Dragons — Chevau-légers — Chevau-légers lanciers. Dans la campagne de 1796, le général Bonaparte avait souffert de l'absence et de la nullité de sa cavalerie. Lorsque, après les premiers jours, tous d'escalade, de combats dans la montagne, sur l'inaccessible des rochers, il était descendu aux plaines les plus fertiles du monde, il avait été obligé de constater que, si son infanterie était toute allante et ne voulait que de la gloire, sa cavalerie ne tenait guère à, faire le coup de sabre et se contentait des richesses, promises en même temps que la gloire par le général en chef. En apparence, cette cavalerie eût dû former une part importante des trente-quatre mille hommes que Bonaparte avait à ses ordres, car elle ne comptait pas moins de onze régiments — Hussards, Chasseurs et Dragons — mais l'effectif total des onze régiments n'allait pas à trois mille cinq cents chevaux et le pis était qu'ils ne voulaient pas se battre. Pour les décider, il fallait que le Général en chef détachât son premier aide de camp ou son sous-chef d'état-major pour mener un régiment à la charge ; que, dans une affaire comme Mondovi, le général de la cavalerie se plaçât lui-même à la tête de cent vingt chevaux du 5e Dragons et donnât de sa personne dans la mêlée au point d'y recevoir un coup de pistolet au bras gauche et une quantité de coups de sabre. Après la mort de Stengel auquel il avait voué un attachement inviolable, Bonaparte écrivait : Je n'ai plus un officier supérieur de cavalerie qui se batte ; et il réclamait deux ou trois adjudants généraux qui eussent du feu et une ferme résolution de ne jamais faire de savantes retraites. Cette opinion avait filtré dans l'armée et le général de brigade Beaumont qui, sous Kilmaine, commandait la cavalerie, s'en indignait au point que le Général en chef était obligé presque de se justifier : Il n'a jamais été dit, écrivait-il, que la cavalerie ne valait rien. Il y a des preuves du contraire ; elle est composée de républicains et ils ne peuvent pas être soupçonnés d'hésiter à combattre et à vaincre les ennemis de la Patrie. Il est vrai qu'il y a plusieurs hommes qui se sont mal conduits et c'est à leurs camarades à les faire connaître ou à les faire chasser. A la première action, le général en chef compte donner à la cavalerie les moyens de se signaler ; elle sera jalouse de trouver l'occasion de faire le pendant de l'action hardie et valeureuse des grenadiers et carabiniers à la fameuse attaque du pont de Lodi. Cette lettre est du 27 floréal (16 mai), et moins de quinze jours plus tard, le 10 prairial (29 mai), Bonaparte donnait, en effet, à sa cavalerie les moyens de se signaler. Pour ce faire, il la flanquait à droite et à gauche de grenadiers et de carabiniers et, par derrière, plaçait son artillerie. C'était pour interdire les savantes retraites. Aussi, entraînée par Kilmaine qui eut un cheval blessé sous lui, par Murat surtout qui, en cinq mois (y compris un agréable voyage à Paris), était de chef d'escadron devenu général de brigade, la cavalerie donna franchement. A partir de ce moment, on peut croire qu'elle rendit des services, mais elle ne perdit pas ses habitudes de pillage ; plusieurs ordres du jour en témoignent. De plus, malgré les appels réitérés de Bonaparte, essayant de tirer des régiments de toutes les divisions de l'intérieur, elle ne recevait pas de renforts et son effectif baissait constamment. Cet effectif n'était plus que de trois mille hommes au 18 messidor an IV, contre quarante et un mille fantassins. Impuissante en masse, elle eut surtout de belles actions isolées. Telle à Roveredo, la charge du général Dubois en tête du 1er Hussards ; telle, à Saint-Georges, la charge de Kilmaine avec le 20e Dragons ; tels surtout des combats individuels comme celui du chef d'escadron Duvivier, du 9e Dragons, contre le comte d'Erlody, commandant un régiment de hussards-hulans : L'Autrichien, voyant le petit nombre de Français, les somme de se rendre. Viens nous prendre, si tu l'oses ! répond Duvivier et, faisant bondir son cheval, il provoque le colonel autrichien, lui troue le corps de deux coups de sabre, puis, se tournant vers sa troupe, il commande la charge et, avec son escadron, fait prisonnier le régiment ennemi. On pourrait multiplier les exemples : Leclerc, chef de brigade du 10e Chasseurs, en fournit à chaque instant et il n'est pas de régiment où les faits d'armes ne soient des plus nombreux. Mais il n'en est pas moins vrai que, dans les campagnes d'Italie, le rôle de la cavalerie est médiocre par rapport à celui de l'infanterie. Cela tient au terrain d'abord : Napoléon estimait lui-même que e la cavalerie doit être, dans une armée en Flandre ou en Allemagne, le quart de l'infanterie ; sur les Pyrénées, sur les Alpes, un vingtième ; en Italie, en Espagne, un sixième. La proportion en 1796 et 1797 n'atteignit jamais un dixième ; encore n'était-ce que de la cavalerie légère ou de dragons, car au début de l'an V, c'est tout au plus si deux petits régiments de Cavalerie proprement dite étaient à l'armée d'Italie. ***Les actions de guerre, dans la campagne de l'an V, des Dragons devenus prépondérants dans l'armée d'Italie — puisqu'on y trouve à la fin de l'an IV, le 20e, le 8e, le 5e, le 9e et le 15e — les services plus grands encore qu'ils rendirent à l'armée d'Égypte où, sauf deux régiments (7e Hussards et 22e Chasseurs), toute la cavalerie était dragons (3e, 14e, 15e, 18e, et 20e Dragons), expliquent déjà en partie la prédilection que Napoléon porta à cette arme lorsque, devenu Premier Consul, il put organiser la cavalerie à sa mode. Dès ce moment, il savait par expérience à quel point un corps combattant à pied comme à cheval, servant à la fois comme cavalerie et comme infanterie, pouvait être utile à ses desseins. Aussi, lorsque, dès l'époque du Consulat, il inaugura une stratégie nouvelle, il lui fallut — et ce fut le rôle de la grosse cavalerie — des réserves puissantes qui lui permissent d'intervenir rapidement, avec efficacité, en toute circonstance ; il lui fallut et ce fut le rôle de la cavalerie légère — des éléments en quelque sorte dispersables à l'infini, avec lesquels il reconnût l'immense théâtre sur lequel il opérait aussi facilement qu'il embrassait de l'œil jadis le champ sur lequel il concentrait la bataille ; il lui fallut enfin des éléments à la fois mobiles comme la cavalerie et résistants comme l'infanterie, capables de tenir tête à l'une comme à l'autre, qu'il pût jeter en avant et qui, transportés avec célérité sur le point à occuper, le défendissent même contre des fantassins ennemis. La cavalerie de ligne, les Dragons surtout, lui servirent à cet usage ; avec eux il put soutenir constamment sa cavalerie légère, masquer ses propres manœuvres et démasquer celles de son adversaire. L'arme qu'il impose aux Dragons montre à elle seule le rôle qu'il lui assigne. Dès le 2 fructidor an IV, il ordonne impérieusement au général Kilmaine que tous les Dragons soient armés de fusils avec baïonnettes. II y revient, il y insiste en toute occasion, il assure l'approvisionnement en munitions, il punit les officiers dont les hommes ont perdu leurs baïonnettes, il ordonne des tirs pour les Dragons et fait pousser aussi loin que possible l'instruction à pied. C'est que Napoléon ne partage à aucun degré l'opinion de Frédéric II sur l'inefficacité du tir de la cavalerie. Il ne pense point que ce qui est vérité en Allemagne doive nécessairement être reçu comme axiome en France et, de ce que les cavaliers du roi de Prusse ont, à courte distance, manqué les mannequins de paille qu'on leur a désignés pour but, il ne conclut pas que ses cavaliers, à lui, doivent nécessairement manquer les hommes qui les chargeront. A défaut de l'autorité du roi de Prusse, il a pour lui son expérience personnelle et il a formé son jugement sur certains épisodes assez peu connus de la campagne d Egypte. A Salahieh, le 11 août 1798, le 7e Hussards, commandé par le chef d'escadron d'Estrées, et le 22e Chasseurs, aux ordres de Lasalle, chargent la fameuse caravane de la Mecque couverte sur ses flancs par quatre mille mamelucks qui entourent aussitôt les deux régiments, leur font beaucoup de mal et viennent pour charger les neuf cents chevaux des 3e, 14e et 15e régiments de Dragons, avec lesquels Bonaparte est alors éloigné de son infanterie. Le Général en chef dit au général Leclerc : Qu'allez-vous faire ? — Mettez-vous au centre, répondit Leclerc, les officiers et sous-officiers dans le rang. Formés en carré, nous allons faire le métier d'infanterie. Et, en effet, les Dragons repoussent par un feu de file les mameloucks et, après avoir rallié le 7e de Hussards et le 2e de Chasseurs, marchent très lentement en bataille à l'ennemi, le fusil haut. A Gaza, pendant la campagne de Syrie, Bonaparte se trouve à grande distance de son infanterie. Il est obligé de mettre l'épée à la main et d'ordonner que toute la cavalerie se forme en bataille et attende, le mousqueton haut, la charge des Turcs, qui est repoussée par son seul feu. Dans la marche de Jaffa sur Saint-Jean-d'Acre, la cavalerie encore une fois seule, rencontre Ibrahim-bey avec ses mamelucks, et les reçoit aussi heureusement avec son feu de pied ferme. Or, par cavalerie, ici, il faut entendre dragons, car sur les neuf cents hommes de cavalerie que commandait Murat, la plupart étaient tirés des 3e, 14e, 15e, 18e et 20e Dragons, la cavalerie légère n'étant représentée que par le 7e Hussards et- le 22e Chasseurs. Pour le service qu'on peut demander aux Dragons à pied, Napoléon n'a-t-il Pas présent à l'esprit le siège de Milan, où les Dragons du 5e aidèrent à ouvrir la tranchée, servirent les pièces, suppléèrent les artilleurs et les officiers du génie et reçurent devant le corps de siège assemblé, les éloges qu'ils méritaient ? Ne se souvient-il pas des combats de Serravalle, où Leclerc, se trouvant seul avec son régiment et les carabiniers de la 4e en présence d'une colonne ennemie, fit mettre pied à terre à une compagnie qui aida les carabiniers à contenir l'ennemi jusqu'au moment où il put donner le signal de la charge ? L'attaque du camp retranché de Primolano n'a-t-elle pas été faite par les Dragons pied à terre ? A Clausen, n'a-t-on pas vu les Dragons du 5e, après avoir enlevé dans une charge audacieuse trois pièces de canon, mettre pied à terre et se joindre au 85e de bataille pour repousser l'ennemi ? Et ce ne sont là que les exemples fournis par un seul régiment. Il est vrai que c'est l'ancien régiment Colonel-Général qu'il a à sa tête des hommes tels que Leclerc et Milhaud, mais, ce qu'un régiment bien commandé a fait, pourquoi d'autres ne le feraient-ils pas ? D'ailleurs, la théorie que Napoléon prétend tend remettre en vigueur est, en France, une tradition historique qui n'a été abandonnée que par suite des ambitions et des préjugés de quelques officiers, de l'engouement pour les idées étrangères et de l'oubli volontaire des faits d'armes auxquels, durant deux siècles, notre nation a dû son accroissement. En quittant les errements prussiens pour revenir à cette théorie vraiment française, Napoléon montre combien il connaît le tempérament national, car peut-être ne sait-il pas l'histoire des Dragons, mais il la devine. Il lui faut pour ses desseins une arma qui fasse tel service. Que cette arme ait existé ou non, peu lui importe, il la recrée lui-même, il lui donne ses propres règlements. Or, ces règlements sont semblables, identiquement, à ceux que, trois siècles auparavant, la nécessité avait fait adopter et que la tradition avait consacrés ; cette arme nouvelle est semblable à l'arme ancienne et nulle mémoire nourrie d'histoire n'eût reproduit plus exactement des termes identiques. C'est que cette arme des Dragons n'a point été inventée sans doute par le maréchal de Brissac comme certains disent, ou par Gustave Adolphe comme d'autres le soutiennent, mais par l'expérience même de la guerre, par quelques vieux soldats inconnus, des pillards hardis et entreprenants qui, pour faire leurs coups, sur des bidets de paysans, s'en allaient en bande à grande distance des camps, mettaient pied à terre pour emplir leurs bissacs et, étant subitement attaqués par l'ennemi, faisaient front, tiraient tant qu'ils avaient de poudre, remontaient ensuite leurs petits chevaux qu'avaient gardés quelques camarades et s'en revenaient au camp la panse et les sacs pleins. D'une expérience ainsi faite, peut-être violemment réprimée au début par les chefs, une conclusion était à tirer : l'infanterie montée, qui n'est autre que les Dragons, qui est ce que les Dragons devraient toujours être, était créée. Le maréchal de Brissac l'organisa. Il prit les arquebusiers possesseurs de chevaux de prise et en forma des compagnies. On trouve de telles compagnies désormais dans toutes les armées de Henri II et, dans cette belle campagne contre les Allemands où le roi s'empara de Metz, de Verdun et de Montmédy, de l'essentiel de la Lorraine, voici les Arquebusiers à cheval qui jouent leur rôle. Et désormais, dans les guerres civiles et les guerres étrangères, c'est à eux, à l'infanterie montée, aux Carabins, aux Argoulets, qu'il faut la première place. Le nom de Dragons paraît, dit-on sous Henri IV ; mais celui de Carabins et de Mousquetaires reprend la vogue sous Louis XIII et ce n'est qu'aux débuts du règne de Louis XIV, en 1645, qu'on trouve, avec le régiment levé par le marquis de la Ferté-Sennecterre et composé de quarante compagnies, le nom de Dragons officiellement constaté. Désormais, à quoi bon raconter leur histoire. Elle est écrite en tous les combats que, sous Louis le Grand, la France a livrés pour recouvrer ses frontières et s'acquérir une gloire qui ne périra pas. Sur l'exemple des Dragons de la Ferté, le Roi crée un second régiment, Dragons étrangers du Roi, puis Dragons du Roi (1656), dans lequel, à la paix, il incorpore les meilleurs éléments de la Ferté (1660). Par l'édit du 25 juillet 1665, il lui donne rang dans l'infanterie pour mieux marquer comme il compte l'utiliser et quel rôle il lui impose. En 1668, un nouveau régiment est formé, c'est une arme à présent et il lui faut un colonel général, et c'est Lauzun, cet étrange et prodigieux cadet de Gascogne dont La Bruyère a pu dire en toute vérité : On ne rêve point comme il a vécu. Ah ! l'étrange être et bien digne d'ouvrir cette histoire, bien digne d'infuser à tous ceux qu'il commande et dont, à travers les âges, il se trouve le grand ancêtre, l'esprit d'héroïque aventure, l'esprit de hasard et de fortune, l'esprit de bataille et d'amour, l'esprit risque-tout qui casse les cœurs, les verres et les épées, et contre qui rien ne prévaut, pas même la mort, car à la façon dont l'accueillent les fils de Lauzun, il semble que ce soit encore une maîtresse — et de toutes la plus aimée. Désormais, qui peut séparer l'histoire des Dragons de celle des étendards de France. En Hollande, de 1672 à 1678, leur réputation grandit si vite que de deux régiments qu'ils sont au début, ils sont à quatorze à la paix et ils s'accroissent si démesurément qu'on peut se demander si tout ne va pas être Dragons, puisque ; dans l'armée, en 1688, il s'en trouve quarante-trois régiments. Cela est trop. Le ver est dans le fruit, et c'est là le germe de la décadence. Il est impossible que, dans cette arme intermédiaire, qui n'a dû sa création qu'à l'initiative individuelle, son maintien qu'à l'ingéniosité pratique d'un homme de guerre furieux d'ambition, il n'y ait pas, sur quarante-trois colonels, au moins une bonne moitié qui, ne comprenant rien à ce service mi-parti, s'imaginent relever leur régiment et eux-mêmes en s'introduisant peu à peu dans la cavalerie. Cela sans doute est autrement noble et, si le but qu'on s'était proposé avec les Dragons ne s'en trouve plus atteint, il n'importe : quelques seigneurs de plus auront joué aux chevaliers. Et pourtant, en haut, lieu, on continue à lutter. L'armement obligatoire est l'armement d'infanterie, puisque c'est le fusil à baïonnette ; l'uniforme a un trait caractéristique de l'infanterie, puisque les Dragons portent, non des bottes, mais des bottines avec des hautes guêtres de cuir. Chaque compagnie a son tambour qui bat à pied et à cheval. Les enseignes ne sont ni des drapeaux, ni des étendards, mais des guidons. Et ce guidon, de damas de soie aux couleurs du régiment, est une sorte de banderole plus longue que large, allant en se rétrécissant ou plutôt en s'ovalisant, fendue à l'extrémité et fixée par le côté le plus large à une hampe de plus de deux mètres. On peut dire que durant toute la durée de la Monarchie, tant qu'il y a dans l'armée une tradition et une suite, le principe est maintenu. C'est celui que soutiennent les généraux les plus illustres de Louis XIV qui font des Dragons si bon usage : c'est celui qu'affirme le maréchal de Saxe et que Folard met en axiome. Pour eux tous, le dragon n'est pas un cavalier : il est un fantassin monté où plutôt il est un fantassin montable ; il a fait ses classes comme cavalier, de façon qu'il puisse tenir à cheval et charger au besoin, mais le cheval est pour lui d'abord un mode de locomotion, son arme est le fusil et sa formation tactique est une formation d'infanterie. Cette théorie déplut aux réformateurs ministres de Louis XVI ; dès 1784, le principe était violé : il le fut bien mieux en 1791, où le règlement du 1er janvier classa les Dragons dans les troupes à cheval après la Cavalerie proprement dite. A ce moment, les régiments de Dragons dont le nombre avait singulièrement varié selon les époques, sont réduits à dix-huit. Sauf les couleurs distinctives variant selon les corps, ils portent uniformément l'habit et le surtout en drap vert foncé, ils ont la veste blanche et la culotte de peau blanche ; ils sont coiffés d'un casque de cuivre jaune avec cimier et rosette de même métal, avec fourrure de chien marin et crinière noire ; ils sont chaussés de bottes molles et leur buffleteries sont blanches — c'est le costume qu'ils conserveront, avec adjonction d'une visière au casque. Le décret du 21 février 1793 ne fait que confirmer l'entrée des Dragons dans la cavalerie, bien qu'il établisse que, dans chaque compagnie, sur cent hommes, il y en aura dix à pied. L'incorporation des Volontaires et des Corps francs donne aux Dragons deux régiments de plus, formés le 19e des Volontaires d'Angers et le 200 des Dragons de Jemmapes. En 1797, la Légion de police suspecte de jacobinisme, est constituée en 21e dragons, mais ne tarde pas à disparaître. Elle est remplacée dans l'arme, le 26 août 1801, par le 1er régiment de Dragons piémontais, incorporé dans l'armée française. Ces vingt-et-un régiments que trouve le Premier Consul à son arrivée au pouvoir sont aussi inégaux en nombre qu'en qualité : les uns excellents, d'autres médiocres, d'autres détestables, mais Napoléon a vu en Italie comment on fait de bons régiments avec de mauvais et il s'en inquiète peu. Il sait ce qu'on peut exiger des Dragons et de quelle façon il faut les conduire. Ses idées sont assez arrêtées sur l'utilité dont ils peuvent être polir que le 1er vendémiaire an XII, lorsqu'il réorganise sa cavalerie, il augmente l'arme de près d'un tiers. A côté de la Cavalerie casquée et cuirassée, il établit les Dragons ; mais, pour les renforcer, il est bien contraint de prendre ce dont il peut disposer : c'est-à-dire les régiments de Cavalerie et de Hussards devenus disponibles par son plan de réforme. Il fait donc dragons les régiments de Cavalerie portant les numéros 13 à 18 et les 7e bis, 11e et 12e de Hussards. C'est, malgré qu'il en ait, ouvrir la porte aux prétentions anciennes, car qui a été cavalier ne consentira jamais à être fantassin. Pourtant Napoléon a pris ses précautions. Sa volonté est formellement exprimée dans le rapport fait au maréchal Berthier, ministre de la Guerre, le 7 prairial an XII, par les généraux de division Louis Bonaparte, Canclaux et Nansouty qui, avec les généraux Bourcier, d'Hautpoul, Klein, Kellermann .et Ordener, ont rédigé l'ordonnance du 1er vendémiaire an XIII sur l'exercice et les manœuvres de la cavalerie. Les dragons étant rendus à leur première institution, disent-ils, et Sa Majesté désirant qu'ils soient en état, en mettant pied à terre, de se former en bataillon, nous avons pensé qu'il fallait rapprocher le plus possible leur ordre de bataille à cheval de celui qu'ils doivent prendre à pied et, au moyen des dispositions prescrites, un régiment de Dragons, ou quatre escadrons de plusieurs régiments, pourront former à pied sur le champ un bataillon ayant des guides, officiers, sous-officiers nécessaires pour les quatre divisions d'un bataillon. On a vu sur quels faits l'Empereur s'appuyait pour croire fermement à l'efficacité du feu de la cavalerie et à la possibilité de faire combattre utilement les dragons à pied. Mais, en dehors de ces deux questions, une autre se trouvait résolue par l'organisation nouvelle donnée aux Dragons et, vraisemblablement, c'était encore l'expérience de l'Expédition d'Egypte qui avait fourni cette solution. Lorsqu'il était parti de Toulon, il avait embarqué 300 chevaux pour les 3.042 cavaliers qu'il emmenait avec lui ; les 2.742 chevaux qui manquaient, sans parler de ceux qu'il fallait pour les états-majors et les services auxiliaires, il les avait trouvés en Egypte, en chevaux de prise ou chevaux de réquisition. Or, la France, en l'an XII, était épuisée de chevaux bien plus que d'hommes. Non seulement la consommation avait été énorme pendant la Révolution, non seulement le gaspillage des ressources chevalines avait été effrayant, mais la production était arrêtée, les réserves étaient détruites, les haras, dont les derniers chevaux avaient été enlevés, étaient fermés. Dès les débuts de la Révolution, l'élève des poulains par les régiments avait été abandonné. On avait recours afin d'avoir un semblant de remonte pour la cavalerie à des marchés généraux et à des réquisitions ; l'on avait institué de grands dépôts pour recevoir les chevaux de cette double provenance et les livrer aux corps ; mais tels étaient les abus, même après le Consulat institué, que, pour ne citer qu'un exemple, au début de l'an IX, le dépôt de Bec-Hellouin annonçant le départ de 3.542 chevaux pour les armées du Nord et les équipages de Sampigny, il n'en arriva pas un seul à destination. On pouvait remédier aux vols, mais comment faire tout de suite des chevaux quand il n'y en avait plus en France ? Quelque système qu'on essayât par la suite pour les remontes normales en temps de paix, on ne pouvait parvenir à se procurer ce qui n'existait pas. Ainsi, en l'an XII, on remplace le système des marchés généraux par des achats régimentaires sur la masse dite de remplacement : Nouveaux abus et qui touchent l'honneur des officiers, obèrent le Trésor et réduisent presque à rien certains régiments. En 1806, l'Empereur réorganise les haras, mais les haras ne peuvent fournir qu'à long terme et la charrette est toujours enrayée. On revient aux marchés généraux ; les régiments n'ont plus à intervenir dans les achats ; les fournisseurs conduisent directement les chevaux aux garnisons : opposition violente des colonels qui se tiennent blessés dans leur amour-propre, n'ont plus à leur disposition des sommes considérables qui augmentaient leur influence et leur créaient une sorte de masse occulte. Moins de trois ans après, en 1809, on est contraint d'abandonner ce système ; on essaie de grands dépôts dont l'Empereur confie la direction à des généraux de cavalerie qui, par suite de leurs fatigues de guerre ne peuvent plus être employés à l'armée, mais qui, par leur gloire, leurs services, leur habitude du commandement, leurs connaissances spéciales offrent des garanties aussi bien à l'Etat qu'aux corps de troupes : mais les colonels protestent et, parce qu'ils restent étrangers à la remonte de leurs régiments, ils trouvent mauvais tous les chevaux qu'on leur envoie. L'Empereur se préoccupe de cet état de choses et réunit, en 1810, une nouvelle commission composée des officiers généraux les plus éminents. Cette commission déclare que les abus inséparables de l'achat direct par les corps doivent le faire abandonner sans retour ; mais, à peine cette décision est-elle formulée, à peine a-t-on affirmé le principe des marchés généraux, que la nécessité de pourvoir les régiments engagés en Espagne et l'impossibilité de trouver des chevaux par marchés généraux, obligent le ministère à charger de nouveau et temporairement les corps de leur remonte. Or, depuis 1800, des réserves ont été reformées par la nation, on a élevé des chevaux, on en a importé. En 1813, avec les seules ressources de la France et une très petite partie de l'Allemagne, l'on pourra monter près de trente mille hommes. Mais il aura fallu treize ans pour que ce petit trésor fût épargné et ce ne sera que par réquisition, au milieu des malédictions des propriétaires contre la tyrannie, que l'Empereur pourra s'emparer de ces éléments indispensables à la défense. Donc, durant tout le règne, en France, pénurie absolue de chevaux ; impossibilité de remonter, en France, la cavalerie ; et cette impossibilité démontrée mieux encore que par les faits, par les fluctuations continuelles, les mesures contradictoires, l'absence d'un plan raisonné. Si l'Empereur hésite, louvoie, consulte ainsi, s'il signe en si peu de temps cette suite de décrets qui s'infirment l'un l'autre, c'est que son esprit ne peut acquérir une certitude, c'est que, quelque effort qu'il fasse pour la découvrir, la vérité se cache à ses yeux. C'est qu'ici il est en face de l'impossible, parce que le temps lui manque aussi bien que la matière. Ne trouvant pas de chevaux en France, Napoléon dut en chercher chez l'ennemi ; pour que ces chevaux fussent immédiatement utilisables il lui fallait des cavaliers à pied, et comme il ne se souciait pas d'encombrer son armée de non-valeurs, il fallait que ces cavaliers démontés fussent aptes à remplacer des fantassins. N'est-ce pas là ce qui l'amène, le 20 prairial an XII, à ordonner que chaque régiment de Dragons des divisions de Compiègne et d'Amiens sera formé de deux escadrons à cheval et de deux compagnies à pied ? Ces compagnies de cent cinquante hommes, officiers, sous-officiers, tambour et trompette compris, devront, par quatre, former un bataillon commandé par un chef d'escadron. Deux bataillons composeront un régiment. La division de dragons d'Amiens, de neuf régiments, fournira par suite deux régiments à pied ; la division de Compiègne trois régiments. Ces cinq régiments destinés à constituer une division seront immédiatement organisés, embrigadés, exercés aux manœuvres à pied et aux marches. Est-ce uniquement en vue de la descente en Angleterre, pour restreindre le nombre de chevaux à embarquer, qu'une telle décision est prise ? C'est bien tard et déjà on flaire la poudre du côté du Danube. D'ailleurs, à la levée du camp de Boulogne et pour la marche sur l'Allemagne, voici le projet complété, formulé d'une façon définitive et mis à exécution. L'Empereur organise une division de Dragons à pied de sept mille deux cents hommes. Cette division est composée de quatre régiments fournis à raison d'un régiment à pied de mille huit cents hommes par chaque division à cheval : soit, par brigade, un bataillon.de neuf cents hommes et, par régiment à cheval, une compagnie de trois cents hommes. Il attache une telle importance à ces forces extrêmement disponibles et légères qu'il donne à cette division dix pièces d'artillerie — tandis que les divisions à cheval n'en ont que trois ut qu'il met à sa tête l'homme qui, en quelque façon, incarne dans la hiérarchie l'arme même des Dragons et qui en est le colonel général, Baraguay d'Hilliers qui n'a jamais servi que dans l'infanterie et dans les états-majors, qui ne s'est illustré que comme fantassin, qui n'a rien d'un cavalier, et qui est colonel général des Dragons à titre de fantassin. Si jamais l'Empereur a affirmé son dessein et fait connaître sa volonté, c'est assurément ici. Il attache une importance si particulière à cet essai, qu'il indique avec minutie, le 6 fructidor, la marche de la division, précise exactement ses mouvements, qu'il revient à plusieurs reprises sur l'époque où elle peut être rendue à Strasbourg et que, dans une lettre à Murat du 10 vendémiaire an XIV, il écrit : Les dragons à pied doivent être bien fatigués ; je ne les ferai pas passer avant le maréchal Ney ; ce serait exposer un corps que je veux ménager. Le 26 vendémiaire, après la capitulation d'e l'armée autrichienne du général Werneck et la capitulation d'Ulm, une brigade de la division à pied reçoit des chevaux ; néanmoins on ne saurait croire, comme dit le 7e Bulletin, que cette mesure ait été générale puisque l'ordre du jour du 3 brumaire indique ainsi les positions : Des Dragons à pied, une brigade, en partie montée à Ulm, arrive à Augsbourg, l'autre est à Ingolstadt. Le 25e Bulletin, en date du 25 brumaire, annonce que un corps de trois mille Autrichiens s'étant retranché dans la position de Waldmünchen, au débouché de la Bohême, le général Baraguay d'Hilliers, à la tête de trois bataillons de Dragons à pied, a marché contre lui et l'a forcé d'abandonner sa position. Le 26e Bulletin dit : Le général Baraguay d'Hilliers a fait une incursion jusqu'à Pilsen et a obligé l'ennemi à évacuer ses positions. Il a pris quelques magasins et a rempli le but de sa mission. Les Dragons à pied ont traversé avec rapidité les montagnes couvertes de glace et de sapins qui séparent la Bohème de la Bavière. Malgré ces deux citations au Bulletin, d'autant plus remarquables que, comme on sait, l'Empereur en était moins prodigue, la division est dissoute le 17 frimaire an XIV (8 décembre). Les cadres et les hommes rejoignent leurs régiments respectifs. Faut-il penser, comme on l'a dit, que l'Empereur était mécontent des Dragons à pied et que, comme l'a avancé un écrivain militaire, ce mécontentement provenait de ce que pendant le combat d'Haslach, ils avaient laissé assez facilement prendre le grand parc d'artillerie de l'armée qu'ils étaient chargés d'escorter ? faut-il croire que, au contraire, à cette date du 17 frimaire, grâce aux réquisitions en pays conquis et aux prises sur l'ennemi, les détachements à pied avaient été remontés et que par suite leur licenciement comme troupes d'infanterie s'imposait ? Nul document officiel ne permet d'adopter résolument l'une ou l'autre version. Il n'aurait sans doute point été extraordinaire que cette tentative eût échoué. On a vu par divers ordres de l'Empereur comment cette division avait été formée. Elle ne pouvait guère avoir de cohésion. De plus, l'équipement n'avait en rien été modifié, et, dans le seul document graphique contemporain où un artiste officiel ait représenté un dragon à pied, celui-ci n'est reconnaissable du dragon à cheval que parce qu'il n'a pas d'éperons à ses bottes. On ne saurait prendre pour un document un joli dessin d'Horace Vernet qui, d'ailleurs, se rapporte aux premiers engagements de la journée de Friedland, époque où les Dragons à pied ne semblent plus exister. On est donc en droit, jusqu'à plus ample informé, de penser que la division Baraguay d'Hilliers a fait cette rude campagne, où l'Empereur n'a certes pas épargné les jambes de ses soldats, dans une tenue singulièrement peu appropriée. Quoi qu'il en soit, l'expérience était loin d'être
décisive : et, jusqu'au moment où l'histoire de la division des Dragons à
pied aura été sérieusement écrite, il sera permis de préférer les mentions au
Bulletin à des assertions qui se trouvent contredites par des documents
sérieux. Ce ne fut pas en effet le grand parc de l'armée qui fut pris au
combat d'Haslach, mais le parc de la division Du Pont ; et Du Pont, dans la
relation qu'il a laissée de cet engagement, ne fait aucune allusion ni à
cette prise, ni à la conduite des Dragons à pied. Si le fait était exact,
comment l'Empereur aurait-il écrit à Berthier, de la Malmaison, le 5 avril
1806, la lettre suivante (Correspondance n°
10,058) : Mon cousin, vous trouverez ci-joint
la justification du général Baraguay d'Hilliers. Je désire que vous la lisiez
avec attention et que vous la communiquiez au maréchal Ney avec les noms des
officiers cités en témoignage ; car il est juste que, s'il y a eu
impossibilité pour le Général Baraguay d'Hilliers de se trouver à l'affaire
du 19 vendémiaire, il soit entièrement lavé et qu'aucune ombre de soupçon ne
plane sur sa tête. Faites dresser un procès-verbal en règle des faits.
S'il y a de sa faute, il doit être puni ; mais s'il a fait son devoir, il ne
doit rester aucune prévention contre lui. Donc, ce dont Baraguay
d'Hilliers était accusé, ce n'était pas d'avoir laissé prendre le parc et les
bagages de la division Du Pont, c'était de ne pas s'être trouvé à l'affaire
d'Haslach. Cela change les choses et l'erreur de M. le général Thoumas
paraîtrait inexplicable si l'on ne pouvait penser qu'il a confondu la division des Dragons à pied avec le 17e régiment des Dragons à cheval, lequel, par ordre de Du Pont, mit
pied à terre pour combattre, fut chargé par les dragons de La Tour, eut son
colonel, le brave Saint-Dizier, haché à coups de sabre et, malgré la
vigoureuse défense de quelques dragons et en particulier du chef d'escadron
Dautrecourt, fut culbuté et perdit la plupart de ses chevaux. Mais de ce
qu'un régiment d'ailleurs excellent — car le ne est le corps appelé d'abord
Volontaires de Saxe, puis volontaires de Friezen et enfin Schomberg-Dragons —
a été malheureux un jour, faut-il en conclure que le système du combat pied à
terre des dragons est condamné ? Dans la même campagne, à Wertingen, n'est-ce
pas avec un détachement de dragons pied à terre que le général Beaumont s'est
emparé du pont par lequel devait passer la colonne et, quelques instants plus
tard, le fie Dragons étant arrêté dans les rues de Wertingen par les
tirailleurs, n'est-ce pas avec un escadron pied à terre que Beaumont en a eu
raison ? Sans doute, comme cavaliers, les Dragons eurent, dans les deux campagnes de l'an XIV, des pages plus glorieuses encore que comme fantassins : ils s'illustrèrent à Wertingen où le 1er, son colonel Arrighi à sa tête, enfonça deux régiments de cuirassiers, fit mettre bas les armes à un bataillon hongrois et prit six pièces de canon ; où Maupetit, chargeant avec le 9e qu'il commandait, reçut neuf coups de baïonnette en traversant les bataillons autrichiens formés en carrés et s'empara de quatre pièces de canon et de trois drapeaux ; où le colonel Wattier, avec le 4e, le chef d'escadron Gobrecht avec le 2e, s'immortalisèrent. ***A Diernstein, à Austerlitz, dans toutes les rencontres de cette mémorable campagne, les Dragons eurent les pages les plus brillantes. Aussi ne saurait-on douter que ce fut pour récompenser l'arme tout entière que, par le décret du 15 avril 1806, l'Empereur créa un régiment de Dragons dans sa Garde. Ce régiment dut être organisé comme les Grenadiers et les Chasseurs : c'est-à-dire qu'il fut composé de cinq escadrons dont un de vélites — chaque escadron au complet de deux cent quarante-huit hommes, officiers et sous-officiers compris, divisé en deux compagnies — et d'un état-major comprenant un colonel commandant, deux majors, cinq chefs d'escadron, un chef d'escadron et un capitaine instructeurs, un quartier maître trésorier, deux adjudants-majors, cinq sous-adjudants-majors, trois adjudants lieutenants, quatre porte-étendards et cinq officiers de santé ; dans le petit état-major, vingt et un sous-officiers ou maîtres ouvriers, un trompette-major, trois brigadiers trompettes et un timbalier. De fait un tel régiment équivalait à une brigade de l'armée, le décret stipulait donc que, en campagne, chaque régiment de la Garde formerait deux régiments, composés de deux escadrons, l'escadron divisé en deux compagnies dites de manœuvre. Les majors prenaient chacun le commandement d'un régiment et le colonel faisait fonction de général de brigade. L'uniforme des Dragons de la Garde — que le peuple baptisa Dragons de l'Impératrice — était pour la coupe entièrement semblable à celui des Grenadiers à cheval, mais ce qui était bleu chez les Grenadiers était vert chez les Dragons et ceux-ci remplaçaient le bonnet à poil par un casque de cuivre rouge, à crinière noire pendante, surmonté d'un plumet rouge. L'armement était le sabre, les pistolets et le fusil de dragon. Le régiment devait être monté en entier en chevaux noirs. À sa création, le régiment, devait, pour les hommes, se recruter dans l'arme : chaque régiment de la ligne fournirait la première année douze hommes ayant au moins dix ans de services et la seconde dix. Mais les Dragons de la Garde ayant été entièrement organisés dans le courant de 1806, il fut prélevé en réalité vingt-deux vieux soldats sur chaque régiment de ligne. Les Grenadiers et les Chasseurs à cheval de la Garde devaient fournir les deux tiers des officiers et la totalité des sous-officiers et brigadiers. Mais cette proportion des officiers venant de la ligne, par rapport aux officiers venant de la Garde, ne paraît pas avoir été suivie. En 1806, sur cinq officiers supérieurs de l'état-major, trois viennent de la ligne ; en 1807, sur dix, sept au moins. Pour les capitaines de même. On a forcément écrémé les régiments pour fournir des éléments dignes de la Garde. L'Empereur semble avoir porté à ce régiment une affection si particulière qu'il lui donna successivement pour colonel commandant deux de ses cousins, les seuls parents qu'il avouât, qui servissent dans ses armées, dont il se fût occupé dès leur jeunesse et qui eussent mérité ses faveurs : Arrighi et Ornano. La mère de Jean-Toussaint Arrighi de Casanova, née Antoinette Benielli, était la fille d'Antoinette Pietra-Santa, sœur de Madame Ramolino, en secondes noces Madame Fesch, grand'mère de Napoléon. Arrighi était donc le cousin issu de germain de l'Empereur par sa mère. Ornano était au même degré du côté paternel ; sa mère, Isabelle Bonaparte, était fille de Napoléon Bonaparte, lequel était fils de Joseph, père de Charles et grand-père de l'Empereur. Arrighi recevait sur la cassette du Consul des gratifications parfois très fortes (ainsi 24.000 francs le 4 vendémiaire an XII) mais il n'avait pas de traitement fixe. Ornano, durant le Consulat, touchait 750 francs par trimestre et avait de temps en temps des gratifications (4.800 francs le 4 brumaire an XII par exemple) mais moins fortes qu'Arrighi. La différence qui se trouva entre leurs deux fortunes tint uniquement aux six années qui les séparaient. L'un, dès le Consulat, était d'âge à. tout recevoir ; l'autre, quoiqu'il eût, dit-on, commencé à servir à l'âge de treize ans, avait seize ans à l'avènement de Bonaparte au pouvoir. Ces six ans mirent la seule inégalité dans les honneurs qu'ils reçurent. Arrighi, colonel à vingt-deux ans, général de brigade à vingt-neuf, était à trente et un ans général de division et duc de l'Empire avec 288.000 francs de dotation annuelle, sans compter l'hôtel de la rue du Mont-Blanc, ses dotations italiennes et ce que l'Empereur lui avait donné d'argent comptant ; Ornano, avec ses six ans de moins, arrivait seulement au milieu de l'Empire à un haut grade : colonel à vingt-deux ans comme Arrighi, il était général de brigade à vingt-sept, général de division à vingt-neuf, il avait trente ans lorsque l'Empire s'écroula. Il était comte de l'Empire du 22 novembre 1808 avec 100.000 francs de dotation. Quelle fortune l'Empereur ne lui réservait-il pas ? Pour des honneurs il n'en manqua point, mais il ne les tint point de l'Empereur. Tandis que Arrighi, entièrement et passionnément fidèle, se dévouait à la famille à laquelle il appartenait et, après la proscription, se faisait le chargé d'affaires des Bonaparte, Ornano, porté lui aussi sur la liste d'exil, rentrait en France après un court séjour en Belgique, reprenait du service en 1828, était employé sous Louis-Philippe qui le nommait pair de France, siégeait à l'Assemblée constituante et à l'Assemblée législative et sous Napoléon III était successivement nommé sénateur, grand chancelier de la Légion d'honneur, gouverneur des Invalides. Il recevait enfin le 2 avril le bâton de maréchal de France. Certes, la fortune de ces deux hommes a été surprenante et leur parenté n'y nuisit point, mais on peut dire qu'ils y étaient presque égaux par leur cœur et par leur instinct de la guerre. Arrighi entré en l'an V, à dix-neuf ans, dans la 75e demi-brigade en qualité de lieutenant d'une des compagnies franches levées en Corse, venait d'être adjoint aux adjudants généraux lorsque fut signée la paix de Léoben. Attaché alors à l'ambassade de Joseph à Rome, il assiste au meurtre de Duphot, et revient à Paris à temps pour prendre part à l'expédition d'Egypte. Blessé à Salahieh et promu capitaine sur le champ de bataille, il est un des premiers à la brèche de Jaffa, il est de tous les assauts de Saint-Jean-d'Acre où il reçoit une blessure que l'on croit mortelle. Il se remet à peu près, arrive en France, retrouve sa place dans l'état-major de Berthier et charge avec fureur à Marengo. Il y gagne le grade de chef d'escadron et est désigné pour le 1er Dragons dont il devient colonel le 13 fructidor an XI. Il s'immortalise à la tête de ce régiment dans la Campagne de l'an XIV et son nom est inséparable du combat de Wertingen. Quoiqu'il y eût dans l'arme quantité de colonels plus anciens que lui, sa nomination dans la Garde ne pouvait passer pour une faveur de Cour. On le vit bien à Iéna et surtout à Friedland où il fut nommé général de brigade ; on le vit mieux encore pendant la courte campagne d'Espagne, à Benavente où il mena la charge, et en Autriche, à Essling, où il fut nommé général de division, et où, appelé à commander une division de Cuirassiers, il dut quitter ses Dragons. Il n'eut point Ornano pour successeur immédiat. Son remplaçant fut le comte de Bonardi de Saint-Sulpice, officier distingué, mais déjà vieux, qui avait fait une partie de sa carrière dans les Dragons, y avait débuté à seize ans, le 29 septembre 1777, comme sous-lieutenant et y avait gagné tous ses grades jusqu'à celui de colonel auquel il avait été nommé le 12 juillet 1792. Suspendu comme noble par les Représentants du peuple, replacé en l'an III comme adjudant général, Saint-Sulpice avait été aux Chasseurs à cheval, puis dans la Cavalerie, avant de passer, en l'an XI, général de brigade. Écuyer cavalcadour de l'Impératrice en l'an XIII, il n'en avait pas moins fait les campagnes de Prusse et de Pologne, et avait été blessé à Eylau ; général de division en 1807, comte de l'Empire en mai 1808 avec 50.000 francs de dotation annuelle, colonel des Dragons de la Garde le 12 juin 1809, il reçut encore en 1812, après la mort de Gudin, le gouvernement de Fontainebleau, mais il ne paraît pas avoir répondu, pendant la campagne de Russie, à ce que l'Empereur attendait de lui, car il fut mis à la retraite le 17 janvier 1813 et, le 21 du même mois, il fut remplacé aux Dragons par Ornano. Cette fois on ne pouvait se plaindre que le colonel fût trop vieux — il n'avait pas trente ans — et qu'il ne fût pas du corps, — car c'était comme dragon qu'il s'était le plus fait remarquer. Sous-lieutenant au 9e Dragons à seize ans, il avait fait les campagnes d'Italie de l'an VII à l'an IX, puis, comme aide de camp, avait suivi Leclerc à Saint-Domingue ; à son retour, il était entré comme capitaine dans l'état-major de Berthier. A la tête des Chasseurs corses, il se bat vaillamment à Austerlitz, à Iéna et à Lubeck. L'Empereur le nomme colonel du 2e Dragons et ce sont de nouveaux exploits en Prusse, en Pologne et surtout en Espagne où il est nommé général de brigade sur le champ de bataille de Fuentès d'Oñoro après une charge des plus brillantes. Commandant d'une brigade de cavalerie légère en Russie, il se distingue dans toutes les rencontres, est général de division cinq jours avant la Moskowa où il obtient des avantages marqués sur les cosaques de Platow et dégage l'aile gauche de l'armée. Mais c'est surtout pendant la retraite, à l'arrière-garde, sous les ordres de Ney, qu'il se signale. Il est le héros de Malo-Jaroslawetz et est laissé pour mort à Krasnoé. Sa récompense est l'emploi de colonel des Dragons de la Garde, mais bientôt il monte plus haut encore, car, après la mort de Bessières, c'est lui qui commande toute la cavalerie de la Garde et qui la mène aux charges célèbres de Dresde, de Bautzen, de Leipzig et d'Hanau. En 1814, il est chargé du commandement général des troupes de la Garde qui se trouvent à Paris et il prend une part considérable à la défense. Pourquoi faut-il que le colonel des Dragons de l'Impératrice ait recherché sous la première Restauration le commandement du Corps royal des Dragons, sous la seconde une inspection de cavalerie, sous Louis-Philippe une pairie ? La dignité — c'en était presque une — de colonel d'un régiment de la Garde obligeait à suivre la Cour ; l'Empereur ne ménageait point au colonel de ses Dragons, surtout à d'Ornano, les missions particulières ; par suite, tout le poids du régiment retombait sur les majors qui, en fait, — sauf durant le commandement du duc de Padoue, — étaient les véritables chefs du corps. De ces majors, un est resté depuis la création des Dragons de la Garde jusqu'à Fleurus, où il est tombé glorieusement en menant à la charge les escadrons de service, c'est Letort, un héros. Comme Lepic les Grenadiers, celui-ci incarne les Dragons. Lepic est plus populaire sans doute, mais Letort, s'il n'a pas la hardie et brillante repartie de Lepic, est l'homme qui a donné tout son sang et que Napoléon a salué LE BRAVE. Il est né à Saint-Germain-en-Laye en 1773, est parti volontaire en 91, et, son bataillon incorporé dans la 14Ge demi-brigade, il a fait dans ce corps les grades de lieutenant et de capitaine. Aide de camp alors du général Huet, il sert pendant trois ans près de lui et près de Hoche. Mais c'est à l'intérieur, à l'Armée des côtes de Cherbourg, dans l'Eure ou la Seine-Inférieure, et Letort s'ennuie de ne pas être aux coups avec les étrangers. Pour être employé dans la cavalerie à l'Armée d'Italie il offre de partir simple soldat. On lui laisse pourtant l'épaulette d'officier et il est désigné, en l'an V, sous-lieutenant au 9e Dragons. Lieutenant sur le champ de bataille en l'an VII, il est capitaine la même année, avec la jambe cassée d'une balle. Chef d'escadron en l'an IX après une admirable charge à Montebello, il passe en l'an XII major au 14e Dragons dont il paraît avoir commandé le dépôt pendant la campagne d'Autriche. Le 8 octobre 1806, il est nommé colonel-major des Dragons de la Garde et, pour ses débuts, six jours après, en chargeant à Iéna, il est blessé d'un coup de sabre. ll se signale en Silésie contre les partisans qui tiennent la campagne, en Espagne, en Autriche, en Russie et est fait général de brigade en janvier 1813 ; blessé grièvement à la tête à Wachau en menant à la charge les Dragons et les Lanciers de la Garde, quinze jours après, à Hanau, il est le premier aux coups ; il y court la tête bandée, sans casque ni chapeau, et il a un cheval tué sous lui. En 1814, le 24 janvier à Colombey, sur la route de Chaumont, avec deux mille fantassins et quatre cents cavaliers, il a une belle affaire contre le corps entier du prince de Wurtemberg. Le 12 février, à Château-Thierry, il se jette avec ses Dragons sur huit bataillons russes formés en carré et les détruit. Le lendemain, l'Empereur vient aux Dragons de sa Garde et, se découvrant : Brave Letort, dit-il, je vous fais général de division et comte de l'Empire. Grade et titre ne sont rien, mais quelle épithète désormais attachée à ce nom ! Letort désormais est LETORT LE BRAVE. Et il est tel jusqu'au dernier jour, tel à Méry-sur-Seine où, passant le fleuve à gué, il s'attache au prince de Wurtemberg et lui prend un équipage de pont ; tel à Arcis, tel à Saint-Dizier. Napoléon tombé, Louis XVIII roi, les Dragons sont maintenus comme Corps royal et conservent leurs officiers. Aussi, lorsque Napoléon revient de l'île d'Elbe, Letort pris entre son dévouement à son ancien maître et le nouveau serment qu'il a prêté, hésite quelques jours ; il empêche même ses Dragons de crier : vive l'Empereur ! Mais la patrie a besoin de lui. Letort, a dit plus tard Napoléon, était un des officiers de cavalerie les plus distingués : on n'était pas plus brave ; nul officier ne possédait à un plus haut degré l'art d'enlever une charge et de communiquer l'étincelle électrique aux hommes comme aux chevaux : à son exemple, les plus timides devenaient intrépides. L'Empereur le fait appeler, le convainc, le conquiert, le nomme son aide de camp et l'emmène comme son homme de main. Le 15 juin, à cinq heures après midi, l'Empereur a en face les Prussiens de Ziethen adossés au bois de Fleurus ; au moment où il va prononcer l'attaque, les Prussiens refusent le combat et se retirent. L'Empereur ne veut pas qu'ils lui échappent ; il n'a sous la main que les escadrons de service, il les donne à Letort et les lance à la charge. La position est tournée et enlevée. Letort enfonce trois carrés, met en déroute les 26e, 27e et 28e régiments prussiens, leur sabre quatre à cinq cents hommes et leur fait quinze cents prisonniers, mais il tombe frappé d'une balle dans le ventre, dont il meurt deux jours après. Il est mort au moins dans son rêve de victoire et ne sut point Waterloo. L'Empereur fut profondément affecté de la blessure de Letort. Je regrette beaucoup la perte du général Letort, écrit-il à Joseph. Notre perte, légère quant au nombre, dit-il dans le Bulletin, a été sensible à l'Empereur par la blessure grave qu'a reçue le général Le-tort, son aide de camp, en chargeant à la tête des escadrons de service. Cet officier est de la plus grande distinction. Letort est le héros des Dragons de la Garde et près de lui, l'on ne saurait placer, si distingués soient-ils, les autres majors du régiment. Fiteau pourtant mérite une mention : c'est lui qui, à Kaiserlautern, le 6 ventôse an III, lieutenant quartier-maître aux Partisans de l'Armée du Rhin, se fit jour avec quatre hommes au travers de quinze cavaliers tenant un défilé dans un bois et les mit en fuite ; qui, près de Valeggio, le 12 prairial an V, lieutenant au 7e bis de Hussards, aborda avec vingt-cinq hommes, deux escadrons napolitains et prit leur chef de sa main ; qui, en Égypte et en Syrie, se signala par vingt traits de folle intrépidité. Sortant du 3e Dragons où il avait été placé chef de brigade provisoire le 1er vendémiaire an IX, il fut nommé, le 13 septembre 1806, colonel-major des Dragons avec lesquels il servit jusqu'au 23 mai 1809 où il fut nommé général de brigade. Fiteau reçut à Wagram une blessure grave qui obligea l'Empereur à l'employer à l'intérieur ; mais, comblé de faveurs, titré comte de Saint-Étienne avec 12.000 francs de dotation, nommé commandant du département du Léman, Fiteau, dans un accès de folie, se tua d'un coup de pistolet. Marthod aussi vaut d'être nommé : c'est un Savoisien qui a débuté à la Légion allobroge, et est passé de là lieutenant au 150 Dragons. Il a fait toutes les campagnes d'Italie et d'Égypte se signalant à chaque affaire, surtout à Vicence, à Arcole, à Redesir, à Alexandrie. Chef d'escadron en l'an XI, major au 23e Dragons en l'an XII, il passa aux Dragons de la Garde en qualité de chef d'escadron, le 8 juillet 1807. Il fit la campagne d'Espagne avec le corps dont il fut nommé major en 1809. Il semble être resté en Espagne jusqu'en 1811, et ne revint que pour prendre part à l'expédition de Russie : le 25 septembre 1812, Marthod, envoyé en reconnaissance aux environs de Moscou avec un escadron du régiment, est attaqué par une nuée de cosaques. Il les charge, les culbute et rompt ensuite un régiment de cuirassiers ; mais l'ennemi grossit à vue d'œil : bientôt, c'est à quatre mille cavaliers que les Dragons ont affaire ; ils se défendent avec une intrépidité admirable, mais ils succombent à la fin. L'ennemi fait prisonniers cinquante hommes tous blessés. Marthod pour sa part a l'épaule gauche brisée de deux coups de sabre, le bras droit cassé, la cuisse gauche ouverte de deux blessures, le corps criblé de coups de lance. Il mourut dix jours après. Le dernier major des Dragons, Pinteville, fils d'un député de la Noblesse aux États-Généraux, était aussi un vétéran de l'arme et avait dix-huit campagnes à son actif : Allemagne, Côtes de l'Océan, friande, Saint-Domingue, Espagne, Pologne, Russie. Il remplaça Marthod en 1813, mais à la bataille de Kulm, il fut blessé si grièvement qu'il fut dès lors hors d'état de servir. Il est impossible de rapporter les états de service des chefs d'escadron. Il en est un, Testot Ferry, dont la biographie a été l'objet d'un intéressant travail et qui peut servir de type. C'est de la bravoure, de la loyauté, de l'honneur à revendre. Ces corps de la Garde, à les regarder homme par homme, sont pour imposer du peuple français, du vrai peuple, tel qu'il est sorti de la Révolution, une idée si haute qu'elle en est décourageante pour qui vit un siècle après eux. Et pourtant, même parmi eux, combien en citerait-on qui volontairement, sans idée de retour, brisèrent leur épée quand leur maître tomba, ne firent nulle démarche pour se faire accueillir des nouveaux venus, se retirèrent franchement, froidement, résolument, à l'écart et, ayant eu cet honneur de prêter leur serment entre les mains de l'Empereur, tinrent que rien, pas même la mort, ne pouvait les dégager. Arrighi fut un des deux ou trois hommes qui agirent ainsi et il faut au moins le dire. Malgré la gloire qu'ils se sont acquise, les dragons de la Garde ne sauraient d'ailleurs être égalés aux Chasseurs et aux Grenadiers. Ils n'ont pas comme ceux-ci décidé d'une de ces grandes journées où la fortune de la France était en péril. Ils n'ont point eu, comme arme, une autonomie et une façon de combattre qui leur fût spéciale. De fait, à partir de leur création, par leur constitution même et les éléments qui y avaient servi, ils ont doublé en quelque façon les Grenadiers et ont été bien plutôt grosse cavalerie que Dragons. Cela était inévitable et a eu une action indiscutable sur l'arme entière où le combat à pied a été de plus en plus dédaigné pour le combat à cheval et le fusil pour le sabre. Enfin, à partir du moment où l'Empereur veut constamment près de sa personne, sur le champ de bataille, cette réserve composée d'un escadron de chaque régiment de la Garde, qu'il tient toute sous sa main pour la jeter à son heure sur le point où le combat devient douteux, il est bien difficile de distinguer, dans ces charges des escadrons de service, les faits qui appartiennent à tel ou tel corps. Pour collective qu'elle est, la gloire n'en est pas moindre, mais c'est la cavalerie de la Garde tout entière qui la recueille. ***La création des Dragons de l'Impératrice marque l'apogée de l'arme entière et prépare sa décadence. On a, pour former en si peu de temps cet énorme corps équivalant à une brigade, écrémé les régiments, pris les officiers les plus distingués et les plus vieux soldats. C'est un prélèvement de près de mille hommes, tous de première ligne. Néanmoins, au début de la campagne de Prusse, les dragons se montrent encore merveilleusement. Napoléon n'a pas renoncé, comme il semble à quelques-uns, au système de formation des dragons à pied, puisque le 13 septembre il ordonne la constitution de six — puis seulement quatre — bataillons de Dragons à pied rattachés à la Garde par les officiers supérieurs qu'il leur donne ; mais dès le 23 octobre, ce corps est entièrement remonté avec les chevaux de la cavalerie saxonne, en même temps que le sont, avec des chevaux de prise ou de réquisition, les dragons non montés de chaque régiment (300 sur 915 au complet). Les Dragons prennent une part des plus actives à cette chasse gigantesque, ce rabat organisé avec un art si consommé qui porte à son comble la renommée de la cavalerie française et assure celle de Murat. Mais ces marches jour et nuit, de la Saale à l'Oder et à la Vistule, tuent les chevaux et épuisent les hommes. Ce sont des régiments fantômes qui arrivent à la frontière de Pologne. De plus par une étrange coïncidence, dans le courant de cette campagne presque tous les régiments de l'arme ont perdu leur ancien colonel pour en recevoir un nouveau. On trouve de l'année 1806, Delort promu au 24e, Lallemand au 27e, Dommanget au 10e, d'Oullembourg au 1er, de la Fitte au 18e, de Séron au 7e, Laroche au 13e, Giraux au 12e, Vial au 16e, Bouvier des Eclaz au 14e, Grézard au 3e, de la Motte au 4e, Girardin au 8e, Queunot au 9e, de Beurmann au 17e ; de l'année 1807, on trouve Ornano promu au 25e, Chamorin au 26e, Frossard au 22e, Picquet au 6e, Ismert au 2e, Dejean au 11e, Treuille de Beaulieu au 15e ; le 19e, le 28e et le 30e changent aussi de colonels. Ainsi sur trente régiments vingt-six ont perdu leur commandant en 1806 et 1807. Or il ne faut pas qu'on s'imagine que ce soit là, sous l'Empire, la proportion normale des mutations. De 1799 à 1815, chaque régiment de dragons n'a eu en moyenne que cinq colonels différents : encore pour arriver à ce chiffre, faut-il comprendre ceux qui se trouvaient en fonctions en 1799 et dont beaucoup dataient de 1793. Ce renouvellement presque intégral du cadre supérieur est donc surprenant. A quoi est-il dû ? Est-ce la mort qui a fauché ainsi tous les colonels de Dragons ? Non. Sur vingt-deux on en trouve trois qui ont été tués dans la campagne : Beckler du 8e, tué le 24 novembre 1806 au combat de Nazielsk ; Bourbier du 11e, mort le 9 février 1807 des blessures qu'il a reçues à Eylau ; Le Baron, tué le 6 février 1807 à Hoff-Saint-Dizier du 17e, tué à Albeck dans la campagne de l'An XIV, ne semble avoir été remplacé par de Beurmann que dans les premiers jours de 1806, mais Saint-Dizier n'est pas tué dans la campagne de Prusse. Bien plus que la mort, la formation de la nouvelle Cour et la création des Dragons de la Garde prennent des colonels. Aux Dragons de la Garde vont Arrighi du 1er et Fiteau du 3e. Dans la maison du prince Joseph, Cavaignac du 10e et Lafon-Blaniac du 14e ; dans la maison du prince Louis, Caulaincourt du 19e et de Broc du 13e ; dans la maison du prince Jérôme, Lefebvre-Desnoëttes du 18e. Or, si les écuyers de l'Empereur, de l'Impératrice et des princesses, pour qui le service de guerre passe avant tout, paraissent à leur régiment, la situation est autre pour les écuyers des princes, car ces princes ont eux-mêmes à ce moment des commandements : Joseph à Naples, Louis en Hollande, Jérôme en Silésie. Sept colonels sont donc enlevés de ce chef. Cinq ont été mis à la retraite : le 24 frimaire an XIV, Trouble du 24e (53 ans) ; le 14 novembre 1806, Terreyre, du 27e (49 ans) ; le 22 brumaire an XIV, Laveran du 7e (51 ans) ; le 16 février 1807 — onze jours après Eylau — Delorme du 26e (50 ans), enfin Dupré du 30e, a été contraint par l'état de sa santé à demander un commandement à l'intérieur. Onze enfin ont été promus généraux de brigade : Rigau, du 25e, le 12 janvier 1807 ; Pagès, du 12e, le 4 nivôse an XIV ; Clément de la Roncière, du 16e, le 31 décembre 1806 ; Privé, du 2e, le 14 mai 1807 (il était indisponible depuis Eylau où il avait été grièvement blessé) ; Wattier, du 4e, le 3 nivôse an XIV ; Maupetit, du 9e, le 30 décembre 1806 ; Barthelmy, du 15e, le 4 avril 1807 ; Carrié de Boissy, du 22e, le 13 mai 1807 ; d'Oullembourg, du 1er, le successeur d'Arrighi, le 4 avril 1807 ; Reynaud, du 20e, le 31 décembre 1806 et Detres, du 28e, le 4 avril 1807. Or, la plupart de ces colonels commandaient leurs régiments depuis sept ans au moins, plusieurs depuis dix à douze ans ; ce fut donc une désorganisation complète ; qu'on y joigne le prélèvement d'anciens soldats, d'anciens officiers pour les Dragons de la Garde, les mises à la retraite sans nombre amenées par une campagne aussi vive, par les fatigues, la rigueur de la saison et le feu de l'ennemi et l'on ne s'étonnera pas si, dans la seconde partie de la guerre, les Dragons, décapités en quelque sorte, se montrèrent au-dessous de leur réputation. On sait que Milhaud, promu divisionnaire le 1er janvier 1807 et placé à la tête d'une division de Dragons, vit, le 14 février, cette division prendre fuite devant une charge de cent cosaques et de deux cents hussards et qu'il écrivit à Murat : Je déclare que je ne veux plus commander à de pareilles troupes. A la suite de diverses affaires analogues, les loustics de l'armée baptisèrent les Dragons, gibier de cosaque et l'on put penser qu'ils ne s'en relèveraient pas. Mais leur infériorité en Pologne ne tenait qu'à l'absence d'officiers et de vieux soldats, à un afflux inusité de recrues qui n'étaient point suffisamment instruites. Lorsque les Dragons eurent passé quelque temps en Espagne, le pays qui mieux que tout autre semblait approprié h leur arme, qu'ils se furent aguerris par des escarmouches quotidiennes et qu'ils eurent acquis cette expérience plus nécessaire peut-être pour eux que pour les autres corps, ils redevinrent la troupe la plus redoutable et la plus utile qui fût dans l'armée. Ils eurent, pied à terre, d'admirables affaires, telles que celles de Puente Ferreira et de Berceira en 1808, celle d'Usagre et du Col d'Ave en 1811, celle surtout de Valencia de San-Juan en 1813, où ils se montrèrent aussi hardis fantassins que, ailleurs, comme à Alba de Tormes, à Tudela, à Ocafia, à Medellin, à Fuentes de Onoro, ils se montrèrent intrépides cavaliers. C'étaient des hommes de fer les dragons d'Espagne, lorsqu'ils vinrent unir leurs efforts aux débris de la grande armée d'Allemagne pour repousser l'invasion. Jamais ils ne furent phis héroïques que durant la campagne de France, à la Rothière, à Nangis, à Saint-Dizier, à Provins. Ils se taillèrent alors dans l'histoire une page que le temps ne saurait abolir ; sur leurs chevaux déferrés, qui les portent à peine, se redressant sous leurs uniformes en guenilles, sans chaussure, sans pain, sans solde, ils passent toujours prêts aux batailles, la compagnie d'élite avec le haut bonnet à poil, les compagnies du centre avec cet admirable casque dont le cuivre s'est noirci à la poudre ; ils chargent, les dragons de Milhaud et les dragons de Kellermann, et au milieu des carrés russes éventrés par leurs sabres, ceux-ci arrivés d'Espagne ; ceux-là venus d'Allemagne, ils se rencontrent, se retrouvent et s'embrassent. ***L'impression produite sur l'esprit de l'Empereur par la conduite des Dragons durant la campagne de Pologne, ne pouvait s'atténuer que par le temps, par des exploits nouveaux et une nouvelle gloire. Or, à ce moment même (1807-1808) apparaît un corps qui, par une action presque incroyable, attire l'attention et la bienveillance de l'Empereur, et qui bientôt, par suite du hasard d'un combat, réhabilite une arme oubliée, introduit de nouveau dans la tactique des éléments qui semblaient surannés, et détermine Napoléon à transformer presque entièrement l'armement de sa cavalerie. Sans doute, l'Empereur maintient tout entière sa théorie sur le feu de la cavalerie ; il y tient, peut-oh dire, plus encore, puisqu'il va décider que cavaliers lourds comme cavaliers de ligne et cavaliers légers, tous seront armés désormais du mousqueton, mais ce qu'il semble abandonner, non parce que le principe lui en semble faux, mais parce que les hommes ne sont ni suffisamment instruits, ni suffisamment aguerris, c'est le système du combat à pied. Certes, il ne le fait pas disparaître du règlement, et ce règlement est appliqué avec un succès indiscutable lorsque les hommes ont la valeur et l'entraînement nécessaires, mais le cas est rare ; il semble que Napoléon n'y a plus la même confiance et que les difficultés qu'il a éprouvées l'ont dégoûté. Durant le séjour de l'Empereur à Varsovie, une garde d'honneur s'était spontanément formée à l'imitation de ce qui se passait dans les Bonnes Villes de l'Empire, lorsque le souverain y faisait momentanément sa résidence. Ici la garde était d'autant plus brillante que l'enthousiasme des nobles polonais était plus. vif. Elle avait pour chef Vincent-Corvin Krasinski, le neveu du martyr de l'Indépendance, du saint évêque de Kamienieç, et les hommes qui la composaient appartenaient tous à de grandes familles. Une partie de ces jeunes gens accompagnèrent l'Empereur durant la campagne d'Eylau et, par leur tenue, leur éducation, leur dévouement, méritèrent sa confiance. Avant ce temps même, il avait proposé au Gouvernement provisoire de Pologne la levée d'un régiment de chevau-légers polonais qui lui servirait pour sa Garde. Il revint à cette idée, le 2 mars 1807, par une décision ordonnant la levée d'un pulk de cavalerie légère de quatre escadrons et, deux jours après, il organisa le détail de l'opération et du recrutement ; il demanda que le Gouvernement polonais se procurât des chevaux dans le pays ; quant aux hommes, si l'on pouvait, dit-il, former le régiment de jeunes gens comme les dix-huit qui composent ma garde d'honneur, cela serait bientôt fait. Le 6 avril, il avertissait Talleyrand qu'il avait signalé le décret pour la formation des Chevau-légers polonais de la Garde. Il avait fait les fonds nécessaires, nommé le colonel et les chefs d'escadrons parmi les Polonais, les majors et les adjudants-majors parmi les officiers français de la Garde. Il envoyait le major, de Finkenstein à Varsovie, pour que Talleyrand le présentât au Gouvernement polonais et s'efforçât de faire réussir ses demandes. Il prétendait, avant quinze jours, avoir un escadron ; déjà, il avait envoyé des officiers à Posen pour acheter l'armement nécessaire, mais il voulait en même temps que le recrutement ne laissât rien à désirer. En les payant comme ma Garde, écrit-il, vous sentez que mon intention a été de n'avoir que des hommes qui eussent de l'éducation, qui fussent habitués au service du cheval et non des paysans à dégrossir, ce qui serait extrêmement long. Malgré cette volonté si formellement exprimée, ce ne fut qu'assez longtemps après la signature de la paix, au mois de septembre, que le premier escadron du nouveau régiment put être dirigé sur la France. Le second partit le 18 septembre et le troisième en janvier 1808. On avait suivi strictement les intentions de l'Empereur dans la composition du régiment et ceux qui y étaient entrés avaient bien plus l'allure de gentilshommes ; servant pour leur compte que de soldats. C'était quelque chose comme l'ancien arrière-ban de France au temps où il était héroïque, les vrais fils de ces Usarz dont un seul escadron de cent quarante hommes, l'escadron du prince Alexandre Sobieski, devant Vienne assiégée, presque rendue, traversa de part en part, une armée de cent quatre-vingt-cinq mille hommes et revint, brisant de nouveau les lignes turques, sans avoir perdu plus du quart de son effectif. Les simples soldats sont ici aussi nobles que les
officiers, car, pour recruter le régiment, un appel a été adressé, avec
l'autorisation de Poniatowski, à tous les gentilshommes servant dans les
troupes de lignes ; et, attirés par la pensée de
faire leurs premières armes sous les yeux d'un monarque dont le nom seul
donne l'idée de toutes les vertus et de toutes les qualités guerrières,
ils se sont empressés d'y répondre. Les supérieurs disent : Messieurs, à leurs inférieurs. Nulle discipline,
nulle instruction militaire, mais un zèle admirable et une bravoure qui ne
peut être surpassée. Le corps a pour colonel, plutôt nominal qu'effectif, le comte Krasinski. Outre que le fait d'avoir été commandant de la garde d'honneur le désigne, l'Empereur n'a guère eu d'autre choix. Si l'enthousiasme avait été extrême dans les premiers mois de 1807, il s'était bien refroidi depuis Tilsitt. La petite noblesse voulait bien encore marcher de l'avant, mais la haute n'entendait point se compromettre et, tout en souhaitant sans doute l'indépendance de la patrie, elle n'était pas plus disposée à se sacrifier pour elle qu'elle ne l'avait été jadis. Napoléon, c'était bien la France, mais c'était encore et toujours la Révolution. Nul des grands noms de la Pologne n'avait figuré jadis dans les légions de Dombrowski. Si un Sulkowski s'était trouvé de l'état-major de Bonaparte, c'était un bâtard. A présent, sauf Poniatowski et quelques autres (en 1812, cet héroïque Dominique Radziwill), la plupart se réservaient, voulaient que l'Empereur fit une Pologne, mais ne se tenaient nullement obligés de se battre avec lui et moins encore pour lui. Or, pour son régiment de Chevau-légers, Napoléon voulait un nom. Il prit Krasinski parce qu'il était d'une race illustre, de la maison de Slepowron et que ses ancêtres avaient vaillamment lutté pour l'indépendance nationale, mais ce n'était pas sur son instruction militaire qu'il pouvait compter. Les majors français avaient la charge du régiment, et, pour le premier, Napoléon, cette fois, ne semblait pas avoir choisi l'homme qu'il fallait. Certes, Delaître était un beau soldat ; sorti de Tiron en 1791, il avait longtemps servi d'aide de camp à Canclaux à l'armée de l'Ouest, puis avait fait l'expédition d'Egypte comme aide de camp de Caffarelli d'abord, puis de Kléber et de Damas. Au retour, en l'an X, il avait été placé capitaine à la première compagnie des Mamelucks. Il s'était distingué en cette qualité à Austerlitz où il avait été nommé chef d'escadron et avait fait avec les Mamelucks les campagnes de Prusse et de Pologne. C'est là que l'Empereur le prend pour le nommer premier major des Chevau-légers..0r, l'instruction militaire des Mamelucks était jusque-là des plus élémentaires. Ils se tenaient à peu près en groupe lorsqu'ils marchaient, mais dès qu'il y avait bataille, c'était comme aux Pyramides ou à Embabeh qu'ils chargeaient. Carrés russes à dite vrai, au lieu de carrés français : ils enfonçaient donc ceux-là mieux qu'ils n'avaient fait ceux-ci, mais, pour peu, après la victoire, ils eussent repris leurs anciennes méthodes et porté aux pieds de leur nouveau sultan, les dépouilles des vaincus. C'était leur façon : ils ignoraient toute règle tactique, partaient au signal comme une volée de pigeons et revenaient — ceux qui revenaient avec des têtes. Pour instruire les Polonais qui n'étaient que trop disposés à imiter le désordre des Mamelucks, Delaître pouvait sembler un homme peu approprié, mais peut-être au moment où il créa le régiment, l'Empereur avait-il la pensée que les Chevau-légers devaient avoir un système de guerre analogue à celui des Mamelucks ? Le major en second était tout l'inverse de Delaître. Un personnage étrange, ce Dautancourt, qui, soldat depuis 1792, n'avait jamais fait la guerre que comme officier de la Gendarmerie d'élite. Quartier-maître trésorier en l'an II, puis commis-greffier du tribunal militaire, puis officier de sûreté, juge militaire, lieutenant de Gendarmerie et, après le procès du duc d'Enghien contre lequel il avait requis comme rapporteur, capitaine, chef d'escadron et officier de la Légion, c'était l'homme de main de Savary. Nul ne connaissait alors ses qualités comme instructeur, mais l'on pouvait être assuré qu'il porterait dans l'observation des règlements la même sévérité qu'il avait exigée dans l'application du Code militaire. Malheureusement Dautancourt ne rejoignit pas tout de suite le régiment, et que pouvait faire Duvivier, l'unique capitaine adjudant-major français, un hussard de l'an II, passé ensuite au 3e Dragons, nommé sous-lieutenant en l'an VIII après une blessure et six campagnes — Nord, Sambre-et-Meuse, Italie et Égypte, — entré à son retour d'Égypte aux Grenadiers à cheval, strict observateur des consignes, mais incapable de donner l'impulsion à cette troupe étrange ? Ce n'était pas qu'il ne fût séduisant ce régiment d'un genre nouveau et qu'il n'eût un charme pour se faire adorer des Français au milieu desquels il passait. Quand les Chevau-légers polonais s'établirent à Chantilly, dans ces écuries qui semblent attendre à présent la Maison rouge des Rois disparus, ils ne déparèrent point leur caserne d'un jour et ce fut, dans la ville, un enthousiasme dont le souvenir dure encore et que leurs folles dépenses ne furent pas pour diminuer. C'était joli aussi cette tenue qu'ils portaient : la veste ou kurtka bleu de roi avec le collet, les revers, les parements et les retroussis cramoisi, les aiguillettes et les épaulettes en fil blanc ; c'était joli et nouveau ce pantalon cramoisi à bandes bleues qui descendait sur les bottes ; et surtout ; ce qui étonnait nos gens, c'était ce schapska cramoisi, cannelé, carré presque depuis la forme, que timbrait un soleil de cuivre portant au centre un N couronné, et où brimbalaient un chaîneton en cuivre et un cordonnet de fil blanc sous un très haut plumet blanc. L'armement n'avait rien encore qui surprit : c'était un sabre, une carabine et un paire de pistolets. De ces armes et surtout de leurs chevaux pour les manœuvres, ils ne savaient pas se servir et lorsque, appelés par l'Empereur à Bayonne, ils subirent pour la première fois son inspection, ils s'embrouillèrent si fort dans une conversion, qu'ils ne purent s'en tirer. Ces jeunes gens ne savent rien, dit l'Empereur et il leur donna comme instructeur son aide de camp, le général Durosnel qui en moins de deux mois, avec un zèle et une patience infinie, les mit au pair. Lorsque l'Empereur entra en campagne, ils furent en mesure de le suivre, de faire exactement le service de reconnaissances et de grand'gardes et de marcher régulièrement. Aussi bien ce n'était pas là ce qu'on allait leur demander. Le 30 novembre 1808, à la première heure, l'Empereur arrive devant le défilé de Somo-Sierra que traverse la grande route de Castille allant à Madrid. Nul autre passage que celui-là : de tous côtés, des rochers infranchissables. Un corps ennemi, que les rapports les plus modérés évaluent à treize mille hommes, occupe le défilé, est embusqué derrière toute pierre, tout buisson. La route ne grimpe pas droit mais en lacets : d'en bas jusqu'au sommet, quatre coudes : à chaque coude, quatre pièces de canon : à l'endroit où la pente roidit dans le défilé, un large fossé. Trois régiments d'infanterie du corps Bellune, appuyés de six pièces de canon, commencent l'attaque par la droite et la gauche, poussent les avant-postes espagnols, mais s'arrêtent devant le feu et reculent. L'escadron de service près de l'Empereur est des Chevau-légers. Napoléon s'impatiente : Enlevez-moi cela au galop ! dit-il aux Polonais. Le chef d'escadron Kozietulski lève son sabre et, au commandement, l'escadron se porte rapidement au trot vers la montagne en colonne par quatre avec, en tête, près du commandant, Philippe de Ségur, maréchal des logis de la Maison. On prend le galop pour sauter le fossé et, d'un élan désormais, l'escadron court, égrenant des hommes, de sa grappe rouge, à chaque pierre de la route, mais si rapide, si étrange, si lumineux, que, après ces quatre coudes de feu franchis et ces quatre batteries prises, quand un lieutenant, un maréchal des logis et quatre chevau-légers parviennent vivants au sommet, c'est assez pour que des régiments entiers d'Espagnols s'effarent et s'enfuient. Qu'on comprenne bien : il s'agit d'un escadron qui, au grand complet, tel qu'un escadron des Grenadiers ou des Dragons, aurait eu deux cent quarante-huit sabres. Ces deux cent quarante-huit (et ils n'étaient certes pas en tel nombre, à peine cent cinquante) ont fourni la charge de bout en bout, ont reçu le feu de treize mille hommes, de seize pièces d'artillerie. Des officiers qui ont traversé cette fournaise, pas un n'est resté debout. Le chef d'escadron Kozietulski, tombé sous son cheval mort, foulé aux pieds et couvert de contusions ; Philippe de Ségur percé de trois coups de feu ; les deux capitaines blessés, un à mort. Des quatre lieutenants trois tués, un blessé — c'est ce Niegolewski qui a laissé son témoignage sur le combat. — Des hommes, cinquante-sept sont tués. N'est-ce point ici le pendant de la charge des Usarz d'Alexandre Sobieski et les Chevau-légers ne sont-ils pas plus héroïques encore ? Ils n'ont, eux, pour les protéger des coups de l'ennemi, ni le casque d'acier, ni la cotte de mailles que recouvre encore une cuirasse en acier, ni les épaulettes, les genouillères et les brassards d'acier ni ces deux longues tiges de fer, emplumées de plumes d'aigle ou de vautour qui remontent derrière la tête, et dans le galop effréné de la charge prenant quelque chose d'ailes d'anges, font penser aux exterminateurs célestes ; — et, pour armes, rien que le sabre aux Chevau-légers, tandis que les Usarz ont cette lance immense, de quinze à dix-huit pieds où flotte la très longue banderole mi-partie, au côté gauche le sabre recourbé, à la selle la rapière étroite et longue, à la ceinture des pistolets, et le maillet de fer pendant à la longue courroie. La lance — non plus la lance des Usarz longue de dix-huit pieds, mais la lance de huit pieds six pouces — les Chevau-légers polonais la reconquirent à la bataille de Wagram. Chargeant contre un régiment de hulans autrichiens, ils en ont raison avec le sabre et la carabine : dans la mêlée quelques hommes s'emparent des lances de leurs adversaires. Tous les imitent et c'est par la lance qu'ils achèvent la défaite de l'ennemi. Puis, avec ces lances, ils enlèvent, soutenus par les Chasseurs de la Garde, quarante-cinq canons, détruisent quatre régiments de cavalerie et font prisonnier un prince d'Auesperg. Qu'on leur donne des lances, puisqu'ils savent si bien s'en servir, dit l'Empereur à Bessières. ***Désormais, la lance, la reine des armes, comme a dit Montecuculli, a repris ses droits dans l'armement de la cavalerie. Napoléon n'a pu revenir sur l'opinion qu'il s'est faite des Dragons. Il apprend chaque jour les avantages obtenus en Espagne par le régiment des Lanciers polonais attachés à la Légion ci-devant Polacro-Italique, actuellement Légion de la Vistule et par les Lanciers de Berg ; il vient de constater à Wagram quelle arme est la lance. D'ancienne date, l'idée de la lance le tourmente puisque, dès l'an IX, il a fait armer de lances un escadron du 3e Hussards qu'il passa minutieusement en revue à une parade du Quintidi. Mais ces hussards n'avaient ni tradition, ni instructeurs, ni sentiment de la lance. Ils ne tenaient pas une arme, ils portaient une gaule. Le Premier Consul, en ce temps, a donc dû ajourner son projet. Voici que, à présent, les faits lui donnent raison, et terriblement raison. Et désormais la lance lui apparaît, à lui et aux officiers principaux de son armée, comme l'arme blanche dont l'effet moral est le plus puissant et dont les coups sont les plus meurtriers. Elle lui apparaît telle qu'elle est, l'arme la plus vive, la plus légère, la plus spirituelle, la plus efficace et la plus terrible maniée par un cavalier intelligent, l'arme la plus lente, la plus lourde, la plus bête, la plus inutile aux mains d'un sot. Il fallut porter à cet apprentissage une attention particulière, car tant vaut le lancier tant vaut la lance : mais Napoléon ne doute pas que le Français ne puisse y devenir aussi habile que le Polonais et qu'elle ne devienne pour celui-là comme pour celui-ci une arme nationale. N'était-ce pas à ce moment même, qu'il revenait par un côté au système des Compagnies d'ordonnance en cuirassant toute sa cavalerie de bataille y compris les Carabiniers ? N'a-t-il pas alors le projet d'armer de lances un escadron par régiment de Cuirassiers, ce qui serait le retour intégral aux théories soutenues par le maréchal de Saxe et peut-être empruntées par lui aussi de ses souvenirs polonais ? S'il ne peut se déterminer à embrasser complètement ce système, et à revenir nettement en arrière aux vieilles traditions, du moins ne peut-il, en donnant à l'arme des Lanciers, à peine reconnue jusque-là et nullement française, une existence et une importance, la combiner avec la grosse cavalerie en sorte qu'elle lui emprunte de sa solidité et qu'elle lui prête le piquant de ses armes ? Dautancourt, spécialement chargé de l'instruction des Chevau-légers de la Garde, fut désigné par, l'Empereur pour établir les bases d'une instruction sur l'exercice et les manœuvres de la lance. Dans ce but, il appela certains officiers polonais du régiment des Lanciers de la Vistule ; il envoya en Pologne des Français qui examinèrent attentivement les manœuvres des Lanciers du Grand-Duché : en sorte que la théorie expérimentale et pratique fut rapidement établie. Dès que Dautancourt eut remis son travail au ministre de la Guerre (15 juin 1811), l'Empereur, par décret du 18 juin, créa l'arme des Chevau-légers. Cette arme fut composée, dans la ligne, de neuf régiments : six étaient tirés des Dragons — preuve nouvelle que l'Empereur ne leur avait pas pardonné — où ils portaient les numéros 1, 3, 8, 9, 10 et 29 ; deux étaient polonais et semblent de nouvelle levée, un enfin était l'ancien 30e régiment de Chasseurs (désigné 30e Lanciers dans la lettre du 11 avril 1811) et formé cette même année de cavaliers westphaliens et polonais. Pour permettre d'utiliser les existences de drap vert dans les magasins des régiments de Dragons transformés, l'Empereur ne donna point le même uniforme à toute l'arme. Les six premiers régiments eurent la veste de chasseur à cheval verte, avec collet, revers, parements et retroussis, d'abord aux couleurs distinctives des régiments de Dragons dont ils sortaient, puis respectivement écarlate, aurore, rose, cramoisi, bleu de ciel et garance ; le pantalon vert à la hongroise, et le casque à chenille sans plumet ; les trois derniers régiments eurent le kurtka bleu, avec collet, revers, parements, retroussis et passepoil jaune ou chamois, et le schapska bleu avec pompon rouge. Par l'armement qu'il donna aux Chevau-légers, il semble que l'Empereur prétendait non seulement tirer d'eux les avantages qu'il pouvait se promettre de lanciers, mais leur demander le même service qu'aux dragons. Peut-être était-ce beaucoup exiger ? Peut-être n'était-il pas nécessaire que tous les Chevau-légers fussent armés de la lance et était-il préférable, comme le proposaient Walther et Dautancourt, que le premier rang seul en fût muni, tandis que, au second rang, les hommes auraient été armés de carabines, mais le double but que se proposait Napoléon n'eût point été atteint et l'un eût ainsi été sacrifié à l'autre. Il est vrai que cela entraînait que chaque cavalier portât une sorte d'arsenal : lance à fanion rouge et blanc, fusil à baïonnette, sabre et pistolets, et que, en campagne, bien des pièces s'en trouvèrent égarées. L'Empereur poussait si loin sa confiance dans la nouvelle arme qu'il venait de créer que, en même temps qu'il lui donnait ainsi neuf régiments de ligne, il constituait dans la Garde un deuxième régiment de Chevau-légers armés de lances. Ce régiment eut pour noyau les Hussards de la Garde royale de Hollande et, au début, sauf son colonel, le général baron Edouard Colbert et son major, Dubois, le corps d'officiers était exclusivement hollandais. Pour porter les escadrons à l'effectif de guerre, on les compléta, dit-on, avec des hommes recrutés aux environs de Paris. Ce corps portait le kurtka écarlate, avec collet, revers, parements et retroussis bleu impérial ; sur le kurtka, des épaulettes et des aiguillettes jaunes ; il avait le pantalon écarlate à bande bleue passant sur les bottes, et les schapska carrés, rouges, cannelés avec un N couronné rayonnant, cordonnet de fil blanc et plumet blanc. La lance au 1er régiment poilait un fanion cramoisi (couleur nationale de Pologne) et blanc ; au 2e le fanion était rouge et blanc. Ce n'était pas assez encore : au début de la campagne de Russie l'Empereur créa un troisième régiment de Chevau-légers de la Garde dont il confia le recrutement et le commandement à cet admirable Konopka qui, depuis 1795, s'était signalé dans les armées françaises par sa valeur hors de pair. C'était le héros de Friedland, de Ciudad-Real, de Badajoz. Là, avec ses lanciers de la Vistule, il chargea trois régiments anglais qui avaient débordé l'aile gauche de l'armée, leur enleva cinq drapeaux et leur prit cinq cents hommes. L'Empereur l'avait nommé officier de la Légion ; il le fit, le 27 janvier 1812, major en premier du 1er Chevau-légers de la Garde à la place de Delaître passé colonel du 7e chasseurs, et, à son entrée en Pologne, il le chargea (décret du 5 juillet) de lever en Lithuanie ce nouveau régiment. Konopka s'y employa avec le plus grand zèle et le procès-verbal de formation put être signé le 12 septembre, mais, au milieu d'octobre, le corps qui comptait à peine cinq cents hommes fut surpris à Slonim par un fort parti russe et presque anéanti. Konopka, blessé, tomba aux mains de l'ennemi avec la caisse du régiment et tous les effets d'habillement et d'équipement. On ne sut jamais ce qu'il était devenu. Ce qui restait du régiment suivit l'armée française à son retour de Russie, et fut, par décret du 22 mars 1813, incorporé dans le 101 Chevau-légers. On est en droit de supposer que, conservant son uniforme étrange, ce fut l'escadron formé des débris du 3e régiment qui forma les Tartares lithuaniens. A défaut du 3e Chevau-légers lanciers, il semble qu'en 1813, les Lanciers de Berg furent, au moins virtuellement, incorporés dans la Garde impériale. Ce régiment, levé par Murat dans son grand-duché, avait eu en Espagne de brillants états de services ; l'Empereur, en attribuant, le 3 mars 1809, à son neveu le prince de Hollande, Napoléon-Louis, les États délaissés par Murat pour la couronne des Deux-Siciles, s'était réservé la tutelle du jeune prince. On peut expliquer ainsi qu'il ait voulu dans sa Garde une représentation de cette principauté. Les Lanciers de Berg, il est vrai, ne figurent sur aucun état imprimé ; mais ils faisaient brigade avec le 20 Chevau-légers et leur dépôt marchait avec les dépôts de la Garde. L'histoire des Lanciers de Berg comme celle d'ailleurs de la plupart des troupes auxiliaires et alliées, est singulièrement inconnue et mériterait qu'on s'y attachât. De même n'a-t-on que des notions confuses sur les trois régiments d'Eclaireurs de la Garde créés par décret du 9 décembre 1813. Le premier de ces régiments fut attaché aux Grenadiers à cheval, le second aux Chasseurs, le troisième au 1er régiment de Chevau-légers. Ces régiments d'Eclaireurs dépendaient du conseil d'administration et du colonel du régiment auquel ils étaient attachés et les deux premiers se composaient de deux éléments : l'un Vieille garde, formé de Gardes d'honneur ; l'autre, Jeune garde, de conscrits. L'uniforme variait selon les régiments et selon l'origine. Le troisième régiment avait été constitué avec six compagnies supprimées du 1er régiment de Chevau-légers lequel, par suite des circonstances de guerre, de l'incorporation du 3e Chevau-légers et des Volontaires de Cracovie était arrivé à compter quatorze compagnies. Il portait presque le même uniforme que le régiment dont il était issu. Ces Eclaireurs étaient tous armés de la lance et il est à penser qu'en attachant ainsi chacun de leurs régiments à ceux de Vieille garde, l'Empereur avait eu la pensée d'appliquer à la Garde la théorie qu'il avait adoptée pour la ligne, lorsque, par décret du 25 décembre 1811, il avait momentanément ordonné qu'un régiment de Chevau-légers lanciers fût attaché à chaque division de Cuirassiers. Pourtant, en 1813, il avait renoncé à ce système et avait embrigadé les Chevau-légers uniquement avec la cavalerie légère. Si, de ce chef, l'Empereur semble avoir abandonné son premier projet, il n'en tenait que davantage à la lance pour la cavalerie légère puisque, dans beaucoup de régiments de Chasseurs, surtout de ceux qui avaient fait la guerre au delà des Pyrénées, il avait admis qu'un escadron reçût et portât la lance. Cette arme d'ailleurs avait si bien fait ses preuves en Espagne que le maréchal Suchet avait organisé dans la légion de Gendarmerie de son armée d'Aragon un ou peut-être même deux escadrons de Lanciers-gendarmes. Ce n'est pas encore tout ce qui a paru de lanciers dans les dernières armées de Napoléon : il faut y joindre au moins six régiments de Lanciers polonais et un Régiment d'avant-garde de la même nation, et neuf régiments de Chevau-légers de Bavière, de Wurtemberg, de Wurtzbourg, de Saxe, de Hesse et de Westphalie qui, la plupart, paraissent avoir eu la lance. On ne saurait trop répéter combien est peu étudiée, en France, cette histoire des corps alliés. Il en est, comme les Cosaques Cracus, sur qui l'on cherche en vain une indication et qui pourtant ont dû combattre jusqu'aux derniers jours dans nos rangs. On est un peu mieux fixé sur l'historique des 1er et 2e Chevau-légers de la Garde et il est à penser que d'ici peu la lumière se trouvera entièrement faite : Dautancourt a raconté les campagnes de ses Polonais dans de précieux cahiers dont on n'a vu encore que quelques extraits, mais dont on ne saurait retarder davantage la publication. On connaît leur belle conduite en Russie, à Hanau, à Montmirail, à Montereau, à Bery-au-Bac et à Craonne. A Bery-au-Bac, le chef d'escadron Skarzinski, qui mène la charge, enlève un pont défendu par une division de cavalerie ennemie et garni de deux pièces de canon. Le pont franchi, les Russes en pleine déroute, Skarzinsky arrache des mains d'un cosaque une lance très longue et très lourde, jette son sabre, et dans une sorte d'ivresse de force et d'agilité, tantôt il assomme les fuyards de coups de travers, tantôt il les perce et les désarçonne. Les autres officiers l'imitent et les hommes, grisés par cet exemple, font un véritable carnage. Après l'Abdication, le régiment, sauf un escadron qui accompagna l'Empereur à l'île d'Elbe, passa au service de la Russie où le général Krazinski fut l'objet de nombreuses faveurs, et les officiers français furent mis à la suite de l'ancien 2e Chevau-légers, devenu Corps royal des Chevau-légers de France. Ce corps, si populaire en France sous le nom de Lanciers rouges, a eu lui aussi pour historien son colonel, dont les mémoires, d'après l'analyse trop courte qu'on en a publiée, doivent être d'un prodigieux intérêt. Superbe en Russie et en Allemagne, où cent Lanciers rouges s'emparèrent d'une batterie de vingt bouches à feu défendue par deux régiments de hussards, ce corps s'immortalisa à Waterloo où il culbuta les gardes anglaises et où il combattit jusqu'à la dernière heure. Sur les neuf régiments de Chevau-légers de la ligne, il en est six français dont on suit à peu près les itinéraires, mais pour les trois polonais, dont un est licencié en 1813, l'obscurité est complète. On sait qu'endivisionnés avec les Cuirassiers pendant la campagne de 1812, les Chevau-légers n'ont. à ce moment guère d'histoire. Ils doivent fournir à ces divisions les escortes, les estafettes, les ordonnances, les grand'gardes, les reconnaissances ; ils font tout le service d'éclaireurs, flanqueurs ou tirailleurs, et lorsqu'une ligne d'infanterie ou de cavalerie est enfoncée, ils sont seuls chargés de la poursuite. Parfois pourtant c'est à eux qu'on a recours pour enfoncer la ligne sur qui les lattes de cuirassiers ne peuvent mordre. Ainsi, à Dresde, le 27 août 1813, les Cuirassiers de La Tour Maubourg ne peuvent parvenir à rompre l'aile gauche des Autrichiens, bien que leurs fusils mouillés ne partent pas ; La Tour Maubourg a l'idée de placer devant le premier rang de ses cuirassiers ses cinquante lanciers d'escorte qui font trou dans les carrés ennemis et permettent aux cuirassiers de les anéantir. Le 1er Chevau-légers, commandé par Dermoncourt, se fit remarquer à Smolensk, à la Moskowa, à Lutzen, à Bautzen, à Reichembach, surtout à Waterloo où, embrigadé avec le 2e, il fournit une charge furieuse sur le 7e hussards anglais et sur les dragons de la Reine. Le soir, la bataille perdue, il écrase encore les dragons de Cumberland. Le 3e a Lebrun, son colonel, tué à sa tête le 26 octobre 1812. Le 4e, poursuivant les Russes après la bataille de Smolensk, le 27 août, au combat de Rygbi, enfonce un bataillon ennemi et lui prend cent hommes ; il s'immortalise à Waterloo sous les ordres de Brô, quand il prend avec le 7e et le 4e Cuirassiers sa part de la tuerie des Écossais gris de la brigade Ponsomby, et sur mille deux cents hommes en tue sept cents, dont le général troué de sept coups de lance, et les deux lieutenants-colonels. La démonstration peut sembler faite : l'Empereur a tenu la lance pour l'arme la plus propre à la cavalerie : il a partagé en cela la théorie arrêtée en l'esprit du maréchal de Saxe et de Montecuculli, théorie évidente par le raisonnement, prouvée par la pratique. Sans doute, l'Empereur ne revient pas directement à la Compagnie d'ordonnance, il n'arme point directement son Cuirassier de la lance, mais il met à côté de lui le Chevau-léger, qui, selon les occasions, prépare ou achève la besogne. Les rôles de cavalier léger et de cavalier lourd sont inversés selon les temps, mais le principe subsiste. De même, pour les troupes légères, la lance n'est-elle pas cette sorte d'épée longue ou de broche, le pansterrêche comme on disait, lance de plus de cinq pieds de long, dont les Hussards étaient armés lors de leur première apparition au service de France ? Nul dessein prémédité de la part de Napoléon ; c'est malgré lui, en quelque façon, que, contraint par son implacable logique, il retourne vers le passé et renoue la chaîne interrompue des traditions : par l'examen attentif des services que, selon son armement, tel ou tel corps doit rendre dans ses armées, il rétablit ce que les siècles d'expérience ont enseigné aux Gens d'armes et aux Hussards sur les moyens dont ils peuvent se rendre le plus redoutables. En un jour, un mois, une année au plus, sa conviction est acquise et son plan est établi. L'histoire, peut-on croire, ne sert point ici d'institutrice. C'est le génie qui devine, non la mémoire qui se souvient. S'il fallait, pour ceux qui n'ont pas de génie, une preuve certaine de l'utilité des études rétrospectives, celle-ci suffirait. Au temps où la guerre était l'état habituel des peuples, les hommes qui en faisaient librement leur métier n'adoptaient point sans de bonnes raisons telle ou telle arme d'où dépendait leur existence. Ils en savaient plus long sur ce point que les réformateurs de cabinet, ils avaient plus d'intérêt à s'en instruire, et si cette arme n'eût pas assuré leur avantage sur leur ennemi, pourquoi l'eussent-ils conservée durant des générations ? S'ils ont abandonné cette arme lorsqu'ils furent, d'hommes libres, devenus serfs, de partisans, soldats, c'est qu'elle a déplu à quelque chef ou quelque ministre qui n'en comprenait pas l'usage ou qui, épris de l'uniformité, ne pouvait admettre des armes .qui ne fussent point dans l'aide-mémoire. Qu'une occasion se présentât comme à Wagram, où, sous leur main, les hommes retrouvassent l'arme traditionnelle, avec quelle ardeur ils s'en emparaient et comme ils savaient prouver qu'elle valait mieux que les armes réglementaires ! Seulement où trouver, hors Napoléon, le chef que l'expérience éclaire ou que l'histoire instruit. Lui, ne laisse échapper nul fait dont il puisse s'emparer pour accroître la puissance de son armée. Ses idées ne sont pas engluées par la routine et son esprit est libre à la fois des leçons des écoles et des préjugés des armes. Et c'est là entre autres — une des raisons pour lesquelles il a fait de grandes choses. |