Ainsi reçoit-elle le mot et peut-elle passer des consignes particulières, aussi bien aux factionnaires posés pour la garde des appartements des Enfants et fournis par les postes ordinaires du palais, qu'à l'officier commandant le piquet d'honneur, lequel est composé d'un sous-officier, un brigadier, un trompette et douze hommes. Nulle différence presque, au point de vue de la grandeur
de l'office, entre l'ancien et le nouveau régime. La gouvernante est nommée à
vie ; elle prèle serment aux mains de l'Empereur ; elle
a, dans l'État et dans les palais, le rang, les honneurs et les prérogatives
dont jouissent les grands officiers de la Couronne. Mlle a le pas sur toutes
les dames de la Cour dans les appartements de Leurs Majestés, dans leurs palais
et dans le momie, dépendant, la dame d'honneur, étant de service, conserve la
place qui lui est assignée, et, dans aucun cas, la gouvernante ne prend son
service. Elle a le droit de l'aire annoncer partout, en toute
occasion, à toute heure de jour et de nuit, chez Leurs Majestés, qu'elles
soient dans l'Appartement de représentation, l'Appartement ordinaire ou
l'Appartement intérieur, même pendant que l'Empereur est au Conseil.
Toutefois elle n'a plus la clef de la chambre du souverain. Elle est présente
à toutes les cérémonies qui ont lieu chez, les Enfants, aux audiences qu'ils
accordent, et elle répond en leur nom aux harangues qui leur sont adressées.
Lorsque Leurs Majestés ou les princes de leur famille viennent voir les Enfants
de France dans leur appartement, tout ce qui doit leur être présenté l'est
par la gouvernante. Voilà les honneurs ; voici les fonctions : Dès le moment de leur naissance, à laquelle elle assiste, la gouvernante est maîtresse des Enfants : elle les reçoit, les porte dans leur appartement, accompagnée, si c'est un prince, par le colonel général de la Garde, de service. Le factionnaire à la porte reçoit sa consigne. Désormais, pour tous les soins qu'exige l'éducation des princes et princesses, elle ne dépend que de l'Empereur. Elle en est spécialement chargée sous les ordres immédiats de l'Empereur. Dans la Maison, où elle ordonnance les dépenses sur les fonds accordés par le budget, elle est chargée de tous les détails attribués à la dame d'honneur et à la dame d'atours dans la Maison de l'Impératrice. Ainsi a-t-elle la disposition de la cassette des Enfants. Ainsi commande-t-elle la layette à leur usage et le trousseau de la nourrice. Elle ne peut s'absenter du lieu où sont les Enfants sans la permission de l'Empereur ; elle couche dans leur chambre même. Lorsqu'ils sortent en voiture, elle monte dans leur voiture avec une sous-gouvernante. Elle a son couvert mis à leur table ; elle est assise sur une chaise pendant leur repas ; elle fait l'essai des mets qui leur sont servis, coupe et prépare ce qu'ils doivent manger. Elle fait les honneurs de leur appartement, prend les ordres de l'Empereur pour déterminer les personnes qui doivent y être admises, et, quel que soit leur rang, elles ne peuvent approcher des Enfants sans son autorisation. Elle a un appartement particulier placé le plus près possible de celui occupé par les Enfants. Dans cet appartement, meublé, chauffé et éclairé par l'Empereur, il lui est servi une table de cinq couverts. Elle a de plus, dans l'appartement même des Enfants, un cabinet qui lui est absolument réservé. Enfin, elle a le droit de l'aire coucher une de ses femmes dans la pièce où couche le service des Enfants. Telle est la charge ; elle est dotée d'honneurs si grands que la gouvernante devient presque la seconde femme dans l'Etat et que, à des égards, elle prime l'Impératrice même. Nommée à vie, ne devant de comptes qu'à l'Empereur, obligée de ne point quitter l'Enfant, même une seconde, elle devient la mère officielle ; elle s'interpose sans cesse entre l'Enfant et la mère naturelle, à qui échappe toute direction, même tout contrôle. L'Impératrice n'a pas le droit de lui donner ses ordres, elle n'a pas le droit de l'écarter pour jouir seule de son enfant. Certes, devant l'Etat et au regard de la dynastie, il t'a ut qu'il en soit ainsi. La tradition l'exige et l'étiquette. La souveraine, dont la fonction spéciale est la maternité, n'en aura que les souffrances et n'en connaîtra jamais les joies. La monarchie, sous l'espèce de la gouvernante, s'empare de son fruit et l'élève selon ses modes. Faudra-t-il dès lors s'étonner si l'Impératrice, à laquelle on a interdit d'être une mère à la façon des autres femmes, n'ait, des autres femmes, ni les habitudes, ni les sentiments, et qu'elle adopte vis à vis de son enfant une forme de penser qu'on peut dire royale ? Pour la gouvernante, certes, les honneurs parent la fonction, mais combien elle est lourde ! Du jour qu'elle a accepté cette mission d'élever l'Enfant de France, il n'y a plus pour elle d'autre devoir : famille, amitiés, société, tout disparaît. Une sujétion de tous les instants, une abnégation de tout ce qui, jusque-là, fit sa vie ; plus d'intérieur à soi, plus de liberté, plus d'affections, plus d'échange d'idées, de sentiments ou même de paroles ; la prison, dorée à tous les barreaux, mais qui n'en est pas moins une prison. Et puis, quelles responsabilités et quelles craintes ! quelle obligation de les cacher, de paraître imperturbable et sereine ! Ce n'est pas un enfant à elle qu'elle élève, c'est l'Enfant de France ! Quel tact et quel à-propos pour éviter de se rendre importune par des alarmes inconsidérées sur la sauté, la sûreté, 1rs moindres détails qui regardent Tentant ! Dans une place qui se trouve la première de l'Empire, comment ménager les vanités féminines et défendre un rang qui est d'exception ? Se tenir hors de toute cabale, mépriser les propos, délier la calomnie, repousser les ingérences, ne donner prise ni par soi ni par aucun des siens ; ne paraître ni familière, malgré l'intimité forcée avec les souverains, ni contrainte ri guindée, malgré la triste observance de l'étiquette, quelle étude, quel métier et quelle vie ! On a trouvé la femme qu'il faut, parce que Mme de Montesquiou, avec l'idée qu'elle s'est faite du devoir, est, peut-on dire, impeccable, mais quelles épreuves et quels déboires on lui réserve ! Au moins peut-elle compter et se reposer sur les sous-gouvernantes ? Selon Ségur, leur nomination était jadis toujours proposée par la gouvernante. Il y en avait quatre choisies parmi les personnes qui pouvaient être présentées, monter dans les carrosses et manger à la table du Roi ; elles étaient absolument sous la dépendance de la gouvernante, la remplaçaient dans tous ses privilèges, mais ne donnaient aucun ordre, elle présente ; elles servaient par semaine. Tout autre est le règlement impérial : il n'y a que deux sous-gouvernantes : il y en aura trois seulement au second enfant et quatre au troisième — comme des premières femmes et des femmes de garde-robe. Elles ne sont plus proposées par la gouvernante, et elles prêtent seulement le serment entre ses mains. Elles sont présentées à l'Empereur, mais ne jouissent à la Cour que dos prorogatives accordées aux dames des princesses. En l'absence de la gouvernante, elles la remplacent dans toutes ses attributions ; mais elles sont constamment de service, et une est particulièrement de jour. Celle-ci doit se rendre dans l'appartement de l'Enfant au moment de son lever ; die doit assister à tous ses repas, à toutes ses leçons, le surveiller dans ses récréations, l'accompagner dans toutes ses sorties et ne le quitter, pendant le jour, dans son appartement, qu'avec la permission de la gouvernante, et, le soir, lorsque la gouvernante est rentrée pour se coucher. La sujétion est pire encore que pour la gouvernante qui, du moins, commande et que soutient l'orgueil ; l'esclavage est ici sans compensation, et pourtant il ne manque pas de sujets qui l'acceptent ou le sollicitent. Mme de Montesquiou, destinée à vivre constamment avec les sous-gouvernantes, et d'une vie qui exigerait une confiance réciproque, n'influe pas sur leur nomination, quoique sa sécurité en dépende, c'est l'Empereur qui les choisit et les désigne. La première Agnès-Cunégonde de Folard, mariée à François-Jérôme, comte de Boubers-Bernatre, a été, depuis le Consulat, employée dans la Maison d'Hortense, d'abord comme dame pour accompagner, puis comme gouvernante des enfants. Elle est fille d'un Folard, neveu et légataire universel du chevalier de Folard, traducteur de Polybe, qui, après une carrière des plus honorables dans les Affaires étrangères, où il a été, de 1749 à 1779, employé presque uniquement en Allemagne, est venu se retirer à Saint-Germain : sa pension supprimée, sa petite fortune perdue, il s'y trouvait, en l'an VIII, dans l'extrême misère, et il a, l'un des premiers, bénéficié des actes réparateurs du Premier consul. Est-ce à Saint-Germain et dans le milieu Beauharnais qu'Hortense apprécia Mme de Boubers ? M. de Boubers étant d'une famille fixée à la Guadeloupe depuis 1672, connue, peut-être même alliée des Tascher, la liaison vint-elle par Joséphine ? En tout cas, le nom de Boubers n'était pas ignoré de Napoléon, qui, au régiment de la Fère, avait rencontré un capitaine de ce nom, lequel n'émigra point, fut général de brigade après Wattignies et prit sa retraite en 1801, commandant d'armes à Valenciennes. Il a estimé singulièrement Mme de Boubers, qui, veuve et chargée de cinq enfants, s'était consacrée à l'éducation des fils d'Hortense. et, dès l'an XIII, il le lui a authentiquement marqué en dotant de 30.000 francs d'argent et de la recette générale de Nantes une de ses filles qui épousait M. de Lauriston, frère de son aide de camp ; plus tard, il a doté de la recette générale de Cahors une autre des filles qui épousait M. Baudon ; il a accordé, à un des fils une place d'auditeur et aux deux autres des lieutenances. Ce sont d'ailleurs de bons sujets, et un a été tué au service. Mme de Boubers, dont la sœur est Mme Fontaine de Cramayel, la femme du maître des Cérémonies, est une femme forte : si, comme gouvernante, elle a fait ses preuves durant les séjours que les princes ont faits au Pavillon d'Italie, par son attitude au moment de l'abdication de Louis, par la façon dont elle a ramené le grand-duc de Berg à Saint-Cloud et dont ensuite elle a refusé, à moins d'une autorisation expresse, d'entrer en correspondance avec le roi de Hollande, elle a conquis l'entière confiance de l'Empereur. Elle réunit tout à la fois l'expérience qu'il faut pour élever un enfant et l'usage qu'il faut pour élever un prince, car, dès ses jeunes années, elle a fréquenté les cours d'Allemagne où, malgré sa laideur et son nez démesuré, elle a laissé les meilleurs souvenirs. — La princesse Cunégonde de Bavière, sa marraine, ne proteste-t-elle pas qu'elle a conservé pour elle le plus grand attachement ? — Hortense, à qui l'Empereur la demande, a grand'peine à se séparer d'une telle compagne et a priver ses enfants d'une amie d'autant de vertu et de mérite, mais comment résister ? Tout autre est la seconde sous-gouvernante, et, sans la chronique, on expliquerait difficilement sa nomination. En allant au couronnement de Milan. l'Empereur passa à Troyes. Une jeune fille, Mlle Barthelot de Rambuteau, qui allait épouser un M. de Mesgrigny, lui présenta une pétition où elle demandait la restitution de biens confisqués. Les Mesgrigny étant, comme les Rambuteau, des meilleures familles de la province, et l'Empereur ayant le désir de faire avec éclat quelque chose qui fût agréable au pays, la faveur fut accordée ; mais la jeune solliciteuse était si jolie qu'on prétendit que la grâce qu'elle avait reçue n'avait point été désintéressée. Rien de moins vrai alors, mais par la suite, M. de Mesgrigny ayant été nommé écuyer, en même temps que son beau-frère Rambuteau — mari de Mlle de Narbonne — devenait chambellan, Mme de Mesgrigny se trouva naturellement de la Cour, et Napoléon, dit-on, fut tenté de mettre à l'épreuve la vertu de la pétitionnaire de Troyes. Il fut repoussé. A des bals costumés, il s'amusa — car son intrigue n'était pas toujours de bon goût — à raconter à Mme de Mesgrigny ce qu'on avait dit d'elle, et elle s'en offensa grandement. Ce fut donc une sorte de revanche qu'il lui offrit avec le meilleur certifient de vertu, mais il dut éclairer les scrupules de Mme de Montesquiou, qui craignait de n'y voir qu'un arrangement. Mme de Mesgrigny n'était point dans le cas de Mme de Boubers, grand'mère depuis longtemps et libérée de ses devoirs de famille ; elle avait un fds de six ans et pouvait avoir d'autres enfants. On lui permit de ne faire qu'un service d'honneur, et jamais on ne la vit partageant les responsabilités avec sa compagne. A côté des sous-gouvernantes, l'Empereur place un de ses écuyers qui, outre qu'il est chef du service des écuries de la Maison des Enfants et qu'il y commande sous les ordres de la gouvernante, remplit des fonctions analogues à celle du premier écuyer chez l'Impératrice. C'est le baron de Carbonel de Canisy, qui, nommé écuyer ordinaire le 12 pluviôse an XIII, puis écuyer du premier rang à 12.000 francs de traitement, a suivi l'Empereur dans toutes les campagnes depuis Austerlitz, et qui, passant à juste titre pour l'un des plus habiles et des plus gracieux cavaliers de France, est d'abord un homme d'extrême confiance. M. de Canisy est un gentilhomme de race chevaleresque, dont le père a été exempt des Gardes du corps et dont la mère était Vassy. Inscrit avant seize ans à la compagnie de Luxembourg, capitaine de remplacement dans Quercy-cavalerie en 1788, il a émigré et a servi dans le corps de Condé, mais, presque tout de suite, il est rentré en France et s'est engagé au 14e Chasseurs. Revenu dans ses foyers après la Terreur, il a, en 1798, malgré la différence d'Age, épousé sa nièce, orpheline, fille de son frère et dune Brienne. Pour les Brienne, Napoléon eut tout fait. Il nomma Mme de Canisy, dame de l'Impératrice et M. de Canisy écuyer. Mais le ménage alla mal ; on disait le mari brutal ; la femme fut sûrement coquette et devint la maîtresse de M. de Caulaincourt, grand écuyer, qui prétendit qu'elle divorçât pour qu'il put l'épouser. Il résulta de cette situation des drames dans tous les genres, et, pour mettre en meilleure posture Canisy, auquel il était attaché, l'Empereur lui donne cette mission, qui le place hors de la main du duc de Vicence. Pour le service, l'écuyer commandant des Ecuries de l'Empereur désigne, chaque trimestre, quatre écuyers, deux de service ordinaire et deux d'extraordinaire, qui sont sous les ordres de M. de Canisy ; des deux d'ordinaire, un, de jour, devra se tenir dans l'appartement des Enfants et les accompagner a leurs promenades ; si c'est en voilure, il montera à cheval et se tiendra à la portière droite, l'officier de piquet prenant la gauche. Il prendra toutes les précautions nécessaires que la prudence pourra lui suggérer. Quant aux fonctions particulières de Canisy, elles ne sont point définies par un règlement, mais elles comprennent tout ce qui importe à la sûreté des Enfants. Le secrétaire des Commandements, chargé de tenir le procès-verbal de toutes les cérémonies qui se font chez les Enfants, d'établir, en qualité de secrétaire de la Chambre, les projets de budget, les états et ordonnances de paiement, n'est point nommé alors, et, pour le moment, on se contente avec un secrétaire de la gouvernante, qui devra remplir les mêmes fonctions pour 3.000 francs de traitement et 6.000 francs de frais de bureau, de secrétaire, M. Saint-Martin, a un bel uniforme de 928 francs, l'habit de drap bleu brodé en argent, le gilet de Casimir brodé, le chapeau à trois cornes avec plumet noir frisé, torsade perlée et boulon d'argent ; au côté, le clavier en argent, modèle à Minerve et trophée, à poignée de nacre. Ce costume est à retenir, étant le seul masculin qui paraisse avoir été réglé pour la Maison des Enfants, car les médecins portent celui du service de santé de l'Empereur. Pour le choix de ces médecins, il y eut contestation entre Corvisart, qui tenait à rester le maître unique, et la gouvernante, qui avait souci de ses privilèges. Le droit de les proposer ne lui appartenait-il pas à elle seule ? Dans tous les temps, a-t-elle écrit a l'intendant général, la proposition de la nomination du médecin et du chirurgien des Enfants de France a fait partie des attributions de ma place ; mais, a-t-elle ajouté, la responsabilité attachée à un semblable choix m'a empêchée de l'indiquer et j'ai rendu compte a Sa Majesté de mes motifs. Elle a consenti à se désintéresser des personnes, mais elle ne fait pas de même du règlement. En protestant avec vivacité contre les empiétements de Corvisart, elle déclare qu'elle n'admet pas que le premier médecin la dessaisisse du droit essentiel de décider seule ce qui convient et qu'il absorbe le service des Enfants dans le service de santé de l'Empereur. Elle tient essentiellement à rédiger elle-même un règlement particulier qui corrige, et surtout qui complète, le règlement général de la Maison des Enfants. Aux termes de celui-ci, le médecin et le chirurgien doivent visiter l'Enfant tous les jours et rendre compte de leur visite à la gouvernante, ne jamais s'écarter du lieu qu'il habite, le suivre dans toutes ses résidences et, en cas de maladie, prévenir le premier médecin de l'Empereur. A présent, sauf le cas de maladie, Mme de Montesquiou fait admettre l'alternat entre le médecin et le chirurgien ; même que le médecin puisse s'absenter avec le consentement exprès de l'Empereur. Elle fait décider que, dans les résidences hors Paris, comme dans les voyages, le médecin et le chirurgien auront droit à un logement, à la table et à une voiture. Tous ces détails sont soigneusement prévus, une fois pour toutes. Où Corvisart l'emporte, c'est sur l'emploi d'un médecin vaccinateur. La gouvernante a eu beau dire qu'elle ne sait pas jusqu'à quel point il est nécessaire d'avoir un médecin particulier pour une opération aussi simple et qui lui semblerait entrer entièrement dans les attributions du médecin et du chirurgien déjà nommés, Corvisart, qui voit là un revenant-bon pour un de ses protégés, s'obstine. La place est créée, on y pourvoira plus tard. Quant au médecin ordinaire, le nom qui a été proposé par Corvisart évoque chez l'Empereur bien des souvenirs, et l'on peut même se demander si cette nomination n'a point été de son initiative personnelle. Edme-Joachim Bourdois de la Motte était, avant la Révolution, médecin de l'hôpital de la Charité, médecin ordinaire de Monsieur et médecin de Mesdames ; pendant la Terreur, pour quitter Paris, il s'est tait employer aux années et s'est trouvé ainsi, en 1793, médecin en chef de l'aile droite de l'Armée d'Italie. Il y a connu intimement et fréquenté assidûment le général d'artillerie Bonaparte. Après Vendémiaire, il l'a retrouvé à Paris et a été nommé par lui médecin en chef de l'Armée de l'Intérieur : mais il a refusé obstinément celle d'Italie. C'est bien, je vous remplacerai, lui a dit Bonaparte, qui lui a tenu rigueur jusqu'en 1807 ; mais, alors, il l'a nommé médecin en chef des épidémies du département de la Seine, et, en 1810, inspecteur général et conseiller de l'Université. Enfin, la grossesse approchant du terme, il le fait venir et lui annonce qu'il l'a nommé médecin des Enfants de France, au traitement de 15.000 francs ; il ajoute qu'il ne peut lui donner une plus grande preuve de sa confiance. Tout est oublié, lui dit-il, commencez votre service. Je veux fonder à Meudon un collège de princes, vous en serez aussi le médecin. Quant à Jean-Abraham Auvity, nommé chirurgien à 12.000 francs de traitement, il était alors tout désigné par ses publications sur les nouveau-nés et par son expérience comme médecin de l'hôpital des Enfants-Trouvés. Entre la maison d'honneur et la domesticité, le pont est fait par les premières-femmes, qui viennent après les sous-gouvernantes : elles ont des fonctions de surveillance et de garde analogues à celles des premières-femmes près de l'Impératrice. Comme elles, elles sont uniformément vêtues de robes de mérinos amarante doublé de florence de même ton et fourré en hiver de petit-gris, sur quoi elles jettent des cachemires français amarante à bordure de palmettes. Elles sont nommées par la gouvernante et prêtent serment entre ses mains. L'Empereur n'en a passé que deux : l'une est particulièrement chargée de la surveillance de la nourrice pendant le temps de la nourriture ; elle est toujours avec elle, l'accompagne partout, soit dans l'intérieur de la maison, soit au dehors lorsqu'elle sort pour sa santé ; elle assure sa nourriture et ses vêtements, surveille sa tenue et sa propreté. L'autre est de service près de l'Enfant, couche dans la chambre voisine de la sienne, entre la première dans son appartement, fait allumer le l'eu et ouvrir les volets par les filles de garde-robe, assiste à la toilette, voit faire les lits et approprier la chambre. Elle sert l'Enfant pendant ses repas, assiste à son coucher, sort la dernière de l'appartement où elle a éteint le feu et les lumières, couche aux environs et est toujours prête à recevoir un ordre de la gouvernante. Elle annonce chez, les Enfants Leurs Majestés et les princes et princesses de la Famille, avertit la gouvernante dans le cas où elle se serait retirée dans son cabinet, et, en général, toutes les fois que sa présence est nécessaire dans la chambre de l'Enfant. De telles fonctions, si multipliées et qui exigent une continuelle présence, ne sauraient être remplies par deux sujets seulement. Si l'une des premières-femmes tombe malade ou s'absente pour un motif grave, le service périclite. Aussi, dès le mois de mai 1811, la gouvernante déclarera que les deux ne peuvent suffire et en demandera deux de plus. L'Empereur n'en accordera qu'une (10 juin). Les premières-femmes sont Mme Darnaud, Mme Soufflot et Mme Froment. Mme Darnaud est peut-être la veuve du général de ce nom ; mais les renseignements manquent. Mme Soufflot, née Boyard de Forterre d'Egriselle, est veuve, depuis le 10 octobre 1808, d'un neveu du célèbre architecte de Sainte Geneviève. Son mari, M. Soufflot, l'un des fondateurs des Messageries nationales, a été membre du Conseil général de l'Yonne et député au Corps législatif. M. de Montesquiou l'a connu et apprécié et s'est rendu le protecteur de sa veuve, qu'il a présentée lui-même à la gouvernante. Mme Froment qui, en juin 1811, est préférée, comme troisième première-femme, à Mlle de Lavallée, fille du secrétaire général du département de Jemmapes, est la femme d'un agent de change de Paris et s'est proposée comme nourrice. Son fils aîné sera plus tard admis comme compagnon de jeux du Roi de Rome et vivra près d'elle dans la maison. Outre les gages de 3.000 francs, la place rapporte plus du double en gratifications aux étrennes et aux occasions, et c'est l'avenir assuré pour la famille entière des premières-femmes. Les secondes-femmes ou femmes de garde-robe, Mlle Petit-Jean et Mlle Renault sont chargées des atours et n'ont pour ainsi dire pas de rapports avec l'enfant ; une a le département du linge, des dentelles et de tout ce qui regarde la toilette ; l'autre remplit les mêmes fonctions près de la nourrice. Elles suivent le même règlement que les femmes noires de l'Impératrice, sauf qu'une d'elles couche dans une chambre voisine de celle de l'Enfant. Les berceuses, deux d'abord, puis trois sont constamment de service. Une est particulièrement désignée parla gouvernante pour emmailloter l'Enfant, le faire manger et veiller, la nuit, assise auprès de son lit. La première nommée de ces berceuses, et celle qui eut toute la confiance de Mme de Montesquiou, fut Marie-Marguerite Broquet, femme Marchand. Une de ses filles lui fui plus tard adjointe ; son fils entra en 1811 dans la Maison comme garçon d'Appartement, et, sur la demande de la gouvernante, reçut de l'Empereur, en 1812, 4.300 francs pour acheter un remplaçant. Cette famille est de bon sang et de vieille race française, et a su le montrer. Les deux autres places sont remplies par Mme Legrand et Mme Petit, femmes de valets de chambre d'Appartement, employés depuis longtemps, dans la Maison de l'Empereur et passés, eux aussi, au service des Enfants. Les berceuses sont vêtues comme les femmes noires ; les filles de garde-robe comme les femmes blanches ; elles ont pour fonctions de nettoyer les porcelaines et les petits meubles, d'arranger le feu et les bougies, d'ouvrir les volets, etc. Elles sont aux ordres des premières-femmes pour les ouvrages de l'appartement et des femmes de garde-robe pour tout le reste. Une couche, toute habillée, dans une des dernières pièces de l'appartement. Aux filles de garde-robe, Julie Chaude, Franchet et Henriette Marchand, celle-ci fille de la berceuse, la gouvernante obtiendra par la suite qu'on adjoigne, aux mêmes gages de 1.000 francs, la femme Colaud, chargée de faire les potages de l'Enfant, et sa fille Virginie Colaud. Les hommes, les deux huissiers — Douville et Henry, — les quatre valets de chambre — Boucquillon, Legrand, Petit et Gobereau — remplissent, près des Enfants et dans leur appartement, les mêmes fonctions que dans l'appartement de Sa Majesté ; un maître d'hôtel, Léonard, et un tranchant, Paris, sont aux ordres de la gouvernante : deux garçons de garde-robe, Fourier et Goujet, sous la direction de In femme de garde-robe chargée de la garde-robe et du linge, font les commissions, emballent et déballent, chargent et déchargent les voitures, l'ont tous les gros ouvrages du service intérieur et se tiennent dans les dernières pièces de l'appartement. La plupart de ces hommes ont été choisis par le grand maréchal parmi les meilleurs et les plus anciens serviteurs de la Maison, à laquelle ils appartiennent depuis l'an XII ou l'an XIII. Ils portent la même tenue que la Maison : pour le maître d'hôtel, habit de drap vert, culotte noire et veste de casimir ; aux grands jours, habit frac vert brodé d'argent, écussons et baguettes, gilet blanc brodé d'argent ; culotte de casimir blanc et chapeau français avec torsade en or ; pour le tranchant, même tenue, moins brodée ; pour les huissiers et valets de chambre, habit vert avec veste écarlate, culotte noire, boutons à l'aigle numérotés, broderies au collet et aux parements, et galons sur toutes les coutures ; en grande tenue, avec le frac de drap vert, où les broderies remplacent le galon, culotte et gilet de casimir blanc. Les garçons de garde-robe ont l'habit vert avec deux galons d'or au collet, galons aux parements et en écussons, le gilet de drap rouge et le chapeau gansé en or. Les valets de pied sont fournis par la Maison, et, du moins dans les premiers temps, ne semblent point spécialement attachés aux Enfants. Pour le moment, le grand rôle est à la nourrice. L'on ne peut la choisir autant d'avance, mais il faut s'inquiéter d'elle. D'abord on a pris l'avis du grand maître et interrogé la tradition : Six semaines, répond-elle, avant l'accouchement de la Reine, le premier médecin, celui des Enfants, l'accoucheur, etc., se réunissaient, et, parmi les nourrices qui s'étaient inscrites chez la gouvernante des Enfants de France, qui avaient subi victorieusement l'enquête par les intendants, fourni les certificats de bonne vie et mœurs, et prouvé qu'elles n'étaient pas à leur premier enfant, ils en choisissaient quatre ou six qu'on plaçait dans une maison de retenue, sous l'inspection d'une gouvernante qui ne les quittait pas. Quand la Reine était accouchée, les médecins élisaient celle qui devait être nourrice en litre. La nourrice, dans le jour, n'était jamais avec l'Enfant que pour lui donner à téter. Elle se tenait dans une chambre voisine avec une personne de confiance, et, la nuit, couchait dans la chambre de l'Enfant. Sur les détails du service de la nourrice, on a tous les éclaircissements qu'on peut désirer, par Mme Mallard, nourrice de Louis XVI, et Mme veuve Laurent, nourrice de Madame, auxquelles l'Empereur a, le 2 septembre, accordé des pensions de 1.200 francs : par Mme Poitrine, nourrice des enfants de Louis XVI, qui, outre une pension égale, touche.'H)0 francs de secours sur la cassette de l'Impératrice ; par d'autres nourrices encore, car Napoléon a pensionné toutes celles des princes et des princesses. On combine ces renseignements et on en lire ce règlement :
Six semaines avant l'accouchement de l'Impératrice,
le premier médecin, celui de l'Impératrice, celui des Enfants et
l'accoucheur, la Faculté de la Cour, s'assemblent pour procéder au choix des
nourrices qui se proposent ; on en choisit trois ; on les place dans une
maison disposée à cet effet et appelée maison de retenue. Elles y restent
sous la surveillance d'une gouvernante. Les médecins les visitent de temps en
temps. Quand l'Impératrice est accouchée, ils en choisissent une. Personne
n'exerce la moindre influence sur ce choix. La nourrice choisie couche dans
la chambre de l'Enfant et se tient pendant le jour, dans son appartement ou
dans une pièce voisine, avec la surveillante. Les autres nourrices restent
dans la maison de retenue avec leur gouvernante chargée de tenir leur ménage. Pour exécuter ce programme, il faut d'abord, à proximité dos Tuileries, une maison de retenue. L'intendant général loue d'un M. Boivin, avoué de première instance, moyennant un loyer annuel de 2.100 francs, un appartement au troisième étage d'une maison rue de Rivoli, numéro 14. La gouvernante y installe, aux gages de 1.500 francs par an, en qualité de surveillante des nourrices, une femme Brulon qui, moyennant 1.000 francs par mois, s'engage à nourrir, chauffer et éclairer les nourrices, leurs enfants et la femme attachée à leur service : et l'on attend les propositions. Il y en a d'inattendues : de Gènes, Faustina Poli, petite-fille de Camilla. Ilari, la nourrice de l'Empereur, réclame la place comme un héritage de famille, et, avec l'âpreté corse, invoque à la fois le souvenir de sa grand'mère et son titre personnel de filleule de Sa Majesté. Au milieu de femmes du peuple, des femmes de la bourgeoisie riche, telles que Mme Froment, se font inscrire. Après chaque inscription, enquête minutieuse par le préfet de Police, puis inspection des postulantes par la sage-femme, Mme Lachapelle, qui reçoit 500 francs pour sa peine. Le 2 janvier 1811, la Faculté de la Cour se réunit chez Mme de Montesquiou et procède à un premier examen des candidates. Dans une deuxième séance, elle s'arrête à trois femmes du peuple, vigoureuses et bien constituées, les femmes Auchard, Corville et Mortier : elles sont tout de suite enfermées dans la maison de retenue, sous un règlement de prison ; mais la vie opulente, les gages de 1.200 francs, la perspective du gros lot que tirera celle qui sera définitivement choisie, les font passer sur tout. Telles ont été les formes adoptées par Napoléon pour la constitution de la Maison des Enfants de France : chacun de ces règlements a fait l'objet de consultations, de méditations, de décisions expresses. Lui-même est constamment intervenu, et rien de ce qui a été fait ici ne l'a été par des subalternes : toutes les résolutions émanent de l'Empereur même. Or, comme on l'a vu, il a religieusement repris toutes les traditions de la monarchie bourbonienne, celles même qui paraissent le plus surannées, il s'est instruit de tous les détails et il les a adoptés dans toute leur rigueur. Entre son fils et les Légitimes, il n'a voulu aucune différence, et, tandis qu'en 1804 il faisait deux parts dans sa vie et dans celle de l'Impératrice, l'une extérieure pour la représentation, l'autre intime pour les besoins, qu'il gardait une existence privée, la réservait et !a défendait, refusait de la soumettre au joug de l'étiquette monarchique et y laissait subsister quelque chose encore du soldat, du général et du consul, à présent il veut pour les Enfants de France — et c'est d'abord son fils — le rétablissement intégral du culte dynastique. L'enfance y prête à coup sur, et l'on ne comprendrait guère vis a vis d'elle un service d'honneur sans aucune fonction domestique, mais n'est-il pas visible que c'est là le prétexte ? L'Empereur, de son aveu, pense à rétablir le grand couvert — on le verra bientôt — et, comme là, il se heurtera au sentiment national, il se résignera à réserver cette cérémonie à son fils. Il lui semble que la dynastie ne sera établie, fondée, constituée, que lorsqu'elle sera entourée de tous les rites dynastiques : il prend ainsi l'effet pour la cause ; ces rites, survivant à travers les âges, attestaient une religion que son origine sacrée ; et son antiquité rendaient vénérable aux peuples ; à présent, devant les autels abolis, le culte est oiseux, démodé et presque lisible. |