II. — LOUIS EN HOLLANDE. (6 avril — 2 juillet 1810.)L'attitude que Louis adopte dès son retour Amsterdam est significative. Il fait annoncer dans la même gazette son arrivée et la destitution du bourgmestre mestre d'Amsterdam, M. Walters Van den Poli, le seul qui, dans la Junte, se soit opposé aux mesures de résistance armée contre les troupes françaises ; il ne fait point appeler l'ambassadeur de France, ne lui notifie même pas qu'il est revenu dans ses Etats et en a repris le gouvernement ; il réprimande âprement le Grand chambellan qui a pris sur lui de faire chanter un Te-Deum, dans la chapelle royale, le jour du mariage de l'Empereur ; il se prépare à renvoyer, sous des prétextes, les rares Français qui se trouvent encore dans son secrétariat et dans les emplois inférieurs de sa maison ; il dresse des listes de ceux qui sont dans l'armée et qu'il tient pour suspects, mais, de tout cela, sauf la destitution de Van den Poil, qu'il date du 3 avril et de Paris et qu'il couvre du prétexte de démission, rien d'officiel. En public, il se surveille encore et s'efforce de montrer qu'il suit la ligne de l'Empereur. Ainsi, le dimanche 16, recevant les félicitations du Corps législatif et du Conseil d'Etat, il dit qu'il compte sur la coopération des premiers corps de l'Etat pour l'exécution du traité, qu'il espère tout de l'appui de l'Empereur et de la France et il annonce que, pour resserrer s'il est possible les liens qui l'attachent au pays, il va réunir sa famille entière en Hollande. Mais quel accueil il ménage à Hortense ! Celle-ci, qui est venue encore passer deux jours à Compiègne et y recevoir quelque encouragement de l'Empereur, en est partie le 11 avril, avant son fils aîné clans sa voiture — car elle laisse à Paris le plus jeune. Le 13, elle a traversé Anvers où elle ne s'est arrêtée que pour relayer, et le 14, elle est arrivée à Utrecht. A la frontière elle a trouvé le Grand veneur de la Couronne envoyé pour la complimenter. — Et c'est le baron van Heeckeren tot de Cloese, dans la maison duquel, en mai 1807, après la mort de Napoléon Charles, elle vint chercher un refuge[1]. Telle est la première figure hollandaise que le roi lui montre après trois années d'absence, comme pour lui rappeler du même coup toutes les infortunes anciennes ! A Utrecht, les dames et les officiers hollandais se sont rendus pour prendre leur service, mais le roi n'y vient que le 16, après l'audience. Selon son usage, il y passe la Semaine sainte et il est singulièrement assidu aux offices, où il fait ses dévotions. D'ailleurs, il vit entièrement séparé de la reine. Le 24, pour la rentrée à Amsterdam, la reine, avec son fils, arrive à trois heures, le roi à six. Toutefois, une sorte d'effusion de joie populaire s'étant manifestée autour du palais, la famille royale se montre tout entière sur le balcon. Le surlendemain, le roi autorise même les grands corps de l'Etat à offrir à la reine leurs hommages et leurs félicitations. Cela fait des articles dans les gazettes, et l'Empereur, qui veut croire que tout est bien parce qu'ainsi les choses l'arrangent, qui ne reçoit pas de plaintes d'Hortense, trop fière pour en adresser, se croit en droit de lui écrire le 26 : On m'assure que vous êtes contente du roi et de la Hollande, cela me fait grand plaisir. Or, Louis a pris des mesures radicales pour signifier à tous sa séparation définitive : il ne s'est point contenté de fermer toutes les portes qui donnent de son appartement dans celui de la reine, il les a fait murer. Il la voit seulement au déjeuner où assiste le prince royal, jamais au dîner, ni le soir. Le soir, la reine pourrait recevoir chez elle, mais comme, en y allant, on déplaît au roi, on s'abstient. De fait, elle est en quarantaine. Mais, pour Louis, c'est trop encore d'habiter sous le même toit. Aussi, autour d'Amsterdam, se déplace-t-il constamment. On voit, sur toutes les routes, son carrosse jaune à six chevaux, qu'escortent des houzards de la garde et qu'accompagnent des nuées d'aides de camp. D'autres voitures, à la suite, portent des ministres, des préfets du palais, des écuyers, des secrétaires, des pages, surtout des médecins. Le roi, en habit bleu foncé brodé d'or l'habit uniforme des chevaliers de l'Union — s'arrête à une maison où d'avance son appartement a été préparé par ses gens, toujours de même : dans une pièce, son bureau, devant qui l'on a disposé son fauteuil et où l'on a étalé ses portefeuilles fermés ; dans une autre, la table à manger, que pare un surtout d'argent, avec quatre gobelets de cristal garnis de fleurs, servante par derrière pour l'argenterie et le service à dessert en vermeil, ailleurs une table en marqueterie portant des petits vases à fleurs ; puis, la chambre à coucher avec le lit d'acajou à rideaux de percale à franges noir et orange, à courtepointe en mousseline piquée, et, aux fenêtres, des rideaux semblables à ceux du lit ; sur une table couverte de nappage, un bassin d'argent avec des chandeliers d'argent sans branches. Il arrive, se met au travail, dîne, couche, repart, toujours précédé de cet attirail, rôdant autour d'Amsterdam, sans s'écarter, un jour ici, un autre là constamment nomade. Il revient pourtant pour recevoir, méditer et annoter les rapports qu'on lui fait sur Hortense, pour redoubler sa surveillance inquiète, pour donner des audiences à ceux qui entrent le mieux dans ses idées, c'est-à-dire qui sont le plus partisans de l'indépendance, pour écouter leurs récits des exactions françaises, pour combiner avec eux des moyens d'échapper à l'exécution du traité. Dès le 18 avril, il soulève des difficultés : il écrit à l'Empereur pour protester contre l'arrivée prochaine des Français à Leyde et à la Haye, contre leur marche sur Utrecht, qui doit être occupé dès qu'il l'aura quitté. Courrier par courrier, l'Empereur répond qu'il ne veut que la stricte exécution du traité, que l'Etat-major doit se rendre d'abord à Utrecht pour se porter ailleurs. Quand un traité existe, dit-il, ce sont les termes de ce traité qui servent seuls de loi et mon intervention n'est plus nécessaire en rien. Toutefois, ajoute-t-il, ne doutez jamais de la volonté où je suis de saisir toutes les occasions de vous être agréable. Simple formule où Louis fera bien de ne pas se laisser prendre, puisque toutes les clauses du traité sont maintenues et que les détails sont renvoyés à Clarke dont il connaît la malveillance. Il n'obtient même pas que l'on ne mette pas de troupes à Utrecht, où il ne peut supporter d'en voir. Mais quoi ! n'est-ce pas le traité, et, en le signant, Louis ne savait-il pas ce qu'il faisait ? Comment les Français occuperaient-ils les côtes s'ils n'occupaient l'intérieur même d'un pays que la mer découpe comme à l'emporte-pièce ? Ne doivent-ils pas tenir les embouchures de toutes les rivières et qu'est la Hollande, sinon l'alluvion de ces embouchures même ? Hypnotisé par sa couronne qu'il voulait garder, il n'a point vu cela, ni que, malgré des impôts écrasants, la dette inscrite pour 80 millions n'a pas été payée depuis 1808 ; ni que le budget des dépenses monte à 155 millions pour 110 millions de recettes, et il s'est engagé à des armements extraordinaires, à des constructions de vaisseaux, à des organisations de flottille, et il a promis la solde, l'entretien, la nourriture de 18.000 hommes, alors qu'il supprimait toute recette pour son trésor, tout commerce pour son royaume, diminué de ses cieux meilleures provinces. Il s'affole à ce qu'il réalise à présent, à ce qui lui apparaît certain, formel, inévitable, et dans les derniers jours d'avril, il se décide à convoquer une grande Commission composée des ministres anciens et actuels, de quelques conseillers d'Etat et députés. Il veut leur demander le parti le meilleur ou du moins celui que la nation croit être tel. Il leur expose que le traité est désastreux, que peut-être vaut-il mieux tout perdre que sacrifier ainsi une partie de soi-même. Il se pourrait, dit-il, que, persuadé de ce que j'ai répété tant de fois depuis le commencement de mon règne, c'est-à-dire que la Hollande était l'objet des désirs et de la politique de la France, elle veut nous réduire aux abois, à la dernière extrémité, nous forcer à des dépenses exorbitantes et, une fois que la dette publique se sera écroulée, procéder à la réunion qui alors n'offrirait plus pour la France aucun inconvénient. Il y a donc à prendre un parti décisif et c'est pourquoi il pose à la Commission ces trois questions auxquelles elle devra répondre, abstraction faite de sa personne et de sa famille : 1° L'état où nous allons nous
trouver après le traité est-il supportable ? Bien entendu nous n'exécuterons
que ce qu'il sera possible d'exécuter : 2° S'il est presque impossible à exécuter, humiliant pour la nation comme pour moi ; s'il sera une tache ineffable pour ma réputation ; si je me suis trompé en croyant qu'il m'était permis de sacrifier à l'État jusqu'à ma réputation ; si l'opinion publique est contre cette factieuse existence ; s'il est un autre moyen moins pénible pour la génération actuelle, quel est-il ? il faut l'indiquer franchement. 3° Si, au contraire, la nation pense qu'on peut exister, que faut-il faire ? Je suis obligé par devoir comme par inclination, dans une circonstance aussi importante, d'agir le plus conformément possible aux vœux de la nation. Dans ce cas, il faut m'indiquer les moyens de faire marcher les affaires et, pour moi, le moyen de rester sur le trône sans manquer à la parole solennellement donnée à la nation, d'y rester, dis-je, sans me voir d'une inutilité parfaite pour le bien général et sans avoir à supporter la plus affreuse des peines, celle d'être spectateur des malheurs contre lesquels je ne pourrais rien ? Il pose ces questions et quitte la salle ; la Commission délibère et décide que le moment, quelque critique, qu'il soit, présente encore quelques bonnes chances que l'abdication du roi pourrait faire manquer. On invite Louis à l'entrer et le président lui fait part de cette opinion unanime. Il n'abdiquera donc pas ; mais alors ne doit-il pas faire l'impossible pour regagner la confiance de son frère ? Ne doit-il pas conformer strictement sa conduite à ses promesses de Paris, entrer résolument dans le système français, essayer cette méthode de vivre puisque c'est la seule qui lui permette d'exister ? tout le moins ne doit-il pas s'abstenir de toute hostilité, de toute récrimination ; de toute taquinerie, supprimer les petites fourberies, les médiocres mensonges, les résistances ridicules qui, prouvant sa mauvaise volonté, irritent l'Empereur sans profit pour la Hollande ni pour lui-même ? Oui, mais si la Commission à émis son vote, Louis a gardé son tempérament et son caractère et, quelque désir qu'il puisse avoir de se conformer au premier, les seconds l'emportent. Si, le 5 mai, sur l'invitation que l'Empereur lui a adressée le 26 avril, il se rend à Anvers, il y porte un front morose et l'air contraint d'un vaincu. Après la conférence qu'il a avec son frère, il ne peut garder aucune illusion sur cette négociation anglaise où il a placé ses dernières espérances. Sans doute, l'Empereur a autorisé la mission Labouchère, mais sur celle-ci, Fouché a greffé une mission Ouvrard ; il a donné à Ouvrard ses instructions personnelles ; il a ouvert une correspondance avec Labouchère auquel il a fourni des réponses toutes différentes des intentions de l'Empereur. Il a voulu faire la paix, du moins s'entremettre de façon que, si elle se faisait, on crût que c'était par lui. Est-ce tout ? Y a-t-il par-dessous, quelque chose d'analogue à ce qu'on a pu soupçonner en 1809, un essai d'entente — au moins de pourparler — avec les Anglais contre l'Empereur ? Ou bien n'est-ce qu'une grande machination d'agiotage, une spéculation du genre épique, puisqu'on trouve, à côté d'Ouvrard et de Labouchère, Hainguerlot ? En tous cas, dans ce que Louis raconte de la négociation Labouchère, l'Empereur trouve certaines obscurités qu'il prétend éclaircir. Il veut le détail de toutes les communications, le texte de toutes les lettres reçues et expédiées par Labouchère et Louis promet d'envoyer ces pièces dès son retour à Amsterdam. Dans ces papiers. Napoléon découvrira la mission que Fouché a confiée à Ouvrant ; de celle-ci, il remontera à une autre mission dont Fouché a chargé jadis un nommé Fagan. L'affaire du baron de Kolli, qu'on lui a présentée sous un autre jour, s'y mêlera encore et s'y entrecroisera. D'autres encore. C'est un tissu d'intrigues dont Fouché tient seul tous les fils. Au retour d'Anvers, Napoléon sortira de là la destitution du ministre de la Police. Louis a abordé d'autres sujets qui lui tiennent au cœur et, comme il fait toujours, avec une maladresse par laquelle il gâte toutes ses causes. Il a une bête noire : La Rochefoucauld, cet ambassadeur dont il a lui-même sollicité la venue. Pour la dixième fois, il cherche à se débarrasser de ce surveillant incommode, dont l'hostilité n'est point douteuse, mais auquel il donne tant de prises. Dès son retour, il l'a quasiment mis en quarantaine et il a engagé avec lui une lutte par tous les moyens, il prétend triompher. Battu sur le terrain de la politique, il croit qu'un autre lui sera plus favorable et formellement il accuse La Rochefoucauld d'agioter et de spéculer. L'Empereur enregistre l'accusation et se dispose à l'éclaircir en appelant à Anvers La Rochefoucauld, auquel, la veille, peut-être pour ménager une sorte de satisfaction à son frère, il a fait expédier un congé et qu'il ne pensait pas renvoyer à Amsterdam. Qu'arrive-t-il ? Que La Rochefoucauld, qui se justifie, qui reçoit de l'Empereur des preuves éclatantes de faveur, au point de l'accompagner sur le yacht impérial durant le voyage de Zélande, retourne à Amsterdam déterminé à venger sa propre querelle au moins autant que celle de l'Empereur. Et à celui-ci les griefs ne vont pas manquer : lettres de félicitations, de remercîments, de gratitude adressées à Mollerus et à Krayenhoff les deux ministres dont l'Empereur a exigé le renvoi après que Louis a rejeté sur eux les préparatifs de défense d'Amsterdam ; destitution du général Vichery, français de naissance ; du poste de gouverneur d'Amsterdam, et cette destitution suivant de si près et pour les mêmes motifs, celle du bourgmestre Van den Poll ? titres comtaux octroyés aux ci-devant maréchaux et au ministre Twent, qu'on sait le plus ennemi de la France, et ces grades annoncés aux intéressés par des lettres où le roi leur donne du cousin comme à des ducs ; or, l'Empereur a formellement défendu à Louis comme à Jérôme de faire des ducs ; décret fixant au 16 niai, un jour de jeûne et de prières publiques avec fermeture de tous les spectacles et les divertissements publics durant la semaine ; constatation par un officier d'ordonnance de l'Empereur que rien n'est préparé ni même ordonné en ce qui concerne la mise en rade des neuf vaisseaux stipulés par le traité ; refus de livrer les vingt et un bâtiments prétendus américains qui sont retenus au Texel ; continuation du commerce interlope ; cessation du paiement de la dette zélandaise ; dédains marqués en public au chargé d'affaires de France ; enfin, le 13 mai, insulte à la livrée impériale en la personne du cocher de l'ambassadeur. Ce jour-là qui est un dimanche, le cocher de M. de La Rochefoucauld, sortant de la messe en grande livrée et traversant la place du Palais, est assailli, d'abord de paroles et d'injures, puis de bourrades et de coups par des jeunes gens de la plus basse classe du peuple. Il demande protection à la sentinelle devant le Palais, qui allègue qu'elle ne peut quitter sa faction et qui lui indique le corps de garde on il se réfugie. De là il est reconduit à l'hôtel de l'ambassadeur par mi sous-officier, mais le poste n'a pas pris les armes, il n'est point sorti ; il n'a point réprimé l'émeute et nulle arrestation n'a été opérée. A cette échauffourée, La Rochefoucauld, rentré le 11 à Amsterdam, ne parait pas d'abord attacher d'importance. Le roi l'a fait assurer par son ministre des Affaires étrangères de l'indignation qu'il éprouvée en apprenant l'insulte faite à la livrée de l'Empereur ; il a annoncé des ordres sévères pour rechercher les coupables et La Rochefoucauld écrit : Je ne donnerai plus de suite à cette affaire qui bien certainement en restera là. Il se trouve assez armé par ailleurs pour n'avoir pas besoin de cette querelle et le 15, en effet, dans l'audience qu'il a du roi pour lui remettre la notification officielle du mariage, il étale d'abord les griefs de l'Empereur, puis les siens propres. Ce que j'ai dit à l'Empereur, répond Louis, n'était que pour lui seul. — Sire, réplique La Rochefoucauld, quand on a des vérités à exprimer, on ne doit pas craindre de le faire hautement ; mon langage en est la preuve. Le lendemain, 16, Louis, qui prévoit que les explications données à La Rochefoucauld au sujet de l'armement de la flotte et de la livraison des bâtiments américains ne satisferont pas l'Empereur, écrit directement à celui-ci : Il fait tout pour le contenter ; les neuf vaisseaux seront prêts sans faute au mois de juillet, du moins l'espère-t-il ; mais on donne au traité un sens abusif ; on veut placer des douaniers dans tout l'intérieur du royaume ; quand il a signé le traité, il ne croyait pas qu'on en exigerait l'exécution ; il prétend attendrir son frère ; il implore sa protection, il évoque les souvenirs d'enfance : vous avez laissé à la Hollande son existence à cause de moi, lui dit-il ; vous avez attaché mon sort au sien, consolidez cette existence ! Ce n'est pas assez d'une lettre ; il en écrit une deuxième le même jour : Le traité n'est plus suivi, les troupes françaises pénètrent partout. Dans cette position malheureuse, il vient demander à l'Empereur sa dernière volonté : quelle qu'elle soit il s'y conformera, mais ce qu'il désire avant tout, c'est la fin de la défaveur où il est tombé et ce ne peut être qu'en connaissant précisément cette volonté qu'il se mettra à même de reconquérir des bonnes grâces auxquelles son cœur attache un tel prix. Une telle contradiction entre ses paroles et ses actes serait pour faire douter de ceux-ci, s'ils ne se trouvaient attestés que par les dépêches des agents français ; mais, au même moment, la plupart reçoivent leur pleine exécution ; les décisions sont imprimées en fascicules analogues au Bulletin des Lois et publiées dans le Koninglijke-Courant sans aucune espèce de mystère ; les agents diplomatiques, les officiers, les douaniers se trouvent pleinement d'accord en ce qu'ils rapportent et, dans les conseils même et le cabinet de Louis, l'Empereur s'est ménagé des intelligences. Il ne prend donc aucunement le change sur ses protestations. Vous savez, lui répond-il le 20 mai, que j'ai souvent lu de vos pièces qui n'étaient pas faites pour être mises sous mes veux. Je connais vos plus secrètes dispositions et tout ce que vous me direz en contradiction ne sert de rien. Il dresse donc l'acte d'accusation. C'est Louis et Louis seul qui peut quelque chose pour changer la situation fâcheuse de la Hollande. S'il persuadait aux Hollandais qu'il agit par l'inspiration de l'Empereur, que toutes ses démarches, tous ses sentiments sont concertés avec lui, alors il serait aimé et estimé ; il acquerrait la consistance nécessaire pour reconstituer la Hollande ; cette illusion seule le soutient encore un peu. Son voyage à Paris, son retour, celui de la reine et de son fils, font penser à ses peuples qu'il est revenu dans le système et dans l'esprit de l'Empereur. Les Hollandais savent compter. Si le roi se montre l'ami de la France et de l'Empereur, la Hollande s'en apercevra, elle respirera, elle se trouvera dans une position naturelle. A présent, ballottée qu'elle est entre la France et l'Angleterre, la Hollande ne sachant à quel espoir se livrer, quels souhaits former, n'a plus qu'une issue : elle se jettera dans les bras de la France et demandera à grands cris la réunion. Tout le monde sait que, hors de l'Empereur, il n'y a point de crédit, que hors de l'Empereur, le roi n'est rien, et c'est contre l'Empereur que le roi marche et s'insurge. Voulez-vous être dans la bonne
voie de la politique, lui dit Napoléon, aimez
la France, aimez ma gloire, c'est l'unique façon de servir le roi de
Hollande. Sous un roi, les Hollandais ont perdu les avantages d'un
gouvernement libre ; vous étiez donc pour eux un port, mais ce port vous
l'avez gâté de gaîté de cœur, vous l'avez parsemé de récifs. Savez-vous
pourquoi vous étiez le port de la Hollande ? C'est que vous étiez le pacte
d'une union éternelle avec la France, le lien d'une communauté d'intérêts
avec moi ; et la Hollande, devenue par vous partie de mon empire. m'était
aussi chère que mes provinces puisque je lui avais donné un prince qui était
presque mon fils. Si vous eussiez été ce que vous deviez être, je prendrais
autant d'intérêt à la Hollande qu'à la France ; sa prospérité me serait aussi
à cœur que celle de la France ; et certes, en vous mettant sur le trône de
Hollande, j'avais cru y placer un citoyen français, aussi dévoué aux intérêts
de la France et aussi jaloux que moi de ce qui intéresse la mère patrie. Si
vous aviez suivi ce plan de conduite, vous seriez aujourd'hui roi de six
millions de sujets, j'aurais considéré le trône de Hollande comme un
piédestal sur lequel j'aurais étendu Hambourg, Osnabrück et une partie du
Nord de l'Allemagne, puisque c'eût été un noyau de peuple qui eût dépaysé
davantage l'esprit allemand, ce qui est le premier but de ma politique. Bien
loin de là vous avez suivi une route diamétralement opposée ; je me suis vu
forcé de vous interdire la France et de m'emparer d'une partie de votre pays. Vous ne dites pas un mot dans vos
conseils, vous ne faites pas une confidence que tout ne soit connu, ne tourne
contre vous et ne vous annule ; car, dans l'esprit des Hollandais, vous
n'êtes pour eux qu'un Français. au milieu d'eux depuis quatre ans seulement ;
ils ne voient en vous que moi et l'avantage de se trouver à l'abri des
voleurs et des agitateurs subalternes qui l'ont fatiguée depuis la conquête.
Lorsque vous vous montrerez mauvais Français, vous êtes moins pour eux qu'un
prince d'Orange au sang duquel ils doivent le rang de nation et une longue
suite de prospérités et de gloire. Il est prouvé à la Hollande que votre
éloignement de la France leur a fait perdre ce qu'ils n'auraient pas perdu
sous Schimmelpenninck ou sous un prince d'Orange. Soyez d'abord Français et
frère de l'Empereur et soyez sûr que vous serez dans le chemin des vrais
intérêts de la Hollande. Mais pourquoi tout ceci ? Le sort en est jeté, vous êtes
incorrigible. Déjà vous voulez chasser le peu de Français qui vous restent ;
ce n'est ni des conseils, ni des avis, ni de l'affection qu'il faut vous
montrer. Qu'est-ce que ces prières et ces jeûnes que vous avez ordonnés ?
Louis, vous ne voulez pas régner longtemps ; toutes vos actions décèlent
mieux que vos lettres intimes les affections de votre âme. Ecoutez un homme
qui en sait plus que vous. Revenez de votre fausse route. Soyez bien Français
de cœur, ou votre peuple vous chassera et vous sortirez de la Hollande
l'objet de la risée et de la pitié des Hollandais. C'est avec la raison qu'on
gouverne les Etats, non avec une lymphe âcre et viciée. Cette lettre, qu'il eût fallu donner tout entière, est-elle, comme l'a écrit un historien de la Hollande, un tissu de paradoxes, ou bien, au milieu des incidences, des redites, des reproches, des sarcasmes, même des injures, ne renferme-t-elle pas' l'exposé le plus complet et le plus sincère du programme que s'est proposé Napoléon en érigeant les trônes de ses frères ? Il n'a eu qu'un souci et ne s'est donné qu'un but, la grandeur de la France qu'il juge inséparable de sa propre grandeur. Il les confond l'une avec l'autre et, si l'on veut, lorsqu'il parle de la France, c'est de lui-même qu'il parle : les deux mots sont synonymes. La France est le véhicule dont il se sert et qu'il conduit ; donc, c'est à la France qu'il ramène les desseins qu'il conçoit et qu'il exécute. C'est au point de vue de la France qu'il s'est placé, en 1806, en laissant subsister une Hollande ; mais cette Hollande ne vaut que pour ce qu'elle l'apporte à la France. Placée hors de l'action de la France et cessant de lui profiter, elle lui devient ennemie. Si, soumise à une domination indirecte — telle qu'est la monarchie de Louis par rapport au Grand Empire — elle échappe à l'Empire, il convient de lui appliquer la formule stricte des lois, des institutions, des règlements de l'Empire, afin que, de gré ou de force, elle lui rende ce qu'elle doit lui rendre. Ce n'est point ici sans doute la théorie des nationalités ; ce n'est rien des conceptions sur qui des juristes essaieront, un siècle plus tard, de constituer un droit moderne des nations ; c'est la théorie romaine, qui est celle de l'Empereur, qui est encore à présent celle des nations puissantes, soucieuses de vivre, de progresser et de s'enrichir, et que touchent médiocrement les arguments humanitaires et philosophiques. L'intérêt de Rome, la grandeur, la gloire de Rome, loi urique et souveraine, n'admettait non plus aucune transaction et l'on eût été aussi mal venu de parler à un consul romain qu'à Napoléon empereur, de l'indépendance des peuples et du droit des nationalités. Que certains Hollandais pensent alors qu'il serait préférable pour eux et même pour leur nation de subir l'annexion au Grand Empire, plutôt que de végéter ainsi entre la France et l'Angleterre, l'Empereur en a la preuve. Il exagère lorsqu'il dit que ce sera avec enthousiasme, mais peu lui importe que le mouvement soit spontané : il est, et cela lui suffit. Napoléon part naturellement de cette idée que l'Empire qu'il a fondé n'est point pour un jour, ni pour une année, mais pour l'éternité. La persistance de ses desseins s'accroit de la confiance qu'il place en sa dynastie. Donc, qu'est-ce que Louis peut espérer, sur quoi peut-il compter pour maintenir une indépendance qui est nuisible au Grand Empire ? Comment peut-il, même à ses propres veux, justifier son insubordination ? Son sort n'est-il pas lié à celui de l'Empereur ? Que parmi ses sujets il s'en trouve qui, portant plus loin leurs vues, escomptent, dès 1810, la chute de Napoléon et prétendent à tout prix maintenir jusque-là sur la carte d'Europe le nom de la Néerlande, convaincus que, lors de l'écroulement, des peuples désorientés se grouperont autour de cette nationalité vivace qui aura prouvé ainsi sa persistante volonté d'être et qui reprendra naturellement alors les provinces dont elle a été amputée, cela se peut, mais comment Louis tiendrait-il ce raisonnement dont le premier terme implique la déchéance de l'Empereur et la destruction de son empire ? D'ailleurs, si même il le tenait, — et, s'il ne le tient pas dès lors, il le tiendra plus tard — la seule politique qui lui offrirait quelques chances de faire subsister le nom de son peuple, ne serait-elle pas une politique d'effacement, d'acquiescement continu, d'efforts sans cesse accrus pour contenter le maître ? N'est-ce pas ainsi fine la Prusse vit depuis 1807, qu'elle arrivera à vivre jusqu'en 1813 ? Point du tout : ce sont des taquineries, des contrariétés cauteleuses, des protestations sans objet sérieux, une guerre à coups d'épingles, et puis des pleurs, des adjurations, des supplications : on dirait un enfant sournois qui, contraint d'obéir, se venge, dès que le maître a le dos tourné, par toutes les petites sottises par quoi, à ses yeux, il affirme son indépendance. Pris en faute, il se jette à genoux, fond en larmes feintes et jure qu'il ne le fera plus. Le maître lui confisque son couteau ou sa toupie, son Brabant ou sa Zélande, et, en se relevant, il tire la langue, essaie de blesser ses voisins ou de faire mal à sa petite sœur. Vous êtes incorrigible, lui a dit l'Empereur et c'est la vérité. Les Hollandais les plus attachés à leur patrie ne se font point d'illusion. Ils reconnaissent que Louis s'est très sincèrement dévoué à la Hollande, mais ils s'étonnent profondément de la manière qu'il prend de la servir et des moyens qu'il met en jeu pour la défendre ; nuls ne seraient mieux appropriés pour la perdre. Encore, étant républicains d'idées et d'éducation, ne comprennent-ils pas que ce qui passionne Louis, c'est bien moins la Hollande que sa Hollande, bien moins la nation hollandaise que la domination que, sur elle, il a reçue de Dieu, l'union que Dieu a établie entre lui et ce peuple ? C'est cet esprit de droit divin, cette conviction qu'a prise Louis de sa désignation surnaturelle, qui, en présence de l'esprit de conquête, ile la conviction qu'a Napoléon de son omnipotence et de son infaillibilité, rend la lutte inévitable entre les deux frères et, de jour en jour, creuse davantage l'abîme. La discussion en effet ne roule pas tant sur la confiscation des marchandises américaines, sur l'armement des vaisseaux, sur la rétrocession des domaines de la Zélande, que sur la marche générale que Louis imprime à sa politique, sur l'affirmation qu'il en donne par ses actes privés comme par ses actes publics. Il a nominé, au mépris du protocole joint au Traité du 16 mars, un ministre à Vienne ; il vient, par ses mauvais procédés d'obliger la reine à quitter Amsterdam et à se réfugier au Loo d'oh elle va tantôt s'esquiver aux eaux de Plombières[2] ; il prétend se débarrasser des Français qui composent sa compagnie de carabiniers royaux et qui, jadis, lorsqu'il écrémait les régiments français pour la former, ont fait l'objet de tant de réclamations de l'Empereur : Vous les avez pris sans ma permission, lui écrit Napoléon le 22, gardez-les, ou, si vous ne voulez point les garder, envoyez-les moi, je les prendrai. De pareils soldats sont rares ; et il ajoute : Un Français fait sur vous ce que fait sur les hydrophobes la vue de l'eau, ce principe bienfaisant de notre existence et de notre bien. À l'audience diplomatique du 17, le roi passe devant le chargé d'affaires de France sans lui adresser la parole, sans répondre à son salut, et il va s'entretenir longuement avec le ministre de Russie. Et voici que, par surcroît, l'Empereur apprend que les gens de son ambassadeur, revêtus de sa livrée impériale, ont été maltraités[3]. C'est là semble-t-il, l'occasion qu'il attendait. Mon intention, écrit-il, est que ceux qui se sont ainsi rendus coupables envers moi me soient livrés afin que la justice que j'en ferai serve d'exemple. Il ne veut plus d'ambassadeur de Hollande à sa cour ; lui-même n'accréditera plus d'ambassadeur près du roi. Le secrétaire de légation qui y reste comme chargé d'affaires communiquera ses intentions. Il met fin violemment à cette correspondance insoutenable où, deux, trois fois par jour, Louis s'épanche en interminables doléances et accumule les protestations et les contre-vérités flagrantes : Ne m'écrivez plus de vos phrases ordinaires. Voilà trois ans que vous me les répétez et chaque jour en démontre la fausseté. Pour plus de sûreté, après sa signature, il met de sa main : c'est la dernière lettre de ma vie que je vous écris. En même temps, il expédie à Sérurier des ordres pour exiger la remise entre ses mains des individus qui ont insulté sa livrée et la réintégration de Van den Poli dans ses fonctions de bourgmestre ; il expédie à Oudinot des ordres pour qu'il ait les yeux sur ce qui se passe à Amsterdam et dans tout le pays ; mais qu'il n'ait aucun rapport avec le roi et qu'il ne souffre pas qu'aucun officier de son armée en ait ; il expédie enfin à Champagny des ordres pour que Verhuel soit congédié en lui témoignant des égards personnels et en lui faisant le présent d'usage. Louis qui habite alternativement le palais d'Amsterdam et le pavillon de Haarlem, reçoit dans cette dernière résidence ces nouvelles foudroyantes. Quoique l'Empereur lui ait notifié qu'il ne veut plus de ses lettres, il lui écrit encore : On a vainement cherché les auteurs de l'insulte dont s'est plaint le cocher. Le cocher n'a pu nommer ni reconnaître personne. Cette affaire n'est connue que de lui et cependant, on fait constamment des perquisitions. C'est insinuer que l'émeute est de l'invention du cocher, sans doute instigué par La Rochefoucauld. Quant à Sérurier, il y a mieux. Je n'ai jamais manqué, écrit Louis, de recevoir avec distinction l'ambassadeur de Votre Majesté Impériale ; mais Votre Majesté n'exigerait pas sans doute que, lorsque je crois avoir à me plaindre d'eux. je leur fasse tics amitiés. Si j'ai fait moins de politesses au sieur Sérurier qu'aux antres, c'est que, l'ambassadeur n'y étant pas, je me suis occupé davantage des ministres. Des gens qui, dans la situation où je suis, se plaignent de ces bagatelles, sont ou bien susceptibles ou bien mal intentionnés. Mais il proteste quand même, il déclare qu'il fera tout ce qu'on voudra et que l'Empereur n'a qu'a exprimer un désir pour qu'il s'empresse de s'y conformer. A preuve : le 28, Sérurier, chargé d'affaires en titre, remet au ministre des Affaires étrangères la note demandant la réparation de l'insulte, et la réintégration de Van den Poll ; on lui répond par de vagues fin de non-recevoir. En même temps, M. Georges de Caraman, attaché à la légation, ayant été envoyé à Dordrecht pour s'entendre avec l'inspecteur français des douanes au sujet du transport en France des marchandises coloniales saisies, trouve un des aides de camp du roi qui l'a précédé pour signifier aux magistrats l'ordre de ne pas livrer de bateaux pour le transport. En recevant une délégation des ouvriers des chantiers réclamant un arriéré de salaire, le roi leur déclare que, s'ils ne sont pas payés, c'est la faute des Français et semble faire appel à leur patriotisme pour repousser l'invasion. Le bruit court que le roi organise la défense d'Amsterdam et, là-dessus, des officiers français sont insultés à La Haye et à Rotterdam. La nouvelle n'est point si fausse et Louis l'accrédite lui-même. A un des aides de camp d'Oudinot, il dit qu'il est instruit de ce qui se rapporte à la pensée d'en venir à une occupation militaire de la capitale, mais que, dans ce cas, il ne gardera pas de mesure et qu'il repoussera la force par la force. A la parade, il se présente aux troupes de sa garde, tenant par la main le prince royal ; il les harangue, il recommande son fils à leur fidélité et toutes ses faveurs publiques sont pour le général Krayenhoff qui, trois mois auparavant, a tracé le plan de défense et qui, ministre de la Guerre, a été destitué sur l'ordre de l'Empereur. A ce moment, Louis est arrivé à un état d'exaspération et d'affolement tel que les idées les plus disparates et les plus contradictoires semblent courir ensemble dans son cerveau ; dans le trait de temps où elles dominent, elles reçoivent tout de suite une forme, comme lettres à l'Empereur, ou comme décrets, ou comme rescrits aux ministres ; puis, elles s'effacent et d'autres, non moins étranges, apparaissent et s'expriment. L'article II du traité du 16 mars, en vue d'assurer la répression de la contrebande a conféré à l'Empereur le droit exprès de placer des douaniers et des soldats à toutes les embouchures des rivières : en fait, c'est la Hollande entière, puisque la contrebande se fait de tous les points d'où l'on accède à la mer et que la mer pénètre partout. Il est impossible de ne pas tenir pour des côtes maritimes les bords du Zuyderzée, de ne pas tenir pour des embouchures de rivières les débouchés des canaux qui y affluent ; mais, dans le traité, il y a rivières et non canaux, et Louis se cramponne à la lettre. On viole le traité en plaçant des douaniers dans l'intérieur ; de telles mesures sont contraires à tout motif raisonnable, les agents de l'Empereur seront causes des plus grands malheurs ; il supplie l'Empereur qu'on ne cherche pas à dissoudre de force un gouvernement qui est son ouvrage, qu'on ne lui enlève pas tout moyen d'exister au moment où l'on exige qu'il fasse des dépenses énormes et qu'il supporte patiemment un état de guerre qui le ruine. — Sire, s'écrie-t-il un moment, veuillez calmer des esprits vivement agités et leur prouver que le traité que j'ai ratifié pour eux, en me confiant entièrement à la parole et à la volonté de Votre Majesté Impériale, ne pouvait tromper leur espoir et leur résignation absolue. N'est-ce pas là au milieu des supplications, quelque chose qui semble une menace et comment mettre d'accord les termes du traité, la protestation contre la violation de ce traité et l'appel à la générosité de l'Empereur pour n'en pas poursuivre l'exécution ? Que Louis ait signé le traité sous la contrainte morale de l'Empereur, qu'il l'ait ratifié de même, avec l'unique but de se tirer du guêpier, avec l'intention arrêtée de ne le peint exécuter et l'arrière-pensée de recourir aux armes, fort bien : les mesures que l'Empereur a prises contre lui peuvent lui en donner le droit, mais, qu'il imagine que, après s'être restreint à ce traité au défaut d'une annexion totale ; Napoléon n'en poursuivra pas l'intégrale exécution ; que, n'ayant point reculé devant la détention préventive de son frère, il s'arrêtera à ses supplications et ses menaces, c'est pur enfantillage. Certes, les douaniers français ont le verbe haut et le geste autoritaire ; ils n'ont d'ordre à recevoir de qui que ce soit eu Hollande, du roi moins que tout autre ; ils appliquent à la lettre des règlements d'une rigueur calculée et savante qui, après quatre années d'expérience attentive, ont été portés au point de perfection et emmaillent le pays sur lequel on les jette sans laisser une issue par où la proie puisse échapper. ; ils confisquent les marchandises, ils poursuivent et arrêtent les contrebandiers sans nul égard pour les personnes ou pour les situations ; ils sont d'autant plus gênants qu'ils sont incorruptibles ; ils sont d'autant plus odieux que, agents d'un souverain étranger, exerçant leurs fonctions sur un territoire dont le roi affirme à chaque instant l'indépendance, ils ont affaire à un peuple dont ils ignorent la langue et pour qui le blocus continental a été jusqu'ici une source de bénéfices. Appliqués dans quelques grands ports pour donner à l'Empereur une apparente satisfaction, les décrets de Berlin et de Milan ont fait refluer la contrebande anglaise dans tous les havres, dans toutes les criques, sur toutes les plages, d'a, par le lacis inextricable des canaux, en échappant même au fisc hollandais, elle s'introduisait dans les villes de commerce. A présent l'armée des douaniers français monte vers le nord d'un pas égal, irrésistible et assuré : le filet se tend sur toutes les côtes ; à chaque ville, chaque village, chaque maison, le douanier perquisitionne, découvre un dépôt de marchandises, le saisit, arrête le détenteur et s'établit, en prenant si étroitement ses mesures qu'il coupe toute communication. Cette machine joue avec une sûreté admirable L'honneur militaire assure l'intégrité des préposés de tous ordres, qui, mettant leur gloire à exécuter les desseins de leur Empereur, en trouvent une égale à déjouer les ruses des contrebandiers et à repousser le fusil en main, les descentes des Anglais. De tels hommes à coup sûr sont néfastes pour la Hollande, mais Louis les connaissait, et il n'avait qu'à ne pas signer le traité. Si, l'avant signé, il voulait revenir sur sa signature et tenter une résistance armée. il en avait le moyen tant que le Brabant et la Zélande n'étaient pas entièrement occupés, même tant que les troupes destinées à fortifier le réseau des douanes n'avaient pas dépassé Leyde : alors, à condition qu'il prit une de ces résolutions désespérées où, pour son indépendance, un peuple risque son existence mène, il pouvait tenir six mois, jusqu'à l'hiver au moins, non seulement contre le corps d'Oudinot, mais contre la Grande Armée tout entière. En jetant sous les eaux de la mer de Haarlem une partie du pays, il conservait intact le Nord-Hollande d'où il pouvait faire appel aux Anglais ; mais il n'y avait pas une minute à perdre ; car, malgré ses supplications et ses protestations, les Français, forts du traité, continuaient leur marche. Déjà il était bien tard ; un instant encore et il était trop tard. La défense devenait sans objet, dès lors qu'elle était sans espoir. On ne fait pas à sa volonté des Saragosse. Si, à Amsterdam. comme Louis l'affirme, le peuple et l'armée étaient disposés à une résistance désespérée, pas un homme raisonnable, ni dans le ministère, ni dans l'armée, n'en eût accepté la direction et assumé la responsabilité : seul, peut-être, Krayenhoff l'eût tenté, mais avant que les Français eussent dépassé Leyde, et avec quelles angoisses ! ***D'ailleurs, Louis est retombé dans une nouvelle période d'hésitations et, après avoir parcouru un cycle d'idées violentes, il est revenu, comme brisé par l'effort, aux concessions, à l'apaisement, aux tentatives de réconciliation. Le 5 juin, déjà plus qu'ébranlé, il fait appeler Sérurier ; d'abord, il lui parle avec exaspération des douaniers qu'on envoie chaque jour sans qu'il en soit prévenu et de tous les désordres qu'ils causent. Sérurier lui demande s'il fait entrer en comparaison ces dommages particuliers et accidentels avec l'effroyable terreur jetée dans le public par le bruit répandu que, sur toute la ligne, ordre est donné de s'opposer aux mouvements des troupes françaises, quelles que soient les suites de cette résistance. Le roi nie qu'il ait donné ordre de tirer sur les Français, dont il n'oubliera jamais, dit-il, qu'il est le connétable ; mais, jamais, il ne permettra que des troupes françaises entrent dans sa capitale. Il ne pourra sans doute pas l'empêcher, mais, par ce seul fait, il regardera son gouvernement comme dissout. Puis il s'attendrit : il demande que l'Empereur lui fasse au moins connaître ses intentions ; il dit qu'il a peu de temps à vivre ; qu'il ne veut qu'assurer l'existence de ses enfants : déjà ils ont perdu de bien beaux droits en France ; ne peut-il souhaiter leur laisser un héritage qui leur rappelle la sollicitude de leur père ? Il réclame les conseils de Sérurier, non comme diplomate, mais comme homme, comme ami. Sérurier répond que la seule voie que le roi ait à adopter, c'est de s'en remettre à la discrétion de son frère. Louis réplique que tel est bien le vœu qu'il forme de tout son cœur, il charge Sérurier de le mander à sa cour, mais il ne consentira jamais à admettre dans Amsterdam des soldats et des douaniers français, car ce serait porter à son autorité royale une atteinte mortelle. Trois jours plus tard, le 8, dans une nouvelle audience on il a appelé Sérurier, il va plus loin. Il est à peu près évident, dit-il, que la réunion sera le résultat de tout cela. Il n'est ni dans mes devoirs, ni dans mes intérêts, ni dans ma position assurément, de m'y prêter et l'on ne peut me blâmer de désirer tout autre arrangement ; mais voici, Monsieur, ma résolution que je vous communique officiellement pour le cas possible et que la correspondance du duc de Reggio fait prévoir : si des patrouilles se présentent à mes lignes, on leur lira de s'éloigner, puisque le traité porte qu'il n'y aura jamais de garnison française dans ma capitale[4]. Si un corps de troupes se présente hostilement et sans que j'aie rien reçu de l'Empereur, mon frère, on fermera les portes et les barrières, mais on ne tirera pas et on se laissera forcer. Je ne puis faire qu'une résistance passive et protester contre ce qui aurait lieu en pareil cas sans un arrangement convenu avec mon frère... Il s'étend longuement sur la confiance qu'il met en Champagny et il dit encore : Je suis attaché à la Hollande comme on peut l'être à sa famille et, plus ses malheurs sont grands, plus je crois me devoir tout entier à elle. Elle n'a que moi pour intercesseur auprès de l'Empereur. Je ne déserterai pas un pareil devoir. Je désire donc rester au milieu de ce peuple ; mais, comme je vous l'ai déjà dit, je suis prêt à souscrire à toute espèce d'arrangement qui nie rattacherait plus fortement à l'Empereur. Je livre les côtes du royaume à la garde de l'armée française et à ses douanes, non que ce système ne me paraisse insoutenable à la longue et qu'un tribut ne me partit préférable, mais parce que mou frère le veut ainsi. Je ne demande qu'à vivre tranquille dans ma capitale, à conserver à mon peuple ce qui me reste d'existence et à transmettre à mes enfants l'héritage qu'ils doivent aux bienfaits de l'Empereur. On ne peut pas en conscience me demander la réunion. Tout ce que je puis est de n'y apporter qu'une résistance morale et je le promets. ***Durant que Louis esquisse ainsi des idées sur qui il va
bientôt essayer de greffer une négociation nouvelle, quel est l'état d'esprit
de Napoléon ? Le 9 juin, il a fait connaître à Sérurier qu'il n'est pas
question de faire occuper Amsterdam par ses troupes ; ce n'est pas son
intention ; il ne faut donc pas inquiéter les Hollandais de cela ; mais, au
premier préparatif qui devra être regardé comme une insulte à la France,
Sérurier a ordre de demander ses passeports et de quitter la Hollande. C'est
donc de ce chef une sorte de concession qu'il a l'air de faire, mais il a
ajouté aussitôt dans ses instructions à Champagny : Vous
prescrirez à ce chargé d'affaires d'entretenir la querelle et d'insister sur
des réparations pour laver l'outrage fait à mon ambassadeur ; que, à défaut
d'une satisfaction entière, le roi doit renoncer pour toujours à mon amitié
et à ma protection. N'est-ce pas, en ces trois mots, tout un plan
d'attaque ? En prescrivant à Sérurier d'entretenir
la querelle, ne prépare-t-il pas à son intervention un prétexte qui,
vu les circonstances, peut paraître, au point de vue des traditions
diplomatiques, moins choquant et plus admissible que le semblant de
résistance passive opposé à ses volontés ? Dès qu'il a fait de Louis un roi
indépendant, dès qu'il a permis que, en dehors des légations de famille,
Louis accréditât des ministres en Russie, en Autriche, en Danemark, en
Turquie, en Prusse, en Bavière, en Wurtemberg, à Bade, près les Villes hanséatiques
et qu'il reçût des envoyés de ces puissances, n'est-il pas, dans une mesure,
obligé de compter avec l'opinion de l'Europe, au moins de donner à cette
Europe, maladroitement introduite dans ses affaires, un autre prétexte que
son bon plaisir pour annexer de vive force la Hollande entière ? Encore
l'annexion pure et simple, résolue en janvier, lui agrée-t-elle moins à
présent, par le souci do ce qu'il fera, après l'avoir découronné, de ce
frère, un des héritiers de l'Empire, le père des héritiers présomptifs. Que
Louis reprenne auprès du trône sa place de prince français, il n'y a guère à
y compter après ses déclarations si formelles et si souvent répétées. Alors,
c'est la rupture violente, peut-être un départ clandestin, des protestations
devant l'Europe, un scandale de famille étalé en public. Or, c'est le moment
où la brouille est complète avec Lucien, où ses passeports lui ont été
expédiés, où sa fille, Lolotte, lui a été renvoyée à Canino sans doute.
Napoléon ne croit pas que Lucien soit décidé à s'exiler ; en tous cas, il
croit avoir pris ses précautions pour l'empêcher de partir ; mais la querelle
n'en fait pas moins de bruit et si, après Lucien, Louis prenait aussi le
parti de la révolte ? Sans les hésitations et les incertitudes qu'explique ce double courant d'idées, on comprendrait difficilement pourquoi Napoléon tarde tant à donner des ordres positifs à Oudinot, pourquoi il atermoie ainsi avant d'occuper Amsterdam, pourquoi il insiste comme il fait sur la réparation de l'insulte à son ambassadeur, pourquoi, tout en se réservant d'entretenir la querelle, il présente à Louis le leurre de quelques promesses. Il veut manger la Hollande, sans doute ; mais sans casser la vaisselle ; an moins, pour le faire, attend-il que Louis lui fournisse un nouveau grief qui donne un prétexte diplomatique à la mise en marche de son armée. *** Le 14, Louis n'ayant plus de moyen de faire parler sûrement à Champagny, puisque son ambassadeur a été renvoyé, expédie à Paris un financier, reconnu pour être ami et aimé des membres de la légation française à Amsterdam et qu'il a choisi pour cette raison pour demander au ministre des Relations extérieures s'il n'y aurait pas quelque moyen de finir à jamais les démêlés et contrariétés qui semblent s'augmenter, même depuis le traité. Ce financier, M. Julian Walckenaër, a été mis en relations avec le gouvernement français par l'affaire de l'emprunt que Napoléon a autorisé la Prusse à contracter en Hollande. Il est très fin, très instruit et très actif, mais il lui faudrait du génie pour réussir. En dehors des apologies qu'il est chargé de présenter sur les différents points en litige et où Louis ne fait que répéter les arguments anciens, il a mission de proposer que le roi de Hollande prête à l'Empereur foi et hommage comme son souverain et se soumette à lui payer un tribut annuel. Telle est la suprême conception de Louis : il l'a esquissée dans sa conférence du 8 devant Sérurier ; il y donne corps, le 14, par la mission confiée à Walckenaër. Seulement, à son estime, tribut et scrutent valent bien quelque chose, et il réclame en échange le commandement en chef des troupes alliées sur son territoire, à l'instar de ses frères, les rois de Naples et d'Espagne. Quant aux satisfactions et aux réparations qui lui ont été demandées, il n'en dit mot et ne les met pus même en question. Bien loin de là : en même temps qu'il charge le financier Walckenaër de formuler cet anachronisme historique qui lui apparaît comme la concession par excellence, il ordonne la mise en liberté de tous les individus arrêtés par les douaniers français pour faits de contrebande ; et il interdit de livrer passage aux troupes françaises sur le pont de Haarlem, sous prétexte que Haarlem est ville de résidence. A la suite de ces deux mesures, les Français sont insultés dans diverses villes déjà occupées, telles que Rotterdam. Il y lieu de croire — du moins veut-on feindre de le penser — qu'une insurrection générale se prépare, non commandée sans doute par le roi, mais assurée de son assentiment tacite. L'Empereur, à coup sûr, ne la redoute pas, mais il profite de l'occasion, s'il ne la cherche point. Le 24 juin, les ordres sont donnés. Aussitôt que le duc de Reggio aura réuni assez de troupes à Utrecht pour marcher sur Amsterdam, il écrira à Sérurier que les troupes françaises ont été insultées ; qu'on leur a fermé les portes de Haarlem ; que les aigles françaises peuvent aller dans tous les pays alliés ou amis ; depuis quinze ans, constamment, les troupes françaises ont été dans toutes les parties de la Hollande ; que le traité ne fait d'exception d'aucun point que c'est donc un outrage gratuit que la Hollande a fait aux troupes françaises ; que l'Empereur y a été très sensible et a ordonné que de nouvelles forces entrassent en Hollande ; que ses instructions ne lui prescrivaient pas d'entrer à Amsterdam, vu qu'il n'avait rien à y faire, mais que le défi qui a été porté aux troupes françaises en leur fermant les portes et les intrigues anglaises tendant à armer les Hollandais contre les Français ont provoqué l'ordre qu'il a reçu de se présenter devant Amsterdam ; que c'est aux Hollandais de voir s'ils veulent nous traiter en alliés et amis ou s'ils veulent se livrer aux conseils perfides qui s'agitent auprès du roi pour perdre la Hollande. Ainsi, selon Napoléon parlant par la Louche de Clarke, l'affaire de Haarlem passe au premier plan : c'est elle qui motive et justifie l'entrée à Amsterdam ; selon Napoléon parlant par la bouche de Champagny, ce sont les préparatifs de défense de la capitale et surtout la déclaration faite le 8, par Louis, au chargé d'affaires de France, sur la résistance passive destinée à constater la violence : Conduite inconcevable, a dit l'Empereur, de la part de mon frère, d'un prince français (pli devrait regarder connue son premier titre celui de Français, que j' ai élevé, que j'ai fait roi ! Insulter mes ailes ! Fermer les barrières devant elles ! Dans toute l'Europe continentale, depuis le golfe de Finlande jusqu'an Tage, depuis la Vistule jusqu'à la Save, l'aigle française est accueillie et honorée et une telle insulte lui serait faite par la Hollande, conquise par les armes françaises et dont l'indépendance est un bienfait de la France Si cette menace, ajoute-t-il, avait été faite par l'Autriche ou la Russie, la Guerre en aurait été la suite. Si c'était le roi de Prusse, ou de Bavière, ou de Wurtemberg qui se fût porté à une telle indignité, la perte de son trône en aurait été le résultat. C'est pour la repousser que j'occupe Amsterdam. Je n'ai aucun intérêt à augmenter le nombre de mes troupes dans la Hollande, pays malsain, mais il faut punir la témérité de ceux qui ont poussé la témérité jusqu'à calculer le petit nombre de troupes que j'avais dans le pays. Il reste pourtant, au dire de Champagny, un moyen de calmer l'Empereur : c'est que les troupes françaises vient reçues en triomphe à Amsterdam, que le roi soit le premier à donner l'exemple d'un accueil honorable et amical, que cet exemple soit suivi et que les Hollandais traitent les soldats français comme des frères. Champagny dresse même le programme des réjouissances on il faut d'abord un grand repas offert par la ville aux soldats. Moyennant cela, moyennant encore la destruction des lignes de défense élevées autour d'Amsterdam, la mise à mort des insulteurs de la livrée impériale, le renvoi du ministre de la Police et la réintégration de l'ancien bourgmestre, l'Empereur consentira à recevoir quelque ouverture de la Hollande. Quant aux propositions apportées par Walckenaër, peu s'en
est fallu que l'Empereur ne les prit pour une dérision. Cette forme de foi et hommage, a-t-il fait
répondre, n'est plus de nos jours et, quant à la
dépendance qu'elle exprime, l'Empereur, qui la regarde comme existante de
droit et de fait, ne pourrait y voir une concession. L'Empereur, souverain du
Grand Empire, chef de la Ligue continentale et devenu, par la force de ses
armes et de son génie, l'arbitre de l'Europe, peut se regarder comme le
suzerain de plusieurs princes, mais il a surtout cette opinion à l'égard du
roi de Hollande, conquête de la France, et il croit devoir exercer des droits
bien plus étendus sur ce pays que sa position entre la France et l'Angleterre
rend si intéressant pour lui. L'Empereur a même vu, dans cette offre, la
suite des fausses idées par lesquelles il prétend qu'on entraîne le roi et
qui fendent toutes à isoler la Hollande de la France et à lui attribuer une
indépendance incompatible avec ses devoirs et sa position. Quant au
tribut, l'Empereur, fort d'un revenu de 800 millions
et d'une réserve de 600 millions, n'a besoin ni d'argent, ni de crédit, ni de
papier. Ce n'est point de l'argent qu'il demande à la Hollande, ce sont des
vaisseaux et des soldats, conformément au traité. Telle est, exposée à la dernière heure, la théorie intégrale de l'Empire Napoléonien : tous les prétextes antérieurement allégués tombent et s'effacent. L'entrée à Amsterdam n'est plus le résultat d'un caprice ; elle n'est plus motivée, ni par la sotte querelle d'un cocher avec quelques vauriens, ni par tel ou tel incident de procédure familiale ; elle est l'application raisonnée d'une théorie, et cette théorie, depuis 1805, a été constamment celle de Napoléon : il n'a jamais entendu que les peuples auxquels il imposait des rois et que les rois auxquels il soumettait des peuples, fussent indépendants par rapport à lui et à son système ; il s'est tenu en droit de considérer comme rebelles et traîtres ceux de ses frères, qui, ayant reçu de lui une couronne, s'ingèrent à agir en dehors de lui, donc contre lui, osent être et faire d'eux-mêmes. Il ne tient peut-être pas pour le moment à ce que Louis abdique, ce qui créerait des difficultés, mais il estime qu'il doit lui infliger une leçon, lui prouver qu'il n'y a qu'un maitre et que toute résistance à ce maitre est un crime de lèse-majesté. Louis, de son côte — et c'est pourquoi il a recherché M. de Bonald — se croit réellement un roi. S'il ne se réclame pas du droit divin, il ne s'en faut guère. Il ne s'est point fait sacrer, mais ce n'est pas que, depuis 1806, l'envie lui en ait manqué : seulement, à qui se fût-il adressé et, pour ses sujets protestants, son couronnement par un évêque catholique lui ajouté quelque prestige défaut d'avoir été sacré par le représentant de Dieu, il a été appelé par son peuple. Il le croit sincèrement, et qu'il a formé ainsi une union qui ne saurait être rompue ni par son abdication, ni même par sa mort, car il se survit en sa postérité. L'idée qu'il s'est faite de la Royauté en général, de sa royauté en particulier, lui a permis de livrer à l'Empereur deux de ses provinces, de laisser les Français prendre possession de son royaume presque entier, pourvu qu'on ne touchât pas à la ville qu'il a déclarée sa capitale et qu'on n'entrât pas dans la résidence de son choix. Il a attaché à cette intégrité de sa capitale un sens mystérieux dont il est d'autant plus permis de s'étonner que, lorsqu'il a pris possession de son trône, des régiments français occupaient La Haye et qu'il n'y trouvait pas à relire. Tant qu'il parvient à préserver sa capitale, il garde une sorte de conviction qu'il se tirera d'affaire ; mais l'occupation d'Amsterdam serait pour lui-même une flétrissure après laquelle il ne pourrait songer à conserver la couronne sur sa propre tête. Il consent à donner tout, sauf Amsterdam, et il perd tout dès qu'il livre Amsterdam. Encore, s'il s'agissait d'une ville sainte, d'une capitale traditionnelle, noyau, si l'on peut dire, de la nationalité ; s'il s'agissait d'une de ces villes autour de qui un peuple s'est groupé pour revendiquer son indépendance, qui en a été le premier asile et qui en est demeurée le boulevard, dont l'histoire est si intimement fondue avec celle de la nation et celle de la dynastie, que l'une et l'autre en sont inséparables, où, à travers les générations, les souvenirs de joie et de deuil, épars sur les palais, les rues, les promenades et les tombeaux, prêtent une aine et une voix à chaque pierre, à chaque motte de terre, à chaque feuille des arbres, à chaque vague du fleuve ; mais c'est une grande villasse de bourse et de négoce, capitale depuis moins de deux années, fort embarrassée du roi qui est venu s'y établir en expropriant la maison commune pour en faire un palais royal ; c'est une cité républicaine où une cour est si dépaysée que Louis y habite à peine ; c'est un port où, pour de grossières joies, les marins du monde entier se donnent rendez-vous et, sous l'œil paterne de magistrats vertueux, dépensent, en une perpétuelle kermesse, les écus des longues navigations ! La Haye est bien plutôt la capitale, et Louis n'a pas protesté quand les Français ont occupé La Haye ; Utrecht a été, par Louis, érigé un temps en capitale, et, après un simulacre de protestation, il a laissé les Français entrer à Utrecht. Haarlem déjà l'a touché davantage, et, à cause du pavillon qu'il a acheté de M. Hope, Haarlem devenait sacré ; mais Amsterdam, c'est la suprême profanation. ***Le 28, au chargé d'affaires de France qui notifie la demande d'admission des troupes françaises et l'exigence d'une fête militaire destinée à constater la bonne intelligence entre les deux nations, le roi fait répondre qu'il donnera tous les ordres les plus positifs pour que l'entrée des troupes françaises dans la capitale d'un prince connétable de l'Empire ne rencontre aucune opposition, mais il refuse absolument d'y assister. Le 4, dit-il, (le 4 est le jour fixé par Oudinot), je cesse de régner. J'ai perdu l'amitié de mon frère, je n'en ferai pas moins ce qu'il désire, mais qu'on ne me demande pas de paraître, car mon parti est pris ; je resterai à Haarlem et j'y attendrai les événements. Quels événements ? Quoi qu'il ait dit de sa bonne volonté et de sa complaisance, il rêve une suprême résistance. Il fait appeler ses maréchaux, Dumonceau et de Winter, et leur propose le commandement : Ils lui font des représentations respectueuses, mais très fortes, sur l'inutilité dont elle est et le peu de durée qu'elle peut présenter. Après eux, il convoque ses ministres et, à son grand étonnement, tous sont d'un avis contraire à la défense. L'un d'eux même soutient que le roi doit rester à Amsterdam après l'occupation et, pour ainsi dire, sous le général français. C'en est trop, dit Louis, cela me décide : je vais mettre l'Empereur au pied du mur et le forcer de prouver à la face de l'Europe et de la France le secret de sa politique envers la Hollande et envers moi depuis sept (sic) ans. Je mets mon fils à ma place. Si toutes les querelles faites à moi et à mon gouvernement sont véritables, il reconnaitra mon fils et lui laissera tous les moyens de faire tout ce qu'il veut relativement au commerce et à l'Angleterre, puisque, par la constitution du royaume, à mon défaut, la régence lui appartient de droit. Si, au contraire, il profite de mon abdication pour s'emparer de la Hollande, il sera prouvé incontestablement, aux yeux de tous les Français, que toutes ces accusations étaient des querelles d'Allemand ; que c'était là où l'on voulait en venir et, du moins, ni le droit de conquête, ni une cession, ni une soumission quelconque ne donneront la moindre ombre de légalité à cette usurpation de la Hollande ; je ne craindrai plus qu'on se serve de mon nom pour s'en emparer avec quelque apparence de droit. Comme péroraison à ce discours, plein d'inexactitudes, de contre-vérités et d'incohérences, mais que Louis a pris lui-même soin de l'apporter, il ajoute : Un seul parti vaut mieux ; c'est celui de se défendre jusqu'à l'extrémité. Donnez-moi votre opinion. Je vous laisse seuls afin que vous puissiez délibérer librement. Les ministres délibèrent donc. Ils tombent tous d'accord que cette défense qui pourrait à peine durer quelques jours, serait la plus grande folie et, avec cela, la plus grande inconséquence, après avoir ouvert gratuitement le pays à ces mêmes troupes françaises, qui, par suite de cette mesure-là inondent le pays et entourent la ville d'Amsterdam ; que les conséquences seraient terribles pour cette ville et pour tout le pays, qui, sans aucun doute, allait être pillé, saccagé et ruiné de fond en comble et qu'ils sont trop bons Hollandais pour sacrifier leur pays à une gloriole militaire. A la fin, ils portent leur résolution à Louis et c'est d'approuver l'abdication en faveur de ses deux enfants. La journée du 30 se passe à prendre des dispositions pour l'entrée des troupes. Le roi nomme commandant général de la garde un Français, le général Bruno, neveu de Lauriston et beau-frère de Madame de Boubers, la gouvernante du prince royal : il le charge de recevoir le maréchal et ses soldats. M. Van den Poll reprend ses fonctions de bourgmestre et se concerte pour les mesures de police avec l'amiral de Winter. Sérurier envoie Caraman au duc de Reggio, à son quartier général d'Utrecht, pour le mettre au courant. La nuit vient là-dessus. Le 1er juillet, à la légation de France, on ne sait encore ce que fera le roi. Sérurier confère avec le ministre Van der Heym pour engager Louis à rester à Amsterdam, tout le moins à recevoir Oudinot avant de partir pour Haarlem où l'opinion générale est qu'il se retirera, durant que les Français occuperont la capitale. Tel a bien pu être son projet et lui-même l'a déclaré à ses ministres, mais c'était il y a deux jours et, depuis lors, il a pris des résolutions toutes contraires. A l'heure même où l'on s'ingénie à le retenir, il expédie partout des messagers : à l'Empereur, ce même, général Vichery que, trois mois auparavant, il a destitué du gouvernement d'Amsterdam, portera la nouvelle qu'il abdique en faveur de ses enfants[5] ; à la reine, le conseiller d'État Elout portera la même nouvelle, avec l'invitation de venir prendre possession de la régence[6] ; à toutes les cours d'Europe près desquelles il a des ministres accrédités, des courriers porteront une circulaire faisant connaître les motifs et les conditions de l'abdication. Enfin, le roi a rédigé les trois documents essentiels par lesquels il entend justifier sa conduite devant la nation hollandaise et devant l'histoire ; son acte d'abdication, une proclamation au peuple et un message au Corps Celui-ci, le plus étendu, lui coûte infiniment. Une première version, a-t-il écrit, était forte et violente ; la seconde, bien qu'atténuée et pleine de réticences, renferme encore des allégations qui suffisent, par les contradictions qu'elles attestent, à expliquer le parti qu'a dû prendre l'Empereur. J'ai ratifié conditionnellement, dit Louis, le traité dicté par la France dans la conviction que les parties les plus désagréables pour la nation et pour moi ne seraient pas suivies et que, satisfait de l'abnégation de moi-même, pour ainsi dire, qui résulte de ce traité, tout serait aplani entre la France et la Hollande. Ce traité offre, à la vérité, un grand nombre de prétextes à de nouveaux griefs ou à de nouvelles accusations ; mais peut-on jamais manquer de prétextes ? donc dû me confier dans les explications et les communications que l'on m'a faites lors de ce traité et dans les déclarations formelles et précises que je n'ai pu manquer de faire... Je me suis mène toujours flatté que ce traité aurait été adouci. Je me suis trompé et, si le dévouement absolu que j'ai montré pour mes devoirs depuis le lei avril dernier n'a servi qu'à traîner ou prolonger l'existence du pays pendant trois mois, j'ai la satisfaction, cruelle, douloureuse (mais c'est la seule que je puisse avoir), que j'ai rempli ma tache jusqu'au bout, que j'ai, s'il m'est permis de m'expliquer ainsi, sacrifié à l'existence et à ce que je crevais être le bien-être du pays plus qu'il n'est permis de le faire. Il n'y a pas eu de ratification conditionnelle ; les explications et les communications faites lors du traité ont consisté à annoncer à Louis que, s'il ne signait pas, la Hollande entière serait annexée : tout ce qu'il dit là est faux, mais il résulte de ce qu'il dit que, lorsqu'il protestait à l'Empereur de sa reconnaissance, sa résolution était arrêtée de ne point exécuter le traité. Ailleurs, il avoue de même que, s'il n'a point résisté par les armes, c'est moins à cause de la ruine de son lion peuple et de l'avenir de son fils que pour d'antres motifs aussi impérieux, que, dit-il, je dois taire et qu'on devinera. C'est, du même coup, découvrir ses ministres et ses généraux et les accuser devant la nation. Tantôt, il proteste contre la violation manifeste du droit des gens et des droits les plus sacrés parmi les hommes ; tantôt, il discute subtilement l'interprétation des articles du traité ; il en reprend l'historique ; il expose les intentions qu'il a eues lorsqu'il l'a signé, les sensations qu'il a éprouvées lorsqu'il a fallu le mettre à exécution ; il parle de lui-même indéfiniment, sans d'ailleurs énoncer un fait précis, sans alléguer un acte des Français qui, étant contraire au traité, motive son abdication. Dans ce message, dont l'objet unique devrait être d'affirmer la transmission de sa couronne à son fils, on s'attendrait qu'il oubliât un instant son antipathie contre la reine, puisque, d'après la constitution, la reine est régente ; on s'attendrait qu'il fit d'elle quelque éloge : il se contente d'ajouter en fin d'un paragraphe : La reine, a les mêmes intérêts que moi. D'ailleurs, dans la proclamation aux Hollandais et dans l'acte d'abdication, il insère une phrase qu'il n'a pu écrire sans dessein et qui accrédite une odieuse calomnie contre Hortense. Par deux fois il répète : J'abdique en faveur de mon bien-aimé fils ; Napoléon-Louis, et, à son défaut, en faveur de son frère, Charles-Louis-Napoléon. Les considérants de cet acte d'abdication ne sont pas moins étranges que le texte du message du Corps législatif : Considérant, écrit-il, que la malheureuse situation du royaume résulte de l'indisposition de mon frère contre moi ; considérant que tous mes efforts et sacrifices possibles ont été inutiles pour faire cesser cet état de choses ; considérant enfin qu'il est indubitable que la cause en est dans le malheur que j'ai eu de déplaire et d'avoir perdu l'amitié de mon frire et qu'en conséquence je suis le véritable obstacle à la fin de toutes ces discussions et mésintelligences continuelles, nous avons résolu, comme nous résolvons, par le présent acte patent et solennel, d'abdiquer, comme nous abdiquons en cet instant le rang et la dignité royale de ce royaume de Hollande en faveur de notre bien-aimé fils Napoléon-Louis, et à son défaut, en faveur de son frère, Charles-Louis-Napoléon... Ces rédactions diverses prennent matériellement beaucoup de temps : Louis est un infirme son écriture est illisible ; pour tracer des caractères déchiffrables, il lui faut un effort presque surhumain, mais il s'obstine et, seul, il y parvient. Il y emploie la journée du 1er juillet tout entière et la plus grande partie de la journée du 2. Avec son confident Twent, qui est à présent son intendant général et qu'il a tout récemment titré comte, il règle encore ce qui est de ses affaires privées ; car il a acheté en Hollande, sur sa liste civile, des propriétés importantes et il ne met pas en doute que l'Empereur ne lui en laisse la disposition. Dès lors, il vend la terre d'Ameliswerd qu'il a près d'Utrecht, pour faire de l'argent ; il remet à Twent ses diamants qu'il enverra chercher par la suite ; il se fait donner par son ministre de Justice et de Police une liasse de passeports en blanc ; il se procure dix mille francs en or qui serviront à son voyage ; il trace minutieusement leur conduite au grand écuyer qui doit assurer les chevaux et les relais, au grand maréchal qu'il laisse près du prince royal avec Madame de Bouliers et il leur fait longuement ses recommandations. Enfin, il reçoit ses ministres : il communique d'abord au ministre de l'Intérieur les trois documents auxquels il prétend assurer la plus grande publicité, et qu'on affichera dans Amsterdam, dès l'aube du lendemain, avec une proclamation du conseil de régence recommandant le calme ; il rédige en présence des ministres (de huit témoins dira-t-il plus tard), sa démission de prince français et de connétable de l'Empire, et il la leur remet pour qu'ils la fassent parvenir à l'Empereur. Il fait ses adieux à la plupart, garde seulement Hugenpoth d'Aerdt, son ministre de la Police — celui-là dont l'Empereur a expressément demandé le renvoi — et Appelius, son secrétaire d'Etat. Il se promène avec eux en causant dans le parc : J'ai la tête froide, leur dit-il. — Sire, répond Appelius, Votre Majesté n'a pas le cœur froid. Cette réplique le ravit ; il retient les deux ministres à dîner et, à leur départ, les embrasse affectueusement. Le dîner a lieu à l'heure habituelle et avec le cérémonial ordinaire, puis le cercle, le jeu du roi ; à onze heures, comme tous les soirs, Louis salue la Cour et rentre dans ses appartements. Là le rejoignent deux de ses ailes de camp, le général Travers et le contre-amiral Blois van Treslong. Travers est un Normand que Louis a trouvé capitaine au 5e dragons où il servait depuis 1790. Il l'a fait nommer chef d'escadron, l'a emmené en Hollande et, depuis, lors, en a fait un favori. En 1806, il l'a nommé colonel des cuirassiers de la garde royale ; en 1808, général-major, aide de camp, colonel général de la gendarmerie et des troupes à cheval, premier aide de camp et grand-croix de ; en 1809, capitaine des gardes, puis premier capitaine des gardes du corps à cheval ; tout récemment, le 10 juin, baron de Jever avec dotation de la terre et seigneurie de Jever. Blovs van Treslong, contre-amiral depuis 1804, est, depuis 1807, attaché comme aide de camp à la personne du roi, mais il n'a reçu aucun grade. nouveau, aucune faveur, sauf la commanderie de l'Union ; pourtant, si Louis compte sur Travers comme sur un favori intime, il compte sur Bloys comme sur un Hollandais ayant toutes les vertus de sa nation. Tons deux, il les a choisis, après de longues hésitations, pour ses compagnons de voyage et d'exil : ç'a été un grand travail, car il a pesé successivement les mérites de tons ceux qui l'entourent et qu'il croit particulièrement dévoués : Roëst van Alkemaade, son grand maréchal, Krayenhoff, son ancien ministre de la Guerre, Charles de Bylandt, qui est un de ses aides de camp, le colonel Trop, son écuyer, Van Tuyl van Serooskerken qui a été son premier page, van Pallandt, un de ses trois premier chambellan, Dundas Tindal, colonel des grenadiers de sa garde, J. C. van Hasselt, colonel des hussards ; il les a écartés l'un après l'autre pour des motifs divers, mûrement raisonnés, et s'est arrêté à ceux-ci, l'un Hollandais pur sang, l'autre Français naturalisé, mais qu'il croit, comme lui-même, bien plus hollandais que français. Aidé de son valet de chambre Laforce et de ses deux ailes de camp, il achève d'emballer des papiers. A min nit, il passe dans la chambre du prince royal qu'il embrasse tendrement sans l'éveiller ; puis, accompagné de ses trois compagnons, suivi d'un pauvre chien, un barbet piteux qu'il a recueilli jadis à Tiel, — car il est doux aux bêtes, — il traverse le parc pour aller chercher ; à une porte de service, la voiture que le grand écuyer a fait préparer. Celte porte ouvre sur un fossé fangeux qu'il faut traverser sur une planche. Louis s'aperçoit qu'il a oublié au pavillon une cassette précieuse ; il retourne la chercher lui-même, et, en revenant, dans sa maladresse d'impotent et sa précipitation d'homme qui s'évade, il perd l'équilibre et tombe dans la boue. On le retire, mais il ne vent pas rentrer pour changer de vêtements ; mouillé, transi, couvert de fange, il monte dans la voiture qui roule et s'enfonce dans la nuit. |
[1] Voir Napoléon et sa famille, IV, 137.
[2] Il est de légende que Hortense, partie le 21 d'Amsterdam pour le Loo, y a organisé sa fuite à l'aide de deux de ses femmes, d'un de ses écuyers, d'un médecin du Roi et surtout du grand écuyer de Hollande ; qu'elle est partie du Loo dans le plus grand mystère et qu'elle a trouvé des relais préparés jusqu'à la frontière par les soins du grand écuyer : Or, le Koninglijke courant du 28 mai contient, sous la rubrique d'Amsterdam, le 27, cette insertion officielle répétée par la Gazette de Leyde du 29 : Sa Majesté la Reine est allée le 21 de ce mois au Loo où elle passera la belle saison, durant laquelle elle fera cependant une absence de quelques semaines pour prendre les eaux de Plombières qui lui ont été recommandées pour le rétablissement de sa santé. Ainsi le projet était connu ; l'annonce officielle précède de trois jours le départ et le légitime ; Que la reine ait pris ses précautions pour ne pas être arrêtée, cela est possible, mais qu'elle ait eu à s'évader, non pas.
[3] Il parait singulier que l'émeute contre le cocher dont Sérurier, le charge affaires de France, a porté plainte le 13 mai, dont La Rochefoucault a écrit le 15, à laquelle Louis a fait allusion dans sa lettre du 16, ne soit comme, tout au moins relevée par l'Empereur que le 23 ; d'autant qu'il est à Lacken du 14 au 16, à Gand le 17, à Bruges le 15 et le 19, à Ostende le 20, à Dunkerque le 21, à Lille le 22, donc à moins de vingt-quatre heures d'Amsterdam. Ne peut-on penser que Napoléon n'y a point d'abord attaché grande importance et qu'il n'a songé à reprendre ce grief qu'après le nouvel affront fait à Sérurier ? Dans l'affectation de Louis de s'entretenir avec le ministre de Russie, comme dans la nomination récente d'un ministre de Hollande à Vienne. Napoléon voit un ensemble de tentatives pour intéresser l'étranger et le mêler à des affaires qu'il juge uniquement de son ressort : en quoi il n'a pas tort, car l'objet de l'entretien de Louis avec le prince Dolgoroukow a été la remise de la lettre qu'Alexandre a écrite à Louis en réponse à celle que Louis lui a fait passer le 19 décembre précédent par le colonel Gorgoli. De plus, par le protocole annexé au traité, Louis s'est formellement engagé à retirer ses ministres de Pétersbourg et de Vienne et l'on voit comme il tient sa parole.
[4] Cette stipulation ne se trouve ni dans le traité patent, ni dans le protocole annexe. Louis a longtemps lutté pour l'y faire insérer et l'on a vu qu'il ne l'avait point obtenu.
[5] Je prie V. M. I. et R. d'approuver que j'abdique en faveur de mes enfants. Le climat n'est pas contraire à Napoléon et, comme il y aura en son nom un régent en l'absence de la reine, et qui sera du choix de Votre Majesté, j'ai tout lieu de penser qu'elle sera à l'avenir entièrement satisfaite de ce pays et que tout sera fini. Je demande à V. M. de trouver bon que je reste dans un pays neutre, faisant des vœux pour le bonheur de V. M. I. et pour la France. Jusqu'ici, j'ai eu l'espérance de pouvoir supporter l'état des choses actuelles, aujourd'hui, sire, je ne puis plus et j'insiste parce que j'y suis entièrement et fermement décidé.
[6] Madame, les circonstances et sans doute la volonté de l'Empereur, me forçant à abdiquer en faveur de mon cher Napoléon, j'en ai fait dresser les actes authentiques. La régence appartient à V. M. de droit. En attendant votre retour, les ministres exercent la régence, assistés de M. le général Bruno pour gouverneur, du grand maréchal du Palais et de Madame de Boubers. Adieu, Madame, je n'ai pas besoin de vous recommander vos enfants. Permettez que je vous recommande un pays bien malheureux.