LE CARDINAL DE BERNIS, DEPUIS SON MINISTÈRE — 1758-1794

 

CHAPITRE XV. — LA. RÉVOLUTION. - LA DESTITUTION (Novembre. 1789. - mars 1791).

 

 

Sources : AFFAIRES ÉTRANGÈRES, Rome, p. 912 et suiv., Consulats, Dossiers personnels, Papiers de Finances. ARCHIVES BERNIS, Lettres à Montmorin à Flavigny, et correspondance avec M. Gorsse. ARCHIVES D'ALBI, Pièces sur le schisme de 1791. Voir les Sources imp. du chapitre II. — THEINER, Documents inédits aux affaires religieuses de la France, 1790 à 1800, Paris, 1857, 2 vol. in-8°. GUILLON, Collection générale des brefs et des instructions de N. S. P. le pape Pie VI, Paris, 1798, 2 vol. in-8°. Pu VI, Pont. Max., acta quibus ecclesiœ catholicœ camamitatibus in Gallia consultum est, Rome, 1871, 2 vol. in-12.

 

L'hiver de 1789-90 à Rome. — Les émigrés. — Les révolutionnaires. — Lee pensionnaires de l'Académie. — Les voyageurs. — Les Polignac. — La famille du Cardinal. — Bruit du rappel de Bernis. — Mauvaises nouvelles d'Albi. Politique de la France à Rome. — Suppression des Ordres religieux. — Le Pape se borne à prononcer une allocution en consistoire secret. — Bref au cardinal de La Rochefoucauld. — Le jubilé. — Affaire d'Avignon. — La Constitution civile du clergé. — Louis XVI est averti que la sanction amènera une rupture. — Le Roi s'engage à sanctionner. — Il essaye d'engager le Pape à une approbation. — Lettre officielle. — Négociation secrète. — Mémoires présentés au Pape par Bernis. — Bref de Pie VI au Roi. — Avant que ce bref soit parvenu à Paris, la Constitution civile est sanctionnée. — Bref du 22 septembre 1790. — Application de la Constitution civile. — Tentative de négociation de l'abbé Expilly. — Protestation de Bernis. — Décret sur le serment. — La sanction suspendue. — Dépêches adressées au Pape. — Le décret sanctionné avant le retour du courrier de Rome. — Le refus de serment. — Bernis refuse le serment pur et simple. — Mémoire remis au Pape par Azara. Le serment de Bernis renvoyé par l'Assemblée. — Menaces de destitution. — Réponses de Bernis. — Brefs du Pape sur le serment. — Bernis reçoit sei lettres de rappel. — Dernière dépêche du Cardinal. — L'archevêché d'Albi. — Le coadjuteur. — La révolution à Albi. — La résistance. — Election d'un évêque constitutionnel. — Lettre pastorale du Cardinal. — Mesures prises contre Bernis. — Suppression de son traitement. — Pillage de son mobilier.

 

Pour être ruiné, le Cardinal ne ferma point sa maison : loin de là. Nul hiver ne fut plus brillant à Rome que celui de 1789. La plupart des courtisans que les événements avaient chassés de Versailles profitaient de cet orage qui, à leur compte, lie pouvait durer, pour faire leur tour d'Italie. Toute la société Polignac était installée à Rome : non pas seulement le Duc et la Duchesse, et la duchesse de Guiche et les jeunes gens, mais le comte de Vaudreuil, l'abbé de Balivière, le duc de Choiseul, le duc de Laval, le duc de Fitz-James, la princesse Joseph de Monaco. Il y avait mademoiselle de Coigny, celle que André Chénier a baptisée la jeune captive, et M. Duvivier, le mari de madame Denis, la nièce de Voltaire ; il y avait madame de Boisgelin et le marquis de la Guiche, et le comte de la Grandville, et le comte d'Auger, et le comte d'Espinchal, tout un monde de Français élégants, qui ne demandaient qu'à s'amuser, à rire, à danser, à faire l'amour[1]. Le Cardinal, tout ruiné qu'il était, faisait bonne mine à tout le monde. Si l'on annonçait la prochaine arrivée du comte d'Artois et du prince de Condé, Bernis se contentait d'écrire à Versailles : Si les Princes viennent à Rome, ils voudront bien se souvenir que ce n'est pas un Cardinal Ministre, qui pendant vingt et un ans a fait à Rome les honneurs de la France à toute l'Europe, qui a celui de les recevoir, mais un bon curé qui offre volontiers ce qu'il a, qui reçoit de son mieux ses convives, mais en petite compagnie[2]. C'était là de la modestie : car madame Vigée-Lebrun qui dîna au palais de France à la fin de novembre, s'y trouva en fort bonne société, avec Angelica Kaufmann, plusieurs étrangers, une partie du corps diplomatique, en tout, une trentaine de personnes[3] ; et, si Bernis ne mangea comme d'ordinaire que deux petits plats de légumes, la table n'en fut pas moins admirablement servie pour les invités. Ce n'était point là un dîner de gala. Pendant tout l'hiver, le Cardinal eut quatre fois la semaine trente personnes à dîner : les trois autres jours, vingt-quatre seulement[4]. Je ne fermerai ma porte, écrivait-il[5], que lorsqu'il sera démontré que je ne saurais faire autrement. Nos Français veulent manger chez leur Ministre, et les étrangers regardent comme une distinction d'être invités à dîner[6]. La réforme, s'il y en avait eu une, avait porté sur les domestiques et sur l'écurie[7], car jamais les assemblées du vendredi n'avaient été plus brillantes, ni les rafraîchissements plus abondants. La maison avait gardé cet air de grandeur patriarcale, de politesse ancienne qui en faisait une sorte d'exception dans le monde. Tous, étrangers comme Français, étaient unanimes sur ce point ; c'était une sorte de nécessité d'avoir été reçu chez le Cardinal, et quiconque y aurait manqué aurait été réputé n'avoir point vu Rome[8].

Ce n'est pas pourtant que malgré ses efforts, malgré cet excès de bonne éducation qui le faisait se lever pour tout le monde et venir au-devant de chacun des invités jusqu'au milieu du salon[9], Bernis n'eût des ennemis parmi les Français qui se trouvaient à Rome. C'étaient d'abord les laquais que les voyageurs menaient avec eux et qui, presque tous, étaient partisans de la Révolution[10]. C'étaient surtout les pensionnaires du Roi, à l'Académie de France. Sans connaître Bernis, sans vouloir lui être présentés, sans savoir ce qu'il avait fait pour leurs prédécesseurs, ils se plaisaient à déclarer que sa protection leur était inutile, que d'ailleurs le Cardinal, pour ne pas avoir la gène d'obliger tout le monde, avait pris le parti très-sage et très-commode de n'obliger personne[11]. Ils avaient abandonné ces conversations du dimanche où le Cardinal se plaisait à entretenir les artistes, et, malgré les avis de leur directeur, Ménageot, ils se réunissaient pour lire les brochures ou les journaux patriotiques. Ils méditaient des pétitions à l'Assemblée nationale ; ils se portaient chez Cagliostro, qui, chassé de France, après l'affaire du collier, était venu s'échouer à Rome après avoir cherché des dupes à Londres, en Suisse, à Turin, à Gènes, à Vérone. Si Cagliostro n'avait pas grand succès auprès des Romains, il était pour les jeunes Français une victime de Marie-Antoinette. Il profita de cette sorte de popularité pour fonder à Rome, une loge maçonnique[12] dans l'atelier d'un jeune peintre nommé Belle, fils du directeur de la manufacture des Gobelins. La plupart des artistes français des deux sexes se firent affilier[13]. La franc-maçonnerie étant condamnée par les décrets de plusieurs conciles et sévèrement interdite dans les États pontificaux, Cagliostro fut arrêté à la fin de décembre 1789, avec sa femme et un de ses principaux adhérents : le Père Joseph de Saint-Maurice. Les scellés furent apposés sur les effets de Belle ; des poursuites furent commencées contre un certain nombre de Français, contre le bailli de Loras qui était en relations intimes avec le grand Cophte ; bref, les jeunes gens de l'Académie se seraient trouvés fort empêchés si Bernis n'était intervenu, n'avait averti Belle et ses amis de se mettre en sûreté, n'avait réclamé les Français qu'on voulait arrêter.

Avec la colonie française résidente à Rome les embarras étaient réels, mais on pouvait en avoir raison : mais que faire de ces voyageurs qui, les uns sous prétexte de commerce, les autres sous couleur d'art, parcouraient l'Italie ? Tout enorgueillis de leur nouvelle égalité, ils se mettaient facilement sur le pied de traiter en protecteurs et en surveillants les Ministres du Roi à l'étranger : volontiers, ils mangeaient leurs dîners ; niais plus volontiers ils les dénonçaient à quelque société patriotique. Tel était Dorat-Cubières qui voyageait, costumé en garde national, à la suite et probablement aux frais de madame Fanny de Beauharnais, cette Églé qui faisait son visage et non ses vers. Madame de Beauharnais était de trop bon lieu pour que le Cardinal se dispensât de la recevoir. Il l'eut à dîner et lui procura l'honneur d'être admise à l'Académie des Arcades. Il eut à essuyer ses vers aimables[14], mais avec le futur chantre d'Hébert et de Pache, il n'en fut pas quitte à si bon compte. Il fut anathématisé, conspué et dénoncé[15]. Il est vrai qu'il se trouva en bonne compagnie.

Vis-à-vis de ce monde, Bernis, au reste, ne montrait nul empressement. Ses relations et son intimité étaient ailleurs. Depuis l'arrivée des Polignac à Rome, il s'était lié avec eux et avec leur société. Il leur rendait témoignage dans sa correspondance officielle, disant qu'ils n'avaient aucun caractère de conjurés, qu'ils vivaient avec décence et simplicité[16]. Il les comblait de ses grâces, les avait tous les jours à dîner. Madame de Polignac l'avait conquis au point de le faire renoncer à ses vieilles habitudes, de le faire venir tous les soirs jusqu'à neuf heures au palais Stoppani, où elle habitait[17]. Ce sentiment presque tendre, qu'aucune malignité ne pouvait ternir, était partagé par la Duchesse[18]. Entre eux, d'ailleurs, bien des opinions étaient communes, bien des regrets, des amertumes et des désirs. Ils étaient tous deux royalistes fervents, absolutistes convaincus, et, si le Cardinal n'ignorait point qu'en abusant du Trésor public, les Polignac n'avaient point été pour peu dans la Révolution, la Duchesse était si jolie avec ses yeux bleus, son nez en l'air, ses dents blanches, toutes petites et bien rangées, avec ses magnifiques cheveux bruns, ces épaules abattues et ce cou long qui lui donnait une grâce infinie ; elle était si douce, si attrayante, si retenante, cette jeune cousine qui se nommait Yolande comme une duchesse de Bretagne et Martine comme une servante de Molière ; c'était si bien Versailles, Trianon, c'étaient si bien les jeunes années d'Étioles ! Avec elle, cette favorite de Reine, Bernis se reprenait à vivre comme jadis avec l'autre, la favorite du Roi, et, pour l'une comme pour l'autre, il devenait l'homme nécessaire. Toute la société Polignac voyait en lui une sorte de Richelieu apaisé, de Maurepas d'Église, destiné à ramener le bon temps, à refaire lu France comme autrefois. Cette vie sembla si douce que, l'hiver fini, on songea à la reprendre pour tout l'été. Les Polignac projetaient d'aller s'établir à Albano, mais le mariage du fils ai né du Duc, le comte Armand, avec mademoiselle de Nivenheim, les obligea de se rendre à Venise. Ce furent des adieux fort tristes ; ils l'auraient été bien plus encore si l'on eût pressenti l'avenir[19].

Les Polignac partis, le Cardinal retomba pour unique ressource à sa vieille habitude : la princesse Santa Croce, qui, de sa beauté et de sa galanterie d'autrefois, n'avait conservé que beaucoup d'intrigue et de prétentions[20], et dont les idées politiques étaient fort éloignées de celles du Cardinal[21]. D'amis français, il n'avait plus que Dagincourt, qui certes était précieux, causait agréablement des choses d'art, mais n'était point à comparer aux morts, aux Deshaises et au Père Jacquier. Sa famille n'existait pour ainsi dire plus. Son frère, le Marquis, était mort en 1774 ; sa belle-sœur, retirée à Saint-Marcel, n'écrivait guère que pour demander l'argent nécessaire aux réparations du château ; sa sœur chérie, madame de Narbonne-Pelet, était morte en 1783 ; tous les Narbonne avaient été tués au service du Roi ; des filles, celle qui avait été la bien-aimée du Cardinal, qui l'avait accompagné en exil, à Albi, à Rome, qui avait fait les honneurs de sa maison à toute l'Europe, madame du Puy-Montbrun, était morte en 1779. Elle avait laissé trois filles : l'aînée, mariée au vicomte de Pierre de Bernis, seul représentant du nom, était partie pour Versailles, où l'appelait une charge dans la maison de Madame Victoire. Elle y était morte au mois de juillet 1782. La seconde des demoiselles du Puy-Montbrun, élevée à Albi par sa grand'mère Narbonne, avait été mariée à dix-sept ans, le 4 mars 1783, à messire Pierre de Juliers, marquis de Vinezac. Elle mourut deux mois après, le 6 mai[22]. De toute cette famille, il ne restait qu'une fille, Julie, à qui Madame Victoire avait assuré la survivance de la place que la vicomtesse de Bernis avait occupée près d'elle : Le Cardinal, qui la faisait élever dans un couvent à Versailles et qui l'avait fait recevoir dans le chapitre de Neuville en Bresse[23], avait songé, dès 1784, à lui faire épouser son beau-frère le vicomte de Bernis, mais il avait dû reculer devant certains obstacles que la Cour lui avait opposés. En 1790, pour assurer l'avenir de sa maison, il se détermina à solliciter de nouveau la permission du Roi et de la Reine (5 mai), et, aussitôt qu'il l'eut obtenue, il conclut le mariage ; mais, appelés en France par leur service auprès des Princes, retenus ensuite par leurs enfants, le Vicomte et sa femme ne purent revenir à Rome. L'archevêque de Damas était à Paris pour suivre son mandat de député ; il ne restait au Cardinal que le chevalier de Bernis, et, par intermittences, le comte de Narbonne-Fritzlar, fort éprouvé lui aussi, car le seul fils qu'il eût eu de mademoiselle de Narbonne-Pelet, nièce du Cardinal, était mort en 1788[24]. Le chevalier de Bernis et le comte de Narbonne allaient sans doute être obligés aussi de rentrer en France, sous peine d'être inscrits sur les listes d'émigrés. Le Cardinal essaya de les défendre, disant qu'ils étaient nécessaires à l'Ambassade, mais Montmorin n'admit point l'excuse.

Il n'y avait point à se le dissimuler : tout craquait : malgré les instances de Bernis, le traitement de l'abbé de Bayane, auditeur de rote pour la France, était supprimé[25]. On en voulait même à la place de Ministre. Le bruit courait que l'archevêque de Paris, M. de Juigné, allait venir à Rome, chargé de commissions pour le Saint-Siège. Quand le Cardinal voulut s'en expliquer, on lui répondit qu'on l'instruirait toujours d'avance de ce qu'on ferait pour Rome, mais on ne nia point que M. de Juigné désirât vivement être envoyé, on ajouta même qu'il n'était pas le seul prélat qui eût témoigné ce désir.

D'Albi, on avait les plus mauvaises nouvelles[26] : d'abord, ç'avaient été des mouvements populaires contre les marchands de grains : Bernis avait attribué ces émeutes à la famine et avait augmenté ses aumônes en conséquence : mais, au commencement de février 1790, des bandes de brigands se formèrent qui pillèrent plus de trente châteaux ou maisons particulières. Les brigades de maréchaussée et les détachements de la garde nationale d'Albi, arrivés trop tard pour empêcher le pillage, purent rejoindre les bandes, leur enlever une partie des effets volés, leur firent dix-huit prisonniers qu'on envoya à Toulouse ; mais, par suite de la suppression des cours prévôtales décrétée le 6 mars par l'Assemblée, les brigands furent remis en liberté, et, dès lors, l'anarchie fut maîtresse du diocèse.

On conçoit que le Cardinal écrivit à Montmorin : Je ne connais point de pays d'où il vienne de bonnes nouvelles ; vainqueurs et vaincus, royaumes et républiques, le mal est partout. Il était à Rome plus encore qu'ailleurs.

La France n'avait qu'une politique vis-à-vis du Saint-Siège : obtenir du Pape qu'il gardât le silence sur tout ce qui donnerait lieu à discussion pour le clergé. Pie VI n'avait point protesté officiellement à propos des annates ; il s'abstenait de nommer aux bénéfices et aux canonicats vacants ; il accordait aux évêques le droit de donner les dispenses, mais cela n'était rien : en février 1790, l'Assemblée supprime les Ordres religieux et abolit les vœux perpétuels. Montmorin demande encore que le Pape se taise : il sait que c'est difficile, que la nouvelle fera grande sensation à Rome ; il a vu le Nonce ; il l'a trouvé fort affligé, mais, au nom de la paix intérieure, pour éviter d'immenses malheurs, il conjure Bernis d'obtenir du Pape qu'il se taise. Bernis n'est point disposé à se prêter à cette négociation. Il sent qu'à Rome on commence à s'indigner de la faiblesse du Pape. Le devoir, la conscience, l'honneur, doivent le forcer à rompre le silence[27]. Pie VI parait déterminé à écrire une lettre encyclique. Le Cardinal s'entremet. Après une longue 'conférence de deux heures, il fait revenir le Pape, lui prouve qu'il ne faut rien précipiter, que tout sera sauvegardé par une protestation qui n'a pas besoin d'être publique. L'idée de l'encyclique est abandonnée : on se rejette sur une allocution en consistoire secret, et le cardinal Zelada, qui, depuis le 14 octobre 1789, a remplacé Boncompagni[28] comme secrétaire d'État, est chargé de la rédiger. Bien que les chefs des Ordres supprimés se remuent, bien que le cardinal de La Rochefoucauld écrive au Pape pour le supplier de tranquilliser les consciences, le péril qu'on redoute si fort à Paris est encore une fois écarté. L'allocution prononcée dans le consistoire secret du 29 mars[29] est violente à la vérité ; le Pape, eu exposant ses griefs, ne garde aucune mesure dans l'acrimonie de ses plaintes contre l'Assemblée ; aucun des articles de la Déclaration des droits de l'homme ne trouve grâce devant lui, mais c'est une satisfaction toute platonique qu'il donne là au Sacré Collège[30]. Il interdit, en effet, toute publicité de ce document que Bernis s'abstient de transmettre à sa Cour. Quant au bref en réponse au cardinal de La Rochefoucauld[31], il ne contient que de vagues consolations et la permission pour les évêques de dispenser de leurs vœux les Réguliers. Bernis trouve avec raison que ce Bref est très-favorable aux évêques et nullement contradictoire aux décrets de l'Assemblée.

C'est donc un succès, et le Roi peut en témoigner sa satisfaction au Cardinal, mais, comme l'écrit Montmorin, il vient un moment où toute l'habileté possible échoue.

On put encore doubler un cap difficile : l'affaire du jubilé accordé par le Pape aux sujets de l'Église. Montmorin craignait que les esprits n'en fussent échauffés dans les provinces méridionales, et élevait presque la prétention d'empêcher le Pape d'ordonner, dans ses États, des prières pour le clergé ; grâce à l'extrême modération du Cardinal vicaire, qui eut soin de n'introduire ni dans le préambule, ni dans la conclusion de l'ordonnance, aucune allusion aux affaires de France[32], on put franchir ce pas et gagner la fin de mai.

Mais à partir du mois de juin, la lutte se déclare ; c'est sur une question temporelle que l'Assemblée engage les premières hostilités, au mépris de ses déclarations les plus solennelles[33]. Les troubles qui sont fomentés à Avignon donnent l'occasion de faire voter le 27 mai 1790, par les districts de la ville, la réunion à la France. L'Assemblée représentative du Comtat, séant à Carpentras, veut en vain demeurer fidèle à son souverain. Les gardes nationales françaises prennent le parti des Avignonnais : la guerre éclate ; le Comtat est occupé. En vain le Nonce proteste ; en vain il déclare qu'il met la ville et le territoire d'Avignon sous la sauvegarde de Sa Majesté et de l'honneur français ; en vain le cardinal Zelada multiplie les demandes d'explications. Montmorin ne répond pas. La matière appartient à l'Assemblée nationale. C'est chose sacrée !

L'agression contre le spirituel suit de près. Le 12 juillet, l'Assemblée décrète la Constitution civile du clergé. C'est, comme l'écrit Bernis[34], le renversement de la discipline et de l'organisation générale de l'Église catholique, fondées sur les canons et les conciles. La suppression d'évêchés existants, la création de nouveaux sièges, l'élection des évêques, leur institution canonique, sont des points qui intéressent essentiellement l'Église ; l'intrusion de l'Assemblée dans des matières qui ne sont point de sa compétence est évidente, mais cette Assemblée n'est point souveraine ; son décret est lettre morte tant que le Roi ne l'a point sanctionné. Rien n'est donc perdu ; peut-être même pourra-t-on arriver avec du temps à une entente ; à coup sûr, il est difficile d'entamer une négociation entre deux parties dont l'une ne veut rien céder et dont l'autre, par le fait du dogme qu'elle a à sauvegarder, ne peut pas tout abandonner ; mais au moins puisque le Roi a encore entre les mains le pouvoir d'empêcher le schisme immédiat, il faut qu'il en use.

La sanction de pareils décrets, écrit Bernis, ne peut se faire sans l'avis réfléchi des évêques consultés, des docteurs, des théologiens et des canonistes les plus instruits. Une telle sanction intéresse particulièrement la conscience du Roi Très-Chrétien, fils aîné de l'Église. Elle pourrait occasionner un schisme si elle n'était pas conforme aux canons, aux conciles et aux principes établis dans le Royaume.

Cette dépêche en date du 30 juin, parvenue à sa destination le 15 juillet, met le Roi en garde contre une sanction précipitée. Comme si ce n'était point assez que cet avis donné par le Cardinal Ministre de France, le Pape lui-même, par trois brefs en date du 10 juillet, adressés au Roi, à l'archevêque de Vienne, ministre, et à l'archevêque de Bordeaux, garde des sceaux[35], notifie formellement que si Louis XVI approuve les décrets relatifs au clergé, il entraînera la nation entière dans l'erreur, le Royaume dans le schisme, et peut-être il sera la cause d'une cruelle guerre de religion[36]. Pie VI a solennellement averti le Roi que si les dangers de la Religion continuent, le chef de l'Église fera entendre sa voix. Ces brefs sont remis par le Nonce au Roi et aux Ministres, à une date antérieure au 27 juillet[37].

M. de Montmorin en a certainement connaissance, lorsqu'il écrit le 26 juillet : Le Pape doit être bien persuadé que les circonstances n'ont altéré en rien le respect que Sa Majesté porte à la Religion et le désir qu'elle a toujours eu de maintenir l'union avec le Saint-Siège et les règles établies par les canons. J'ai lieu de croire que Sa Majesté s'en expliquera avant peu de jours définitivement avec Sa Sainteté, et en même temps j'aurai l'honneur de m'entretenir avec vous 4[38], sur les différents décrets de l'Assemblée nationale concernant le clergé. J'ai dû attendre que le décret de l'Assemblée, sur cette matière, fût présenté à la sanction de Sa Majesté, et qu'elle eût pris un parti à cet égard, pour vous entretenir de ces objets.

Cette décision, Louis XVI l'annonce d'une manière officielle à Saint-Cloud, le 28 juillet : il s'engage à sanctionner le décret sur la Constitution civile[39] ; il en suspend seulement la publication jusqu'à ce qu'il soit parvenu à obtenir le consentement soit des évêques de France, soit du chef visible de l'Église.

Ainsi Louis XVI, par le fait de cette promesse, se place volontairement dans une situation inextricable. Acceptant les décrets, comment peut-il engager avec Rome une négociation, ce qui implique toujours l'idée de concessions réciproques ? La matière même qui en ferait l'objet n'est-elle pas, par le fait de l'acceptation, devenue incommutable ? Et comment demanderait-il à l'Assemblée la plus légère modification, alors que, par la sanction, le décret se trouve revêtu de tontes les formes légales ? Après la sanction, il ne reste donc pour éviter le schisme qu'un seul moyen : que le Pape accepte purement et simplement la Constitution civile. Le Roi sait à n'en pas douter, par les dépêches et par les brefs qu'il a reçus, que cette hypothèse est inadmissible, mais il n'en écrit pas moins à Pie VI, le jour même où il a promis de sanctionner le décret (28 juillet), une lettre[40] par laquelle, tout en déclarant qu'il a toujours regardé comme un de ses plus beaux titres celui de Fils aîné de l'Église, de protecteur des canons, de gardien des lois, coutumes et libertés de l'Église gallicane, il annonce qu'il prend les mesures nécessaires pour l'exécution des décrets concernant la Constitution civile du clergé. Il admet que le Pape ait des observations à présenter, mais, suivant lui, l'intérêt le plus puissant de la religion est de prévenir une division funeste qui ne pourrait affliger l'Église de France sans déchirer le sein de l'Église universelle.

Cette lettre hautaine qui met Pie VI en demeure de passer sous les fourches caudines de l'Assemblée ou d'occasionner un schisme, serait peut-être justifiable politiquement si elle était le résultat d'un plan arrêté ; mais, en même temps, le Roi charge les archevêques de Bordeaux et de Vienne de préparer et de suivre une négociation directement contraire à sa lettre officielle. Les instructions rédigées par les deux prélats et transmises à Bernis le 1er août, par un courrier extraordinaire[41], ne portent nullement que le Cardinal ait à solliciter du Pape une approbation pure et simple. On néglige l'ensemble et l'esprit de la loi nouvelle ; on se borne à demander une réponse provisoire qui autorise : la nouvelle distribution des métropoles et la création de celle de Rennes, la nouvelle distribution des évêchés, le changement décrété dans les églises cathédrales et métropolitaines, et, en cas de mort des évêques, le transport des droits des chapitres au conseil des évêques ; le choix par l'élection du peuple des évêques à remplacer et de ceux des diocèses nouveaux[42] : ceux-ci sans bulles apostoliques et par le seul consentement des métropolitains, les métropolitains avec le seul consentement des évêques les plus anciens de la métropole. On demande encore que les évêques supprimés soient exhortés à se prêter aux circonstances, que les évêques puissent accorder les dispenses de parenté et autres, que le Saint-Siège enfin porte les fidèles à la paix et prévienne l'esprit de trouble et de dissension.

En ordonnant cette négociation, le Roi cherche-t-il des tempéraments pour gagner le jour où, rentré en possession de son autorité, il annulera des actes qu'il n'avait sanctionnés que par contrainte ? Veut-on au contraire, en entraînant le Pape dans ces détails, en exigeant de lui une réponse immédiate, mais qu'on déclare essentiellement provisoire, l'engager de telle façon qu'il ne puisse plus reculer ? Ce qui porterait à le penser, c'est qu'on enjoint à Bernis d'écarter toute discussion sur les articles dont on ne demande pas l'approbation, tels que l'interdiction des vœux, la suppression des chapitres, etc. On termine en déclarant que l'exécution des décrets ne peut, à cause des circonstances, être retardée. Cela arrêterait toute la Constitution, et les peuples murmureraient.

Bernis-, en recevant le 11 août ces divers documents, s'empresse de demander audience au Pape ; il lui fait passer la lettre du Roi et propose de chercher un moyen de conciliation qui, sans détruire toute discipline, comme le demandent les Prélats du Conseil du Roi, permette d'atteindre des jours meilleurs[43]. Le Roi, dit Bernis, n'a que l'apparence de la liberté ; à chaque instant sa vie est menacée. Les décrets ont été votés sous le couteau, sanctionnés de même. C'est pour marquer cette contrainte qu'il a tout sanctionné sans réserve et sans observation. En accédant aux instances du Roi, le Pape lui rendra service, il empêchera le schisme, et, puisque la solution n'est que provisoire, que les autres articles sont réservés, le Pape, dans des temps plus favorables, pourra un jour augmenter les privilèges du Saint-Siège et rétablir les choses sur leur ancien pied.

Bernis pourtant n'admet point que le Pape puisse, même provisoirement, admettre les demandes présentées. Tout ce que Pie VI peut faire, suivant lui, est d'adresser à Louis XVI un bref[44], dans lequel, en rendant justice à ses intentions qui doivent être restées pures, il blâmera formellement la sanction ; il exposera ensuite les erreurs doctrinales, dira qu'il ne s'abstient de condamner les décrets que parce qu'il espère que Dieu, apaisé par les prières de l'Église, prendra pitié de la France, où d'ailleurs les protestations contre la Constitution du clergé sont si nombreuses ; il admettra, comme mesures absolument provisoires, destinées à tranquilliser les consciences, à épargner des périls à certaines personnes, divers tempéraments que le Cardinal a soin de détailler et qui n'ont que peu de rapport avec les demandes du Conseil du Roi. Ainsi, tandis que le Roi demande l'approbation de la nouvelle distribution des métropoles et de la création du siège archiépiscopal de Rennes, Bernis propose que le Pape, sur la demande de l'évêque de Rennes, lui accorde des pouvoirs et exhorte l'archevêque de Tours à donner à cette disposition son consentement indispensable. Sur tous les autres points, Bernis subordonne l'avis du Pape et son action à l'assentiment préalable des évêques de France. Il soutient ainsi, même contre le Roi, la doctrine et les libertés de l'Église gallicane.

Ce bref qui devait être adressé au Roi, lequel en ferait l'usage convenable, ne pouvait être décidé en un jour ; Bernis ne l'avait jamais espéré ; aussi ne fut-il pas étonné lorsque, après une longue conférence, le Pape lui dit qu'il ne pouvait résoudre une question aussi importante sans avoir consulté les cardinaux. C'était le 17 août. Pie VI, par un bref en français, en date de ce jour, informa le Roi de sa résolution de confier à une congrégation de cardinaux le soin d'examiner sérieusement les propositions qui lui avaient été transmises. Il donna en même temps à Louis XVI un sérieux avertissement, lui disant qu'il ne lui avait point dissimulé son sentiment sur la Constitution civile et sur les lois contre le clergé, et que s'il ne les avait pas encore condamnées formellement, c'était par crainte de compromettre les ministres de l'autel, sans aucun avantage pour la religion dont ils sont les organes[45].

En admettant que Pie VI eût, sans consulter le Sacré Collège, sans prendre même le temps de la réflexion, donné immédiatement une réponse affirmative à la lettre de Louis XVI, qui lui avait été remise le 12 août, cette réponse n'aurait pu parvenir à Paris avant le 26 août[46]. Or, dès le 24 août, la Constitution civile sanctionnée provisoirement le mois précédent, était proclamée loi exécutive du royaume. Il avait suffi pour que la sanction devînt définitive que le Comité ecclésiastique menaçât le Garde des sceaux d'une interpellation[47]. Montmorin ne prit pas même la peine de justifier l'acte de son maitre : Sa Majesté, écrivit-il à Bernis, a fait ce que sa religion lui a inspiré. Quant à Louis XVI, il écrivit au Pape le 6 septembre, — douze jours après la sanction, — qu'il ne pouvait pas retarder plus longtemps la publication des décrets, et qu'il chargeait Bernis d'exposer ses motifs[48].

Pendant ce temps, le Pape avait assemblé une congrégation de vingt cardinaux, à laquelle il avait remis l'examen des documents envoyés par le Conseil du Roi. Quelque pitié qu'inspirât la position de Louis XVI, l'impression du Sacré Collège était loin d'être favorable. Les conséquences d'une approbation même provisoire donnée à la constitution civile auraient été en effet d'une gravité extrême, non-seulement en France, mais dans toute l'Europe. Au milieu de la délibération, la nouvelle de la sanction vint surprendre la Congrégation. A coup sûr, le Pape avait le droit, dès ce moment, de lancer une condamnation formelle ; Bernis obtint pourtant que Pie VI ne rendit pas encore cette condamnation publique : le Pape se contenta d'adresser au Roi, le 22 septembre[49], un bref confidentiel dans lequel la désapprobation était encore entourée de formes paternelles. Il se plaignait vivement que le Roi n'eût point attendu pour sanctionner le décret que le Saint-Siège eût exprimé son opinion, mais il réservait sa décision jusqu'au jugement de la Congrégation, c'est-à-dire au mois de novembre.

Pendant qu'à Rome la congrégation délibère, en France les événements se succèdent. La loi proclamée, devenue exécutoire par la sanction royale, est publiée au commencement d'octobre par les soins de tous les directoires de départements et commence à être appliquée. Les évêques députés, qui n'ont point attendu la décision du Pape pour protester contre les décrets, se plaignent hautement d'être abandonnés par le Saint-Siège. Le clergé de France presque entier marche avec eux. D'autre part, Montmorin déclare que d'un jour à l'autre, l'Assemblée peut prendre un parti qui réduira à néant les sages intentions du Pape, affirme que, la politique conseille au Pape de calculer sa marche sur les circonstances, réclame une approbation[50]. On ne peut s'entendre, car, comme le dit Bernis[51], il faut au moins que Pie VI ait concilié les opinions des évêques, et qu'il soit assuré que les expédients qui lui ont été proposés par le Conseil du Roi ne seront pas rejetés par le clergé français.

Les lettres se croisent entre Paris et Rome, sans que jamais de Paris on réponde autrement que par des actes nouveaux eux demandes du Saint-Siège. A Rome, on en est encore, le 23 octobre, à demander la suspension des décrets qui depuis quinze jours s'exécutent en France. Le 27 octobre, à Rome, la Congrégation décide unanimement que Pie VI est obligé de ne pas dissimuler au Roi à quel point les principes de la religion catholique sont contraires aux décrets ; que le Pape ne peut accepter les moyens proposés par le Conseil du Roi, qu'il doit exhorter les évêques de France à lui indiquer les moyens de conserver la doctrine de l'Église gallicane[52].

Pendant ce temps, dans toute la France, les chapitres sont détruits et, à Quimper, l'abbé Expilly est élu évêque conformément à la nouvelle loi. Il est assez modéré, écrit simplement Montmorin, mais il fera valoir son élection.

Toute l'argumentation du Ministère se réduit à dire : Chaque jour peut donner le premier mouvement à des nouveautés que l'on ne croira pas, à Rome, conciliables avec les règles canoniques, et sur lesquelles il sera bien difficile de revenir, lorsqu'une fois le premier pas sera fait[53]. — Toute résistance est inutile. Il n'y a que la douceur, l'indulgence et la complaisance, même portée jusqu'à l'excès, qui puissent prévenir les maux qui se préparent[54].

Ainsi, voici l'abbé Expilly élu évêque du Finistère. Cela doit-il embarrasser le Roi et le Pape ? Non certes. Expilly écrit au Pape pour l'informer de sa nomination. Le Roi examine cette lettre, l'approuve et l'envoie à Bernis qui est chargé de la présenter au Pape. Le Pape, d'après cette lettre, écrit Montmorin[55], trouvera un moyen de valider l'élection sans déroger essentiellement aux lois canoniques. Le plus grand sacrifice a été de la part du Roi, il faut que le Pape en fasse un à son tour. Il est vrai qu'il y a une difficulté : l'érection de Rennes en archevêché et en métropole ; mais que le Pape réponde d'abord sur l'élection, on trouvera ensuite une nouvelle solution et, à chaque élection, on cherchera de même des solutions convenables, jusqu'à ce qu'il y ait un parti définitif adopté.

De semblables demandes ne méritaient point que le Pape y répondit. Approuver l'élection d'Expilly eût été approuver la Constitution civile tout entière, et, depuis le 30 octobre, jour où les évêques députés à l'Assemblée avaient publié l'exposé de leurs principes, il était devenu impossible au Saint-Siège d'engager une négociation au sujet d'une loi que condamnait la quasi-unanimité du corps des évêques français. Le Ministre de France se refusait d'ailleurs à poursuivre une tâche qu'il jugeait impossible à remplir. Dès le 20 octobre, Bernis avait déclaré que si, comme ministre, il proposait des moyens de conciliation, il attendait, comme évêque, la décision du Pape. Le 17 novembre, n'ayant plus aucun doute sur l'attitude que prendraient ses confrères, recevant de tous côtés des plaintes contre la négociation engagée par la Cour, mis en demeure par une délibération du Directoire du département du Tarn d'avoir à opter entre Rome et Albi, il avait protesté officiellement à son tour contre les décrets. Si l'on veut tout détruire et faire une religion nouvelle, avait-il dit[56], on y rencontrera des difficultés plus grandes qu'on ne croit. L'on n'arrache pas facilement des cœurs et des esprits d'un grand royaume les racines profondes de la religion et la saine politique se trouve, en ce point, être parfaitement d'accord avec le catholicisme, qui veut qu'on obéisse à qui a droit de commander... Vous avez pu remarquer, Monsieur, avait-il ajouté, que dans cent occasions, il n'y a jamais eu d'évêque ministre du Roi à Rome plus modéré que moi, plus ami de la paix, ni plus conciliant ; mais si l'on me pousse à bout par des sommations injustes et peu décentes, je me souviendrai que, dans un âge avancé, on ne doit s'occuper qu'à rendre au juge suprême un compte satisfaisant de l'accomplissement de ses devoirs[57].

Bernis eut bientôt l'occasion de montrer que ses actes étaient d'accord avec ses paroles. Le 27 novembre, l'Assemblée décrète que les évêques et curés conservés et tous les prêtres fonctionnaires devront, dans le délai de huitaine, prêter serment à la Constitution — laquelle comprend la Constitution civile du clergé —, et organise la persécution contre les prêtres qui refuseront le serment.

Ce décret consacre la suppression de la religion catholique en France ; mais le Roi a encore le droit de s'y opposer, de refuser la sanction. Que va-t-il faire ? Il écrit au Pape, le 3 décembre, une lettre suppliante[58] par laquelle il déclare qu'il suspend sa sanction, mais, dit-il, le silence ou le refus de Votre Sainteté déterminerait infailliblement le schisme. C'est donc pour le plus pressant intérêt de la religion catholique, pour celui du clergé de tout mon Royaume et pour le maintien de la tranquillité auquel j'ai déjà fait tant de sacrifices, que je conjure Votre Sainteté de me donner la réponse la plus prompte et la plus satisfaisante. A cette lettre est joint un mémoire rédigé par M. de Boisgelin, archevêque d'Aix, et qui contient les demandes adressées au Pape. Ce sont, à peu de chose près, celles qui ont été transmises six mois auparavant[59].

Cet acte de Louis XVI était, suivant Montmorin, un acte héroïque, et il lui faudrait bien de la fermeté pour suspendre sa sanction jusqu'à l'arrivée de la réponse du Pape. Le Roi, disait le Ministre des affaires étrangères, a fait tout ce qu'il pouvait. Il a même été peut-être au delà de ce qu'on pouvait attendre de l'attachement le plus profond à la religion de ses pères. Il a fait à cet égard ce qu'il s'est interdit pour tout ce qui le concernait personnellement.

Le courrier, parti de Paris le 3 décembre, n'arrive pas à Rome avant le 15. Bernis porte immédiatement au Pape la lettre du Roi, et, par un billet en date du 16, Pie VI informe le Ministre de France que pas un cardinal n'est d'avis d'accorder les demandes du Roi. Néanmoins, par sa dépêche du 23, Bernis se contente d'informer Montmorin que la réponse du Pape ne tardera pas ; mais cette réponse est bien inutile : le 26 décembre, c'est-à-dire huit jours avant qu'il ait eu le temps matériel de recevoir de Rome une réponse à sa lettre du 3 décembre, le Roi a sanctionné le décret du 27 novembre. 11 n'a pas même été besoin d'une émeute, il a suffi de quelques députations de l'Assemblée. Encore Louis XVI croit-il devoir s'excuser du retard qu'il a apporté, et sa lettre ne renferme pas seulement l'abdication de ce droit de veto qu'il tient de la constitution, mais le plus étrange abaissement de la Majesté royale devant le despotisme du Parlement.

Au reste, Montmorin, en informant Bernis de cet acte du Roi, n'a pas un mot d'excuse à l'adresse du Pape qu'on a entraîné ainsi pour la seconde fois dans de fausses démarches, à qui, pour la seconde fois, le Roi a demandé avec instances l'approbation de décrets qu'il a sanctionnés sans même attendre le retour du courrier. Comme l'écrit Bernis, c'est pour la seconde fois que le Pape, sollicité par le Roi d'indiquer les moyens de concilier les décrets de l'Assemblée nationale avec les règles canoniques, n'a pas le temps matériel d'examiner des propositions si importantes, et qu'il apprend que ces mêmes décrets ont été sanctionnés et publiés sans attendre sa réponse d'où dépendait en France le sort de l'Église catholique[60].

Les effets du décret du 27 novembre furent immédiats. A peine était-il sanctionné que l'Assemblée somma les prêtres députés d'avoir à prêter le serment, serment sans phrases, c'est-à-dire sans condition, sans restriction, sans réserve, sans permission de distinguer le sacré du profane. On sait en effet que les évêques ont arrêté une formule qui leur permet de satisfaire à la loi tout en maintenant les droits de la conscience, et c'est la conscience justement qu'on veut opprimer. C'était le 4 janvier 1791. Nul jour n'est plus mémorable pour le clergé de France qui, individuellement, puis en masse, refusa d'apostasier. Nul jour n'est plus honorable pour la conscience humaine, car l'ignominie du parjure est partout semblable. L'un après l'autre, les grands et les petits, les évêques et les curés, les riches et les pauvres, les nobles et les manants vinrent confesser leur foi et réclamer leur Dieu. Point de transaction honteuse, point de basse compromission ! A ceux qui refusent, la misère, la persécution, l'exil, la guillotine ; ils le savent et ils refusent, et ils proclament leur refus en face de l'Assemblée irritée et des tribunes hurlantes. Cela fut grand !

Le cardinal de Bernis, n'étant point membre de l'Assemblée, n'avait point eu à prêter ce serment du 4 janvier, mais, le 23 décembre, il avait reçu le décret du 17 novembre par lequel tous les ambassadeurs, ministres et consuls de France au dehors étaient tenus, dans le délai d'un mois, de prêter serment à la Constitution. Ce serment, Bernis était déterminé à le prêter, mais en distinguant, à l'exemple de ses confrères, ce qui appartient à César de ce qui appartient à Dieu[61].

Le 5 janvier, il adressa donc au Ministre des affaires étrangères la pièce suivante :

En conséquence de la signification qui m'a été faite au nom du Roi, par le Ministre des Affaires étrangères, en date du 6 décembre courant, et en conformité du décret de l'Assemblée nationale du 17 novembre dernier, sanctionné par le Roi, SANS MANQUER A CE QUE JE DOIS À DIEU ET À LA RELIGION, en ma qualité de Ministre d'État et de Sa Majesté auprès du Saint-Siège, je jure d'être fidèle à la nation, à la loi et au Roi, de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi, et de défendre auprès de la Cour de Rome, ses ministres et agents, les Français qui se trouveront dans ses États.

A Rome, le 24 décembre 1790.

Signé : LE CARDINAL DE BERNIS.

 

Bernis ignorait que, par un décret en date du 4 janvier, l'Assemblée avait interdit toute restriction et exigé des prêtres députés le serment pur et simple. Il s'était donc conformé au protocole arrêté par ses confrères ; mais ce n'est point qu'il eût une illusion sur le sort qui l'attendait.

Il avait, en effet, mis toutes les pièces sous les yeux du Pape ; il avait, dans deux longues conférences, le 14 et le 17 décembre, examiné avec Pie VI toutes les solutions, et tous deux étaient arrivés à cette conclusion que le Pape ne pouvait prendre une décision sans l'avis de la Congrégation du Saint-Office ; que la décision du Pape en pareille matière n'aurait d'autorité que si les évêques de France y donnaient leur assentiment, et comme l'immense majorité des évêques était opposée à toute concession, il était indispensable qu'on commençât par se mettre d'accord avec eux : donc, il fallait que le Roi suspendit l'exécution, du décret du 27 novembre. Le Roi ayant accordé la sanction ; la rupture était inévitable, et Bernis ne pouvait manquer d'être sacrifié ; il le savait ; on le savait aussi à Paris, car il y courait l'extrait d'une lettre du Cardinal où il disait : D'après l'impossibilité qu'il y a que je puisse engager le Pape à des choses qu'il ne doit pas approuver, je m'attends, si on ne se rapproche pas, à être rappelé et remplacé par un Ministre plus habile et moins scrupuleux que moi[62].

Déjà même, le Cardinal avait pris ses précautions contre ce successeur, car, le 4 janvier, il avait remis au cardinal Zelada un mémoire à la rédaction duquel il n'était certainement pas étranger, bien que ce document fût signé par le chevalier d'Azara[63]. Dans ce mémoire, on exposait que le Saint-Siège ne pouvait, sans d'immenses dangers, recevoir un ambassadeur autre que le Cardinal. Un membre du côté gauche, un partisan de l'Assemblée ne viendrait à Rome que pour y préparer, y accomplir une révolution analogue à celle d'Avignon. Rome conquise, c'était la religion catholique détruite, et n'était-ce pas là le but suprême des meneurs ? Le rédacteur du mémoire énumérait tous les moyens que l'émissaire des jacobins ne manquerait point d'employer pour y parvenir, et il terminait en proposant au Pape de s'entendre avec les Princes de l'Europe en vue d'assurer à Rome une protection et même de combiner une action contre la Révolution.

Cette démarche, à coup sûr, n'était point régulière, mais le Cardinal ne se considérait plus comme Ministre de France. Dans ses dépêches, il ne dissimulait point que, comme catholique, il se croyait obligé à la résistance, et il prenait non plus le ton d'un agent, mais celui d'un juge. Il pressentait qu'on n'accepterait point la forme dans laquelle il avait prêté son serment, mais il ne pouvait s'attendre encore que la destitution serait aussi rapide et aussi brutale.

Le 30 janvier, Montmorin communiqua à l'Assemblée le serment de Bernis ; Camus et Goupil firent observer qu'il n'était pas dans l'ordre et demandèrent que l'Assemblée fît prier le Roi de rappeler son Ministre à Rome. L'avis de D'André, de renvoyer le serment au Ministre des Affaires étrangères, en laissant au pouvoir exécutif le soin d'agir, prévalut après discussion. L'Assemblée décréta que le serment prêté par M. le Cardinal de Bernis, Ministre d'État et du Roi à Rome, serait renvoyé au Ministre des Affaires étrangères, ce qui fut fait par une lettre de Mirabeau l'aîné, président, en date du 4 février.

Dès le 1er février, Montmorin avait écrit au Cardinal que l'espèce de clause qu'il avait mise à son serment avait été remarquée et présentée défavorablement à l'Assemblée : le serment devait être pur et simple, sans addition ni modification. Je ne dois pas vous dissimuler, Monsieur, ajoutait-il, que, si vous vous refusiez aux désirs de l'Assemblée, il ne serait pas possible au Roi de vous laisser remplir les fonctions d'Ambassadeur auprès du Saint-Siège. Les services que vous avez rendus depuis que vous remplissez cette place, ceux que vous êtes plus en état que qui que ce soit de rendre encore, l'importance du moment et toutes les considérations qui vous sont personnelles me font désirer bien sincèrement d'être à portée de remettre bientôt votre serment à l'Assemblée nationale dans la seule forme qu'elle veuille admettre. n En post-scriptum et de sa main il ajoutait : e C'est avec regret que je suis obligé de vous parler d'une façon aussi positive, mais je ne fais que vous dire franchement ce qui est.

Bernis ne répondit pas moins nettement. Dès le 2 février, il disait : Je ne manquerai ni à la nation, ni à la loi, ni au Roi, mais encore moins à Dieu et à l'Église à qui je suis lié par tant de serments antérieurs. Le 23 février, il écrivit officiellement à Montmorin : Quoique soumis plus que qui que ce soit à tous les décrets de l'Assemblée nationale sanctionnés par le Roi, je ne puis me dispenser de professer dans un acte authentique et public la Religion Catholique, Apostolique et Romaine, au sein de laquelle je suis né, j'ai vécu et je veux mourir.

Il ne restait plus qu'à attendre la destitution. C'était l'affaire d'un mois. Pendant ce mois, le Cardinal eut à transmettre au Roi et aux évêques députés à l'Assemblée les brefs, en date du 10 mars, qui condamnaient doctrinalement la Constitution civile. Il n'eut point à commenter ces documents : le Pape d'ailleurs s'en était chargé, car, au bref en latin destiné à Louis XVI, était jointe une lettre confidentielle en français[64].

Dans son bref, le Pape citait ces paroles de saint Avitus au Roi Gondebaud : Les mouvements tumultuaires n'étaient pas un motif qui dût vous dispenser de rendre publiquement hommage au créateur de l'univers. C'était même au milieu des fureurs populaires qu'il fallait faire de vive voix la solennelle confession de la foi que vous protestez être au fond de votre cœur[65]. Il rappelait au Roi le serment qu'il avait prêté le jour de son sacre, et menaçait expressément les prêtres et les laïques qui ne se rétracteraient point des mêmes moyens de rigueur dont avaient usé ses prédécesseurs dans des cas semblables, ainsi qu'ils en avaient le droit et l'obligation.

Enfin, au moment même où Bernis venait d'être averti que Mesdames, tantes du Roi, étaient parties pour Rome et qu'elles se proposaient de descendre chez lui, il reçut ses lettres de rappel dont une indisposition de Louis XVI avait seule retardé l'expédition. Dans ces lettres[66], le Roi, par une phrase sèche, se contentait de rendre justice au zèle et à la prudence avec lesquels ce Ministre avait contribué pendant un grand nombre d'années au maintien de la confiance entre les deux Cours. Montmorin avait joint une dépêche où, après quelques compliments, il déclarait au Cardinal que la circonstance qui mettait un terme à ses travaux influerait nécessairement sur le traitement qui pourrait lui être accordé.

Bernis n'avait point à répondre au Roi, mais il devait une dépêche au Ministre[67] :

La joie que m'a causée le rétablissement de la santé du Roi, écrivit-il, est bien supérieure à l'impression qu'a dû me faire l'annonce de mes lettres de rappel. Je vous plains, Monsieur, de tout mon cœur, d'avoir été forcé de m'annoncer une nouvelle qui surprend et afflige tout le monde.

Je vous ai donné, avant même d'avoir aucune liaison avec vous, des preuves certaines de l'intérêt le plus vif ; ainsi, il doit vous en coûter beaucoup d'être obligé de réduire à l'aumône Je plus ancien des Ministres du Roi, le plus fidèle de ses sujets et certainement le meilleur citoyen qui existe en France.

Je ne me plaindrai pas de la rigueur exercée contre moi. H fallait trahir mes anciens serments en prononçant, sans aucune interprétation ni restriction, celui qu'on exigeait de moi. La religion et l'honneur me le défendaient également ; aussi je suis bien loin de regretter les restes d'une fortune acquise par des services longs et utiles et par une conduite irréprochable. J'ai tout sacrifié à la foi de mes pères et à l'honneur dont ils ont été toujours jaloux.

L'indigence, quelque affreuse qu'elle soit pour un homme de mon état et de mon âge, ne m'a pas épouvanté, et sans savoir ce que la Providence me destine au bout de ma longue carrière, je me jette dans son sein et je m'y trouve heureux et tranquille.

 

Bernis avait le droit de parler ainsi, mais dans cette dépêche, qui est son testament d'homme politique, s'il ne demandait rien pour lui-même, il n'avait pas le droit d'oublier ses anciens collaborateurs. Avec des paroles d'une bonté touchante, il sollicita en faveur des vieux serviteurs de l'Ambassade qui, eux, avaient prêté le serment sans restriction. Il les passa en revue, ces braves gens qui depuis vingt ans vivaient près de lui, dont les fils étaient nés dans sa maison, avaient été élevés et placés par lui. A chacun il consacra un paragraphe, disant les mérites, l'ancienneté, le peu de fortune, les nombreuses charges, n'oubliant personne, bon et doux à tous.

Cela fait, que viendrait-il écrire ? Le 6 avril, il se borna à annoncer qu'il avait remis ses lettres de rappel, et il pria Montmorin d'assurer le Roi qu'il serait toujours son fidèle serviteur, toujours attaché à son service, à sa personne sacrée, à la France enfin, à laquelle il espérait encore pouvoir rendre service à Rome.

La destitution de Bernis comme ministre était un fait accompli : mais il restait encore un lien à rompre, s'il est vrai qu'on pût le rompre, c'était celui qui unissait Bernis à l'archevêché d'Albi. Il est vrai que ce lien semblait assez faible, car depuis 1769, le Cardinal n'était point retourné en Languedoc. Pendant dix ans, le palais archiépiscopal avait été habité par madame de Narbonne et mademoiselle du Puy-Montbrun. Les fonctions épiscopales avaient été suppléées par l'archevêque de Toulouse, les évêques de Castres et de Vabre. L'Archevêque s'était fait représenter aux États de Languedoc et aux États d'Albigeois par l'abbé de Villevieille[68] ; les affaires courantes avaient été expédiées par les grands vicaires et surtout par l'abbé Deshaises, frère du secrétaire. Cet état de choses avait duré dé 1769 à 1781. A ce moment, le Cardinal avait obtenu pour son neveu, François de Pierre, le titre d'évêque in partibus d'Apollonie, lui avait conféré les pouvoirs de vicaire général, et l'avait envoyé comme son représentant à Albi. En 1784, François de Pierre, promu archevêque in partibus de Damas, fut revêtu du pallium et investi de la coadjutorerie. 11 prit possession le 17 novembre 1784, et la fête donnée à cette occasion par la ville, avec feu d'artifice, illuminations, décharges des pièces de campagne, guidons aux armes des Bernis, dépassa fort en splendeur celle de 1764, car elle coûta 1076 livres 3 sous 6 deniers.

A partir de ce moment, le Coadjuteur fut, sauf pour les revenus[69], le véritable archevêque. Il résida à Albi plus souvent qu'on ne le faisait de son temps et s'attira, si l'on en croit les témoignages officiels, une considération véritable. II fut plusieurs fois l'orateur des États de Languedoc auprès du Roi, assista, en 1787, à l'Assemblée des notables et fut élu aux États Généraux par le clergé de la sénéchaussée de Carcassonne. Il y siégea parmi ceux qu'on appelait les noirs, et signa toutes les protestations du côté droit, mais son mandat politique l'obligea à résider à Paris, et il ne semble point qu'il soit retourné à Albi depuis 1789.

Au début de la Révolution, la population d'Albi demeura fidèle à son ancien seigneur[70] : ainsi, le 6 mai 1790, M. Gorsse, maire d'Albi, transmit au Cardinal une délibération de la commune, demandant le maintien de la religion catholique comme religion dominante, l'unité du culte et la conservation du siège archiépiscopal. La nouvelle de la transformation de l'Archevêché en évêché et de la suppression du chapitre consterna les Albigeois ; néanmoins, comme les partisans de la Constitution civile avaient la majorité dans le directoire du Tarn, la nouvelle loi fut mise à exécution avant même que le Roi en eût ordonné la publication. En effet, la publication n'eut lieu que le 24 octobre, et, dès le 15, les membres du Directoire avaient écrit au Ministre de l'Intérieur pour demander de quelle manière ils devaient sommer le Cardinal d'avoir à opter entre le siège d'Albi et le Ministère de Rome. Le même jour, sans attendre la réponse de M. de Saint-Priest, ils arrêtèrent que le Procureur syndic ferait la notification à la résidence légale de Bernis, c'est-à-dire à Albi. Le 21 octobre, trois jours avant la publication de la loi, il fut déclaré au Cardinal, en son palais d'Albi, que s'il n'avait pas opté dans le délai de trois mois, son siège serait réputé vacant, et on lui donnerait un successeur.

Ce fut le 9 novembre que Montmorin transmit au Cardinal la lettre du Directoire du Tarn, en date du 15 octobre[71] ; mais Bernis, qui avait reçu l'arrêté signifié directement le 21 octobre à son palais d'Albi, répondit, dès le IO novembre, à Montmorin, qu'il n'avait point lieu d'opter, puisqu'il était pourvu d'un coadjuteur, lequel avait reçu ses bulles et avait exercé tous les droits d'un évêque administrateur et titulaire. Son siège n'était donc point vacant, puisque son coadjuteur résidait. D'ailleurs, il demandait les ordres du Roi.

Montmorin ne répondant point et refusant de s'entremettre auprès du Directoire du Tarn[72], Bernis se détermina, le 23 décembre, à écrire au Procureur général syndic. Il lui expliqua que la qualité d'ambassadeur n'était ni une charge, ni un emploi, ni une commission[73], mais une mission, et que, dans ces conditions, il n'y avait pas lieu pour lui à opter ; car l'absence Reipublicæ causa avait toujours tenu lieu de résidence personnelle. D'ailleurs, il avait un coadjuteur, lequel n'était absent que pour une raison de service public, comme député de la sénéchaussée de Carcassonne. En admettant que le Directoire déclarât le siège vacant par la non-option du Cardinal, le successeur était tout trouvé : c'était le Coadjuteur. Donc, il n'y avait pas lieu à élection.

L'exécution de la loi nouvelle ne s'en poursuivit pas moins. En novembre, le palais de la Besbia fut estimé en vue d'un morcellement. Le 14 décembre, les Chapitres de la Métropole et de la Collégiale furent supprimés, le trône de l'Archevêque fut dégarni et porté au garde-meuble. Le 6 janvier 1791, sur la nouvelle que le Roi avait sanctionné le décret du 27 novembre, la municipalité régénérée s'empressa d'exécuter la loi, mais l'archidiacre avait reçu des instructions précises du Coadjuteur, la résistance fut universelle. Dans les quatre couvents de femmes, il ne se trouva point une religieuse qui voulût sortir de la clôture[74]. Dans les églises, les prêtres refusèrent de lire la loi et l'instruction relative au serment. A Châteauvieux et à Monestier, il y eut des émeutes[75]. Il ne se rencontra pour jurer que quatorze prêtres fonctionnaires.

Il semblait qu'à Albi on eût encore quelque scrupule à toucher au Cardinal ; mais le Comité ecclésiastique de l'Assemblée veillait. Par une lettre, en date du 6 février[76], il invita le Directoire du Tarn à convoquer le corps électoral pour procéder au choix d'un évêque, attendu que d'une part le Cardinal n'avait pas opté dans le délai de trois mois, et que d'autre part le Coadjuteur, membre de l'Assemblée nationale, avait refusé le serment[77]. Après une dernière sommation adressée le 7 février à l'archevêque de Damas, le Directoire du Tarn déclara, le 15, que le siège était vacant et convoqua l'assemblée des électeurs à Castres, pour le 13 mars.

Les deux cent trente-huit électeurs réunis à Castres ne formaient point la moitié du corps électoral du département : ils prirent pour président et pour scrutateurs quatre prêtres qui avaient prêté le serment. Il y eut trois tours (le scrutin : aux deux premiers, les voix se partagèrent entre le Cardinal, l'archevêque de Damas, l'évêque de Lavaur, M. Médalle, prieur de Saint-Pierre, M. Gausserand, curé de Rivières, promoteur du diocèse d'Albi et député à l'Assemblée, et le Père Sermet, Carme déchaussé, qu'avaient rendu populaire ses écrits français et patois en faveur de la Révolution. Au troisième tour, M. Gausserand fut élu par cent vingt voix contre cent dix données au Père Sermet.

Le Cardinal ne pouvait laisser passer sans protester une usurpation qui devait lui sembler d'autant plus coupable qu'il avait confié à M. Gausserand les fonctions importantes de promoteur. A la fin d'avril, il publia une lettre pastorale et une ordonnance qui provoquèrent dans tout le département une vive émotion[78].

Cette fois, le Cardinal ne ménage rien ni personne. Après l'intitulé dans lequel il n'a omis aucune de ses dignités, il débute par un réquisitoire virulent contre la Révolution, servante de la philosophie impie. La religion nouvelle qu'on place à force ouverte au milieu des temples souillés, ne conserve, dit-il, quelques-unes des apparences de la religion catholique, que pour tromper les peuples et les amener par degrés à l'athéisme. Le Pape a tout fait pour prévenir le schisme, mais enfin, d'accord avec la presque unanimité des prélats de l'Église gallicane, il vient de lancer un bref par lequel il déclare quelle est la foi de l'Église. Pierre a parlé par la bouche de celui qui lui a succédé dans la chaire que Bossuet appelle la mère et la maîtresse de toutes les Églises. Qui donc refuserait de se soumettre aux oracles de la vérité ?

Puis, le Cardinal apostrophe en ces termes l'évêque intrus :

Ô vous ! qui par la place que j'avais cru pouvoir vous confier comme promoteur de mon diocèse, pour veiller à la garde du sanctuaire et au maintien des règles ecclésiastiques, vous sur qui je me reposais pour dénoncer à mon zèle le prêtre coupable qui aurait oublié la sainteté de son ministère, comment n'avez-vous pas craint de donner vous-même, par votre apostasie et par votre intrusion schismatique, un scandale que nous voudrions couvrir en vain 'de tous les voiles de la charité chrétienne ? Quoi ! sans mission légitime, au mépris de toutes les lois, foulant aux pieds jusqu'aux bienséances, vous ne frémissez pas de vous voir délégué dans l'Église par une puissance purement temporelle ? Vous ne frémissez pas d'entrer dans le bercail de Jésus-Christ, pour en être le loup ravisseur, pour en chasser l'unique et seul Pasteur, pour usurper un siège qu'au fond de votre conscience vous savez n'être point vacant, enfin pour profaner cette chaire épiscopale, établie dès les premiers siècles du christianisme par les successeurs des apôtres, et illustrée par la sainteté des pontifes qui l'ont occupée, saint Clair, saint Diogénien, saint Salvi... Qui êtes-vous ? D'où venez-vous ? Qui vous a envoyé ? Interrogez-vous vous-même...

Grand Dieu, j'adore en silence vos impénétrables décrets, mais qu'il me soit permis d'exprimer ma vive et déchirante affliction par ce cri que m'arrache le désolant spectacle de nos maux ! J'étais donc destiné, presque à la fin de ma carrière, à être le triste témoin de l'abomination introduite dans le lieu saint ! Il fallait que je vécusse assez pour voir se couvrir de nuages et de ténèbres l'Église que vous aviez confiée à mon zèle...

Il va s'élever autel contre autel, et qui sait, nos très-chers Frères, si l'on vous permettra d'en avoir pour adorer le Dieu de vos pères et lui rendre le seul culte qui puisse l'honorer ? Vos vrais pasteurs ravis à vos instructions, chassés de leurs places, leurs paroisses livrées à des intrus, sans mission canonique, sans pouvoirs légitimes pour vous distribuer le pain de la parole de Dieu et les sacrements de l'Église, voilà les spectacles qui vont épouvanter votre foi...

Que vous devons-nous, nos très-chers Frères, au sein de l'orage qui gronde sur nos têtes, au milieu de l'horrible tempête qui vous menace autant que nous-même ? C'est de vous rappeler, en qualité de votre premier et légitime pasteur, les immuables principes de la foi.

Il est de foi, dit en terminant le Cardinal, qu'il y a dans les ministres de l'Église deux pouvoirs distincts : le pouvoir de l'Ordre qui est conféré par l'ordination, et le pouvoir de juridiction qui émane de Jésus-Christ et qui est transmis par l'Église ; qu'il ne suffit pas pour qu'un évêque ou un prêtre puisse se dire légitime pasteur qu'il ait été ordonné, qu'il faut encore qu'il soit investi de la mission de l'Église, et que cette mission ne peut être valablement conférée que par les supérieurs qui en ont le droit et l'autorité. (Concil. Trid., sess. 23., cap. XII.)

 

Donc la nomination de M. Gausserand en qualité d'évêque du département du Tarn est nulle et de nul effet ; Bernis est toujours le seul, véritable et légitime archevêque du diocèse d'Albi, qu'il continuera à gouverner avec toute autorité épiscopale jusqu'à ce que la mort, un jugement canonique, ou sa démission acceptée par l'Église, l'ait séparé du troupeau qui lui a été confié. En vertu de la puissance de Jésus-Christ dont il est revêtu, il défend à M. Gausserand, sous les peines portées contre les intrus et les schismatiques, de se dire évêque d'Albi, de s'immiscer en aucune manière dans le gouvernement du diocèse ; il déclare que tous les actes qu'il y fera seront nuls, que les prêtres institués par lui seront des intrus et des faux pasteurs, que les absolutions données en vertu de cette institution seront nulles. Il défend à tous les prêtres, à tous les fidèles de reconnaître Gausserand pour leur évêque, ou d'accepter de lui la qualité de vicaire ; il déclare nulles toutes nominations faites pour remplacer les curés chassés de leur paroisse ; il interdit enfin à qui que ce soit d'exercer dans quelque portion détachée du diocèse les fonctions épiscopales.

La leçon était sévère ; l'ordonnance est semblable à celles rendues par la plupart des évêques dépossédés, mais, dans le mandement, il a du cardinal et du grand seigneur assez pour exaspérer tous les municipaux du Tarn. Avant même d'en connaître le texte, les membres du District donnent des ordres pour qu'on empêche les curés d'en faire lecture. Les clubistes d'Albi se portent chez les vicaires généraux, chez le directeur du séminaire, chez les prêtres qui passent pour le plus attachés à l'Archevêque, font des perquisitions dans leurs papiers, les somment de quitter la ville. Le 19 mai, sur la dénonciation du procureur syndic du district de Gaillac, le Directoire du Tarn prend un arrêté aux termes duquel la lettre imprimée signée : Cardinal de Bernis, et la lettre de l'archevêque de Damas qui y est jointe, seront envoyées et dénoncées à l'Assemblée nationale, avec prière de livrer promptement à la sévérité des lois les auteurs de ces deux écrits, afin que l'exemple qui en sera fait puisse influer sur leurs adhérents ou complices, et prévenir les maux dont leurs intrigues criminelles ne cessent de menacer la chose publique.

Le Directoire, par un second arrêté, défend à tout citoyen de recevoir, répandre, publier ou afficher ces sortes d'écrits. Par un troisième arrêté, le traitement du coadjuteur d'Albi est suspendu.

Quant au traitement auquel le Cardinal avait droit (10.000 livres) comme évêque démissionnaire, aux termes de l'article III du décret du 24 juillet 1790, il ne lui fut jamais payé. Le Directoire soutint que, comme pensionnaire, Bernis était tenu de résider à Albi ; Bernis riposta que, s'il n'était plus ministre à Rome, il était toujours protecteur des églises de France. Le Directoire en référa au Ministre de l'Intérieur, Cahier de Gerville, qui en écrivit à son collègue des Affaires étrangères. Celui-ci répondit d'une façon embarrassée que, lors de la démission du Cardinal, il n'avait pas été question de la place de Protecteur, laquelle ne pouvait être remplie que par un cardinal. Il est vrai, ajouta-t-il, que les fonctions en sont pour ainsi dire anéanties, et qu'aucune loi n'a prononcé qu'il dût y avoir un chargé des affaires ecclésiastiques. Néanmoins, le Cardinal n'a pas été révoqué ; la place exige la résidence, et d'ailleurs un cardinal qui n'est plus évêque doit habiter Rome. Malgré cet avis, le département du Tarn se refusa à payer le traitement de retraite, de même qu'il se refusa à faire payer les arrérages dus ; il exigea, il est vrai, en même temps, des impositions montant au chiffre exorbitant de 18.000 livres.

Pourtant le Cardinal, malgré les nouvelles instructions publiées par Gausserand, malgré la fermeture de cinq des églises où se réunissaient les catholiques, malgré les sollicitations qu'il recevait des fidèles, s'était borné à sa lettre pastorale et avait laissé à son coadjuteur, qui résida à Paris jusqu'au milieu de 1792[79], le soin de faire justice des nouvelles doctrines. Cette modération n'arrêta point les mesures prises contre lui. Au mois de mars 1792, il fut porté sur la liste des émigrés ; l'arrêté fut cassé, mais les meubles qu'on avait eu soin, dès le mois de janvier, de déposer chez des tiers furent saisis en garantie de 53.000 livres que Bernis restait devoir sur sa contribution patriotique. Les émeutes se multipliaient ; l'ancien maire, M. Gorsse, qui à force de dévouement était parvenu jusque-là à protéger dans une certaine mesure les intérêts du Cardinal, fut obligé de fuir, de se réfugier à Toulouse. Le 31 mai, dix maisons furent pillées ; le 4 juin, les émeutiers se portèrent chez M. de Marliaves, qui avait pris en dépôt des objets appartenant au Cardinal, et saccagèrent pour une dizaine de mille livres. Gorsse fit alors transporter à Toulouse les effets de valeur[80]. Le reste fut laissé chez M. de Marliaves ou vendu ; on tira de cette vente 3.136 francs.

Ce fut tout ce que le Cardinal sauva de cet immense mobilier. Le 4 mai 1793, le Ministre de l'intérieur déclara que, en vertu de la loi du 28 mars 1793 (sect. IV, art. VIII, § 4), Bernis devait être réputé émigré, attendu qu'il avait été rappelé et n'était point rentré en France. Les effets restés à Albi et ceux transportés à Toulouse furent inventoriés et vendus. L'encan des meubles déposés chez M. de Marliaves eut lieu le 17 juin et les jours suivants, et produisit 25,811 livres 18 sols. On vendait encore en vendémiaire an IV, au profit de la nation, des objets ayant appartenu au Cardinal.

 

 

 



[1] Sur le caractère des voyages en Italie à cette date, voir une note très-juste que donne madame de Duras dans Ourika, Paris, 1826, in-8°. Au reste, les Mémoires inédits de d'Espinchal ne sont pleins pour ainsi dire que de choses d'amour.

[2] Bernis à Montmorin. 23 septembre 1789. (AFF. ÉTR.)

[3] Souvenirs de madame Vigée-Lebrun, t. I, p. 156.

[4] Lettre à Flavigny du 10 février 1790. (Arch. Bernis.)

[5] Lettre à Flavigny. (Arch. Bernis.)

[6] D'Espinchal (Mémoires, p. 100) dit : Je dîne chez le cardinal de Bernis tous les deux jours et en nombreuse compagnie. Il continue à tenir un état énorme et à soutenir l'honneur de la nation. Sa table est ordinairement de trente à quarante couverts. La chère est excellente et somptueuse, etc.

[7] Encore Bernis put-il paraître le 25 mars à la fonction du Pape à la Minerve avec huit carrosses suivis d'un grand nombre de laquais. (D'ESPINCHAL, t. II, p. 257.)

[8] En 1789, à Rome, en dehors des Français déjà cités, il y a le prince héréditaire de Brunswick, la Margrave de Baireuth-Anspach et sa sœur la duchesse de Saxe-Weimar, le prince Auguste d'Angleterre et toute une foule d'Anglais et d'Anglaises, telles que mademoiselle Roland, la maitresse et bientôt la femme de lord Wellesley, lord Bristol, miss Pitt que madame Lebrun peignit en Hébé assise sur un nuage, tenant à la main une coupe dans laquelle un aigle venait boire : l'aigle appartenait au Cardinal et faillit dévorer madame Lebrun. Il y avait encore une foule de Polonais, entre autres le Primat frère du roi Auguste et cette ravissante comtesse Potoçka sur qui d'Espinchal conte de curieuses anecdotes.

[9] Souvenirs d'un officier royaliste, t. 1, p. 291.

[10] Madame LEBRUN, t. I, 231.

[11] Œuvres posthumes de Girodet-Trioson, t. II, p. 282. Voir dans LECOY DE LA MARCHE, Académie de France â Rome, Paris, 1878, in-12, l'indication des démarches faites par Bernis en faveur des pensionnaires. On en a une preuve plus forte encore. Prudhon, dans ses lettres à MM. Devosges et Fauconnier (publ. Archives de l'art et de la curiosité, t. V, p. 97 et suiv.), raconte que le Cardinal s'étant entremis près du prince Rospigliosi pour obtenir au peintre Dubois la permission de copier le Triomphe de David du Dominiquin, Dubois brisa un vase d'albâtre oriental que Bernis remplaça à ses frais.

[12] Si l'on en croit le Père Deschamps (les Sociétés secrètes et la Société, Avignon, 1874, t. I, p. 547), Bernis attachait à la franc-maçonnerie une importance véritable. Sur cette question fort débattue, les témoignages diffèrent. Montmorin ne croit pas que la franc-maçonnerie ait eu une influence sur la révolution, ni que ses mystères aient servi à autre chose qu'à ruiner quelques dupes. Il annonce le 26 janvier 1790 que les clubs ont fait fermer les loges. (AFF. ÉTR.) J'ignore d'autre part s'il est vrai, comme le dit BOUDÉE, Souvenirs maçonniques, Paris, 1866, in-8°, que le marquis de Bernis ait été un des fondateurs de la maçonnerie en France. (p. 34.)

[13] Voir dans SILVAGNI, la Corte e la Societa romana, Florence, 1882, in-12, p. 312, de curieux détails sur Cagliostro à Rome. Il y a néanmoins un récit d'une entrevue entre Bernis et Cagliostro qui me semble fort suspect.

[14] Voir dans l'Île de la Félicité, ou Anaxis et Théone, par madame Fanny DE BEAUHARNAIS, les vers à M. le cardinal de Bernis qui dans le temps du séjour à Rome de madame de Beauharnais avait dormi après dîner chez lui où elle était, Paris, an IX, in-8°, p. 207.

[15] V. DORAT-CUBIÈRES, Œuvres choisies publiées par Annette Delmar, Paris, 1793, 2 vol. in-12. Au reste, Bernis est souvent dénoncé dans les clubs du Midi.

[16] Bernis à Montmorin. (AFF. ÉTR.)

[17] D'ESPINCHAL, Mémoires.

[18] V. Mémoires sur la vie el le caractère de madame la duchesse de Polignac, par la comtesse Diane DE POLIGNAC, Hambourg, 1796, in-8°, p. 39.

[19] Madame la duchesse de Polignac alla mourir à Vienne le 5 décembre 1793.

[20] D'ESPINCHAL, Mémoires.

[21] Les fils de la princesse Santa Croce furent des plus ardents pour la République romaine.

[22] Madame de Narbonne et madame de Vinezac furent enterrées à Albi, sur le perron, au bout du grand degré de la cathédrale, avec les honneurs dus aux chanoines et aux Frais du chapitre. (Arch. d'Albi.)

[23] Chapitre noble fondé en 1755. Les chanoinesses avaient titre de comtesses et étaient décorées d'une croix d'or attachée à un ruban bleu liseré de rouge. Le chapitre de Neuville dépendait du chapitre de Lyon, dont le Cardinal était toujours chanoine. Dans ses lettres à Vergennes, Bernis dit plusieurs fois que sa petite-nièce a été reçue à Neuville ; néanmoins le nom de mademoiselle de Puy-Montbrun ne se trouve ni dans la France ecclésiastique, ni dans les Chapitres nobles de dames, de Ducas.

[24] Il avait épousé mademoiselle Le Nonant de Pierrecourt, décapitée le 26 juillet 1794, et en avait eu plusieurs enfants, entre autres François-Raymond Aymeric, substitué en 1828 à la pairie ducale de son cousin Raymond-Jacques-Marie, duc de Narbonne-Pelet, et une fille qui épousa en 1802 le duc de Luynes.

[25] Alphonse-Hubert de Latier de Bayane, né à Valence en Dauphiné, le 30 octobre 1739, fils de Louis de Latier de Bayane, page en la grande écurie, puis capitaine d'infanterie et lieutenant des maréchaux de France en Dauphiné, et de Catherine de Sibend, était chanoine de Valence, vicaire général de Coutances et abbé de Saint-Guillaume de Désert, lorsque, le 28 mai 1772, il fut nommé auditeur de Rote en remplacement de l'abbé de Veri. En 1777, il fut autorisé à porter la croix de Malte et obtint successivement les abbayes de Cherbourg, de Rohéries et d'Hautvilliers rapportant70.000 livres. Il n'en était point satisfait et demandait encore une pension de 20.000 livres sur les économats. Son traitement de 9.000 livres sur les Affaires Étrangères fut supprimé en 1790. Pendant toute la Révolution, il ne cessa d'adresser des suppliques à l'Assemblée nationale, à la Législative, à la Convention, au Directoire. Sur une de ses lettres du 2 vendémiaire an V, Charles Delacroix écrit : Je ne sais ce que c'est, je ne suis pas plus sage que l'Assemblée nationale. Demander des renseignements au citoyen Cacault. Au reste son poste lui donne les moyens de se soutenir : ainsi rien de pressé. On prétend qu'il s'entremit lors de la négociation du concordat, fut créé cardinal par Pie VII le 9 mit 1802. (Il avait depuis 1787 la seconde nomination du Roi de Pologne.) COURCELLES (Histoire des Pairs, t. VII, p. 195) dit qu'il demanda à Louis XVIII, alors à Mittau, la permission d'accepter le chapeau. Lui demanda-t-il la mente permission pour accepter en 1805 le plus haut grade dans la Légion d'honneur et le 5 avril 1813 le siège de sénateur ? Il fut Pair de Louis XVIII le 4 juin 1814 ; il fut Pair de Napoléon aux Cent-Jours et assista comme Cardinal à la cérémonie du Champ de Mai. Il fut créé duc en 1817 et mourut le 26 juillet 1818. Le comte Lemercier prononça son éloge.

[26] Lettres de M. de Gorsse au Cardinal. (Arch. Bernis.)

[27] Bernis à Montmorin, 10 mirs 1790. (AFF. ÉTR.)

[28] La démission de celui-ci est de la fin de septembre 1789.

[29] THEINER, Documents inédits, t. I, p. 1.

[30] Il convient de remarquer que cette année même paraissait à Paris une pièce intitulée : la Journée du Vatican, ou le Mariage du Pape (s. la rubrique de Turin, imprimerie aristocratique. Aux dépens des Français réfugiés, par le chevalier Andrea Gennaro Chiavacchi). Je ne cite le titre de cette pièce qui fut représentée au théâtre Louvois en septembre 1793 que comme spécimen des pamphlets contre un prince étranger.

[31] GUILLON, Collection générale des brefs, t. I, p. 15. Le bref est en date du 31 mars 1790.

[32] Bernis à Montmorin, 5 mai 1790. (AFF. ÉTR.)

[33] Je regrette de ne pouvoir donner sur ce curieux épisode les documents que j'ai trouvés, mais l'affaire demeura entre les mains du Nonce, et le cardinal de Bernis n'y fut point mêlé. SOULLIER, Histoire de la révolution d'Avignon, Avignon, 1844, 2 vol. in-8°, et J. J. ANDRÉ, Histoire de la révolution avignonnaise, Paris, 1844, 2 vol. in-8°, n'ont fait qu'effleurer la question et n'en ont point compris l'importance.

[34] Bernis à Montmorin, 30 juin 1790. (AFF. ÉTR.)

[35] THEINER, Documents, t. I, p. 5, 7 et 9.

[36] Bernis à Montmorin, 14 juillet 1790. (AFF. ÉTR.)

[37] Montmorin à Bernis, 27 juillet 1790. (AFF. ÉTR.)

[38] Le décret du 19 juin 1790 avait aboli la noblesse, les qualités et honneurs qui en étaient la suite, A cette occasion, Montmorin avait écrit au Cardinal le 5 juillet : Je dois vous prévenir que le changement de protocole que je suis obligé d'adopter est la suite d'un décret de l'Assemblée nationale qui abroge tous les titres, décret qui est sûrement parvenu à votre connaissance et que le Roi a jugé à propos d'accepter. Toute réflexion sur ce décret qui étonnera l'Europe, et dont on prétend que la plupart de ceux qui y ont contribué se sont repentis, serait superflue. J'ai trop l'honneur de vous connaître pour penser que vous puissiez être affligé de la perte de titres dont personne ne peut mieux se passer que vous. Le Cardinal avait répondu le 21 juillet : Pourvu qu'on ne me dispute pas riss titres de fidèle sujet du Roi, de bon citoyen et d'homme sage, je ne serai nullement affecté du changement de protocole, lequel au surplus ne sera pas adopté au moins de longtemps par le reste de l'Europe.

[39] DURAND-MAILLANE dit (Histoire du comité ecclésiastique de l'assemblée, Paris, 1791, in-8°, p. 83) : La constitution n'était soumise qu'à l'acceptation du qui la donna ou la promit dès qu'elle lui fut présentée, en suspendant néanmoins la publication jusqu'à ce qu'il fût parvenu à lui obtenir l'approbation soit des évêques de France, soit du chef visible de l'Église.

[40] THEINER, Documents, t. I, p. 264.

[41] AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

[42] Versailles, Sedan, Colmar, Vesoul, Laval, Châteauroux, Guéret, Saint-Maixent.

[43] Voir ap. THEINER, Documents, t. I, p. 265 et suiv., les quatre mémoires rédigés par Bernis en vue de trouver un tempérament admissible.

[44] Voir le quatrième pro memoria, important et confidentiel, ap. THEINER, loc. cit. Il est regrettable que M. SCIOUT, dans son Histoire de la constitution civile du clergé (t. I, p. 295), ait travesti les intentions de Bernis et ne se soit pas rendu compte de l'abîme qui sépare les propositions du Cardinal de celles émanées du Conseil du Roi.

[45] THEINER, Documents, t. I, p. 15.

[46] J'admets que le courrier extraordinaire aurait pu gagner deux jours sur la poste ; mais quant à penser que l'aller et le retour du courrier auraient pu s'effectuer en moins de vingt-quatre jours, c'est une absurdité. Il en fallait au moins trente à la poste.

[47] DURAND-MAILLANE, Histoire du comité ecclésiastique de l'assemblée, p. 84.

[48] AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

[49] THEINER, Documents, t. I, p. 18.

[50] Montmorin à Bernis, 19 octobre 1790. (AFF. ÉTR.)

[51] Bernis à Montmorin, 20 octobre 1790. (AFF. ÉTR.)

[52] Bernis à Montmorin, 27 octobre 1790. (AFF. ÉTR.)

[53] Montmorin à Bernis, 26 octobre 1790. (AFF. ÉTR.) Dans cette même dépêche, Montmorin ajoute que c'est plus dans l'intérêt de Rome que dans l'intérêt de la France qu'il parle, car la plupart des ecclésiastiques cédera.

[54] Correspondance d'octobre et novembre, passim.

[55] Montmorin à Bernis, 23 novembre. (AFF. ÉTR.)

[56] Voici le début de cette longue dépêche : Le plus ancien des Ministres d'État employés par le Roi en ce moment, après avoir servi vingt-deux ans avec succès, à Rome, la Cour et la nation, et avoir fait les honneurs de la France à toute l'Europe, serait dépouillé ainsi que son coadjuteur, non-seulement de tons ses revenus, mais même des droits de métropolitain qu'aucun pouvoir temporel ne peut enlever sans la décision du Saint-Siège et le consentement de l'Église ; cet ancien Ministre, dis-je, à soixante-seize ans est donc réduit aux fonctions de curé de la petite ville d'Albi dont il était archevêque et seigneur. Il ne s'en est pas plaint jusqu'ici, car qui peut se plaindre aujourd'hui après tant d'exemples mémorables qui étonnent l'univers entier ? mais dès qu'on le force à rompre le silence, il ne peut ni ne doit trahir sa conscience et son honneur. Son coadjuteur est dans le même cas : canoniquement institué depuis plusieurs années, il ne peut être dépouillé de ses droits reconnus de toute l'Eglise catholique que par l'accord des deux puissances et par son consentement. C'est à cet accord qu'on devrait travailler, au lieu de traiter avec mépris et dureté les princes de l'Église, si l'on aimait le bien, la paix et l'ordre, si l'on était de bonne foi, si l'on était attaché à la religion qui seule est l'appui de toute autorité et de toute forme de gouvernement. Jamais Pape n'a été plus porté à la conciliation que celui-ci, et son amour pour la tranquillité générale et le repos des consciences n'a d'autres bornes que celle du devoir prescrit par les canons de l'Église dont il est le chef. Si l'on se décidait à s'entendre avec lui et avec les évêques du royaume au lieu de jeter à bas toutes les formes de la catholicité, on parviendrait avec un peu de temps à tout concilier et arranger, mais, etc. (Ut supra.)

[57] La dépêche du 24 novembre est encore plus nette. Elle se termine ainsi : Il est impossible au chef de la religion catholique de donner une approbation quelconque à des décrets destructifs des règles canoniques et opposés à la discipline universelle ainsi qu'aux maximes de l'Église gallicane.

[58] Je suis obligé de donner in extenso cette pièce importante qui ne me parait point avoir été publiée jusqu'ici : Très-Saint Père, le danger auquel la religion se trouve exposée dans mon royaume, celui des ministres de cette même religion, m'engagent à avoir de nouveau recours à Votre Sainteté. Le cardinal de Bernis lui exposera l'état des choses qui est devenu on ne peut plus pressant par le nouveau décret de l'Assemblée nationale dont on donnera connaissance à Votre Sainteté. Ce décret mérite la plus sérieuse attention de sa part comme il a fixé toute la mienne. Il est certain que les évêques se refuseront au serment qu'il exige d'eux : de là, leur destitution et de nouvelles élections. Votre Sainteté a trop de pénétration pour ne pas voir d'un coup d'œil les suites fâcheuses d'une pareille marche et l'embarras extrême qui en résulterait pour elle-même. Je suspends donc en ce moment ma sanction ; mais les circonstances ne permettent pas de la suspendre au delà du temps rigoureusement nécessaire. Protecteur de la religion dans mes États, j'ai fait à ce titre tout ce qui pouvait dépendre de moi : c'est à Votre Sainteté qu'il appartient à présent de la préserver du danger dont elle pourrait être menacée. C'est son autorité, consultée par ma voix et sollicitée par le vœu général de tous les évêques de mon royaume, qui peut donner une forme canonique à des changements auxquels les circonstances ne permettent plus de se refuser. Le silence, etc. (Ut supra.)

[59] 1° Que le Pape approuve et confirme la division des métropoles et des évêchés ; 2° qu'il exhorte les métropolitains dont la métropole est supprimée ou restreinte, et les évêques dont les évêchés sont supprimés ou démembrés, à donner leur consentement à cette nouvelle division, etc.

[60] Bernis à Montmorin, 19 janvier 1791. (AFF. ÉTR.)

[61] Bernis à Montmorin, 24 novembre 1790. (AFF. ÉTR.) Il faut bien remarquer que le rejet de cette restriction combinée avec soin par les évêques fut dans toute l'acception du mot une mesure de persécution de la part de l'Assemblée, qui s'était érigée en juge de la conscience et violait ouvertement la liberté des cultes.

[62] Montmorin s'en plaint à Bernis dans une dépêche du 18 janvier 1791. (AFF. ÉTR.)

[63] THEINER, Documents, t. I, p. 313.

[64] Je n'ai point retrouvé cette lettre dont l'existence est démontrée par la dépêche de Bernis en date du 11 mars. Il est à remarquer que Theiner, dans son recueil de Documents, a éliminé la plupart des pièces peu honorables pour Louis XVI.

[65] GUILLON, t. I, p. 289.

[66] En date du 22 mars 1791. (AFF. ÉTR.)

[67] Montmorin à Bernis, 30 mars 1791. (AFF. ÉTR.)

[68] L'abbé de Pavée de Villevieille fut, en 1784, nommé évêque de Bayonne.

[69] Il n'avait point à se plaindre, car le Cardinal lui avait conféré la prévôté de Saint-Laurent de Marisy-Saint-Marc au diocèse de Soissons qui rapportait 18,756 livres, le prieuré de Saint-Christophe en Halatte qui rapportait 18,387 livres 4 sous 4 deniers, le prieuré de Saint-Pierre-Saint-Paul de Reuil en Brie qui valait 41.683 livres 1 sou 11 deniers, et le prieuré de Notre-Dame de Joigny en Champagne qui donnait 7.390 livres 16 sous 6 deniers ; tons bénéfices dépendant soit de Saint-Médard, soit de Trois-Fontaines : donc, malgré quelque 20.000 livres de charges, le Coadjuteur n'en avait pas moins de ses bénéfices 70.000 livres de rente : et dans tout cela point une abbaye ou un prieuré à nomination royale, ee qui lui permettait de tout solliciter.

[70] Lettres de M. Gorsse. (Arch. Bernis.)

[71] La dépêche lue par M. de Saint-Priest au Conseil du Roi avait été remise par lui à M. de Montmorin.

[72] Bernis demande un délai le 24 novembre pour attendre les ordres du Roi ; Montmorin lui répond qu'à la façon dont les affaires se traitent, les délais ne peuvent ici rien produire d'avantageux.

[73] Termes de l'article 5 du titre IV de la loi.

[74] Toutes déclarent qu'elles veulent vivre dans leur retraite jusqu'à leur dernier jour. A la Visitation, les municipaux sont conduits au chœur, et après le chant du Veni creator, les religieuses l'une après l'autre renouvellent leurs vœux.

[75] A Chateauvieux, où le maire avait donné sa démission par scrupule de conscience, les femmes armées de leurs battoirs chassent de l'église les municipaux.

[76] Archives d'Albi.

[77] Le 7 février, M. de Lessart, Ministre de l'intérieur, ignore la décision prise la veille par le comité ecclésiastique, car il expose à Montmorin l'embarras que cause au département du Tarn le retard apporté par Bernis à l'envoi de son option. C'est ce qu'on appelait la séparation des pouvoirs !

[78] Lettre pastorale et ordonnance de M. le cardinal de Bernis, archevêque d'Albi, au clergé séculier et régulier, et à tous les fidèles de son diocèse, au sujet de l'élection faite le 13 mars 1791 de M. Jean-Joachim Gausserand, prêtre et curé de la paroisse de Rivières dans le diocèse d'Albi, par MM. les électeurs du département du Tarn, en qualité d'évêque dudit département. Cette pièce a été imprimée en Italie et réimprimée à Paris, (bureau de l'Ami du Roi, in-8° de 16 pages ; le document est en date du 30 mars. Cette pièce est d'une insigne rareté. J'en dois une copie manuscrite à M. le comte de Combattes du Luc).

[79] Certificat de résidence délivré le 11 février 1792 par la section des Quatre-Nations. (Arch. Albi.) Quelle fut la part du coadjuteur dans la résistance du clergé albigeois, c'est assez difficile à déterminer. Néanmoins M. Crozes (Diocèse d'Albi, p. 197) cite une lettre qui prouve qu'il était en 1794 en correspondance avec les prêtres fidèles. Suivant Berryat Saint-Prix (Justice révolutionnaire, t. I, p. 351), cinq condamnations à mort furent prononcées contre les prêtres réfractaires ; neuf suivant Crozes, loc. cit. Le Coadjuteur émigra en 1792 et alla à Rome. A la mort du Cardinal, il prit le titre d'archevêque d'Albi, se réfugia ea Russie prés de Paul Ier, qui le nomma commandeur de Saint-Jean de Jérusalem. Il se soumit au Concordat, rentra en France après la mort de Paul et vécut jusqu'à la Restauration dans un1domaine près de Nîmes. Louis XVIII le nomma à l'archevêché de Lyon, bien que le cardinal Fesch fut canoniquement institué. M. de Bernis n'obtint donc point de bulles et fut transféré en 1819 à Rouen. Pair de France en 1821, il mourut en 1823.

[80] C'est ainsi que les livres du Cardinal se trouvent à Toulouse, et non à Albi. Peut-être saurait-on trace à Toulouse du linge, des tapisseries, des meubles précieux qui y furent portés. Le 14 juin, douze voitures avaient été remplies, et ce n'était que la minime partie. La correspondance de M. Gorsse, qui s'arrête au i7 adit 1792, est un document absolument précieux pour l'histoire de l'Albigeois.