GROUPE AUTRICHIEN. Placés hors de la surveillance des ministres des Hautes Puissances Alliées, ne dépendant que d'un seul gouvernement, n'ayant affaire qu'à l'empereur, à Metternich et à des agents généralement bien nés qui n'éprouvaient contre eux aucune haine personnelle et dont les chicanes n'eussent point été tolérées, les membres de la Famille qui avaient été internés en Autriche se trouvaient en meilleure posture que ceux qui avaient demandé un asile au Saint-Siège. Depuis qu'elle était rentrée à Trieste. Elisa semblait parfaitement heureuse. Notre intérieur est parfait, écrivait-elle à Pauline le 17 mai 1817 ; notre maison ne forme qu'une seule famille. Ce sont des avantages que nul ne peut m'enlever, car je ne les dois qu'à moi-même et à ma philosophie. Sa philosophie n'était point telle qu'elle oubliât ce qu'elle avait été et qu'elle s'abstint de le revendiquer. Lorsque le marquis de Lucchesini, qui avait si fortement sollicité les dignités de la cour lucquoise et qui devait tant aux bontés d'Elisa — sans parler des agréments qu'y avait trouvés son fils et de la façon dont il s'en était payé — lorsque l'ancien favori du roi de Prusse, l'ancien ministre de Prusse à Paris publia son curieux livre : Della Confederazione di Reno, il ne se souvint de celle qui s'était rendue sa bienfaitrice que pour exhumer une sotte épigramme qui avait couru l'Italie au temps de la chute de l'Empire. On prétendait que, en montant sur le trône de Piombino, Baciocchi avait échangé le nom de Pascal qu'il avait reçu au baptême pour celui bien plus noble de Félix. Il paraît qu'en argot Pasquale veut dire tourmenté, chagriné, et l'on disait : Quando
eri Felice eravamo Pasquali Adesso che sei ritornato Pasquale saramo Felici[1]. Cela n'était pas bien méchant ; mais Elisa protesta et sa protestation, toute écrite de sa main, vaut d'être retenue aussi bien pour ce qu'elle exprime que pour ce qu'elle fait penser. M. le marquis de Lucchesini, écrit-elle, a mis en note dans son ouvrage que le prince Pascal Baciocchi, beau-frère de l'Empereur Napoléon et sa sœur Marianne Baciocchi avaient été nommés princes de Lucques et que, à leur avènement, ils avaient pris le nota de Félix et celui d'Elisa. C'est tout ce que-le marquis de Lucchesini a trouvé à dire sur ces princes à la cour desquels il a brigué et obtenu la place de grand maître. Quand on écrit l'histoire, il faut tâcher de dire au moins la vérité. Et la princesse explique alors que, pour le nom d'Elisa, on le lui donna en 1790 lorsque Napoléon la retira de Saint-Cyr (ce fut à la vérité en 1792) et la ramena en Corse pour éviter une confusion de nom avec une vieille tante nommée Marianne qui vivait dans la maison ; quant à Baciocchi, il s'était constamment appelé Félix. Il est vrai de dire, ajoute la princesse, qu'en 1805, lorsqu'une députation des principaux habitants de Lucques firent la demande à l'Empereur Napoléon de leur donner pour princes sa sœur Elisa et son mari, ils donnèrent au prince Baciocchi le prénom de Pascal. On ignore d'où cette erreur a pu provenir. Mais les princes ne manquèrent pas de protester, d'abord près de l'Empereur, puis devant le Conseil d'État. Et jamais le prince n'a signé d'un autre nom que le sien, de Félix Baciocchi. Au reste, ajoutait la princesse, on ne voit pas quel mérite il y avait à s'appeler plutôt Félix que Pascal et il semble que le ridicule que l'auteur a voulu imprimer sur les princes rejaillit tout entier sur lui. Ainsi s'expliquait-elle et prouvait-elle qu'il n'est pas besoin d'être né prince pour n'avoir rien oublié ; mais si telle était en réalité sa philosophie, elle n'en croyait rien montrer. Elle paraissait satisfaite par les agréments d'argent qu'elle devait Metternich. Il lui avait restitué sa fortune privée, il avait réglé à son avantage ses différends avec les Lucquois, il l'avait mise sur un pied supérieur à tous ses frères et sœurs. Elle appliquait, il est vrai, à l'administration de ses biens, l'intelligence qu'elle avait montrée jadis dans l'administration de ses États et elle ne négligeait rien pour les accroitre. Elle n'avait point perdu de vue que l'Empereur avait formé une partie de la dotation de sa fille de biens situés dans les États de Parme. Le gouvernement provisoire d'Autriche les avait séquestrés. Dès que Marie-Louise eut pris possession de son duché, elle fut saisie des réclamations d'Elisa qui envoya à Parme son neveu le colonel de Rossi pour traiter avec le ministre et mettre fin à une affaire qui depuis trois ans était en suspens. S. M. l'Empereur d'Autriche, disait-elle, a daigné conserver aux Français les dotations qu'ils avaient dans ses États, votre souveraine sera-t-elle moins juste que son auguste père et serait-ce ma fille qu'elle voudrait frustrer de sa dot ? J'augure trop et de la justice et de la bienveillance que Sa Majesté a eue pour ma fille pour ne pas me persuader qu'elle la favorisera autant que possible, si la situation des finances de ses États ne lui permet pas de tout restituer. Ainsi s'y prenait-elle adroitement, ménageant ses prétentions et arrivant toujours à tirer quelque chose. Il lui fallait de l'argent pour réaliser certains projets qu'elle avait formés et qui, en lui procurant un grand état territorial et une situation à part en Istrie, eussent servi de plus à garantir qu'elle' n'avait nulle intention de quitter l'Autriche. Elle avait jeté son dévolu sur l'es biens comtaux (Cassische) d'Aquilée, mais ils valaient plusieurs millions. Pour en réunir deux, Elisa pensa à vendre Une partie de sa bibliothèque, des bijoux, quelques autres propriétés, mais il lui manquait encore 300.000 francs. Elle les demanda à Madame (23 octobre 1817) : Vous savez, ma chère maman, lui écrivit-elle, quelle réserve j'ai observée durant mon séjour en Allemagne. J'aurais préféré vivre de la vente de mes diamants et de mes perles plutôt que d'attrister votre cœur, mais à présent je m'adresse il vous en toute confiance, car, je connais trop bien votre bonté pour moi pour craindre un refus. Madame, qui savait fort bien que, si elle cédait à chacune des demandes de chacun de ses enfants, elle mourrait sur la paille, avait à présent un excellent prétexte pour refuser et elle ne manqua point, le 14 octobre 1817, de l'alléguer. Dans les jours heureux elle avait pour tous ses enfants la main ouverte, mais maintenant, il ne lui était resté seulement qu'un état très médiocre et, comme sans doute, bientôt, elle devrait partir dans un autre hémisphère, elle était obligée de réserver sa petite fortune. Elisa connaissait assurément par les journaux la situation de son frère. Vous ne devriez pas oublier, ajouta Madame, que je suis prête à m'enlever tout agrément pour le cas où celui auquel je dois tout aurait besoin de mon aide. Puis-je avoir le cœur assez endurci pont : mettre mon argent en biens fonds. Elisa n'insista pas, matis c'est que l'offre de deux millions avait paru insuffisante aux propriétaires et que le gouvernement autrichien ne se souciait point à ce moment que la comtesse de Compignano achetât des biens si voisins de l'Italie ; quelque confiance qu'elle eût prise en elle, la police semblait convaincue que, comme ses parents, Elisa entretenait des relations avec l'Amérique et avec Sainte-Hélène : en réalité elle n'avait de correspondantes — et combien rares ! — qu'avec sa mère et les Bonaparte de Rome, avec Catherine et Jérôme et avec Julie. Elle avait arrangé sa vie sur un pied de grand luxe et sa fortune était assez grande pour que, ayant, sans se gêner, prêté à Jérôme 200.000 francs qui étaient placés à Livourne, elle eût acheté à Trieste la superbe résidence d'un Grec appelé Psara, général dans l'armée russe, dont elle fit une merveille d'élégance ; et encore, que, à défaut des biens d'Aquilée, elle prétendit acheter la Villa-Vicentina, à la frontière du Cercle de Goritz et à l'embouchure de l'Isonzo. Pour qu'elle pût y résider il fallait que le gouvernement l'eût prise singulièrement en faveur. A Villa-Vicentina, elle serait hors de la surveillance de la police et de plus fallait-il qu'on lui permît d'aller librement de Trieste à la villa où, disait-elle, elle désirait mettre ses enfants pour leur donner le goût de la campagne. Mais elle avait tout le monde pour elle ; le gouverneur, le comté Chotek, qui disait que la police ne manquerait pas d'informations plus adroitement acquises, que l'achat d'une telle terre était la meilleure preuve des intentions de la comtesse et que sa conduite par ailleurs ne donnait lieu à aucune inquiétude. Metternich et Sedlintzki approuvaient. L'empereur donna sa décision le 13 juillet 1818 : J'approuve votre avis qu'on surveille la comtesse de Compignano avec adresse et prévoyance, qu'on aille au-devant de ses demandes avec agrément et politesse. Avec beaucoup d'argent, une sorte de liberté, un cercle d'amis tels que Arrighi, le duc de Padoue, qui était son proche parent, les Maret et surtout Fouché et sa famille, il y avait encore de beaux ours, d'agréables soirées et, si l'on en croit la chronique, des nuits heureuses. Elle aurait souhaité seulement que Jérôme obtînt de la rejoindre. Avant qu'il vint en personne, elle alla passer quelques mois près de lui aux eaux de Baden et à Carlsbad où elle se trouva réunie à la comtesse de Possé et d'où elle put faire visite à Louis qui prenait les eaux de Marienbad. Plus tard, à la fin de l'année, Jérôme et Catherine la rejoignirent à Trieste et elle se promit de leur société des agréments infinis. Tout semblait lui réussir. Elle avait vendu à l'ancienne reine d'Étrurie, devenue duchesse de Lucques, la villa qu'elle avait fait construire aux bains de Lucques, au lieu dit de Borsena. L'arrangement qu'elle avait pris avec elle ne lui rapporta pas moins d'un million et demi de francs. Elle se trouva dès lors assez riche pour acheter les biens qu'on ne l'avait pas ci-devant autorisée à acquérir. Metternich disait que sa vie retirée et son extrême réserve devaient lui mériter d'être bien traitée. Seulement la surveillance à laquelle elle était soumise l'irritait. Le propre des autorités inférieures est la taquinerie tyrannique. Sur des questions telles que d'une loge au théâtre, on s'évertuait à la contrarier. La patience lui échappa à la fin, car, disait-elle, rien ne flétrit le cœur à ce point. Elle voulut quitter Trieste, s'établir dans les États pontificaux. Malgré les grands sacrifices que j'ai faits pour mon installation à Trieste, écrivait-elle, je laisserais tout sans regret, car quel sacrifice n'est pas payé, et au delà, par le repos de toute la vie. Au moment où Metternich recevait cette lettre toute satisfaction lui était donnée, en sorte qu'elle pouvait croire qu'on l'avait ainsi traitée par crainte qu'elle ne quittât l'Autriche, aussi lui fut-il répondu d'un ton très sec que l'on ne demanderait nullement au Pape de la recevoir ; on lui fit sentir qu'elle était bien heureuse d'avoir obtenu, au lieu de Brünn, Trieste qu'elle ne pouvait quitter sans l'assentiment des puissances. Ramenée par cette leçon à une plus juste appréciation des
choses, elle partagea son temps entre Campomarzo à Trieste et sa terre de
Villa-Vicentina, près d'Aquilée, où elle entreprit des fouilles et toutes sortes
de travaux. Il fallait meubler la maison, tracer et aplanir les allées, mettre
toutes choses en état. Elle s'y prêta avec une grâce aimable. Ainsi
écrivait-elle à celui qu'elle avait chargé de l'installation prochaine : Ce n'est qu'en exécutant des travaux qu'on s'aperçoit des
inconvénients. Ainsi remédiez-y tout à votre aise, sans vous inquiéter du
qu'en dira-t-on qu'il faut mépriser. Ne vous tourmentez pas si vos travaux
vont lentement, je sais très bien attendre quoique vous ayez l'air d'en
douter ; soyez persuadé que je n'attribuerai jamais aucun retard à votre
négligence. L'essentiel est de ne pas se faire de mauvais sang et de se bien
porter pour faire enrager ceux qui ne nous aiment pas. Malgré qu'il y eût presque constamment assez grande compagnie autour d'elle et que les complaisants abondassent, elle ne s'était point mise à un ton de cour ; elle admettait avec condescendance un air de familiarité où le diable ne perdait rien : un habitué écrit : Je suis venu rafraichir ma tête et mes idées dans cette délicieuse campagne ; nous célébrerons à la fois la Pentecôte et une fête de famille où régneront la gaîté, la simplicité et l'abondance. Notre bonne princesse, qui se plaît beaucoup au milieu de ses paysans, a choisi cette époque pour doter un couple pauvre mais honnête. Les daines de sa maison ont lait le trousseau de la mariée. On a de plus acheté écuelles, lit et bahut et le tout se termine par une galimafrée et par des danses frioulanes les plus comiques du monde. L'été passa ainsi dans cette campagne délicieuse au fond du Frioul. La princesse s'y trouvait si bien à son goût que, malgré le bienfait qu'elle avait tiré des eaux de Baden près Vienne et de Carlsbad, elle ne voulut point y retourner, et en dépit de son médecin Verdoni, prétendit les remplacer par les bains minéraux pris à Monfalcone prés de Trieste. Ces bains sont situés dans un marais. L'air y est fort malsain et lorsqu'on ne prend pas la précaution de rentrer une demi-heure après le coucher du soleil, il est connu qu'on y gagne la fièvre. Villa-Vicentina étant à quelques milles de Monfalcone la princesse partait de bonne heure et revenait en plein soleil ou bien trop tard : Les transpirations arrêtées, des courses rapides et fatigantes amenèrent unie fièvre qui devint bientôt putride et bilieuse. Elle succomba le treizième jour. Baciocchi, Jérôme, Catherine, Fouché, lui rendirent à son lit de mort des soins empressés. Elle n'avait que quarante-trois ans et huit mois (7 août 1820). Elle laissait deux enfants, une fille de quatorze ans[2] et un fils de six[3]. Sa fortune était considérable, près de quatre cent mille livres de rente, sans ce qu'elle a laissé, écrit Catherine, de bijoux, objets d'art et nippes. Mais Baciocchi, sur lequel la Famille avait une opinion unanime, n'acceptait point de conseils ; il refusait de sauvegarder les droits de ses enfants ; il était dominé entièrement par une femme qui le menait comme la princesse le menait. Sous cette impulsion et, ajoute Catherine, sous celle de Planat, il s'éloigna complètement des Jérôme. Ainsi, écrit un an plus tard Catherine à Joseph, établis dans la même ville, nous vivons ensemble comme si nous étions à mille lieues les uns des autres. Nos maisons n'ont plus aucune communication entre elles. Bientôt reniant les Bonaparte auxquels il devait tout, Baciocchi sollicita des Hautes Puissances Alliées l'autorisation de résider dans les États pontificaux. La mort de ma femme, écrivit-il, ayant rompu presque tous les liens qui m'attachaient à sa famille, il me semble que ma position doit changer et que je suis en droit de réclamer ma liberté. Grâce à Son Excellence M. le comte Pozzo di Borgo son compatriote et son ancien ami, il obtint la permission de passer six mois de d'année à Bologne et il s'y fixa définitivement lorsqu'il eut vendu à Caroline Villa-Vicentina. ***Dans quelles conditions Caroline apprit-elle la mort de ce mari dont elle avait tant de fois dû être excédée et qui avait si fort contrarié la fortune qu'elle avait si habilement édifiée. Liée à lui par une union qu'elle ne songeait pas à rompre, par une postérité qu'elle aimait comme il l'aimait, elle s'était efforcée constamment de tirer pour l'association le meilleur parti de son unique qualité : la bravoure a l'entrain du champ de bataille ; elle s'était employée sans relâche à le sauver lorsque, pour quelque frasque, il avait encouru le courroux de son impérial beau-frère. Elle le couvrait, mais par quels moyens et au prix de quels efforts ! Qu'elle suivît en même temps des desseins personnels pour l'agrandissement de la fortune commune et qu'elle n'introduisît point son mari dans les secrètes pratiques que lui inspiraient son génie et son tempérament, l'on n'en saurait douter, mais le pacte qu'elle avait formé avec lui ne comportait pas la fidélité. Elle se proposait pour but l'avancement de son ménage et de la postérité et elle ne le perdait jamais de vue même aux moments où elle paraissait le moins y penser ; le don qu'elle faisait d'elle-même, bien qu'elle le considérât justement comme une suprême récompense et un moyen d'assurer des attachements définitifs, n'étant jamais de sa part qu'un prêt dont elle se réservait de fixer l'échéance. Nulle comme elle pour rompre une liaison ou la dénouer ; mais où elle trompe le plus ardemment son mari, elle ne cesse pas de travailler pour la raison sociale. Quelque dévouement qu'elle ait éprouvé ou plutôt simulé — car à quoi est-elle dévouée hormis à elle-même — elle n'en a plus souci dès que son intérêt est en jeu : ainsi son frère et la France. Aussi quand, ayant pris son parti, s'étant jetée franchement à l'alliance autrichienne et l'ayant embrassée dans toutes ses conséquences, elle voit son mari reprendre un double jeu qui ne, peut que le perdre, car il n'aura plus affaire ici à ce beau-frère qui, s'il grogne un peu, pardonne toujours, mais à des personnages qui, médiocrement disposés déjà en faveur de leur nouvel allié, saisiront avec empressement l'occasion qu'il leur fournira de l'écraser. Caroline, décidée et formelle, ne voit de salut que dans une accession sincère et raisonnée an système autrichien substitué au français : politique qui n'est point nouvelle à Naples où les rois Bourbons désertèrent, eux aussi, quoique pour d'antres causes, le système auquel ils devaient leur trône. Les intérêts de ce côté étaient pressants et, en combinant l'alliance, autrichienne avec l'anglaise, on pouvait s'assurer une stabilité fructueuse. Quelque soin qu'elle portât à se renseigner, Caroline n'avait certes rien appris de positif sur la négociation Bombelles-Blacas, ni sur l'expédition familiale que méditaient les trois branches coalisées de la Maison de Bourbon, mais cette expédition était subordonnée à la coopération de l'Angleterre et à l'agrément formel de l'Autriche. L'un et l'autre restaient encore à obtenir et en se tenant ferme dans les alliances qu'il avait adoptées, en montrant sa sincérité et-en se rendant utile, Murat eût pu conjurer les desseins qu'on avait formés contre sa couronne : Caroline fit tout pour le retenir, pour lui prouver ici l'utilité de fa bonne foi, la nécessité de se tenir au parti qu'on avait embrassé. Les mobiles qui entrainent Murat sont plus forts qu'elle, car dès qu'il ne crainte plus Napoléon, il n'obéit plus à sa femme. Ce fut là toujours sa dernière carte. Il se jette donc au gouffre où l'attirent sa vanité, sa jalousie et des provocations peut-être intéressées. Caroline échoue dans ses suprêmes efforts pour le retenir. C'est donc la défaite inévitable, et, fatalement, Caroline y est comprise. Elle a élevé son mari jusqu'à un trône, et lorsqu'il tombe de ce trône, elle en tombe avec lui. Vainement se débat-elle et, à force de sang-froid et de courage essaie-t-elle de pallier la déroute. La mauvaise foi anglaise lui assène le dernier coup. Quant à Murat, séparé d'elle désormais, elle ne peut lui épargner l'irrémédiable folie qui le conduit à la mort. Certes ou comprendrait qu'après cette ridicule et tragique équipée, elle le regrettât médiocrement ; il a tout gâché, tout perdu, il la laisse à peu près dans la misère, elle et ses enfants. Mais elle a dans le caractère assez de noblesse pour ne point renier celui qui fut son associé dans la vie. Elle paie, avec ses dernières ressources, les dettes qu'il a faites ; elle se tient solidaire et elle a conscience que, du fait qu'il a disparu, elle n'est plus rien, elle n'a plus de rôle à jouer, et à trente-quatre ans sa vie est finie. Non seulement elle ne l'accable pas, mais elle garde de lui un souvenir affectueux. Elle le défend d'avoir pris les diamants de la Couronne d'Espagne. Il n'eut jamais, écrit-elle, d'autre défaut qu'une tête vive, une imagination exaltée. Ce malheureux défaut l'a perdu avec sa famille ; mais je puis le déplorer sans en rougir et l'idée que j'ai fait tout ce qui a dépendu de moi pour en arrêter les funestes effets, la certitude de n'avoir rien à me reprocher adoucissent mes regrets... Je me résigne aux décrets de la Providence et sauf le dernier malheur dont je ne me consolerai jamais (exécution de Murat), je serais parvenue à nie trouver heureuse. Elle porte fort convenablement son deuil. Elle fait venir de chez Leroy, son couturier habituel, les atours qui lui sont nécessaires à la fois pour paraitre en reine et pour ne point s'enlaidir, car elle ne se soucie point qu'on la prenne pour une vieille femme. A trente-quatre ans avait-elle si grand tort et pouvait-elle admettre que, si tôt, sa vie sentimentale — et aussi sa vie sensuelle — fussent ainsi interrompues. Sa coquetterie ne pouvait se contenter avec des bonnets et des capotes de crêpe, et il lui fallait pour le soir, où elle paraissait, selon l'étiquette, dans une robe décolletée à corsage grec, garni d'effilés, — marque essentielle du grand deuil, — des fleurs noires pour sa coiffure. Ce n'est pas qu'il eût grande compagnie à Hainburg : les moyens que possédait la reine étaient des plus restreints, encore n'étaient-ils pas réalisés et les négociations pour la vente de quelques parties de pierres fines allaient prendre bien du temps et exiger bien des correspondances. D'ailleurs, à peine fut-elle fixée quelque part et l'eut-on appris en Corse, que, de tous les coins de l'île, volèrent vers elle des lettres, d'abord humbles, déférentes, attendries, puis, par degrés, relevées de ton, presque insolentes, enfin tout à fait grossières. De partout, on réclamait de l'argent ; c'étaient des mémoires sans fin pour l'hospitalité offerte, et dont à présent on réclamait le prix au centuple, en y joignant des accessoires que le plus rusé des hôteliers n'eût point imaginés : c'étaient des bateaux qu'on prétendait avoir affrétés, des armes qu'on disait avoir achetées, des hommes qu'on assurait avoir enrôlés : tant pour les périls courus, tant pour ceux qu'on eût pu courir, tant pour s'être compromis, tant pour avoir été persécuté ; et les additions montaient. Et puis il y avait les billets, par vingtaines, et pour des centaines de mille francs, que Murat avait signés : valeur reçue. Que répondre à cela ? D'ailleurs, certains des porteurs de billets pouvaient seuls faire retrouver ces diamants que le roi leur avait confiés comme gages de leurs créances. Pour ne pas les livrer au gouvernement de Louis XVIII, ces Corses les avaient défendus, fusil eu main. Cela (entre autres causes) avait donné naissance à ce qu'on appela la guerre du Fiumorbo, où quelques bandes d'insurgés, victorieux de l'armée du duc de Rivière, tinrent tête au roi de France et ne traitèrent avec lui qu'à égalité. Des courtiers se présentaient à Hainburg annonçant qu'ils feraient recouvrer une somme de 200.000 francs que le roi avait déposée en Corse, pourvu qu'on leur donnât quelque commission, 25.000 francs seulement. La reine paya les 25.000 francs et on ne revit plus les honnêtes courtiers. Toutes les convoitises corses s'étaient coalisées contre l'infortunée Caroline qu'on jugeait sans défense, et qu'on croyait prodigieusement riche. En réalité, elle avait une fortune des plus médiocres : en admettant qu'elle réalisât à leur évaluation : 500.000 francs, les objets d'art qu'elle avait sauvés, elle arriverait, dettes payées, à un capital d'environ 1.700.000 francs ; jusque-là elle devrait vivre sur environ 32.000 livres de rente. Quant aux enfants, ils recevront chacun, de la succession de leur père, 107.602 fr. 01 ; pour les quatre 430.408,05 : Elle avait conçu l'espérance que Pauline viendrait vivre avec elle et lui apporter le concours de sa fortune, mais la déesse des caprices n'avait point tardé à perdre cette velléité et Caroline en avait été pour sa déception. L'arrêté pris par la Commission provisoire de gouvernement pour lui restituer ses propriétés de l'Élysée, de Neuilly et de ha Motte-Sainte-Héraye était resté lettre- morte. Le gouvernement de Louis XVIII n'avait eu garde de lâcher cette proie facile, et ce n'était point Ferdinand IV qui eût rendu les biens domaniaux en échange desquels, au traité de Bayonne, avaient été cédés les biens de France. Quant aux capitaux et aux diamants, une partie avait été dissipée par Murat, une autre la plus importante emportée par Barbara, lorsque, au Pizzo, il avait abandonné le roi et ses compagnons. Encore, par quels efforts d'intelligence, par quelle assiduité de soins, par quelle fécondité de ressources, avait été assurée cette fortune inférieure à celle d'un bourgeois honnête, avec laquelle la reine ne renonçait point à mener une sorte de train. C'est qu'elle avait gardé de sa fortune passée deux serviteurs qui l'un en France, l'autre en Autriche, allaient redoubler vis-à-vis d'elle de dévouement, consacrer à ses affaires tout leur temps et toute leur capacité : l'un était M. Bourgeois de Mersey qui, après avoir été administrateur des biens domaniaux français dans le royaume, était entré au service de Murat et, en dernier lieu, exerçait les fonctions de secrétaire des commandements de la reine. Il résidait à Paris et c'était lui qui répondait aux réclamations, suivait les négociations, menait les procès, entretenait une correspondance immense, tant avec la reine — et plus tard avec ses enfants — qu'avec l'homme chargé en premier lieu de la défense de ses intérêts. Cet homme qui, avec une abnégation admirable, devait s'efforcer à rétablir cette sorte de fortune, à couvrir des fantaisies parfois excessives, à procurer à la maison une apparence respectable c'était Francesco Macdonald, ancien ministre de la Guerre à Naples. Tant de légendes ont pris cours à son sujet qu'il n'est pas inutile de résumer brièvement sa carrière. Dun rameau de la même famille que le Macdonald, .qui fut maréchal d'Empire, Francesco Macdonald était né à Pescara, le 19 février 1776, de Giuseppe Macdonald, adjudant major au régiment du roi et de Marie-Louise Molloy. Son grand-père Michel avait été lieutenant-colonel d'un régiment au service de Toscane ; son père mourut lieutenant-colonel du régiment Messupiaau service de Naples. Francesco, ayant perdu, son père en 1783, sa mère en 1790, fut élevé à l'Académie militaire et fit ses débuts, d'abord comme cadet puis comme lieutenant dans le régiment Royal-Napoli, au siège de Toulon. A son retour, il fut compris, durant dix-huit mois, dans les gardes royales de nouvelle formation, mais il en fut chassé pour mauvaise conduite et il retourna à son régiment ; il se rallia à la Parthénopéenne et lors de la chute de cette république, il s'en vint en France où il fut envoyé à Dijon comme capitaine dans la légion Italique. Il prit part à la campagne de 1800 sous les ordres de Brune. De là, il passa au service de la Cisalpine, devint aide de camp du ministre de la Guerre, puis directeur du dépôt de la Guerre et secrétaire de l'Académie militaire. Après 18°6, il entra au service-de Joseph, roi de Naples, en qualité de chef de bataillon du génie, et se distingua dans cette rude campagne de Calabre si fournie d'admirables actions de guerre. Employé à des services de fortifications, il demanda à faire la guerre et sollicita en 1811 le commandement d'un régiment d'infanterie nouvellement levé sous le nom de Royal-Africain (7e d'infanterie). Il fut versé dans la garnison de Dantzick, puis ramené à Elbing par ordre du roi. Il prit part ainsi, dans les rangs français, à la campagne de Saxe et, à Dresde, fut promu maréchal de camp par Murat, officier de la Légion par l'Empereur. Il revint alors à Naples, et fut employé, d'abord dans la division Carrascosa, puis dans la division d'Ambrosio, au blocus d'Ancône. Sa brigade fut celle que le général Barbou attaqua vigoureusement pour punir la trahison de Murat. Nommé ministre de la Guerre le 31 mars 1814, il fut décoré de la commanderie de Saint-Léopold et reçut ainsi une des quatre décorations que l'empereur d'Autriche avait envoyées à Murat pour être décernées aux officiers qui se seraient le plus distingués dans la guerre contre les Français. Nommé lieutenant-général le 21 août, il fit tous ses efforts pour empêcher la guerre contre l'Autriche dont, pourtant, sur une parole presque insultante du roi, il dressa le plan. Abandonnant son portefeuille pour défendre le poste de San Germano, il fut nommé, le 8 mai, dignitaire des Deux-Siciles avec une baronnie de 300.000 francs, il combattit encore vigoureusement à Migriano, puis, avec Agar comte de Mosbourg, Zurlo et David Winspeare, il accompagna la reine sur le vaisseau anglais qui la conduisit à Trieste. Dès lors il ne la quitta plus et jusqu'à sa mort en 1837, il se dévoua, au milieu d'orages et de désagréments sans nombre, à tenir la maison, à administrer la fortune, à réparer les brèches, à prévenir ou à dissimuler les folies, à élever les enfants, à ménager le mariage des filles, à couvrir les frasques de l'aîné des garçons, très souvent par surcroît obligé de tolérer des passants qui lui étaient odieux. Macdonald, on peut en juger par son passé, n'était rien moins que gallophile, il avait très sincèrement embrassé l'alliance autrichienne, et l'on ne saurait dire que, dès lors, il subit sur ce point l'influence de la reine. Toutefois, lorsqu'il la suivit, on peut bien croire que son dévouement n'était point exclusivement politique. Elle ne pouvait, d'ailleurs, trouver dans sa détresse un meilleur conseiller, un guide plus apte à conserver à son exil une respectabilité et une dignité. Le bruit courut qu'elle l'avait épousé. Pourquoi faire ? Elle n'était point de celles auxquelles un Mariage de conscience est nécessaire pour laisser parler leurs sens. Des amants qu'elle avait eus certains pouvaient être utiles comme Junot, Metternich, d'Aure, Mier, mais ils étaient aussi des hommes vigoureux et beaux. Que fût-elle devenue si, dans cette solitude où elle était condamnée à vivre, elle n'avait pas même en un aillant de fondation. Mais de là à épouser Francesco, elle, la reine de Naples, fi donc ! Quant à Macdonald, il était trop pénétré de respect et d'admiration pour exiger, même pour désirer, un mariage qui l'eût mis — fût-ce seulement en tête à tête — à égalité avec son idole. Il la servait avec tille dévotion et un empressement qu'un mariage, fût-ce de conscience, n'eût pu augmenter et pour elle, si agréable que lui fût la compagnie de Macdonald, qu'avait-elle besoin de la rendre obligatoire ? N'eût-elle point pensé qu'elle eût ainsi diminué son prestige en enchaînant sa liberté ? Sans doute avait-elle fait avec ses fils et Macdonald un voyage d'une quinzaine de jours en Moravie pour chercher un château aux environs de Brünn ; peut-être avait-elle poussé jusqu'à Vienne pour traiter d'affaires avec Metternich et jusqu'à Trieste pour voir sa sœur. Mais qu'avait affaire le voyage avec un mariage et quel besoin avait-elle de la bénédiction d'un prêtre pour plaire et pour qu'on lui pied. Elle avait laissé son fils Achille près de sa tante Elisa et elle avait ramené sa nièce Napoléon, la plus jolie petite espiègle que je connaisse, écrit-elle. Et puis elle était retournée à Hainburg où elle devait seulement passer quelques mois et où elle se trouvait encore au mois d'août 1816 lorsque le chevalier Abbatucci, qui à Trieste s'était attaché à la fortune de Jérôme vint lui annoncer la prochaine visite du prince et de la princesse de Montfort. ***En quittant Ellwangen, Jérôme et Catherine s'étaient arrêtés à Augsbourg pour attendre les réponses du prince de Metternich aux lettres que le chevalier Abbatucci avait portées à Vienne. La réponse fut favorable. L'empereur consentait à la demande formée par S. A. R. la princesse de Montfort de s'établir de préférence à Gratz ; il l'autorisait selon son désir et celui du prince, à passer d'abord quelques jours auprès de Mme la comtesse de Lipona et à attendre chez elle que leur établissement pût être mis en état de les recevoir. Et Metternich qui donnait de l'Altesse à Jérôme, de l'Altesse royale à Catherine, les assurait de ses sentiments respectueux. Ils se dirigèrent donc sur Hainburg où Garonne tremblait à leur approche : Cette visite fraternelle était une visite d'affaires : les 500.000 francs que Jérôme avait prêtés à sa sœur formaient à présent une partie relativement importante de sa fortune ; au mois d'avril il avait envoyé Abbatucci pour les réclamer. Abbatucci est ici, écrivait Caroline au cardinal. Il est venu de la part de Jérôme pour ce que je lui dois ; il m'est de toute impossibilité de les payer ; je n'ai rien, absolument rien... Il me menace, si je ne paye pas, d'avoir recours aux voies judiciaires ; par le fait, je ne les crains pas ; puisque je n'ai rien, que pourrait-on me raire ? Mais, pour le public, je serais désolée qu'ou eu vint à cette extrémité. Pour l'éviter elle proposait que Madame, créancière de Jérôme pour une bien plus forte somme, mit opposition sur les 500.000 francs qu'elle lui devait ; elle insistait encore le 1er juin, pour que Madame ne manquât point de faire les oppositions nécessaires. Lorsque Jérôme put juger par lui-même des embarras qu'éprouvait sa sœur, il modéra singulièrement ses réclamations ; le 30 août, il reconnut avoir reçu de sa sœur, S. M. la reine Caroline, la somme de 200.000 francs pour acquit de la somme de 500.000 qu'il lui avait prêtée à Naples ei pour laquelle elle lui avait souscrit un billet qu'il avait perdu. Si les affaires de Naples ne s'arrangeaient pas de manière que la reine eût un revenu de 500.000 francs, il n'aurait plus rien à prétendre et se trouverait satisfait avec les 200.000. Autrement, la reine lui tiendrait compte des 300.000 francs de différence. Cela était généreux ; malheureusement, sept années plus tard, Jérôme tenta de revenir sur ce noble geste ; mais c'est que lui-même était totalement ruiné. Pour le moment tout alla le mieux du monde et l'on parut s'entendre à merveille. Jérôme, Catherine et leur suite s'établirent à Hainburg d'abord dans le château même, puis dans un appartement provisoire que le roi fit construire à grands frais dans une partie des bâtiments. De là ils rayonnèrent pour chercher une terre dans cette partie, ou dans la Moravie, même dans les environs de Vienne car, écrit Catherine, S. M. I. et R. nous a permis de faire telle acquisition que lions voudrions dans ses États allemands. Elle était enceinte polir la deuxième fois ; elle se trouvait avec son mari qui n'avait point d'occasion d'être infidèle ; elle espérait se réconcilier avec son père auquel elle avait fait part de sa grossesse ; elle employait comme avocate sa belle-sœur la grande-duchesse Catherine de Russie (ci-devant princesse d'Oldenbourg) qu'elle sollicitait de bien vouloir être marraine de l'enfant dont elle comptait accoucher bientôt. Cela n'était point maladroit : cette sœur chérie de l'empereur Alexandre, la confidente de ses amours platoniques et autres, de ses rêveries mystiques, même de ses projets politiques, était tombée quelque peut dans sa disgrâce. depuis qu'elle s'était attachée à épouser le prince de Wurtemberg, divorcé de cette princesse de Bavière qui allait devenir la quatrième épouse de l'empereur d'Autriche. Mais on était en droit de penser que ce refroidissement ne Jurerait point. Trop de liens attachaient le frère à la sœur pour qu'ils ne finissent point par se réconcilier. La grande-duchesse était une femme d'esprit qui avait le goût de dominer et l'exerçait avec ardeur, fantaisie et insolence. Dès qu'elle avait échappé à un mariage avec Napoléon dont elle n'avait voulu à aucun prix, il se pouvait qu'elle mît son amour-propre à se rendre utile à une cousine qui n'avait eu ni la même force, ni la même fortune. Pour maintenir le contact avec son père, Catherine n'avait pas manqué, quelque temps après son arrivée à Hainburg, de lui faire part à la fois de son intention d'acheter une terre en Autriche et de la situation intéressante dans laquelle elle se trouvait ; mais son père n'eut point le loisir de lui donner de temps en temps de ses nouvelles comme elle en exprimait le vœu : il mourut le 30 octobre 1816, sans l'avoir revue. Comme il fallait à Catherine des ménagements, on ne lui apprit que le 17 novembre le malheur qui l'avait frappée : Vous mieux qu'une autre, écrivait-elle à sa belle-mère la reine douairière, savez ce que j'ai éprouvé lors de ma dernière séparation aveu lui. Je sais qu'il a daigné se rappeler de moi dans ses derniers moments ; cela lui servait de consolation. Seulement, elle était déshéritée : Le testament de son père portait que, ayant eu sa dot, elle n'avait plus rien à prétendre que l'héritage de sa mère, montant à 150.000 francs. Qu'était cela pour le train qu'on menait et qui restait royal ! Ainsi, entretenait-on des gentilshommes qui pouvaient servir d'ambassadeurs, tel M. de Pfuhl que le prince et la princesse envoyaient à Stuttgart offrir au nouveau roi leurs sentiments de condoléance. M. de Pfuhl, ancien colonel de l'artillerie westphalienne, avait été promu à l'emploi d'aide de camp, ainsi que les colonels Berger von Bosse et de Flamel, tous Westphaliens. De plus, fallait-il compter le baron von Linden, qui faisait fonction de ministre à Vienne, le baron von Gayl, chargé d'affaires à Paris avec Moulard et le chevalier Abbatucci qui était employé aux missions. Quant à la reine, elle avait près d'elle, sans parler de Mme de Saint-Brice, lectrice, une Mme Spencer Smith, dont les aventures dans tous les genres, même le politique, avaient été à ce point retentissantes que ce choix pouvait étonner. Née baronne de Herbert-Natkeal, fille de l'Internonce autrichien à Constantinople, elle avait épousé Spencer Smith, ministre d'Angleterre à Constantinople de 1798 à 1804, frère de l'amiral sir Sidney Smith, l'irréconciliable ennemi de la France et de Napoléon. Elle avait brodé de ses mains l'étendard que Sidney Smith arbora sur les murs de Saint-Jean d'Acre. Elle accompagna à Stuttgart son mari chargé de prêter aide et assistance à la conspiration de Georges. Arrêtée à Venise en 1806 comme femme d'un ministre anglais, elle s'évada à Brescia et, après d'extraordinaires détours, elle fit naufrage sur les côtes d'Espagne, d'où elle rejoignit son beau-frère dans la Méditerranée. On la trouve ensuite à Naples et en Sicile, puis en Allemagne et sans doute en Autriche. Sa sœur, qui la suppléait souvent près de Catherine, était revêtue de hautes dignités, étant dame de la Croix étoilée et dame de l'Ordre de Malte. Elle avait épousé un comte Nicolas Atteins, chambellan de l'empereur et préfet de Goritz, d'une cinquième ou sixième branche de cette maison très ancienne et très illustre. Sur ces éléments, la plupart allemands, d'autres, français, vinrent se greffer, lorsque, au début de mars 1817, eut pris fin la cohabitation au château de Hainburg qui allait être vendu : il était temps qu'elle cessât. A lire entre les lignes une lettre que Catherine écrit à Madame mère, cette vie de famille devait être délicieuse. Catherine s'excuse de ne pouvoir s'expliquer parla poste. Il est question de gens qui soufflent la discorde, d'une affaire sur laquelle Jérôme a dû garder le silence, ce qui a pu faire soupçonner un moment que Jérôme n'avait pas eu pour sa mère tous les égards qu'il lui devait. — Tout le monde se porte bien, ajoute-t-elle. M. de R. est établi auprès de Caroline. Nous voyons tout, mais il y a des circonstances où le meilleur parti est de se taire, surtout la où l'on ne peut remédier. On arrive presque à la guerre ouverte ; tracasseries d'un
côté, cachotteries de l'autre : Pauline entretient de noirs desseins qu'elle
ne veut point révéler, mais dont on a percé le mystère ; Caroline envoyant à
Rouie son nouvel intendant M. de Hautmesnil, ci-devant préfet de Lucques,
trésorier du prince de Piombino et beau-père d'un des Rossi, neveu de
Baciocchi, en fait un secret pour les Jérôme ; les cours se déchirent et les
patrons se boudent. Les jeunes princesses sont charmantes et, même à
l'ambassade de France à Vienne, on en dit beaucoup de bien, mais les fils
sont, dit-on, tout à fait mal élevés. L'aîné a parlé
de s'enfuir et de s'engage dans un de ces corps de troupes irrégulières qu'on
appelle Manteaux rouges. Une humeur aventureuse le pousse qui lui fait
prendre en horreur aussi bien la vie qu'il mène que les gens qui l'entourent.
Il se livre, même à table, et devant sa mère qui le
souffre, à des fureurs ridicules contre la France. Ce jeune homme de seize
ans à peine est déjà grand et fort comme un homme de vingt-cinq. Il dit : Je
ne suis pas Français ; je ne veux jamais l'être ; je suis Italien, je serait
toujours Italien. Ma mère a cru, si mon père était mort à l'armée qu'elle
serait reine, mais, aussitôt la nouvelle arrivée, je l'aurais fait enfermer
au château Saint-Elme. Elle aurait été bien là et moi, je me serais fait
déclarer roi. C'était un garçon précoce et indomptable, ne ménageant point les mots, prêt à tous les excès, mais d'un courage et d'un stoïcisme incroyables. Comme il se risque presque chaque jour à des tours de force surprenants, il y attrape souvent des mauvais coups, mais il ne se plaint pas et an plus mauvais jeu, il fait bonne mine. Dans notre peuple on disait : C'est un braque. Le second, Lucien, plus grand que l'aîné a des sentiments tout français ; il parle peu et dit qu'il aimerait mieux être le dernier citoyen en France que roi à Naples, ce qui irrite beaucoup son frère. Sauf Lucien, le personnel de la petite cour de Caroline est violemment anti-français. Peut-être sous la plume des agents diplomatiques, cela signifie-t-il d'abord anti-Bourbonien ; on note les propos révolutionnaires de M. d'Hautmesnil, l'esprit de dénigrement du général Macdonald, qui voue une partie de la nation française au mépris et l'autre à l'horreur. On ne saurait dire quel de ses conseillers détermina Caroline à acheter la terre d'Orth pour 750.000 florins (près de 1.900.000 francs) ; elle parvint à la vérité à la revendre d'une façon à peu près satisfaisante, mais elle avait presque simultanément acquis pour s'y établir définitivement le château et la terre de Frohsdorf, ce château qui devait abriter plus tard lé dernier représentant de la royauté traditionnelle. Le château qu'elle avait payé 400.000 florins exigeait un grand train ; la' terre rapportait a peine 20.000 francs et le prix était d'un million ; il fallait y faire figure, malgré qu'on fût, à bon droit, inquiet du lendemain : l'exemple que donnait Jérôme était pour justifier toutes les prodigalités qui, près des siennes, semblaient raisonnables. Las du séjour à Hainburg, Jérôme et Catherine cherchaient à acquérir une terre où ils pussent s'établir. Le roi de Wurtemberg avait fort insisté sur l'avantage qu'ils trouveraient à se fixer dans ses États, mais Jérôme ne s'en souciait aucunement. Nous sommes décidés pour le moment à rester en Autriche, écrivait Catherine à Madame, le 6 février 1817, nous cherchons à cet effet à faire l'acquisition d'une terre aux environs de Vienne. Notre fortune ayant considérablement diminué, nous restant à peine en ce moment de 80 à 90 mille livres de rente placées, nous devons mettre hi plus grande économie dans notre existence et même Jérôme ne pourrait faire l'achat d'une terre quelconque si Elisa n'avait eu la bonté de lui prêter deux cent mille francs qu'elle avait placés à Livourne. Cette terre qu'on acheta ce fut Wald, qui appartenait au comte Fuchs. Mon mari, écrit Catherine, acheta Wald puisqu'on lui-assurait qu'il plaçait son argent à six pour cent. Mais Wald n'était pas habitable. Il fallait mieux : L'affaire à laquelle on donna le plus de suite, écrit
Catherine, fut celle de Grainburg ; nous y allâmes
et fûmes frappés de trouver, au lieu du plus beau château de l'Autriche,
comme on nous l'avait assuré, un château antique et veste qui demanderait des
sommes énormes pour être rendu habitable et sans grand'route pour y arriver.
Ceci changeait entièrement nos plans et nous décidâmes que l'achat de
Grainburg serait subordonné à celui d'une acquisition d'agrément aux environs
de Vienne, projet auquel on ne pouvait faire aucune objection. Les
intermédiaires et les gens d'affaires se donnent un mouvement extraordinaire pour
enlever la signature ; ils vont si loin que Jérôme en prend ombrage et se
refuse à conclure. Il pense alors à s'établir à Presbourg et il fait adresser à cet effet une demande au gouvernement autrichien par le ministre de Wurtemberg, sans avoir obtenu préalablement l'agrément du roi son beau-frère. Il a choisi Presbourg de préférence à toute autre ville parce qu'il n'y a, écrit Catherine, ni gouverneur civil ni militaire dont le contact pourrait nous occasionner des désagréments. Le gouvernement autrichien fut sans doute d'avis que la surveillance ne serait point assez exacte et il refusa l'autorisation. Mais Jérôme n'avoua point un tel motif : il préféra alléguer que, à Presbourg, le prix des maisons était beaucoup trop élevé. La chasse aux châteaux recommence autour de Baden et de Neustadt : on va voir Inzersdorf à une demi-lieue de Vienne, sur la route de Laxenbourg ; le site est charmant, le château est joli, tout convient sauf la proximité de la résidence impériale. On fait demander si l'empereur y voit des inconvénients ; il répond, assure-ton, qu'il n'en trouve aucun ; l'affaire ne manque qu'à cause du prix. Là-dessus, un banquier de Vienne, nommé Herz, leur fait proposer une propriété appartenant au prince Stahremberg et sur laquelle il a fait des prêts importants. C'est la seigneurie d'Erlau, possession charmante, à deux lieues de Vienne, qui réunit l'utile à l'agréable... Cet achat, écrit Catherine au roi son frère, a dû se faire brusquement et très secrètement puisque nous nous sommes vus dans la nécessité de quitter Hainburg les premiers jours de ce mois... Le secret a ôté commandé pour éviter d'être trompés comme l'a été ma belle-sœur. Aussitôt le contrat signé, Jérôme, parait-il, fit prévenir le prince de Metternich par un officier de sa maison. Le prince, dit Catherine, ne fit aucune observation contraire. On s'était installé le 30 avril. Le 1er mai, le prince de Metternich fait appeler le ministre de Wurtemberg ; il lui déclare qu'il désapprouve cette acquisition et il met en avant mille considérations politiques. Il est vrai qu'Erlau se trouve dans le voisinage de trois châteaux impériaux, mais si écarté des routes qu'il faut, écrit Catherine, venir nous y chercher pour pouvoir le rencontrer. Si, avant d'acheter, on avait su, mais c'est fait. Et indépendamment des 100.000 florins d'achat, dont certes on ne retirerait jamais la moitié si l'on était obligé de revendre, que dire des frais de déménagement, de l'impossibilité de trouver une autre terre ? Car, pour Wald, le prince et moi, dit Catherine, nous ne voulons sous aucun prétexte nous enterrer au milieu des bois et aggraver par là le malheur de notre position. Il faut donc que le roi de Wurtemberg s'exerce au rôle de sauveteur que remplissait Napoléon et qui, pour l'instant, est vacant. On a donné à Jérôme quarante-huit heures pour partir ; à grand'peine, il obtient six jours de sursis ; il expédie Abbatucci à Metternich qui est inexorable et, avant que son beau-frère ait pu intervenir, il lui fait déclarer par la reine qu'ils renoncent à Erlau et qu'ils bornent leur ambition à Trieste. Douze jours plus tard, c'est encore changé. Le baron de Braun, propriétaire de la terre de Schönau, dans le voisinage de Boslau, leur fait savoir qu'il a obtenu pour eux la permission d'acheter cette seigneurie et de s'y établir. Ils n'en avaient jamais eu la pensée, mais le baron est en grande faveur auprès de l'empereur apostolique, qui entend, sans bourse délier, lui donner des marques de sa bonté. Acheter Schönau dans ces conditions, c'est acquérir une bienveillance qu'on ne saurait payer trop cher. Le baron fait valoir sa marchandise, parle de revenus considérables, annonce des concurrences immédiates, consent à baisser ses prétentions, à se montrer accommodant ; bref, il cède Schönau pour 400.000 florins en reprenant Erlau pour 100.000, — le prix d'achat : c'est un million tout rond ; bien heureux qu'on revende Schönau dix ans plus tard 375.000 francs (152.000 florins) au prince Lichtenstein. C'est 625.000 francs qu'aura coûté aux Jérôme la faveur de l'empereur François, faveur constatée par un rescrit interdisant aux exilés et parents de la famille Bonaparte d'acquérir des propriétés dans un rayon de quatre milles de la ville de Résidence, Vienne. Aussitôt Schönau acheté, les regrets commencent. Schönau a
été fort négligé dans les dernières années, il faudra, pour en tirer parti,
une administration telle que Jérôme excelle à les régler : il suffira alors à
la consommation de la maison. Il était fâcheux à la vérité que M. de Pfuhl
n'eût pas rendu compte que la cour de Russie était disposée à appuyer la
demande qu'avaient faite jadis les Jérôme de s'établir à Rome, mais c'était
là une faute sans remède et dont Pfuhl devait porter le poids, même si, comme
il est plus que probable, il n'y avait rien devrai dans cette histoire.
Seulement le château, à Schönau, est antique et le prince de Montfort a le
goût trop fin pour s'y plaire. Aussitôt il veut
faire construire un château à l'italienne à côté de l'ancienne habitation.
Les plans sont donnés par M. Moreau, architecte français : cette construction,
dit le chargé d'affaires de France à Vienne, coûtera des sommes
considérables. Le prince de Montfort, ajoutait-il, paraît vivre en très
grande intimité avec son épouse. Ils ne sortent presque jamais des dépendances
ordinaires de Schönau sans en prévenir l'autorité de la police de Vienne...
Ils font une grande dépense. Cette dépense était en effet médiocrement en rapport avec les revenus que Jérôme accusait. Lorsque Catherine obtint d'aller prendre les bains à Baden près de Vienne en 1817, ce fut une occasion de grands frais, non seulement pour elle mais pour Jérôme qui, ne pouvant se souffrir seul à Schönau, acheta près de Saint-Polten, une terre qu'il revendit deux ans après en perdant moitié ; mais sa dignité ne lui permettait pas de résider dans une maison qui ne lui appartînt pas. Il avait emprunté ce préjugé de certains grands seigneurs français et il s'y tenait religieusement ; mais cela le menait loin. Plus tard en saison, il fit avec toute sa suite une excursion de six jours à Maria-Zell ; la reine s'en loua fort. L'exercice et la distraction, écrit-elle à son frère, m'ont fait beaucoup de bien. La maison était montée sur un pied royal et les dignités y étaient réparties comme à Cassel. Le chevalier d'Abbatucci était grand maître et chaque terre : Schönau, Wald, la terre près de Saint-Polten revendue en 1818, plus tard Saint-Christophle acheté en 1820 en pleine débâcle, avait son administrateur gouverneur nommé par décision royale. L'ampliation de cette décision lui était remise avec un programme qu'il devait suivre strictement sur tous ses points. La cour qui se recrutait sans cesse .et à laquelle Jérôme avait adjoint Planat, l'ancien officier d'ordonnance de l'Empereur et Foureau de Beauregard, son médecin à l'ile d'Elbe, était obligée à la tenue la plus correcte. Nous vivons, écrit Planat à sa sœur, sur un pied qui me fait éprouver la gêne au milieu de l'abondance. J'ai plus dépensé pour ma mise depuis six mois que je n'ai fait pendant les deux années précédentes et tu le comprendras facilement lorsque tu sauras qu'il y a, tous les soirs, au château, un cercle pli est de rigueur et d'étiquette... Et il disait encore : Mon patron, quoique plein d'excellentes qualités ne veut pas descendre à la situation de simple particulier. Cela met beaucoup de gêne dans nos relations. Sa maison est une petite cour qui n'a que les inconvénients et aucun des avantages d'une cour souveraine. Le luxe, l'envie et la méfiance y règnent comme dans la maison du roi de Westphalie. Pour rendre le château digne de l'abriter, Jérôme v faisait d'immenses travaux : J'ai deux cents ouvriers sous mes ordres : maçons, charpentiers, menuisiers, peintres, jardiniers, terrassiers, écrit Planat qui entreprit de plus d'éclairer le château et ses environs au gaz hydrogène. De temps en temps, Jérôme constate qu'il va droit à la ruine et s'avise de réformes. Ainsi à la fin de 1817, Abbatucci ayant dû s'absenter pour quelques mois, Planat a été chargé de toutes les affaires ; sur la demande de Jérôme, il s'efforce de réduire le budget des dépenses. Chaque proposition est accueillie avec enthousiasme, mais, sans parler du mauvais vouloir des parasites et des courtisans, on se brise ensuite contre la résistance latente du roi, contre l'opposition ouverte et irritée de la reine. Elle trouve au-dessous de sa dignité de refuser une libéralité, de supprimer une fantaisie, de diminuer le nombre des chevaux a sa voiture, de ne point en atteler six au moins pour les crever ou tout le moins les mettre sur le flanc. Ce n'était point que le train de la vie ne fût fort uni et même très monotone. La reine se levait à sept heures du matin ; à onze heures elle déjeunait, après quoi elle se promenait pendant une heure ; elle rentrait, travaillait à l'aiguille ; à trois heures, elle sortait en voiture ; à six heures et demie, diner ; puis le cercle : des patiences, le billard et le boston. Coucher à onze heures. Les toilettes se succédaient, le matin, l'après-midi et le soir, où l'on ne paraissait devant Leurs Majestés qu'en tenue habillée ou militaire, avec les décorations. D'ailleurs, on ne voyait personne du dehors, même point les Murat, bien que Schönau ne fût qu'à quatre lieues de Frohsdorf. Dès la sortie de Hainburg la brouille était presque complète. Caroline avait compté que Pauline viendrait la voir ; s'établirait près d'elle, lui apporterait les ressources d'une fortune encore assez considérable et de pensions importantes. Il n'était pas étonnant que la capricieuse Pauline eût renoncé à ce projet, mais Caroline accusa les Jérôme de l'avoir influencée. Nous sommes fâchés, écrivait Catherine à sa belle-sœur le 6 mai 1817, de devoir renoncer au plaisir de vous posséder cette année dans nos contrées, mais, n'étant pas égoïstes, nous vous en félicitons puisque votre bien-être en serait compromis. L'on nous en veut beaucoup de ce que votre voyage soif remis et l'on prétend que c'est nous qui vous en avons dissuadée. Vous mieux qu'une autre, pouvez, ma chère Pauline, démentir cette supposition. J'avoue que je n'ai jamais conçu l'idée que vous aviez eue d'échanger le climat, le beau ciel d'Italie et votre indépendance contre titre sujétion qui tient d'abord à la localité du pays et puis à la dépendance dans laquelle vous vouliez vous mettre. Catherine reconnaissait que si elle n'en avait point écrit
à Pauline, elle en avait écrit à Madame et cet aveu justifiait quelque peu
les représailles qu'exerçait Caroline. Aussi, quand M. d'Hautmesnil revînt de
Rome où il avait été envoyé, la comtesse de Lipona ne lui permit point de se
présenter chez le prince de Montfort. Si, en 1818, les querelles parurent un
peu calmées, si même, à l'automne, Caroline vint avec ses filles et son fils
Lucien passer une journée à Schönau, cette accalmie ne dura guère : Frohsdorf qui aurait pu nous être d'un si grand agrément,
n'est pour nous, écrit Catherine à Elisa, qu'une
source continuelle de tracasseries, car nous ne nous voyons pas une fois que
nous n'en éprouvions ; aussi avons-nous pris le parti de ne plus nous voir.
Nous devons croire que Caroline est bien aise qu'on se soit mis sur ce pied puisque,
Jérôme étant malade, elle n'est pas venue le voir et quand, dernièrement, je
l'ai été deux fois, elle n'a pas même fait demander de mes nouvelles. Il
y a les visites du jour de l'an auxquelles elle a manqué, et puis les
compliments de protocole, et puis les remercîments des enfants. On se réconcilie un jour, Caroline vient à Schönau, elle apporte un cadeau, mais elle ne trouve pas sa belle-sœur, qui, en lui écrivant pour la remercier, lui dit : Il ne me reste qu'à gémir, ma chère sœur, de voir les nuages continuels qui s'élèvent entre vous et mon mari. Tout ce que je puis vous dire, c'est qu'ayant une connaissance bien approfondie du caractère de Jérôme, lui-même se trouve péniblement affecté de ces tracasseries. Notre position, les malheurs que nous éprouvons journellement, ne sont-ils pas faits pour resserrer les liens de parenté et ne devrait-il pas nous tenir à cœur mutuellement d'éviter que le public fut en tiers dans la froideur qui règne entre nous ? Telles furent jusqu'à la fin du séjour de Jérôme à Schönau les relations avec Caroline. Elles s'améliorèrent avec l'éloignement et, par lettres, elles prirent un caractère presque d'intimité : au surplus la présence réelle était d'ordinaire assez fâcheuse pour la bonne harmonie entre Catherine et les membres.de la Famille. Ainsi, lorsque Elisa vint, en 1819, d'abord à Baden, puis à Carlsbad avec son mari et son fils, dans l'intention de passer deux ou trois mois près des Jérôme, la hauteur de la reine, ses impertinences, ses colères, les sautes de caractère, les explications sans fin, rendirent la vie insupportable. Mais la reine se contente en achetant tout ce qu'elle voit : Elle ne peut vivre sans acheter... La maison ne désemplit pas de marchands de toute espèce. Cette étonnante dépense, cette prodigalité que rien ne peut enrayer, alors que les revenus sont réduits à un chiffre infime, s'ils existent encore, et que les dettes croissent à vue d'œil, obligent à faire jeu de toutes les ressources ; on s'évertue à récupérer des capitaux peu sûrs ; on invite le baron Schwartz, chargé d'affaires de Wurtemberg à Paris, à assurer la rentrée des 80.000 francs en or volés par le sieur Maubreuil, ainsi que le dédommagement auquel la princesse a droit pour les dommages que ses bijoux ont éprouvés lorsqu'ils ont été jetés dans la Seine. Jérôme réclame au cardinal Fesch l'argent qu'il lui a prêté, mais il se heurte à Madame qui lui répond : Il faut que vous attendiez que sa maison soit vendue ainsi que ses effets. Il est inutile que vous le pressiez. Il s'acquitterait avec autant d'empressement que vous, mais il faut que chacun se prête aux circonstances. Et, comme elle est créancière de Jérôme pour une somme bien plus forte, elle se trouve en posture pour être écoutée. Les fameuses propriétés d'Italie échangées aux Hainguerlot avec tant de précipitation contre les magnificences de Stains et de Villandry sont plus que menacées et le prince expédie sur Stuttgart et de là sur Paris, M. Abbatucci qui, après avoir conféré avec le roi de Wurtemberg et avoir obtenu sa protection, devra s'entendre avec Moulard pour la revendication des biens de France. Mais Abbatucci tombe malade. Seule, son apparition subite aurait pu intimider le sieur Hainguerlot qui, probablement instruit de sa venue déploiera tous les moyens pour se mettre en mesure. Du moment qu'on engage le procès qui en équité est imperdable, il faut s'assurer la protection du roi de Wurtemberg et l'on compte bien qu'il ne la ménagera pas. Autre procès : pour Schönau, cette fois. Avant de signer le contrat, écrit Catherine, mon mari avait pris la précaution de s'informer au Landrecht si la seigneurie de Schönau était un fief ou non ; sur la réponse du Landrecht que la terre était libre, le prince fit insérer cette clause dans un article exprès du contrat. Ce fut donc avec une extrême surprise que nous avons appris, environ un an après, que la terre de Schönau était un fief. La condition première du contrat étant par conséquent non remplie, il est nul par le fait et Mon mari commença à faire valoir ses droits devant les tribunaux. Voilà une occasion qu'il trouve encore de dépenser son argent, et pourtant il n'en manque pas. Il a commandité les frères de Girard pour une filature de lin qu'ils ont établie à Hirtenberg et qui doit rapporter des millions. Il lui en coûte d'abord 40.000 gulden, cent mille francs, mais il se trouve encore engagé dans la faillite pour 160.000 (400.000 livres). Cela d'ailleurs ne diminue point sa confiance aux frères de Girard, et il entre avec eux dans une affaire de bateaux à vapeur, devant assurer un service commercial sur le Danube, affaire qui eût pu être bonne, mais qui, sous la surveillance de M. de Pfuhl, ne manqua pas de tourner mal. Dès la fin de 1817, on était aux expédients et Catherine,
alléguant que deux rentrées de cent mille florins chacune avaient manqué à
son mari et que les bijoutiers d'ici s'entendaient pour lui acheter à vil
prix les diamants qui lui restaient, écrivit
à son frère pour lui demander un prêt de 200.000 florins qui seraient placés en première hypothèque sur Schönau à
raison de 5 p. 100 d'intérêt par an et remboursables dans cinq ans ;
le roi de Wurtemberg ayant refusé, elle se tourna vers les puissances
alliées. Elle réclama, en ce qui la concernait personnellement, l'exécution
du traité de Fontainebleau ou du moins celle de son contrat de mariage. Elle
présentera une note à chacun des souverains et elle compte bien que le roi de
Wurtemberg et l'empereur de Russie la soutiendront de tout leur pouvoir. L'Histoire, écrit-elle, aurait
peine, à croire que, fille, femme, sœur de Roi, parente à tous les souverains
alliés, je sois réduite à mendier mon pain. Pour ce qui regarde mon mari, ajoute-t-elle,
soyez bien convaincu qu'il ne veut entendre parler
ni du traité de Fontainebleau, ni de secours étranger ; son âme se
révolterait de devoir quelque chose à ses ennemis, mais il ne s'oppose plus à
la démarche que je crois devoir faire pour moi puisqu'il ne se trouve plus
dans le cas de me soutenir convenablement. Catherine multiplie les lettres et les notes, mais elle imagine que, par sa présence, elle obtiendra davantage et, sous prétexte d'aller prendre les bains de Wildbad, elle part le 18 mai 1818 de Sch5nau, passe à Munich où elle évite de voir Eugène, Arrive à Augsbourg, fait tout de suite visite à Hortense et trouve une lettre du roi son frère l'invitant à venir à Louisbourg. Le roi consent à appuyer la demande en ce qui concerne le contrat de mariage, mais il faut pour cela le concours de la Russie et celui des trois autres puissances. Si la Russie marche, tout le monde marchera. D'ailleurs, le roi parait disposé à faire un sort à sa sœur et les ministres — lesquels sont d'anciens ministres de Jérôme, — sont des mieux préparés. Mais cela ne fait pas de l'argent comptant. Il faudrait 220.000 florins pour payer les dettes les plus urgentes, et la reine fait proposer aux ministres de lui en prêter au moins 150.000 sur ses diamants. Cette proposition n'ayant pas été agréée, Catherine — comme si elle en était maîtresse — menace de quitter l'Europe et de s'en aller en Amérique avec Jérôme. Cette menace, dit-elle, a fait le plus grand effet. Il ne semble pas, mais son frère a eu tout de même pitié d'elle. Il ne croit pas que les réclamations fondées soit sur le contrat de mariage, soit sur le traité de Fontainebleau, puissent être accueillies ; il ne saurait admettre que, continuant à vivre avec son mari, Catherine réclame un sort particulier. Votre mari, lui dit-il, en prenant part à la bataille de Waterloo, a encourut toutes les suites de la déclaration de Vienne, et il sera toujours très difficile de persuader à ses ennemis de lui accorder une indemnité pour cela ; il est illusoire de séparer votre sort du sien, il ne doit, il ne peut l'être ! Il ne peut plus être question d'une indemnité de droit, mais bien d'une adresse faite à vos deux parents, les empereurs de Russie et d'Autriche. Les liens de parenté doivent décider cette question bien plus que la politique. Voilà la question sur son véritable terrain, mais qu'el échec pour l'orgueil de Catherine ! Il faut qu'elle sollicite comme une parente pauvre, qu'elle avoue sa détresse, qu'elle confesse sa ruine. Elle pourrait trouver une précieuse alliée en la reine de Wurtemberg, mais à peine l'a-t-elle vue qu'elle s'est convaincue des noirs desseins qu'elle a formés à son égard. La reine, à ce que je crois remarquer, écrit-elle, est jalouse de moi. Elle ne peut supporter qu'on puisse jouir comme elle de quelque réputation. Pour cela Catherine ne manque point de la contredire et de lui parler avec aigreur. Ce n'est point sa bienveillance qu'elle acquiert ainsi. Aussi bien est-elle incapable de suivre l'avis que lui a donné son frère. Elle écrit à l'empereur d'Autriche ; elle reconnaît que la fortune de son époux est presque entièrement détruite ; mais que va-t-elle demander ? — Que son sort soit assuré par un revenu fixe au moyen d'un traité simulé, ainsi que Votre Majesté l'a fait pour son auguste fille, l'Impératrice Marie-Louise et pour le prince Eugène. Ma position et mes droits sont les mêmes que les leurs et j'attends de votre générosité, de votre amour pour la justice que vous accueillerez favorablement ma prière. Le mot y est, mais qu'il a coûté et qu'elle a souffert en l'écrivant ! L'empereur ne manque point de relever le mot Droits et il demande quels sont ces droits ? — Le
traité de Fontainebleau, répond-elle. Voilà qui donne une facile sortie à
l'empereur François : Votre Altesse Royale n'ignore
pas que les derniers traités ont fixé d'une façon immuable les possessions
territoriales de tous les souverains ainsi que les charges qui y sont
affectée et qu'il n'est dans le pouvoir d'aucun de nous de porter quelques
changements à ces transactions. Il esquive donc et la requête et la
demande d'audience. Metternich ne peut qu'imiter un exemple venu de si haut. Il n'a rien été stipulé en faveur de Votre Altesse Royale,
écrit-il, ce qui rend infiniment difficile de lui
former4auiourd'hui un établissement. Elle parait croire qu'au moyen d'un
traité simulé, il serait possible de lui assurer un revenu fixe, mais jamais
les souverains alliés ne consentiront à adopter ce moyen et, en supposant
qu'il fût admissible, sur qui faire porter cette charge, aujourd'hui que les
Alliés ne sont plus en droit de l'imposer ni à la France ni à aucune autre
puissance ? A ce moment où la situation paraît désespérée une accalmie se produit. L'oncle Fesch rembourse 150.000 francs sur les 214.000 qu'il doit et la vente des diamants enfin accomplie à moitié de valeur, produit le complément de la somme nécessaire. Toutefois ce n'est là qu'un temps d'arrêt dans la chute ; mais le Congrès va s'assembler : J'espère, écrit-elle, mon cher frère, que vous ne perdez pas de vue notre pénible position. Je n'ai encore pu voir l'empereur d'Autriche, mais il m'a fait dire que je pouvais compter qu'il ferait ce qui dépendrait de lui pour m'être utile. Étant données ces deux rentrées, qui ne suffisent point à éteindre les dettes, mais qui permettent d'arroser les créanciers, Jérôme pense à demander l'autorisation d'acheter une terre en Wurtemberg et à s'y établir pour l'hiver. Catherine a découvert une propriété qui devait être extrêmement avantageuse, tellement qu'elle craignait la concurrence de la reine, laquelle, disait-on, voulait placer sa fortune en Wurtemberg ; mais l'affaire manqua, le roi se souciant peu d'hôtes aussi incommodes. D'ailleurs la bonace avait pris fin et la tempête soufflait de plus belle. Jérôme tente vainement un emprunt près d'Elisa et de Madame ; d'aucun côté il ne réussit. Reste l'empereur de Russie. Si fort que le mariage de Catherine avec Jérôme ait déplu à l'impératrice mère, Alexandre est trop juste pour en rendre responsable celle qui, assurément, fut sacrifiée à la politique paternelle. Il lui a montré sa bonne volonté en 1814 ; il le fera de nouveau en 1819, mais, pour l'instant, il se tient à des paroles : c'est qu'en effet Catherine s'est placée sur un mauvais terrain : exécution de son contrat de mariage ou de l'article du traité de Fontainebleau concernant Jérôme. Elle poursuit d'ailleurs, en même temps, un autre objet qui est de quitter Schönau, dont le climat, dit-elle, est mortel pour son fils et pour elle-même, et où il faut penser que Jérôme s'ennuie extrêmement ; mais elle demande Vienne ou 'Trieste. Pour Vienne, l'empereur oppose un refus absolu. Il allègue les conflits inévitables, la fausse position où elle se trouverait placée. Quant à Trieste, malgré les obstacles que les antécédents ont particulièrement mis au choix de cette ville maritime, il prendra sur lui d'accéder à ce vœu, mais il ne peut lui cacher que ces mêmes antécédents entraîneraient pour Trieste la condition de mesures de surveillance dont il ne serait pas en son pouvoir d'affranchir son établissement dans cette ville. Quelles que soient ces mesures, Catherine est si empressée d'obtenir la permission qu'elle sollicite que tout lui semble facile. A la vérité, pour le voyage et le déménagement, Jérôme n'a pas d'argent ; mais il emprunte 40.000 florins à la maison de banque Arnstein et Eskeles, de Vienne ; il obtient que sa mère et son frère Louis lui viennent en aide et il achète aussitôt pour le prix de 105.000 florins, en donnant 60.000 francs d'acompte une maison qu'a construite le comte Cassis, ancien grand trésorier du pacha d'Égypte, et, que vend une baronne Fechtig née Cassis. C'est la plus belle maison de Trieste ; le luxe oriental s'y mélo au confort européen et des jardins admirables l'entourent. Jérôme, écrit Catherine à Joseph, a fait l'acquisition d'une superbe maison. Elle a la vue sur tout le golfe et est entourée de berceaux de vigne comme dans les belles plaines qui entourent Naples. A la vérité, il y a, depuis 1817, une interdiction aux membres de la famille Bonaparte d'acquérir aucun immeuble à Trieste, mais Jérôme assure qu'il J'ignore ; il ne l'a su que dix-sept jours après l'achat. L'empereur voudra-t-il les obliger à rompre un contrat conclu de bonne foi ? On n'a rien voulu préjuger contre ses intentions, écrit Catherine, seulement s'assurer une maison plus commode que celle louée pour les couches. Elle est dans son sixième mois. A peine relevée, devra-t-elle exposer elle et ses enfants aux rigueurs de l'hiver à Schönau ! Elle demande donc à passer les hivers à Trieste et les étés seulement dans son château. Le gouvernement autrichien n'y eût point trouvé de grands inconvénients, mais le gouvernement français jugea à propos d'intervenir. Le ministre des Affaires étrangères, M. Pasquier, attira l'attention de l'ambassadeur sur la réunion à Trieste de tant d'individus suspects (Jérôme, Elisa et Fouché) et sur la nécessité de rappeler cet objet au prince de Metternich pour obtenir de lui que la police autrichienne ne relâche en rien sa surveillance à l'égard d'individus que les événements qui se passent aujourd'hui en Europe rendent plus que jamais le point de mire de tous les mécontents et notamment de ceux des États italiens et de la France. Sur quoi, Jérôme est invité à donner des gage ; il déclare, sur son honneur, Prendre l'engagement de ne pas quitter les États de l'empereur d'Autriche pendant trois années sans l'autorisation spéciale de Sa Majesté pourvu qu'il jouisse, ainsi que sa famille, dans la ville et le gouvernement de Trieste et dans les États allemands, de la liberté dont jouissent les autres propriétaires du pays lorsqu'ils se conforment aux lois connues. Cet engagement suffit à l'empereur ; mais il né suffit pas au marquis de Caraman, ambassadeur de France à Vienne. D'accord avec le président de là police toutes les mesures furent prises à Trieste pour éclairer sur les moindres démarches de ces individus. On changea tous les employés des bureaux de poste, et on les remplaça par des agents qui ne pouvaient avoir aucun rapport avec ceux que l'on voulait observer. Toutes leurs démarches furent épiées et l'on pensa introduire à Trieste un agent spécial de la police française. Quant au peu de renseignements donnés par la police autrichienne, M. de Caraman l'expliqua par les indiscrétions commises à Paris, où, soit des Affaires étrangères, soit de la police, on avait donné connaissance à des amis de Bonaparte des moyens d'observation qui étaient employés, et qui, dès lors, se trouvèrent déjoués : mais la chute du ministère libéral allait mettre fin à de telles communications. Le roi de Wurtemberg n'avait pas été sans apprendre que la prolongation du séjour de Jérôme à Trieste déplaisait au gouvernement autrichien autant qu'au français, aussi chargea-t-il M. de Winzingerode de l'avertir de l'inopportunité qu'il y trouvait. Catherine protesta : J'avais espéré, écrit-elle à son frère, pouvoir faire tranquillement mes couches, mais je me vois de nouveau inquiétée, ce qui doit naturellement compromettre ma tranquillité dont j'ai tant besoin et devenir préjudiciable à ma santé et à celle de mes enfants. Faut-il croire que ces inquiétudes hâtèrent sa délivrance ? En tous cas, trois jours après avoir écrit cette lettre, le 27 mai, à 7 heures, elle accoucha d'unie fille qui reçut, du roi de Wurtemberg et de Madame, les prénoms de Mathilde-Lætitia-Wilhelmine[4]. A peine laissa-t-on à la reine le temps de relever de couches : vainement Jérôme, pour conjurer l'orage, se rendit-il à Vienne et de là à Schönau où il forma le plan de vendre cette terre et celle de Wald et de se renfermer dans une propriété beaucoup plus petite, Saint-Christophe, qu'on lui offrait en Styrie. Il se berçait de l'idée que, moyennant une très forte commission (100.000 fr.), un intermédiaire, M. d'Odelga, lui ferait trouver 600.000 florins de Schönau. Revenu de Schönau à Trieste, il apprit que le gouverneur exigeait pour le laisser résider une nouvelle autorisation. Il s'empressa de la solliciter, se fondant sur la nécessité pour la princesse d'habiter Trieste, sur l'état maladif d'un enfant de quelques jours ; il demandait permission de rester jusqu'à l'été prochain et s'engagerait à quitter Trieste dans les vingt-quatre heures dans le cas qu'on le lui ordonnerait. L'empereur consentit à fermer les yeux tant qu'il n'y aurait point d'éclat et que le roi de France ne formerait pas de réclamations trop vives. L'un des grands agréments du séjour à Trieste devait être, pour Jérôme de se retrouver avec sa sœur Elisa. De plus on verrait du monde, et le duc d'Otrante n'était pas un causeur négligeable. On irait au théâtre où la troupe d'Opéra avait les plus grands succès dans tous les genres ; on aurait pour les plus jolies promenades une certaine liberté. Bref, tout serait au mieux. Mais les tracasseries ne tardèrent pas à surgir. Jérôme, avait attaché à sa maison Planat, l'ancien officier d'ordonnance de l'Empereur. Il en avait fait un moment son homme de confiance et lui avait confie ses projets de réforme et d'économie. En butte à la haine des subalternes, médiocrement soutenu par Jérôme, vivement attaqué par la reine, Planat s'était trouvé dans l'obligation de se plaindre au roi et il l'avait fait d'un ton qui n'était guère tolérable. Après cette scène du 21 novembre 1818, il avait demandé pour le 1er janvier un congé définitif qui lui avait été accordé. Puis, une paix plâtrée était intervenue et Planat avait accompagné la reine à Carlsbad où l'on avait retrouvé les Baciocchi. Planat, qui détestait la reine, s'était attaché à Elisa, laquelle l'avait pris si fort en gré qu'elle l'avait invité à quitter la maison de son frère, à se retirer quelque temps à Florence et à entrer ensuite chez elle, ce qui fut fait en novembre 1819. Lorsqu'au mois de janvier 1820, les Jérôme arrivèrent à Trieste, Planat n'était pas encore installé chez les Baciocchi ; mais il arriva ver, le milieu de mars et tout de suite la bataille s'engagea. Jérôme écrivit à sa sœur : La vue de M. le chevalier de Planat révolte tellement mon âme qu'elle est un véritable supplice auquel tu ne peux vouloir me condamner... Ne serait-il pas affreux, Eliza (sic), de voir deux familles si unies cesser leurs relations pour une pareille cause ? Et nos ennemis n'en triompheraient-ils pas avec raison ? Je ne te demande qu'une chose c'est qu'il ne se trouve pas dans le salon avec nous. Il y avait là une exigence qu'Elisa ne paraissait point disposée à tolérer, mais le départ pour Villa-Vicentina, que Planat était fort occupé à aménager, rendit les rapports plus faciles. Toutefois un froid subsistait : des lettres s'échangeaient qui attestaient des mécontentements réciproques. Permets-moi, chère amie, écrivait Jérôme, de me plaindre de toi à toi-même et de te demander pourquoi tu me condamnes toujours sans m'entendre ? Pourvoi ajouter foi à tout ce que l'on te dit contre moi ? Chère Eliza, tu continues donc à méconnaitre mon âme ?... J'ai assez de chagrin, Eliza, je souffre tant qu'en vérité je devrais espérer de ton ancienne amitié que tu ne les augmenterais pas en me montrant dans toutes les occasions que je ne suis plus ton Jérôme d'autrefois... Parti pour Schönau à la fin de mai, Jérôme revint à Trieste seulement juillet commencé. Il alla passer quelques heures près de sa sœur : lorsqu'elle tomba malade, il ne la quitta pour ainsi dire pas et parut très affligé de sa mort. Toutefois, la présence de Planat el d'une demoiselle qui menait Baciocchi à sa fantaisie l'empêcha de fréquenter chez son beau-frère et de s'occuper des enfants. Les alentours, écrit Catherine à Madame, ne nous permettent pas d'aller les voir. Elle ne manqua pas d'ailleurs d'exposer à Fesch, à Louis, à Caroline, à Joseph, les raisons de cette abstention. Au milieu de ce deuil qui frappait le cœur de Jérôme, les affaires n'en continuaient pas moins, achats de terres, entreprises de fabriques, construction de bateaux à vapeur ; à la vérité, il se déchargeait de chacune des parties d'administration sur un fonctionnaire qu'il nommait par décret, qu'il appointait et qui pour l'ordinaire le volait, à moins que par son incapacité, il ne lui coûtât encore davantage. Mais c'était un brouhaha continuel ; une entreprise croulant, on se rattrapait sur une autre, pire ; à chaque fois, on contractait, à taux usuraire, un nouvel emprunt qui, au jour de l'échéance, obligeait à doubler, tripler mise. Jamais on ne pratiqua mieux l'art de se ruiner sans agrément, moyennant des illusions et des rêves. Il y eut pourtant un moment — très court — où la chance parut tourner : La princesse de Montfort, au nom de laquelle le procès avait été engagé, en vertu d'une donation que Jérôme lui avait faite de ses droits sur les biens d'Italie échangés pour Stains et Villandry, avait, le 2 mai 1820, gagné sa cause contre les prête-noms d'Hainguerlot. Celui-ci était tenu de restituer Stains et Villandry et de payer des dommages-intérêts à fixer par état. M. Hainguerlot qui redoutait les conséquences sociales d'un tel jugement, alors qu'il commençait à entrer dans la société[5], n'hésita point à venir à Trieste pour essayer d'amener Jérôme à un arrangement. Arrivé le 6 octobre, il obtint par le baron de Gayl, qu'il connaissait de longue date, d'avoir le soir même une conférence avec le prince de Montfort. Celui-ci lui fixa le lendemain midi pour revoir les pièces et convenir du mode d'arrangement. Mais, à 11 heures, le baron de Gayl vint lui dire que le prince avait changé de résolution et qu'il ne voulait plus ni conférence ni arrangement. Hainguerlot essaya alors d'entremettre le duc d'Otrante, mais, après une conférence de deux heures, on dut renoncer à s'entendre, l'affaire du procès étant irrévocablement terminée pour le prince et la princesse par la vente faite à Paris, par Abbatucci, à un ennemi personnel de M. Hainguerlot, des droits et réclamations de la princesse, moyennant 240.000 francs comptant et 660.000 francs en effets de l'acheteur. Les ratifications étaient échangées et Jérôme s'était obligé de prêter à l'acheteur le nom de la princesse et le sien pour suivre le procès devant les tribunaux français. Hainguerlot, convaincu que cette vente était simulée, fit de nouvelles tentatives pour approcher Jérôme, jusqu'à offrir de se soumettre à un arbitrage, et à déposer 200.000 francs en valeurs de premier ordre pour garantir, de son côté, le jugement des arbitres. Jérôme refusa toute transaction et Hainguerlot repartit pour la France. Il faut croire que quelque arrangement suivit dont on n'a point les traces, car il resta propriétaire des châteaux de Stains et de Villandry et les transmit à sa postérité. Le gain du procès n'avait guère apporté de changement à la situation, car Jérôme et Catherine n'en avaient pas continué avec moins d'ardeur à suivre leurs réclamations. Catherine avait obtenu que les plénipotentiaires des quatre cours fissent de l'exécution du contrat de mariage, l'objet d'une note verbale remise le 2 février 1820 à M. le baron Pasquier, ministre des Affaires étrangères. Cette note très ferme était appuyée directement par l'empereur Alexandre. Un même esprit de justice et de bienveillance va donc, écrivait-il à Catherine, diriger les démarches que les quatre ministres résidant à Paris sont chargés de faire à l'effet d'obtenir le paiement du douaire assuré à Votre Altesse Royale par son contrat de mariage. Le ministre de Wurtemberg, le comte de Gallatin, s'empressa de joindre ses instances à celles de ses collègues, mais le baron Pasquier opposa aux uns et aux autres un silence peu encourageant. A force d'instances près de son illustre cousin, l'empereur Alexandre, Catherine obtint que le 30 septembre 1820, une nouvelle note fût présentée par les représentants de l'Autriche, de l'Angleterre, de la Prusse et de la Russie, pour réclamer de la part du roi de France une décision prompte et satisfaisante. M. Pasquier s'abstint pourtant, semble-t-il, de répondre à cet office dans la forme usitée, mais il le fit par des dépêches identiques adressées aux ambassadeurs accrédités par le roi près des plaire cours, avec, ordre d'en faire l'objet d'une communication verbale. MM. les Plénipotentiaires, disait-il, annoncent dans leur note que la réclamation de Mme la princesse de Wurtemberg repose sur l'article 9 de son contrat de mariage conclu et ratifié en septembre 1806 par Buonaparte et le feu roi de Wurtemberg, lequel a stipulé, qu'il serait assuré à la princesse, pour son douaire, une rente annuelle de 120.000 francs, avec une habitation convenable à son rang, laquelle rente serait hypothéquée sur les biens formant l'apanage de son époux, lorsque ces biens, ajoutent-ils, faisant partie du domaine extraordinaire sont maintenant restitués à la Couronne de France. — Certes, par l'énoncé même du prétendu droit qu'ils invoquent, MM. les plénipotentiaires auraient dû juger qu'il était sans valeur et que le gouvernement du roi se garderait bien de le reconnaitre. M. Pasquier dénie le caractère politique au traité du mariage, mais surtout il dénie que le roi de France soit lié par des traités qui n'intéressent pas la France comme puissance européenne. C'est d'un ton méprisant qu'il poursuit : Je regarde comme au-dessous de la dignité du gouvernement de Sa Majesté de relever la proposition par laquelle MM. les Plénipotentiaires établissent que le douaire de Mme la princesse de Wurtemberg repose sur le domaine extraordinaire restitué à la couronne de France et qu'en conséquence le roi doit en répondre. La conclusion d'un tel raisonnement serait que le roi de France a hérité de Jérôme Buonaparte... Pour réfuter une si audacieuse allégation, M. Pasquier se réfère uniquement à l'article IV de la loi du 12 janvier 1816 interdisant aux Buonaparte de posséder en France aucun bien accordé à titre gratuit. Je ne pousserai pas plus loin, dit-il enfin, l'examen de cette réclamation. Il m'a suffi d'en faire sentir l'inconvenance et de démontrer qu'elle n'a aucun fondement. Le gouvernement royal avait prononcé contre le roi de Wurtemberg une contre-attaque assez misérable en lui réclamant une somme de 450.000 francs prêtée le 6 février 1805, au temps qu'il était prince électoral, par l'Empereur Napoléon. Cet argent n'avait jamais été réclamé et le silence avait été gardé par l'Empereur sur cette affaire ; mais, du moment que le gouvernement de Louis XVIII réclamait, le ministre de Wurtemberg déclara que Sa Majesté reconnaissait sa signature et que, dès lors, elle ne pouvait balancer à l'honorer. L'épigramme portait en ce temps où, contre leurs créanciers de l'émigration, Louis XVIII et Monsieur soutenaient des procès scandaleux ; mais le ministre de Wurtemberg en tirait bien d'autres conséquences : c'était de Napoléon personnellement que le roi était le débiteur, car l'avance qui lui était réclamée n'avait point été payée par le trésor de l'État mais sur le trésor de la Couronne. Cependant, disait-il, c'est au nom du trésor royal de France substitué, d'après le mémoire, aux droits de l'ancienne liste civile qu'est formée cette réclamation, et il ajoutait : Loin de vouloir mettre cette succession en question, on se trouve néanmoins autorisé à en conclure qu'elle ne s'étend pas moins aux charges qu'aux droits de l'ancienne liste civile et que le trésor royal a hérité des uns comme des autres. Et il en tire en faveur de la réclamation présentée par la princesse de Montfort, des arguments irréfutables. Le roi, dit-il en terminant, ne saurait séparer ses intérêts de ceux de sa sœur. Sa Majesté ne saurait par conséquent admettre la réclamation formée contre elle en vertu d'un paiement effectué pour son compte par la liste civile de Napoléon que conditionnellement, c'est-à-dire en tant que le principe de succession sur lequel cette réclamation se fonde serait appliqué également à celle formée par Mme la princesse de Montfort. Ce principe admis, le roi se prêtera à ce que la somme de 450.000 francs touchée de l'ancienne liste civile entre en compensation et soit assignée à Mme la princesse de Montfort comme un acompte sur les arrérages qu'elle réclame. Cela coupa court à la réclamation du gouvernement royal ;
mais le silence qU'il avait résolu de garder à l'égard de Catherine n'en fut
que plus profond. Au début de 1821, elle renouvela ses instances près de
l'empereur Alexandre et de l'empereur François. Celui-ci se libéra en donnant
à Jérôme l'autorisation ardemment souhaitée de faire
jouer la terre de Schönau en loterie. L'organisation de cette loterie
devait être confiée à la maison Mülhens de Francfort et ce fut l'objet de
nouvelles spéculations dont on paraissait attendre la fortune. Mais ces
loteries-là ne semblent avoir réussi qu'au théâtre. Jérôme ne trouva que peu
d'amateurs et il en fut pour les frais de lancement. Quant à l'empereur
Alexandre, malgré les bonnes dispositions qu'il avait montrées jusque-là pour
sa cousine, il n'avait pu manquer d'être
offensé par les reproches qu'elle lui avait adressés, au moins mal à
propos, et il avait relevé avec quelque vivacité l'assertion
qui, disait-il, attribue gratuitement à ma
politique la chute et les infortunes de la famille à laquelle des liens
intimes vous ont unie. Il entrait en explications pour lui prouver
que, loin d'avoir été l'agresseur, il avait vu,
malgré ses dispositions sincères, commencer les hostilités et violer
inopinément des rapports paisibles, au mépris de la présence de l'ambassadeur
de France à Saint-Pétersbourg chargé de les cultiver et de les garantir. Je
n'ai donc fait que combattre pour ma défense et le sort de la guerre a fait
le reste. Quelle que fût la valeur historique de cette explication, il était assurément mal à propos de la provoquer, lorsque Catherine était réduite à solliciter la générosité d'Alexandre, lorsqu'elle demandait avec instance la permission d'aller lui parler à Laybach, et que dans la situation horrible où elle se trouvait, elle expédiait de tous côtés des émissaires pour essayer de trouver de l'argent. Le terme du 1er mai 1821 où Jérôme devait payer 81.000 florins aux comtes Cassis pour la maison de Trieste approchait ; le roi de Wurtemberg refusait sa garantie à un emprunt que Jérôme avait tenté ; rien à attendre de Rome, ni de Paris ; que faire ? Le ciel s'ouvrit. Alexandre fit savoir à Catherine qu'il la recevrait à Laybach où il se trouvait pour le Congrès. Elle partit donc de Trieste avec une suite médiocre : une dame et un monsieur. Elle fut reçue le 2 mai : Je touche peut-être, écrit-elle aussitôt à son frère, au moment de voir fixé mon sort et celui de mes enfants par l'intérêt généreux de l'empereur de Russie. Alexandre avait pensé prendre avec l'empereur François des arrangements sur une libéralité commune, et il avait tenté de faire adopter ce projet. Dans la crainte maintenant de le voir échouer, lui écrivait Catherine le 10 mai, il ne me reste de l'espoir que dans les bontés paternelles dont vous avez bien voulu me donner tant de témoignages. Ce sont elles, Sire, qui m'encouragent dans ce moment décisif de supplier Votre Majesté, si l'Autriche refuse à se prêter à tout arrangement à mon égard, de vouloir cependant encore venir à mon secours et m'accorder une pension qui me mette au moins à l'abri du besoin. Ce qu'elle obtint, elle va le dire elle-même, ne la satisfit pourtant d'aucune façon. Revenue hier de Laybach, écrit-elle à son frère le 14 mai, je ne tarde pas à vous informer du résultat de mon voyage. Il est tel que je suis loin de voir mon sort assuré et, malgré la généreuse sollicitude de l'empereur Alexandre et la bienveillance de l'empereur d'Autriche, tout ce qui a pu m'être accordé a été le paiement de mes dettes et une pension de l'empereur de Russie de 25.000 roubles en papier... La modicité de cette pension me met à peu près vis-à-vis de rien si vous, mon cher frère, ne venez pas à mon secours. Cette espérance même du paiement intégral de ses dettes ne sembla point se réaliser : la récapitulation en était si difficile qu'on n'arrivait point à établir un bilan dont le montant pouvait justement effrayer ; l'Autriche parut se dérober et le 16 juillet 1821[6] Catherine en informa l'empereur Alexandre en le priant d'intervenir à nouveau. A la fin de l'année, elle obtint d'ailleurs de son frère une pension de 50.000 florins ; à la vérité elle eût préféré un capital. Je vous prie, Monsieur le Comte, écrit-elle à l'ambassadeur de Russie à Vienne, de bien vouloir fixer les regards de Sa Majesté sur ma position : malgré ses généreuses bontés, je ne puis assurer le sort de mes enfants avec des rentes viagères et leur avenir dépend en conséquence uniquement du succès de mes réclamations en France. Elle n'hésita pas à s'adresser directement à Louis XVIII et, en faisant passer au vicomte de Chateaubriand, ministre des Affaires étrangères, la note de ses réclamations, elle lui écrivit : La justice et la loyauté de Sa Majesté Très Chrétienne sont trop connues, elles m'inspirent trop de confiance pour ne pas éloigner toute espèce de doute sur le sort de ma démarche. Telle était la situation à laquelle la prodigalité, l'instabilité, le goût de la magnificence avaient réduit Jérôme. On ne saurait l'en rendre seul responsable. Le roi de Wurtemberg disait : Mon beau-frère est un très bon enfant que j'aime de tout mon cœur ; je n'ai qu'un reproche à lui faire, c'est d'être trop complaisant pour sa femme qui lui fait faire des dépenses au-dessus de leurs moyens. Et il semble bien que ce fût là l'expression même de la vérité et que Catherine née princesse royale et pénétrée de la grandeur de sa race ne pût supporter une vie telle que Madame la conseillait à son fils. Diminuez votre maison, détruisez-la même en renvoyant tout le monde ; ce ne sera que plus honorable pour vous de lutter et de vaincre l'infortune. Je suis convaincue que Catherine a assez de grandeur d'âme pour s'accommoder du strict nécessaire. Vous auriez dû embrasser ce système avant ce moment et, pour le strict nécessaire, il faut très peu de chose. Sans doute, mais le strict nécessaire pour Catherine c'était justement une Cour. |
[1] Quand tu étais Félix nous étions Pascalés (tourmentés),
A présent que tu es redevenu Pascal nous serons Félix (heureux).
[2] Napoléon-Elisa, née au château de Marlia le 3 juin 1806, morte au château de Korn or-Honet (Morbihan) le 3 février 1869, mariée à Florence en 1823 au comte Philippe Camerata Passionei de Mazzoleni, séparée en septembre 1832. Elle n'eut de ce mariage qu'un fils Napoléon-Charles-Félix-Antoine-Baptiste comte Camerata, né le 20 septembre 1876, mort à Paris par suicide le 4 mars 1853. On sait que la comtesse Camerata, appelé sous le second Empire La Princesse Baciocchi et admise dans la Famille civile de l'Empereur, marqua dans l'histoire napoléonienne par son intervention près du duc de Reichstadt. J'ai apporté sur cet épisode des documents inédits que j'ai publiés d'abord dans la Revue de Paris, puis dans le volume intitulé Jadis et aujourd'hui, deuxième série, page 26 et suivantes.
[3] Frédéric-Napoléon, né à Codroipo près d'Udine le 10 août 1814, mort à Rome des suites d'une chute de cheval le 7 avril 1833.
[4] Celle qui fut la princesse Mathilde dont la beauté, la grâce, la générosité, ont laissé une trace inoubliable dans la mémoire de tous ceux qui eurent l'honneur de l'approcher et le bonheur de la connaître.
[5] Son fils, qui épousa Mlle Oudinot de Reggio, fille du maréchal d'Empire, fut créé baron sur promesse d'institution de majorat le 4 janvier 1829 et entra ainsi dans une des familles les plus nombreuses, les mieux apparentées et les mieux en cour.
[6] Le jour où l'on apprit la mort de l'Empereur.