LE CARDINAL DE BERNIS, DEPUIS SON MINISTÈRE — 1758-1794

 

CHAPITRE X. — EXALTATION DE PIE VI (Septembre 1774 - février 1775).

 

 

Sources : AFFAIRES ÉTRANGÈRES, Rome, vol. 869 à 872 ; Espagne, vol. 541 et suiv., Rome : Mémoires et documents, vol. 77. Rome, consulats ; Mss.. sans numéro contenant des copies de lettres de Vergennes faites par M. de Beauchesne. ARCHIVES NATIONALES : Correspondance du Cardinal avec M. Marquet, receveur général des Finances (K. 1398). ARCHIVES BERNIS : Correspondance particulière avec Vergennes, et surtout Lettres à l'abbé Deshaises. Cette source, de beaucoup la plus importante, permet de suivre heure par heure les impressions du Cardinal. Gazette de Leyde. Les renseignements sur Home pendant le conclave y abondent. Bourgoing a eu communication pour ses Mémoires philosophiques sur Pie VI, Paris, an VII, 2 vol. in-8°, de la Correspondance officielle. On peut consulter encore : Fasti del S. P. Pio VI con note critiche, etc., del Dott. GIO. BATTISTA TAVANTI, Italie, 1804, 3 in-f°. Oraison funèbre de Pie VI, par Mgr DE BRANCADORO, trad. par D'AURIBEAU, Venise, 1800, in-f°. Histoire civile, politique et religieuse de Pie VI, par un Français catholique romain. Avignon, s. d., in-8°. Storia imparziale di Pio VI Braschi. Poschiavo. Anno 1° della Republica cisalpina. In-8°. Etc.

 

Insultes à la mémoire de Clément XIV. — Persécutions contre ses confidents. — Quel parti a eu intérêt à accréditer le bruit de l'empoisonnement. Obsèques du Pape. — Plan de campagne de Bernis. — Opinion des Souverains. — Intrigues pour une élection précipitée. — Bernis se défend. — Arrivée de Luynes. — Formation de l'Exclusive. — Pamphlets. — Leur répression. — Négociations. — Bernis propose Braschi. — Bernis reçoit l'ambassadeur extraordinaire de l'Empereur. — Il faut renoncer à Braschi. — État du conclave au le' janvier 1775. — Conférences pour l'examen des candidats. — On revient à Braschi. — Son élection. — Pie VI. — Triomphe de Bernis. — Calomnies contre lui. — Nécessité d'une victoire pour conserver le Ministère de Rome. — On ne songe plus à le lui disputer.

 

Aussitôt après la mort de Clément XIV, les insulteurs se donnèrent carrière. On ne pouvait accuser le Pape d'avoir thésaurisé, d'avoir, comme tant d'autres, enrichi ses neveux et gorgé ses partisans. Ses neveux, il ne leur avait rien donné de sou vivant, il ne leur laissa pas même les effets qu'on trouva dans son appartement au couvent des Saints-Apôtres : 538 billets des monts-de-piété, 1.500 écus, quelques tableaux, trois cents onces d'argent travaillé, quatre caisses de tabac d'Espagne, quelques porcelaines de diverses fabriques[1] ; c'était là le trésor du Pape défunt. A défaut des neveux, on se rabattit sur ceux qu'on appelait les favoris, sur Buontempi et Bischi. Des sonnets lancés contre eux, on pourrait faire des volumes[2]. L'insulte alla déterrer leurs parents morts, fouetter leurs ambitions prétendues : le chapeau qui avait échappé à Buontempi, le titre de duchesse qu'avait vainement espéré Vittoria Bischi. En prose, en vers, en italien, en latin, on accusa la Bischi d'avoir été la maîtresse du Pape, de s'être vendue à un banquier juif nommé Cohen. On bafoua Buontempi, on le désigna aux vengeances du peuple. Lui et Bischi étaient les accapareurs, les oppresseurs, les traîtres enrichis pur la misère et la famine de Rome. Bien leur en prit alors de s'être mis sous la protection des Rois de la Maison de France, car au moment où l'on allait passer des paroles aux actes, Bernis et Moniño déclarèrent qu'ils prenaient l'ancien confesseur et son ami sous leur sauvegarde.

Clément XIV, lui, resta sans défense : nul ne songea à protéger sa mémoire. Il n'avait point laissé de créatures qui le soutinssent, de faction qui se réclamât de lui. Les cardinaux qu'il avait faits étaient en trop petit nombre pour s'organiser et combattre. Pourquoi n'avait-il pas nommé les onze réservés in petto ? Voici qu'on attaque ses mœurs. Il avait une maîtresse, ce vieillard débile, que rongeait la maladie. Voici qu'on attaque sa doctrine, qu'on met dans la bouche de saint. Pierre un discours en quarante octaves où on lui reproche chacun des actes de son pontificat, de n'avoir point fait de largesses à son propre sang ! C'est un crime pour Ganganelli de n'avoir point pratiqué le népotisme !

C'est bon de piétiner sur un mort, mais on garde autre chose pour les vivants. Partout, des vers courent qui disent que le Pape a été empoisonné. Sont-ce les partisans ou les ennemis des Couronnes qui les répandent ? Les Couronnes ne peuvent rien gagner à laisser ou à faire croire que Clément XIV n'est pas mort naturellement. Comment obtiendraient-elles du Pape futur qu'il maintint l'œuvre de Ganganelli, s'il était avéré que Clément XIV est mort pour leur avoir cédé ? Cette vague terreur qui plane sur les États après la mort mystérieuse d'un personnage éminent, cette terreur qui met si facilement dans la bouche du peuple des accusations d'empoisonnement, tient en ce moment à la gorge tous ceux qui habitent Rome, les plus sots comme les plus éclairés : ce n'est un doute pour personne : Clément XIV a été empoisonné ; il a été empoisonné par les Jésuites, et les Jésuites laissent dire ; ils n'ont garde de se justifier. Qui donc à présent osera lever la main contre eux ?

Comme pour donner raison à la foule, et prêter une réalité à tous ces bruits, les obsèques ne peuvent être faites avec le cérémonial accoutumé. On ne peut exposer le cadavre à visage découvert, tant la corruption a été rapide[3]. On le transporte la nuit de Mont-Cavallo à la Sixtine ; on prétend même un instant le priver des suprêmes honneurs. On les restreint au moins autant qu'on le peut. Les Zelanti sont redevenus les maîtres : c'est Rezzonico, le neveu de Clément XIII, qui est camerlingue ; c'est lui qui rédige les inscriptions du catafalque ; qui charge un de ses affidés, le prélat Buonamici, de prononcer l'oraison funèbre. On n'ose point aller jusqu'au bout, Bernis et Moniño se sont fâchés, ont fait, d'autorité, enlever du cénotaphe un bas-relief insultant pour les Princes de la Maison de France[4] : les choses au moins se passent à peu près convenablement. Ce n'est point sur ce terrain qu'on veut attaquer. On réserve pour le conclave le suprême effort du parti jésuitique.

La bataille qui va s'engager a donc pour les Couronnes un intérêt essentiel, et Bernis, qui doit y jouer un rôle principal, a de longue date préparé son plan de campagne et fait le dénombrement des forces respectives. Dès le 20 septembre, il a envoyé à Versailles deux mémoires sur ces diverses questions. Il y a, dit-il, trois partis à prendre ou laisser faire le conclave sans s'embarrasser du choix du Pape ; ou se rendre maitre par la force ouverte ; ou renoncer à l'inclusive pour s'assurer l'exclusive, c'est-à-dire, renoncer à faire le Pape, mais empêcher qu'on en fasse un qui déplaise. Le premier parti peut convenir à des philosophes, mais ne convient pas à des chrétiens ; le second offre beaucoup de dangers, et le succès en est peu probable ; le troisième, à condition qu'on s'assure le concours de Naples, de Madrid, de Vienne et de Turin, est de beaucoup préférable : mais il faut alors entrer dans tout le détail des questions de personnes, obtenir que les cours de Vienne et de Turin empêchent certains cardinaux de venir au conclave. Enfin il faut de l'argent, car on n'aura Albani, le doyen du Sacré Collège, qu'en l'achetant.

Quels sont les candidats à soutenir[5] ? Bernis et Moniño en sont tombés d'accord. Nul des cardinaux dont ils disposent ne peut réunir les suffrages : Stoppani se meurt depuis quatre mois ; Zelada n'a aucun parti ; Malvezzi a soulevé trop de haines ; Marefoschi est d'une inconséquence terrible ; Casale et Simone sont impossibles : reste Negroni, qui est pacifique, condescendant et honnête[6]. Son secret est profond, sa sagacité extrême. Il est extrêmement lié avec Moniño, mais il n'y a point à espérer qu'il puisse passer. Il faut donc se rabattre sur les moins mauvais des Zelanti, sur Boschi par exemple. Braschi aussi est à ménager ; c'est une créature de Torregiani, et Ganganelli l'a élevé à la pourpre : Il est suffisamment lettré ; il a une conduite régulière, et la vie retirée qu'il mène lui u donné une sorte de crédit. Cependant, dit Moniño, malgré l'union qui a subsisté entre ce Cardinal et moi, et quoiqu'il m'ait donné la plus grande preuve d'attachement et d'amitié, je ne me fierai jamais à lui relativement aux Jésuites et aux Immunités, tant à cause de ses liaisons que de l'idée que m'ont donnée de lui la nature de sa doctrine et l'espèce d'études auxquelles il s'est livré.

Que conclure ? Qu'il faut tout craindre d'un coup d'audace des Zelanti qui vont essayer d'enlever l'élection par surprise, qu'il faut gagner du temps, obtenir qu'on attende les cardinaux étrangers, porter tout son effort sur le candidat quel qu'il soit qui promettra un pape prudent, impartial et pacifique.

Ce sentiment des Ministres est partagé par leurs Souverains[7]. Charles III écrit le 15 octobre cette phrase remarquable : Je n'ai ni affection ni aversion pour aucun des candidats, pourvu que celui qu'on choisira ait les qualités requises pour bien gouverner l'Église sans troubler les puissances séculières dans leurs justes droits. Nos intentions à cet égard peuvent être publiques, et on ne pourra que les approuver[8]. C'est dans cet ordre d'idées que sont rédigées les instructions données aux cardinaux français. Louis XVI n'exclut personne ; il se confie absolument à Bernis pour la marche à suivre.

Bernis n'a donc qu'à former son exclusive et, pour cela, à obtenir du Sacré Collège qu'on attende les étrangers. De France, Luynes viendra seul ; mais on espère deux Espagnols, et, étant donné le petit nombre des cardinaux, trois voix ont une importance. Bernis croit être assuré, le 4 octobre, que l'ou attendra, et que l'élection se fera de concert avec les Couronnes[9]. Mais, à peine est-il entré au conclave, dont les portes ferment le 5 à dix heures du soir, à peine est-il dans.son tombeau, comme il appelle sa cellule — la cellule n° 46 —, que la scène change brusquement. Les Albani, qu'il croyait tenir, sont d'accord avec les Zelanti, et les deux factions unies pour élire un Pape par surprise et d'acclamation, malgré les Couronnes, se croient tellement sûres du succès que, pour justifier leur procédé, elles ont fait imprimer une longue liste des Papes élus de cette façon. Bernis est averti ; il se fâche, démasque les Albani ; mais, pour se venger, c'est Bernis, ce sont les partisans des Couronnes, que les Zelanti accusent d'avoir voulu surprendre l'élection. Ils emplissent les gazettes de cette calomnie[10]. Ils ajoutent qu'une discussion violente a eu lieu entre Rezzonico et Bernis, que le prince Chigi, maréchal du conclave, a été obligé de s'interposer, que, chaque nuit, les épigrammes les plus injurieuses sont affichées sur la porte de la cellule n° 46. Ils espèrent ainsi ôter quelque autorité à Bernis, sinon dans le conclave, au moins dans les Cours.

Ils ne peuvent point faire qu'il n'ait gagné la première manche. Bernis a réglé sa conduite, établi avec Orsini et Moniño le concert le plus absolu, désigné les candidats contre lesquels il faut prononcer l'exclusion[11] ; il est décidé à ne proposer aucun sujet, à attendre que les Zelanti aient épuisé leurs ressources ; il a institué dans sa cellule des conversations où viennent tous les cardinaux, attirés par les friandises, les corbeilles de pains d'Espagne, de gaufres, de pâtisseries de toute espèce, les sucreries à la mode d'Italie, le café, le chocolat, la limonade sciolta à la Glace, que Cournault et Marque, ses deux maîtres d'hôtel, apportent chaque jour au tour : malgré la concurrence qu'essayent de lui faire le prélat Archinto, gouverneur du conclave, et le prince Chigi, qui tiennent tous deux des tables magnifiquement servies, sa cellule est chaque soir aussi pleine que pourrait l'être son salon.

Tout cela n'est que l'extérieur, et si l'on s'endort, tout est perdu. Brusquement, le 13 octobre, Colonna, un de ceux qu'il faut exclure, monte à neuf voix au scrutin. Dix-sept voix lui sont acquises, et il en suffit de vingt pour faire le pape. Sans hésiter, Bernis rédige un mémoire qu'il fait approuver à Moniño et à Orsini, et qu'il remet signé au Cardinal doyen. C'est un acte inusité, une forme nouvelle. En même temps, Moniño enjoint à Orsini de donner au nom des deux cours, Madrid et Naples, l'exclusion à tout candidat dont on voudrait faire une élection précipitée. Au besoin, le Ministre d'Espagne est décidé à quitter Rome. Tout le feu des Zelanti tombe alors. Corsini vient déclarer que son parti attendra, mais qu'à la vérité, on ne peut répondre qu'une inspiration instantanée n'opère la réunion de plusieurs suffrages. Bernis répond poliment que les inspirations divines ne peuvent jamais être à craindre, mais il tient pour suspect ce langage mystique ; il répugne aux moyens extrêmes, et pourtant il sent la faiblesse et l'isolement du parti des Couronnes. Voici Migazzi, un Autrichien, qui arrive. Il a reçu l'ordre formel de suivre les avis de Bernis, mais il est tout Jésuite, et la preuve que la faction peut compter sur lui, c'est qu'il vient, quelque effort que la Cour de Vienne ait fait pour le retenir, au point de lui refuser les six mille écus d'usage, de donner son secret non à Migazzi, cardinal et archevêque, mais à l'abbé de Herzan, auditeur de rote.

Se voyant découverts pour Colonna, lei Zelanti se retournent, et dès le 21 octobre pensent à Braschi. Cela se fait timidement : quatre voix qu'on lui ménage : mais ce n'est que pour tâter ; le 25, après l'entrée de Buffalini, le nom de Braschi disparaît des scrutins. Cela ne peut durer : si Bernis ne reçoit point de renfort, il est perdu. Heureusement Luynes annonce sa prochaine arrivée. Il est parti aussitôt qu'il en a reçu l'ordre[12] ; s'est arrêté un jour à Sens pour les affaires de son diocèse, et, le 24 octobre, il est à Turin ; mais ses voitures sont brisées, il faut qu'il attende. Ce n'est que le 4 novembre qu'il entre à Rome dans la belle berline attelée de six chevaux que Bernis lui a envoyée au delà de Ponte-Molle. Il descend au Palais de France où Deshaises lui a préparé une splendide réception, où, le 6, on lui donne un grand diner[13]. Mais Luynes voudra-t-il se subordonner, ne point inventer quelque négociation ? L'abbé Deshaises et Moniño le sermonnent, et, le 8, tout à fait acquis, mis en garde contre les Jésuites, convaincu que Bernis doit avoir dans le conclave toute l'autorité du Ministre de Sa Majesté[14], mais désireux pourtant de jouer un rôle et de tenir sa place, — ce qui plonge Bernis dans des terreurs incroyables, — Luynes entre au conclave.

La physionomie des partis s'est un peu modifiée : Castelli, le chef des Inspirés, est sorti le 2 novembre, sous prétexte de santé, peut-être parce qu'il a senti l'impossibilité de donner la loi aux Couronnes. Buffalini le remplace, comme chef de la faction ; mais c'est une voix perdue pour les Zelanti. Or, suivant le compte de Bernis, il ne viendra pas plus de quarante-quatre cardinaux : donc, il faut trente voix pour l'inclusive, quinze pour l'exclusive. Dès à présent, Bernis en a dix-sept : bientôt il en aura vingt. Les Zelanti peuvent proposer qui il leur plan, pousser Colonna, qui, le 6 novembre, arrive à douze voix, peu importe. Les Couronnes qui ne proposent personne sont sûres de faire tomber leurs adversaires.

La certitude d'un échec redouble les violences du parti jésuitique[15]. Rome est inondée de satires et de pasquinades : le Sermon de Saint-Pierre, le Secrétaire, le Songe, surtout le Conclave de 1774, drame en musique, pour être représenté sur le Théâtre des Dames pendant le Carnaval de 1775. On l'affiche pendant la nuit : les sbires ont beau l'enlever, le placard reparaît audacieusement, et la foule empêche qu'on l'arrache. Bernis y est pris directement à partie, et, par allusion à son intimité avec une princesse romaine, il a toujours la Santa-Croce entre les bras : et, à ce moment, la princesse de Santa-Croce est si malade qu'on désespère de sa vie. Dans ce pamphlet, les cardinaux de la faction des Couronnes sont insultés de la façon la plus basse, Zelada surtout, et cela, avec cette forme comique du libretto italien, dans des duos, des trios, des chœurs, avec des ballets coupant les airs des ballets que dansent les monsignors, les conclavistes et les abbés. Rien de si perfide, rien qui soit plus pénétré de cet esprit pointu du dix-huitième siècle italien ; rien qui porte mieux.

Aussi, quand, le 16 novembre, Bernis est, à son tour, chef d'Ordre et, comme tel, chargé du gouvernement, il donne une bonne poussée aux satires qui inondent le public. D'accord avec les cardinaux Casali et Giraud qui forment avec lui la Congrégation, il ordonne que la Comédie du Conclave et les autres principales satires soient brûlées le 19, à midi, sur la place Colonne, par la main du bourreau. Il menace le Barigel de destitution s'il ne découvre pas la source de ces pamphlets dont on paye les copies jusqu'à vingt-cinq écus. Il fait arrêter le docteur Ganan Sartori, prêtre florentin, soupçonné d'en être l'auteur.

Il est vrai que ces mesures énergiques amènent contre Bernis une recrudescence d'injures. On répand que le cardinal Fantuzzi, préfet de l'Immunité, a prononcé la censure contre les cardinaux chefs d'Ordres qui ont agi sans consulter le Sacré Collège ; on prétend que Bernis est excommunié ipso facto pour avoir procédé contre un prêtre, ce que le cardinal vicaire a seul le droit de faire, et que, par suite, sa voix est nulle dans le conclave ; on affirme que le cardinal Marefoschi, le prince Chigi et le duc d'Arco se plaignent qu'on ait choisi pour le lieu de l'exécution la place Colonne, où sont situés leurs palais. Bernis a fait son devoir : il laisse les gens crier.

D'ailleurs, il a entamé en ce moment une négociation qui mérite toute son attention : les Albani ont formé un parti volant qui se porte tantôt vers les Couronnes, tantôt vers les inspirés, et qui sert d'intermédiaire. Ils reçoivent de toutes mains et ne se font craindre que pour grossir leur prix : c'est le centre du conclave. Or, en ce moment, ils semblent se rapprocher de Bernis. Buffalini, de son côté, a fait des ouvertures à Luynes, et voici Borghèse qui parait traitable. Ne pourrait-on tirer parti de tout cela ? Bernis songe à Braschi : C'est un homme d'esprit et de mérite ; le cardinal Giraud, qui est son ami, désirerait bien qu'il parvint à la papauté. C'est un des sujets du parti des Rezzonico qui pourraient le mieux convenir. Il est des amis de Bernis, et le Ministre d'Espagne en a assez bonne opinion ; la réverbération des Rezzonico dont il est la créature est ce qui le rend suspect[16], mais on peut prendre ses précautions. Vergennes tombe d'accord avec Bernis que Braschi, à cause de ses vertus et de ses qualités, mérite la préférence sur les autres Zelanti, mais il subordonne toutes les démarches du Ministre de France aux vues et aux désirs du Roi d'Espagne[17]. Il faut donc, pour continuer la négociation, l'aveu formel de Moniño. Voilà encore Bernis en tutelle, et, bien qu'il écrive qu'il laissera volontiers la gloire de l'élection au Ministre d'Espagne, son ami[18], il n'eût point été fâché de jouer authentiquement le premier rôle. Il s'incline pourtant, prend l'avis de son collègue : Moniño n'a pas lieu d'être opposé à Braschi, qui, à Velletri, lorsqu'il était auditeur de l'évêque, a rendu à Charles III le signalé service de sauver ses archives et sa correspondance ; plus tard, à Naples, à propos d'un procès de l'Inquisition, il a montré un esprit éclairé et une certaine largeur d'esprit. Moniño consent à ce qu'on porte Braschi. Bernis alors dresse toutes ses batteries. Migazzi, l'Autrichien don til avait si grand'peur, va être, pour correspondre avec les Zelanti, un intermédiaire précieux. Ceux-ci d'ailleurs sont découragés : Colonna, leur candidat, est définitivement écarté ; Boschi qu'ils ont proposé est tombé, le 21 novembre, sur une déclaration de Bernis. Les Albani eux aussi sont usés, se déclarent las et fatigués. Le moment est donc propice pour lancer la candidature de Braschi, d'autant que le cardinal de Solis va entrer au conclave (14 décembre) et que, tous les étrangers étant arrivés, il faudra que l'inaction cesse.

Ce sera donc Bernis qui aura inventé le Pape et qui le fera ; quelle satisfaction pour son orgueil ! Et, pour combler sa vanité, c'est lui qui, comme cardinal-évêque, est à la tète de la Congrégation des Chefs d'Ordres lorsque, le 18 décembre, le prince Corsini, ambassadeur de Leurs Majestés Impériales près le Sacré Collège, vient faire son compliment à la porte du conclave[19]. C'est donc à lui que s'adressent les splendeurs déployées par Corsini : ce cortège, où figure d'abord une riche diligence neuve, tirée par deux chevaux et entourée de quatre laquais ; puis, trente pas plus loin, l'Ombrello avec ses ornements d'or ; puis le premier carrosse, une berline à sept glaces ornée de peintures représentant les noces de Psyché et de l'Amour ; puis la foule des serviteurs des prélats ; puis les laquais de l'Ambassadeur, en livrée rouge galonnée d'argent, un bâton d'argent à la main, le bonnet brodé des armoiries des Corsini et orné d'un panache blanc, rouge et vert ; puis une foule de domestiques, les uns en livrée verte, d'autres portant des bandoulières ; puis la voiture de l'Ambassadeur, un char de triomphe au-dessus duquel s'envole, doré et peint, l'aigle impérial avec la couronne, le sceptre et l'épée : six chevaux frisons le traînent ; vingt pages, vêtus de velours ponceau, l'entourent ; à la portière, l'écuyer de Son Excellence escorté de quatre estafiers, parade sur un cheval superbement harnaché. Deux carrosses contenant la suite viennent encore.

Au bas de la Scala Regia, le prince Chigi, maréchal du conclave, à la tête des gentilshommes et des gardes, reçoit l'Ambassadeur : les tambours battent ; le prince Corsini, vêtu d'un habit de velours noir à l'impériale, garni des plus riches dentelles, l'épée au flanc, un panache blanc au chapeau, tout éclatant de nœuds et de boutons de diamant, monte à l'appartement du Maréchal. De là, il se rend à la porte du conclave derrière laquelle attend le Sacré Collège. Il fait devant la fenêtre la génuflexion ordinaire que les cardinaux lui rendent en ôtant leur barrette. Il remet à Bernis ses lettres de créance, et c'est à lui qu'il adresse son discours en langue latine. Bernis répond en italien, et dans ce discours, bien qu'il parle au nom de ses confrères, il ne peut s'empêcher de se mettre en scène : il parle de lui ; c'est sa propre gloire qu'il célèbre, et jamais, on le sent, il ne fut plus heureux. La divine Providence, dit-il, qui a permis que l'honneur de parler au nom du Sacré Collège, dans cette fonction solennelle, me fût réservé, aurait pu choisir un interprète plus éloquent des sentiments du Sacré Collège. Je parle, il est vrai, une langue qui m'est étrangère, mais je parle d'une grande Reine dont personne n'a été plus à portée que moi de connaître l'étendue des lumières, la générosité des sentiments, l'humanité, le courage, la fidélité à ses alliés et à ses amis, et qui, la première de son sexe par les grâces, a mérité :d'être placée parmi les grands hommes, soit par la supériorité de son génie, soit par la sublimité de ses vertus.

Quelle journée, et quel beau rêve Bernis fait ce jour-là tout éveillé ! Mais le lendemain, quelle chute ! Migazzi, d'après les ordres de sa Cour, soulève la candidature de Visconti, ancien Nonce à Vienne[20] ; Moniño n'est pas fort loin de l'accepter, et Vergennes n'y contredit pas. Braschi, à qui Bernis fait, comme invite, donner une voix à chaque scrutin depuis le 16 décembre, est convenu de tout avec Solis et a promis de maintenir l'œuvre de Clément XIV et de conserver les titulaires en charge, mais Jean-François Albani ébruite la négociation. Tout Rome en parle. Le Ministre de Portugal qui croit Braschi jésuite parce qu'il est créature des Rezzonico, et le prince Corsini qui a de vieilles querelles avec lui, vont trouver Moniño, se plaignent avec aigreur. Moniño, qui n'a été convaincu qu'à demi par Bernis, se retourne, déclare qu'il faut renoncer à Braschi, ordonne de proposer Pallavicini, cousin germain de son principal, le marquis de Grimaldi[21]. Toute l'œuvre de Bernis s'effondre. Il faut recommencer tout le travail, et pour un candidat médiocre, peu sûr, sans valeur, sans amis, qui n'est recommandé que par sa parenté, pour un Génois ! On comprend que Bernis écrive à. l'abbé Deshaises : Le Ministre d'Espagne est honnête homme et homme d'esprit, mais il est tenace dans ses idées et veut toujours gouverner[22].

Ainsi, au 1 er janvier 1775, après trois mois passés, on n'est pas plus avancé que le premier jour. Migazzi travaille pour Visconti ; Solis, qui veut plaire à Grimaldi, négocie pour Pallavicini ; Bernis attend. De temps en temps, un candidat nouveau apparaît pour amuser le tapis : tantôt Borromei, cousin des Albani, tantôt Caracciolo Santobone, un pur imbécile qui adopte sans exception le sens littéral de toutes les bulles avec autant de foi que l'Évangile même. On est si las, que le parti des Couronnes songe à le porter, cet honnête gentilhomme, parce qu'il faut bien en finir. La clôture menace d'être éternelle : les cardinaux tombent malades : Luynes est fort incommodé ; le Cardinal-vicaire est obligé de sortir ; Bernis souffrant lui-même a dû renvoyer son domestique de confiance dont l'état était grave. De plus, il sent qu'on s'égare ; il voit qu'on manque le but ; quoi qu'on dise de Braschi[23], il le regrette. Il revient dans chaque dépêche, dans chaque billet sur son candidat. Hors Braschi, point de salut ; car l'Espagne exclut tous les candidats que les zélés désirent, et les zélés excluent les candidats que l'Espagne recommande. Après Colonna, voici Giraud qui va, peut-être, être obligé de quitter sa place. Bernis lui-même n'est pas en bon point ; ses yeux sont malades : la cellule où il dort est très-petite, très-malsaine, sans air, empestée par la braise de la petite cuisine. Bernis est fort enrhumé ; il doit se faire soigner. Tout cela ne peut durer : il faut en finir.

Le 17 janvier, Bernis lâche Zelada sur les Albani et sur les Rezzonico. Un rapprochement s'opère : on se parle à présent ; on sent la nécessité de s'entendre ; il y a un air de confiance et d'harmonie entre les deux partis. Bref, on se détermine à une conférence, où l'on examinera de concert les chances de chacun des candidats (21 janvier). A la conférence se trouvent Zelada, les deux Rezzonico, Torregiani et Jean-François Albani. On fait l'examen secret par la voie des suffrages : on prend d'abord six candidats, trois pour les Zelanti : Colonna, Pamphili, Torregiani ; trois pour les Couronnes : Simone, Negroni, Casali. Aucun ne peut réussir : celui qui a obtenu le plus de voix est Colonna, mais il n'arrive pas à l'Inclusive : vingt et une voix seulement. Quant au candidat des Couronnes, celui qui a le plus de voix, Negroni, en a seize.

On recommence la recherche avec six autres candidats : même échec. Il n'y a décidément qu'une solution : c'est Braschi. Le Ministre d'Espagne y revient, mais il veut avant de le proposer tenter un dernier effort pour Pallavicini. Cette marche peut être dangereuse, car elle peut amener une coalition contre Braschi, mais Bernis agit ; il pousse Pallavicini qui le 10 février déclare qu'il ne veut pas être élu et laisse la place libre. Solis incline à Braschi ; quant à Bernis, il ne se lasse pas de vanter son candidat qui est porté par inclination comme par système à respecter les souverains et à ménager leur appui au Saint-Siège ; qui, quoique créature de Rezzonico, est élève de Benoît XIV et plus décidé pour les maximes de son maitre que pour celles de son créateur[24].

Une nouvelle négociation est entamée avec les zélés par Giraud et Zelada.. Braschi se réconcilie avec le cardinal Corsini et, par lui, avec le prince son frère. Rezzonico, qui croit tenir Braschi, recueille les suffragés de son parti : tous ou presque tous se réunissent sur Braschi. Le 14, la distribution du suffrage du matin ne varie point, mais, dans la journée, Bernis annonce au Sacré Collège que les Couronnes consentent à l'élection de Braschi ; le soir, tous les cardinaux vont baiser la main du nouveau Pape. Le 15, après la messe du Saint-Esprit, le scrutin a lieu pour la forme : Braschi a toutes les voix. Quand les cardinaux des Couronnes viennent le complimenter, il leur accorde la Secrétairerie d'État pour Pallavicini, la Secrétairerie des Brefs pour Negroni, la Légation de Bologne pour Branciforte. Malvezzi aura la Daterie, mais seulement dans quelque temps ; Giraud sera auditeur ; Conti aura de l'influence ; quant à Bernis, il sera l'ami du Pape, de Pie VI, car Braschi prend ce nom à cause de sa dévotion pour saint Pie V, et aussi parce qu'il prétend être allié à la famille Ghislièri.

Sire, écrivent à Louis XVI les deux Cardinaux français[25], après cent trente-sept jours de demeure dans le conclave, le cardinal Braschi vient enfin d'être placé par le vœu unanime du Sacré Collège sur la chaire de Saint-Pierre. Le caractère qui sied si bien à la papauté est peint sur son visage. Il est issu d'une famille noble qui était établie à Césenne, ville située dans la Romagne et dont la noblesse est très-ancienne. Il est le dernier de son nom : ainsi, il n'y a point de népotisme à craindre. Il est édifiant dans ses mœurs et dans sa conduite. Il a été à portée d'acquérir les connaissances nécessaires pour bien gouverner. Il a une tête bien faite, de la fermeté dans l'esprit, d'excellentes intentions, et désire beaucoup de mériter la bienveillance et la protection des souverains catholiques. Il joint à ces avantages celui de n'avoir que cinquante-sept ans révolus du 2'7 décembre dernier. Il n'est point évêque, mais il ne manquera point ici d'évêques et d'archevêques pour le sacrer. C'est là le style de Luynes à qui Bernis a laissé l'honneur d'écrire au Roi : pour lui, il est moins enthousiaste et plus réservé : Le règne du nouveau Pape, écrit-il, fera juger si avant son élection on avait vu son visage mi son masque.

Il n'a point tort, car la responsabilité est grande : c'est lui seul qui a fait le Pape. C'est lui qui au début l'a inventé ; c'est lui qui l'a soutenu envers et contre tous, contre l'Autriche qui prônait un autre candidat, contre l'Espagne même, à qui pourtant il avait ordre de se soumettre. C'est lui qui l'a ressuscité alors que chacun le croyait mort, et qui, par son habileté, a amené tous les partis à se ranger à son opinion. H peut être modeste, enjoindre à Deshaises qu'on parle modestement dans sa maison du rôle qu'il a joué, faire tomber les éloges sur Moniño et Migazzi. C'est lui seul qui a fait le Pape. Il a donné la loi au point de fixer à son gré le jour de l'élection qu'il a retardé de vingt-quatre heures à cet effet. Les Zelanti ne s'y trompent pas. Ils comblent Bernis de louanges. Il a tout concilié. Quand il sort du Conclave, la prélature, les cardinaux, les princes romains viennent lui faire compliment. Le 17 février, il a audience du Pape. A eux deux, ils arrangent les places ; Bernis fait des concessions, le Pape en fait d'autres : c'est un assaut de courtoisie. On convient que Malvezzi n'aura pas la Daterie, que Negroni l'aura. Conti sera secrétaire des Brefs. Bernis avait deux conclavistes : l'un sera camérier secret, l'autre aura une pension. Saliceti, le médecin de Bernis, sera médecin du Pape. Le chirurgien de Bernis sera chirurgien du Pape. Le prince de Santa -Croce sera capitaine honoraire des chevau-légers de la Garde. Ce n'est point assez : Pie VI veut rendre de Bernis un témoignage public, et dans la lettre qu'il écrit le 22 février à Louis XVI pour lui donner part de son exaltation, il insère cette phrase : Notre très-aimé le cardinal de Bernis à qui nous protestons avoir les plus grandes obligations.

En Europe c'est un concert d'éloges. Marie-Thérèse, qui jadis a critiqué Bernis lors de l'affaire du chapeau de la Roche-Aymon, est retournée aujourd'hui par Migazzi qui est tout à Bernis et qui mange chez lui régulièrement. Elle écrit à Mercy pour témoigner la satisfaction entière qu'elle a de la conduite du Cardinal. Elle écrit même à la Reine sa fille, quelque éloignée qu'elle soit d'ailleurs de s'intéresser pour aucun sujet étranger. Mais, dit-elle, je crois devoir en excepter M. le cardinal de Bernis que je regarde toujours comme le premier auteur de l'heureuse union entre ma Maison et celle de Bourbon[26].

Que sera-ce quand tous ces voyageurs venus à Rome pour le conclave seront dispersés et raconteront non-seulement la gloire politique de Bernis, mais le luxe qu'il a déployé ? car, pendant les cent quarante jours de claustration, sa maison a été ouverte, sa table a été servie comme s'il eût été présent. Et ce n'étaient point de médiocres convives que l'Électeur Palatin, le duc de Wurtemberg, le duc de Luxembourg, pour ne citer que les plus grands, et sans parler de l'inondation d'abbés français les plus nobles qui soient en France, l'abbé de Beauvau, l'abbé de Villevieille, l'abbé de Clermont-Tonnerre, l'abbé de Pleumartin, l'abbé de Beaumont, l'abbé de Séguiran, l'abbé de Caux, qui, après avoir mangé à sa table, lui font cortège aux audiences et aux cérémonies, et qui tons, par son canal, demandent et obtiennent quelque grâce.

Bernis avait besoin de ce grand succès, car pendant le conclave l'envie s'était déchaînée contre lui. Dans les gazettes de Hollande, la chronique scandaleuse de Rome avait sa place toute marquée. Un trou avant été fait dans la clôture du conclave vis-à-vis le couloir de Cléopâtre, on prétendit — on prétend encore à Rome — que le Cardinal y passa pour aller voir son amie la princesse Santa-Croce ; or, la princesse était tombée malade au mois de janvier et chaque jour on attendait sa mort. Par des insinuations d'une perfidie achevée, le gazetier trouva moyen de désigner Bernis[27]. Bernis se plaignit à Vergennes, qui donna sur les doigts au pamphlétaire, mais qui ne put imposer silence aux bulletins de Paris, lesquels, dit-il, semblables aux insectes prenant leur origine dans la fange, échappent à l'observation et aux recherches de ceux qui pourraient les réprimer.

Ces sottes calomnies avaient leur danger. Bernis se sentait quelque peu miné à Versailles. L'arrivée au pouvoir de M. de Maurepas n'avait point été pour le rassurer. Il avait été trop des amis de madame de Pompadour pour être beaucoup de ceux du nouveau Ministre. Il savait qu'il avait été question de le transférer d'Albi à Cambrai, pour lui enlever Rome que de très-grands seigneurs désiraient. Le brevet de Protecteur ne signifiait pas grand'chose : ce pouvait être une compensation : on alléguerait le cumul, l'incompatibilité des fonctions. Pour garder Rome et toutes ses places à Rome, il fallait qu'il affirmât sa puissance avec un tel éclat que nul ne pût songer à le remplacer. Le Pape fait, et fait par Bernis, c'était la partie définitivement gagnée. Vergennes, qui à certains moments avait peut-être hésité, écrivit que ce succès était plus qu'humain. Vous devez être content, ajouta-t-il, de la justice qu'on vous rend ici. Il en imposera aux contradicteurs dont vous savez que les cours ne manquent jamais, et vous ne pouviez détruire plus victorieusement tous les abominables pamphlets dont on a inondé le public et qui ne pouvaient que faire gémir la raison et l'honnêteté[28]. La lettre que Louis XVI adressa le 7 mars aux Cardinaux français vint affirmer cette victoire définitive ; ce passage, en effet, visait directement Bernis : La conduite sage, éclairée et habile que vous avez tenue dans cette circonstance, disait le Roi, a mérité une entière approbation de ma part, et ces nouvelles preuves de zèle et d'attachement ne peuvent que fortifier les sentiments d'estime et de bienveillance que je vous porte et dont je vous donnerai toujours avec plaisir des marques particulières[29].

 

 

 



[1] Gazette de Leyde.

[2] J'ai en ma possession on manuscrit in-4° de plus de cinq cents pages écrit par un Espagnol et renfermant une partie des satires qui ont couru à Rome. On consultera utilement sur ce sujet SILVAGNI, ouvrage cité.

[3] Bernis à Vergennes, 28 septembre. (AFF. ÉTR.)

[4] Bernis à Vergennes, 4 octobre. (AFF. ÉTR.) Le bas-relief symbolisant la restitution d'Avignon montrait un homme, en manteau royal fleurdelysé, à genoux devant le Pape.

[5] Second mémoire du 20 septembre. (AFF. ÉTR.)

[6] Bernis à Vergennes, 15 septembre. (AFF. ÉTR.) On trouvera des extraits dans BOURGOING, loc. cit.

[7] Louis XVI écrit à Charles III, le 1er octobre 1774 : Monsieur mon frère et oncle, je viens d'apprendre que le Pape est très-mal et qu'on a grand'peur pour lui. La parfaite intelligence que je désire maintenir toujours avec Votre Majesté m'engage à lui mander cette nouvelle pour lui dire que dans le cas où Sa Sainteté viendrait à mourir, mon choix, et je pense aussi le bien de la chrétienté, me porte à m'unir avec elle pour le choix du successeur. Les liens d'union qui me joignent à Votre Majesté sont profondément gravés dans mon cœur, et je vois avec le plus grand plaisir que cela contribue au bonheur de nos sujets respectifs et à la tranquillité de l'Europe. (AFF. ÉTR.)

[8] Malgré cela, Charles III exclut formellement Castelli, Rossi, Buffalini, Pamphili, Paracciani, Borromei, Spinola, Calini, Torregiani, Buonacorsi, Giraud et des Lances.

[9] Bernis à Vergennes, 4 octobre. (AFF. ÉTR.)

[10] Gazette de Leyde, passim à partir du 8 octobre.

[11] Il s'est réduit à Torregiani, Castelli, Buonacorsi, Rezzonico, Pamphili, et aux deux Colonna.

[12] Vergennes à Bernis, 2 octobre. (AFF. ÉTR.)

[13] Gazette de France à la date.

[14] Correspondance de Luynes. (AFF. ÉTR.)

[15] Le 10 novembre, le courrier de France est dévalisé. Bernis est convaincu que c'est un coup du parti jésuitique, qu'on a voulu prendre ses dépêches.

[16] Bernis à Vergennes, 16 novembre. (AFF. ÉTR.)

[17] Vergennes à Bernis, 6 décembre. (AFF. ÉTR.)

[18] Bernis à Vergennes, 14, décembre. (Arch. Bernis.)

[19] Relazione dell’udienze publiche che la mattina de 15 e 18 decembre del 1774 ebbe del Sacre Collegio in conclave Sua Excellenza il signor principe D. Bartolomeo Corsini, grande di Spagna, principe di Sizmano. Rome, 1774, in-4°.

[20] Bernis, 30 novembre ; Vergennes, 20 décembre. (AFF. ÉTR.)

[21] Bernis à Vergennes, 28 décembre. (AFF. ÉTR.)

[22] Bernis à Deshaises, 28 décembre. (Arch. Bernis.)

[23] Digne, le consul à Rome, que les affaires politiques ne regardent point, se permet d'écrire le 4 janvier au Ministre de la Marine : Il eût été étonnant, Monseigneur, que dans les circonstances présentes on eût fait choix d'un pareil sujet. Grand partisan des Jésuites, il a désapprouvé publiquement la suppression de cet Ordre et peu ménagé les cours qui l'ont demandée. Ingrat envers ceux qui ont toujours été les moteurs de sa fortune, il aurait oublié en un moment ce qu'on aurait fait pour l'élever au pontificat. Homme violent et plein de projets, il aurait tout bouleversé sans faire aucun bien à cet État. (AFF. ÉTR.)

[24] Bernis à Vergennes, 8 février. (AFF. ÉTR.)

[25] Luynes et Bernis au Roi, 15 février. (AFF. ÉTR.)

[26] Marie-Thérèse à Migazzi, 3 mars. (AFF. ÉTR.)

[27] Le gazetier écrit entre autres choses : On tâchera d'assoupir cette affaire d'autant plus scandaleuse qu'on ne craint pas dans le public, vu plusieurs circonstances rapprochées, de faire tomber les soupçons sur deux personnes éminentes que pourtant il serait téméraire de nommer. Ceci expliqué, l'anecdote est-elle vraisemblable ? Deux fois, trois fois par jour, Bernis écrit du conclave à l'abbé Deshaises. Certes, il lui parle de la princesse et de sa maladie, mais d'un ton tout paternel et amical. Dites-lui de ma part, écrit-il le 23 janvier, que je ne la reconnaîtrai plus pour ma-fille, si elle m'écrit deux lignes tant que la fièvre subsistera, et que je ne lui ferai de réponse que quand elle serait sans fièvre. Le 25, il écrit : Si on n'applique pas des vésicatoires à temps à cette pauvre femme, elle mourra. Le 30, il ordonne à Deshaises de remplir, après le triste événement qui se prépare, tout ce qu'il doit au prince de Santa-Croce et à la famille Falconieri. Vous assurerez le Prince, dit-il, de la continuation de mon affection et de mon amitié pour toujours. Le 31, la Princesse va mieux, elle est sauvée : Bernis s'en réjouit, cela est vrai, mais faut-il lui faire un crime d'aimer ses amies ? Autre chose serait aller, comme le veut la légende, chez une maitresse bien portante et aller chez une amie mourante : mais cela même n'est point vrai : faire un trou dans la clôture du Conclave, risquer sa considération, sa place, l'honneur des Couronnes, l'élection même du Pape pour un tel objet, cela n'est pas croyable. Mais est-ce possible ? Bernis a soixante ans, il est fort gros et peu leste. Il est affligé, juste à cette tin de janvier, de fluxions sur les yeux ; on lui a, le 14, tiré dix-huit onces de sang. Il est accablé d'écritures, tiraillé par tous les partis, obligé d'être toujours présent, car, à tout instant, il est à la merci d'une surprise. Il a dû changer sa cellule pour celle du cardinal Stoppani, afin d'avoir un peu d'air pour respirer. 11 est épouvantablement enrhumé, et voilà l'amoureux qu'on fait courir, passer par des brèches, et revenir, en se cachant, prendre sa place au scrutin. Je dois signaler dans le Fanfulla della dominica du 24 février 1884 un très-curieux article de A. Ademollo sur la princesse Santa-Croce. Il y a à prendre et à laisser dans des assertions trop souvent appuyées uniquement sur le témoignage de Casanova, mais ce n'en est pas moins la première étude sur cette curieuse figure.

[28] Vergennes à Bernis, 27 février (775. (Arch. Bernis.)

[29] Le Roi à Luynes et à Bernis, 7 mars. (AFF. ÉTR.)