Le 14 octobre 1917, vers 3 heures, un coup de téléphone m'avisa que Marguerite-Gertrude Zelle née le 7 août 1876, dite Mata-Hari, devait être exécutée le lendemain à 5 h. 47. Je rappelle que la condamnée avait été reconnue coupable à l'unanimité : De s'être introduite, en 1916, dans le camp retranché de Paris, afin de s'y procurer des renseignements dans l'intérêt d'une puissance ennemie, l'Allemagne ; D'avoir, en France et à l'étranger, procuré à cette puissance des renseignements susceptibles de nuire aux opérations de notre armée ; D'avoir, à l'étranger, entretenu des intelligences avec des agents diplomatiques allemands dans le but de favoriser les entreprises de nos ennemis en leur communiquant des secrets relatifs à notre politique intérieure, A L'OFFENSIVE DU PRINTEMPS 1916, etc., etc. A la dernière heure, de puissantes interventions s'étaient produites pour essayer de sauver la vie à la ballerine. Le président de la République ne se laissa pas fléchir, ne se laissa jamais fléchir. M. Poincaré estimait que quand tant de soldats français tombaient chaque jour, il ne pouvait épargner les traîtres et les espions qui les faisaient tuer par derrière. C'est surtout le gouvernement des Pays-Bas[1], qui insista le plus énergiquement pour Mata-Hari : on s'attendait à cette intervention. Quand l'ordre écrit, confirmant l'ordre téléphonique, fut transmis au quartier général, vers six heures, mon premier devoir fut de prévenir le 2e bureau — le B. C. R. — puis la Place, qui, à son tour, donna des ordres à Vincennes pour la préparation de la parade militaire et la formation du peloton d'exécution. J'assurai ensuite le service des transports. Puis je me rendis à Saint-Lazare. La condamnée était toujours calme et confiante. Cependant, la visite que venait de lui faire son avocat — sortant de l'Élysée — paraissait l'avoir assez vivement assombrie. Sa grande préoccupation jusqu'à ce moment avait été le manque d'argent ; son petit pécule avait été sensiblement appauvri par les dépenses de voitures qu'elle avait dû faire pour se rendre au cabinet du capitaine rapporteur Bouchardon, car elle ne voulait pas y aller en voiture cellulaire. II ne lui restait guère qu'une cinquantaine de francs. j'ai su depuis qu'elle avait un compte et coffre à la Banque de Paris et des Pays-Bas. A la prison, la petite sœur Marie me dit : — Vous savez, mon commandant, vous n'aurez pas besoin de me garder une place dans votre voiture pour aller à Vincennes. Quand je vous ai demandé cela, Mata était foncièrement méchante. Maintenant, elle est très raisonnable... Elle ne se doute de rien. Nous voici devant la grande porte cochère de Saint-Lazare. Il est 4 h. 45 et il fait encore nuit. J'aperçois une dizaine d'automobiles devant la prison... Ce sont les journalistes. Diable ! Qui a pu les prévenir ? C'est bien fâcheux. Ce sont des camarades. Je les connais. A mon grand regret, je dois les éviter. Je passe rapidement sous le porche et j'entre dans le cabinet du directeur. — Elle dort, me dit le gardien-chef. Arrivent successivement l'aimable capitaine rapporteur Bouchardon, le capitaine greffier Thibault, le commissaire du gouvernement Mornay, le pasteur Darboux, le docteur Socquet, un membre du Conseil de Guerre qui avait condamné Mata... Et puis... le défenseur ! L'ARTICLE 27 DU CODE PÉNAL L'arrivée de ce dernier causa une impression désagréable. On savait l'affection de l'avocat pour la danseuse et la confiance que celle-ci avait en lui. Qu'allait-il se passer ? Des scènes de désespoir pénibles étaient à craindre. Peut-être la condamnée allait-elle se cramponner après son défenseur qui lui avait fait croire à sa grâce ? Nous étions en train de nous poser la question, quand cat demanda à conférer avec le commissaire du gouvernement. — Mata-Hari ne peut être exécutée ce matin, dit-il. Je m'y oppose formellement et j'invoque pour surseoir, le code pénal, Livre I, Chapitre Ier, article 27 ainsi conçu : Si une femme condamnée à mort se déclare et s'il est vérifié qu'elle est enceinte elle ne subira la peine qu'après sa délivrance. Tout le monde se regarda avec stupéfaction. — C'est impossible, déclara le directeur, aucun homme n'est entré dans sa cellule. Vous le savez bien, cher maître. — Si, il y a... moi ! — Oh !... vous ? fit le lieutenant Mornay, mais votre âge ? Vous avez plus de 75 ans je crois ? — Il n'importe. J'invoque l'article 27 du code pénal. — Alors le docteur Soufflet procédera tout à l'heure à une visite pour vérifier votre affirmation. Nous étions fixés d'avance sur le résultat de la visite. Mais on ne sait jamais... Un doute peut surgir, une situation délicate survenir. Dans le cabinet du Directeur, nous apprîmes aussi certains détails sur la santé de la condamnée de nature à la dépoétiser quelque peu... Le temps était venu. DEVANT LA CELLULE Le cortège avançait maintenant dans un sombre couloir à peine éclairé par quelques becs de gaz vacillant. Le bruit des pas lourds retentissait bruyamment dans les corridors on marche toujours ainsi vers la cellule des condamnés à mort en faisant le plus de bruit possible dans la pensée de trouver le condamné éveillé. C'est une minute tragique que celle qui précède l'arrivée devant la porte fatale. On se dit que, à quelques mètres, il y a là un être humain qui dort, qui rêve ou qui pense, qui espère certainement, et que, dans quelques secondes, cet être va être bouleversé, terrorisé à l'annonce brutale qu'il va mourir. Cet instant est véritablement terrible. Chaque fois que je me suis trouvé dans le lugubre cortège allant frapper à la porte du condamné — j'ai conduit à la mort une vingtaine de traîtres et d'espions — j'ai senti mon cœur battre avec violence et j'ai éprouvé une angoisse indicible. Cette fois, il s'agissait d'une femme, jeune encore, célébrée dans tous les cénacles comme la déesse de la danse, la prêtresse de l'amour, l'incarnation de la poésie et de la beauté. Son corps onduleux flottait avec une grâce infinie parmi le désordre des voiles et l'ivresse des parfums, — cette phrase d'un de ses adorateurs me revenait à l'esprit — et toute cette chair rose, vivante, pensante, palpitante, n'allait plus être dans quelques heures qu'une masse hideuse... Mais je me reportais vite au magistral réquisitoire du lieutenant Mornay évoquant la mort de nos soldats, les souffrances des blessés, les larmes des mères et des enfants. Le mal que cette femme a fait est incroyable c'est peut-être la plus grande espionne du siècle. Allons ! Allons, pas de pitié. Le chemin pour arriver jusqu'à la cellule de Mata me parut tout de même long. Encore un couloir. C'est ici. Le verrou est poussé brusquement avec fracas. La porte s'ouvre... Le lit de Mata-Hari se trouvait à gauche dans le fond de la cellule. Les deux autres couchettes étaient placées perpendiculairement de chaque côté les auxiliaires qui l'occupaient, réveillés en sursaut, se frottaient les yeux, hésitant sur ce qu'elles devaient faire au milieu de tous ces hommes qui les entouraient tout à coup elles prirent le parti de s'habiller. LE RÉVEIL Les magistrats étaient entrés en trombe. Mata-Hari dormait. On la secoua doucement. — L'heure de la justice est venue... Votre recours en grâce a été rejeté par M. le Président de la République... Il faut vous lever... Ayez du courage. — Comment ? fit la condamnée. Ce n'est pas possible !... Ce n'est pas possible !... Des officiers ?... Elle aperçut dans le groupe son avocat. — Merci d'être venu, fit-elle en lui tendant la main. Le défenseur, penché vers elle, murmura quelques mots à voix basse. Nous entendîmes : — Marguerite, si vous voulez... enceinte... le Code pénal. Dites que... c'est l'article 27. Le docteur Socque s'approcha. — Marguerite, je vous en supplie, laissez-vous examiner... fit l'avocat d'une voix tremblante. La condamnée se mit brusquement sur son séant en rejetant la couverture. Assise, les jambes nues, elle dit, avec un mouvement de révolte, d'une voix forte : — Non ! Non ! Je ne suis pas enceinte. Je ne veux pas recourir à ce subterfuge... Non... Il est inutile de m'examiner. Je vais me lever... Et d'un bond elle se dressa dans sa chemise de grosse toile blanche, laissant voir sa poitrine. — Petite sœur Marie, passez-moi mon beau linge que nous avons mis de côté, là-haut, sur la planche. Le pasteur Darboux lui parla à l'oreille. — Oui, tout à l'heure. Et elle s'habilla tranquillement, à peine aidée par les deux auxiliaires. — Puis-je mettre un corset ? Et sur un signe affirmatif du directeur — Donnez-moi aussi mon cache-corset en dentelles... Maintenant le peigne... En même temps, elle s'agenouilla aux pieds du pasteur. Celui-ci prit un quart en fer-blanc, le remplit d'eau et le jeta sur la tête de Mata pendant que, toujours agenouillée, elle continuait à se coiffer. C'était une sorte de baptême. Je n'ai pas compris cette cérémonie chez une protestante. On m'a dit que c'était un rite spécial à certaine secte de la religion de Luther[2]. Les auxiliaires lui avaient ajusté ses fines bottines c'était à peu près tout ce qui lui restait de son ancien luxe. — Maintenant, mes gants. Elle les boutonna longuement, attentivement. On lui passa son chapeau. — Il me va bien, n'est-ce pas, maitre ? dit-elle à son avocat. Mais il me faut mes épingles à chapeau. —Nous ne les avons pas, dit petite sœur Marie. — C'est défendu par le règlement, fit le directeur. Le greffier capitaine Thibault s'avança, un crayon et une feuille de papier à la main — Avez-vous des révélations à faire ? — Moi ? fit Mata, comme en colère. Je n'ai rien à vous dire et, si j'avais quelque chose à dire, ce n'est pas à vous que je le dirais. Et elle haussa les épaules en toisant les officiers avec dédain. Petite sœur Marie fondait en larmes. — Ne pleurez pas, sœur Marie. Ne pleurez pas... Soyez gaie comme moi. Et lui tapotant les joues : — Comme elle est petite, la sœur Marie ! Il faudrait deux sœurs Marie peur faire une Mata !... Ne pleurez pas. La brave sœur de charité était secouée par les sanglots. — Voyons, reprit Mata. Figurez-vous que je pars pour un grand voyage, que je vais revenir et qu'on se retrouvera. D'ailleurs vous allez venir un peu avec moi, n'est-ce pas ? Vous m'accompagnerez. Et elle l'embrassa. LES DERNIÈRES LETTRES Les préparatifs étaient terminés. Se tournant vers son avocat, elle lui dit : — Ah ! Voici un paquet de lettres à remettre. Mais j'en ai encore deux ou trois à faire... — Vous les écrirez en bas, au greffe, lui dit le directeur. Mata jeta un coup d'œil sur la glace, rajusta son chapeau, arrangea ses cheveux, puis, tapant du pied, du ton d'une femme en colère, mais qui se dompte : — Je suis prête, messieurs ! Les magistrats sortirent. La condamnée suivit, entre l'avocat et le pasteur. En franchissant la porte un gardien voulut lui prendre le bras : — Ne me touchez pas ! Ne me touchez pas ! dit-elle avec véhémence. Je veux que personne ne me touche. Sœur Marie, donnez-moi la main. Le cortège se mit en marche. Mata avançait d'un pas rapide, entraînant la petite Sœur de charité. On arriva au greffe. — Voici de quoi écrire, lui dit le gardien chef. Mata s'assit, enleva un gant, et pendant sept à huit minutes fit des lettres et des enveloppes. — Maître, dit-elle à son avocat, prenez ces lettres, mettez-les sous enveloppe... Mais ne vous trompez pas d'adresse !... Vous seriez la cause de troubles dans les familles... Et elle se mit à rire. — Surtout ne vous trompez pas d'enveloppe ! Elle était maintenant au seuil de la petite porte donnant sur la cour. Une automobile trépidait ; un gendarme tenait la portière ouverte. Je fis baisser les stores et la condamnée alla s'asseoir dans le fond ; le pasteur Darboux se mit à côté d'elle ; en face, sur les strapontins, la sœur Marie et une autre sœur de charité. Un gendarme prit place à côté du chauffeur. C'était tout comme gardiens L'attitude de la condamnée n'exigeait aucune autre précaution. Je donnai le signal du départ. En tête la voiture des magistrats militaires, puis la voiture de la condamnée, ma voiture, celle du docteur Soquet, et une voiture de secours en cas de panne. Cette dernière était vide au départ ; à l'arrivée je m'aperçus qu'elle contenait six personnes ! Nous roulions à une allure modérée vers la place de la Nation et la porte Daumesnil, quand, tout à coup, nous fûmes entourés, précédés, suite vis par une vingtaine d'automobiles contenant les journalistes. Ils se décidèrent à se grouper et à aller prendre la tête du cortège pour filer sur Vincennes. Au milieu de l'avenue ils prirent droite pour se diriger par le bois vers la butte de tir. Mais ce n'était pas le chemin ! Et la route était barrée ! Nous continuâmes tout droit pour aller au fort. Les journalistes constatèrent que nous ne les suivions pas et, pendant que nous les dépassions, je les vis faire des gestes de désolation. Je comprenais leur ennui et je les plaignis bien sincèrement. COMME LA TOSCA Décidément Mata-Hari se tenait bien et cela surprenait un peu. — C'est une comédienne, disait-on. Et puis son défenseur lui a fait croire que, comme dans la Tosca, les fusils seront chargés à blanc. C'est pour cela qu'elle montre tant de confiance. Elle se figure qu'il n'y a pas de balles dans les cartouches et qu'on ne la tuera pas, à cause de ses hautes relations. — C'est une histoire ridicule, répondis-je. La danseuse sait très bien qu'elle va mourir. Quand elle a refusé de se laisser visiter par le médecin, elle savait qu'elle repoussait sa dernière chance de salut. D'ailleurs son avocat a démenti formellement cette légende tout à l'heure. La légende n'en a pas moins persisté. Il n'y a rien de plus difficile à détruire qu'une légende. J'ai même entendu des gens venir m'affirmer — à moi ! — que Mata-Hari n'était pas morte. Si je n'avais pas été là j'aurais fini par le croire, tout au moins j'aurais douté... Mais reprenons notre récit. L'ESCORTE DES DRAGONS Avant d'aller sur le théâtre de l'exécution on passe toujours par le donjon. Là on stationne quelques minutes pour attendre la formation de l'escorte de dragons, qui, à partir du fort jusqu'au poteau, encadre le cortège. Une voiture contenant des reporters avait pu entrer avec nous dans le fort. Je fis mine de ne pas la voir. Mais le commandant du fort l'aperçut et l'obligea à faire demi-tour. — Sabre... main ! commanda le chef du peloton d'escorte. Et nous voici en route pour la dernière étape. On prend des chemins défoncés, les voitures ne peuvent avancer qu'au pas en cahotant fortement. Des vedettes parcourent au galop la plaine morne pour ne pas laisser approcher. L'aube pointe dans un ciel gris. Dans le lointain le sifflet d'une usine appelle les ouvriers au travail. Voici la butte sinistre ; au pied le poteau, ou plutôt le pieu fait 'd'un mince tronc d'arbres. Les troupes sont alignées sur trois lignes formant un carré avec la butte de tir. Il y a là des détachements de toutes les armes. La voiture de la condamnée s'arrête à un des angles du carré. Le pasteur Darboux, chancelant, descend le premier. Il est très troublé, le pasteur ! Mata-Hari descend sans aide, se retourne et tend la main aux deux sœurs de charité pour les aider à sortir de la voiture. A ce moment on n'aurait pu dire qui allait être fusillé. On aurait pu croire que c'était le pasteur. Deux gendarmes se mettent aux côtés de la condamnée. Mais elle les repousse : — Venez, petite sœur Marie, tenez-moi fort par la main. Trois pas la séparent des troupes. — Présentez... armes ! commande d'une voix de stentor le chef du rassemblement. Mata-Hari parait très sensible à cet hommage suprême. Alors, de l'air d'une princesse qui passe la revue de la compagnie d'honneur qui l'attend à la gare — ce qu'elle avait fait souvent quand elle accompagnait le kronprinz — elle défile lentement, majestueusement, en s'inclinant devant les troupes. Les trompettes de l'artillerie sonnent la marche. Sabres au clair et baïonnettes au canon reluisent dans l'atmosphère devenue limpide. Non loin, un petit pierrot qui regardait, perché sur un arbre, se mit à gazouiller. Chose bizarre, mata-hari en indien signifie oiseau du matin et c'est l'oiseau du matin qui venait la saluer avant de mourir[3]. DEVANT LE POTEAU La condamnée n'est plus qu'à une dizaine de mètres du poteau. Droite, dans sa robe bleue sur le tapis formé par l'herbe verte, elle est fière et regarde les soldats avec assurance. Tout à coup elle dit à la petite sœur Marie — Maintenant, c'est fini !... Lâchez-moi. Et d'un geste saccadé, nerveux, elle rompt l'étreinte. Son avocat l'embrasse. Le pasteur se met devant elle et les gendarmes la poussent doucement vers le poteau. Le greffier Thibault lit rapidement le jugement : Par arrêt du 3e conseil de guerre la femme Zelle a été condamnée à mort pour espionnage. Au pas gymnastique un peloton de douze chasseurs à pied, — des blessés couverts de brisques rangé sur le côté, par une rapide conversion vient se placer face à la condamnée. Un gendarme veut l'attacher au poteau en lui passant une corde autour de la ceinture. Elle proteste. Un infirmier lui présente un bandeau fait d'un mouchoir rouge elle le repousse et redresse la tête. Le pasteur Darboux, qui lui cache la vue du peloton, l'exhorte et n'en finit pas. Tout le monde s'énerve. La scène — une grande dernière — qu'on dirait étudiée et préparée, dure trop longtemps. Enfin le pasteur s'écarte. L'adjudant lève son sabre et commande — Joue !... Mata-Hari sourit. Dernier sourire à son dernier public ! De la main elle envoie des baisers à l'avocat et au pasteur. Les deux sœurs sont à genoux, les mains jointes. — Feu ! Une détonation, une seule pour douze coups de fusil. Mata-Hari est à terre au pied du poteau. Son corps n'a pas un tressaillement, pas un mouvement réflexe. Un maréchal des logis donne le coup de grâce dans l'oreille et la tète rebondit légèrement comme une balle élastique. Un commandement retentit : — Pour défiler... En avant... Marche ! Les trompettes sonnent et les troupes passent devant un amas de jupons. Le docteur Socquet s'approche ; il dégrafe le corsage et palpe la poitrine. — La mort a été déterminée par une balle dans le cœur, dit-il en lavant ses mains rouges de sang. Les deux sœurs de charité, toujours en prières, se relèvent. Petite sœur Marie s'approche et détache une bague du doigt de la morte. Cadeau suprême sans doute pour le dernier amant ! — Personne ne réclame le corps ? demande le greffier. Je regarde l'avocat. Personne ! Ô ingratitude ! Et le corps de bronze de la danseuse aux cent voiles, — ou sans voiles, — ce corps si ardemment désiré et disputé, fut jeté dans une grossière bière de sapin, puis chargé comme un colis sur un fourgon du train. Je vois encore les deux tringlots, assis sur le cercueil, fumant philosophiquement leur pipe et devisant avec les deux gendarmes à cheval qui suivaient. Au cimetière, il n'y eut qu'un simulacre d'inhumations Le corps fut porté à l'amphithéâtre et disséqué ; les morceaux furent dispersés un peu partout. Ainsi finit Manon... Pardon ! Ainsi finit Marguerite Zelle, dite Mata-Hari, à l'âge de 41 ans. |