LES ESPIONNES À PARIS

LA VÉRITÉ SUR MATA-HARI. - MARGUERITE FRANCILLARD. - LA FEMME DU CIMETIÈRE. - LES MARRAINES. - UNE GRANDE VEDETTE PARISIENNE. - LA MORT DE MARUSSIA

 

IV. — LA LÉGENDE DE MATA-HARI.

 

 

Les Allemands se sont beaucoup servis des femmes pour obtenir des renseignements. D'abord on a toujours plus de bienveillance, sinon de confiance, envers une femme, et elle passe partout. Ensuite elle a une arme, le sourire, qui détourne l'attention des plus vigilants. Enfin elle accepte plus facilement les missions importantes et délicates, parce qu'elle ne se rend pas compte du danger et qu'elle s'imagine que c'est tout naturel.

A l'école d'espionnage que les Allemands avaient établie à Lorrach, dans le grand duché de Bade, et à Fribourg-en-Brisgau, la majorité des élèves étaient des femmes.

D'ailleurs l'Académie était dirigée par une femme.

Nous avons rappelé que Mata avait pu paraître — nous n'avons pas dit s'installer — jusque dans le cabinet du ministre des Affaires étrangères et dans celui du ministre de la Guerre, renouvelant ainsi, quarante ans plus tard, les exploits de la baronne allemande de Kaula, devenue l'amie du ministre général de Cissey.

Mata fut la plus grande espionne de la guerre et les Allemands ne sont pas encore consolés de sa perte : ils l'ont défendue à outrance et ils ont la prétention de l'opposer à miss Cavell qu'ils ont assassinée à Bruxelles.

 

ODIEUSE PROPAGANDE

 

Ils ont l'audace de se servir de Mata-Hari pour faire de la propagande anti-française. Ils lui ont consacré plusieurs films qu'ils ont répandus dans les cinémas du monde entier ; ils la représentent surtout en Amérique — comme une héroïne et une grande patriote, alors que ce n'était qu'une demi-mondaine sans cœur et sans patrie, avide d'argent.

Un écrivain allemand, Wilhelm Fischer, prétend que le gouvernement français a hésité pendant huit jours avant de faire fusiller Mata-Hari tellement sa condamnation paraissait scandaleuse.

Le journal hollandais Algemeen Handelsblad est allé jusqu'à imprimer : Mata-Hari n'a pu présenter sa défense ; elle a été condamnée sans avoir été entendue.

Que les journaux ennemis inventent de pareilles stupidités, passe encore. Mais que des Français se fassent les défenseurs de cette espionne voilà qui confond l'imagination.

 

UN DÉFENSEUR ANONYME

 

Avant l'ouverture des débats l'accusée avait déclaré au colonel Semprou, président du conseil de guerre, qu'elle tenait à parler longuement. Le colonel lui avait simplement objecté qu'il valait mieux pour elle répondre aux questions précises qu'il lui poserait, et que d'ailleurs elle aurait toute liberté de s'expliquer. Mata-Hari n'insista pas et parla d'ailleurs fort longtemps.

Telle est la vérité.

Or, voici le papier que nous avons reçu, imprimé en bleu à la machine à écrire. Nous citons textuellement :

Est-il vrai... que Gertrude Zelle, dite Mata-Hari, réfugiée au début de la guerre dans une paisible retraite éloignée du théâtre des opérations militaires, ait été contrainte par le Service français des renseignements à cet organisme ?

Qu'on lui ait imposé une périlleuse mission sous peine d'emprisonnement en cas de refus ?

Qu'elle ait dû, déjouée par la finesse allemande, avouer son rôle sous la menace du browning ?

Et qu'on l'ait fusillée à son retour pour ce motif ?

Si c'est faux.

Il convient de le démentir, car cette thèse fait paraître peu reluisant le caractère chevaleresque français. Mais alors quelques documents indiscutables et vérifiables permettraient seuls de ne pas douter. Il y a, en effet, de fortes présomptions en faveur de la thèse ci-dessus. En effet, Gertrude Zelle, tout le monde le sait, gagnait aisément de quoi s'offrir tous les luxes, grâce à sa vogue comme artiste. Pourquoi aurait-elle risqué sa vie dans un métier de tête brûlée, où tombent seulement les impécunieux ? Et puis, il y a certaines révélations de source étrangère qu'on va prochainement traduire...

 

Cette note n'est pas signée. Emane-t-elle d'un Français ? Ce n'est pas probable, car elle reproduit purement et simplement la version boche imaginée de toute pièce.

A moins que ce ne soit un écrivain, un romancier à l'imagination fertile, chercheur de complications, qui l'ait écrite...

Les questions posées ci-dessus sont absurdes. Je puis affirmer, de nouveau, après avoir entendu l'espionne pendant les deux audiences, que :

1° Mata-Hari a reconnu avoir été dans la voiture du préfet de police de Berlin le jour de la déclaration de guerre. Elle a joué le rôle d'infirmière à Vittel, espionnant nos aviateurs ;

2° On ne lui a pas imposé une mission tout au contraire, elle s'est offerte à notre service pour ne pas être arrêtée — ce que font tous les espions sur le point d'être pincés ;

3° On ne Fa pas fusillée parce qu'elle a refusé de nous servir, mais parce que la preuve matérielle a été apportée qu'elle aidait consciencieusement les Allemands, pour 20.000 florins, 10.000 florins, et, en revenant d'Espagne, pour 15.000 pesetas.

La Mata n'avait plus rien à son retour de Madrid. Elle a avoué avoir eu besoin d'argent et avoir reçu les sommes indiquées plus haut, des mains du chef de l'espionnage allemand à Amsterdam et à Anvers, et des mains de l'attaché naval allemand à Madrid — ou plutôt, sur l'ordre du lieutenant de marine von Kroon, par l'intermédiaire de la légation de X.

Quant aux révélations diplomatiques nous les attendons de pied ferme.

L'aveu de ses relations avec les Allemands et de la provenance de l'argent a été fait formellement par l'accusée. Elle a prétendu seulement que cet argent avait servi, non à payer ses renseignements, mais à payer ses faveurs !

Encore une fois elle n'a rien contesté et nous l'avons entendue s'expliquer en toute liberté avec une rare impudence.

Nous avons donné les détails les plus circonstanciés sur les débats — les deux audiences qui eurent lieu à huis clos il est vrai, comme tous les procès d'espionnage, mais qui furent remplis par les déclarations passionnées de la danseuse et la défense chaleureuse de l'avocat de grand talent, Me C., commis d'office, sur sa demande.

Quant à la résurrection de l'histoire de la Tosca c'est encore — nous l'avons dit — de la fantaisie pure. Que son avocat ait fait croire à la condamnée qu'elle ne serait fusillée que pour la forme, c'est-à-dire qu'il n'y aurait pas de balles dans les douze fusils, c'est possible, mais c'est invraisemblable. Ce qu'il y a de certain, c'est que, quand au moment du réveil, le défenseur a offert à la danseuse d'invoquer un prétendu état de grossesse pour obtenir un sursis en vertu de l'article 27 du Code pénal. Mata a répondu formellement : Je ne suis pas enceinte et je refuse d'invoquer un pareil prétexte. Puisque je dois mourir, je dois me résigner ! Et elle a repoussé l'offre de l'examiner que lui faisait le docteur Socquet.

A cet instant Mata-Hari était fixée et bien fixée sur son sort. J'ajoute qu'elle ne semblait avoir nourri aucune illusion, et que son avocat ne m'a point paru l'avoir trompée sur la réalité de l'exécution du jugement.

En effet, avant l'exécution, le bruit a effectivement circulé que Me C... avait fait croire à sa cliente qu'il n'y aurait qu'un simulacre de fusillade. Mais, au récit de cette histoire dans le cabinet du directeur de la prison, tout le monde, y compris, je crois, le défenseur, a haussé les épaules.

La vérité est que le défenseur avait caressé un moment l'espoir d'échanger Mata-Hari contre un prisonnier français important. Nous l'avons entendu dire :

— On devrait échanger Mata-Hari — les Allemands y tiennent beaucoup —, avec le général Marchand. Ce serait une bonne affaire pour nous...

A ce moment Me C... croyait que le général Marchand était prisonnier.

Il n'y a pas eu autre chose qu'un projet — en l'air — de l'avocat.

La légende a survécu. Il n'importe.

***

Nous avons dit que la fille Marguerite-Gertrude Zelle, dite Mata-Hari, alias lady Gresha Mac-Leod, était inscrite sur les registres du centre d'espionnage d'Amsterdam sous l'initiale et le chiffre H. 21.

Or ce chiffre prouve que Mata était espionne depuis longtemps et avait été immatriculée avant la guerre. En effet le chiffre donné aux agents allemands à partir de 1914 avait pour lettres A. F. suivies d'un numéro.

Les lettres signifiaient A., Anvers, centre primitif de l'espionnage allemand, et F., France.

Le fait que Mata portait simplement la lettre H., suivie du numéro 21, établit qu'elle avait été enrôlée bien avant l'ouverture des hostilités.

L'histoire de Mata-Hari est aussi simple que celles des autres espionnes dont nous allons parler. Ce n'est pas une raison parce que c'était une danseuse, et une femme intelligente — plus dangereuse que les autres — pour faire autour de son nom du sentiment et du roman.

Si on veut connaître la vérité, on n'a qu'à s'en tenir au compte rendu analytique des débats qu'on a trouvé dans ce livre.

Maintenant, le correspondant dont j'ai reproduit la note, dit encore :

Mon enquête se poursuit : 1° du côté de M. Malvy ; 2° du côté du docteur P..., agent de l'Allemagne en Suisse pendant la guerre.

Je ne vois pas ce que M. Malvy viendrait dire sur les derniers moments de Mata-Hari.

A moins qu'on ne veuille absolument rappeler que l'amie de M. Malvy, Néry Beryl, était la grande amie de Mata-Hari et que les deux femmes se voyaient souvent.

Quant au Dr P..., agent de l'Allemagne, il pourra publier ce qu'il voudra ; cela n'aura aucune importance : 1° parce que cet Allemand, qui était en Suisse, n'a pu savoir exactement ce qui s'est passé ; 2° parce que son témoignage ne saurait prévaloir contre l'affirmation de dix officiers français présents à l'instruction, au jugement et à l'exécution.

Miss Cavell, que les Allemands représentent comme criminelle, s'est bornée à secourir quelques soldats et quelques blessés. Elle n'a jamais envoyé de renseignements et ce n'était pas une espionne. La comparaison de cette honnête femme avec Mata-Hari, la Messaline cosmopolite, est une injure pour celle qui ne fut victime que de sa générosité et de son patriotisme.

Mata est morte en cabotine, après un jugement contradictoire, exécutée régulièrement par douze soldats ; miss Cavell est tombée en chrétienne, assassinée par un lieutenant prussien, devant un peloton de six hommes qui refusèrent de tirer.

La reine de Hollande ne voulut pas demander la grâce de Mata.

Au contraire la légation américaine, le pape Benoît XV. et le roi Alphonse XIII implorèrent la grâce de miss Cavell, qui allait mourir pour son pays.

***

Enfin j'ai reçu la lettre suivante d'un des juges qui ont condamné Mata-Hari.

Mon cher camarade,

Permettez-moi de vous féliciter de tenir tête à la personne qui semble vouloir réhabiliter H. 21, numéro donné à Mata-Hari par les Boches.

Sur quoi se base cette personne ?...

Eh bien, moi, je me base sur les PREUVES que j'ai eues entre les mains, et sur les aveux de cette immonde espionne pour affirmer qu'elle a fait tuer peut-être 50.000 de nos enfants, sans compter ceux qui se trouvaient bord des vaisseaux torpillés dans la Méditerranée sur les indications de H. 21, sans aucun doute.

De plus, il faut se rappeler que H. 21 était en Allemagne, en juillet 1914, la maîtresse d'un prince allemand, et qu'après sa juste condamnation à mort aucun recours en grâce ne fut présenté, tellement sa cause était mauvaise.

Veuillez croire, mon cher camarade, à nos meilleurs sentiments de bonne camaraderie, et accepter ma plus cordiale poignée de main.

C. CHATIN,

Ancien commandant de la prévôté du camp retranché de Paris, juge au 3e Conseil de guerre.

 

La cause est entendue. Il n'y a que des Allemands qui puissent désormais défendre l'odieuse femme qui leur a rendu tant de services et qui fut certainement la plus grande espionne de la plus grande guerre.

***

Ce n'est pas tout. Certains journaux américains ont tout dernièrement dépassé les bornes de l'invention permise.

L'un a voulu mêler l'ex-capitaine Dreyfus à l'affaire Mata-Hari et a imaginé que c'était l'ancien hôte de l'ile du Diable qui avait contribué à l'arrestation de la danseuse !...

Un autre raconte que le dernier amant (?) de Mata-Hari serait un mondain jeune et opulent, qui serait devenu trappiste après l'exécution de l'espionne et vivrait actuellement en ascète à la Cartula de Miraflores (Espagne).

M. Camille Pitollet cite cet extrait du journal américain dans lequel l'identité de ce mondain est dévoilée

Moine aux pieds nus et amaigri dans les cloîtres de la Chartreuse de Miraflores, près Burgos (Espagne) le dernier amant de Mata-Hari, la belle danseuse fusillée comme espionne par les Français, s'efforce d'expier son amour fou pour la femme au corps de déesse, aux charmes de démon. L'homme que Mata-Hari eut si fermement en son pouvoir qu'il ne pouvait vivre sans son amour, n'est autre que Pierre Mortissac, le brillant membre de la jeune société parisienne qui fit tourner les têtes dans les salons, à Paris et à Londres.

M. Camille Pitollet ajoute ce qui suit, pensant, dit-il, contribuer à élucider l'un des plus angoissants problèmes d'une aventure tissée entièrement d'épouvante :

On savait généralement que Mata-Hari était la fille d'un planteur hollandais et d'une Javanaise, qu'elle était née le 7 août 1876[1], que son nom était Marguerite-Gertrude Zell, qu'ayant de bonne heure perdu son père, elle avait été conduite à Burma par sa mère et placée, comme danseuse, dans un temple bouddhique de cette ville... En vérité, elle n'avait que quatre ans lorsque mourut l'auteur de ses jours, qui avait su acquérir, à la colonie hollandaise de Java, des richesses considérables, et sa mère connaissant le destin communément réservé aux Eurasian girlsces filles à demi blanches et brunes qui naissent en Asiela voulut garder d'une existence de désordre et la fit entrer clans un sanctuaire de la foi bouddhiste comme danseuse sacrée, mais à Batavia et non point à Burma. Elle ne comptait que quatorze printemps, lorsqu'un officier de l'armée britannique, sir Campbell Mac Leod, la vit et la persuada de s'enfuir avec lui. Ils furent légalement mariés, mais cette sorte de rapt n'ayant pas laissé de causer un scandale dans les milieux civils, ecclésiastiques et militaires, Campbell, membre d'une honorable famille écossaise, se sentit, malgré ses influences, contraint de quitter le service et aller habiter l'Inde, où Mady Mac Leod lui donna deux enfants. L'aîné, qui était un garçon, était mort subitement dans des circonstances qui semblaient indiquer un empoisonnement, la mère, soupçonnant un domestique indien, devança l'action de la justice en faisant, d'un coup de revolver, sauter la cervelle à celui-ci, durant son sommeil. Campbell était absent du home lorsque se produisit ce meurtre. Il n'y revint que pour apprendre la disparition de celle qu'il aimait, afin d'échapper au procès et à la condamnation qui l'attendaient. Il la suivit, néanmoins, en Europe avec leur petite fille, la rejoignant enfin à Paris, où il la trouva luxueusement installée, sous la protection d'un officier supérieur allemand faisant partie d'une de ces grandes coteries d'espionnage militaire germanique qui pullulaient à Lutèce avant la guerre. Lady Mac Leod se refusa pourtant à reprendre la vie conjugale, et Campbell, épave désemparée, s'en alla avec sa fille dans sa famille, en Ecosse, où il est mort peu avant qu'éclatât la conflagration européenne.

Ainsi, d'après ce récit, Mata-Hari aurait tué de sa main un domestique soupçonné d'avoir empoisonné son fils[2] ! Ce n'est pas mal. Continuons :

Comment Mata-Haril'Œil du Matin, en javanaisest-elle devenue, elle-même, une espionne à la solde de l'Allemagne ? Il est probable que des relations par elle contractées au cours de ce compagnonnage avec l'officier germain attirèrent sur sa personne l'attention des service occultes d'information de Berlin et que son départ de Paris pour cette dernière ville avait pour mobile réel la nécessité d'y être initiée à sa nouvelle profession. Et quand, la première année de la guerre, elle réapparut dans la capitale française en qualité de danseuse de théâtre, cc n'était plus là qu'une profession fictive, destinée à mieux couvrir ses machinations néfastes, où furent impliqués maints hauts personnages, tant civils que militaires, de qui elle sut obtenir des informations d'une valeur inappréciable pour l'ennemi.

C'est la partie la plus vraisemblable de ce gros roman. Voici la partie la plus fantastique :

Mais l'histoire vraie de la découverte de sa forfaiture ; celle des raisons secrètes de sa condamnation à mort ; celle, enfin, du complot ourdi par Pierre Mortissac pour la sauver du peloton d'exécution à Vincennes, en octobre 1917, constituent une trilogie que l'on n'écrira probablement jamais et qui, si elle pouvait l'être aujourd'hui, rejetterait dans l'ombre l'histoire des plus fameuses aventurières depuis les jours mythiques d'Hélène de Troie.

Nous sommes en plein mélodrame ! Un complot pour faire jouer un rôle de complaisance aux douze soldats du peloton d'exécution ? C'est enfantin ! Quand on sait comment les choses se passaient à Vincennes on ne peut que hausser les épaules à la lecture de pareilles sornettes. Pour organiser un tel complot il aurait fallu la connivence de deux mille militaires, et encore !

Mais l'auteur tient absolument à faire du Sardou et à vouloir rééditer l'histoire de sa Tosca. Reprenons la citation :

La vérité, l'intrigue imaginée par Sardou pour sa Tosca a été vécue dans la tragédie réelle de Pierre Mortissac, avec, toutefois, cette différence que ce dernier n'a jamais été à même de savoir exactement à qui il était redevable de l'échec de son plan. Et il importe encore de rappeler que, dans la collection d'après-guerre d'un hebdomadaire parisien dédié à des potins de théâtres et de boulevards, l'on a imprimé que Mata-Hari avait été trahie par quelqu'un — un de ces hommes qu'en anglais l'on dénomme responsible menqui ne lui pardonnait pas d'avoir dit de lui, encore qu'en badinant, que c'était un officier allemand et que ç'avait été par son entremise qu'elle était entrée au service de l'Allemagne ! Mais ce ne sua qu'en tenant bien présentes à l'esprit ces énigmes, assez claires pour quelques-uns, qu'on s'expliquera comment l'espionne put aller à la mort comme à une parade, ainsi que l'a admirablement décrit, sur la foi des révélations de Me Clunet, défenseur de Mata-Hari — à qui celle-ci avait remis, à l'aube du matin de l'exécution, sa lettre à Pierre Mortissac, qui croyait obstinément à son innocence — le grand romancier espagnol Blasco Ibañez, aux pages 415-428 de Mare Nostrum, sans cependant soupçonner le secret de cette audacieuse attitude en face d'une destruction que l'espionne ne bravait que parce qu'elle la croyait irréelle.

Nous avons fait justice de cette histoire, Mata-Hari a refusé ouvertement — nous le répétons — le prétexte que son avocat lui offrait pour retarder l'exécution. Ce moyen pouvait être bon. Il était en tout cas le seul légal — et pratique.

Quant à l'histoire du détraqué qui, à la mort de l'espionne, se serait enfermé dans un couvent espagnol, nous ne la contredisons pas. Mata-Hari a tourné assez de cervelles pour que l'anecdote soit vraie — quoique démentie par le supérieur du couvent. Voyez plutôt :

Ce fut dans la semaine même de l'exécution que Pierre Mortissac disparut de Paris. On fit croire d'abord qu'il s'était suicidé. Puis l'on sut, beaucoup plus tard, grâce à notre article du Mercure que, tel le moine Paphruce dans la Thaïs d'Anatole France, il avait endossé le froc des Chartreux pour la rémission de ses péchés et le repos de l'âme de celle qu'il avait si follement aimée. Cet élève des Jésuites de Deusto ne pouvait finir d'autre sorte. Mais n'allez pas, touristes romantiques, le rechercher aujourd'hui à Miraflores, ce monastère dont Théophile Gautier a chanté, en 1840, la montée âpre, longue et poudreuse, et le triste paysage, d'où l'on aperçoit

...Dans le bleu de la plaine,

L'église où dort le Cid près de donc Chimène.

L'on vous rira au nez, soit que vous demandiez un Mortissac, ou un Marow, ou un Martzov, car l'on a, par confusion, parlé de nous ne savons quel officier russe, répondant à l'un de ces deux derniers patronymiques, qui, amant de Mata-Hari, se serait réfugié dans le pieux asile[3]. Le Frère Edmond Curdon, prieur de Miraflores depuis septembre 1920, affirme à qui veut l'entendre que ces histoires d'un amant de Mata-Hari sont et une pure invention, une blague de journaliste et pas autre chose. Il l'affirme au besoin en français, qu'il parle et écrit fort bien. Et le maitre des novices de la Cartuja en fonctions depuis huit ans, abonde dans son sens et répète qu'il n'a aucune idée de qui il peut s'agir, aucun postulant répondant aux noms ci-dessus n'ayant sollicité son admission dans l'établissement. Mais qui ne sait que les Ordres Religieux, et surtout celui des Chartreux, sont comme la Légion étrangère de l'Église romaine et que le nom importe peu de ceux qui y entrent, puisque, morts au monde et à ses vains simulacres, ils ne sont plus là que pour instaurare omnia in Christo ?

 

Nous avons reproduit ce récit pour montrer que, quand il s'est agi de Mata-Hari, on n'a pas reculé devant les limites de l'invraisemblance. Il est probable que nous n'en avons pas fini avec les légendes et que demain comme hier des snobs continueront à divaguer sur son compte.

Mon Dieu, que l'histoire vraie est difficile à écrire et à établir ! La vérité est pourtant si simple !

La façon dont Mata-Hari est morte n'a rien d'extraordinaire. Toutes les femmes, et tous les hommes — sauf Lenoir — que j'ai vus devant le peloton — j'en ai compté vingt-sept — se sont fort bien tenus. Cela tient à ce qu'une exécution militaire comporte une mise en scène très solennelle qui n'a rien d'effrayant.

L'histoire de la Tosca a troublé bien des esprits. Il est possible qu'un maniaque ait voulu, dans un délire littéraire, recommencer cette tragédie en intervertissant les sexes. Certaines lamentations ultra sentimentales semblent en effet inspirées de la dernière lettre du chevalier Mario Cavaradossi à son amante Tosca, la grande cantatrice, quelques instants avant d'être passé par les armes. Certainement le drame de Sardou est très beau et a dû détraquer quelques faibles d'esprit. Seulement à Vincennes on ne jouait pas l'opéra-comique, et la musique de Puccini était remplacée par des trompettes d'artillerie.

 

 

 

 



[1] Son état civil, que nous avons donné, établit qu'elle est née en Hollande, tout simplement.

[2] Elle avait déjà tué son cheval d'un coup de stylet d'or !

[3] C'est le comte Ignatief qui a prétendu que le capitaine Marow était réfugié dans un couvent espagnol.