LE CARDINAL DE BERNIS, DEPUIS SON MINISTÈRE — 1758-1794

 

CHAPITRE XI. — LES JÉSUITES SOUS LE PONTIFICAT DE PIE VII (1775-1788).

 

 

Sources : AFFAIRES ÉTRANGÈRES, Rome, vol. 873 à 903. Archives Bernis : Correspondance du cardinal de Bernis avec le comte de Vergennes. La Compagnie de Jésus conservée en Russie après la suppression de 1772. Récit d'un Jésuite de la Russie Blanche,. Paris, 1872, in-12. Un Nonce du Pape à la cour de Catherine II, Mémoires d'Archetti. Paris, 1872, in-12. Ouvrages sur Pie VI cités aux sources du précédent chapitre.

 

Pie VI. — Son caractère. — Affaires pendantes avec la France : Avignon ; les Jésuites. — Solution de l'affaire d'Avignon. — Les Jésuites. — Pie VI et l'empoisonnement de Clément XI V. — Le procès de l'ex-général Ricci. — Mort de Ricci. — Punitions infligées aux autres accusés. — La mémoire de Ganganelli. — Fabri Ganganelli. — Procès de Bischi. — Les Jésuites de Silésie et de Russie. — Garampi. — Pouvoirs donnés aux Jésuites insoumis. — Lettres et contre-lettres. — Opinion de Vergennes. — Poursuites contre les Oratoriens de Rome. — Rescrits donnés aux Jésuites. — Protestations de l'Espagne. Suppression de la Haquenée. — Les Rescrits sont retirés. — Disgrâce de Tanucci. — Florida Blanca, premier Ministre à Madrid, remplacé à Rome par Grimaldi et Azara. — Disgrâce de Pombal. — Les Jésuites reprennent la lutte. — Affaire de Palafox. — Les Jésuites de Pologne. — Leur marche. Vergennes ouvre les yeux à Bernis. — Promesses du Pape. — Expédients proposés par Vergennes. — L'Espagne se fâche. — Le Pape a l'air de céder. Ses actes. — Grimaldi à Rome. — Nouvelles promesses de Pie VI. — Nouveaux actes. — Révolte des Cours catholiques. — Nouvelles promesses du Pape. L'Espagne essaye de le tenir. — Consistoire du 25 décembre 1778.— La daterie et l'Espagne. — Maladie de Pie VI. — Éventualité d'un conclave. — Union projetée entre les Couronnes. — Noviciat des Jésuites en Russie. — Négociation mal conduite par Vergennes. — La Ligue des neutres. — Inaction de la maison de France. — Correspondance de Pie VI avec Catherine. — Promesses du Pape. — Lettre à la Czarine. — Bref aux souverains catholiques. — Les Jésuites rétablis de fait. — Labre. — Sa vie. — Sa mort. — Labre opposé à Palafox et canonisé par les Jésuites.

 

Jean-Ange Braschi n'a que cinquante-sept ans et quelques mois lorsqu'il s'assied sur le trône pontifical. C'est un homme robuste, d'une haute stature, d'une santé admirable ; la tête est belle, le port majestueux, les habitudes de corps lentes et comme rythmées. Ses mœurs sont pures ; sa table est relativement frugale. Là n'est point son vice : son vice, c'est la vanité ; il aime et veut qu'on l'admire : déployer dans les cérémonies ses grâces pontificales, se montrer aux Romains et aux étrangers dans sa gloire de Vicaire du Christ, étonner par sa souplesse, surprendre par l'éclat de sa voix, charmer par la beauté de son visage, jouer au Pape comme d'autres jouent au Roi, voilà son goût dominant. Il est coquet, mais d'une coquetterie de Pape, coquet de sa calvitie, de ses cheveux blancs, longs et soyeux, qui tombent de deux côtés de ses tempes, coquet de son costume traditionnel qu'il porte exactement, mais en relevant un peu la soutane pour laisser voir sa jambe qu'il a belle. Il aime les inscriptions à sa gloire, les monuments sur qui l'on met son nom, les entreprises qui doivent l'immortaliser. Il se croit grand architecte, grand ingénieur, grand savant, protecteur des lettres et des arts. Il joue au Léon X et parfois même au Jules II. A quoi ne joue-t-il pas, ce glorieux, qui, non satisfait de son modeste écusson familial[1], a pris ces armoiries étranges et presque prophétiques : De gueules, au lys au naturel courbé sous le souffle d'argent d'un borée de carnation issant d'un nimbe d'argent. Il veut être seul maitre, n'admet ni contrôle, ni conseil, non pas comme Clément XIV, par défiance ou par crainte, par cette haine des nobles qui perce à des instants chez l'ancien moine, mais par confiance en soi, parce que, élu Pape, il se sent autocrate, qu'il n'admet rien au-dessus de lui, qu'il est l'émanation directe de la Divinité. Il ne laisse rien à faire au secrétaire d'État qui lui a été imposé par les Couronnes ; il craindrait de lui abandonner une parcelle du pouvoir dont il n'a pas assez pour lui seul. Il sent devant lui de longues années, car jamais, pour ainsi dire, Pape n'a été élu à son âge, avec une santé pareille à la sienne. Il peut donc entreprendre, car il a un lendemain, mais ses entreprises sont mal conçues ou mal exécutées. Elles n'ont d'ordinaire pour but que sa vanité, et c'est pour la satisfaire qu'il ruine son État. Il est vrai qu'il enrichit ses neveux, car jamais plus que sous son pontificat le népotisme n'a fleuri à Rome ; mais ce que le Pape fait dans le patrimoine de saint Pierre ne regarde point la France, et Bernis n'a à s'inquiéter que de ce qui a rapport aux Couronnes.

Or, au moment de l'exaltation de Pie VI, les affaires qui avaient occupé les pontificats de Clément XIII et de Clément XIV, étaient pour ainsi dire réglées. Les querelles avec la Maison de France étaient terminées ; le Saint-Siège était rétabli dans la souveraineté du Comtat ; il ne s'agissait plus, pour ramener les choses en l'état où elles étaient avant l'occupation française, que d'abolir à Avignon les institutions du chancelier Maupeou, qui n'avaient plus de raison d'être depuis que Louis XVI avait détruit en France l'œuvre de son aïeul et rappelé les parlements. La cour de Versailles voulait qu'on sauvegardât sa dignité, qu'on évitât surtout que les Avignonnais pussent appeler au Pape des arrêts rendus contre eux en dernier ressort par le parlement de Provence, ce qui aurait réveillé d'anciennes querelles, aurait mis en doute le droit souverain du Roi sur le Comtat et aurait frappé de nullité toutes les décisions rendues entre les parties pendant dix ans. Le Nonce en France, Doria, fut chargé de traiter cette affaire, mais Pie VI ne lui envoya les pouvoirs nécessaires pour conclure qu'après que tout fut définitivement arrêté. Il en résulta donc des allées et venues interminables. Enfin, la France proposa que le Conseil des Parties fût juge suprême des demandes en cassation formées par les Comtadins[2]. Le Pape accepta, et vers le mois de mai 1776, le Roi donna son consentement à la suppression des sénéchaussées. L'ancienne administration papale fut rétablie à Avignon.

Pour que rien ne vint désormais troubler les relations de la maison de France avec le Saint-Siège, il suffisait que Pie VI maintint fermement l'œuvre de Clément XIV. Les Zelanti étaient, il est vrai, très-puissants, les Jésuites avaient de nombreux amis, et Braschi leur devait beaucoup : mais Ganganelli, aussi, avait été leur protégé, ce qui ne l'avait pas empêché de les détruire. La paix de la catholicité valait bien le sacrifice de sentiments personnels. Mais si, comme il ne cessait de le répéter, Pie VI croyait fermement que son prédécesseur avait été empoisonné, il avait de bonnes raisons pour ne pas suivre son exemple : en tout cas, l'empoisonnement de Clément XIV fut pour lui le meilleur des arguments pour se défendre contre les violences, prouver l'impossibilité de pousser les Jésuites dans leurs derniers retranchements. Ainsi, il parvint à ménager l'Espagne et à ne point se brouiller avec les Jésuites. Que pouvait, en effet, répliquer l'Espagne, lorsque le Pape disait qu'il ne voulait point mourir comme Ganganelli ?

En 1775, deux affaires se rattachant à la suppression des Jésuites étaient encore pendantes et exigeaient une solution : le procès iustruit contre l'ex-général Ricci et ses assistants, et le maintien de la Compagnie dans la Silésie et la Russie Blanche.

Sur le premier article, les Cours étaient certaines que Clément XIV ne se serait point relâché. Il avait déclaré, à plusieurs reprises, que certaines pièces trouvées dans les papiers de Ricci justifiaient entièrement le Bref. Il avait promis de communiquer ces documents aux Couronnes : quelque retard qu'il y eût apporté, il aurait bien fallu qu'il les fournit. Il avait un intérêt de conscience à trouver la vérité ; il avait un intérêt d'honneur à la dire. Le procès du Général était la conséquence nécessaire de la suppression : renvoyer Ricci absous, le renvoyer sans jugement, c'était condamner le Pape qui l'avait emprisonné. Les Jésuites pouvaient-ils compter qu'ils forceraient Pie VI à flétrir la mémoire du Pape, son prédécesseur fit son créateur ?

Dans le conclave, Braschi n'avait point pris d'engagements. Il avait accordé les places que les Couronnes lui avaient demandées, mais il n'avait rien promis relativement aux Jésuites. Il est vrai qu'en ne publiant pas la bulle In Cana au lendemain de son exaltation, il avait paru se rattacher aux doctrines de Ganganelli, mais, de ce qu'il n'affichait point la prétention de dominer tous les trônes du haut de la chaire de Saint-Pierre, était-ce à dire qu'il y renonçât ? La bulle In Cana était l'ombre qu'il abandonnait volontiers aux Couronnes. Les Jésuites étaient la proie, qu'il se réservait. Dès le mois de mars, le bruit courut qu'il allait faire élargir Ricci et les prisonniers du château Saint-Ange. Bernis considéra presque comme une victoire que, pour les mettre en liberté, Pie VI demandât le consentement de Moniño ; d'ailleurs, il trouva tout simple que, sans autre forme de procès, si l'on jugeait l'ex-Général assez puni, on lui ouvrit sa prison et qu'on se contentât de le bannir de Rome[3]. C'était une large concession faite aux zélés que Bernis avait fréquentés au conclave ; le Ministre d'Espagne fut plus ferme, et grâce à lui le projet n'eut point de suite. Au mois de mai, les prisonniers obtinrent pourtant une liberté presque complète dans l'enceinte du château, mais, avant de faire sortir définitivement Ricci, on voulait être assuré qu'il n'irait pas se mettre à la tête des Jésuites d'Allemagne, de Silésie et de Russie ; on pensait à l'obliger à vivre en Toscane, sa patrie, sous la surveillance du Grand-Duc.

Moniño se mit encore à la traverse, et disputa le terrain pas à pas. L'Espagne, appuyée par la France dont la politique sous le nouveau règne était demeurée traditionnelle, en ce point du moins[4], voulait que le Pape maintint le bref de suppression, respectât la mémoire de Clément XIV, laissât en paix ses créatures et ménageât les droits des Couronnes. Pie VI déclara qu'il ne se prêterait sous aucune forme au rétablissement de la Société ; pour prouver sa bonne foi, il communiqua à Moniño les pièces de la procédure instruite contre Ricci et les prophétesses de Valentano, mais il insinua ensuite qu'il fallait remplir avec justice et prudence ce que la charité ordonnait envers les personnes : s'il ne le faisait point, c'est-à-dire s'il ne relâchait pas Ricci, n'aurait-il pas le sort de Ganganelli ? Moniño ne se laissa point surprendre. Il établit dans un mémoire, d'après les pièces mêmes que le Pape lui avait remises, quels soupçons il y avait lieu de faire peser sur les prisonniers du château Saint-Ange. Le Pape, battu, dut convenir que la Congrégation de cardinaux, dite des Jésuites, à laquelle Giraud avait été adjoint, reprendrait l'information et donnerait son avis, qui ne pourrait être exécuté qu'avec l'approbation de l'Espagne et le consentement des autres Cours. Par contre, il obtint que l'Espagne ne s'opposerait pas à la mise en liberté de quelques individus que Bernis, pour diminuer la concession, traite d'imbéciles visionnaires[5].

L'activité rendue à la Congrégation obligea de reprendre le procès de Ricci. Les charges ne manquaient pas. Il n'y a peut-être pas assez de preuves pour des juges, écrit Bernis le 5 juillet, mais il y en a assez pour les honnêtes gens et les gens raisonnables. Néanmoins, serait-il possible de vaincre les sentiments qui avaient été inspirés au Pape dès son enfance : le respect et la crainte des Jésuites ? Serait-il possible de conjurer la terreur vraie ou feinte qu'il disait éprouver[6] ? Pie VI était sagement favorable aux Jésuites ; il était leur amant honteux[7]. Il ne s'indignait pas de la rébellion schismatique des Jésuites du Nord. Il discutait tranquillement avec Moniño et Bernis, laissant s'user l'ardeur déjà bien ralentie des deux Ministres qui, satisfaits du résultat obtenu, se gardaient de le compromettre en engageant une négociation nouvelle et se contentaient à peu de frais.

Bernis avait pour cela de bonnes raisons ; si la France avait sollicité la suppression des Jésuites, ç'avait été par complaisance pour l'Espagne ; d'Aiguillon n'avait cessé de le répéter, et cette politique était encore celle de Louis XVI et de Vergennes. Vergennes même y apportait de plus une pointe d'ironie et de scepticisme, une sorte de laisser-aller philosophique qui ne pouvait laisser aucun doute sur son indifférence. Même lassitude en France, où les Parlements rétablis n'étaient nullement disposés à entamer une lutte nouvelle. A la Cour, on ne s'occupait point de ce genre de questions. Dans l'Assemblée du clergé, les doctrines ultramontaines étaient en faveur, et l'Archevêque de Toulouse, dans le discours qu'il avait adressé au Roi, comme président, avait déploré la suppression des Jésuites[8] ; cela n'avait point même ému les gens du Roi, tous philosophes à présent. A quoi bon Bernis se serait-il donné du mal ? Cela était fort triste, à coup sûr, et si M. Bossuet ressuscitait, il serait étonné de bien des choses[9], mais cela était si bon de se reposer et de ne se point faire d'ennemis : Il faut songer à la tranquillité publique, écrivait-il[10], et ne pas faire la guerre aux individus.

Il est vrai que si l'on ne faisait point la guerre aux individus, c'est-à-dire si l'on relâchait Ricci et ses assistants, la victoire obtenue sur les Jésuites devenait assez problématique, puisque la Société continuait à exister et pouvait se prévaloir de l'assentiment tacite du Pape. Il est encore vrai que dans le cours du procès des prophétesses de. Valentano, on avait découvert des choses étranges : que le directeur de ces prophétesses était en correspondance avec deux Jésuites, à qui il faisait passer leurs prétendues révélations ; que le Général était instruit de cette correspondance, qu'il s'était entretenu avec ce directeur et l'avait affilié aux prières de sa Société : cela suffisait à coup sûr pour ne pas se méprendre au compère qui faisait agir ces marionnettes[11], mais cela était bien dangereux à montrer, même en coupant le fil de correspondance de ces prophétesses avec les Jésuites. Il valait infiniment mieux faire suivre cette odieuse affaire par le tribunal du Saint-Office, dont au moins toutes les opérations étaient secrètes. Il serait très-imprudent, écrivait Bernis[12], de mettre sous les yeux du public un texte si abominable et dont les ennemis de la religion ne manqueraient pas de profiter. Le Cardinal se connaissait bien quand il disait : J'ai eu de mon temps le zèle qui fait les martyrs, je me contente, aujourd'hui que j'ai plus d'expérience, de celui qui fait les confesseurs[13].

Donc, Moniño n'exigeant rien, Bernis se garda bien de rien presser. Le juge chargé de l'instruction dans le procès Ricci put tout à son gré suspendre les interrogatoires pendant six semaines[14], faire traîner la procédure de mois en mois ; le Ministre de France ne fit aucune remontrance. La mort de Ricci, survenue le 24 novembre, aurait été un malheur irréparable si l'on avait eu à cœur de laver entièrement la mémoire de Clément XIV. A Bernis, elle parut une délivrance. Le Pape, se contenta-t-il de dire, ne doit pas être fâché de la mort d'un homme fort embarrassant[15] ; la Providence arrange tout pour le mieux[16].

La mort du principal accusé rendait le procès à peu près impossible. Pie VI ordonna bientôt la mise en liberté des assistants du Général[17] : il ne resta au château Saint-Ange que deux Jésuites et deux prêtres compromis dans l'affaire des prophétesses de Valentano : ils furent renvoyés devant le Saint-Office et en furent quittes pour quelques peines et pénitences[18].

Telle fut la fin de cette première affaire : si Clément XIV a été empoisonné, il faut avouer que sa mort fut médiocrement vengée. Qu'il l'eût été ou non, il avait été indignement outragé par des fanatiques, et à coup sûr les Cours de Bourbon mirent peu d'empressement à défendre sa mémoire. Au reste, ce ne fut point la seule marque d'ingratitude envers. Ganganelli. Il n'avait point enrichi sa famille, ne lui avait rien donné, n'avait rien demandé pour elle. Aussi, point de chapeaux pour ses neveux, malgré l'usage constamment suivi, point de pensions et point de titre : tout au plus, en 1778, une de ces petites missions qui, si l'on était poussé, donnaient entrée dans la prélature, sinon, rapportaient un peu d'argent. L'abbé Fabri Ganganelli fut chargé, lors de la promotion des Couronnes, de porter la barrette à l'archevêque de Séville, patriarche des Indes[19] : encore reçut-il de Vergennes la défense de passer par Paris, de crainte qu'il ne rencontrât et qu'il ne gênât le comte Onesti, le neveu de Pie VI, qui portait la barrette au cardinal de La Rochefoucauld et au cardinal de Guéméné[20]. Fabri ne tira de sa mission que les présents du Patriarche des Indes ; il en eut pour 50.000 écus[21], et peut-être obtint-il une abbaye en Espagne.

Si Pie VI ne fit pas de bien à Fabri, au moins ne lui fit-il pas de mal : mais il n'en alla pas de même pour Nicolas Bischi, un des seuls hommes auxquels Clément XIV eût témoigné quelque confiance, et que la France et l'Espagne avaient cherché à s'attacher en lui donnant, l'une la croix de Saint-Lazare et des lettres de naturalité, l'autre la clef de gentilhomme ordinaire. Dès les premiers jours de son pontificat, Pie VI autorisa le préfet Livizzani, préfet de l'Annone, à répéter contre Bischi des sommes importantes qu'on l'accusait d'avoir détournées de l'approvisionnement des États Pontificaux. En août 1777, le jugement allait être rendu sans que Bischi eût été entendu ; le Ministre d'Espagne dut intervenir et eut grand'peine à obtenir un délai de deux mois pour permettre à l'accusé de fournir ses réponses[22]. Bischi produisait un bref motu proprio par lequel Clément XIV l'avait chargé de l'administration des blés dans Rome et dans tout l'État ecclésiastique, et l'avait dispensé de rendre des comptes à tout autre qu'à lui-même. Croyant, dès lors, qu'il n'avait à fournir au tribunal de l'Annone qu'un aperçu sommaire, Bischi démontrait que ses cinq années d'administration avaient été les moins dispendieuses dans tout l'espace d'un demi-siècle. Mais Livizzani, préfet de l'Annone, était le familier de Torregiani, le frère de deux Jésuites. Pie VI, au temps où il était trésorier de la Chambre apostolique, croyait avoir eu à se plaindre de Vittoria Bischi. Le Pape autorisa le tribunal de l'Annone à exiger un compte détaillé. Alors, il n'y eut plus de mesure : les mémoires publiés contre Bischi par le tribunal furent de véritables réquisitoires contre le dernier pontificat. Bischi eut grand'peine à trouver un avocat, et cet avocat dut apporter dans ses répliques une modération infinie. Le compte, quelque effort qu'on fit, ne put être fourni que le 19 janvier 1778. Le jugement devait être rendu le 20, et Livizzani avait trouvé un prétexte pour obtenir du Pape que Pallavicini, qui, comme secrétaire d'État, avait seul connu les intentions de Clément XIV, ne siégeât point comme juge. L'injustice était criante : les Ministres de France et d'Espagne sollicitèrent pour Bischi un délai de huit jours : tout délai fut refusé. Le 20 janvier, la congrégation condamna sans appel Bischi à payer la somme de 282.000 écus romains[23], réservant en outre de prononcer sur divers autres articles[24].

Le Roi d'Espagne ne pouvait sauver la fortune de Bischi, il sauva du moins sa tête. Mais, s'il interdit à Livizzani toute place cardinalice[25], il ne put empêcher que les meubles de Bischi ne fussent vendus sur la place publique[26], que le Pape pour marquer sa satisfaction ne nommât promoteur de la foi l'avocat Campanella[27], l'auteur des mémoires contre Clément XIV. Charles III n'eut d'autre ressource que d'accorder à son protégé[28] une pension de 7.500 livres et de nommer son défenseur, l'avocat Zanobetti, avocat consultant de l'Ambassade d'Espagne avec mille écus de traitement[29]. De satisfaction, il n'y eut point à en espérer du Pape. Un jour vint pourtant où les Bischi trouvèrent moyen de se venger de Pie VI. Ils furent parmi les plus ardents partisans de la révolution et ne contribuèrent pas peu à détrôner le Pape qui les avait ruinés[30].

La conclusion donnée par le Pape au procès des Jésuites de Rome indiquait d'avance la marche qu'il devait suivre dans l'affaire des Jésuites de Silésie et de Russie.

Dès le 26 septembre 1775, Vergennes fut averti qu'une négociation secrète était engagée entre le Pape et le Roi de Prusse relativement aux Jésuites[31]. Le fait était si hors des usages de la cour de Rome qu'il sembla incroyable à Bernis. Le Saint-Siège ne reconnaissait point le Roi de Prusse comme Roi ; le Pape n'avait point d'agent accrédité à Berlin ; Frédéric n'entretenait à Rome qu'un agent officieux, un certain abbé Ciofani, tout livré aux Jésuites, il est vrai, mais trop bas placé pour qu'on négociât avec lui. Néanmoins, une fois, cet abbé avait parlé au Pape par ordre de sa Cour, et l'avait entretenu des idées de son maitre sur les Jésuites de Silésie. Le Pape affirma qu'il n'avait répondu que des choses générales, en faisant comprendre à l'Envoyé qu'il ne changerait rien à ce qui avait été décidé par son prédécesseur[32].

Ce n'était pas à Rome qu'il fallait chercher : c'était à Varsovie. Là était installé comme Nonce une créature de Clément XIII, un affilié des Jésuites, Garampi, ce prélat dont, en 1769, la France et l'Espagne avaient exigé la destitution et dont, par une singulière faiblesse, Bernis et Moniño avaient permis en 1772 la nomination en Pologne[33]. C'était lui qui était chargé des communications du Pape aux Princes hérétiques ou schismatiques chez qui la Société avait recherché un asile ou une protection qu'elle n'avait pu obtenir dans aucun des États catholiques[34]. Le négociateur était bien choisi, et l'on pouvait être assuré que ce ne serait point lui qui exigerait la soumission des rebelles.

Non-seulement cette soumission, le Pape ne lu poursuivit pas, mais il approuva en quelque façon la révolte : par le Bref même, les Jésuites qui ne se soumettaient point formellement étaient interdits de toutes les fonctions sacerdotales. Lorsqu'ils se soumettaient, il leur fallait pour exercer leurs fonctions des pouvoirs donnés par l'Ordinaire du lieu. Or, le Pape, par l'intermédiaire de Garampi, autorisa les évêques de Silésie et de Pologne prussienne à donner des pouvoirs aux Jésuites malgré qu'ils refusassent de se soumettre au Bref[35].

C'était la violation la plus formelle du décret de Clément XIV : mais Bernis trouva au Pape toutes sortes d'excuses : Pie VI devait-il donc abandonner les catholiques ? Les Jésuites, c'était incontestable, subsistaient comme corps religieux ; le Roi de Prusse les considérait comme tels dans des actes publics, comme sa lettre au supérieur de Wartemberg, et le nouveau plan d'études qu'il avait ordonné dans ses États. Les Jésuites recevaient des novices, et, à la mort de Ricci, allaient, dit-on, procéder à l'élection d'un Général, mais il n'y a, disait Bernis, qu'à les envisager comme particuliers, et alors, tout devient facile. On exagère, ajoutait-il ; on abuse de paroles de pitié qui sont échappées au Pape dans la chaleur de la conversation. Le Pape a cru que, ne touchant pas à l'essentiel du Bref, il ne déplairait pas aux Cours et satisferait en même temps le Roi de Prusse et le parti des Jésuites. D'ailleurs, il est tout disposé à révoquer les ordres qu'il a donnés à Garampi. Déjà Moniño a entre les mains copie d'une lettre que Pallavicini doit adresser au Nonce de Pologne, et dans cette lettre, tout à fait conforme aux idées de Bernis, le Secrétaire d'État déclare qu'il ne peut admettre que les Jésuites subsistent comme Ordre religieux[36]. Pie VI écrira une nouvelle lettre au Nonce, si on le désire. L'abbé Ciofani n'a rien dit. Le Pape est prêt à tout. Bref, Bernis est heureux : Tout est éclairci, dit-il, et le mal est réparé. Il résulte même de tout cela mile plus grande sécurité pour l'avenir[37].

De fait, Pie VI n'avait rien révoqué de ses ordres, et Garampi savait ce qu'il devait penser de certaines lettres. Peut-être Bernis le savait-il aussi, mais il n'ignorait pas que pourvu que ces intrigues ne déplussent pas au Roi d'Espagne, Vergennes considérait que la forme sous laquelle les Jésuites existaient en Prusse et en Russie devait être parfaitement indifférente au Roi[38]. Or, l'Espagne s'étant contentée d'un projet de circulaire[39], que Moniño avait présenté, que le Pape s'était hâté d'accepter, et par lequel le Souverain Pontife, sans rien révoquer, se contentait d'imposer sur la Suppression le silence prescrit par Clément XIV, Bernis n'avait plus rien à demander et se félicitait de rester tranquille[40].

En un an, quoi qu'en dit le Cardinal, et malgré le décret rendu par Frédéric pour séculariser les Jésuites de ses États[41], le terrain gagné par les partisans de la Compagnie avait été considérable. Si les Jésuites avaient disparu en Prusse, ils avaient en Russie conquis une sorte d'existence légale. Le Pape n'avait rien fait contre eux, rien dit, rien ordonné qui montrât s'il partageait ou non les opinions de son prédécesseur. La Cour d'Espagne avait donc bien raison de commencer à le tenir pour suspect. D'ailleurs, les Jésuites n'étaient pas gens à se contenter de cette première victoire.

Au mois d'avril 1776, Bernis est obligé d'intervenir pour empêcher une grave condamnation contre trois Oratoriens suspects de jansénisme ; malgré ses instincts pacifiques, il est contraint d'écrire que les partisans des Jésuites ont toujours les armes à la main[42].

Au mois de juin, on voit paraître à Rome des copies de prétendus rescrits, émanés de la Secrétairerie des mémoriaux dont J. B. Rezzonico est président ; ces rescrits permettent aux ex-Jésuites de réciter l'office propre de leur société comme si le Pape la regardait encore comme existante. Les Ministres de la Maison de France réclament ; Pie VI leur communique la copie du rescrit authentique en date du 11 mai, dans lequel il est dit expressément que la Société est éteinte. Mais les rescrits contraires au Bref de suppression n'en ont pas moins pu être expédiés, car les Ministres subalternes des mémoriaux sont tous vendus aux Jésuites, et on cite des rescrits encore plus extraordinaires en faveur des Jésuites de Gênes. Moniño présente un mémoire à ce sujet[43], mais le Pape proteste que ses intentions sont pures, annonce qu'il va donner ordre à la Secrétairerie des mémoriaux d'être plus circonspecte à l'avenir et de refuser aux Jésuites les grâces collectives. Il faut à moins de briser les vitres, se contenter de ces déclarations officielles, et c'est ce que fait Bernis dans ses dépêches ostensibles, mais dans ses lettres particulières, il montre qu'il voit clair : Le Pape, dit-il[44], ne tentera pas le miracle de la résurrection des morts, mais il fera bien des choses qui en nourriront l'espérance, et cela suffit pour entretenir la fermentation du fanatisme.

C'était à l'Espagne de décider si elle voulait être prise pour dupe : ce rôle ne lui convint point. Sans attendre même les instructions du Ministère espagnol, la Cour de Naples, se tenant assurée qu'elle serait suivie et prenant prétexte d'une insulte faite à Rome à Moniño, lors de la présentation de la haquenée[45], déclara que pour éviter toutes les occasions qui pouvaient amener quelque refroidissement entre elle et la Cour de Rome, elle ne ferait plus présenter à Sa Sainteté par le connétable Colonne, revêtu le jour de la Sète de saint Pierre du caractère d'ambassadeur extraordinaire, la haquenée et les dix mille écus romains que le Roi des Deux-Siciles, uniquement par dévotion pour les apôtres saint Pierre et saint Paul, était dans l'usage de faire remettre tous les ans à la Chambre apostolique ; l'agent de Naples serait désormais chargé de cette fonction, ou tel autre procureur que nommerait le Ministre de Sa Majesté Sicilienne.

Nul désagrément qui pût être plus sensible au Pape et surtout à Pie VI, si amoureux de la représentation, que la suppression de la pompe qui entourait la présentation de la haquenée : aussi, dès que la déclaration de la Cour de Naples lui eut été remise, il s'empressa de demander à Moniño de s'interposer. Moniño répondit qu'il ne pouvait garantir le succès de ses démarches, que sa Cour n'était nullement satisfaite de la conduite du Pape à l'égard des Jésuites. Le Pape répliqua qu'il chargerait son Nonce à Madrid de faire une déclaration formelle de ses intentions, que cette déclaration, il la minuterait lui-même et la communiquerait aux Ministres de la Maison de France ; mais il supplia qu'on ne supprimât point la cérémonie.

La démarche de la Cour de Naples avait été approuvée à Madrid, d'où Grimaldi envoyait des dépêches fulminantes[46] ; à Versailles, où Vergennes applaudissait à l'excellente leçon donnée à l'arrogance romaine[47] ; à Lisbonne, où l'on suspendait le payement de la pension des Jésuites portugais. Le Pape, devant cette unanimité, retira les rescrits en faveur des Jésuites. Comme l'écrivait Bernis : Quand ce Pape serait assez insensé pour travailler au rétablissement de la Compagnie, il trouverait une opposition universelle et invincible de la part des Cours ennemies ou amies des Jésuites.

Si donc Pie VI ne rencontrait plus cette résistance unanime, n'y avait-il pas lieu de tout craindre ? Or, à la fin de l'année 1776, trois des principaux adversaires des Jésuites disparaissent de la scène politique : à Naples, Tanucci tombe et est remplacé par le marquis de la Sambucca[48]. On est aussi heureux de ce changement à Versailles qu'à Rome, car Tanucci a tout fait pour refroidir les relations entre la France et les Deux-Siciles[49]. Mais à Madrid, Grimaldi demande sa retraite et obtient l'ambassade de Rome en échange du premier ministère où Moniño est appelé, Moniño, le principal sinon l'unique auteur de la suppression. D'Espagne, il ne pourra plus continuer cette exacte et nécessaire surveillance qui a tant gêné Pie VI. Il ne sera plus là pour fouetter Bernis et le réveiller. Grimaldi ne regarde Rome que comme une sinécure agréable, où il ne compte s'occuper d'affaires que le moins possible. Moniño laisse, il est vrai, derrière lui, un homme adroit, intelligent, qui a son chemin à faire, qui ne négligera point les occasions de parvenir, et qui sera le vrai ministre d'Espagne : mais don Nicolas de Azara, malgré son intelligence, son instruction[50], sa connaissance de Rome, où il réside depuis 1765 comme agent d'Espagne, n'a point comme Moniño une autorité indiscutée, conquise par une victoire mémorable. Ses commencements n'ont point été parfaitement honorables, et, à diverses reprises, Bernis, qui depuis est devenu son ami, s'est plaint de lui en termes assez forts. Il ne porte point à tout cette attention scrupuleuse qui dans un fait insignifiant fait deviner la relation avec d'autres faits et prévoir les conséquences ; il parle beaucoup et il aime à parler : Moniño, lui, ne parlait qu'à coup sûr. Ce n'est point un mauvais choix, c'est peut-être le meilleur qu'on puisse faire ; mais pour traiter avec Rome, ce n'est rien qu'un homme soit distingué, instruit, aimable ; avant tout, il faut qu'il se fasse craindre.

Tanucci tombé, Moniño éloigné[51], ce n'est rien encore : la mort du Roi de Portugal va amener la disgrâce, cette fois terrible, du marquis de Pombal. Celui-là, de tous les adversaires des Jésuites, est le plus détesté : c'est lui qui a donné le branle. Il s'est montré violent, passionné, peut-être injuste. Le Roi mort, la Reine, toute livrée aux moines, va faire payer cher à Pombal l'expulsion des Jésuites ; elle fera de sa Cour une véritable capucinière, et qui peut dire si bientôt elle ne demandera pas le rétablissement de l'Institut[52] ?

Ainsi, les cartes sont brouillées et l'Europe parait retournée. Bernis reste seul à Rome pour soutenir l'effort, et de la société romaine, où l'on n'aurait pas trouvé trente personnes qui ne fussent pas livrées aux Jésuites, et du Portugal, et de la Pologne, et de toutes les puissances hérétiques, car l'Angleterre s'en mêle, \ et, pour apaiser les catholiques d'Irlande, elle va dépêcher au Pape un évêque anglican tout dévoué aux Jésuites : et Bernis ne peut pas même compter qu'à Versailles on prendra grand intérêt à ses efforts : on y dédaigne les questions religieuses, et l'on croit y faire de la politique.

Au mois de janvier 1777, la lutte recommence ; et dès ce moment, les Jésuites la portent sur deux terrains différents. Ils recherchent contre l'Espagne une satisfaction d'amour-propre, une victoire théologique en empêchant la béatification de Palafox à laquelle Charles III n'a nullement renoncé. Ils poursuivent en Russie le rétablissement authentique de la Compagnie, et ils ont trouvé en Catherine Il un protecteur infiniment plus sérieux que Frédéric, qui est vraiment trop sceptique, qu'on ne prend point avec des phrases et qui se soucie peu des inscriptions latines.

L'affaire de Palafox, il suffit de la traîner en longueur, de lâcher aux moments opportuns des libelles contre la mémoire de l'évêque d'Osma. La congrégation générale des Rites assemblée devant le Pape pour juger les vertus du Vénérable[53] in gradu heroico se partage : vingt-six consulteurs, dont cinq cardinaux, se déclarent pour ; quinze, dont quatre cardinaux, se déclarent contre[54]. Mais ces quinze ne ménagent rien : ils concluent qu'il faut recommencer tout le procès, examiner à nouveau les quinze in-folio[55], renfermant les écrits de Palafox, déjà approuvés par Benoit XIV, Clément XIII et Clément XIV. Le Pape laisse échapper quelques paroles qui font soupçonner sa partialité : il dit à Azura qu'il veut examiner de nouveau toute l'affaire. Azara, inquiet, troublé, qui sait l'importance que sa Cour et les évêques d'Espagne attachent à cette béatification, va trouver Bernis, le prie d'écrire au Pape. Le Cardinal envoie à Pie VI une lettre d'un ton pathétique, où il lui parle comme au lit de la mort des dangers auxquels le Saint-Siège s'expose en mécontentant la Cour d'Espagne. Le Pape défend qu'on touche au procès[56] et déclare qu'il se décidera par les principes de l'équité et de l'impartialité[57]. Cela dit, il se renferme dans un mutisme complet. Si Bernis l'interroge, il répond qu'il ne s'agit que de prouver les vertus in gradu heroico[58]. Deux mois se passent : le Pape ne promet plus que vaguement d'examiner l'affaire et n'indique plus de congrégations[59]. On fait courir le bruit que le Roi d'Espagne ne tient point à Palafox[60]. Il faut qu'un démenti vienne de Madrid, et c'est encore un mois de gagné[61]. L'année s'écoule, et rien n'est fait.

On a su marcher d'un autre pas en Russie[62].

Lors du partage de la Pologne, les Jésuites établis dans la Russie Blanche et la Livonie, provinces dévolues à Catherine, étaient au nombre de deux cent un, répartis entre quatre collèges, deux résidences et plusieurs missions. On ignorait quel serait leur sort, car un ukase de Pierre 1,r interdisait aux Jésuites l'entrée de l'empire, mais ils surent s'attirer la bienveillance des conquérants en prêtant les premiers le serment de fidélité à la Czarine. Leur exemple entrains les populations polonaises : on leur en sut gré ; leurs supérieurs[63] furent de la députation qui alla à Pétersbourg renouveler à l'Impératrice en personne l'hommage de la Pologne conquise. Ils furent bien reçus et surent s'acquérir la bienveillance du gouverneur de la Russie Blanche, le général Tchernychef. Lorsque parut le Bref de Clément XIV, Tchernychef défendit sous les peines les plus terribles qu'on introduisit en Russie aucun décret émané de Rome. Les Jésuites n'en eurent pas moins connaissance de la suppression de leur Ordre ; mais, se fondant sur une lettre écrite au nom de l'évêque de Vilna, ils continuèrent à vivre en communauté, sans tenir aucun compte du Bref. Le Nonce Garampi ne les pressa point, ne répondit point à leurs lettres. Ils firent, disent-ils, une tentative auprès de Catherine pour obtenir la permission de se soumettre aux ordres du Pape ; mais l'Impératrice orthodoxe leur ayant fait répondre qu'elle entendait conserver la Compagnie telle qu'elle existait, ils obéirent à l'Impératrice.

Elle savait bien qu'il en serait ainsi, car à ce moment même elle demandait à Garampi qu'un nommé Stanislas Siestrzencewicz fût nommé évêque de Mallo in partibus, et visiteur apostolique dans la Russie Blanche. Or, cet individu qui, né calviniste, s'était converti au catholicisme et avait été ordonné prêtre après la mort de sa femme, avait signé entre les mains de Catherine la promesse formelle de maintenir les Jésuites dans l'intégrité de leur état[64]. Sacré par Garampi à Varsovie, il se mit aussitôt à l'œuvre. Non-seulement la Russie devint un refuge pour les Jésuites expulsés de Pologne, d'Allemagne et d'Italie, mais l'évêque de Mallo ordonna prêtres un certain nombre de scolastiques[65]. C'était, dit Bernis, un acte de schisme formel.

Il est vrai que pour se mettre à couvert du côté de Rome, le vice-provincial Czerniewicz avait envoyé, le 15 octobre 1775, au cardinal J. B. Rezzonico, un mémoire par lequel il demandait qu'il lui fût permis d'agréger aux Jésuites de Russie quelques anciens Jésuites, et que le Pape indiquât par un signe quelconque qu'il ne voyait pas avec déplaisir la Compagnie se maintenir en Russie. Il est encore vrai que, le 15 janvier 1776, Rezzonico répondit un billet dans lequel se trouvait cette phrase, que les Jésuites trouvèrent significative : Precum tuarum, ut auguro et exoptas, felix exitus. Ce billet du Secrétaire des mémoriaux suffisait, parait-il, pour infirmer le Bref de Clément XIV.

Telle était, en 1777, la situation dont Bernis ne connaissait que quelques points. Il savait que des ordinations schismatiques avaient été faites par un évêque de la Lithuanie moscovite ; il ignorait ce qu'avait fait Garampi et ce qu'aait écrit Rezzonico. Par contre, il était au courant de toutes sortes de bruits vrais ou faux, mis en circulation à dessein : ainsi, on parlait de l'arrestation à Milan d'un individu porteur d'une encyclique d'un prétendu nouveau général des Jésuites ; on disait que le marquis Antici, un des plus furieux partisans des Jésuites, déjà ministre du Roi de Pologne, de l'Électeur de Cologne, de l'Électeur de Bavière et de l'Électeur Palatin, avait obtenu du Roi de Prusse le titre de conseiller intime, et allait revenir à Rome, chargé des affaires ecclésiastiques de Sa Majesté Prussienne, pour donner aux Jésuites un coup d'épaule. Des libelles paraissaient où l'on prétendait démontrer la nullité du Bref, entre autres la Lettera del vescovo di N. in Francia al cardinale S. in Roma, où le Ministre de France était directement pris à partie. On faisait tout pour persuader au public que Clément XIV avait commencé pur la simonie et fini par l'insanité[66]. On racontait ouvertement les circonstances de l'empoisonnement. On annonçait que la prophétesse de Valentano avait prédit qu'au mois de juin, Pie VI mourrait[67]. Tout était en fermentation : Bernis devinait une intrigue formidable, mais il ignorait sur quel point allait précisément se porter l'attaque.

Le 24 janvier, un numéro de la Gazette de Cologne vint apporter une brusque lumière dans ces ténèbres. On y lisait une lettre du comte Tchernycheff annonçant de la manière la plus précise au prétendu provincial des soi-disant Jésuites dans cette province ci-devant polonaise, l'intention où était l'Impératrice de Russie de laisser subsister cette société éteinte, et, pour cet effet, de l'autoriser à établir une maison de noviciat[68]. En transmettant cette pièce à Rome, Vergennes écrivit qu'il était impossible que cette entreprise si irrégulière fuit autorisée même tacitement par le Saint-Père, et par conséquent que Sa Sainteté ne prit pas les mesures les plus fortes pour faire avorter un dessein qui, très-naturel de la part d'une Souveraine qui n'était pas en communion avec Rome, ne pouvait être regardé que comme un acte schismatique de la part des religieux réfractaires[69]. Ce document éveilla en même temps l'attention du Ministre sur une sorte d'association qu'on prétendait qui se renouvelait en France en faveur des Jésuites. Nous savons à peu près où en est le foyer, écrivit-il à Bernis[70] ; nous sommes après à le dépister, et il y sera porté un prompt remède[71]. L'intrigue était partout, car on parlait de l'élection d'un Général qui aurait eu lieu à Raguse. Le Ministre recommanda au Cardinal d'y avoir l'œil.

Il se chargeait des Jésuites de France, c'était au Pape à se charger de ceux de Russie.

Pie VI, quand Bernis l'entretint de cette affaire, répondit qu'il userait des moyens qu'il avait sur les vicaires apostoliques et sur les évêques, mais qu'il n'avait aucun pouvoir à exercer chez des princes schismatiques ou protestants. Il promit pourtant d'écrire au Nonce en Pologne, et de communiquer sa lettre[72]. Bernis insista sur la nécessité d'employer des procédés plus énergiques, mais le Pape allégua qu'il ne pouvait laisser les catholiques de la Russie Blanche sans prêtres et sans instruction : c'était à la France et à l'Autriche de guérir la Czarine de cette fantaisie ; pour lui, il avait fait arrêter les auteurs des libelles contre Clément XIV, et si chaque souverain faisait ce qu'il faisait, la paix de l'Église ne serait que légèrement troublée. Ce n'était pas sa faute si Clément XIV n'avait pas suivi les formes ordinaires et légales. Bref, il n'y pouvait rien. Bernis vit bien d'où partait le coup : J. B. Rezzonico, écarté pendant quelque temps, était rentré pleinement en faveur. C'était lui qui menait le Pape. Bernis ne put que se désespérer[73].

Vergennes ne comprenait pas encore : Qu'a-t-on à s'embarrasser ? disait-il. Le Pape ne peut négocier avec la Russie, État schismatique ; qu'à cela ne tienne ! Les catholiques de Russie sont catholiques. Si les Jésuites contreviennent au bref de Clément XIV, il faut d'abord tenter de les ramener par la douceur ; puis, au besoin, les juger à la rigueur et les déclarer schismatiques, puisqu'ils adoptent pour règle de leur conduite la volonté du chef de l'Église grecque[74]. Aussi ne pouvait-il admettre que la lettre que Pie VI écrivit au Nonce de Pologne, quoique approuvée par Bernis[75], ne fat pas embarrassée et confuse. Le Pape cherchait à y allier ses sentiments secrets avec l'obéissance due au bref. — La charité envers les Jésuites, écrivait-il, a un terme au delà duquel elle n'est plus qu'une faiblesse[76].

Bernis ne se dissimulait point ces vérités, mais il ne voulait pas avouer que le Pape, le Pape qu'il avait fait, cherchait à tromper les Couronnes. Il se rejetait sur les difficultés qu'on rencontrait, sur la nécessité de ne pas employer les grands moyens. La persécution, disait-il, ferait des martyrs, et les martyrs feraient des prosélytes. Il expliquait que Pie VI ne pouvait rien à Pétersbourg, qu'il fallait une action commune de tous les États européens. Il ne dissimulait point la puissance des Jésuites, qui, disait-on, s'étaient choisi pour général un nommé Andria, natif de l'île de Chio et demeurant à Rome[77]. Il avouait que leur audace et leur fanatisme étaient au comble[78] ; mais que pouvait-il y faire ? Le Pape répondait à toutes les observations qu'il ne voulait point être empoisonné comme son prédécesseur[79], et comment forcer la main à un homme qui, en signant l'excommunication des Jésuites de Russie, aurait cru ou fait croire qu'il signait son arrêt de mort ?

Vergennes ne' voit plus qu'une issue pour le Pape, c'est qu'il confie au Roi Catholique ses embarras et ses craintes[80]. Quant à lui, le conseil qu'il a donné a épuisé l'attention qu'il veut porter aux Jésuites. Il se demande si le moyen le plus efficace de faire tomber cette affaire n'est pas de s'y montrer extérieurement très-indifférent ; il met cet axiome en pratique, et, tout en empêchant en France la création du séminaire d'aumôniers militaires, qui fait ombrage aux Parlements, il favorise ouvertement les Jésuites des Échelles, et répond par des fins de non-recevoir aux plaintes que Bernis est chargé d'en porter[81].

Bernis en arrive à penser que la résurrection de la Société est proche, et il s'en console rapidement. Comme je n'ai jamais été homme de parti, écrit-il[82], je verrai sans surprise et sans passion le flux et le reflux des intrigues de ce siècle.

Tout dépendait de l'Espagne : elle se mit en travers ; mais Moniño n'était plus à Rome, et en prenant le ministère, le comte de Florida-Blanca semblait avoir perdu la juste notion de la manière dont il convient de négocier avec le Saint-Siège. A la première demande du Pape, il avait fait rétablir par le Roi de Naples l'hommage de la haquenée[83]. Il avait toléré que Pie VI donnât, dans un Bref, au connétable Colonne le titre d'Ambassadeur extraordinaire pour la présentation de la haquenée, lorsque la Cour des Deux-Siciles lui avait retiré ses pouvoirs. Tout cela n'avait servi de rien, et l'on ne lui en avait su aucun Gré. Il reconnut alors la faute qu'il avait commise, et, revenant à son ancien système, il menaça de supprimer la pension des Jésuites espagnols résidant dans l'État Ecclésiastique. Aussitôt le Pape fait, en paroles, toutes les concessions désirables. Il dit à Azara qu'il ne voit pas la nécessité de renouveler tous les quinze jours des déclarations si catégoriques ; que, si l'on doute de ses premières paroles, on pourra tout aussi bien douter de celles qu'il donnera de nouveau. Il a déclaré publiquement qu'il ne permettra pas qu'on donne atteinte au Bref de suppression : il le déclare de nouveau. Les Jésuites, auteurs de libelles, seront enfermés dans des forteresses jusqu'à ce que le Roi Catholique demande leur liberté. Quant aux Jésuites espagnols, les plus remuants de tous, il demande en grâce que Charles III les rappelle dans ses États[84]. Avec Bernis, il est tout aussi affirmatif ; il se dit résolu à laisser les Jésuites dans la situation où il les a trouvés, à ne pas les persécuter, mais à punir leurs excès. Il n'a rien fait, il ne fera rien contre le Bref ; il renouvelle toutes les promesses faites à Azara[85].

C'est pour remplir ces promesses que Archetti, qui, en avril 1776, a succédé comme Nonce en Pologne à Garampi, récompensé par la nonciature de Vienne, autorise, le 14 avril 1777, l'évêque de Mallo à donner aux Jésuites la permission d'exercer le ministère bien qu'ils vivent dans leurs collèges, en communauté, sous l'habit et dans la règle de Saint-Ignace[86]. C'est là l'exécution, paraît-il, de la lettre dont Bernis a été si satisfait au mois de février. Pour remplir ses promesses, le Pape disperse les Oratoriens de Rome, renvoie brusquement le Père Belloni soupçonné de doctrines anti-jésuitiques, fait travailler à un nouveau plan pour la maison de l'Oratoire en vue d'en faire un Institut à la jésuite[87]. Dans le même but, sur le bruit que le crédit de Florida-Blanca semble baisser à Madrid, le Pape lui manque d'égards et donne tous les désagréments imaginables au prince Pio, ami du Ministre d'Espagne[88]. Chaque fois qu'on revient sur Braschi, qu'on le met en face de ses actes, il proteste de ses bonnes intentions et s'indigne qu'on le soupçonne : aussitôt qu'il croit échapper à la surveillance, il se rejette aux Jésuites : Son cœur est aux Jésuites autant qu'il peut l'être, écrit Bernis[89], mais, en lui parlant avec fermeté, nous lui avons jusqu'ici fait changer ou modifier sa résolutions : simple apparence que ces changements ; le vrai, c'est que, comme le dit encore le Cardinal, le Pape sait parfaitement jouer la comédie quand il veut.

Heureusement, au commencement de décembre, Grimaldi arrive pour prendre possession de son ambassade. C'est un grand seigneur qui ne se laisse point intimider ; il sait assez de politique pour ne point être pris pour dupe ; et sa parenté avec le secrétaire d'État Pallavicini doit lui faciliter les affaires. On lui a recommandé avant tout la bonne harmonie avec Bernis, et au début il s'entend, on ne peut mieux, avec le Ministre de France.

Grimaldi, donc, mis au courant de la situation, parle très-vivement au Secrétaire d'État des tentatives dirigées contre l'Oratoire ; d'accord avec Bernis, il sait augmenter et bientôt rendre insurmontables les difficultés que rencontre la négociation engagée par M. Harvey, évêque anglican, au sujet des catholiques d'Irlande[90]. Bientôt, il se sent assez fort pour s'attaquer à l'entourage du Pape, en imposer aux zelanti. Le marquis Antici, le Ministre œcuménique, comme l'appelle Bernis, se démène pour obtenir, sur la demande de l'Électeur de Cologne, un Bref qui permette à des Jésuites qui vivent à Cologne dans une sorte de communauté, d'administrer les Sacrements, d'enseigner et de prêcher. Déjà la demande a été présentée et rejetée grâce à Azara, mais cette fois Antici est sur le point de l'emporter. Par J. B. Rezzonico, par Livizzani, préfet de l'Annone, l'ennemi acharné de Bischi, il obtient le Bref. Grimaldi alors élève le ton, Bernis vient à la rescousse, et Pallavicini, demandant pardon, déchire le rescrit en présence de Bernis[91]. Ce n'est là qu'un premier pas ; il faut profiter de l'occasion pour marcher sur la camarilla et la réduire. C'est J. B. Rezzonico qui dresse les décrets furtifs et les présente au Pape ; c'est l'ex-Jésuite Zaccaria, celui que Pie V1 considère comme le premier théologien de Rome et qu'il a nommé lecteur d'histoire ecclésiastique et directeur des études dans le nouveau séminaire, qui conseille la signature ; ce sont Antici et Livizzani qui cherchent tous les moyens d'atteindre la mémoire de Clément XIV ou de ménager quelque faveur aux Jésuites. Il faut que Livizzani soit renvoyé de la Congrégation, qu'Antici, qui poursuit un chapeau, apprenne que sans les Cours il n'y parviendra jamais[92]. Grimaldi, au nom de son maitre, déclare au Pape que l'Espagne interdit à Livizzani toute place cardinalice, et qu'elle ne consentira jamais à ce qu'il soit cardinal[93]. Pie VI proteste, dit que l'exclusion de toute charge pour Livizzani serait une injure faite à la Congrégation des cardinaux[94], mais il consent à faire dépendre sa promotion du consentement des Couronnes, et il demande à le faire passer à la présidence d'Urbin où il n'y a point d'affaires de cette nature[95]. Comme Florida-Blanca lui a écrit une lettre où tous les griefs de l'Espagne se trouvent réunis, le Pape répond, et, dans sa réponse, il renouvelle authentiquement, formellement, absolument, les promesses qu'il a faites au sujet des Jésuites[96]. Ces promesses, jusqu'ici, n'ont été que verbales ; les voilà écrites. L'Espagne a un gage ; elle tient le Pape : elle croit le tenir.

Ce n'est point assez d'une lettre : la correspondance continue entre Pie VI et Florida-Blanca. Le Pape écrit qu'il ne décidera désormais les affaires des Jésuites que d'accord avec Bernis et Grimaldi[97]. Comme l'Espagne consent que Livizzani passe à la présidence d'Urbin, le Pape, avec une grâce particulière, avance de quelques jours la promotion des Couronnes[98]. Ce sont de sa part des flatteries sans fin, toutes sortes de belles paroles, et, pendant ce temps, à Rome, les pamphlets contre la mémoire de Clément XIV se vendent publiquement ; la Secrétairerie des Mémoriaux expédie en faveur des Jésuites qui vivent en communauté au Gesu des rescrits qui infirment le Bref de suppression ; les Jésuites de Liège ont l'autorisation de recevoir des novices[99], et c'est là ce qu'on sait ; ce qu'on ignore, ce qu'on découvrira plus tard est autrement grave.

Bernis essaye des représentations à propos de l'affaire du Gesu ; mais, avec Bernis, le Pape a un argument tout prêt. Il lui parle de la mort de Clément XIV et des dangers que court sa propre vie. Il ne veut pas ôter aux Jésuites toute espérance : il est bien assuré de ne se prêter jamais à leur résurrection, mais cette illusion leur fait prendre patience, et chaque jour leurs chefs meurent[100]. D'ailleurs, Bernis a bien raison à propos du Gesu : comment le Pape n'a-t-il pas vu cela ? Jamais désormais on ne donnera aux Jésuites du Gesu que des permissions particulières de prêcher ou de confesser au dehors[101]. C'est fini, absolument fini.

Le lendemain, la place de Commandeur du grand hôpital du Saint-Esprit vient à vaquer. Elle est aussitôt donnée à M. Sampieri, promoteur de la Foi, celui qui a fait échouer la béatification de Palafox. La place de Sampieri est donnée à l'avocat Campanella, le rédacteur des mémoires contre Bischi. Le Pape fait cela au moment même où il demande à Florida-Blanca ses bons offices pour la haquenée. Pourquoi le fait-il ? Parce que les zelanti le veulent. Leur système est de pousser tous les ultramontains vigoureux dans les places pour arriver au Conclave à défier toutes les exclusives. Si un pareil système n'est pas contrarié, écrit Bernis, toutes les places appartiendront aux ennemis des Cours, qui n'auront plus pour ressources que les partis violents, que je redoute surtout dans ce siècle, dont l'esprit ne tend trop qu'à toute espèce d'affranchissement[102].

Cette fois, Grimaldi se fâche tout de bon, prend la promotion comme une insulte faite à l'Espagne, dit au Pape qu'il tremble pour lui. Vergennes lui-même, abandonnant sa belle indifférence, écrit une dépêche très-vive[103] : Si la Cour d'Espagne exige, dit-il, que la France fasse des démarches d'éclat, le Roi ne les refusera pas, et Pie VI éprouvera le chagrin de se voir dicter la loi. L'Espagne avant tout veut une satisfaction complète sur l'affaire du Gesu ; Bernis écrit au Pape une longue lettre dans laquelle il lui montre les dangers auxquels il s'expose[104], et Pie VI répond : Nous avons fait appeler le Président de la maison du Gesu et nous lui avons ordonné de signifier à tous les Jésuites qui y demeurent de se désister de confesser et de prêcher, ou de décamper de cette maison. On verra par là s'il y a de la partialité dans notre fait, ou si nous avons agi pour tranquilliser l'esprit de quelques particuliers[105].

Cela semble une victoire des Couronnes : nul événement n'a fait plus de bruit depuis la suppression ; le Cardinal-vicaire en est malade ; plusieurs couvents de religieuses menacent de ne plus se confesser si on ne leur rend pas leurs Jésuites ; mais ce n'est là qu'un incident ; cela ne change ni les idées, ni les tendances du Pape. Cela ne lui enlève point son grand argument que Bernis résume ainsi : La mort de Clément XIV épouvantera toujours ses successeurs[106].

A Madrid pourtant, on est las de ces infractions continuelles faites au Bref ; on emploie enfin le bon moyen : le Roi d'Espagne ordonne au Conseil de Castille de rechercher les abus qui ont pu se glisser 'dans les frais des procès de canonisation, des bulles, des induits, des dispenses, et, en attendant, il suspend tous les procès de canonisation en cours[107]. Or, de ce chef, il sort d'Espagne et il entre à Rome chaque année plus d'un million de livres. Cette suppression doit être d'autant plus sensible à la Cour pontificale, qu'une autre source de ses revenus va peut-être se trouver tarie, si la Pologne adopte les lois nouvelles rédigées par l'ex-grand chancelier, le comte Zamoyski ; lois qui, outre qu'elles introduisent les maximes gallicanes, abolissent le tribunal de la Nonciature, interdisent les appels à Rome, coupent les vivres à la Daterie.

Le Pape essaye de faire adoucir Florida-Blanca par Bernis, mais Florida-Blanca se souvient du temps où il était Moniño. Il sait qu'on ne peut venir à bout de Rome qu'en lui montrant les enfers ouverts[108]. Le Pape se débat, dit que, à moins qu'il n'obéisse comme un enfant à toutes les lois que la Cour de Madrid voudra lui imposer, l'Espagne ne sera jamais contente, se détermine à faire déclarer à Grimaldi par le cardinal Conti qu'il est prêt à entrer en explication sur tous les griefs de la Cour de Madrid, dès qu'elle lui en fera connaître les objets et les motifs[109]. On entre donc en négociation ; on cherche les moyens de corriger les abus de la Daterie : c'est un travail infini, qui exige beaucoup de temps, une attention soutenue. Or, ce n'est plus Moniño qui est là, mais Grimaldi. Grimaldi se lasse de ce long travail ; après avoir obtenu un semblant de satisfaction pour les dispenses, il laisse reprendre les procès de canonisation. Il ne demande plus rien. L'argent espagnol commence à rentrer dans le Trésor pontifical, épuisé par les gigantesques travaux que le Pape a entrepris. Tout est pacifié du côté de l'Espagne, c'est le moment de faire quelque chose pour les zélés.

Pie VI indique un consistoire pour le 25 décembre, pour le jour de Noël[110] : c'est un fait pour ainsi dire sans exemple : un seul consistoire a été tenu le jour de Noël, celui où Sixte V a fulminé l'excommunication contre les meurtriers du cardinal de Lorraine et du duc de Guise. Il y a, ce jour-là, les fonctions des vêpres de la fête de la Nativité, les matines de Noël, la messe de la nuit, la grand'messe pontificale que le Pape doit chanter. Il n'importe : après la messe, Pie VI, revêtu de ses habits pontificaux, passe, encore tout en sueur, dans la chapelle de Saint-Léon, préparée pour le consistoire. Il y trouve les cardinaux-évêques en chapes, les cardinaux-prêtres en chasubles, les cardinaux-diacres en dalmatiques ; il s'assied sur son trône et y prononce avec une force incroyable et d'une voix de tonnerre un discours dans lequel il annonce que l'évêque suffragant de Trèves, celui qui, sous le nom emprunté de Febronius, a écrit depuis quinze ans des livres contraires à la juridiction papale et aux maximes et usages de la Cour romaine, s'est volontairement rétracté, et qu'il confesse ses erreurs dans un écrit raisonné. Benoît Stay, secrétaire des Brefs aux princes, lit les pièces ; le Pape reprend la parole pour dire que tous ces documents vont être imprimés, puis il rentre au Vatican d'un air de triomphe.

Qu'est-ce que Febronius ? se demanda-t-on : un particulier nommé Hontheim, qui a fait des livres qui ne contiennent rien de nouveau ; ce qu'il y a de bon est conforme aux doctrines gallicanes. C'est donc de ces doctrines que le Pape a voulu triompher, c'est pour cela qu'il a machiné cette cérémonie dans laquelle on n'eût pu mettre plus de pompe s'il se fût agi de célébrer la réunion des protestants ou des schismatiques. Que diront les Parlements de cette fastueuse apologie des doctrines ultramontaines, de cette attaque déguisée contre les maximes de l'Église de France ? Penseront-ils, comme Bernis, que cette scène prête plus au ridicule et au mépris qu'elle ne peut ni ne doit exciter d'indignation ? Diront-ils seulement, comme Vergennes, qu'il est très-fâcheux que Pie VI se soit permis ce coup de tête dans un moment où tout Paris prétend qu'il la perd[111] ? Il n'en est pas plus en effet. Le Pape, qui, après avoir donné ce grand coup d'épée dans l'eau, meurt de peur[112], peut se rassurer. Malheureusement, les Parlements ne s'occupent plus des questions religieuses, et, en Espagne, personne ne sait si Febronius existe, personne n'a lu les cinq volumes in-8° imprimés à Bouillon : De statu presenti Ecclesiœ et de legitima potestate Romani Pontificis, Liber singularis cum appendicibus et operis vindictis. Peut-être quelque philosophe se plaira-t-il à les feuilleter à présent[113].

Après cet éclat qui termine si singulièrement l'année 1778, un silence pendant les deux premiers mois de 1779. L'Espagne continue à négocier avec la Daterie, mais cela passe par Azara et non par Grimaldi. Ce sont toutes sortes de petites chicanes, un débat honteux sur les tarifs. Bernis que, comme prêtre, ce genre de marchandage révolte, conseille au Pape d'en agir noblement, de mettre fin à l'agiotage de grâces que le Concile de Trente a déclaré devoir être accordées gratis. Mais Pie VI répond que c'est impossible, que pas un Pape ne l'osera. Il faut se borner, dit Bernis en rendant compte de cette conversation, à tirer le meilleur parti d'un pays où le pharisaïsme — s'il m'est permis de me servir de ce terme — règne plus que partout ailleurs[114]. La Daterie traîne, consulte, ne veut point céder. En attendant, Azara retient par devers lui les demandes qui viennent d'Espagne ; il espère prendre les Romains par la famine ; mais le Portugal fournit infiniment : en moins d'un an, on y a expédié plus de sept mille Brefs pour grâces spirituelles[115] : cela permet au Pape d'être patient.

Vers le 15 mars, brusquement, le bruit se répand que Pie VI est très-malade, qu'il est pris d'un rhumatisme universel..Des prophéties sinistres circulent, on se rappelle Clément XIV. Mais pourquoi le Pape, qui a tant ménagé les Jésuites, serait-il empoisonné ? C'est, dit Bernis, que quand on ne fait qu'à demi les choses, on ne contente personne[116]. Les médecins s'empressent : en une nuit, ils pratiquent quatre saignées. Il y a un peu d'amélioration, mais on ne peut encore répondre du malade, et au cas où Pie VI mourrait, qu'arriverait-il d'un conclave ? H y a quelque refroidissement entre le Ministre de France et l'Ambassadeur d'Espagne. Ce n'est pas que Grimaldi ne soit pas fort attaché à l'union des Couronnes, mais il a plus d'adresse de courtisan que de sagacité de Ministre ; d'ailleurs, il n'est nullement secret et confie tout au Secrétaire d'État, son cousin. Il s'est éloigné du chevalier d'Azara, qui a bien plus de lumières, bien plus d'instruction et de nerf, et qui a pour les affaires de Rome la confiance de Florida-Blanca[117]. C'est un premier point noir pour Bernis. Puis, il s'agit de savoir qui la France enverrait au conclave. M. de la Rochefoucauld et M. de Guéméné, sans doute : M. de la Rochefoucauld est bon : Bernis le connait depuis le séminaire ; mais pour M. de Guéméné, le prince Louis de Rohan, outre qu'il est entièrement livré aux Jésuites, il a, au moment de sa nomination, lui qui devait son chapeau, dans la promotion des Couronnes, au pouvoir expirant du Roi de Pologne[118], traité Bernis avec une hauteur si insultante, que Bernis a dû s'en plaindre à la Cour, et d'un ton qui ne lui est pas ordinaire. Le bien des affaires, a-t-il écrit[119], me fera tout oublier, et je suis disposé d'être bon serviteur comme par le passé de M. le cardinal de Guéméné, mais en même temps je dois me souvenir que je suis gentilhomme, et que, jusqu'ici, je n'ai jamais fait de bassesses, ni souffert d'injures. Le prince Louis a dû céder, mais il l'a fait de mauvaise grâce ; il n'a point cessé de dire du mal de Bernis ; sa haine personnelle est encore fomentée par son confident intime, l'ex-Jésuite Georgel. Comment, avec un tel auxiliaire, se tirer d'un conclave ? et, pour achever le désastre, Bernis n'a plus son vieil ami, l'abbé Deshaises, mort le 15 février.

L'état du Pape empire : ce sera un miracle s'il échappe à cette maladie extraordinaire. Il a autant à craindre des médecins qui l'entourent que des domestiques qui le servent. Les détails intérieurs de ce qui se passe autour de lui font sur les âmes honnêtes l'effet d'une bonne tragédie : horreur et pitié. On avait espéré que le Pape se laisserait gouverner par ses anciens amis, et qu'il rétablirait les Jésuites : il n'a pas voulu ni osé le faire. Il faut que son règne finisse[120]. Nul ne s'intéresse au Pape dans Rome ; ceux qui ne sont pas indifférents sont satisfaits[121].

A la fin de mars, le malade est un peu mieux, mais il est affaibli, aigri par le mal, inquiet, livré à la superstition des petites gens qui l'entourent. Même s'il réchappe, il est à craindre' qu'il ne revienne jamais dans son état ordinaire[122]. Le régime auquel on le soumet est d'ailleurs des plus étranges : après une médication extrêmement violente dans laquelle on a prodigué les saignées et les vésicatoires, on l'alimente avec des potages au riz, du lait coupé, du sirop de pavot et de la limonade glacée. La maladie d'ailleurs pouvait être venue des antidotes que le Pape avait pris en grande quantité et dans lesquels il entrait beaucoup de mercure. Cela expliquerait la similitude des accidents qu'avaient éprouvés Clément XIV et Pie VI ; tous deux, par crainte d'être empoisonnés, s'étaient empoisonnés eux-mêmes : seulement, grâce à son âge et à la force de sa constitution, Braschi avait résisté[123].

Au moment où le Pape entra en convalescence, les négociations relatives à l'union des Couronnes dans le conclave qu'on croyait si prochain, avaient abouti.

Malgré l'indifférence et même la mauvaise volonté du premier commis, chargé au Ministère des Affaires Étrangères de la correspondance de Rome[124], malgré les singulières théories qui semblaient prévaloir dès ce moment à Versailles et qui ont amené à bref délai la ruine de l'Église gallicane[125], Vergennes, pour donner satisfaction à l'Espagne, avait dû se prêter à former, d'accord avec les Cours de Vienne et de Turin, un parti des Couronnes. Il n'avait point, à coup sûr, porté à cette négociation l'ardeur qu'on y mettait en 1769 et même en 1774, il s'en était rapporté entièrement à Bernis, ne lui avait pas même donné d'instructions, et Bernis, fort éprouvé par la mort de sa nièce, la marquise du Puy-Montbrun, n'envisageait pas sans terreur la perspective d'une affaire aussi longue et que les circonstances rendaient particulièrement difficile. Pourtant, quand le Pape fut rétabli, le Ministre de France résolut de profiter de cette entente ménagée entre les puissances catholiques en vue du conclave, pour imprimer une action commune à leur politique à Rome. Il voulut prendre ses précautions pour ne pas être surpris une seconde fois par une nouvelle maladie du Pape et déblayer les obstacles qu'il avait rencontrés et qu'il devait rencontrer de nouveau si une semblable occasion se présentait[126]. Il prétendit surtout se débarrasser de Grimaldi de plus en plus livré aux zelanti, qui étaient parvenus à lui donner pour confident un ex-Jésuite. La base de la politique de la France à Rome était l'alliance intime avec l'Espagne. Bernis démontra[127] que cette alliance était compromise par Grimaldi, et il traça en même temps tout un plan de conduite en vue d'empêcher que le Pape pût, sans que les Cours y missent obstacle, continuer à prodiguer ses faveurs aux Jésuites. Malheureusement, Vergennes, tout entier en ce moment aux affaires d'Amérique, ne porta point son attention sur le mémoire que Bernis avait envoyé[128] : il le laissa à un commis philosophe qui avait sur les questions religieuses des idées étranges et qui le mit au panier. La proposition de Bernis fut enterrée, et cela juste au moment où un fait très-grave démontrait son utilité.

Les Jésuites de Russie, pour n'avoir pas fait parler d'eux depuis quelque temps, n'en avaient pas moins continué leur mine. Leur établissement était précaire tant qu'ils n'y auraient point ajouté un noviciat[129]. Dès 1777, Catherine avait ordonné l'ouverture de ce noviciat ; mais, pour avoir l'air de procéder canoniquement, les Jésuites avaient besoin de l'autorisation de l'Ordinaire ; et, pour que l'Ordinaire, c'est-à-dire l'Évêque de Mallo, pût, à peu près, donner cette autorisation, il lui fallait un semblant de pouvoir venant de Rome. Donc, l'Évêque de Mallo sollicita un rescrit qui lui donnât la faculté d'exercer sur les religieux la juridiction ordinaire ; Archetti demanda le rescrit à la Propagande, et la Propagande l'expédia. Seulement, en l'expédiant, elle y introduisit l'autorisation de réformer, modifier, fonder à nouveau les Ordres religieux existants en Russie : corrigere, mutare, de novo condere. Ce rescrit est en date du 15 août 1778, postérieur par conséquent de trois jours au billet adressé par Pie VI à Bernis au sujet des Jésuites du Gesu. Après sa lettre à Florida-Blanca du 2 avril, après son billet à Bernis du 12 août, le Pape avait-il, en connaissance de cause, signé le rescrit du 15 août ? Il ne convient pas de le supposer.

Quoi qu'il en soit, le rescrit fut envoyé à Archetti par les soins de Borgia, secrétaire de la Propagande, transmis par Archetti à l'Évêque de Mallo, qui le promulgua solennellement dans la Russie Blanche au mois de mars 1779. Le 30 juin de la même année, Siestrzencewicz publia un mandement dans lequel le rescrit était inséré textuellement, et par lequel il autorisait les Jésuites à ouvrir un noviciat.

Ces faits ne semblent avoir été connus du Pape que le 24 août. Les Ministres des Couronnes ne pouvaient manquer d'en être promptement informés ; Pie VI eut l'habileté de prendre les devants. Il écrivit à Grimaldi qu'il avait appris avec le plus grand chagrin l'acte de l'Évêque de Mallo ; il affirma que cet évêque ne pouvait justifier sa conduite par des instructions, des ordres ou des pouvoirs émanés de Rome ; il annonça qu'il communiquerait à Grimaldi et à Bernis toutes les lettres qu'il écrirait à Archetti et à Siestrzencewicz ; il demanda le concours de la France et de l'Espagne pour détourner la Russie d'accorder à cet évêque aucune protection[130].

Que devaient faire les Cours ? Elles ne devaient point admettre que le Pape eût été de connivence avec l'Évêque ; elles devaient s'en prendre à celui-ci, à ses protecteurs à Rome, traiter l'affaire directement avec Pie VI, lui faire renouveler ses anciennes promesses, l'aider auprès de la Cour de Russie dans le cas où l'Évêque refuserait de se rétracter, et, si Catherine ne voulait point céder, obtenir un décret du Pape, dressé par son ordre, concerté par les Cours et approuvé de la Propagande, qui improuverait l'Évêque et les Jésuites, serait envoyé à tous les Nonces, publié dans les Gazettes et communiqué au Roi de Prusse et à la Czarine. Le Pape annulerait tout ce qui avait été fait d'irrégulier et déclarerait que si les Jésuites persistaient, ils étaient schismatiques[131].

Pour l'exécution de ce plan que Bernis venait de tracer, il fallait le concours de trois volontés, de deux au moins. Il fallait que l'Espagne et la France s'accordassent pour obliger le Pape à respecter ses promesses. Dès le 11 septembre, sans attendre d'instructions, Bernis obtient l'insertion dans le Diario Ordinario de Rome[132] d'un démenti officiel au bruit du rétablissement des Jésuites, mais il est contraint de suspendre ses démarches, parce que l'Ambassadeur d'Espagne refuse de les appuyer. Grimaldi s'est en effet presque absolument brouillé avec Bernis. La rivalité d'influence qui était entre eux s'est doublée d'une rivalité de représentation[133]. Grimaldi n'ignore point la liaison du Ministre de France avec Azara qu'il déteste. Il connaît les tentatives faites pour l'écarter, et il sait que Florida-Blanca, dont il a fait la fortune, ne peut honorablement le déplacer. Les Jésuites qui l'entourent profitent de ces picoteries, enveniment des blessures déjà saignantes, s'efforcent d'amener une rupture ouverte qui ne peut servir qu'à leurs intérêts. Au lieu d'insister auprès du Pape et de suivre le plan tracé par Bernis, Grimaldi réclame de nouvelles instructions à Madrid.

Or, à Madrid et à Versailles, on est fort embarrassé. La grande guerre dans laquelle les deux puissances sont engagées les oblige à ménager avec un soin extrême les puissances du Nord. Si les Ministres de France et d'Espagne à Rome avaient agi d'eux-mêmes, et enlevé, d'autorité, l'annulation par le Pape de l'ordonnance de l'Évêque de Mallo, tout eût été pour le mieux ; on aurait rejeté sur Pie VI le désagrément occasionné à Catherine ; mais, du jour où l'affaire entre en négociation, ce sont la France et l'Espagne qui deviennent responsables vis-à-vis de la Russie, et quelles conséquences ne peut-il pas en résulter pour la politique générale ?

Le Pape comprit rapidement le parti qu'il pouvait tirer de cette situation nouvelle. Il n'était point fâché qu'on conservât de la graine des Jésuites dans les pays éloignés[134], et il en voyait le moyen. Au lieu d'agir vigoureusement contre Siestrzencewicz, il fit écrire à Archetti qu'il eût à obtenir la rétractation de l'Évêque de Mallo, et quand Bernis se présenta pour réclamer le décret d'annulation, il lui opposa qu'il fallait attendre les réponses de Varsovie.

Or, l'Évêque de Mallo ne répondit pas. L'Espagne et la France avaient chargé leurs agents d'agir auprès de l'Impératrice, mais ceux-ci ne trouvèrent sans doute pas la commission assez importante, et ils s'abstinrent. Ce fut par Antici, devenu le très-humble serviteur des Cours depuis qu'on l'avait menacé dans son ambition, que Bernis apprit, au milieu de décembre[135], les termes de la réponse faite à Archetti, non par l'Évêque de Mallo, mais par M. de Stackelberg, Ministre de Russie à Varsovie. Catherine déclarait que Siestrzencewicz n'avait rien fait que par ses ordres formels, qu'elle trouvait les Jésuites plus propres que d'autres à l'enseignement et que leur établissement était purement civil et n'appartenait pas au dogme.

Désormais, il était impossible au Pape, à moins de rompre entièrement avec l'Impératrice et de sacrifier les catholiques de Russie, de fulminer un décret destructif des actes de l'Évêque de Mallo.

Sans aller jusqu'au décret d'annulation, ne pouvait-on du moins trouver un modus vivendi qui donnât satisfaction à tout le monde ? Antici, qui se disait chargé de la négociation, proposa que Catherine abolit le nom des Jésuites dans ses États, et, le Bref une fois publié, qu'on formât avec les ex-Jésuites retirés en Russie un nouvel Ordre pour perpétuer l'enseignement de la jeunesse catholique. Il invoqua l'exemple du Roi de Prusse qui avait permis à l'évêque de Culm de publier le Bref, avait autorisé le changement d'habit et de dénomination, mais avait ajouté que pour le reste de l'Institut, il fallait qu'il restât intact et sur le même pied qu'en Silésie[136].

Vergennes trompé par les renseignements erronés et tardifs que lui avait envoyés Corberon, chargé d'affaires de France à Pétersbourg, convaincu que la Russie n'avait nulle intention de soutenir les Jésuites et que rien n'était plus simple que d'obtenir satisfaction, rejeta absolument ce projet d'Antici ; si on l'admettait, le Bref d'extinction, dit-il, deviendrait nul. Il voulut que le Pape agit de lui-même et qu'il fulminât un décret contre l'Évêque, si l'Évêque ne se rétractait pas[137]. En même temps, il enleva la négociation à Antici et la fit remettre entre les mains d'Archetti.

Nulle faute ne pouvait être plus grossière. Archetti était à Varsovie où personne ne pouvait le surveiller. Il n'avait rien à attendre des Couronnes et pouvait se ménager ailleurs des protecteurs efficaces. Antici était à Rome, sous la main des Ministres des Cours ; il avait tout à craindre pour son chapeau et était disposé à tout faire pour l'obtenir. C'était un grotesque, un arlequin ; il était dangereux de lui donner trop d'importance, soit[138] ! mais Archetti était la cheville ouvrière de l'intrigue ; depuis qu'il était à Varsovie, il n'avait point discontinué son travail en faveur des Jésuites, et c'était à lui qu'on se confiait !

Le Pape, se sentant maître de la situation, n'exige plus de l'Évêque de Mallo une rétractation formelle, il lui demande un simple mandement destructif du premier[139]. Il charge Archetti de l'obtenir. Mais avant que cette nouvelle demande ait pu parvenir à Varsovie, avant que la négociation soit rouverte, Catherine fait dire officiellement au Nonce qu'il ne lui plaît point de discuter, que l'Évêque de Mallo a simplement exécuté les ordres qu'elle lui a donnés, et que rien ne la fera changer d'opinion. C'est contre l'Espagne qu'est dirigée cette déclaration. Des vaisseaux russes ont été arrêtés à Cadix par les Espagnols qui les soupçonnaient de porter de la contrebande de guerre aux Anglais. Il est résulté de ce petit fait, d'une part, la Ligue des Neutres qui groupe presque toute l'Europe autour de la Russie, devenue puissance dirigeante[140] ; d'autre part, le rejet absolu par l'Impératrice des demandes formées par le Ministre d'Espagne à Pétersbourg contre les Jésuites.

On craignit à Paris que cette affaire n'eût des conséquences encore plus graves. Vergennes se hâta d'écrire à Bernis qu'il ne poussât point l'affaire de l'Évêque de Mallo avec trop de vivacité, qu'il n'insistât pas pour obtenir une réponse décisive de l'Impératrice. Il lui ordonna de modérer l'empressement du Pape[141]. L'Espagne, de son côté, ne dit rien[142], et Bernis fut chargé d'empêcher qu'elle dit quelque chose. L'affaire sembla donc presque abandonnée. Il résultera de tout cela, écrivit Bernis, que, dans les pays catholiques soumis à des princes qui ne sont pas de notre communion, il subsistera un jésuitisme bâtard et, dans le fond, schismatique, qui attendra des circonstances favorables pour s'étendre de proche en proche, qu'il entretiendra une liaison et correspondance, étroite avec les autres membres dispersés de l'ancienne Société et surtout avec ceux qui résident à Rome, dans l'espérance d'obtenir un jour leur légitimation et leur rétablissement légal[143].

Ces considérations, dont la justesse prophétique n'est que trop frappante, n'avaient aucune influence sur Vergennes, uniquement absorbé par la guerre contre l'Angleterre. Il était décidé à voir les choses en beau ; il s'imaginait que la Russie allait suivre l'exemple de la Prusse ; il se disait que, si les Jésuites n'avaient plus de Général, mais un administrateur provincial, si leurs vœux, leur hiérarchie, leur nom, leur habit étaient dénaturés ou disparus, ils n'auraient plus aucun moyen de rentrer dans les pays catholiques ; il se berçait de l'idée que les puissances seraient toujours en état d'empêcher la résurrection[144]. Il ne voulait point voir.

Pendant ce temps, Catherine, parcourant ses États, venait à Polotzk. Elle y vit en arrivant ce qu'elle n'avait jamais vu, des Jésuites, des Dominicains et des Juifs rangés en parade ; les derniers horriblement crasseux, les autres faisant une auguste mascarade[145]. Elle alla visiter le collège des Jésuites, et ceux-ci, pour montrer leur grande allégresse, entonnèrent le Te Deum, quand la Czarine entra dans leur église ; ils firent, l'official à la tête, une procession dans l'intérieur de l'église, passèrent trois fois avec le Saint Sacrement devant l'Impératrice, et chaque fois ils la saluèrent avec l'ostensoir[146].

Vergennes écrivait : Le séjour de l'Impératrice à Mohilew décidera l'affaire des Jésuites. Il la décida en effet. Le noviciat avait été ouvert par les Jésuites le jour de la Purification (2 février) : quatre jeunes gens échappés du noviciat de Wilna y prononcèrent leurs premiers vœux ; tous les profès renouvelèrent en même temps leur profession. Bernis avait espéré que la gravité de ce nouvel attentat déterminerait le Pape à publier de lui-même le décret abolissant ce qui avait été fait en Russie Blanche, mais tout se réduisit à une nouvelle lettre adressée par Archetti à Siestrzencewicz, le mettant en demeure de se rétracter et de représenter à l'Impératrice qu'il n'avait nul pouvoir pour ouvrir un noviciat[147]. L'Évêque de Mallo ne répondit pas plus que par le passé. Peut-être s'y attendait-on à Rome.

L'année 1780 ne devait pas se terminer sans que le Pape eût affirmé par une démarche d'autant plus éclatante qu'elle était contraire à tous les usages, la singulière duplicité dont il avait fait preuve dans toute cette affaire. Le 16 septembre, il écrit de sa main à Sa Majesté Impériale Catherine II, pour lui demander d'accorder aux catholiques du rite grec la même protection qu'elle accorde aux catholiques du rite latin. Il ne parle de ce Bref ni à Bernis, ni aux Ministres d'Espagne ; ce n'est que le 23 novembre que Bernis en est informé, au moment même où il se demande si le Pape ne pourrait pas écrire à la Czarine pour lui demander l'abolition des Jésuites, et où il est arrêté par des questions de forme et d'étiquette, résolues depuis deux mois[148]. Ce n'est qu'au milieu de mars 1781 que le Ministre de France apprend que Catherine a répondu de sa main à Pie VI le 31 décembre précédent. Il ne parvient même pas à avoir communication du texte de cette lettre : il sait seulement que l'Impératrice demande l'érection de Mohilew en archevêché en faveur de l'Évêque de Mallo, avec juridiction sur tous les catholiques de Russie, qu'elle demande le Pallium pour Siestrzencewicz, qu'elle demande en outre qu'un suffragant qu'elle désignera soit donné au nouvel archevêque de Mohilew.

De telles faveurs seraient l'approbation non plus secrète, mais publique et solennelle, du rétablissement des Jésuites en Russie. Bernis ne manque pas de le dire[149] ; il fait observer que pendant la guerre, ces affaires semblent petites, qu'à la paix elles gêneront, et qu'il sera trop tard ; mais Vergennes, dans chaque dépêche, répond qu'un intérêt majeur impose le silence sur les affaires catholiques en Russie ; on verra ; il y aura peut-être un moment ; d'ailleurs, la question des Jésuites et celle de l'archevêché de Mohilew sont fort distinctes aux yeux de la Cour de France ; il n'y a aucune connexion entre elles : comme si l'une n'était point la conséquence, la récompense de l'autre[150] ! Il est impossible qu'on soit involontairement si naïf à Versailles !

Néanmoins, Bernis espère encore que l'érection de Mohilew en métropole sera subordonnée à la destruction préalable des Jésuites ; mais, à la fin d'avril, il apprend que l'Impératrice parle seulement de certains avantages à faire aux Grecs-Unis. Alors, il essaye d'intervenir : il écrit au Pape un billet privé dans lequel il lui rappelle ses promesses, lui montre quel sera le juste ressentiment des grandes Cours, si l'Évêque de Mallo devient métropolitain sans avoir donné la moindre satisfaction[151]. Pie VI répond qu'il a toujours tenu toutes les promesses qu'il a faites, qu'il est né honnête homme et qu'il avait cette qualité avant d'être Pape ; il dit qu'il n'a traité avec l'Impératrice que l'affaire des Grecs-Unis, et que, quant à la demande d'un archevêché, il n'a rien répondu. Bernis, alors, conseille au Pape de gagner du temps, de ne rien faire sans le consulter, de tenir ferme, de ne pas accorder l'érection tant que l'Évêque de Mallo ne se sera pas rétracté.

Il faut avouer que dans la lettre qu'il répond à l'Impératrice, le 27 octobre, Pie VI n'accorde pas encore les demandes qu'on lui a faites, mais, symptôme caractéristique, il ne communique point au Ministre de France le Bref qu'il vient d'expédier. Le 26 décembre, lorsque Bernis lui demande s'il a écrit à l'Impératrice, il répond qu'il faut d'abord que l'Évêque de Mallo se range à son devoir. Ce n'est que le 9 janvier 1782 que le Cardinal obtient par Antici une copie de la lettre du Pape.

Pie VI, à ce moment de son pontificat, n'admet plus qu'on le conseille. Flatté de cette correspondance qu'il a engagée avec la Czarine, se figurant que nul ne pourra résister à son esprit et à ses charmes, il a imaginé, non-seulement de faire ses affaires lui-même, mais de négocier directement avec les souverains. Il décide, sans prendre avis de personne, ce fameux voyage à Vienne où Braschi satisfit sa vanité, mais où le Saint-Siège trouva tant de déboires. Avant de partir en Autriche, il voit à Rome le Grand-Duc et la Grande-Duchesse de Russie, qui font le tour de l'Italie ; il les comble d'attention, il croit que par eux il va conquérir l'Impératrice ; qui sait ? qu'il va réconcilier les deux Églises.

Or le Comte et la Comtesse du Nord, — c'est sous ce nom que voyagent le grand-duc Paul et sa femme, — arrivent à Rome le 6 février 1782, et, huit jours avant, le 27 janvier, Catherine a publié un ukase en vertu duquel l'Église de Mohilew est déclarée archiépiscopale, l'évêque de Mallo est promu archevêque, et un nommé Benislawski, ex-Jésuite, lui est donné comme coadjuteur. Elle a fait cela, de son autorité privée, sans aucun concert avec Rome, et, le 30 janvier, elle répond au Pape, simplement, qu'elle maintient toutes ses demandes[152].

Vergennes écrit alors qu'il est impossible que Pie VI laisse passer cette affaire sans protester, que le Roi désire que le Pape prenne le meilleur parti pour constater les principes de l'union, sans lesquels il n'y a plus de catholicisme[153]. Tout ce que Bernis peut obtenir, c'est que le Pape ne reconnaisse pas l'Archevêque de Mallo jusqu'à ce qu'il ait rempli son devoir envers le chef de l'Église. Il y a des difficultés insurmontables à un éclat : ce serait un schisme ; l'Église perdrait la Pologne ; mais, au moins, le Bref de Clément XIV est immuable et irrévocable. Le Pape le déclarera expressément ; Bernis est chargé d'en informer les Cours[154].

Pendant que Vergennes s'applaudit d'avoir arraché cette promesse, les Jésuites de Russie obtiennent, le 4 juillet, de Catherine II, le pouvoir d'élire un vicaire général ; le 9 octobre, ils se réunissent en congrégation à Polotzk, et élisent pour vicaire général, avec tous les pouvoirs du Général, jusqu'à ce que celui-ci puisse être élu à Rome, le Père Stanislas Czerniewicz. Bernis, sur cette nouvelle, demande que le Pape sorte de son silence, qu'il fasse la déclaration qu'il a promise : Pie VI répond que c'est inutile. Tout ce qu'obtient Grimaldi, c'est un article dans les gazettes de Rome pour démentir la connivence avec l'Évêque de Mallo[155].

Cette fois, à Versailles et à Madrid, on est déterminé à ne point laisser passer un acte qui non-seulement invalide le Bref de Clément XIV, mais porte atteinte à la doctrine catholique. Vergennes déclare qu'il faut que le Pape parle non-seulement à la Cour de Russie, mais à la chrétienté tout entière ; sans cela, les Cours de Bourbon seraient obligées de se faire justice elles-mêmes[156] : Il faut, dit-il, que ce scandale finisse avant que les deux Cours, débarrassées de soins plus importants, ne se réunissent pour l'exiger[157]. Florida-Blanca n'est pas moins net : il réclame pour le Roi Très-Chrétien et pour le Roi Catholique des Brefs confirmatifs du Bref de suppression, Brefs qu'on rendra publics à l'occasion[158]. Les deux Cours semblent déterminées à employer tous les moyens nécessaires pour obtenir ce qu'elles demandent.

Or, à ce moment même (31 décembre 1782), arrive la réponse de l'Impératrice[159]. Elle est dure et menaçante. Si le Pape n'accorde pas les demandes présentées, Catherine retirera à ses sujets la liberté de faire profession publique de la religion catholique.

Voilà donc le dilemme posé : ou céder les Jésuites et maintenir les bonnes relations de la Papauté avec les puissances catholiques ; ou se jeter, avec les Jésuites, dans les bras de l'Impératrice schismatique. Il n'y a point à hésiter, car Catherine ne menace point en vain, et, d'autre part, Bernis, d'accord avec les Espagnols, ne demande plus, mais exige un Bref confirmatif[160].

Il semble qu'il n'y ait que ces deux solutions : le Pape en trouve une troisième : comme il est brave jusqu'à dégainer[161], il cède des deux côtés.

Le 11 janvier 1783, il écrit à l'Impératrice de Russie une lettre suppliante : il implore son pardon ; il déclare qu'il va élever l'église de Mohilew à la dignité épiscopale, nommer Siestrzencewicz archevêque et Benislawski évêque, qu'il va envoyer à Pétersbourg un ambassadeur spécial chargé de terminer toutes ces affaires sous les yeux de l'Impératrice ; il espère qu'en échange, Catherine voudra bien donner aux Grecs-Unis un archevêque de leur communion.

Le 29 janvier 1783, il adresse au Roi de France et au Roi d'Espagne un Bref par lequel il confirme de la manière la plus solennelle le Bref Dominus ac redemptor, et par lequel il condamne en termes formels les actes de l'Évêque de Mallo contraires au Bref de suppression[162].

Les deux Cours n'avaient qu'à publier ce Bref du 29 janvier pour enlever au Pape toute considération en Europe. Vergennes fut sérieusement tenté de le faire[163] ; mais Florida-Blanca, soit pour éviter de nouveaux démêlés avec la Russie, soit plutôt par un sentiment de pitié religieuse, conseilla l'ajournement[164]. Les Brefs demeurèrent secrets, et, chose étrange, ce mystère ne transpira point. Sauf pour Pie VI et sa conscience, le triomphe des Jésuites fut éclatant.

Pour le rendre plus complet encore, Benislawski, le coadjuteur donné par Catherine à l'Archevêque de Mohilew, arriva à Rome. Il avait pour instructions de ne céder sur aucune des demandes antérieures de l'Impératrice et de réclamer, de plus, la ratification de tous les actes des Jésuites dans la Russie Blanche[165]. Il fut conduit à l'audience par l'agent de Russie, et là, — suivant ce que Pie VI dit à Bernis[166], — le Pape lui reprocha la conduite de l'Évêque de Mallo et déclara qu'il ne lui accorderait rien avant d'avoir reçu une réponse de Catherine. Benislawski raconta l'entrevue d'une tout autre façon : il annonça partout qu'il avait tout obtenu : deux ans plus tard, il affirmera par serment que Pie VI lui a dit par trois fois : Approbo Rossos Jesuitas[167].

Et l'on rédige à Rome les lettres d'ambassadeur pour Archetti ; on lui envoie les pouvoirs de légat a latere. Archetti va à Pétersbourg donner le Pallium à Siestrzencewicz ; il va sacrer Benislawski ; il va se rendre le spectacle de lu Cour de Catherine, humilier le Pape catholique devant l'Impératrice orthodoxe, mais, et c'est ce qui importe, prouver à tous la victoire des Jésuites. Il aura le chapeau ; il l'aura avant les Nonces près les Cours catholiques. Peu s'en faudra que Catherine ne veuille s'amuser à lui mettre la barrette ; peu s'en faudra qu'elle n'exige la pourpre pour le nouvel Archevêque de Mohilew[168]. Elle se contenta du chapeau d'Archetti. C'est qu'elle le voulut bien.

La victoire des Jésuites ne pouvait être plus brillante. On ne sut point — on l'on ne voulut point savoir, — à Rome, à quel prix elle avait été obtenue : que le Pape avait dit à la fois blanc et noir, qu'il avait signé son propre déshonneur, et qu'il suffisait pour le perdre aux yeux de tous les honnêtes gens, d'une indiscrétion commise dans une des quatre Cours, de Versailles, de Madrid, de Lisbonne ou de Naples. Mais, l'eût-on su, il est douteux qu'à Rome, on eût considéré sa conduite autrement que comme une habileté. Il avait trompé les Barbares, cela était de bonne guerre, il les avait leurrés avec une ombre, tandis qu'il donnait la proie aux Jésuites : cela était du bien joué, tout uniment. Il y avait trop longtemps que ce joug des Couronnes françaises pesait aux Romains : ils en étaient enfin débarrassés. Pie VI les avait vengés de Clément XIV.

Les Jésuites rétablis, ce n'était pas tout encore. Depuis cinq ans, on faisait le silence sur l'affaire de Palafox : plus de congrégations préparatoires, plus de réunions des consulteurs de la cause[169]. Cela était bon et avait réussi, mais il ne fallait point se contenter de cet échec indirect donné au Roi d'Espagne : en face de ce prétendu saint, victime des Jésuites, qu'on faisait attendre depuis si longtemps aux portes du paradis, il fallait élever un autre saint, véritable celui-là, créature bien authentique des Jésuites et qui, lui, entrât tout droit.au paradis. Cela montrerait bien à ces Espagnols que c'était fini d'eux et de leur règne ; cela les mortifierait plus encore que le rétablissement des Jésuites dans la Russie Blanche ; cela se passerait sous les yeux de l'Europe entière ; cela aurait, à travers les temps, un retentissement singulier ; cela scellerait la victoire et achèverait le triomphe.

Depuis neuf ans vivait à Rome un mendiant français nommé Benoît-Joseph Labre[170], qui, par le désordre de ses habits, sa malpropreté, ses longues stations aux portes des églises, avait peu à peu attiré l'attention et s'était fait une façon de réputation. Cet individu mourut le 16 avril 1783. Aussitôt, comme sur un mot d'ordre, Rome s'agite : on déclare que ce mendiant est un saint, qu'il a lui-même prédit sa mort, qu'il fait des miracles. On transporte le cadavre à l'église de la Madonna de Monti. Le cadavre a gardé toute sa flexibilité et ne dégage aucune odeur. La foule s'empresse, si considérable qu'on est obligé d'envoyer une garde : bientôt, la garde ne suffit plus pour contenir la multitude ; il faut fermer l'église pendant quatre jours, établir. une balustrade autour du tombeau et y mettre des soldats en faction. Alors, de nouveaux miracles s'accomplissent ; le confesseur de Labre annonce qu'il va publier des prophéties que le mendiant lui a confiées avant sa mort. Avant le temps prescrit, avant d'avoir reçu des informations de France, le Pape autorise l'introduction de la cause de béatification. On presse la Congrégation des Rites de rendre un décret ; on quête pour le procès dans toutes les maisons de Rome ; quiconque doute des miracles du Saint français est un impie. Le Cardinal-vicaire, le chef des zélants, est à la tête de cette intrigue ; Marconi, le confesseur de Labre, est un adhérent dévoué des Jésuites ; c'est l'ex-Jésuite Zaccaria qui écrit la vie du Saint avec une liste de ses prétendus miracles. Labre est la chose des Jésuites, et Rome, comme le dit Bernis, est tout entière la maison professe des Jésuites.

De Rome, le mot d'ordre est donné à tous les amis que les Jésuites ont en France : Madame Louise est tout enflammée[171]. Elle a, comme il est juste, été informée des premières ; elle a reçu de Rome des médaillons du Saint Pauvre, mais cela ne lui suffit pas, il lui faut des détails, toutes sortes de détails. L'évêque de Boulogne, M. de Partz de Pressy, connu pour ses opinions ultramontaines et ses relations avec les Jésuites, publie un mandement enthousiaste. Tous les parents de Labre dont beaucoup sont dans les Ordres, prévoyant de bonnes aubaines, se donnent un mouvement infini. L'affaire est lancée.

Pourtant il be trouve un temps d'arrêt. Pur une curiosité, à coup sûr déplacée, Vergennes demande qu'on lui procure quelques lignes de la main du mendiant. Quelqu'un croit avoir une lettre de lui de juillet 1766 : elle n'est pas signée, mais parle de son dessein prochain de se retirer à Sept-Fonds. Elle est écrite de Nancy. On fait des recherches pour s'assurer de l'identité du personnage qui écrivait avec celui qui vient de mourir à Rome. En attendant, dit Vergennes, on ferait bien de suspendre la canonisation, parce que cette lettre rendue publique pourrait jeter un ridicule sur la Cour de Rome et même sur la religion[172].

A Rome, il est impossible[173] de découvrir une ligne de l'écriture de Labre : c'est le cardinal Archinto, préfet de la congrégation des Rites, qui le certifie à Bernis ; mais en France on trouve une lettre que le mendiant a écrite à ses parents le 2 octobre 1769. Grand émoi : Labre, dans cette lettre, recommande vivement les ouvrages d'un certain Père Lejeune, ami du Père Quesnel et de M. Arnauld, et fortement suspect de jansénisme[174]. Cela refroidit les Jésuites ; la foule diminue autour du tombeau ; Zaccaria retire son manuscrit des mains de l'imprimeur.

Le curé de Saint-Martin aux Monts, paroisse de Labre, voyant que l'enthousiasme se calme un peu, explique pourquoi il ne s'est point soucié de revendiquer le corps du mendiant il dit que Labre n'a jamais voulu faire ses pâques à l'église paroissiale, qu'il approchait très-rarement des sacrements, et que, loin de pratiquer l'abstinence, il allait souvent manger et boire à une hôtellerie où cet homme si austère ne donnait point des marques de sa frugalité. On est assuré que Marconi, qui se dit son confesseur, ne l'a entendu que deux foi3 en confession : bref, il y a lieu d'espérer qu'on pourra éviter à la Congrégation des Rites le ridicule et la honte d'être induite en erreur par l'enthousiasme et le fanatisme.

Mais, soit que les Jésuites aient craint que, à leur défaut, les Jansénistes ne reprisent l'affaire à leur compte, soit que le mouvement fût trop bien donné pour pouvoir être supprimé, ce temps d'arrêt dans l'enthousiasme est fort court, et on ne le ressent pas hors de Rome. Bientôt les miracles abondent : Labre n'en fait pas seulement à Notre-Dame des Monts, mais par toute la France. Un Bostonien se convertit : c'est un miracle ; M. Fontaine, procureur général de la mission dite de Saint-Lazare, l'affirme[175]. Une religieuse de Boullène en Comtat est guérie : autre miracle ; l'Évêque de Saint-Paul-Trois-Châteaux l'atteste par un mandement spécial. De tous côtés on demande des médailles du Saint ; les évêques attachés aux Jésuites veulent tous quelque relique. Plus de règle, plus de loi : le Pape lui-même, transgressant tous les décrets d'Urbain VIII et de Benoît XIV sur les canonisations, engage de fait le procès de béatification en octroyant à un libraire le privilège exclusif d'imprimer la vie de Labre et tout ce qui a rapport au procès.

Bernis tente un dernier effort pour couper s'il est possible le fil d'une intrigue qui peut avoir en France des suites encore plus fâcheuses qu'en Italie[176]. Il propose qu'une personne judicieuse et active soit chargée de faire une enquête sérieuse sur la vie du mendiant. Vergennes convient que cette instruction est nécessaire, et il en charge un ecclésiastique sur la prudence duquel il peut compter. En attendant que ce travail soit fait, il n'y a point lieu pour la France d'intervenir.

Ce ne fut que le 31 mars 1792 que Pie VI, par un décret, ouvrit le procès apostolique et déclara Labre vénérable. A ce moment, il n'y avait plus de Ministre de France auprès du Saint-Siège. La politique dé la Maison de Bourbon était morte, le Pacte de famille était déchiré, l'Eglise gallicane se préparait au martyre. Les Jésuites purent compléter leur triomphe. Le 7 mars 1801, ils furent rétablis en Russie. Le 7 août 1814, quand se fut écroulée la puissance de l'auteur du Concordat, quand Napoléon Ier, le dernier soutien des doctrines gallicanes, le dernier appui du Bref bourbonien de Clément XIV, fut tombé sous l'effort de la Sainte-Alliance, la Société de Jésus fut solennellement restaurée aux applaudissements de ces Bourbons qui jadis avaient poursuivi sa suppression et qui, maintenant, par un singulier oubli de leurs traditions et de leurs principes, allaient lier leur cause à celle des Jésuites.

Dernier triomphe : Benoit-Joseph Labre a été canonisé le 8 décembre 1881[177].

 

 

 



[1] Braschi porte : écartelé au 1 et au 4 d'or, à l'aigle à deux têtes éployée, de sable, couronnée d'or. Au 2 et au 3 d'azur à la fasce d'argent chargée de trois étoiles d'or et accompagnée de deux lys du même pesés un et un. Je laisse les fautes de blason à l'Annuario della nobilità Italiana, anno 1880, Pise, 1819, in-12.

[2] Le conseil privé ou conseil des parties, composé du chancelier, d'un certain nombre de conseillers d'État et de maîtres des requêtes qui rapportaient les procès instruits par les avocats du Conseil, connaissait, comme on sait, des évocations sur parentés et alliances, des règlements de juges, etc.

[3] Bernis à Vergennes, 5 avril 1775. (AFF. ÉTR.)

[4] Quand il serait démontré, écrit Vergennes le 1er mai 1775, que l'extinction de cette société aurait été faite contre toute raison et convenance, je maintiendrais encore qu'il serait contre les règles d'une saine politique de rétablir un corps qui, ayant des ressentiments à satisfaire et des passions à venger, allumerait le feu de la discorde d'un bout de l'univers à l'autre. (Arch. Bernis.)

[5] Bernis à Vergennes, 14 juin 1775. (AFF. ÉTR.)

[6] Bernis à Vergennes, 5 juillet 1775 (Arch. Bernis.) Vergennes répond le 24 juillet : Si tout ce qu'on a débité, Monseigneur, au sujet de la mort du dernier Pape n'est pas fabuleux, je ne suis pas surpris que le régnant, en dirai fluant du respect auquel il était accoutumé pour la Compagnie des Jésuites, con serve encore la crainte qu'elle a pu lui inspirer dans les temps de sou influence. Le sort d'un Souverain Pontife n'est pas si peu agréable qu'il lui soit indifférent de multiplier le nombre des Parques, et comme notre intérêt propre doit nécessairement influer sur nos actions et sur nos vues, il ne nie parait point du tout étonnant que Sa Sainteté cherche à concilier celui de sa sûreté personnelle avec les ménagements qu'elle doit aux grandes puissances. (Arch. Bernis.)

[7] Bernis à Vergennes, 19 juillet 1775. (Arch. Bernis.)

[8] C'est Loménie de Brienne, celui qui plus que tout autre devait contribuer à la perte de la monarchie. Bernis à Vergennes, 11 octobre 1775. (Arch. Bernis.)

[9] Bernis à Vergennes, 11 octobre 1775. (Arch. Bernis.)

[10] Bernis à Vergennes, 9 août 1775. (Arch. Bernis.)

[11] Bernis à Vergennes, 20 septembre 1775. (Arch. Bernis.)

[12] Bernis à Vergennes, 25 octobre 1775. (Arch. Bernis.)

[13] Bernis à Vergennes, 16 ao6t 1775. (Arch. Bernis.)

[14] Bernis à Vergennes, 31 octobre 1775. (Arch. Bernis.)

[15] Bernis à Vergennes, 22 novembre 1775. (Arch. Bernis.)

[16] Bernis à Vergennes, 21 novembre 1775. (AFF. ÉTR.)

[17] Bernis à Vergennes, 7 et 14 février 1776. (AFF. ÉTR.)

[18] Bernis à Vergennes, 6 mars 1776. (AFF. ÉTR.)

[19] Bernis à Vergennes, juin 1778. (AFF. ÉTR.)

[20] Vergennes à Bernis, 30 juin 1778. (AFF. ÉTR.)

[21] Bernis à Vergennes, 30 décembre 1778. (AFF. ÉTR.)

[22] Bernis à Vergennes, 27 août 1777. (AFF. ÉTR.)

[23] Plus de quatorze cent mille livres de France.

[24] Bernis à Vergennes, 20 janvier 1778. (AFF. ÉTR.)

[25] Bernis à Vergennes, 8 avril 1778. (AFF. ÉTR.)

[26] Bernis à Vergennes, 3 juin 1.778. (AFF. ÉTR.)

[27] Il fut depuis auditeur du Pape et cardinal. Bernis à Vergennes, 29 juillet 1778. (AFF. ÉTR.)

[28] Vergennes à Bernis, 4, août 1778. (AFF. ÉTR.)

[29] Bernis à Vergennes, 9 septembre 1778. (AFF. ÉTR.)

[30] Voir sur Bischi en 1793 mon livre : les Diplomates de la Révolution. Paris, Charavay, 1882, p. 252. M. Silvagni, dans son ouvrage : La Corte, etc., nous apprend que l'ainé des fils de Bischi fut secrétaire général de la mairie de Rome et conseiller de préfecture du département du Tibre. Un autre, soldat dans les armées de Napoléon, fut tué en Espagne.

[31] Vergennes à Bernis, 26 septembre 1775. (AFF. ÉTR.)

[32] Bernis à Vergennes, 11 octobre 1775. (AFF. ÉTR.)

[33] Voir la curieuse notice sur le cardinal Giuseppe Garampi, dans CRISPI, Bibliografia critica delle entiche reciproche corrispondenze dell’Italia colla Russia, colla Polonia, etc. Florence, 1834, in-8°, t. I, p. 113. On y trouve un passage des Commentaires inédits du Jésuite Jules-César Cordara extrêmement précis sur les relations intimes de Garampi avec les Jésuites.

[34] Bernis à Vergennes. 8 novembre 1775. (AFF. ÉTR.)

[35] Bernis à Vergennes, 15 et 27 novembre 1775. (AFF. ÉTR.)

[36] Bernis à Vergennes, 8 novembre 1775, et lettre de Pallavicini à Garampi de même date. (AFF. ÉTR.)

[37] Bernis à Vergennes, 6 décembre 1775. (AFF. ÉTR.) Bernis à Vergennes, même date (Arch. Bernis.)

[38] Vergennes à Bernis, 5 et 19 décembre 1775. (AFF. ÉTR.) 18 décembre. (Arch. Bernis.)

[39] Bernis à Vergennes, 13, 10, 27 décembre 1775. (AFF. ÉTR.)

[40] L'Espagne, écrit-il, a toujours été ma règle dans les affaires des Jésuites... J'ai moins pensé aux Jésuites dans tout le cours de cette négociation qu'à l'importance de notre parfaite harmonie avec Sa Majesté Catholique. 3 janvier 1776. (Arch. Bernis.)

[41] Bernis à Vergennes, 13 mars 1776. (AFF. ÉTR.) La nouvelle est fausse : ce n'est qu'en 1780 que le Bref fut promulgué en Prusse.

[42] Bernis à Vergennes, 5 juin 1776. (AFF. ÉTR.)

[43] Bernis à Vergennes, 3 et 10 juillet 1776. (AFF. ÉTR.)

[44] Bernis à Vergennes, 3 juillet 1778. (Arch. Bernis.)

[45] Le jour de la fête de saint Pierre, le connétable Colonne allant en grand cortège au Vatican, les gentilshommes du prélat Cornaro, gouverneur de Rome, disputèrent le pas, contre l'usage, aux gentilshommes du Ministre d'Espagne. Cette contestation dura assez de temps, interrompit l'ordre de la marche, et finit par une espèce d'insulte que fit au cortège du comte de Floride-Blanche un officier suisse envoyé exprès pour déclarer aux Espagnols de céder le pas ou de retourner chez eux. Le connétable Colonne prétend avoir chargé cet officier de dire aux contendants des deux partis que pour ne pas faire attendre le Pape, ils eussent à finir leur contestation, sans quoi il les remerciait et les priait de s'en aller. (Bernis à Vergennes, 17 juillet 1776. AFF. ÉTR.) On trouvera un très-curieux et très-complet tableau de la cérémonie de la présentation de la haquenée dans la Promenade utile et récréative de deux Parisiens en cent soixante-cinq jours. Avignon, 1768, in-12, t. II, p. 8. On sait que la cour de Rome voyait dans la présentation de la haquenée le tribut de vassalité du royaume des Deux-Siciles.

[46] Bernis à Vergennes, 24 juillet 1776. (AFF. ÉTR.)

[47] Vergennes à Bernis, 6 août 1776. (AFF. ÉTR.)

[48] Bernis à Vergennes, 6 novembre 1776. (AFF. ÉTR.)

[49] Vergennes à Bernis, 26 novembre 1776. (AFF. ÉTR.)

[50] Azara était d'une instruction peu ordinaire : en dehors de son ouvrage sur Mengs (Opere di Antonio Raffaello Mengs, primo pittore della maesta di Carlo III, re di Spagna, pubblicate da D. Giuseppe Niccola Azara. Parme, 1790, in-4°), il a publié un certain nombre de travaux dont on trouvera la liste dans la Notice anonyme sur le chevalier don J. N. d'Azara. Paris, an XII, in-8° (en français et en italien). J'ai ouï dire que d'Azara avait laissé des Mémoires. Il serait bien digne de l'Académie royale d'histoire d'Espagne de retrouver et de publier cet important document.

[51] Je lui ai conservé jusqu'ici, pour la clarté du récit, le nom de Moniño, qu'il porta à son arrivée à Rome et jusqu'à la fin de 1773 ; mais dans l'histoire le premier Ministre d'Espagne n'est connu que sous son titre de comte de Florida-Blanca. C'est par ce titre que je le désignerai désormais.

[52] Bernis à Vergennes, 30 juillet 1777. (AFF. ÉTR.)

[53] Vie du vénérable don Jean de Palafox, dédiée à Sa Majesté Catholique, Cologne, 1767, gr. in-80, et Morale pratique des Jésuites, t. IV, p. 6, 1690, in-12.

[54] Bernis à Vergennes, 29 janvier et 5 février 1777. (AFF. ÉTR.)

[55] Madrid, 1762.

[56] Bernis à Vergennes, 5 mars 1777. (AFF. ÉTR.)

[57] Bernis à Vergennes, 19 mars 1777. (AFF. ÉTR.)

[58] Bernis à Vergennes, 2 juillet 1777. (AFF. ÉTR.)

[59] Bernis à Vergennes, 27 août 1777. (AFF. ÉTR.)

[60] Bernis à Vergennes, 17 septembre et 1er octobre 1777. (AFF. ÉTR.)

[61] Bernis à Vergennes, 28 octobre 1777. (AFF. ÉTR.)

[62] En dehors de la correspondance de Bernis, les documents les plus importants à ce sujet ont été publiés par le Père Gagarin, (Vide supra aux sources.) Je désignerai dans les citations par le mot : Jésuite, le livre intitulé : la Compagnie de Jésus conservée en Russie ; par le mot Archetti, le livre intitulé : Un Nonce du Pape à la cour de Catherine II.

[63] Le Père Czerniewicz, recteur du collège de Poloçk, les Pères Lenkiewicz et Katenbring,

[64] Jésuite, p. 29.

[65] La Compagnie comprend : des prêtres, des scolastiques et des coadjuteurs temporels. Bernis dit que l'Évêque de Mallo ordonna prêtres vingt scolastiques : Gagarin (Jésuite, p. 49) dit qu'il en ordonna deux : peu importe. L'acte est identique.

[66] Bernis à Vergennes, 29 janvier, 19 février 1777. (AFF. ÉTR.)

[67] Bernis à Vergennes, 26 février 1777. (AFF. ÉTR.)

[68] Gagarin (Jésuite, p. 59) place cette lettre au 8 mars ; comment se fait-il qu'elle ait été publiée le 24 janvier à Cologne ?

[69] Vergennes à Bernis, 4 février 1777. (AFF. ÉTR.)

[70] Vergennes à Bernis, 10 février 1777. (Arch. Bernis.)

[71] Il s'agit ici du fameux séminaire des aumôniers des armées du Roi fondé par Saint-Germain, ex-Jésuite, devenu comme on sait, ministre de la Guerre, de concert avec l'archevêque de Paris, Beaumont. Voir Mémoires de M. le comte de Saint-Germain, Amsterdam, 1779, in-8°, p. 40 ; Commentaires des Mémoires de M. le comte de Saint-Germain, Londres, 1780, p. 75, et surtout RÉGNAULT, Christophe de Beaumont, t. II, p. 336 et suiv.

[72] Bernis à Vergennes, 19 février 1777. (AFF. ÉTR.)

[73] L'affaire des Jésuites, écrit-il, est pour moi un purgatoire anticipé... J'ai été destiné à combattre un fanatisme toujours renaissant, moi qui suis peut-être de tous les hommes le plus éloigné de toute espèce de fanatisme. Bernis à Vergennes, 5 Mn 1777. (AFF. ÉTR.)

[74] Vergennes à Bernis, 11 mars 1777. (AFF. ÉTR.)

[75] Bernis à Vergennes, 26 février 1777. (AFF. ÉTR.)

[76] Vergennes à Bernis, 18 mars 1777. (AFF. ÉTR.)

[77] Bernis à Vergennes, 2 avril 1777. (AFF. ÉTR.)

[78] Bernis à Vergennes, 15 avril 1777. (AFF. ÉTR.)

[79] Il serait très-possible, écrit Bernis, ou que la peur que l'on cherche à inspirer au Pape par des menaces atroces ou des moyens indignes ne lui fit trop d'impression et ne finit par le compromettre avec l'Espagne, ou que le fanatisme ne se portât comme il l'a fait tant de fois à quelque résolution funeste très-aisée à exécuter ici avec la certitude de l'impunité. Si le Pape Pie VI avait fait quelque exemple de sévérité et de justice à l'égard du malheureux Ganganelli, il aurait intimidé ceux qui osent menacer sa vie par des placards, des prophéties et des lettres anonymes où on le prévient qu'il reste encore de la liqueur donnée â Clément XIV. Quelque accoutumé que je sois à ces horreurs, j'avoue que, sans les craindre, elles me noircissent bien souvent l'imagination, non par rapport à moi, car il y a longtemps que j'ai pris mon parti, mais par rapport au Pape qu'on rendra malheureux, faible et vacillant, et peut-être tout différent de ce qu'il est par nature. Bernis à Vergennes, 15 avril 1777. (Arch. Bernis.)

[80] Vergennes à Bernis, 5 mai 1777. (Arch. Bernis.)

[81] Bernis écrit le 23 avril que les Jésuites des Échelles se flattent de n'être point supprimés, et qu'ils se font des querelles avec les autres moines. Vergennes répond le 12 mai qu'il connaît l'esprit des moines que la Congrégation envoie au Levant ; que la conduite des Jésuites, leurs travaux, leur assiduité à l'observation de leur règle fait une critique trop amère de la manière de vivre peu régulière des autres religieux pour que ceux-ci ne soient pas ardents à les déprimer. Vous pouvez être assuré, Monseigneur, ajoute-t-il, que les Jésuites du Levant ont cessé d'être, mais ils continuent leurs fonctions de missionnaires à titre de prêtres séculiers. C'est ce qui ne plaît pas aux Ordres qui voudraient leur succéder. Ils trouvent de l'appui auprès de la Congrégation qui voudrait fort s'emparer de nos missions à titre de déchéance. (Arch. Bernis.) Ce que Vergennes affirmait n'était pas absolument exact ; mais il parlait en homme qui a été ambassadeur à Constantinople ; les impressions qu'il avait reçues là, presque au début de sa carrière, ne s'étaient point effacées, et, par malheur, il n'avait jamais résidé à Rome !

[82] Bernis à Vergennes, 23 avril 1777. (Arch. Bernis.)

[83] Bernis à Vergennes, juin 1777. (AFF. ÉTR.)

[84] Bernis à Vergennes, 2 juillet 1777. (AFF. ÉTR.)

[85] Bernis à Vergennes, 13 août 1777. (AFF. ÉTR.)

[86] Jésuite, p. 60.

[87] Bernis à Vergennes, 3 septembre 1777. (AFF. ÉTR.)

[88] Bernis à Vergennes, 17 septembre 1777. (AFF. ÉTR.)

[89] Bernis à Vergennes, 29 octobre 1777. (Arch. Bernis.)

[90] Bernis à Vergennes, décembre 1777. Vergennes par dépêche du 23 décembre a ordonné de faire échouer une négociation qui diminuerait les embarras de l'Angleterre. (AFF. ÉTR.)

[91] Bernis à Vergennes, 3 février 1778. (AFF. ÉTR.)

[92] Bernis à Vergennes, 18 février 1778, (AFF. ÉTR.)

[93] Bernis à Vergennes, 17 mars 1778. (AFF. ÉTR.)

[94] Bernis à Vergennes, 25 mars 1778. (AFF. ÉTR.)

[95] Bernis à Vergennes, 7 avril 1778. (AFF. ÉTR.)

[96] Lettre du Pape en date du 2 avril en copie aux AFFAIRES ÉTRANGÈRES.

[97] Bernis à Vergennes, 20 mai 1778. (AFF. ÉTR.)

[98] Bernis à Vergennes, ler juin 1778. (AFF. ÉTR.)

[99] Bernis à Vergennes, 17-24 juin 1778. (AFF. ÉTR.)

[100] Bernis à Vergennes, ter juillet 1778. (AFF. ÉTR.)

[101] Bernis à Vergennes, 22 juillet 1778. (AFF. ÉTR.)

[102] Bernis à Vergennes, 29 juillet 1778. (AFF. ÉTR.)

[103] Vergennes à Bernis, 18 août 1778. (AFF. ÉTR.)

[104] Bernis à Vergennes, 18 août 1778. (AFF. ÉTR.)

[105] Billet de Pie VI à Bernis en date du 12 août 1778. En copie. (AFF. ÉTR.)

[106] Il ajoute : Il faut considérer que le parti de cette société éteinte est plus fort à Rome qu'il ne l'a jamais été, et que s'il perdait l'espoir d'être protégé par Pie VI, il lui serait très-aisé de s'en défaire : tout ce qui approche le Pape, tout ce qui travaille dans ses offices et ses cuisines est totalement vendu au parti des Jésuites et dépend de lui. Je dois dire de plus que tous ces gens-là ont été tirés de la lie du petit peuple. Quand un pape est mort, on ne recherche jamais ici les causes de sa maladie, et tout le monde se réjouit du changement. Bernis à Vergennes, 18 août 1778, (AFF. ÉTR.)

[107] Bernis à Vergennes, 9 septembre 1778. (AFF. ÉTR.)

[108] Bernis à Vergennes, 30 septembre 1778. (AFF. ÉTR.)

[109] Dans la dépêche du 7 octobre 1778 (AFF. ÉTR.), Bernis revient sur l'existence tolérée par la France, non plus aux Échelles, mais à la Chine, de Jésuites protégés et pensionnés, qui reçoivent des novices. Vergennes répond le 27 octobre en se justifiant, mais non de façon à détruire les faits alléguée par le Pape et par la Propagande.

[110] Bernis à Vergennes, 29 décembre 1778. (AFF. ÉTR.)

[111] Vergennes à Bernis, 19 janvier 1770. (AFF. ÉTR.)

[112] Bernis à Vergennes, 6 janvier 1770. (AFF. ÉTR.)

[113] Voir Correspondance de Grimm, éd. Tourneux, t. VII, p. 308, 387.

[114] Bernis à Vergennes, 20 janvier 1779. (AFF. ÉTR.)

[115] Bernis à Vergennes, 24 février 1779. (AFF. ÉTR.)

[116] Bernis à Vergennes, 17 mars 1779. (AFF. ÉTR.)

[117] Bernis à Vergennes, 17 juin 1779. (AFF. ÉTR.)

[118] Le prince Louis de Rohan, celui qui devint si fâcheusement célèbre, voulait que le Pape lui adressât son bref de nomination avec cette suscription contraire à toutes les bulles et à tous les précédents : Ludovicum ex principibus de Rohan. Bernis ayant démontré que c'était impossible, M. de Rohan l'accusa d'être l'ennemi de sa Maison, etc. Pour terminer l'affaire, il écrivit à M. de Vergennes la lettre suivante, qui mérite d'être gardée comme un chef-d'œuvre d'infatuation :

Je vous remercie, Monsieur le comte, de m'avoir communiqué la lettre de M. le cardinal de Bernis. Ce grand ambassadeur donne bien de l'importance aux plus petites choses, et ce grand bruit qu'il annonce pourrait être traduit par le parturient montes. Du reste, tout a été terminé poste pour poste. J'ai écrit à mon agent de ne pas donner suite à la prétention qu'il avait élevée, en lui faisant sentir la différence qu'il y avait entre les Brefs adressés aux cardinaux et les Brefs que l'on m'adressait avant que je fusse cardinal... Les exemples que l'on cite ne seraient pas une raison déterminante, et, de ce que mes parents auraient été trompés ou se seraient trompés, je n'en conclurais pas que je dusse renoncer à une distinction qui m'appartiendrait. J'aurai l'honneur de vous voir, Monsieur le comte, un de ces jours, soit à Marly, soit à Versailles, où j'irai vous chercher, et je vous prierai, dans votre réponse au cardinal de Bernis, de vouloir bien y insérer un mot pour que cet Ambassadeur sente que vous n'avez pas adopté l'impression de tort qu'il voudrait me donner, Je vous demande aussi, Monsieur le comte, si vous approuverez que je mande à M. le cardinal de Bernis que vous m'avez donné communication de sa lettre et de son mémoire.

Je vous prie, etc.

Le card. DE GUÉMÉNÉ.

(AFF. ÉTR.)

[119] Bernis à Vergennes, 16 mars 1778. (AFF. ÉTR.)

[120] Bernis écrit encore : Tout ce qui l'entoure est gagné et concourt de son mieux à l'exécution de ce projet. On écart ses Ministres de sa chambre. Ce n'est qu'au bout de douze jours qu'il en a vu quelques-uns un moment pour leur donner les facultés ordinaires. Les prélats qui devraient commander dans sa chambre n'y entrent que de loin en loin ; il reste livré à des médecins politiques et ignorants qui ne connaissent de remèdes que ceux qui peuvent l'affaiblir. Je vous dépêcherai un courrier aussitôt que le Saint-Père aura reçu le Viatique. Bernis à Vergennes, 24. mars 1779. (Arch. Bernis.)

[121] Bernis à Vergennes, 2-4 mare 1779. (AFF. ÉTR.)

[122] Bernis à Vergennes, 7 avril 1779. (AFF. ÉTR.)

[123] Bernis à Vergennes, avril, passim. (AFF. ÉTR.)

[124] J'ai parlé longuement de P. M. Hennin dans mon livre le Département des Affaires Étrangères pendant la Résolution, Paris 1877, in-8°, auquel je me permets de renvoyer le lecteur. Un trait pourtant n'avait point assez attiré mon attention : c'est la haine de Hennin contre la religion catholique. Correspondant de Voltaire, marié sans dispense, et, je ne sais trop comment, à une protestante — fait presque inouï au dix-huitième siècle —, il ne manque point une occasion, dans la correspondance de Rome, de lécher quelque boutade contre le Pape, Vergennes les bétonne d'ordinaire, mais le Ministre a en ce moment tant d'affaires sur les bras qu'il laisse passer cette singulière théorie sur le conclave. Hennin, chargé de la correspondance de Rome de mars 1778 jusqu'à l'époque de la rupture, a joué un rôle plus important qu'on ne croit dans la direction des affaires.

[125] Si nous étions seuls, écrivait Hennin au nom du Ministre, je crois que nous offririons l'exemple d'une politique nouvelle relativement à l'élection du Pape. Assuré de n'avoir rien à craindre d'un Pape quel qu'il fût, et de le meure è la raison quand il serait le pire de tous, le Roi donnerait pour instructions à Votre Éminence ce peu de mots : Laissez faire le Sacré Collège. Dès lors, aucune exclusion, aucune contre-batterie ; les Romains seraient bien étonnés, et peut-être, en nous épargnant bien des peines, obtiendrions-nous par ménagement et par reconnaissance un Pape à notre gré. Vergennes à Bernis, 17 avril 1779. (AFF. ÉTR.) Je m'abstiens de tout rapprochement entre ces doctrines et celles qui ont prévalu, de nos jours, au concile du Vatican.

[126] Bernis à Vergennes, 14 juillet 1779. (AFF. ÉTR.)

[127] Mémoire en date du 4 août 1779. (AFF. ÉTR.)

[128] Vergennes à Bernis, 24 août 1779. (AFF. ÉTR.)

[129] Jésuite, p. 60 et suiv. Archetti, p. 12 et suiv.

[130] Bernis à Vergennes, 25 août 1779. (AFF. ÉTR.)

[131] Bernis à Vergennes, 13 septembre 1779. (AFF. ÉTR.)

[132] Diario ordinario, n° 490.

[133] Voir l'histoire d'un certain poisson, marchandé par le cuisinier de Grimaldi, acheté par le cuisinier de Bernis, dans ARCHENBOLTE, Tableau de l'Angleterre et de l'Italie, Gotha, 1788, p. 183.

[134] Bernis à Vergennes, 1er septembre 1779. (AFF. ÉTR.)

[135] Bernis à Vergennes, 21 décembre 1779 (AFF. ÉTR.) Confirmé par Archetti, p. 80.

[136] Bernis à Vergennes, 12 décembre 1779. (AFF. ÉTR.)

[137] Vergennes à Bernis, janvier, février 1780. (AFF. ÉTR.)

[138] Bernis à Vergennes, janvier 1780. (AFF. ÉTR.)

[139] Bernis à Vergennes, 15 février 1780. (AFF. ÉTR.)

[140] La première déclaration est en date du 28 février 1780 : ligue des Neutres entre le Danemark, la Russie, la Suède, la Prusse, l'Autriche, le Portugal et les Deux-Siciles.

[141] Vergennes à Bernis, 4 avril 1780. (AFF. ÉTR.)

[142] Vergennes à Bernis, 12 avril 1780. (AFF. ÉTR.)

[143] Bernis à Vergennes, 19 avril 1780. (AFF. ÉTR.)

[144] Vergennes à Bernis, 9 mai 1780. (AFF. ÉTR.)

[145] Mémoires de la Société Impériale d'Histoire russe, t. V, Saint-Pétersbourg, in-8°. Lettres de Catherine au Grand-Duc.

[146] Ils passèrent trois fois devant la place qu'ils avaient dressée pour moi avec le Sacrement ; tous les catholiques se mettaient à genoux, et nous les saluions parce qu’ils en faisaient autant. (Mémoires de la Société Impériale d'Histoire russe, t. V.)

[147] Bernis à Vergennes, 15 août 1780. (AFF. ÉTR.)

[148] L'influence de Bernis se borne à présent à faire supprimer des pamphlets injurieux pour la France, comme le Mémoire catholique qui doit être présenté au Pape, ou l'Histoire de la Société des Jésuites (sans doute Histoire du Paraguay sous les Jésuites, Amsterdam, 1780, 3 vol. in-8°, indiquée par CARATON, Bibliographie, etc., n° 3780) ; encore ne peut-il pas en faire poursuivre les auteurs. Bernis à Vergennes, 10 et 24 janvier 1781. (AFF. ÉTR.)

[149] Bernis à Vergennes, 4 avril 1771. (AFF. ÉTR.)

[150] Jésuite, p. 73.

[151] Bernis à Pie VI, 29 avril 1781. (AFF. ÉTR.)

[152] Bernis à Vergennes, 9 et 16 avril 1782. (AFF. ÉTR.)

[153] Vergennes à Bernis, 14 mai 1782. (AFF. ÉTR.)

[154] Bernis à Vergennes, 28 août 1782. (AFF. ÉTR.)

[155] Bernis à Vergennes, 13 et 28 novembre 1782. (AFF. ÉTR.)

[156] Vergennes à Bernis, 3 décembre 1782. (AFF. ÉTR.)

[157] Vergennes à Bernis, 2rf décembre 1782. (AFF. ÉTR.)

[158] Bernis à Vergennes, 25 décembre 1782. (AFF. ÉTR.)

[159] En date du 15 novembre 1782. V. Archetti, p. 47.

[160] Bernis à Vergennes, 31 décembre 1782. (AFF. ÉTR.)

[161] Bernis a Vergennes, 28 janvier 1783. (AFF. ÉTR.)

[162] Le texte in extenso au. THEINER, Epistolæ, p. 378. Des Brefs analogues sont envoyés le 20 février 1783 au Roi des Deux-Siciles et à Sa Majesté Très-Fidèle.

[163] Vergennes à Bernis, 29 janvier, 15 février 1783. (AFF. ÉTR.)

[164] Bernis à Vergennes, 12 février 1783. (AFF. ÉTR.)

[165] Jésuite, p. 92.

[166] Bernis à Vergennes, 4 et 12 mars 1783. (AFF. ÉTR.)

[167] Jésuite, p. 98.

[168] Stanislas Siestrzencewicz prit plus tard le titre de : Unique métropolitain des églises catholiques romaines en Russie, et envoya à Grégoire, avec ses œuvres, un portrait où il est représenté décoré de la pourpre comme les cardinaux. Ou trouvera sur cet individu, qui ne mourut que le 13 décembre 1826, de curieux détails dans MAHUL, Annales biographiques, année 1826, p. 251. Je ne serais pas étonné que l'article fût de Grégoire.

[169] En janvier 1786, l'Espagne semble vouloir reprendre la cause avec vivacité. Elle déclare même que si le Pape se refuse, elle n'aura recours qu'aux évêques et se passera de la Congrégation des Rites.

[170] Il existe sur Labre toute une bibliographie, mais je crois que le seul livre contemporain, celui sur lequel tous les autres me semblent copiés, est la Vie de Benoît-Joseph Labre, par MARCONI, dont les éditions furent extrêmement multipliées. La première française est, je crois, celle de Park, 1784, gr. in-12. J'ai suivi pour moi, uniquement, les dépêches de Bernis qui pour la plupart ont été publiées par M. DE SAINT-PRIEST, Histoire de la chute des Jésuites, éd. de 1849, app. XIV, p. 325.

[171] GILLET, Vie de Madame Louise, p. 500.

[172] Voici cette lettre (AFF. ETR., Rome, vol. 842) : Monsieur, voici quelques lignes que je prends la liberté de vous faire tenir par obéissance et pour faire la volonté de Dieu. C'est à vos pieds que je me jette pour obtenir mon pardon. C'est moi qui vous a servi, dont vous m'avez pris à Vienne, et je vous ai quitté la veille de votre départ pour Genève par une dispute causée par ma faute avec le valet de chambre et Étienne contre moi, qui, voyant que cela ne pourrait jamais bien réussir ensemble, cela m'a déterminé à prendre mon parti dont j'en ai été très-léché de quitter un maitre aussi bon et aussi affable que vous. C'est moi qui a le plus perdu, quoique cette dispute ait été très-violente pour moi ; l'on m'a jugé d'avoir cassé plusieurs couteaux de chasse et épées, mais cela est faux, car je n'en ai cassé qu'un qui appartenait à Étienne dont il m'en avait menacé ; je vous avais écrit une lettre dont je vous avais marqué que Palier vous avait été infidèle dans ses mémoires et vous avait marqué quelque chose de plus ; c'est pour vous dire que j'en ignorais et que je n'ai pas dit la vérité dont j'en imposais, et moi je ne vous ai pas été fidèle. Je vous ai fait infidélité sur quelque petit mémoire et n'avoir pas eu soin de votre intérêt : la valeur de six livres au moins. J'ai la volonté de vous les réparer. Je désirerais bien que vous m'écrivissiez quelques lignes de votre consentement si vous voulez me pardonner ou de les donner aux pauvres à votre intention, car pour moi, je n'ai plus besoin que de la grâce et miséricorde de Dieu pour m'aider dans une très-grande entreprise. Septfonds en Bourbonnais est l'endroit où je destine de faire pénitence le reste de mes jours, dont j'y suis déjà été neuf mois et j'en suis sorti pour régler quelque affaire. J'espère, Monsieur, que vous me pardonnerez. Si mes vœux et prières sont agréables à Dieu, je ne cesserai de prier qu'il comble de bénédictions ses bons et fidèles serviteurs. Je suis pour quelque temps à Nancy, chez M. Leusin, maitre tailleur, rue Saint-Michel, à Nancy.

[173] Cf. Vie populaire de saint Benoît-Joseph Labre, par un prêtre mariste, Paris, s. d., in-12, p. 61-65.

[174] Voir cette lettre, Vie, etc. (ut supra), p. 38. Les Œuvres du Père Lejeune, Toulouse, 1662 et suiv., forment dix volumes in-8°.

[175] L'Américain, dit Bernis, nie que son abjuration ait eu un pareil motif. Les Anglais disent que c'est un incrédule qui ne s'est fait catholique que pour avoir de l'argent dont il avait un besoin extrême.

[176] Bernis à Vergennes, 16 septembre 1783. (AFF. ÉTR.)

[177] Il avait été béatifié le 20 mai 1860.