I — L’AVENTURE DE SATNI-KHAMOÎS AVEC LES MOMIESLe dernier feuillet de ce conte porte une date de l’an XV d’un roi dont le nom n’a jamais été écrit, mais qui ne peut être que l’un des Ptolémées. Deux manuscrits au moins en existent dont les fragments se trouvent actuellement au Musée du Caire. Le premier a été découvert et publié par Mariette, Les Papyrus du Musée de Boulaq, 1874, t. I, pl. 29-32, d’après un fac-similé d’Émile Brugsch, puis par Krall, Demotische Lesestücke, 1897, in-fol, pl. 29-32, d’après l’édition de Mariette collationnée sur l’original. Il se composait de six pages numérotées de 1 à 6 : les deux premières sont perdues et le commencement de toutes les lignes de là troisième fait défaut. Le second manuscrit a été découvert par Spiegelberg parmi des feuillets détachés provenant du Fayoum, et il a été publié par lui dans notre Catalogue, Demotische Denkmäler, 2° partie, die Demotische Papyri, in-4°, 1906, Texte, p. 142-115. Il est fort mutilé et c’est au plus si l’on y distingue quelques phrases suivies, se rapportant aux incidents qui accompagnent la descente de Satni au tombeau de Nénoferképhtah. Le texte du premier manuscrit a été traduit par : H. Brugsch, Le Roman de Setnau contenu dans un papyrus démotique du Musée égyptien à Boulaq, dans la Revue archéologique, 2e série, t. XVI (sept. 1867), p. 164-179. Lepage-Renouf, The Tale of Setnau (from the version of Dr Heinrich Brugsch-Bey), dans les Records of the Past, 1875, 1ère série, t. IV, p. 129-148. E. Révillout, Le Roman de Setna, Étude philologique et critique avec traduction mot à mot du texte démotique, introduction historique et commentaire grammatical, Paris, Leroux, 1877-1880,45, 48, 224 p. in-8°. Maspero, Une page du Roman de Satni, transcrite en hiéroglyphes, dans la Zeitschrift für Ægyptische Sprache und Alterthumskunde, 1877, p. 132-146, 1878, p. 15-22. G. Maspero, traduction du conte entier, moins les huit premières lignes du premier feuillet restant, dans le Nouveau fragment de commentaire sur le second livre d’Hérodote, Paris, Chamerot, 1879, in-8°, de la page 22 à la page 46. Lu à l’Association pour l’encouragement des études grecques en France, en mai-juin 1878, publié dans l’Annuaire pour 1878. H. Brugsch, Setna, ein altœgyptischer Roman, von H. Brugsch-Bey, Kairo-Sendschreiben an D. Heinrich Sachs-Bey zu Kairo, dans la Deutsche Revue, III (1 novembre 1878), p. 1-21. E. Révillout, Le Roman de Setna, dans la Revue archéologique, 1879. Tirage à part chez Didier, in-8°, 24 p. et 1 planche. Jean-Jacques Hess, Der demotische Roman von Sine Ha-m-us, Text, Uebersetzung, Commentar und Glossar, 1888, Leipzig, J.-C. Hinrichs’sche Buchhandlung, 18-205 p. Flinders Petrie, Egyptian Tales, 1895, Londres, in-12°, t. II, p. 87-141. F. LI. Griffith, the Story of Setna, dans les Specimen Pages of the World’s best Literature, 1898, New-York, in-4°, p. 5262-5274. F. LI. Griffith, Stories of the High-Priests of Memphis, the Sethon of Herodotus and the Demotic tales of Khamuas, 1900, Oxford, at the Clarendon Press, in-8°, p. x-208. A. Wiedemam, Altægyptische Sagen und Mœrchen, pet. in-8°, 1906, Leipzig, p. 118-146. Révillout, le Roman dit du Satine Khaemouas, dans la Revue Égyptologique, t. XII, p. 410-112, t. XIII p. 38-43, etc. La première traduction de Révillout a été popularisée par Rosny, Taboubou, 1892, Paris, in-32, dans la petite collection Guillaume, et l’une des données maîtresses de l’histoire, le retour d’une princesse égyptienne sur la terre pour se venger d’un ennemi, a été utilisée par la romancière anglaise. Marie Corelli dans un de ses livres les plus étranges, Ziska Charmezel. Le nom du scribe qui a écrit notre manuscrit a été signalé par : J. Krall, Der Name des Schreibers der Chamois-Sage, dans le volume des Études dédiées à M. le professeur Leemans, Leyde, Brill, 1886, in-fol, et lu par lui Ziharpto, mais cette lecture est peu certaine. Tout le début, jusqu’au point où ‘nous rencontrons le texte du premier manuscrit, est rétabli, autant que possible, avec les formules mêmes employées dans le reste du récit ; j’y ai introduit tant bien que mal l’analyse des détails que Spiegelberg a réussi à extraire du second manuscrit. Une note indique où finit la restitution et où commence ce qui subsiste du conte original. Il y avait une fois un roi, nommé Ousimarès, v. s, f.[1], et ce roi avait un fils nommé Satni-Khâmoîs et le frère de lait[2] de Satni-Khâmoîs s’appelait Inarôs de son nom. Et Satni-Khâmoîs était fort instruit en toutes choses. Il passait son temps à courir la nécropole de Memphis pour y lire les livres en écriture sacrée, et les livres de la Double maison de vie[3], et les ouvrages qui sont gravés sur les stèles et sur les murs des temples ; il connaissait les vertus des amulettes et des talismans ; il s’entendait à les composer et à rédiger des écrits puissants, car c’était un magicien qui n’avait point son pareil en la terre d’Égypte[4]. Or, un jour qu’il se promenait sur le parvis du temple de Phtah lisant les inscriptions, voici, un homme de noble allure qui se trouvait là se prit à rire. Satni lui dit : Pourquoi te ris-tu de moi ? Le noble dit : Je ne ris point de toi ; mais puis-je m’empêcher de rire quand tu déchiffres ici des écrits qui n’ont aucune puissance ? Si vraiment tu désires lire un écrit efficace, viens avec moi ; je te ferai aller au lieu où est ce livre que Thot a écrit de sa main lui-même, et qui te mettra immédiatement au-dessous des dieux. Les deux formules qui y sont écrites, si tu en récites la première, tu charmeras le ciel, la terre, le monde de la nuit, les montagnes, les eaux ; tu comprendras ce que les oiseaux du ciel et les reptiles disent tous quants ils sont ; tu verras les poissons, car une force divine les fera monter à la surface de l’eau. Si tu lis la seconde formule, encore que tu sois dans la tombe, tu reprendras la forme que tu avais sur la terre ; même tu verras le soleil se levant au ciel, et son cycle de dieux, la lune en la forme qu’elle à lorsqu’elle paraît. Satni dit : Par la vie ! qu’on me dise ce que tu souhaites et je te le ferai donner ; mais mène-moi au lieu où est le livre ! Le noble dit à Satni : Le livre en question n’est pas mien. Il est au milieu de la nécropole, dans la tombe de Nénoferképhtah, fils dû roi Mérénephthis[5], v. s. f. Garde-toi bien de lui enlever ce livre, car il te le ferait rapporter, une fourche et un bâton à la main, un brasier allumé sûr la tête. Sur l’heure que le noble parla à Satni, celui-ci ne sut plus en quel endroit du monde il se trouvait ; il alla devant le roi, et il dit devant le roi toutes les paroles que le noble lui avait dites. Le roi lui dit : Que désires-tu ? Il lui dit : Permets que je descende dans le tombeau de Nénoferképhtah, fils du roi Mérénephthis v. s. f. Je prendrai Inarôs, mon frère de lait, avec moi, et je rapporterai ce livre. Il se rendit à la nécropole de Memphis ; avec Inarôs, son frère de lait. Ils passèrent trois jours et trois nuits à chercher parmi les tombes qui sont dans la nécropole de Memphis, lisant les stèles de la Double maison de vie, récitant les inscriptions qu’elles portaient ; le troisième jour, ils connurent l’endroit où reposait Nénoferképhtah. Lorsqu’ils eurent reconnu l’endroit où reposait Nénoferképhtah, Satni récita sur lui un écrit et, un vide se fit dans la terre, et Satni descendit vers le lieu où était le livre[6]. Ce qu’il y aperçut de prime abord, nous ne le savons point. Il semble d’après le fragment découvert avec Spiegelberg que l’homme rencontré sur le parvis du temple de Phtah n’était autre que Nénoferképhtah lui-même. Celui-ci n’avait sa femme et son fils avec lui dans son tombeau qu’à titre temporaire, mais il désirait les établir définitivement et il comptait se servir de Satni pour transporter leurs momies, de Coptos, où elles étaient enterrées, dans la nécropole memphite. Satni, trop pressé de descendre dans l’hypogée, n’avait pas accompli tous les rites nécessaires et n’avait pas pu forcer la porte : Nénoferképhtah lui apparut et lui indiqua les sacrifices expiatoires que les Mânes exigeaient. Des corbeaux et des vautours le menèrent en sécurité à l’endroit voulu : au point même où ils se posèrent, une pierre se trouva que Satni souleva aussitôt et qui masquait l’entrée du tombeau[7]. Lorsqu’il y pénétra, voici, il était clair comme si le soleil y entrait, car la lumière sortait du livre et elle éclairait tout alentour[8]. Et Nénoferképhtah n’était pas seul dans la tombe, mais sa femme Ahouri et Maîhêt[9], son fils, étaient avec lui ; car, bien que leurs corps reposassent à Coptos, leur double[10] était avec lui par la vertu du livre de Thot. Et, quand Satni pénétra dans la tombe, Ahouri se dressa et lui dit : Toi, qui es-tu ? Il dit : Je suis Satni-Khâmoîs, fils du roi Ousimarès, v. s. f. : je suis venu pour avoir ce livre de Thot, que j’aperçois entre toi et Nénoferképhtah. Donne-le moi, sinon, je te le prendrai de force. Ahouri dit : Je t’en prie, ne t’emporte point, mais écoute plutôt tous les malheurs qui me sont arrivés à cause de ce livre dont tu dis : Qu’on me le donne ! Ne dis point cela, car à cause de lui, on nous a pris le temps que nous avions à rester sur terre. Je m’appelle Ahouri, fille du roi Mérénephthis, v. s. f., et celui que tu vois là, à côté de moi, est mon frère Nénoferképhtah. Nous sommes nés d’un même père et d’une même mère, et nos parents n’avaient point d’autres enfants que nous. Quand vint l’âge de me marier, on m’amena devant le roi au moment de se divertir devant le roi[11] : j’étais très parée, et l’on me trouva belle. Le roi dit : Voici qu’Ahouri, notre fille, est déjà grande, et le temps est venu de la marier. Avec qui marierons-nous Ahouri, notre fille ? Or, j’aimais Nénoferképhtah mon frère, extrêmement, et je ne désirais d’autre mari que lui[12]. Je le dis à ma mère, elle alla trouver le roi Mérénephthis, elle lui dit : Ahouri, notre fille, aime Nénoferképhtah, son frère aîné : marions-les ensemble, comme c’est la coutume. Quand le roi entendit toutes les paroles que ma mère avait dites, il dit : Tu n’as eu que deux enfants, et tu veux les marier l’un avec l’autre ? Ne vaut-il pas mieux marier Ahouri avec le fils d’un général d’infanterie et Nénoferképhtah avec la fille d’un autre général d’infanterie ? Elle dit : C’est toi qui me querelles ?[13] Même si je n’ai pas d’enfants après ces deux enfants-là, n’est-ce pas la loi de les marier l’un à I’autre ? — Je marierai Nénoferkphtah avec la fille d’un chef de troupes, et Ahouri avec le fils d’un autre chef de troupes, et puisse cela tourner à bien pour notre famille ! Quand ce fut le moment de faire fête devant Pharaon, voici, on vint me chercher, on m’amena à la fête ; j’étais très troublée et je n’avais plus ma mine de la veille. Or Pharaon me dit : Est-ce pas toi qui as envoyé vers moi ces sottes paroles : Marie-moi avec Nénoferképhtah mon frère aîné ? Je lui dis : Eh bien ! qu’on me marie avec le fils d’un général d’infanterie, et qu’on marie Nénoferképhtah avec la fille d’un autre général d’infanterie, et puisse cela tourner à bien pour notre famille ! — Je ris, Pharaon rit, Pharaon dit au chef de la maison royale : Qu’on emmène Ahouri à la maison de Nénoferképhtah cette nuit même. Qu’on emporte toute sorte de beaux cadeaux avec elle. Ils m’emmenèrent comme épouse à la maison de Nénoferképhtah, et Pharaon ordonna qu’on m’apportât un grand douaire en or et en argent et tous les gens de la maison royale me les présentèrent. Nénoferképhtah passa un jour heureux avec moi ; il reçut tous les gens de la maison royale, et il dormit avec moi cette nuit même, et il me trouva vierge, et il me connut encore et encore, car chacun de nous aimait l’autre. Quand vint le temps de mes purifications, voici, je n’eus pas de purifications à faire. On l’alla annoncer à Pharaon, et son cœur s’en réjouit beaucoup, et il fit prendre toute sorte d’objets précieux sur les biens de la maison royale, et il me fit apporter de très beaux cadeaux en or, en argent, en étoffes de fin lin. Quand vint pour moi le temps d’enfanter, j’enfantai ce petit enfant qui est devant toi. On lui donna le nom de Maîhêt, et on l’inscrivit sur les registres de la Double maison de vie[14]. Et beaucoup de jours après cela, Nénoferképhtah, mon frère, semblait n’être sur terre que pour se promener dans la nécropole de Memphis, récitant les écrits qui sont dans les tombeaux des Pharaons, et les stèles des scribes de la Double maison de vie[15], ainsi que les écrits qui sont tracés sur elles, car il s’intéressait aux écrits extrêmement. Après cela, il y eut une procession en l’honneur du dieu Phtah, et Nénoferképhtah entra au temple pour prier. Or tandis qu’il marchait derrière la procession, déchiffrant les écrits qui sont sur les chapelles des dieux, un vieillard l’aperçut et rit. Nénoferképhtah lui dit : Pourquoi te ris-tu de moi ? Le prêtre dit : Je ne me ris point de toi ; mais puis-je m’empêcher de rire, quand tu lis ici des écrits qui n’ont aucune puissance ? Si vraiment tu désires lire un écrit, viens à moi, je te ferai aller au lieu où est ce livre que Thot écrivit de sa main[16], lui-même, lorsqu’il vint ici-bas à la suite des dieux. Les deux formules qui y sont écrites, si tu récites la première, tu charmeras le ciel, la terre, le monde de la nuit, les montagnes, les eaux ; tu comprendras ce que les oiseaux du ciel et les reptiles disent, tous quants ils sont ; tu verras les poissons de l’abîme, car une force divine posera sur l’eau au-dessus d’eux. Si tu lis la seconde formule, encore que tu sois dans la tombe, tu reprendras la forme que tu avais sur terre ; même tu verras le soleil se levant au ciel avec son cycle de dieux, et la lune en la forme qu’elle a lorsqu’elle paraît[17]. Nénoferképhtah dit au prêtre : Par la vie du roi ! qu’on me dise ce que tu souhaites de bon, et je te le ferai donner si tu me mènes au lieu où est ce livre. Le prêtre dit à Nénoferképhtah : Si tu désires que je t’envoie au lieu où est ce livre, tu me donneras cent pièces d’argent[18] pour ma sépulture, et tu me feras faire deux cercueils[19] de prêtre riche. Nénoferképhtah appela un page et il commanda qu’on donnât les cent pièces d’argent au prêtre puis il lui fit faire les deux cercueils qu’il désirait ; bref, il accomplit tout ce que le prêtre avait dit. Le prêtre dit à Nénoferképhtah : Le livre en question est au milieu de la mer de Coptos[20], dans un coffret de fer. Le coffret de fer est dans un coffret de bronze ; le coffret de bronze « est dans un coffret de bois de cannelier[21] ; le coffret de bois de cannelier est dans un coffret d’ivoire et d’ébène ; le coffret d’ivoire et d’ébène est dans un coffret d’argent ; le coffret d’argent est dans un coffret d’or, et le livre est dans celui-ci[22]. Et il y a un schœne[23] de serpents, de scorpions et de toute sorte de reptiles autour du coffret dans lequel est le livre, et il y a un serpent immortel[24] enroulé autour du coffret en question. Sur l’heure que le prêtre parla à Nénoferképhtah, celui-ci ne sut plus en quel endroit du monde il se trouvait. Il sortit du temple, il s’entretint avec moi de tout ce qui lui était arrivé, il me dit : Je vais à Coptos, j’en rapporterai ce livre, puis je ne m’écarterai plus du pays du Nord. Or, je m’élevai contre le prêtre, disant : Prends garde à Amon pour toi-même, à cause de ce que tu as dit à Nénoferképhtah. Car tu m’as amené la querelle, tu m’as apporté la guerre, et le pays de Thébaïde, je le trouve hostile à mon bonheur[25]. Je levai ma main vers Nénoferképhtah pour qu’il n’allât pas à Coptos, mais il ne m’écouta pas, il alla devant Pharaon, et il dit devant Pharaon toutes les paroles que le prêtre lui avait dites. Pharaon lui dit : Quel est le désir de ton cœur ? Il lui dit : Qu’on me donne la cange royale tout équipée. Je prendrai Ahouri, ma sœur, et Maîhêt, son petit enfant, au midi, avec moi ; j’apporterai ce livre et je ne m’écarterai plus d’ici. On lui donna la cange tout équipée, nous nous embarquâmes sur elle, nous fîmes le voyage ; nous arrivâmes à Coptos. Quand on l’annonça aux prêtres d’Isis de Coptos et au supérieur des prêtres d’Isis, voici qu’ils descendirent devant nous ils se rendirent sans tarder au-devant de Nénoferképhtah, et leurs femmes descendirent au-devant de moi[26]. Nous débarquâmes et nous allâmes au temple d’Isis et d’Harpocrate. Nénoferképhtah fit venir un taureau, une oie, du vin, il présenta une offrande et une libation devant Isis de Coptos et Harpocrate ; puis on nous emmena dans une maison, qui était fort belle et pleine de toute sorte de bonnes choses. Nénoférképhtah passa cinq jours à se divertir avec les prêtres d’Isis de Coptos, tandis que les femmes des prêtres d’Isis de Coptos se divertissaient avec moi[27]. Arrivé le matin de notre jour suivant, Nénoferképhtah fit apporter de la cire pure en grande quantité devant lui : il en fabriqua une barque[28] remplie de ses rameurs et de ses matelots, il récita un grimoire sur eux, il les anima ; il leur donna la respiration ; il les jeta à l’eau[29]. Il remplit la cange royale de sable, il prit congé de moi[30], il s’embarqua et je m’installai moi-même sur la mer de Coptos, disant : Je saurai ce qu’il lui arrive ! Il dit : Rameurs, ramez pour moi jusques au lieu où est ce livre, et ils ramèrent pour lui, la nuit comme le jour. Quand il y fut arrivé en trois jours, il jeta du sable devant lui et un vide se produisit dans le fleuve. Lorsqu’il eut trouvé un schœne de serpents, de scorpions et de toute sorte de reptiles autour du coffret où se trouvait le livre, et qu’il eut reconnu un serpent éternel autour du coffret lui-même, il récita un grimoire sur le schœne de serpents, de scorpions et de reptiles qui était autour du coffret et il les rendit immobiles[31]. II vint à l’endroit où le serpent éternel se trouvait, il fit assaut avec lui, il le tua : le serpent revint à la vie et reprit sa forme de nouveau. Il fit assaut avec le serpent une seconde fois, il le tua : le serpent revint encore à la vie. Il fit assaut avec le serpent une troisième fois, il le coupa en deux morceaux, il mit du sable entre morceau et morceau : le serpent mourut, et il ne reprit point sa forme d’auparavant[32]. Nénoferképhtah alla au lieu où était le coffret, et il reconnut que c’était un coffret de fer. Il l’ouvrit, et il trouva un coffret de bronze. Il l’ouvrit, et il trouva un coffret en bois de cannelier. Il l’ouvrit, et il trouva un coffret d’ivoire et d’ébène. Il l’ouvrit, et il trouva un coffret d’argent. Il l’ouvrit, et il trouva un coffret d’or. Il l’ouvrit, et il reconnut que le livre était dedans. Il tira le livre en question hors le coffret d’or et il récita une formule de ce qui y était écrit : il enchanta le ciel, la terre, le monde de la nuit, les montagnes, les eaux ; il comprit tout ce que disaient les oiseaux du ciel, les poissons de l’eau, les quadrupèdes de la montagne. Il récita l’autre formule de l’écrit et il vit le soleil qui montait au ciel avec son cycle de dieux, la lune levante, les étoiles en leur forme ; il vit les poissons de l’abîme, car une force divine posait sur l’eau au-dessus d’eux. Il récita un grimoire sur l’eau et il lui fit reprendre sa forme première. Il s’embarqua de nouveau ; il dit aux rameurs : Ramez pour moi jusques au lieu où est Ahouri. Ils ramèrent pour lui, la nuit comme le jour. Quand il fut arrivé à l’endroit où j’étais, en trois jours, il me trouva assise près la mer de Coptos : je ne buvais ni ne mangeais, je ne faisais chose du monde, j’étais comme une personne arrivée à la Bonne Demeure[33]. Je dis à Nénoferképhtah : Par la vie du roi ! donne que je voie ce livre, pour lequel nous avons pris toutes ces peines. Il me mit le livre en main. Je lus une formule de l’écrit qui y était : j’enchantai le ciel, la terre, le monde de la nuit, les montagnes, les eaux ; je compris tout ce que disaient les oiseaux du ciel, les poissons de l’abîme, les quadrupèdes. Je récitai l’autre formule de l’écrit : je vis le soleil qui apparaissait au ciel avec son cycle de dieux, je vis la lune levante et toutes les étoiles du ciel en leur forme. Je vis les poissons de l’eau, car il y avait une force divine qui posait sur l’eau au-dessus d’eux. Comme je ne savais pas écrire, je le dis à Nénoferképhtah, mon frère aîné, qui était un scribe accompli et un homme fort savant ; il se fit apporter un morceau de papyrus vierge, il y écrivit toutes les paroles qu’il y avait dans le livre, il l’imbiba de bière il fit dissoudre le tout dans de l’eau. Quand il reconnut que le tout était dissous, il but et il sut tout ce qu’il y avait dans l’écrit[34]. Nous retournâmes à Coptos le jour même, et nous nous divertîmes devant Isis de Coptos et Harpocrate. Nous nous embarquâmes, nous partîmes, nous parvînmes au nord de Coptos, la distance d’un schœne. Or voici, Thot avait appris tout ce qui était arrivé à Nénoferképhtah au sujet de ce livre, et Thot ne tarda pas à plaider par devant Râ, disant : Sache que mon droit et ma loi sont avec Nénoferképhtah, fils du roi Mérénephthis, v, s. f. Il a pénétré dans mon logis, il l’a pillé, il a pris mon coffret avec mon livre d’incantations, il a tué mon gardien qui veillait sur le coffret. On[35] lui dit : Il est à toi, lui et tous les siens, tous. On fit descendre du ciel une force divine, disant : Que Nénoferizéphtah n’arrive pas sain et sauf à Memphis, lui et quiconque est avec lui. A cette heure même, Maîhêt, le jeune enfant, sortit de dessous le tendelet de la cange de Pharaon, il tomba au fleuve, et, tandis qu’il louait Râ[36], quiconque était à bord poussa un cri. Nénoferképhtah sortit de dessous la cabine ; il récita un grimoire sur l’enfant et il le fit remonter, car il y eut une force divine qui se posa sur l’eau au-dessus de lui. Il récita un grimoire sur lui, il lui fit raconter tout ce qui lui était arrivé, et l’accusation que Thot avait portée devant Râ. Nous retournâmes à Coptos avec lui, nous le fîmes conduire à la Bonne Demeure, nous veillâmes à ce qu’on prit soin de lui, nous le fîmes embaumer comme il convenait à un grand, nous le déposâmes dans son cercueil, au cimetière de Coptos. Nénoferképhtah, mon frère, dit : Partons, ne tardons pas de revenir avant que le roi entende ce qui nous est arrivé, et que son cœur soit troublé à ce sujet. Nous nous embarquâmes, nous partîmes, nous ne tardâmes pas à arriver au nord de Coptos, la distance d’un schœne, à l’endroit où le petit enfant Maîhêt était tombé au fleuve. Je sortis de dessous le tendelet de la cange de Pharaon, je tombai au fleuve, et, tandis que je louai Râ, quiconque était à bord poussa un cri. On le dit à Nénoferképhtah et il sortit de dessous le tendelet de la cange de Pharaon. Il récita un grimoire sur moi et il me fit monter, car il y eut une force divine que se posa sur l’eau au-dessus de moi. Il me fit retirer du fleuve, il lut un grimoire sur moi, il me fit raconter tout ce qui m’était arrivé et l’accusation que Thot avait portée devant Râ. Il retourna à Coptos avec moi, il me fit conduire à la Bonne Demeure, il veilla à ce qu’on prît soin de moi, il me fit embaumer comme il convenait à quelqu’un de très grand, il me fit déposer dans le tombeau où était déjà déposé Maîhêt, le petit enfant. Il s’embarqua, il partit, il ne tarda pas à arriver au nord de Coptos, la distance d’un schœne, à l’endroit où nous étions tombés au fleuve. Il s’entretint avec son cœur, disant : Ne vaudrait-il pas mieux aller à Coptos et m’y établir avec eux ? Si, au contraire, je retourne à Memphis sur l’heure et que Pharaon m’interroge au sujet de ses enfants, que lui dirai-je ? Pourrai-je lui dire ceci : J’ai pris tes enfants avec moi vers le nome de Thèbes, je les ai tués et je vis, je reviens à Memphis vivant encore. Il se fit apporter une pièce de fin lin royal qui lui appartenait, il en façonna une bande magique, il en lia le livre, il le mit sur sa poitrine et il l’y fixa solidement[37]. Nénoferképhtah sortit de dessous le tendelet de la cange de Pharaon, il tomba à l’eau, et, tandis qu’il louait Râ, quiconque était à bord poussa un cri disant : Ô quel grand deuil, quel deuil lamentable ! N’est-il point parti le scribe excellent, le savant qui n’avait point d’égal ! La cange de Pharaon fit son voyage, avant que personne au monde sût en quel endroit était Nénoferképhtah. Quand on arriva à Memphis, on l’annonça à Pharaon et Pharaon descendit au-devant de la cange : il était en manteau de deuil, et la garnison de Memphis était tout entière en manteaux de deuil, ainsi que les prêtres de Phtah, le grand-prêtre de Phtah et tous les gens de l’entourage de Pharaon[38]. Et voici, ils aperçurent Nénoferképhtah qui était accroché aux rames-gouvernail de la cange de Pharaon, par sa science de scribe excellent[39] ; on l’enleva, on vit le livre sur sa poitrine, et Pharaon dit : Qu’on ôte ce livre qui est sur sa poitrine. Les gens de l’entourage de Pharaon ainsi que les prêtres de Phtah et le grand-prêtre de Phtah dirent devant le roi : Ô notre grand maître puisse-il avoir la durée de Râ ! — c’est un scribe excellent, un homme très savant que Nénoferképhtah[40]. Pharaon le fit introduire dans la Bonne Demeure l’espace de seize jours, revêtir d’étoffes l’espace de trente-cinq jours, ensevelir l’espace de soixante-dix jours ; puis on le fit déposer dans sa tombe parmi les demeures de repos. Je t’ai conté tous les malheurs qui nous sont arrivés à cause de ce livre dont tu dis : Qu’on me le donne ! Tu n’as aucun droit sur lui, car, à cause de lui, on nous a pris le temps que nous avions à rester sur la terre. Satni dit : Ahouri, donne-moi ce livre que j’aperçois entre toi et Nénoferképhtah, sinon je te le prends par force. Nénoferképhtah se dressa sur le lit et dit : N’es-tu pas Satni à qui cette femme a conté tous ces malheurs que tu n’as pas éprouvés ? Ce livre en question, es-tu capable de t’en emparer par pouvoir de scribe excellent[41] ou par ton habileté à jouer contre moi ? Jouons-le à nous deux[42]. Satni dit : Je tiens. Voici qu’on apporta la brette devant eux[43] avec ses chiens, et ils jouèrent à eux deux. Nénoferképhtah gagna une partie à Satni, il récita son grimoire sur lui, il plaça sur lui la brette à jouer qui était devant lui, et il le fit entrer dans le sol jusqu’aux jambes[44]. Il agit de même à la seconde partie, il la gagna à Satni et il le fit entrer dans le sol jusqu’à l’aine. Il agit de même à la troisième partie, et il fit entrer Satni dans le sol jusqu’aux oreilles. Après cela, Satni attaqua Nénoferképhtah de sa main, Satni appela Inarôs, son frère de lait, disant : Ne tarde pas à remonter sur la terre, raconte tout ce qui m’arrive par devant Pharaon, et apporte-moi les talismans de mon père Phtah[45] ainsi que mes livres de magie. Il remonta sans tarder sur la terre, il raconta devant Pharaon tout ce qui arrivait à Satni, et Pharaon dit : Apporte-lui les talismans de Phtah, son père, ainsi que ses livres d’incantations. Inarôs descendit sans tarder dans la tombe ; il mit les talismans sur le corps de Satni et celui-ci s’éleva de terre à l’heure même. Satni porta la main vers le livre et il le saisit ; et quand Satni remonta hors de la tombe, la lumière marcha devant lui et l’obscurité marcha derrière lui[46]. Ahouri pleura après lui, disant : Gloire à toi, ô l’obscurité ! Gloire à toi, ô la lumière ! Tout s’en est allé, tout ce qu’il y avait dans notre tombeau[47]. Nénoferképhtah dit à Ahouri : Ne te tourmente point. Je lui ferai rapporter ce livre par la suite, un bâton fourchu à la main, un brasier allumé, sur la tête[48]. Satni remonta hors du tombeau et il .le referma derrière lui, comme il était auparavant. Satni alla par devant Pharaon et il raconta à Pharaon tout ce qui lui était arrivé au sujet du livre. Pharaon dit à Satni : Remets ce livre au tombeau de Nénoferképhtah en homme sage ; sinon il te le fera rapporter, un bâton fourchu à la main, un brasier allumé sur la tête. Mais Satni ne l’écouta point ; il n’eut plus d’occupation au monde que de déployer le rouleau, et de lire par devant n’importe qui[49]. Après cela, il arriva, un jour que Satni se promenait sur le parvis du temple de Phtah, il vit une femme, fort belle, car il n’y avait femme qui l’égalât en beauté[50] ; elle avait beaucoup d’or sur elle, et il y avait des jeunes filles qui marchaient derrière elle, et il y avait des domestiques au nombre de cinquante-deux avec elle[51]. L’heure que la vit Satni, il ne sut plus l’endroit du monde où il était. Satni appela son page[52], disant : Ne tarde pas d’aller à l’endroit où est cette femme, et sache quelle est sa condition. Point ne tarda le jeune page d’aller à l’endroit où était la femme. Il interpella la suivante qui marchait derrière elle, et il l’interrogea, disant : Quelle personne est-ce ? Elle lui dit : C’est Tboubouî, fille du prophète de Bastît, dame d’Ankhoutaoui[53], qui s’en va maintenant pour faire sa prière devant Phtah, le dieu grand. Quand le jeune homme fut revenu vers Satni, il raconta toutes les paroles qu’elle lui avait dites sans exception. Satni dit au jeune homme : Va-t’en dire à la suivante ceci : Satni-Khâmoîs, fils du Pharaon Ousimarès, est qui m’envoie, disant : Je te donnerai dix pièces d’or pour que tu passes une heure avec moi[54]. S’il y a nécessité de recourir à la violence, il le fera et il t’entraînera dans un endroit caché où personne au monde ne te trouvera. Quand le jeune homme fut revenu à l’endroit où était Tboubouî, il interpella la servante et il parla avec elle : elle s’exclama contre ses paroles, comme si c’était insulte de les dire. Tboubouî dit au jeune homme : Cesse de parler à cette vilaine fille ; viens et me parle. Le jeune homme approcha de l’endroit où était Tboubouî, il lui dit : Je te donnerai dix pièces d’or pour que tu passes une heure avec Satni-Khâmoîs, le fils du Pharaon Ousimarès. S’il y a nécessité de recourir à la violence ; il le fera et il t’entraînera dans un endroit tâché où personne au monde ne te trouvera. Tboubouî dit : Va dire à Satni : Je suis une hiérodule, je ne suis pas une personne vile. S’il est que tu désires avoir ton plaisir de moi, tu viendras à Bubaste[55] dans ma maison. Tout y sera prêt, et tu feras ton plaisir de moi, sans que personne au monde me devine, et sans que je fasse action d’une fille de la rue. Quand le page fut revenu auprès de Satni, il lui répéta toutes les paroles qu’elle avait dites sans exception, et celui-ci dit : Voici qui me satisfait, mais quiconque était avec Satni se mit à jurer. Satni se fit amener un bateau, il s’y embarqua et il ne tarda pas d’arriver à Bubaste. Il alla à l’occident de la ville, jusqu’à ce qu’il rencontrât une maison qui était fort haute : il y avait un mur tout à l’entour, il y avait un jardin du côté du nord, il y avait un perron sur le devant. Satni s’informa, disant : Cette maison, la maison de qui est-ce ? On lui dit : C’est la maison de Tboubouî. Satni pénétra dans l’enceinte et il s’émerveilla du pavillon situé dans le jardin[56], tandis qu’on prévenait Tboubouî ; elle descendit ; elle prit la main de Satni et elle lui dit : Par la vie ! le voyage à la maison du prêtre de Bastît, dame d’Ankhoutaoui, à laquelle te voici arrivé, m’est fort agréable. Viens en haut avec moi. Satni se rendit en haut, par l’escalier de la maison, avec Tboubouî. Il trouva l’étage supérieur dé la maison sablé et poudré d’un sable et d’une poudre de lapis-lazuli vrai et de turquoise vraie[57] ; il y avait là plusieurs lits, tendus d’étoffes de lin royal, aussi de nombreuses coupes en or sur le guéridon. On remplit de vin une coupe d’or, on la mit dans la main de Satni, et Tboubouî lui dit : Te plaise faire ton repas. Il lui dit : Ce n’est pas là ce que je veux faire. Ils mirent du bois parfumé sur le feu, ils apportèrent des odeurs du genre de celles dont on approvisionne Pharaon, et Satni fit un jour heureux avec Tboubouî, car il n’avait jamais encore vu sa pareille. Alors Satni dit à Tboubouî : Accomplissons ce pourquoi nous sommes venus ici. Elle lui dit : Tu arriveras à ta maison, celle où tu es. Mais moi, je suis une hiérodule[58], je ne suis pas une personne vile. S’il est que tu désires avoir ton plaisir de moi, tu me feras un acte de nourriture et un acte d’argent sur toutes les choses et sur tous les biens qui « sont à toi[59]. Il lui dit : Qu’on amène le scribe de l’école. On l’amena sur l’instant, et Satni fit faire au bénéfice de Tboubouî un acte pour son entretien et il lui constitua par écrit un douaire de toutes les choses, tous les biens qui étaient à lui. Une heure passée, on vint annoncer ceci à Satni : Tes enfants sont en bas. Il dit : Qu’on les fasse monter. Tboubouî se leva, elle revêtit une robe de lin fin[60] et Satni vit tous ses membres au travers, et son désir alla croissant plus encore qu’auparavant. Satni dit à Tboubouî : Que j’accomplisse ce pourquoi je suis venu à présent. Elle lui dit : Tu arriveras à ta maison, celle où tu es. Mais moi, je suis une hiérodule, je ne suis pas une personne vile. S’il est que tu désires avoir ton plaisir de moi, tu feras souscrire tes enfants à mon écrit, afin qu’ils ne cherchent point querelle à mes enfants au sujet de tes biens. Satni fit amener ses enfants et il les fit souscrire à l’écrit. Satni dit à Tboubouî : Que j’accomplisse ce pourquoi je suis venu à présent. Elle lui dit : Tu arriveras à ta maison, celle où tu es. Mais moi, je suis une hiérodule, je ne suis pas une personne vile. S’il est que tu désires avoir ton plaisir de moi, tu feras tuer tes enfants, afin qu’ils ne cherchent point querelle à mes enfants au sujet de tes biens. Satni dit : Qu’on commette sur eux le crime dont le désir t’est entré au cœur. Elle fit tuer les enfants de Satni devant lui, elle les fit jeter en bas de la fenêtre aux chiens et aux chats[61], et ceux-ci en mangèrent les chairs, et il les entendit pendant qu’il buvait avec Tboubouî. Satni dit à Tboubouî : Accomplissons ce pourquoi nous sommes venus ici, car tout ce que tu as dit devant moi, on l’a fait pour toi. Elle lui dit : Rends-toi dans cette chambre. Satni entra dans la chambre, il se coucha sur un lit d’ivoire et d’ébène, afin que son amour reçût récompense, et Tboubouî se coucha aux côtés de Satni. Il allongea sa main pour la toucher : elle ouvrit sa bouche largement et elle poussa un grand cri[62]. Lorsque Satni revint à lui, il était dans une chambre de four sans aucun vêtement sur le dos[63]. Une heure passée, Satni aperçut un homme très grand[64], monté sur une estrade, avec nombre de gens sous ses pieds, car il avait la semblance d’un Pharaon. Satni alla pour se lever, mais il ne put se lever de honte, car il n’avait point de vêtement sur le dos. Le Pharaon dit : Satni, qu’est-ce que cet état dans lequel tu es ? Il dit : C’est Nénoferképhtah qui m’a fait faire tout cela. Le Pharaon dit : Va à Memphis. Tes enfants, voici qu’ils te désirent, voici qu’ils se tiennent devant Pharaon. Satni dit devant le Pharaon : Mon grand maître, le roi, — puisse-t-il avoir la durée de Râ ! — quel moyen d’arriver à Memphis, si je n’ai aucun vêtement du monde sur mon dos ? Pharaon appela un page qui se tenait à côté de lui, et il lui commanda de donner un vêtement à Satni. Pharaon dit : Satni, va à Memphis. Tes enfants, voici qu’ils vivent, voici qu’ils se tiennent devant le roi[65]. Satni alla à Memphis ; il embrassa avec joie ses enfants car ils étaient en vie[66]. Pharaon dit : Est-ce point l’ivresse qui t’a fait faire tout cela ? Satni conta tout ce qui lui était arrivé avec Tboubouî et Nénoferképhtah. Pharaon dit : Satni, je suis déjà venu à ton aide, disant : On te tuera, à moins que tu rapportes ce livre au lieu d’où tu l’as apporté pour toi ; mais tu ne m’as pas écouté jusqu’à cette heure. Maintenant rapporte le livre à Nénoferképhtah, un bâton fourchu dans ta main, un brasier allumé sur ta tête. Satni sortit de devant Pharaon, une fourche et un bâton dans la main, un brasier allumé sur sa tête, et il descendit dans la tombe où était Nénoferképhtah. Ahouri lui dit : Satni, c’est Phtah, le dieu grand, qui t’amène ici sain et sauf ![67] Nénoferképhtah rit, disant : C’est bien ce que je t’avais dit auparavant. Satni se mit à causer avec Nénoferképhtah, et il s’aperçut que, tandis qu’ils parlaient, le soleil était dans la tombe entière[68]. Ahouri et Nénoferképhtah causèrent avec Satni beaucoup. Satni dit : Nénoferképhtah, n’est-ce pas quelque chose d’humiliant que tu demandes ? Nénoferképhtah dit : Satni, tu sais ceci, à savoir, Ahouri et Maîhêt, son enfant, sont à Coptos et aussi dans cette tombe, par art de scribe habile. Qu’il te soit ordonné de prendre peine, d’aller à Coptos et de les rapporter ici[69]. Satni remonta hors de la tombe ; il alla devant Pharaon, il conta devant Pharaon tout ce que lui avait dit Nénoferképhtah. Pharaon dit : Satni, va à Coptos et rapporte Ahouri et Maîhêt, son enfant. Il dit devant Pharaon : Qu’on me donne le cange de Pharaon et son équipement. On lui donna la cange de Pharaon et son équipement, il s’embarqua, il partit, il ne tarda pas d’arriver à Coptos. On en informa les prêtres d’Isis de Coptos et le grand-prêtre d’Isis : voici qu’ils descendirent au-devant de lui, ils descendirent au rivage. Il débarqua, il alla au temple d’Isis de Coptos et d’Harpocrate. Il fit venir un taureau, des oies, du vin, il fit un holocauste et une libation devant Isis de Coptos et Harpocrate. Il alla au cimetière de Coptos avec les prêtres d’Isis et le grand-prêtre d’Isis. Ils passèrent trois jours et trois nuits à chercher parmi les tombes qui sont dans la nécropole de Coptos, remuant les stèles des scribes de la double maison de vie, récitant les inscriptions qu’elles portaient ; ils ne trouvèrent pas les chambres où reposaient Ahouri et Maîhêt, son enfant. Nénoferképhtah le sut qu’ils ne trouvaient point les chambres où reposaient Ahouri et Maîhêt, son enfant. Il se manifesta sous la forme d’un vieillard, un prêtre très avancé en âge, et il se présenta au-devant de Satni[70]. Satni le vit, Satni dit au vieillard : Tu as semblance d’homme avancé en âge. Ne a connais-tu pas les maisons où reposent Ahouri et Maîhêt, son enfant ? Le vieillard dit à Satni : Le père du père de mon père a dit au père de mon père, disant : Le père du père de mon père a dit au père de mon père : Les chambres où reposent Ahouri et Maîhêt, son enfant, sont sous l’angle méridional de la maison du prêtre...[71]. Satni dit au vieillard : Peut-être le prêtre... t’a-t-il fait injure et c’est pour cela que tu veux détruire sa maison ?[72] Le vieillard dit à Satni : Qu’on fasse bonne garde sur moi, puis qu’on rase la maison du prêtre..., et, s’il arrive qu’on ne trouve point Ahouri et Maîhêt, son enfant, sous l’angle méridional de la c maison du prêtre..., qu’on me traite en criminel. On fit bonne garde sur le vieillard, on trouva la chambre où reposaient Ahouri et Maîhêt, son enfant, sous l’angle méridional de la maison du prêtre... Satni fit transporter ces grands personnages dans la cange de Pharaon, puis il fit reconstruire la maison du prêtre..., telle qu’elle était auparavant[73]. Nénoferképhtah fit connaître à Satni que c’était lui qui était venu à Coptos, pour lui découvrir la chambre où reposaient Ahouri et Maîhêt, son enfant. Satni s’embarqua sur la cange de Pharaon. Il fit le voyage, il ne tarda pas d’arriver à Memphis et toute l’escorte qui était avec lui. On l’annonça à Pharaon et Pharaon descendit au-devant de la cange de Pharaon ; il fit porter les grands personnages dans la tombe où était Nénoferképhtah et il en fit sceller la chambre supérieure tout aussitôt. — Cet écrit complet, où est contée l’histoire de Satni-Khâmoîs et de Nénoferképhtah, ainsi que d’Ahouri, sa femme, et de Maîhêt, son fils, a été écrit par le scribe Ziharpto ? l’an 15, au mois de Tybi. II — L’HISTOIRE VÉRIDIQUE DE SATNI-KHÂMOÎS ET DE SON FILS SÉNOSIRISL’Histoire véridique de Satni-Khâmoîs et de son fils Sénosiris fut découverte sur le Papyrus DCIV du Musée Britannique, et publiée, transcrite, traduite en anglais par : F. LL. Griffith, Stories of the High-Priests of Memphis, the Sethon of Herodotus and the Demotic Tales of Khamuas, Oxford, Clarendon Press, 1909, in-8°, p :-41-66, 142-207, et atlas in-fol de XIV planches, puis analysée, commentée et traduite partiellement en français par : G. Maspero, Contes relatifs aux grands-prêtres de Memphis, dans le Journal des Savants, 1901, p. 473-504, enfin transcrite en hiéroglyphes, puis traduite en français par Révillout, le Roman du Satme, Second roman dit Satme Khaemouas, dans la Revue Égyptologique, t. XII, p. 107-109, t. XIII, p. 29-38. Elle est écrite au revers de deux recueils de pièces officielles rédigées en grec et datées de l’an VII de Claude César, 46-47 après J.-C. Les deux rouleaux de papyrus, passés à la condition de vieux papiers, furent collés bout à bout, et l’on y transcrivit le roman aux parties libres du verso ; dans son état actuel, il est incomplet à la droite sur une longueur indéterminée et le début de l’histoire a disparu. L’écriture semble indiquer, pour l’époque de la copie, la seconde moitié du deuxième siècle après notre ère. Elle est grande et frêle, à la fois soignée et maladroite, mais d’un déchiffrement aisé malgré quelques bizarreries. La langue est simple, claire, plus pauvre que celle du conte précédent. La première page manque complètement, ainsi qu’un long fragment de la seconde page, mais on peut rétablir l’exposition du sujet avec assez de vraisemblance ; la suite du texte est entrecoupée de fortes lacunes qui en rendent l’intelligence parfois laborieuse. L’étude minutieuse et patiente à laquelle M. Griffith a soumis le tout nous permet de saisir le sens général, et d’en restituer le détail exactement dans beaucoup d’endroits. Selon mon habitude, j’ai rétabli sommairement les portions manquantes, en prenant soin d’indiquer le point juste où le texte authentique commence. Il y avait une fois un roi nommé Ousimarès, v. s. f., et il avait parmi ses enfants un fils nommé Satni[74], lequel était un scribe, habile de ses doigts et fort instruit en toutes choses : il était plus qu’homme au monde expert aux arts où les scribes d’Égypte excellent, et il n’y avait savant qui lui comparât dans la Terre-Entière. Et après cela, il arrivait que les chefs dés pays étrangers envoyaient un message à Pharaon pour lui dire : Voici ce que mon maître dit : Qui d’ici pourra faire telle ou telle chose qu’a devisée mon maître, dans telle ou telle condition ? S’il la fait comme il convient je proclamerai l’infériorité de mon pays à l’Égypte. Mais s’il arrive qu’il n’y ait bon scribe, ni homme sage en Égypte qui puisse la faire, je proclamerai l’infériorité de l’Égypte à mon pays. Or, quand il avait parlé ainsi, le roi Ousimarès, v. s. f., appelait son fils Satmi et il lui répétait toutes les choses que le messager lui avait dites, et son fils Satmi lui donnait aussitôt la bonne réponse que le chef du pays étranger avait devisée, et celui-ci était obligé de proclamer l’infériorité de son pays au pays d’Égypte. Et nul des chefs qui avaient envoyé des messagers n’avait pu triompher de lui, tant la sagesse de Satmi était grande, si bien qu’il ne se trouvait plus chef au monde qui osât envoyer des messagers à Pharaon[75]. Et après cela, il arriva que Satmi n’eut pas d’enfant mâle de sa femme Mahîtouaskhît, et il s’en affligeait beaucoup dans son cœur et sa femme Mahîtouaskhît s’en affligeait beaucoup avec lui. Or un jour qu’il en était triste plus que de coutume, sa femme Mahîtouaskhît se rendit au temple d’Imouthès, fils de Phtah, et elle pria devant lui, disant : Tourne ta face vers moi, monseigneur Imouthès, fils de Phtah ; c’est toi qui accomplis les miracles, et qui es bienfaisant dans tous tes actes ; c’est toi qui donneras un fils à qui n’en a pas. Entends ma plainte et rends-moi enceinte d’un enfant mâle[76]. Mahîtouaskhît, la femme de Satmi, coucha donc dans le temple et elle rêva un songe cette nuit même[77]. On lui parlait, lui disant : Es-tu pas Mahîtouaskhît, la femme de Satmi, qui dors dans le temple pour recevoir un remède de ta stérilité des mains du dieu ? Quand le lendemain matin sera « venu, va-t-en à la fontaine de Satmi[78], ton mari, et tu y trouveras un pied de colocase qui y pousse. La colocase que tu rencontreras, tu l’arracheras avec ses feuilles, tu en fabriqueras un remède que tu donneras à ton mari, puis tu te coucheras près de lui et tu concevras de lui la nuit même. Lorsque Mahîtouaskhît s’éveilla de son rêve après avoir vu ces choses, elle agit en tout selon ce qu’on lui avait dit en son rêve, puis elle se coucha près de Satmi, son mari, et elle conçut de lui. Quand son temps vint, elle eut les signes des femmes enceintes et Satmi l’annonça devant Pharaon, car son cœur s’en réjouissait beaucoup ; il lui lia une amulette et il récita un grimoire sur elle. Or, Satmi se coucha une nuit et il rêva un rêve. On lui parlait, disant : Mahîtouaskhît, ta femme, qui a conçu de toi, le petit enfant dont elle accouchera on l’appellera Sénosiris, et ils seront nombreux les miracles qu’il accomplira dans la terre d’Égypte. Lorsque Satmi s’éveilla de son rêve après avoir vu ces choses, son cœur se réjouit beaucoup. Accomplis les mois de la grossesse, lorsque son temps d’accoucher fut venu, Mahîtouaskhît mit au monde un enfant mâle. On le fit savoir à Satmi et il appela l’enfant Sénosiris, selon ce qu’on lui avait dit dans son rêve. On le mit au sein de Mahîtouaskhît, sa mère, sitôt qu’elle fut délivrée des restes de sa grossesse, et on le lui fit nourrir. Et il arriva, quand le petit enfant Sénosiris eut un an, on aurait dit : Il a deux ans ; quand il en eut deux, on aurait dit : Il a trois ans, tant il était vigoureux en tous ses membres. Il arriva donc que Satmi ne pouvait demeurer une heure sans voir le petit enfant Sénosiris, si fort était l’amour qu’il lui portait. Lorsqu’il fut grand et robuste, on le mit à l’école ; en peu de temps il en sut plus que le scribe qu’on lui avait donné pour maître. Le petit enfant Sénosiris commença à lire les grimoires avec les scribes de la Double maison de Vie du temple de Phtah[79], et tous ceux qui l’entendaient étaient plongés dans l’étonnement ; Satmi se plaisait à le mener à la fête par-devant Pharaon, pour que tous les magiciens de Pharaon luttassent contre lui et qu’il leur tint tête à tous. Et après cela, il arriva, un jour que Satmi se lavait pour la fête sur la terrasse de ses appartements, et que le petit garçon Sénosiris se lavait devant lui pour aller aussi à la fête, à cette heure-là, voici, Satmi entendit une voix de lamentation qui s’élevait très forte : il regarda de la terrasse de ses appartements, et voici, il vit un riche qu’on menait ensevelir dans la montagne à force lamentations et plentée d’honneurs. Il regarda une seconde fois à ses pieds, et voici, il aperçut un pauvre qu’on menait hors de Memphis, ‘roulé dans une natte, seul et sans homme au monde qui marchât derrière lui. Satmi dit : Par la vie d’Osiris, lé seigneur de l’Amentît, puisse m’être fait dans l’Amentît comme à ces riches qui ont grande lamentation, et non comme à ces pauvres qu’on porte à la montagne sans pompe ni honneurs ! Sénosiris, son petit enfant, lui dit : Te soit fait dans l’Amentît ce qu’on fait à ce pauvre homme dans l’Amentîti et ne te soit pas fait dans l’Amentît ce qu’on fait à ce riche dans l’Amentît. Lorsque Satmi entendit les paroles que Sénosiris, son petit enfant, lui avait dites, son cœur s’en affligea extrêmement, et il dit : Ce que j’entends est-ce bien la voix d’un fils qui aime son père ? Sénosiris, son petit enfant, lui dit : S’il te plaît, je te montrerai, chacun en sa place, le pauvre qu’on ne pleure pas et le riche sur lequel on se lamente. Satmi demanda : Et comment pourras-tu faire cela, mon fils Sénosiris ? Et après cela, Sénosiris, le petit enfant, récita ses grimoires. Il prit son père Satmi par la main et il le conduisit à une place que celui-ci ignorait dans la montagne de Memphis. Elle contenait sept grandes salles[80] et en elles des hommes de toutes les conditions. Ils traversèrent trois des salles, les trois premières, sans que personne leur fît obstacle[81]. En entrant dans la quatrième, Satmi aperçut des gens qui couraient et qui s’agitaient tandis que les ânes mangeaient derrière eux[82] ; d’autres avaient leur nourriture, eau et pain, suspendue au-dessus d’eux, et ils s’élançaient pour la mener bas, tandis que d’autres creusaient des trous à leurs pieds pour les empêcher de l’atteindre. Lorsqu’ils arrivèrent à la cinquième salle, Satmi aperçut les mânes vénérables qui se trouvaient chacun en sa place propre, mais ceux qui étaient inculpés de crimes se tenaient à la porte, suppliants, et le pivot de la porte de la cinquième salle était établi sur le seul œil droit d’un homme qui priait et qui poussait de grands cris[83]. Lorsqu’ils arrivèrent à la sixième salle, Satmi aperçut les dieux du conseil des gens de l’Amentît qui se tenaient chacun en sa place propre, tandis que les huissiers de l’Amentît appelaient les causes. Lorsqu’ils arrivèrent à la sixième salle, Satmi aperçut l’image d’Osiris, le dieu grand, assis sur son trône d’or fin, et couronné du diadème aux deux plumes[84], Anubis le dieu grand, à sa gauche, le dieu grand Thot à sa droite, les dieux du conseil des gens de l’Amentît à sa gauche et à sa droite, la balance dressée au milieu en face d’eux, où ils pesaient les méfaits contre les mérites, tandis que Thot le dieu grand remplissait le rôle d’écrivain et qu’Anubis leur adressait la parole[85] : celui dont ils trouveront les méfaits plus nombreux que les mérites ils le livreront à Amaît, la chienne du maître de l’Amentît[86], ils détruiront son âme et son corps et ils ne lui permettront plus de respirer jamais ; celui dont ils trouveront les mérites plus nombreux que les méfaits, ils l’amènent parmi les dieux du conseil du maître de l’Amentît et son âme va au ciel parmi les mânes vénérables ; celui dont ils trouveront les mérites équivalents aux fautes, ils le placent parmi les mânes munis d’amulettes qui servent Sokarosiris. Lors, Satmi aperçut un personnage de distinction, revêtu d’étoffes de fin lin, et qui était proche l’endroit où Osiris se tenait, dans un rang très relevé. Tandis que Satmi s’émerveillait de ce qu’il voyait dans l’Amentît, Sénosiris se mit devant lui, disant : Mon père Satmi, vois-tu pas ce haut personnage revêtu de vêtements de fin lin et qui est près de l’endroit où Osiris se tient ? Ce pauvre homme que tu vis qu’on emmenait hors de Memphis, sans que personne l’accompagnât, et qui était roulé dans une natte, c’est lui ! On le conduisit à l’Hadès, on pesa ses méfaits contre ses mérites qu’il eut étant sur terre, on trouva ses mérites plus nombreux que ses méfaits. Donné qu’au temps de vie que Thot inscrivit à son compte ne correspondit pas une somme de bonheur suffisante tandis qu’il était sur terre, on ordonna par-devant Osiris de transférer le trousseau funèbre de ce riche que tu vis emmener hors de Memphis avec force honneurs, à ce pauvre homme que voici, puis de le remettre parmi les mânes vénérables, féaux de Sokarosiris, proche l’endroit où Osiris se tient. Ce riche que tu vis, on le conduisit à l’Hadès, on pesa ses méfaits contre ses mérites, on lui trouva ses méfaits nombreux plus que ses mérites qu’il eut sur terre, on ordonna de le rétribuer dans l’Amentît, et c’est lui que tu as vu, le pivot de la porte d’Amentît planté sur son œil droit et roulant sur cet œil, soit qu’on ferme ou qu’on ouvre, tandis que sa bouche pousse de grands cris. Par la vie d’Osiris, le dieu grand, maître de l’Amentît, si je t’ai dit sur terre : Te soit fait ainsi qu’on fait à ce pauvre homme, mais ne te soit pas fait ainsi qu’il est fait à ce riche ! c’est que je savais ce qui allait arriver à celui-ci. Satmi dit : Mon fils Sénosiris, nombreuses sont les merveilles que j’ai vues dans l’Amentît ! Maintenant donc, puissé-je apprendre ce qu’il en est de ces gens qui courent et s’agitent, tandis que des ânes mangent derrière eux, ainsi que de ces autres qui ont leur « nourriture, pain et eau, suspendue au-dessus d’eux, et qui s’élancent afin de la mener bas, tandis que d’autres creusent des trous à leurs pieds pour les empêcher de « l’atteindre ? Sénosiris reprit : En vérité, je te le dis, mon père Satmi, ces gens que tu vis, qui courent et s’agitent tandis que des ânes mangent derrière eux, c’est l’image des gens de cette terre qui sont sous la malédiction du Dieu et qui travaillent nuit et jour pour leur subsistance, mais, comme leurs femmes la leur volent par derrière, ils n’ont pas de pain à manger. Revenus à l’Amentît, on trouve que leurs méfaits sont plus nombreux que leurs mérites, et ils éprouvent que ce qu’il en « était d’eux sur terre, il en est d’eux encore dans l’Amentît, d’eux comme aussi de ceux que tu as vus, leur nourriture, eau et pain, suspendue au-dessus d’eux et qui s’élancent pour la mener bas tandis que d’autres creusent des trous à leurs pieds pour les empêcher de l’atteindre ; ceux-ci, c’est l’image des gens de cette terre qui ont leur subsistance devant eux, mais le dieu creuse des trous devant eux pour les empêcher de la trouver. Revenus à l’Amentît, voici, ce qu’il en était d’eux sur cette terre, il en est d’eux encore dans l’Amentît ; à être reçue leur âme dans l’Amentît, ils éprouvent, s’il te plaît, mon père Satmi, que celui qui fait le bien sur terre on lui fait le bien dans l’Amentît, mais que celui qui fait le mal on lui fait le mal. Elles ont été établies pour toujours et elles ne changeront jamais ces choses que tu vois dans l’Hadès de Memphis, et elles se produisent dans les quarante-deux nomes où sont les dieux du conseil d’Osiris[87]. Lorsque Sénosiris eut terminé ces paroles qu’il disait devant Satmi, son père, il remonta à la montagne de Memphis, tenant son père embrassé et sa main dans sa main. Satmi l’interrogea disant : Mon fils Sénosiris, elle diffère la place par où l’on descend de celle par où nous sommes remontés ? Sénosiris ne répondit à Satmi parole du monde, et Satmi s’émerveilla des discours qu’il lui avait tenus, disant : Il sera capable de devenir un mâne véritable et un serviteur du dieu, et j’irai à l’Hadès avec lui disant : Celui-ci est mon fils ![88] Satmi récita une formule du livre d’exorciser les mânes, et il demeura dans le plus grand étonnement du monde à cause des choses qu’il avait vues dans l’Amentît, mais elles lui pesaient sur le cœur beaucoup ; pour ne pouvoir les révéler à homme au monde. Quand le petit garçon Sénosiris eut douze ans, il n’y eut scribe ni magicien dans Memphis qui l’égalât en la lecture des grimoires. Après cela, il advint, un jour que Pharaon Ousimarès était assis en la cour d’audience du palais de Pharaon à Memphis, tandis que l’assemblée des princes, des chefs militaires, des principaux de l’Égypte, se tenait debout devant lui, chacun à son rang dans la cour, on vint dire à Sa Majesté : Voici le discours que fait une peste d’Éthiopien[89], à savoir, qu’il apporte sur lui une lettre scellée. Sitôt qu’on l’eut rapporté devant Pharaon, voici qu’on amena l’homme dans la cour. II salua disant : Qui d’ici pourra lire cette lettre que j’apporte en Égypte devant Pharaon, mais sans gâter le sceau, de façon à lire l’écrit qui est en elle sans l’ouvrir ? S’il arrive qu’il n’y ait bon scribe, ni savant en Égypte qui puisse la lire sans l’ouvrir, je rapporterai l’infériorité de l’Égypte à la terre des Nègres, mon pays. Au moment que Pharaon et ses princes entendirent ces paroles ils ne surent plus le lieu de la terre où ils étaient, et ils dirent : Par la vie de Phtah, le dieu grand, est-il force de bon scribe ou de magicien, habile à lire des écrits dont il voit la teneur, qui puisse lire une lettre sans l’ouvrir ? Pharaon dit : Qu’on m’appelle Satmi Khâmoîs, mon fils ! On courut, on le lui amena à l’instant, il s’inclina jusqu’à terre, il adora Pharaon, puis il se releva et il se tint debout, bénissant et acclamant Pharaon. Pharaon lui dit : Mon fils Satmi, as-tu entendu les paroles que cette peste d’Éthiopien a dites devant moi, disant : Y a-t-il a un bon scribe ou un homme instruit en Égypte qui puisse lire la lettre qui est en ma main sans briser le sceau, et qui sache ce qu’il y a d’écrit en elle sans l’ouvrir ? L’instant que Satmi entendit ces paroles, il ne sut plus l’endroit du monde où il était, il dit : Mon grand seigneur qui est-ce qui serait capable de lire une lettre « sans l’ouvrir ? Maintenant donc qu’on me donne dix a jours de répit, que je puisse voir ce que je suis capable de faire, pour éviter que l’infériorité de l’Égypte soit rapportée au pays des Nègres mangeurs de gomme[90]. Pharaon dit : Ils sont donnés à mon fils Satmi. On assigna des appartements où se retirer à l’Éthiopien, on lui prépara des saletés à la mode d’Éthiopie[91], puis Pharaon se leva en la cour, son cœur triste excessivement, et il se coucha saris boire ni manger. Satmi rentra dans ses appartements sans plus savoir la place du monde où il allait. Il se serra dans ses vêtements de la tête aux pieds, et il se coucha sans plus savoir l’endroit du monde où il était. On le manda à Mahîtouaskhît, sa femme ; elle vint à l’endroit où était Satmi, elle passa la main sous ses vêtements. Elle lui dit : Mon frère Satmi, point de fièvre au sein, souplesse des membres : maladie, tristesse de cœur ![92] Il lui dit : Laisse-moi, ma sœur Mahîtouaskhît ! L’affaire pour laquelle mon cœur se trouble, n’est pas une affaire qu’il soit bon de découvrir à une femme ! Le petit garçon Sénosiris entra ensuite, il se pencha sur Satmi, son père, et il lui dit : Mon père Satmi, pourquoi es-tu couché, le cœur troublé ? Les affaires que tu enfermes en ton cœur dis-les moi que je les écarte. Il répondit : Laisse-moi, mon enfant Sénosiris ! les affaires qui sont en mon cœur, tu es d’âge trop tendre pour t’en occuper. Sénosiris dit : Dis-les moi, que je rende ton cœur calme à leur propos. Satmi lui dit : Mon fils Sénosiris, c’est une peste d’Éthiopie qui est venue en Égypte, apportant sur son corps une lettre scellée et disant : Est-il ici celui qui la lira sans l’ouvrir ? S’il arrive qu’il n’y ait ni bon scribe ni savant en Égypte qui soit capable de la lire, je rapporterai l’infériorité de l’Égypte à la terre des Nègres, mon pays. Je me suis couché, le cœur troublé à ce propos, mon fils Sénosiris. L’heure que Sénosiris entendit ces paroles, il éclata de rire longuement. Satmi lui dit : Pourquoi ris-tu ? Il dit : Je ris de te voir couché ainsi, le cœur troublé pour cause d’affaire si petite. Lève-toi, mon père Satmi, car je lirai sans l’ouvrir la lettre qu’on a apportée en Égypte, si bien que je trouverai ce qui est écrit en elle sans briser le sceau. L’heure que Satmi entendit ces paroles, il se leva soudain et il dit : Quelle est la garantie des paroles que tu as dites, mon enfant Sénosiris ? Il lui dit : Mon père Satmi, va, aux chambres du rez-de-chaussée de ton logis, et chaque livre que tu tireras de son vase[93], je te dirai quel livre c’est, je le lirai sans le voir, me tenant en avant de toi dans les chambres du rez-de-chaussée. Satmi se leva, il se tint debout, et tout ce que Sénosiris avait dit, Sénosiris le fit complètement : Sénosiris lut tous les livres que Satmi son père prit en avant dé lui, sans les ouvrir. Satmi remonta des chambres du rez-de-chaussée, joyeux plus que personne au monde. Il ne tarda point d’aller à l’endroit où Pharaon était, il raconta devant lui toutes les choses que l’enfant Sénosiris lui avait dites, entièrement, et le cœur de Pharaon s’en réjouit extrêmement. Pharaon se leva pour faire fête en son temps avec Satmi, et il se fit amener Sénosiris à la fête devant lui : ils burent, ils passèrent un jour heureux. Arrivé le lendemain au matin, Pharaon sortit dans la cour d’audience au milieu de ses nobles ; Pharaon envoya chercher la peste d’Éthiopien et celui-ci fut amené dans la cour avec la lettre scellée sur son corps, et il se tint debout au milieu de la cour. L’enfant Sénosiris vint au milieu étalement, il se tint au côté de la peste d’Éthiopien, il parla contre elle disant : Malédiction, Éthiopien, ennemi contre qui s’irrite Amon, ton dieu[94] ! C’est donc toi qui es monté en Égypte, le doux verger d’Osiris, le siège de Râ-Harmakhis, le bel horizon de l’Agathodémon[95], disant : Je rapporterai l’infériorité de l’Égypte à la terre des Nègres ; l’hostilité d’Amon, ton Dieu, tombe sur toi : Les paroles que je ferai défiler devant toi et qui sont écrites sur la lettre, ne dis rien d’elles qui soit faux devant Pharaon, ton souverain ! L’heure que la peste d’Éthiopien vit le petit garçon Sénosiris debout dans la cour, il toucha la terre de sa tête et il parla, disant : Toutes les paroles que tu prononceras, je ne dirai rien d’elles qui soit faux ! Commencement des récits que fit Sénosiris, les disant au milieu de la cour devant Pharaon et devant ses nobles, le peuple d’Égypte écoutant sa voix, tandis qu’il lisait ce qu’il y avait d’écrit sur la lettre de la peste d’Éthiopien qui se tenait debout au milieu de la cour, à savoir : Il arriva, un jour, au temps de Pharaon Manakhphrê Siamânou[96], — c’était un roi bienfaisant de la terre entière, l’Égypte regorgeait de toutes les bonnes choses en son temps, et nombreux étaient ses dons et ses travaux dans les grands temples de l’Égypte, — il arriva donc, un jour que le roi du pays des Nègres faisait la sieste dans le kiosque de plaisance d’Amon, il entendit la voix de trois pestes d’Éthiopiens qui causaient dans la maison de derrière. L’un d’eux parlait à voix haute, disant entre autres choses. S’il plaisait Amon me garder d’accident, de sorte que le roi d’Égypte ne pût me maltraiter, je jetterais mes charmes sur l’Égypte, si bien que je ferais le peuple d’Égypte passer trois jours et trois nuits sans voir la lumière après les ténèbres. Le second dit entre autres choses : S’il plaisait Amon me garder d’accident, de sorte que le roi d’Egypte ne pût me maltraiter, je jetterais mes charmes sur l’Égypte, si bien que je ferais transporter le Pharaon d’Égypte au pays des Nègres, puis lui administrer une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par devant le roi, et enfin le remporter en Égypte dans six heures de temps, sans plus. Le troisième dit entre autres choses[97] : S’il plaisait Amon « me garder d’accident, de sorte que le roi d’Égypte ne pût me maltraiter, je jetterais mes charmes sur l’Égypte, Si bien que j’empêcherais les champs de produire pendant trois ans. L’heure que le roi d’Éthiopie entendit les discours et la voix des trois pestes d’Éthiopiens, il se les fit amener devant lui et il leur dit : Qui d’entre vous a dit : Je jetterai mes charmes sur l’Égypte, et je ne permettrai pas aux Égyptiens de voir la lumière trois jours et trois nuits ? Ils dirent : C’est Horus, le fils de Trirît[98]. Il dit : Qui d’entre vous a dit : Je jetterai mes charmes sur l’Égypte, j’apporterai Pharaon au pays des Nègres, et je lui ferai administrer une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par-devant le roi, puis je le ferai remporter en Égypte, dans six heures de temps, sans plus ? Ils dirent : C’est Horus, le fils de Tnahsit[99]. Il dit : Qui d’entre vous a dit : Je jetterai mes charmes sur l’Égypte, et j’empêcherai les champs de produire pendant trois ans ? Ils dirent : C’est Horus, le fils de Triphît[100]. Le roi dit donc à Horus, le fils de Tnahsît : Exécute-la ton action magique par grimoire, et, comme vit Amon, le taureau de Méroé, mon dieu, si ta main accomplit ce qui convient, je te ferai du bien à plentée. Horus, le fils de Tnahsît, fabriqua un brancard en cire à quatre porteurs, il récita un grimoire sur eux, il souffla sur eux violemment, il leur donna de vivre, il leur commanda, disant : Vous monterez en Égypte, vous apporterez le Pharaon d’Égypte à l’endroit où est le roi ; on lui administrera une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par devant le roi, puis vous le remporterez en Égypte, le tout dans six heures de temps, pas plus. Ils dirent : Certes, nous n’omettrons rien. Les sorcelleries de l’Éthiopien filèrent donc vers l’Égypte, elles se firent maîtresses de la nuit[101], elles se firent maîtresses de Pharaon Manakhphrê Siamânou, elles l’apportèrent à la terre des Nègres au lieu où le roi était, elles lui administrèrent une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par devant le roi, puis elles le remportèrent en Égypte, le tout dans six heures de temps, sans plus. Ces récits donc Sénosiris les fit, les contant au milieu de la cour, devant Pharaon et devant ses nobles, et le peuple d’Égypte écoutant sa voix tandis qu’il disait : L’hostilité d’Amon, ton dieu, tombe sur toi ! Les paroles que je fais défiler devant toi sont-elles bien celles qui sont écrites sur la lettre qui est dans ta main ? La peste d’Éthiopien dit : Continue de lire, car toutes tes paroles sont des paroles vraies, quantes elles sont. Sénosiris dit devant Pharaon : Après donc que ces choses furent arrivées, on rapporta Pharaon Siamânou en Égypte, les reins moulus de coups excessivement, et il se coucha dans la chapelle de la ville de l’Horus[102], les reins moulus de coups excessivement. Arrivé le lendemain, au matin, Pharaon dit à ses courtisans : Qu’est-il donc arrivé à l’Égypte que j’aie dû la quitter ? Honteux de leurs pensées, les courtisans se dirent : Peut-être la pensée de Pharaon s’est-elle éclipsée ![103] Puis ils dirent : Tu es sain, tu es sain, Pharaon, notre grand maître, et Isis, la grande déesse, calmera tes afflictions ! Mais quelle est la signification des paroles que tu as dites devant nous, Pharaon, notre grand seigneur ? Puisque tu dors dans la chapelle de la ville de l’Horus, les dieux te protègent. Pharaon se leva, il montra aux courtisans son dos moulu de coups excessivement, disant : Par la vie de Phtah, le dieu grand, on m’a porté au pays des Nègres pendant la nuit ; on m’a administré une volée de courbache, cinq cents coups, en public, devant le roi, puis on m’a rapporté en Égypte, le tout dans six heures de temps sans plus. L’heure qu’ils virent les reins de Pharaon moulus de coups excessivement, ils ouvrirent la bouche pour de grands cris. Or Manakhphrê Siamânou avait un chef du secret des livres, de son nom Horus, le fils de Panishi, qui était savant extrêmement. Quand il vint à la place où le roi était, il poussa un grand cri, disant : Monseigneur, ce sont là les sorcelleries des Éthiopiens. Par la vie de ta maison, je les ferai venir à ta maison de torture et d’exécution. Pharaon lui dit : Fais vite, que je ne sois emmené au pays des Nègres une autre nuit. Le chef du secret, Horus, le fils de Panishi, alla à l’instant, il prit ses livres avec ses amulettes à la place où Pharaon était, il lui lut une formule, il lui lia un amulette pour empêcher les sorcelleries des Éthiopiens de s’emparer de lui, puis il s’en alla de devant Pharaon, il prit ses boules de parfums et ses vases à libations, il s’embarqua sur un bateau, et il se rendit sans tarder à Khmounou[104]. Il entra dans le temple de Khmounou, il offrit l’encens et l’eau devant Thot neuf fois grand[105], le seigneur d’Hermopolis, le dieu grand, et il pria devant lui, disant : Tourne ta face vers moi, monseigneur Thot, si bien que les Éthiopiens ne rapportent pas l’infériorité de l’Égypte à la terre des Nègres ! C’est toi qui as créé la magie par grimoire, toi qui as suspendu le ciel, établi la terre et l’Hadès, mis les dieux avec les étoiles ; puissé-je connaître le moyen de sauver Pharaon des sorcelleries des Éthiopiens ! Horus, le fils de Panishi, se coucha dans le temple et il rêva un songe cette nuit même. La figure du grand dieu Thot lui parla, disant : Es-tu pas Horus, le fils de Panishi, le chef du secret de Pharaon Manakhphrê Siamânou ? Donc, au matin de demain, entre dans la salle des livres du temple de Khmounou ; tu y découvriras un naos clos et scellé, tu l’ouvriras et tu y trouveras une boîte qui renferme un livre, celui-là même que j’écrivis de ma propre main. Tire-le, prends-en copie, puis remets-le à sa placé, car c’est le grimoire même qui me protège contre les mauvais, et c’est lui qui protégera Pharaon, c’est lui qui le sauvera des sorcelleries des Éthiopiens. Lors donc qu’Horus, le fils de Panishi, s’éveilla de son rêve après avoir vu ces choses, il trouva que ce qui lui venait d’arriver lui arrivait par un acte divin, et il agit en tout selon ce qui lui avait été dit en son rêve[106]. Il ne tarda pas d’aller à l’endroit où Pharaon était, et il lui fabriqua un charme écrit contre les sorcelleries. Quand le second jour fut, les sorcelleries d’Horus, le fils de Tnahsît, retournèrent en Égypte pendant la nuit, à l’endroit où Pharaon était, puis elles revinrent à l’endroit où était le roi en cette heure, car elles ne purent maîtriser Pharaon, à cause des charmes et des sorcelleries que le chef du secret, Horus, le fils de Panishi, avait liés sur lui. Le matin du lendemain, Pharaon conta devant le chef du secret, Horus, le fils de Panishi, tout ce qu’il avait vu pendant la nuit, et comment les sorcelleries des Éthiopiens s’en étaient allées, sans avoir pu le maîtriser. Horus, le fils de Panishi, se fit apporter de la cire pure en quantité, il en fit un brancard à quatre porteurs, il récita un grimoire sur eux, il souffla sur eux violemment, il leur donna de vivre, il leur commanda, disant : Vous irez au pays des Nègres, cette nuit, vous apporterez le roi en Égypte à l’endroit où est Pharaon ; on lui administrera une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par devant Pharaon, puis vous le remporterez au pays des Nègres, le tout dans six heures de temps, sans plus. Ils dirent : Certes, nous n’omettrons rien. Les sorcelleries d’Horus, le fils de Panishi, filèrent sur les nuages du ciel, et elles ne tardèrent pas d’aller au pays des Nègres pendant la nuit. Elles s’emparèrent du roi, elles l’emportèrent en Égypte ; on lui administra une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par-devant le roi, puis elles le remportèrent au pays des Nègres, le tout dans six heures de temps, sans plus. Ces récits donc Sénosiris les fit, les contant au milieu de la cour, devant Pharaon et devant ses nobles, le peuple d’Égypte écoutant sa voix, tandis qu’il disait : L’hostilité d’Amon, ton Dieu, tombe sur toi, méchant Éthiopien ! Les paroles que je dis sont-elles celles qui sont écrites sur cette lettre ? L’Éthiopien dit, la tête baissée vers le sol : Continue de lire, car toutes les paroles que tu dis sont celles qui sont écrites sur cette lettre. Sénosiris dit : Après donc que ces choses furent arrivées, qu’on eut rapporté le roi au pays des Nègres en six heures, sans plus, et qu’on l’eut déposé en sa place, il se coucha et il se leva au matin, moulu excessivement des coups qui lui avaient été donnés en Égypte. Il dit à ses courtisans : Ce que mes sorcelleries avaient fait à Pharaon, les sorcelleries de Pharaon me l’ont fait à mon tour. Elles m’ont porté en Égypte pendant la nuit[107] : on m’a administré une volée de courbache, cinq cents coups, devant Pharaon d’Égypte, puis elles m’ont rapporté au pays des Nègres. Il tourna le dos à ses courtisans, et ils ouvrirent la bouche pour de grands cris. Le roi fit chercher Horus, le fils de Tnahsît, et dit : Prends garde pour toi-même à Amon, le taureau de Méroé, mon Dieu ! Puisque c’est toi qui es allé chez le peuple d’Égypte, allons voir comment tu me sauveras des sorcelleries d’Horus, le fils de Panishi. Il fabriqua ses sorcelleries, il les lia sur le roi pour le sauver des sorcelleries d’Horus, le fils de Panishi. Quand ce fut la nuit du second jour, les sorcelleries d’Horus, le fils de Panishi, se transportèrent au pays des Nègres et elles emmenèrent le roi en Égypte ; on lui administra une volée de courbache, cinq cents coups, en public, devant Pharaon, puis elles le rapportèrent au pays des Nègres, le tout en sis heures de temps, sans plus. Ce traitement advint au roi trois jours durant, sans que les sorcelleries des Éthiopiens fussent capables de sauver le roi de la main d’Horus, le fils de Panishi, et le roi s’affligea excessivement, et il se fit amener Horus, le fils de Tnahsît, et il lui dit : Malheur à toi, ennemi de l’Éthiopie, après m’avoir humilié par la main des Égyptiens, tu n’as pas pu me sauver de leurs mains ! Par la vie d’Amon, le taureau de Méroé, mon Dieu, s’il arrive que tu ne saches comment me sauver des barques magiques des Égyptiens, je te livrerai à une mort mauvaise et qui sera lente pour toi ! Il dit : Monseigneur le roi, qu’on m’envoie en Égypte afin que je puisse voir celui des Égyptiens qui fabrique les sorcelleries, que je puisse faire œuvre de magie contre lui, et que je lui inflige le châtiment que je médite contre ses mains. On envoya donc Horus, le fils de Tnahsît, de par-devant le roi, et il alla d’abord à l’endroit où sa mère Tnahsît était. Elle lui dit : Quel est ton dessein, mon fils Horus ? Il lui dit : Les sorcelleries d’Horus, le fils de Panishi, ont maîtrisé mes sorcelleries. Elles ont transporté par trois fois le roi en Égypte, à l’endroit où est Pharaon, on lui a administré une volée de courbache, cinq cents coups, en public, devant Pharaon, puis elles l’ont rapporté à la terre des Nègres, le tout en six heures de temps, sans plus, et mes sorcelleries n’ont pu le sauver de leurs mains. Et maintenant le roi est irrité contre moi excessivement, et, pour éviter qu’il me livre à la mort mauvaise et lente, je veux aller en Égypte afin de voir celui qui fabrique les sorcelleries et de lui infliger le châtiment que je médite contre ses mains. Elle dit : Sois sage, ô mon fils Horus, et ne va pas au lieu où est Horus, le fils de Panishi[108]. Si tu vas en Égypte pour y conjurer, garde-toi contre les hommes d’Égypte, car tu ne peux pas lutter contre eux ni les vaincre, si bien que tu ne reviendras pas au pays des Nègres, jamais. Il lui dit : Ce ne m’est rien les discours que tu me tiens ; je ne puis pas ne pas aller en Égypte, pour y jeter mes sortilèges. Tnahsît, sa mère, lui dit : Puis donc qu’il faut que tu te rendes en Égypte, établis des signes entre toi et moi : s’il arrive que tu sois vaincu, je viendrai vers toi pour voir si je puis te sauver. Il lui dit : Si je suis vaincu, lorsque tu boiras ou que tu mangeras, l’eau deviendra couleur de sang devant toi, les provisions deviendront couleur de sang devant toi, le ciel deviendra couleur de sang devant toi[109]. Quand Horus, le fils de Tnahsit, eut établi des signes entre lui et sa mère, il fila vers l’Égypte, ayant mangé les sorcelleries[110], il voyagea depuis ce qu’Amon fit[111] jusqu’à Memphis et jusqu’au lieu où Pharaon se tenait dépistant[112] qui faisait magie de grimoire en Égypte. Lorsqu’il arriva dans la cour d’audience par-devant Pharaon, il parla d’une voix haute, disant : Holà, qui est-ce qui fait sorcellerie contre moi dans la cour d’audience, à la place où se tient le Pharaon, au vu du peuple d’Égypte ? Les deux scribes de la Maison de Vie, ou seulement le scribe de la Maison de Vie qui a ensorcelé le roi, l’amenant en Égypte malgré moi ? Après qu’il eut parlé de la sorte, Horus, le fils de Panishi, qui se tenait dans la cour d’audience par-devant Pharaon, dit : Holà, l’ennemi éthiopien, n’es-tu pas Horus, le fils de Tnahsît ? N’es-tu pas celui qui pour me fasciner dans les vergers de Râ, ayant avec toi ton compagnon éthiopien, t’es plongé avec lui dans l’eau, et t’es laissé couler avec lui sous la montagne, à l’est d’Héliopolis[113] ? N’est-ce pas toi qui t’es plu à faire voyager Pharaon, ton maître, et qui l’as fait rouer de coups, à l’endroit où le roi d’Éthiopie se trouvait, puis qui viens vers l’Égypte, disant : N’y a-t-il pas ici qui fait sorcellerie contre moi ? Par la vie d’Atoumou, le maître d’Héliopolis, les dieux de l’Égypte t’ont ramené ici pour te rétribuer dans leur pays. Prends ton courage, car je viens à toit ! L’heure que dit ces mots Horus, le fils de Panishi, Horus, le fils de Tnahsît, lui répondit, disant : Est-ce pas celui à qui j’enseignai « le discours du chacal[114] qui fait sorcellerie contre moi ? La peste d’Éthiopien fit une opération de magie par grimoire ; elle fit jaillir la flamme dans la cour d’audience, et Pharaon, ainsi que les principaux de l’Égypte, poussa un grand cri, disant : Accours à nous, chef des écrits, Horus, le fils de Panishi ! Horus, le fils de Panishi, fit une formule de grimoire ; il fit se produire au ciel une pluie du midi[115] au-dessus de la flamme, et celle-ci fut éteinte en un instant. L’Éthiopien fit une autre opération de magie par grimoire ; il fit paraître une nuée immense sur la cour d’audience, si bien que personne n’aperçut plus son frère ni son compagnon. Horus, le fils de Panishi, récita un écrit vers le ciel, et il déblaya celui-ci, si bien qu’il se rasséréna du vent mauvais qui soufflait en lui. Horus, le fils de Tnahsît, fit une autre opération de magie par grimoire ; il fit paraître une voûte énorme de pierre, longue de deux cents coudées et large de cinquante, au-dessus de Pharaon ainsi que de ses princes, et cela afin de séparer l’Égypte de son roi, la terre de son souverain. Pharaon regarda en haut, il aperçut la voûte de pierre au-dessus de lui, il ouvrit sa bouche d’un grand cri, lui et le peuple qui était dans la cour d’audience. Horus, le fils de Panishi, récita une formule de grimoire ; il fit paraître un canot de papyrus, il le fit se charger de la voûte de pierre, et le canot s’en alla avec celle-ci au bassin immense[116], la grande eau de l’Égypte ! La peste d’Éthiopien le sut qu’il était incapable de lutter contre le sorcier d’Égypte ; il fit une opération de magie par grimoire, si bien que personne ne le vît plus dans la cour d’audience, et cela avec l’intention de s’en aller à la Terre des Nègres, son pays. Mais Horus, le fils de Panishi, récita un écrit sur lui, il dévoila les sorcelleries de l’Éthiopien, il fit que Pharaon le vît, ainsi que les peuples d’Égypte qui se tenaient dans la cour d’audience, si bien qu’il sembla un vilain oison prêt à partir. Horus, le fils de Panishi, récita un écrit sur lui ; il le renversa sur le dos, avec un oiseleur debout au-dessus de lui, un couteau pointu à la main, sur le point de lui faire un mauvais parti. Tandis que tout cela s’accomplissait, les signes dont Horus, le fils de Tnahsît, était convenu entre lui et sa mère[117], se produisaient tous par-devant elle ; elle n’hésita pas à monter vers l’Égypte en la forme de l’oie, et elle s’arrêta au-dessus du palais de Pharaon, elle claironna à toute sa voix vers son fils, qui avait la forme d’un vilain oiseau menacé par l’oiseleur. Horus, le fils de Panishi, regarda au ciel, il vit Tnahsît sous la forme en laquelle elle était, et il reconnut que c’était Tnahsît l’Ethiopienne ; il récita un grimoire contre elle, il la renversa sur le dos avec un oiseleur debout au-dessus d’elle, dont le couteau allait lui donner la mort. Elle se mua de la forme en laquelle elle était, elle prit la forme d’une femme éthiopienne, et elle le supplia, disant : Ne viens pas contre nous, Horus, le fils de Panishi, mais pardonne-nous cet acte criminel ! Si tant est que tu nous donnes un bateau, nous ne reviendrons plus en Égypte une autre fois ! Horus, le fils de Panishi, jura par Pharaon ainsi que par les dieux de l’Égypte, à savoir : Je ne suspendrai pas mon opération de magie par grimoire, si vous ne me prêtez serment de ne jamais revenir en Égypte sous aucun prétexte ». Tnahsît leva la main en foi qu’elle ne viendrait en Égypte à toujours et à jamais. Horus, le fils de Tnahsît, jura, disant : Je ne reviendrai pas en Égypte avant quinze cents ans ! Horus, le fils de Panishi, renversa son opération de grimoire ; il donna un bateau à Horus, le fils de Tnahsît, ainsi qu’à Tnahsît, sa mère, et ils filèrent vers la Terre des Nègres, leur pays. Ces discours, Sénosiris les tint par-devant Pharaon, tandis que le peuple entendait sa voix, que Satmi, son père, voyait tout, que la peste d’Éthiopien était prosternée le front contre terre, puis il dit : Par la vie de ta face, mon grand Seigneur, l’homme que voici devant toi, c’est Horus, le fils de Tnahsît, celui-là même de qui je raconté les actes, qui ne s’est pas repenti de ce qu’il fit auparavant, mais qui est revenu en Égypte après quinze cents ans pour y jeter ses sortilèges. Par la vie d’Osiris, le dieu grand, maître de l’Amentît, devant qui je vais reposer, je suis Horus, le fils de Panishi, moi qui me tiens ici devant Pharaon. Lorsque j’appris dans l’Amentît que cet ennemi d’Éthiopien allait jeter ses sacrilèges contre l’Égypte, comme il n’y avait plus en Égypte ni bon scribe, ni savant qui pût lutter contre lui, je suppliai Osiris dans l’Amentît qu’il me permît de paraître sur terre de nouveau, pour empêcher celui-ci d’apporter l’infériorité de l’Égypte à la Terre des Nègres. On commanda par-devant Osiris de me ramener à la terre et je ressuscitai, je montai en germe jusqu’à ce que je rencontrai Satmi, le fils de Pharaon, sur la montagne d’Héliopolis ou de Memphis ; je crûs en ce plant de colocase afin de rentrer dans un corps et de renaître à la terre, pour faire sorcellerie contre cet ennemi d’Éthiopien qui est là dans la cour d’audience. Horus, le fils de Panishi, fit une opération de magie par grimoire, en la figure de Sénosiris, contre la peste d’Éthiopien ; il l’enveloppa d’un feu qui le consuma dans le milieu de la cour, au vu de Pharaon ainsi que de ses nobles et du peuple d’Égypte, puis Sénosiris s’évanouit comme une ombre d’auprès de Pharaon et de son père Satmi, si bien qu’ils ne le virent plus. Pharaon s’émerveilla plus que tout au monde, ainsi que ses nobles, des choses qu’ils avaient vues sur la cour d’audience, disant : Il n’y eut jamais bon scribe, ni savant pareil à Horus, le fils de Panishi, et il n’y en aura plus de la sorte après lui de nouveau. Satmi ouvrit sa bouche d’un grand cri pour ce que Sénosiris s’était évanoui comme une ombre et qu’il ne le voyait plus. Pharaon se leva de la cour d’audience, le cœur très affligé de ce qu’il avait vu ; Pharaon commanda qu’on fit des préparatifs en présence de Satmi pour le bien accueillir à cause de son fils Sénosiris et pour lui réconforter le cœur. Le soir venu, Satmi s’en alla à ses appartements, le cœur troublé grandement, et sa femme Mahîtouaskhît se coucha près de lui ; elle conçut de lui la nuit même, elle ne tarda pas à mettre au monde un enfant mâle, qu’on nomma Ousimanthor. Toutefois, il arriva que jamais Satmi n’interrompit de faire des offrandes et des libations par-devant le génie d’Horus, le fils de Panishi, en tout temps. C’est ici la fin de ce livre qu’a écrit... III — COMMENT SATNI-KHÂMOÎS TRIOMPHA DES ASSYRIENSIl y a longtemps qu’on a reconnu le caractère romanesque du récit qu’Hérodote nous a conservé, au livre deuxième et au chapitre CXLI de ses histoires, sur le compte du prêtre de Vulcain Séthon, qui triompha des Assyriens et de leur roi Sennachérib. On convenait volontiers que c’était une version égyptienne des faits racontés dans la Bible aux Livres des Rois (II, XIX, 35-36), mais on ne savait qui était le Séthon au compte de qui l’imagination populaire avait inscrit ce miracle. Le roi Zêt, que l’Africain ajoute aux listes de Manéthon vers la fin de la XXIIIe Dynastie, n’est peut-être qu’un doublet un peu défiguré du Séthon d’Hérodote, et les monuments de l’époque assyrienne ou éthiopienne ne nous ont rendu jusqu’à présent aucun nom de souverain qui puisse correspondre exactement au nom grec. Krall, le premier, rapprocha Séthon du Satni, fils de Ramsès II, qui est le héros des deux contes précédents (Ein neuer historicher Roman, dans les Mitteilungen aus den Sammlungen der Papyrus des Erzherzogs Rainer, t. VI, p. 1, note 3), mais il le fit en passant, sans insister, et son opinion trouva peu de créance auprès des égyptologues. Elle fut reprise et développée tout au long par Griffith, dans la préface de son édition des deux contes (Scories of the High-Priesis of Memphis, p. 1-12), et, après avoir examiné de près la question, il me parait difficile de ne pas admettre au moins provisoirement qu’elle est très vraisemblable. Hérodote nous aurait transmis de la sorte le thème principal d’un des contes relatifs à Satni-Khâmoîs, le plus ancien de ceux qui nous sont parvenus. Satni n’a pas occasion d’y exercer les pouvoirs surnaturels dont la tradition postérieure l’arme surabondamment : c’est sa piété qui lui assure la victoire. Le conte n’appartient donc, pas au cycle magique. Il rentre dans un ensemble de récits destinés à justifier l’opposition que la classe sacerdotale faisait à la classe militaire depuis la chute des Ramessides, et à montrer la supériorité du gouvernement théocratique sur les autres gouvernements. L’aristocratie féodale a beau y refuser son aide au prêtre-roi : la protection du dieu suffit pour assurer à une armée de petits bourgeois ou d’artisans dévots la victoire sur une armée de métier, et c’est elle seule qui délivre l’Égypte de l’invasion. Après Anysis, régna le prêtre d’Héphæstos qui a nom Séthon. Il traita avec mépris les hommes d’armes égyptiens, pensant n’avoir jamais besoin d’eux ; il leur infligea divers outrages, et, entre autres, il leur enleva les fiefs composés de douze aroures de terre que les rois antérieurs avaient constitués à chacun d’eux. Or, par la suite, Sanacharibos, le roi des Arabes et des Assyriens, conduisit une grande armée contre l’Égypte ; mais alors les hommes d’armes égyptiens refusèrent de marcher et le prêtre, réduit à l’impuissance, entra dans le temple et se répandit en plaintes devant la statue à l’idée des malheurs qui le menaçaient. Tandis qu’il se lamentait, le sommeil le surprit ; il lui sembla que le dieu, lui apparaissant, l’exhortait à prendre courage et l’assurait que rien ne lui arriverait de fâcheux dans sa campagne contre l’armée des Arabes, car lui-même il lui enverrait du secours[118]. Confiant en son rêve, il rassembla ceux des Égyptiens qui consentirent à le suivre, et il alla camper à Péluse, car c’est par là qu’on pénètre en Égypte : aucun des hommes d’armes ne le suivit, mais seulement des marchands, des artisans, des gens de la rue. Lors donc que les ennemis se présentèrent pour assiéger la ville, des rats campagnols se répandirent de nuit dans leur camp et leur rongèrent tous les carquois, puis tous les arcs, jusqu’aux attaches des boucliers, si bien que le lendemain ils durent s’enfuir désarmés et qu’il en périt beaucoup. Et maintenant l’image en pierre de ce roi est debout dans le temple d’Héphæstos. Elle tient un rat à la main, et elle dit dans l’inscription qui est tracée sur elle : Quiconque me regarde, qu’il respecte le dieu ! |
[1] Je rappelle une fois de plus au lecteur que ce début est une restitution et que le texte original des deux premières pages est détruit. Ouasimarîya est le prénom de Ramsès II, que les Grecs ont transcrit Ousimarès, d’après la prononciation courante à l’époque des Ptolémées.
[2] Brugsch lisait le nom égyptien An-ha-hor-rau (1867) ou An-ho-hor-ru (1818), ce qui n’est qu’une simple différence de transcription ; Griffith avait proposé Anoukh-harerôou (Scories of the High Priests of Memphis, p. 31, 118). Spiegelberg a démontré (Demotische Miscellen, dans le Recueil de Travaux, t. XXVIII, p. 198 ; cf. die Demotische Papyri, Text, p. 114, note 6) que Éiérharerôou était le prototype du nom transcrit Inarôs par les Grecs.
[3] C’est-à-dire les livres magiques de la bibliothèque sacerdotale. Nous avons un témoignage direct de l’activité des savants et des sorciers égyptiens dans le texte qu’a publié Daressy, Note sur une inscription hiératique d’un mastaba d’Abousir, extrait du Bulletin de l’Institut égyptien, 1894.
[4] L’auteur du roman n’a pas inventé le caractère de son héros Khâmuasit, Khâmoîs ; il l’a trouvé formé de toutes pièces. Un des papyrus du Louvre (n° 3248) renferme une série de formules magiques dont on attribuait l’invention à ce prince. La note qui nous fournit cette attribution prétend qu’il avait trouvé le manuscrit original sous la tète d’une momie, dans la nécropole de Memphis, probablement pendant une de ces tournées de déchiffrement dont parle notre conte.
[5] Brugsch lisait le nom du roi Mer-kheper-ptah, en dernier lieu ; sa première lecture, Mer-neb-phtah, ou Minebphtah, s’est trouvée être la vraie. Spiegelberg a signalé (Demotische Papyrus aus der Insel Elephantine, p. 9) les transcriptions grecques Bérénebthis, Bérénebtis, Pérénebthis, Pernebihis, où, par suite d’un phénomène assez fréquent en égyptien, le M initial est devenu un B-P.
[6] C’est ainsi que certains des livres hermétiques passaient pour avoir été retirés de la tombe du savant qui les avait écrits. Déjà aux temps gréco-romains, cette donnée avait passé en Occident. Le célèbre roman d’Antonius Diogène avait été recueilli de la sorte. Au témoignage de Pline (XXX, 2), le philosophe Démocrite d’Abdère avait emprunté ses connaissances en magie à Apollobéchis de Coptos et à Dardanus le Phénicien, voluminibus Dardani in sepulchrum ejus petitis ; il devait sa science chimique aux ouvrages d’0sianès, qu’il avait découverts dans une des colonnes du temple de Memphis.
[7] C’est ainsi que j’interprète les fragments qu’on petit lire sur le feuillet que Spiegelberg a découvert (cf. l’introduction de ce conte).
[8] Cf. plus loin le passage où Salai enlève le livre, et où la nuit se fait dans le tombeau, puis celui où, le livre étant rapporté, la lumière reparaît.
[9] Brugsch a lu Merhu, puis Mer-ko-nefer, Maspero Mikhonsou, Hess et Griffith Mer-ab, le nom de l’enfant. Le déchiffrement de Hess est très bon, et sa lecture serait irréprochable s’il s’agissait d’un texte de la vieille époque ; pour les Égyptiens de l’âge ptolémaïque, la lecture devait être Mîhêt, Maîhêt, ou Méîhêt.
[10] Le ka ou double naissait avec l’enfant, grandissait avec l’homme, et, subsistant après la mort, habitait le tombeau. Il fallait le nourrir, l’habiller, le distraire ; aussi est-ce à lui qu’on donnait les offrandes funéraires. Comme le prouve notre conte, il pouvait quitter l’endroit où son corps était déposé pour aller résider dans le tombeau de tel ou tel autre membre de sa famille.
[11] On voit, par les tableaux du Pavillon de Médinét-Habou, que, chaque jour, le roi se rendait au harem pour s’y divertir avec ses femmes c’est probablement ce moment de la journée que notre conte appelle le moment de se divertir avec le roi.
[12] L’usage universel en Égypte était que le frère épousât une de ses sœurs. Les dieux et les rois eux-mêmes donnaient l’exemple, et l’habitude de ces unions, qui nous paraissent monstrueuses, était si forte, que les Ptolémées finirent par s’y soumettre. La célèbre Cléopâtre avait eu successivement ses deux frères pour maris.
[13] Ici commence la partie conservée du texte. Dans la restitution qui précède, j’ai essayé de n’employer, autant que possible, que des expressions et des données empruntées aux feuillets restants. Bien entendu, les quelques pages de français qui précèdent ne représentent pas, à beaucoup près, la valeur des deux feuillets démotiques perdus : je me suis borné à reconstruire un début général, qui permit aux lecteurs de comprendre l’histoire, sans développer le détail des événements.
[14] La Double maison de vie était, comme E. de Rougé l’a montré (Stèle de la Bibliothèque impériale, p. 71-99), le collège des hiérogrammates versés dans la connaissance des livres sacrés ; chacun des grands temples de l’Égypte avait sa Double maison de vie. Le passage de notre conte pourrait faire croire que ces scribes tenaient une sorte d’état civil, mais il n’en est rien. Les scribes de la Double maison de vie étaient, comme tous les savants de l’Égypte, des scribes astrologues, devins et magiciens. On leur apportait les enfants des rois, des princes, des nobles ; ils tiraient l’horoscope, ils prédisaient l’avenir du nouveau-né, ils indiquaient les noms les meilleurs, les amulettes spéciaux, les précautions à prendre selon les cas, pour reculer aussi loin que possible les mauvaises indications du sort. Tous les renseignements qu’ils donnaient étaient inscrits sur des registres qui servaient probablement à rédiger les calendriers des jours fastes et néfastes, analogues à celui dont le Papyrus Sallier n° IV nous a conservé un fragment (Chabas, Le Calendrier des jours fastes et néfastes de l’année égyptienne, 1865), et dont j’ai parlé dans l’Introduction de ce livre.
[15] Il n’est pas facile de comprendre d’abord ce que sont les stèles des Scribes de la Double maison de vie, auxquelles Satni et Nénoferképhtah attachaient une si grande importance. Je crois qu’il faut y voir ces stèles talismans dont le Pseudo-Callisthènes, les écrivains hermétiques, et, après eux, les auteurs arabes de l’Égypte nous ont conté tant de merveilles. Les seules qui soient parvenues jusqu’à nous, comme la Stèle de Metlernich, contiennent des charmes contre la morsure des bêtes venimeuses, serpents, scorpions, araignées, mille-pattes, ou contre la grille des animaux féroces. On conçoit qu’un amateur de magie comme l’était Nénoferképhtah recherchât ce genre de monuments, dans l’espoir d’y découvrir quelque formule puissante oubliée des contemporains.
[16] Cf. dans l’histoire de Khoufouî et des magiciens, ce qui est dit des livres de Thot. Les livres hermétiques, qui nous sont arrivés en rédaction grecque, sont un reste de cette bibliothèque sacrée qui passait pour être l’œuvre du dieu.
[17] Les facultés que le second feuillet du livre de Thot accorde à celui qui le possède sont les mêmes que celles qu’assurait la connaissance des prières du Rituel funéraire : chapitre XVIII, pouvoir de passer sans danger à travers le feu, chapitre XXIII, posséder les charmes nécessaires à la sécurité personnelle de celui qui le savait par cœur, et ainsi de suite. Il s’agissait, pour le mort, de pouvoir ranimer son corps momifié et de s’en servir à son gré ; il s’agissait, pour le vivant, de voir, non plus l’astre soleil, mais le dieu même dont l’astre cachait la forme, et les dieux qui l’accompagnaient.
[18] Le texte porte cent tabonou. Le tabonou pesait de 0,89 à 0,91 grammes en moyenne ; cent tabonou représenteraient donc entre 8 kilogr. 9 et 9 kilogr. 1 d’argent, soit, en poids, plus de 1.800 francs de notre monnaie.
[19] Le mot égyptien n’est pas lisible. La demande du prêtre n’a d’ailleurs rien d’extraordinaire pour qui connaît un peu les mœurs du pays. Elle n’est que l’expression d’un souhait, celui de bonne sépulture, — qaise nofre — qu’on rencontre à toutes les époques sur les stèles funéraires : au temps même où l’on écrivait notre roman, l’importance en était si fort appréciée que la bonne momification, le bon tombeau, ταφή άγαθή, est mentionnée à plusieurs reprises dans les papyrus parmi les dons qui découlent de l’heureuse influence des astres sur l’humanité, la richesse, une postérité excellente, la fortune. Les rois et les grands seigneurs commençaient d’ordinaire à faire creuser leur tombe au moment où ils entraient en possession de leur héritage. Ouni avait reçu du Pharaon Pioupi Ier, et le médecin Sokhitmânoukhou du Pharaon Ousirkaf, les pièces principales de leur chambre funéraire. Il serait très possible qu’en Égypte, comme en Chine, le cadeau d’un cercueil ait été fort estimé. Les deux cercueils du prêtre étaient nécessaires à un enterrement riche : chaque momie de distinction avait, outre son cartonnage, deux cercueils en bois s’emboîtant l’un dans l’autre, comme on peut le voir au Musée du Louvre.
[20] Le mot employé ici est iaoumâ, la mer. Reitzenstein (Hellenistiche Wuttderersählungen, p. 114-115) l’interprète par la mer près de Coptos, c’est-à-dire la mer Rouge que l’on gagne en partant de Coptos. Ici, comme au Conte des deux frères, il s’agit du Nil. Le Nil, en traversant le nome, recevait un nom spécial : le fleuve de Coptos est la partie du Nil qui passe dans le nome de Coptos.
[21] Loret a donné de bonnes raisons pour reconnaître dans le mot qad, qod, notre cannelier (Recueil de travaux, t. IV, p. 21, t. VII, p. 112).
[22] En comparant cet endroit au passage où Nénoferképhtah trouve le livre, on verra que l’ordre des coffrets n’est pas le même. Le scribe s’est trompé ici dans la manière d’introduire l’énumération. Il aurait dû dire : Le coffret de fer renferme un coffret de bronze ; le coffret de bronze renferme un coffret en bois de cannelier, etc., au lieu de : Le coffret de fer est dans un coffret de bronze ; le coffret de bronze a est dans un coffret de bois de cannelier, etc.
[23] Le schœne mesure à l’époque ptolémaïque environ 12.000 coudées royales de 0 m. 52.
[24] Le serpent immortel est peut-être ce grand serpent qui est censé vivre encore aujourd’hui dans le Nil et de qui les fellahs racontent des histoires curieuses (Maspero, Mélanges de Mythologie, t. II).
[25] Le pays de Thébaïde et la ville de Thèbes sont représentés sous la forme d’une déesse. Il se pourrait donc que l’hostilité du pays de Thébaïde fût, non pas l’hostilité des habitants du pays, qui reçurent bien les visiteurs quand ceux-ci débarquèrent à Coptes, mais l’hostilité de la déesse en laquelle s’incarnait le pays de Thébaïde, et qui devait voir avec peine lui échapper le livre confié par Thot à sa garde.
[26] Le canal qui passe à l’ouest des ruines de Coptes n’est pas navigable en tous temps, et le Nil coule à une demi-heure environ de la ville : c’est ce qui explique les expressions de notre texte. Nénoferképhtah a pris terre au même endroit probablement où s’arrêtent encore aujourd’hui les gens qui veulent aller à Kouft, soit au hameau de Baroud ; les prêtres et prêtresses d’Isis, avertis de son arrivée, viennent à lui le long de la levée qui réunit Baroud à Kouft, et qui délimite de toute antiquité un des bassins d’irrigation les plus importants de la plaine thébaine.
[27] L’expression littérale pour se divertir est faire un jour heureux.
[28] Roms, Romes, c’est l’espèce de bateau dont le nom est transcrit en grec Rhômpsis et Rhôps dans certains papyrus des temps gréco-romains. On trouve dans le roman grec d’Alexandre la description d’une barque magique, construite par le roi-sorcier Nectanébo, et, dans les romans d’Alexandre dérivés du roman grec, l’indication d’une cloche de verre au moyen de laquelle le héros descend jusqu’au fond de la mer. Les ouvriers et leurs outils sont des figurines magiques, auxquelles la formule prononcée par Nénoferképhtah donne la vie et le souffle, comme faisait le chapitre VI aux figurines funéraires si nombreuses dans nos musées. Ces figurines étaient autant d’ouvriers chargés d’exécuter ; pour le mort, les travaux des champs dans l’autre monde : elles piochaient pour lui ; labouraient pour lui, récoltaient pour lui, de la même manière que les ouvriers magiques rament et creusent pour Nénoferképthah.
[29] Cf. plus haut, dans Le Roi Khoufouî et les Magiciens, dans le même ordre d’idées, le crocodile de cire qu’Oubaouanir fabrique et qui, jeté à l’eau, s’anime et s’agrandit au point de devenir un crocodile véritable.
[30] Ce membre de phrase est une restitution probable, mais non certaine.
[31] Litt. : Il ne fit pas eux s’envoler. C’est le même terme qui sert, dans le Conte du Prince prédestiné, à marquer le procédé magique employé par les princes pour arriver à la fenêtre de la fille du chef de Naharinna. Un des papyrus de Leyde, un papyrus du Louvre, le Papyrus magique Harris, renferment des conjurations contre les scorpions et contre les reptiles, du genre de celles que le conteur met dans la bouche de Nénoferképhtah.
[32] Cette lutte contre des serpents, gardiens d’un livre ou d’un endroit, repose sur une donnée religieuse. A Dendérah, par exemple (Mariette, Dendérah, t. III, pl. 14, a, b), les gardiens des portes et des cryptes sont figurés sous forme de vipères, de même que les gardiens des portes des douze régions du monde inférieur. La déesse-serpent Marîtsakro était la gardienne d’une partie de la montagne funéraire de Thèbes, entre el-Assassif et Qournah, et surtout du sommet en forme de pyramide qui domine toute la chaîne, et qu’on nommait Ta-tehnît, le Front. Dans le roman d’Alexandre, on trouve, au sujet de la fondation d’Alexandrie, l’histoire d’une lutte analogue à celle que soutient Nénoferhéphtah (Pseudo-Callisthène, p. 34-35), mais l’ordre est renversé ; le menu fretin des serpents n’apparaît qu’après la mort du serpent éternel. Sur la perpétuité de cette superstition du serpent gardien, voir Lane, Modern Egyptians, London, 1837, t. I, p. 310-311, où il est dit que chaque quartier du Caire has its peculiar guardian genius..., which bas the form of a serpent.
[33] C’est un des euphémismes usités en Égypte pour désigner l’officine où travaillent les embaumeurs et aussi le tombeau.
[34] Le procédé de Nénoferképhtah a été employé de tout temps en Orient. On fabriquait à Babylone, et l’on fabrique encore à Bagdad et au Caire, des bols en terre cuite non vernissée, sur lesquels on traçait à l’encre des formules magiques contre telle ou telle maladie. Oh y versait de l’eau qui délayait l’encre en partie et que le malade avalait ; tant qu’il restait de l’écriture au fond du vase, la guérison était certaine (Lane, Modern Egyptians, 1837, t. I, p. 347-348). M. de Sévigné ne souhaitait-elle pas pouvoir faire un bouillon des œuvres de M. Nicole pour s’en assimiler les vertus ?
[35] On était Pharaon au Conte des deux frères : c’est ici Râ, roi des dieux, et au début des temps, Pharaon en Égypte.
[36] Sur le sens de cette locution, cf. E. Lefébure, Rites égyptiens, p. 87. Le terme hasi, le loueur, le chanteur du dieu, s’applique aux morts d’une façon presque constante à partir du second empire thébain : louer Râ est un euphémisme par lequel on désignait l’acte de mourir, surtout de mourir étouffé dans l’eau. À l’âge ptolémaïque hasi veut dire noyé, et on le dit, beaucoup d’Osiris dont Typhon avait jeté le corps au Nil (Griffith-Thompson, The Demotic Magical papyrus, p. 38 ; et Apotheosis by drowning, dans la Zeitschrift, 1910, t. XLVI, p. 132-134). Il loua Râ équivaut ici à il se noya.
[37] Un des livres magiques de la collection du musée de Leyde passait pour être la copie d’un original découvert au cou du roi Ousimarés, dans le tombeau. (Pleyte, Chapitres supplémentaires du Livre des Morts, p. 50 sqq.). Aussi bien un autre exemplaire du même ouvrage, qui appartient au musée du Caire, fut trouvé dans le cercueil de la prêtresse d’Amon Tatoumaout, placé à la naissance du cou (Daressy, Inscriptions sur les objets accompagnant la momie de Tadumaut, dans les Annales du Service des Antiquités, t. III, p. 156-151).
[38] Qanbouatiou, les gens de l’angle, ceux qui se tiennent aux quatre côtés du roi et de la salle où il donne audience.
[39] Nénoferképhtah avait disparu dans le fleuve, et personne ne savait en quel lieu il était : à Memphis, on le trouve accroché aux rames-gouvernail de la cange royale, et le texte a soin d’ajouter que c’était en sa qualité de scribe excellent. Ce prodige était dû à la précaution qu’il avait prise de fixer le livre de Thot sur sa poitrine ; la vertu magique avait relevé le corps et l’avait attaché aux rames, à l’insu de tout le monde.
[40] L’exclamation des prêtres de Phtah, que rien ne parait justifier de prime abord, est une réponse indirecte à l’ordre du roi. Le roi commande qu’on prenne le livre de Thot, qui a déjà causé la mort de trois personnes. Les prêtres n’osent point lui désobéir ouvertement, mais, en disant que Nénoferképhtah était un grand magicien, ils lui laissent entendre que toute la science du monde ne peut soustraire les hommes à la vengeance du Dieu. De quels malheurs serait menacé celui des assistants qui prendrait le livre et qui n’aurait pas les mêmes connaissances que Nénoferképhtah en sorcellerie ! L’événement prouve que cette interprétation un peu subtile de notre texte est exacte. Le roi a compris les craintes de ses courtisans et il a révoqué l’ordre imprudent qu’il avait donné, car le livre de Thot est encore sur la momie de Nénoferképhtah, au moment où Satni vient le lui disputer.
[41] En d’autres termes, par une lutte de science entre magiciens de pouvoir égal.
[42] Sur le sens de ce passage, cf. Spiegelberg, der Sagenkreis des Konigs Petubastis, p. 56, note 9. Le jeu de dames était le divertissement favori des morts. On déposait souvent avec eux dans le tombeau un damier, les pions, et les osselets par lesquels on réglait la marche des pions. Certaines vignettes du Rituel funéraire nous montrent le maître occupé à jouer ainsi dans l’autre monde, sous un petit pavillon ou sous la voûte d’un hypogée (Naville, Todtenbuch, t. I, pl. XXVIP. Les Égyptiens modernes ont deux jeux au moins, celui de mounkalah et celui de Tab, qui doivent présenter des analogies avec les parties de Satni contre Nénoferképhtah. On les trouvera expliqués tout au long dans Lane, An Account of the Manners and Customs of the Modern Egyptians, 1e édit., London, 1831, t. II, p. 51 sqq. ; le mounkalah se joue en soixante points. Ajoutons qu’il y a au musée de Turin les fragments, malheureusement mutilés, d’un papyrus où sont données les règles de plusieurs jeux de dames et qui ont été étudiés par Devéria, puis par Wiedmann, J’y ai cherché en vain l’explication de la partie liée entre les deux héros du conte : dans l’état actuel de nos connaissances, la marche est impossible à suivre et la traduction de notre passage reste conjecturale.
[43] Les pièces de jeu s’appelaient chiens : on a, en effet, dans les musées, quelques pions qui ont une tête de chien ou de chacal (Birch, Rhampsinitus and the Game of Draughts, p. 4, 14). C’est le même nom que les Grecs leur donnaient, et le même aussi, kelb, au pluriel kilâb, dont on désigne encore aujourd’hui en Égypte celles du jeu de tab. Je me sers du mot brette pour rendre le terme égyptien, faute de trouver une expression mieux appropriée à la circonstance. C’est la planchette divisée en compartiments sur laquelle on faisait marcher les chiens. Le Louvre en possède deux dont l’une porte le cartouche de la reine Hatchopsouitou (XVIIIe dynastie).
[44] Nénoferképhtah a gagné un coup. Cet avantage lui permet de réciter son grimoire, ce qui a pour résultat d’enlever à Satni .une partie de sa force magique. Nénoferképhtah met sur son adversaire la brette qui était devant lui : cette opération a la même vertu que celle du marteau magique et elle fait entrer en terre jusqu’aux pieds celui qui la subit. Les Actes apocryphes de saint Philippe racontaient une aventure pareille arrivée au saint : à chaque coup qu’il gagnait, son adversaire, un prêtre païen, s’enfonçait dans le sol jusqu’aux genoux d’abord, puis jusqu’au nombril, et enfin jusqu’au cou (Rëitzenstein, Hellenistische Wundererzühlungen, p. 132-133).
[45] Ce titre de père est celui que le roi, descendant et même fils du Soleil, confère à tous les dieux ; ici, toutefois, il trouve sa raison d’être spéciale dans le fait que notre Khâmoîs était le grand-prêtre de Phtah Memphite. Les talismans de Phtah ne nous sont pas connus par ailleurs : il est intéressant de constater par ce passage qu’on en tenait la vertu pour supérieure à celle des talismans de Thot, que Nénoferképhtah possédait.
[46] Le livre de Thot éclairait la tombe : Satni, en l’emportant, emporte la lumière et laisse l’obscurité.
[47] C’est ainsi qu’au Livre de l’Hadès, chaque fois que le soleil, ayant traversé une des heures de la nuit, en sort pour entrer chez l’heure suivante, les mânes et les dieux qu’il quitte, plongés dans les ténèbres pour vingt-trois heures jusqu’à son retour, poussent des acclamations en son honneur et gémissent de retomber dans l’obscurité.
[48] Dans tous les rites magiques, le feu et l’épée, ou, à défaut de l’épée, une arme pointue en métal, lance ou fourche, sont nécessaires pour l’évocation et pour l’expulsion des esprits. Sur les lames de plomb qu’on trouve dans les cimetières d’Afrique, Typhon et les mauvais génies égyptiens que le sorcier appelle sont figurés parfois une lance à la main et une flamme sur la tête. Krall a pensé qu’il s’agissait ici d’un courrier (Papyrus Erzherzog Rainer, Führer durch die Ausstellung, p. 53, n° 106).
[49] Cette sorte d’obsession inéluctable produite par un écrit magique est décrite fortement dans d’autres textes. C’est ainsi que le prince Didoufhorou, fils de Mykérinos, l’un des héros du Conte de Khoufouî et des Magiciens, ayant découvert le chapitre LXIV du Livre des Morts, ne voyait plus, n’entendait plus, tant il récitait ce chapitre pur et saint ; il n’approchait plus des femmes, il ne mangeait plus ni chair ni poisson. L’abstinence et la chasteté étaient en effet des conditions indispensables à l’exercice des pouvoirs surhumains que les grimoires conféraient à leurs possesseurs ; comme on le verra par la suite du roman, c’est sur l’incontinence de Satni que Nénoferképhtah compte pour recouvrer son talisman.
[50] Le rôle joué par Tboubouî dans cet épisode est conforme aux données de la démonologie universelle, et nous révèle la nature du personnage. Elle n’est autre qu’Ahouri, revenue sur la terre pour séduire Satni et pour le mettre dans l’impuissance de se servir de ses armes magiques : lorsqu’elle l’aura rendu impur, Nénoferképhtah reviendra à son tour et l’obligera à restituer le livre de Thot. Sur ce concept, voir ce qui est dit dans l’Introduction.
[51] Ainsi que Wiedemann l’a remarqué fort ingénieusement (Altœgyptische Sagen und Mœrchen, p. 136, note 1), les cinquante-deux pages qui accompagnent Tbouboui sont les cinquante-deux pions de l’échiquier magique, animés et incarnés pour servir d’escorte à la princesse Ahouri dans son excursion au monde des vivants ; cf. Introduction.
[52] Le mot de page est un équivalent plus ou moins exact que j’emploie faute de mieux. Le terme égyptien sôtm-âshou signifie littéralement celui qui entend l’appel : on le trouve abrégé sous la forme sôtmou dans le Conte du Prince prédestiné. On connaît par les monuments une série nombreuse de sôtmou ashou m isit mdit, ou pages dans la place vraie, c’est-à-dire de domestiques attachés aux parties de la nécropole thébaine qui avoisinent Drah aboul Neggah, Déir-el-Bahari, el-Assassif, Chéikh Abd et Gournah, Déir et Médinéh, surtout cette dernière localité.
[53] Sur le quartier Ankhoutaoui, voit plus haut Le Roi Khoufouî et les Magiciens.
[54] Dix tabonou d’or font entre 0 kilogr. 890 et 0 kilogr. 910 d’or, soit en poids 3.000 francs environ de notre monnaie, mais beaucoup plus en valeur réelle.
[55] Aujourd’hui Tell Basta, près de Zagazig. Brugsch a séparé les deux parties qui forment le mot, et il a traduit au temple de Bastit. L’orthographe du texte égyptien ne permet pas cette interprétation ; il s’agit non pas d’un temple de Bastit, situé dans un des quartiers de Memphis, ni d’une partie de Memphis nommée Poubastit, mais de la maison de Bastit, de Bubaste. Le voyage est de ceux qui n’exigeaient pas de longs préparatifs ; il pouvait s’accomplir en quelques heures, au rebours du voyage de Coptos que font successivement Nénoferképhtah et Satni lui-même.
[56] Cette description répond très exactement à divers plans de maisons égyptiennes qui sont figurés sur les tableaux des tombeaux thébains. Qu’on prenne surtout celui dont j’ai donné le fac-similé et la restitution dans l’Archéologie Égyptienne (2° édit. p. 16-17, fig. 14 et 12) : on y trouvera le mur élevé, la porte avec perron, le grand jardin, le corps de logis situé dans le jardin et bâti à deux étages.
[57] Le mâfkait est un nom commun à tous les minéraux verts, ou bien tirant sur le vert, sulfate de cuivre, émeraude, turquoise, etc., que les Égyptiens connaissaient.
[58] Sur le sens de ce mot, cf. Maspero, Mélanges de Mythologie et d’Archéologie égyptiennes, t. IV, p. 431-432.
[59] Tboubouî se conforme ainsi à la jurisprudence de l’âge ptolémaïque d’après laquelle l’existence de deux actes, l’un de nourriture et l’autre d’argent, était nécessaire pour assurer une base légale à l’union de l’homme et de la femme et pour lui enlever jusqu’aux apparences du concubinage ; cf. Spiegelberg, Demotische Miscellen, § 32, dans le Recueil de Travaux, t. XXVIII, p. 190-195.
[60] C’est la grande robe de linon transparent, tantôt souple et tombant en plis mous, tantôt amidonnée et raide, dont les femmes sont revêtues dans les tableaux d’intérieur de l’époque thébaine : le corps tout entier était visible sous ce voile nuageux, et les artistes égyptiens ne se sont pas fait faute d’indiquer des détails qui montrent à quel point le vêtement cachait peu les formes qu’il recouvrait. Plusieurs momies de la trouvaille de Déir-el-Bahari, entre autres celle de Thoutmôsis III et de Ramsès II portaient, appliquées contre la peau, des bandes de ce linon, dont-on peut voir des spécimens au musée du Caire : il est jauni par le temps et par les parfums dont il fut trempé au moment de l’embaumement, mais les peintres anciens n’ont rien exagéré en représentant comme à peu près nues les femmes qui s’en habillaient. On comprendra, en l’examinant, ce qu’étaient ces gazes de Cos que les auteurs classiques appelaient de l’air tissé.
[61] De même, selon la tradition égyptienne, l’eunuque Bagoas, ayant assassiné le roi de Perse Okhos, aurait jeté son corps aux chats (Diodore de Sicile, XVII, V, § 3, et Élien, Histoires Variées, VI, 8). Dans le Conte des deux Frères, Anoupou tue sa femme et la jette aux chiens pour la punir d’avoir tenté et calomnié Baîti.
[62] Les exemples de ces transformations en pleine lutte amoureuse ne sont pas rares dans la littérature populaire. Le plus souvent elles sont produites par l’intervention d’un bon génie, d’un thaumaturge ou d’un saint qui vient sauver le héros des étreintes du succube. Ailleurs, c’est le succube lui-même qui s’accorde le malin plaisir d’effrayer son amant par une métamorphose subite ; cette dernière donnée a été souvent mise en œuvre par les conteurs européens, et en dernier lieu par Cazotte, dans son Diable amoureux. Un détail obscène, qui se rencontre quelques lignes plus bas et que je n’ai point traduit, prouve qu’ici, comme partout dans les contes de ce genre Tboubouî a dû se donner entière pour avoir son ennemi en son pouvoir. A peine maîtresse, elle ouvre une bouche énorme d’où sort un vent d’orage ; Satni perd connaissance et il est emporté loin de la maison pendant son évanouissement.
[63] Le texte porte ici un membre de phrase Aou qounef hi-khen n ouât shakhi, que je passe, et dont le sens sera clair pour toutes les personnes qui voudront bien recourir à l’original.
[64] Une taille plus qu’humaine est, à cette époque, le trait auquel on reconnaît les dieux ou les génies, lorsqu’ils se manifestent à l’homme : ainsi Hermès-Thot, dans le Pœmandrès, § 1.
[65] On voit le discours du roi, qui n’est autre que Nénoferképhtah, que toute la scène de coquetterie et de meurtre précédente n’avait pas été qu’une opération magique : Satni, devenu impur et criminel, perdait sa puissance surnaturelle. Comme je l’ai déjà marqué plus haut, le commerce avec les femmes a toujours pour effet de suspendre le pouvoir du sorcier, jusqu’au moment où il a pu accomplir les ablutions prescrites et redevenir pur. Aussi la séduction amoureuse est-elle un grand ressort d’action partout où le surnaturel est en jeu. Pour n’en citer qu’un exemple entre cent, dans les Mille et une Nuits (14e nuit), l’enchanteur Shahabeddin, après s’être uni à une femme, ne pouvait plus user avec succès de ses formules, jusqu’au moment où il avait accompli les purifications prescrites par le Coran en pareille circonstance, et s’était lavé de sa souillure.
[66] Cf. dans Le Naufragé, un cas de résurrection analogue pour les compagnons du Naufragé.
[67] Satni était grand-prêtre de Phtah ; la protection de son dieu l’a sauvé des magiciens, et c’est ce qu’Ahouri lui avoue, non sans quelque dépit probablement.
[68] En rapportant le livre magique, Satni avait fait rentrer dans la tombe la lumière, qui en était sortie lorsqu’il avait emporté le talisman.
[69] Où le corps est enterré, le double doit vivre. Nénoferképhtah a soustrait le double d’Ahouri et celui de Maîhêt à cette loi, par art de scribe habile, c’est-à-dire par magie, et il leur a donné l’hospitalité dans sa propre tombe ; mais c’est là une condition précaire et qui peut changer à chaque instant. Satni, vaincu dans la lutte polir la possession du livre de Thot, doit une indemnité au vainqueur : celui-ci lui impose l’obligation d’aller chercher à Coptos Ahouri et Maîhêt et de les ramener à Memphis. La réunion des trois momies assurera la réunion des trois doubles, à tout jamais.
[70] C’est la seconde transformation au moins que Nénoferképhtah opère dans la partie du conte qui nous a été conservée. Les mânes ordinaires avaient le droit de prendre toutes les formes qu’ils voulaient, mais ils ne pouvaient se rendre visibles aux vivants que dans des cas fort rares. Nénoferképhtah doit à sa qualité de magicien le privilège de faire aisément ce qui leur était défendu, et d’apparaître une fois en costume de roi, une autre fois sous la figure d’un vieillard (cf. Introduction).
[71] Le texte est trop mutilé en cet endroit pour que la restitution puisse être considérée comme certaine.
[72] En détruisant la maison, c’est-à-dire le tombeau d’un individu, on rendait impossible son culte funéraire, on affamait son double et on risquait de le faire périr, d’où colère du double qui se manifestait par des apparitions, des attaques, des possessions, des maladies dont souffraient les vivants. La loi était donc très sévère pour ceux qui, démolissant une tombe, risquaient de déchaîner ces maux : néanmoins il arrivait parfois que des gens convaincus de haine contre certains morts risquaient l’aventure. Satni craint que son informateur ne veuille profiter de la recherche qu’il entreprend pour assouvir sa haine, et ne le rende complice involontaire de son crime.
[73] Les restaurations de tombeaux et les transports de momies qui en étaient la conséquence n’étaient pas chose rare dans l’antiquité égyptienne : l’exemple le plus frappant nous en a été donné à Thèbes par la trouvaille de Déir-el-Bahari. On a trouvé là, en 1881, une quarantaine de cadavres royaux, comprenant les Pharaons les plus célèbres de la XVIIIe, de la XIXe et de la XXe dynasties, Ahmôsis Ier, Aménôthès Ier, Thoutmôsis II et Thoutmôsis III, Ramsès Ier, Sêtoui Ier, Ramsès II, Ramsès III. Leurs momies, inspectées et réparées à plusieurs reprises, avaient fini par être déposées, sous Sheshonq Ier, dans un même puits où il était facile de les soustraire aux atteintes des voleurs. Le héros de notre conte agit comme Sheshonq mais avec une intention différente : il obéit à un ordre des morts eux-mêmes, et il cherche a leur être agréable plutôt qu’à leur donner une protection dont leur puissance magique leur permet de se passer fort bien.
[74] Le texte de ce conte donne au nom de Satni une variante Satmi qui pourrait faire douter qu’il y fût question du même personnage : l’addition du surnom de Khâmoîs en plusieurs endroits prouve que Satmi est réellement identique à Satni. Satmi est d’ailleurs le titre du prêtre de Phtah, ce qui convient parfaitement à notre héros, qui était grand-prêtre de Phtah à Memphis.
[75] Le thème de ce début m’a été suggéré par le passage qu’on lira plus loin ; j’ai parlé dans l’Introduction, de la donnée du défi entre rois comme d’une donnée courante en Égypte.
[76] Je rétablis ce passage d’après la scène que nous avons plus bas, lorsque le sorcier Horus l’Égyptien passe la nuit au temple de Thot pour obtenir un songe prophétique (cf. Maspero, Le début du second Conte de Satni-Khâmoîs, dans les Mélanges Nicole, p. 349-355). Une stèle de l’époque d’Auguste, antérieure d’assez peu à la rédaction de notre papyrus, nous fournit un bon exemple de songe, suivi d’une naissance d’enfant (Prisse d’Avenne, Monuments, pl. XXVI bis).
[77] Ici commencent les portions conservées du texte.
[78] Griffith pense, non sans quelques doutes, qu’il est question ici des cabinets d’aisances de la maison de Satmi. Je crois plutôt qu’il s’agit d’une fontaine ou d’un château d’eau, tel que celui que nous avons découvert en avant du temple de Dendérah, pendant l’hiver de 1904-1905.
[79] Sur la Double Maison de Vie et sur ses scribes, voir ce qui est dit plus haut en note.
[80] Les sept grandes salles de l’enfer qui est décrit ici sont celles dont il est question aux chapitres CXLIV et CXLVII du Livre des Morts. Le même nombre est passé, d’une descente aux enfers aujourd’hui perdue, dans les livres hermétiques (Zosyme, § V. dans Berthelot, les Alchimistes Grecs, t. I, p. 115-118 et t. II. p. 125-121 ; cf. Reitzenstein, Poimandrés, p. 8-11).
[81] Depuis l’endroit où il est dit que Satmi s’affligea des paroles de son fils jusqu’à celui où le récit nous le montre pénétrant dans la quatrième salle, il ne reste plus que quelques mots à chaque ligne, et ‘encore la place en est-elle incertaine. Il est probable que la description des trois premières salles ne renfermait rien d’intéressant ; en tout cas, elle était très courte, et elle s’étendait sur quatre ou cinq lignes au plus.
[82] Comme on le verra plus loin, les ânes qui mangent par derrière sont les femmes qui grugeaient ces individus pendant leur vie. Cf. la légende grecque d’Ocnos et de l’âne qui dévorait derrière lui tout son travail (Pausanias, Hellenica, X, 24).
[83] L’idée de ce châtiment est fort vieille en Égypte. Déjà à l’époque thinite, on voit sculptées à Hiéraconpolis, sur le seuil d’une des portes du temple, l’image de personnages étendus à plat ventre et sur lesquels le battant passait en s’ouvrant et en se fermant (Quibell, Hiéraconpolis, t. I, pl. 1) : c’étaient les ennemis du dieu que les fidèles foulaient aux pieds, chaque fois qu’ils venaient lui rendre hommage.
[84] Ce diadème, que les Égyptiens appelaient iatef, iôtef, se composait du bonnet blanc de la Haute-Égypte et des deux plumes d’autruche plantées à droite et à gauche.
[85] C’est une description exacte de la scène du Jugement de l’âme, telle qu’on la voit représentée parfois sur les cercueils en bois ou sur les sarcophages en pierre de l’époque ptolémaïque, et telle qu’elle est figurée au Livre des Morts en tête du chapitre CXXV.
[86] Amaît est représentée le plus souvent sous la forme d’un hippopotame femelle qui, accroupi en avant d’Osiris, auprès de la balance, et la gueule ouverte, attend qu’on lui livre les morts reconnus coupables.
[87] Le jury infernal, devant lequel les morts comparaissent, se composait d’autant de membres qu’il y avait de noms dans la Haute et la Basse-Égypte : chacun d’eux était compétent pour un péché spécial et jugeait le mort sur ce péché.
[88] En d’autres termes, Sénosiris, lorsqu’il mourra, sera enregistré au nombre des élus, et le père sera admis au paradis pour les vertus du fils, comme par-dessus le marché.
[89] Le sobriquet àtou, iàtou, litt. : le fléau, la peste, que notre auteur donne ici aux Éthiopiens et plus spécialement au magicien Horus, fils de Tnahsît, est le même que le conte du Papyrus Sallier n° 9 inflige aux Hyksôs d’origine asiatique ; c’est celui que Manéthon et ses contemporains rendaient en grec par l’épithète que nous traduisons Impurs.
[90] C’est une injure à l’adresse des Nègres, que la pauvreté de leurs terres obligeait à se nourrir des gommes de diverse nature qu’ils recueillaient sur les arbres de leurs forêts. On en trouvera des exemples dans un autre écrit du même temps, l’Emprise du trône.
[91] Les saletés à la mode d’Éthiopie ne sont que les mets en usage chez les Éthiopiens : la haine que les Égyptiens de la Basse-Égypte professaient contre les gens du royaume de Napata se portait non seulement sur les hommes, mais sur tout ce qui leur servait, y compris la nourriture.
[92] La femme de Sami, après l’avoir tâté et examiné à la façon des médecins, résume le résultat de ses observations en une formule de diagnostic brève, imitée des diagnostics médicaux : ce n’est point le corps qui est malade chez lui mais l’esprit, et le chagrin est le seul mal qui le dévore.
[93] Les livres étaient enfermés dans des vases en terre ou en pierre, et nous avons, par exemple, dans un catalogue de pièces judiciaires, l’indication de rouleaux de papyrus ainsi conservés (Brugsch, Hieratischer Papyrus Zu Wien, dans la Zeitschrift, 1876, p. 2-3).
[94] Ce n’est pas sans raison que l’auteur du conte attribue Amon comme divinité protectrice à la peste d’Éthiopien. Le royaume de Napata, auquel avait succédé le royaume de Méroé, celui qui est qualifié ici de pays des Nègres, avait été fondé par un membre de la famille des grands-prêtres d’Amon Thébain, et il avait Amon pour dieu principal. Il semble que les gens du Delta et de la Moyenne-Égypte n’aient point pardonné aux Éthiopiens la scission de l’ancien empire thébain en deux États indépendants : le peu qu’on connaît de leurs écrits témoigne d’une hostilité réelle contre les Éthiopiens et contre leur dieu Amon.
[95] Shai est le nom du grand serpent qui représentait l’Agathodémon, le dieu protecteur de l’Égypte, surtout Knouphis à partir de l’époque romaine.
[96] Sur ce Pharaon, dont le prénom rappelle celui de Thoutmôsis III et est presque identique avec celui d’un Thoutmôsis et d’un Psammétique fictifs, découverts à Karnak et à Asfoun en 1905 (Maspero, Ruines et Paysages d’Égypte, pp. 225-233), cf. ce qui est dit dans l’Introduction.
[97] Le discours du troisième sorcier a été omis par le scribe, mais on le retrouve plus bas, et c’est d’après ce passage que j’ai pu le rétablir.
[98] Trirît, Trêrét, signifie la truie ou l’hippopotame femelle.
[99] Tnahsit, Tnehsét, signifie la négresse.
[100] Triphît signifie la jeune fille, la jeune femme, et c’est un des surnoms d’Isis, transcrit en grec Triphis.
[101] La nuit était peuplée d’êtres, les uns mauvais, les autres bons, ces derniers qui défendaient les hommes endormis. Les personnages magiques envoyés par Horus l’Éthiopien, en se rendant maîtres de la nuit, empêchent les bons génies de s’opposer à l’exécution de leurs desseins pervers.
[102] La ville ou le château de l’Horus n’est autre que le palais royal dans la phraséologie officielle de l’Égypte, et la chapelle de cette ville est la chambre à coucher de l’Horus, c’est-à-dire du roi.
[103] Les courtisans, qui ignorent encore les événements de la nuit, sont déconcertés par la question de Pharaon, et ils s’imaginent qu’il s’est enivré au point d’en perdre la raison ou qu’il a été frappé de folie subite ; toutefois ils ont honte de leur pensée, et, avant de l’exprimer à haute voix, ils demandent au souverain l’explication des paroles qu’il vient de prononcer devant eux.
[104] Khmounou est l’Achmounéin des Arabes, l’Hermopolis des Grecs, la ville de Thot, l’Hermès trismégiste, le dieu qui est le maître des grimoires et des incantations. Il est naturel que le magicien Horus s’y rende pour consulter son patron.
[105] Phot s’appelait le deux fois grand, ce qui lui était comme un comparatif de sa personne, et le trois fois grand ; ce qui en est le superlatif, megistos : l’épithète de Trismégiste qu’on lui donne, surtout à l’époque gréco-romaine, est donc le superlatif d’un superlatif et elle signifie à proprement parler le trois fois trois fois plus grand, ce qui équivaut à l’expression neuf fois grand de notre texte.
[106] Voir au début de notre conte, un autre exemple d’incubation avec rêve prophétique.
[107] Tout ce passage était à peu près détruit : je l’ai rétabli d’après le développement parallèle qu’on a lu plus haut.
[108] Le scribe a omis tout le discours du sorcier et le début de la réponse de la mère, par suite d’un bourdon, comme l’a remarqué Griffith (Stories of the High Priests of Memphis, p. 193, note). J’ai comblé cette lacune au moyen de phrases empruntées aux passages précédents.
[109] Voir dans le Conte des deux Frères, les intersignes convenus entre Anoupou et Baîti.
[110] Horus, le fils de Tnahsit, mange sa magie, comme au premier conte de Satni-Khâmoîs Satni avait bu le livre de Thot ; ici toutefois ce n’est pas pour se l’assimiler, c’est pour la cacher à tous les yeux et pour empêcher qu’elle ne lui soit volée en chemin.
[111] L’Éthiopie qui, ainsi que nous l’avons vu, est considérée dans ce roman comme la création et comme le domaine d’Amon, par opposition à Memphis et à l’Égypte du Nord, qui appartiennent à Phtah.
[112] Le mot à mot dit : flairant. Il découvrait à l’odorat, par le fumet spécial aux sorciers, tous ceux d’entre eux qu’il rencontrait sur sa route, et qui auraient pu ou l’arrêter, ou signaler sa présence avant le temps.
[113] Il y a là une allusion à un autre roman dont les deux Horus étaient les héros, et qui devait être suffisamment connu à l’époque pour que les lecteurs de notre Conte sussent immédiatement de quoi il s’agissait. L’eau dont il s’agit ici est évidemment le Nil du Nord, le ruisseau qui naît dans le Gebel-Ahmar, à l’Aîn-Mousa, et qui passait pour être la source des bras du Nil qui arrosaient les cantons situés à l’est du Delta.
[114] Y a-t-il ici un souvenir des propos du chacal mentionné dans l’un des papyrus démotiques de Leyde ?
[115] C’est du midi, plus exactement du sud-ouest, que viennent d’ordinaire les pluies torrentielles qui s’abattent parfois sur le Caire : la locution pluie du midi serait donc ici l’équivalent d’orage ou de trombe. D’autre part, le terme méridional est employé assez souvent avec une nuance aggravative, par exemple dans l’expression guépard du midi, que nous avons déjà rencontrée plusieurs fois.
[116] Le Bassin-Immense, She-oéri, est l’un des noms que porte le lac Mœris ; le bateau qui emporte la voûte de pierre est probablement celui-là même qu’on voit sur le Papyrus du Fayoum, conduisant le dieu Soleil sur les eaux du lac Mœris.
[117] Voir plus haut, l’énumération de ces signes.
[118] Voir plus haut, les exemples d’incubation et de rêves prophétiques.