Les Mémoires de Sinouhît paraissent avoir joui d’une grande réputation dans les cercles littéraires de l’Égypte Pharaonique, car ils ont été recopiés assez souvent en tout ou en partie, et nous possédons encore les restes dé trois manuscrits qui les contenaient au complet, le Papyrus de Berlin n° 1 auquel appartiennent les débris du Papyrus Amherst, le Papyrus Golénicheff et le Papyrus n° 1 du Ramesséum à Berlin (Berlin 3022). Le Papyrus de Berlin n° 1, acheté par Lepsius en Égypte, et inséré par lui dans les Denkmæler aus Ægypten und Éthiopien, VI, pl. 104-107, est mutilé au début. Il a été publié en fac-similé photographique avec transcription hiéroglyphique, par Alan H. Gardiner, die Erzählung des Sinuhe und die Hirtengeschichte, dans les Hieratische Texte des Mittleren Reiches d’Erman, in-8°, Leipzig, 1909, t. II, pl. 5-15. Il contient, dans son état actuel, trois cent onze lignes de texte. Les cent soixante-dix-neuf lignes du commencement sont verticales ; viennent ensuite quatre-vingt-seize lignes (180-276) horizontales, mais, à partir de la ligne deux cent soixante-dix-sept jusqu’à la fin, le scribe est revenu au système des colonnes verticales. Lés quarante premières lignes de la partie conservée ont plus ou moins souffert de l’usure et des déchirures ; cinq d’entre elles (lignes 1, 13, 15, 38) renferment des lacunes que je n’aurais pas réussi à combler, si je n’avais eu la bonne fortune de découvrir à Thèbes un manuscrit nouveau. La fin est intacte et se termine par la formule connue : C’est venu de son commencement jusqu’à sa fin, comme il a été trouvé dans le livre. L’écriture, très nette et très hardie dans les portions verticales, devient lourde et confuse dans les portions horizontales ; elle est remplie de ligatures et de formes rapides qui en rendent parfois le déchiffrement difficile. Quelques parcelles des portions qui manquent au début ont été retrouvées dans des fragments qui appartiennent à la collection de lord Amherst of Hackney ; elles ont été publiées en transcription hiéroglyphique par F. LI. Griffith, Fragments of Old Egyptian Stories dans les Proceedings of the Society of biblical Archæology, 1891-1892, t. XIV, p. 452-454, puis en fac-similé par P. Newberry dans les Amherst Papyri, 1901, t. I, pl. I M-Q et p. 9-10. D’après G. Möller, Hieratische Palæographie, Theil I, p. 14-15, et aussi, d’après Alan H. Gardiner, die Klagen des Bauern, p. 5-6, puis die Erzählung des Sinuhe, p. 5, il aurait été écrit pendant la seconde moitié de la XIIe dynastie ou la première moitié de la XIIIe : certains détails, entre autres la corruption du nom royal, me paraissent indiquer dans la XIIIe une date plus rapprochée de nous. Le Papyrus Golénicheff renferme les débris très mutilés de quatre pages. Les treize premières lignes de la page 1 comprenaient le début du texte qui manque au Papyrus de Berlin n° 1 ; les morceaux conservés de cette page et des pages suivàntes appartenaient à la portion du récit qui s’étend de la ligne 1 du Papyrus de Berlin à sa ligne 66. Il est inédit, mais M. Golénicheff a bien voulu m’en communiquer des photographies et une transcription hiéroglyphique, que j’ai publiée dans G. Maspero, les Mémoires de Sinouhît (forme le tome Ier de la Bibliothèque d’Étude), 1906, p. 32-33, et qui m’ont aidé à reconstituer le texte. L’écriture est le bon hiératique de la XIXe et de la XXe dynasties. Le Papyrus de Berlin a été analysé et traduit en français par : Chabas, Le Papyrus de Berlin, récits d’il y a quatre mille ans, p. 37-51, et Bibliothèque Universelle, 1870, t. 11, p. 174, en partie seulement (cf. Œuvres diverses, t. IV, p. 254-255). M. Goodwin a donné une version anglaise du tout dans le Frazer’s Magazine, 1865, sous le titre de the Story of Saneha, p. 185-202, puis, dans la brochure The Story of Saneha, an Egyptian Tale of Four Thousand Years ago, translated from the Hieratic text by Charles Wycliffe Goodwin, M. A. (Reprinted from Frazer’s Magasine, London, Williams and Norgate, 1866, in-8°, 46 p.) Cette traduction a été corrigée par l’auteur lui-même dans la Zeitschrift, 1872, p. 10-24, et reproduite intégralement dans les Records.of the Past, Ire série, t. VI, p. 131-150, avec une division un peu arbitraire des lignes. Une seconde traduction française est celle qu’on lit, sous le titre Le Papyrus dé Berlin n° 1, transcrit, traduit, commenté par G. Maspero (Cours au Collège de France, 1874-1876), dans les Mélanges d’archéologie égyptienne et assyrienne, t. III, p. 68-82, 140 sqq. ; reproduite en partie avec des corrections dans l’Histoire ancienne des peuples de l’Orient, 6e édition, p. 115-116, 121-124. Enfin Henry Daniel Haigh examina les données historiques et géographiques de ce document dans un article spécial de la Zeitschrift, 1875, p. 78-107, et Erman en inséra une courte analyse allemande dans son livre Ægypten und Ægyptisches Leben im Altertum, 1885-1888, p. 494-497. Le Papyrus n° 1 du Ramesséum contenait au verso une copie complète des Mémoires de Sinouhît, mais nous n’en possédons plus qu’une vingtaine de pages plus ou moins mutilées. Les premières représentent cent quatre lignes horizontales, qui correspondent au texte complet de l’Ostracon 27419 du Caire dont il sera question plus loin, au Papyrus Golénicheff, aux fragments du Papyrus Amherst et aux lignes 1-77 du Papyrus de Berlin n° 1. Après ce début, il ne nous reste plus qu’une page à peu près intacte, avec les extrémités des lignes qui appartenaient aux deux pages de droite et de gauche : on y lit, avec beaucoup de lacunes, le récit du duel entre Sinouhît et le brave de Tonou, de la ligne 131 à la ligne 145 du Papyrus de Berlin n° 4. La découverte en fut annoncée par Alan H. Gardiner, Eine neue Handschrift des Sinuhegedichtes, dans les Sitzungsberichte de l’Académie des Sciences de Berlin, 1907, p 142-150, tirage à part in-8° de 9 pages. Le texte en a été publié en fac-similé, avec une transcription hiéroglyphique, par Alan H. Gardiner, die Erzählung des Sinuhe und die Hirteitgeschichte, pl. 1-4. Outre les éditions sur papyrus, nous possédons sur deux ostraca la copie de deux portions assez considérables du commencement et de la fin du récit. Le plus anciennement connu d’entre eux est conservé au Musée Britannique, où il porte le numéro 5629. Il a été signalé d’abord par Birch dans son Mémoire sur le Papyrus Abbott (traduction française de Chabas, dans la Revue archéologique, 1858, p. 264 ; cf. Œuvres diverses, t. I, p. 284), puis publié en fac-similé dans les Inscriptions in the Hieratic and Demotic Character, from the Collections of the British Museum, in-folio, London, M DCCC LXVIII, pl. XXIII et p. S. Lauth le transcrivit et le traduisit dans Die zweiælteste Landkarte nebst Græberplænen (extrait des Sitzungsberichte de l’Académie des Sciences de Munich, 1811, p. 233-236), mais l’identité du texte qu’il renferme avec le texte des lignes 300-310 du Papyrus de Berlin n° 1, a été découverte par : Goodwin, On a Hieratic Inscription upon a Stone in the British Museum, dans la Zeitschrift, 1872, p. 20-24, où la transcription et la traduction du texte sont consignées tout au long. L’écriture est de la XIXe et de la XXe dynasties, de même que celle du Papyrus Golénicheff. Comme la version qu’il porte diffère par certains détails de celle du Papyrus de Berlin, il ne sera pas inutile d’en insérer une traduction complète [On me fit] construire [une pyramide] en pierre — dans le cercle des pyramides. — Les tailleurs de pierre taillèrent le tombeau — et en devisèrent les murs ; — les dessinateurs y dessinèrent, — le chef des sculpteurs y sculpta, — le chef des travaux qui se font à la nécropole parcourut le pays [pour] tout le mobilier — dont je garnis ce tombeau. — Je lui assignai des paysans, — et il eut des domaines, des Champs au voisinage de la ville — comme on fait aux Amis du premier rang. — [Il y eut] une statue d’or à la jupe de vermeil — que me firent à moi les fils du roi, — se réjouissant de faire cela pour moi ; — car je fus dans les faveurs de par le roi, — jusqu’à ce que vint le jour où on aborde à l’autre rive. C’est fini heureusement en paix. Le second Ostracon est conservé au Musée du Caire, et il a été ramassé, le 6 février 1886, dans la tombe de Sannozmou, à Thèbes. C’est une pièce de calcaire, brisée en deux morceaux, longue d’un mètre, haute de vingt centimètres en moyenne, couverte d’assez gros caractères hiératiques ponctués à l’encre rouge et divisés en paragraphes, comme c’est le cas dans la plupart des manuscrits de l’époque des Ramessides. Au dos, deux lignes malheureusement presque illisibles contiennent un nom que je n’ai pas réussi à déchiffrer, probablement le nom du scribe qui écrivit notre texte. La cassure n’est pas récente. Le calcaire a été brisé au moment de la mise au tombeau, et cette exécution ne s’est pas accomplie sans dommages : quelques éclats de la pierre ont disparu et ils ont emporté des fragments de mots avec eux. La plupart de ces lacunes peuvent se combler sans peine. Le texte est très incorrect, comme celui des ouvrages destinés à l’usage des morts. Beaucoup des variantes qu’il renferme proviennent de mauvaises lectures du manuscrit original : le scribe ne savait pas lire avec exactitude les écritures archaïques et il les transcrivait au hasard. L’Ostracon a été publié une première fois, avec transcription en hiéroglyphes et traduction française, par : G. Maspero, Les premières lignes des Mémoires de Sinouhît, restituées d’après l’Ostracon 27419 du musée de Boulaq, avec deux planches de fac-similé, dans les Mémoires de l’Institut égyptien, in-4°, t. II, p. 1-23 ; tirage à part, in-4°, avec titre spécial et la mention Boulaq, 4886, reproduit dans les Études de Mythologie et d’Archéologie Égyptiennes, t. IV, p. 284-305. Il a été décrit et fac-similé depuis lors dans le Catalogue Général du Musée du Caire, par : G. Daressy, Ostraca, in-4°, 1904, pl. XLI et p. 46-47, où il porte le numéro nouveau 25218. Le texte complet des Mémoires, restitué pour la première fois, il y a vingt ans, dans la seconde édition de ces Contes, a été depuis lors traduit en anglais par : W. Flinders Petrie, Egyptian Tales, 1895, Londres, in-12°, t. I, p. 97-142 ; F. LI. Griffith, Egyptian Literature, dans les Specimen Pages of a Library of the World’s best Literature, 1898, New-York, in-4°, p. 5238-5249 ; Puis en allemand par : A. Erman, Aus den Papyrus der Königlichen Museen, 1899, Berlin, in-8°, p. 14-29, qui a inséré aussi la transcription en hiéroglyphes de plusieurs passages dans son Ægyptische Grammatik, Ire édit., 1894, p. 17-18, et dans son Ægyptische Chrestomathie, 1904, p. 1-11. A. Wiedemann, Altægyptische Sagen und Mærchen, in-8°, Leipzig, 4906, p. 34-57. Alan H. Gardiner, die Erzählung des Sinuhe und die Hirtengeschichte, in-fol, Leipzig, 1909, p. 9-15. Gardiner a refait, presque aussitôt après l’apparition de ce volume, une traduction anglaise, avec notes critiques et commentaire perpétuel, qu’il a donnée au Recueil de Travaux (1910, t. XXXII, p. 1-28, 214-230,1911, t. XXXIII, p. 67-94, etc.) sous le titre Notes on the Story of Sinuhe, avec tirage à part, comprenant un Index, chez Champion, in-4°, Paris. Enfin une édition critique du texte avec introduction et glossaire a été essayée par : G. Maspero, les Mémoires de Sinouhît (forme le tome Ier de la Bibliothèque d’Étude), 1906, in-4°, le Caire, LI-184 p. La découverte des premières lignes nous a permis de reconstituer l’itinéraire que Sinouhît suivit dans sa fuite. Il quitta le camp établi dans la région libyenne, au pays des Timihou, en d’autres termes, il partit d’un point du désert occidental, traversa le canal Maouiti, le canal des deux Vérités, c’est-à-dire la partie du Bahr-Yousouf, qui, dépassant l’entrée du Fayoum, allait rejoindre le Nil près de Terranéh en longeant la montagne. Il pénétra dans la vallée près d’une localité appelée Nouhît, le Sycomore. D’après Brugsch (Dictionnaire géographique, p. 53), Nouhit serait la Panaho des Coptes, l’Athribis des Grecs, aujourd’hui Benha-el-Assal. Cette identification tombe à priori puisque Nouhît est mentionnée au début même du voyage, c’est-à-dire sur la rive occidentale du Nil, et que Benha est sur la rive orientale. J’avais d’abord considéré le Sycomore comme une manière de désigner l’Égypte entière, mais on connaît depuis longtemps une Nouhît ou Pu-nabit-nouhît, qui paraît n’avoir été d’abord qu’un bourg voisin de Memphis, plus dont le nom s’appliqua à Memphis même (Brugsch, Dictionnaire géographique, p. 330-332). Le Sycomore est probablement ce Quartier du Sycomore consacré à Hathor comme toutes les localités où l’on rencontrait un sycomore sacré : peut-être même le nom du héros, Sinouhît, signifie-t-il le fils de la déesse Sycomore, analogue à Sihathor, le fils d’Hathor. De Nouhît le récit de la fuite le mène à Shi-Sanafroui ou Aî-Sanafroui. Le Lac-Sanafroui ou l’Île-Sanafroui n’est pas connu d’ailleurs, mais Brugsch le rapproche du nome Myekphoritès d’Hérodote (III, CLXVI), grâce à une prononciation Moui-hik-Snofrou qu’auraient eue, dit-il, les signes dont se compose le nom (Dict. géog., p. 54). La place que ce bourg occupe dans l’itinéraire me porte à le chercher entre le désert Libyque, Memphis et le Nil, à une journée de marche environ de la ville de Nagaou, peut-être à proximité des pyramides de Gizeh ou d’Abou-Roash. Le soir venu, Sinouhît franchit le Nil au voisinage de Nagaou, vers Embabéh probablement, et il reprend sa route en passant à l’orient du canton d’Iaoukou. C’est le pays des tailleurs de pierre, toute la région des carrières qui s’étend de Tourah jusqu’au désert, le long du Gebel Ahmar, la Montagne rouge, et peut-être doit-on penser que le lieu dit Harouit-nabît-Douou-doshir, la déesse Firmament dame de la Montagne Rouge est plus spécialement la pointe du Gebel-Giyouchi. De là, Sinouhît se rend à pied jusqu’à l’un des postes fortifiés qui protégeaient l’Égypte de ce côté, entre Abou-Zabel et Belbéis, mais plus loin il ne mentionne plus que Pouteni et Qamouêri. Brugsch identifie Pouteni à un pays de Pât, qu’il a rencontré sur un monument d’époque saïte, et dont la ville de Belbéis indiquerait le centre (Dict. géog., p. 54-55). La grande stèle ptolémaïque découverte par M. Naville à Tell-el-Maskhouta, fournit quelques éléments pour déterminer exactement la position de Qamouêri. Elle renferme un nom, Qamouèr, que M. Naville a identifié, non sans raison, avec la Qamouêri des Mémoires de Sinouhît (The Store-City of Pithom and the Route of the Exodus, p. 21-22). Ptolémée Philadelphe construisit en cet endroit la ville qu’il appela Arsinoé d’après sa sœur, et qui devint un des entrepôts du commerce de l’Egypte avec la Mer Rouge. M. Naville place Arsinoé, et, par conséquent, Qamouêri, près d’el-Maghfàr, au fond même de l’ancien golfe de Suez. Ce site conviendrait bien à notre récit : après avoir quitté Pouteni, Sinouhît se serait enfoncé dans le désert, vers le nord-est, et il se serait perdu dans les sables, en essayant d’atteindre Qamouêri. Au delà de ce point, les localités qu’il traverse et dans lesquelles il séjourne ont été étudiées par Maspero (Notes sur quelques points de Grammaire et d’Histoire, dans le Recueil, t. XVII, p. 142) et par Isidore Lévy (Lotanu-Lotan, dans Sphinx, t. IX, p. 76-86), qui s’accordent à les placer dans le désert sinaïtique. Tout d’abord, Sinouhît aborde deux contrées, dont le nom a été interprété de manière différente et a donné déjà lieu à des discussions nombreuses. Le premier, lu par moi avec doute Souanou, a été transcrit Kapouna par Gardiner (Eine neue Handschrift des Sinuhegedichtes, p. 7, 8 et Notes on the Story of Sinuhe dans le Recueil, t. XXXII, p. 21-23), puis identifié par lui avec la ville de Byblos : j’ai exposé (Mémoires de Sinouhît, p. XLII-XLIV) les raisons qui m’empêchent d’accepter la lecture et l’identification proposées. Le second nom, déchiffré Edima, Edoumâ, par Chabas, avait été identifié avec l’Idumée (les Papyrus de Berlin, p. 39, 75-76) ; aujourd’hui, on le lit Kadimâ, Kedem. L’auteur dit que c’était un canton du Tonou supérieur, et un scribe contemporain de Thoutmôsis III l’a mis à côté de Mageddo (Max Müller, Egyptological Researches, t. II, p. 81 et 82). Le Tonou devait renfermer au moins l’espace compris entre la Mer Morte et la péninsule sinaïtique, mais il ne serait pas besoin de reculer plus avant vers le nord de la Syrie, si la version Tonou était une faute pour Hatonou ; le Latonou, ainsi que Max Müller l’a dit le premier (Asien und Europa, p. 211 ; cf. Isidore Lévy, Lotanu-Lotan, p. 72 sqq.) et qu’Alan Gardiner le maintient avec force (Eine neue Handschrift des Sinuhegedichtes, p. 8, die Erzeihlung des Sinuhe, p. 10, note 4), aurait été à l’origine un canton voisin de celui du Kharou, les Horites. Le prince de Tonou ou de Lotanou donne au héros égyptien un district, Aàà ou plutôt Aîa, dont le nom désignait une espèce de plante, l’Arundo-Isiaca selon Loret (Saccharum Ægyptiacum, dans Sphinx, t. VIII, p. 157-158). Max Müller l’a retrouvé à la suite de Mageddo et en avant de Qadimâ dans la liste de Thoutmôsis III (Egyptological Researches, t. 11, p. 81 et 82). Est-ce l’Aiah de la Genèse (XXXVI, 24), neveu de Lotân-Lotanou, et par suite un canton du Sinaï (Maspero, Notes sur quelques points, dans le Recueil, t. XVII, p. 142) ? Sinouhît y resta des années, en rapport avec les nomades archers, Saatiou ; au retour, il fut reçu par la garnison égyptienne d’un poste frontière, Hariou-Horou, les chemins d’Horus. Erman (die Horuswege, dans la Zeitschrift, t. XLIII, p. 72-73), a montré qu’à l’époque ptolémaïque on donnait ce nom à la marche orientale du Delta — Khont-abti, — et que c’était une désignation mythologique de la localité qui, dans la géographie politique, s’appelait Zarou. C’est un emprunt au mythe d’Horus : Horus, lancé à la poursuite de Set-Typhon, aurait passé par l’Ouady-Toumilât et lui aurait laissé son nom. Sinouhît se serait transporté d’Ismaïliah à Dahchour, où la cour résidait. Un romancier anglais, Guy Boothby, a fait de la fuite de Sinouhît le point de départ d’une nouvelle à tendances théosophiques : elle est intitulée A professer of Egyptology. Le prince héréditaire, l’homme du roi, l’Ami unique[1], le chacal, administrateur des domaines du Souverain et son lieutenant chez les Bédouins, le connu du roi en vérité et qui l’aime, le serviteur Sinouhît[2], dit : Moi, je suis le suivant qui suit son maître, le serviteur du harem royal de la princesse héréditaire, la favorite suprême, l’épouse royale de Sanouosrit dans Khnoumisouitou, la fille royale d’Amenemhaît dans Qanofr, Nofrît[3], la dame de féauté. L’an XXX, le troisième mois d’Iakhouit[4], le 7, le dieu entra en son double horizon, le roi Sahotpiabourîya s’élança au ciel[5], s’unissant au disque solaire, et les membres du dieu s’absorbèrent en celui qui les avait créés. Or le palais était en silence, les cœurs endeuillés ; la double Grande Porte était scellée, les courtisans restaient accroupis la tête aux genoux et le peuple se lamentait lui aussi. Or, sa majesté v. s. f. avait dépêché une armée nombreuse au pays des Timihou[6], et son fils aîné, le dieu bon, Sanouosrit, v. s. f., en était le chef. Il avait été envoyé pour frapper les pays étrangers et pour réduire les Tihonou en esclavage, et maintenant il revenait, il amenait des prisonniers vivants faits chez les Timihou et toute sorte de bestiaux sans nombre. Les Amis du Sérail, v. s. f., mandèrent des gens du côté de l’Occident, pour informer le fils du roi des affaires qui leur étaient survenues au Palais, v. s. f.[7] Les messagers le trouvèrent en route, et ils l’atteignirent à la nuit : jamais il ne tarda moins. Le faucon s’envola avec ses serviteurs[8], sans rien faire savoir à l’armée ; on manda aux fils royaux qui étaient avec cette armée de ne l’annoncer à personne de ceux qui étaient là. Or moi, j’étais là, j’entendis sa voix tandis qu’il parlait, alors que je m’éloignais, mon cœur se fendit, les bras me tombèrent, la peur s’abattit sur tous mes membres, je me dérobai en tours et en détours pour chercher une place où me cacher[9] ; me glissant entre deux buissons, afin de m’écarter de la route battue[10], je cheminai vers le sud, mais je ne songeai pas à revenir au Palais, car j’imaginais que la guerre y avait déjà éclaté[11]. Sans dire un souhait de vie pour ce palais, je traversai le canal Maouîti au lieu dit du Sycomore[12]. J’atteignis l’Ile-Sanafrouî et j’y passai la journée dans un champ, puis je repartis à l’aube et je voyageai : un homme qui se tenait à l’orée du chemin me demanda merci, car il avait peur. Vers le temps du souper, j’approchai de la ville de Nagaou, je traversai l’eau sur un chaland sans gouvernail, grâce au vent d’Ouest, et je passai à l’Orient, par le canton des Carrières dans le lieu dit déesse Harouît-nabît-douou-doshir, puis faisant route à pied vers le Nord, je gagnai la Muraille du prince, qui a été construite pour repousser les Saatiou et pour écraser les Nomiou-Shâiou ; je me tins courbé dans un buisson de peur d’être vu par le gardien qui guette sur la courtine du mur en son jour. Je me mis en route à la nuit, et le lendemain à l’aube, j’atteignis Pouteni et je me reposai à l’Ile-Qamouëri. Alors la soif elle tomba et elle m’assaillit ; je défaillis, mon gosier râla, et je me disais déjà : C’est, le goût de la mort ! quand je relevai mon cœur et je rassemblai mes membres ; j’entendais la voix forte d’un troupeau. Les Bédouins m’aperçurent, et un de leurs cheikhs[13] qui avait séjourné en Égypte me reconnut voici qu’il me donna de l’eau et me fit cuire du lait, puis j’allai avec lui dans sa tribu et ils me rendirent le service de me passer de contrée en contrée. Je partis pour Souânou, je gagnai le Kadimâi, et j’y demeurai un an et demi. Ammouianashi, qui est le prince du Tonou supérieur[14], me manda et me dit : Tu te trouves bien chez moi, car tu y entends le parler de l’Égypte. II disait cela parce qu’il savait qui j’étais et qu’il avait entendu parler de mon talent ; des Égyptiens qui se trouvaient dans le pays avec moi lui avaient rendu témoignage sur moi[15]. Voici donc ce qu’il me dit : Qu’est-ce que la raison pourquoi tu es venu ici ? Qu’y a-t-il ? Se serait-il produit un voyage à l’horizon dans le palais du roi des deux Égyptes Sahotpiabourîya[16], sans qu’on ait su ce qui s’est passé à cette occasion ? Je lui répondis avec astuce : Oui certes, quand je revins de l’expédition au pays des Timihou, quelque chose me fut répété ; mon cœur se déroba, mon cœur il ne fut plus dans mon sein, mais il m’entraîna sur les voies du désert. Je n’avais pas été blâmé, personne ne m’avait craché à la face, je n’avais entendu aucune vilenie et mon nom n’avait pas été entendu dans la bouche du Héraut ! Je ne sais pas ce qui m’amena en ce pays ; ce fut comme un dessein de Dieu ! — Qu’en sera-t-il de cette terre d’Égypte sans ce dieu bienfaisant dont la terreur se répand chez les nations étrangères, comme Sokhît[17] en une année de peste ? Je lui dis ma pensée et je lui répondis[18] : Dieu nous délivre ! son fils est entré au palais et il a appris l’héritage de son père. Il est un dieu qui certes n’a point de seconds : aucun n’est devant lui. Il est un maître de sagesse, prudent en ses desseins, bienfaisant en ses décrets, sur l’ordre de qui l’on va et l’on vient. C’était déjà lui qui domptait les régions étrangères, tandis que son père restait dans l’intérieur de son palais, et il rendait compte à celui-ci de ce que celui-ci avait décidé qui se ferait. Il est le fort qui certes travaille de son glaive, un vaillant qui n’a point son semblable, quand on le voit qui s’élance contre les barbares et qui entre dans la mêlée. C’en est un qui joue de la corne et qui rend débiles les mains des ennemis : plus ne peuvent ses ennemis remettre l’ordre dans leurs rangs. Il est le châtieur qui défonce les fronts : nul n’a ténu devant lui. Il est le coureur rapide qui détruit le fuyard : il n’y a plus d’asile à atteindre pour qui lui a montré le dos. Il est le cœur ferme à l’instant du choc. Il est celui qui revient sans cesse à la charge et qui jamais n’a tourné le dos. Il est le cœur solide qui, lorsqu’il voit les multitudes, ne laisse point la lassitude entrer dans son cœur. Il est le brave qui se lance en avant, quand il voit la résistance. Il est celui qui se réjouit quand il fond sur les barbares : il saisit son bouclier, il culbute l’adversaire, il n’a jamais redoublé son coup, lorsqu’il tue, mais il n’y a personne qui puisse détourner sa lance, personne qui puisse tendre son arc ; les barbares fuient, car ses deux bras sont forts comme les âmes de la grande déesse[19]. Combattant il ne sait plus s’arrêter, il ne garde rien, il ne laisse rien subsister. Il est le bien-aimé, le très charmant, qui a conquis l’amour, et sa cité l’aime plus que soi-même ; elle se réjouit en lui plus qu’en son propre dieu, et hommes et femmes s’en vont exultant à son sujet. Il est le roi qui a gouverné dès l’œuf[20] et il a porté des diadèmes depuis sa naissance ; il est celui qui a fait multiplier ses contemporains[21], et il est l’un que le dieu nous a donné et par qui cette terre se réjouit d’être gouvernée. Il est celui qui élargit les frontières ; il prendra les pays du Midi et il ne songe pas aux pays du Nord. Il a été créé pour frapper les Saatiou et pour écraser les Nomiou-shâîou[22]. S’il envoie ici une expédition, puisse-t-il connaître ton nom en bien et que nulle malédiction de toi n’arrive à Sa Majesté ! Car il ne cesse jamais de faire le bien à la contrée qui lui est soumise ? Le chef de Tonou me répondit : Certes, l’Égypte est heureuse puisqu’elle connaît la verdeur de son prince ! Quant à toi, puisque tu es ici, reste avec moi, et je te ferai du bien ! Il me mit avant ses enfants, il me maria avec sa fille aînée, et il accorda que je choisisse pour moi, dans son pays, parmi le meilleur de ce qu’il possédait sur la frontière d’un pays voisin. C’est une terre excellente, Aia[23] de son nom. Il y a des figues en elle et des raisins ; le vin y est en plus grande quantité que l’eau, abondant y est le miel, l’huile à plentée, et toutes sortes de fruits y sont sur ses arbres : on y a de l’orge et du froment sans limites, et toute espèce de bestiaux. Et de grands privilèges me furent conférés quand le prince vint à mon intention et qu’il m’installa prince d’une tribu du meilleur de son pays. J’eus du pain pour ordinaire et du vin pour chaque jour, de la viande bouillie, de la volaille pour rôti, plus le gibier du pays, car on le chassait pour moi et on me le présentait en outre de ce que rapportaient mes propres chiens de chasse. On me faisait beaucoup de gâteaux[24] et du lait cuit de toute manière. Je passai des années nombreuses ; mes enfants devinrent des forts, chacun maîtrisant sa tribu : Le messager qui descendait au Nord ou qui remontait au Sud vers l’Égypte, il s’arrêtait chez moi, car j’accueillais bien tout le monde, je donnais de l’eau à l’altéré, je remettais en route le voyageur égaré, je sauvais le pillé. Les Bédouins[25] qui s’enhardissaient jusqu’à résister aux princes des pays, je dirigeais leurs mouvements, car ce prince de Tonou, il accorda que je fusse pendant de longues années le général de ses soldats. Tout pays contre lequel je marchais, quand je me précipitais sur lui, on tremblait dans les pâturages aux bords de ses puits ; je prenais ses bestiaux, j’emmenais ses vassaux et j’enlevais leurs esclaves, je tuais ses hommes[26]. Par mon glaive, par mon arc, par mes marches, par mes plans bien conçus, je gagnai le cœur de mon prince et il m’aima quand il connut ma vaillance, il me fit le chef de ses enfants quand il vit la verdeur de mes bras. Un fort de Tonou vint, il me défia dans ma tente c’était un héros qui n’avait point de seconds, car il avait vaincu Tonou tout entier. Il disait qu’il lutterait avec moi, il se proposait de me dépouiller, il déclarait hautement qu’il prendrait mes bestiaux à l’instigation de sa tribu. Ce prince en délibéra avec moi et je dis : Je ne le connais point, je ne suis certes pas son allié, qui ai libre accès à sa tente ; est-ce que j’ai jamais ouvert sa porte ou forcé ses clôtures ? C’est pure jalousie, parce qu’il me et voit qui fais tes affaires. Dieu nous sauve, je suis tel le taureau au milieu de ses vaches, lorsque fond sur lui un jeune taureau du dehors afin de les prendre pour lui. Est-ce qu’un mendiant plaît lorsqu’il passe chef ? Il n’y a nomade qui s’associe volontiers à un fellah du Delta, car comment transplanter un fourré de joncs à la montagne ? Est-ce qu’il est un taureau amoureux de bataille, un taureau d’élite qui aime à rendre coup pour coup, et qui craint de trouver qui l’égale ? Alors, s’il a le cœur à combattre, qu’il dise l’intention de son cœur ! Dieu ignore-t-il ce qu’il a décidé à son sujet ou s’il en est ainsi, comment le savoir ?[27] Je passai la nuit à bander mon arc, à dégager mes flèches, à donner du jeu à mon poignard, à fourbir mes armes. A l’aube, le pays de Tonou accourut ; il avait réuni ses tribus, convoqué tous les pays voisins, car il avait prévu ce combat. Quand le fort vint, je me dressai, je me mis en face de lui : tous les cœurs brûlaient pour moi, hommes et femmes poussaient des cris, tout cœur était anxieux à mon sujet, et on disait : Y a-t-il véritablement un autre champion assez fort pour pouvoir lutter contre lui ? Voici, il prit son bouclier, sa lance, sa brassée de javelines. Quand je lui eus fait user en vain ses armes et que j’eus écarté de moi ses traits si bien qu’ils frappèrent la terre sans qu’un seul d’entre eux tombât près de l’autre, il fondit sur moi ; alors je déchargeai mon arc contre lui, et quand mon trait s’enfonça dans son cou, il s’écria et il s’abattit sur le nez. Je l’achevai avec sa propre hache, je poussai mon cri de victoire sur son dos, et tous les Asiatiques crièrent de joie ; je rendis des actions de grâces à Montou[28] tandis que ses gens se lamentaient sur lui, et ce prince, Ammouianashi[29], me serra dans ses bras. Voici donc, j’emportai les biens du vaincu, je saisis ses bestiaux, ce qu’il avait désiré me faire à moi, je le lui fis à lui : je pris ce qu’il y avait dans sa tente, je pillai son douar et je m’en enrichis, j’arrondis mon trésor et j’accrus le nombre de mes bestiaux. Ainsi donc, le dieu s’est montré gracieux pour celui à qui on avait reproché d’avoir fui en terre étrangère, si bien qu’aujourd’hui son cœur est joyeux. Un fugitif s’était enfui en son temps, et maintenant on me rend bon témoignage à la cour d’Égypte. Un traînard se traînait péniblement mourant de faim, et maintenant je donne du pain à mon prochain. Un pauvre hère avait quitté son pays tout nu, et moi, je suis éclatant de vêtements de fin lin. Quelqu’un faisait ses courses lui-même faute d’avoir qui envoyer, et moi, je possède des serfs nombreux. Ma maison est belle, mon domaine large, on se souvient de moi au palais du roi. Ô vous tous, dieux qui m’avez prédestiné à fuir, soyez-moi gracieux, ramenez-moi au palais, par chance accordez-moi de revoir le lieu où mon cœur séjourne ! Quel bonheur, si mon corps reposait un jour au pays où je suis né[30] ! Allons, que désormais la bonne fortune me dure, ; que le dieu me donne sa paix, qu’il agisse ainsi qu’il convient pour la fin de l’homme qu’il avait peiné, qu’il soit compatissant envers qui il força de vivre sur la terre étrangère. N’est-il pas aujourd’hui apaisé ? Qu’il écoute celui qui prie au loin, et qu’il se tourne vers l’homme qu’il a terrassé et vers le lieu d’où il l’a amené[31]. Que le roi de l’Égypte me soit favorable pour que je vive de ses dons, et que j’administre les biens de la régente de la Terre qui est dans son palais[32], et que j’entende les messages de ses enfants. Ah ! que mes membres se rajeunissent, car maintenant que la vieillesse virent, la faiblesse m’a envahi, mes deux yeux sont lourds, mes bras pendent, mes jambes refusent le service, mon cœur s’arrête : le trépas s’approche de moi ; et bientôt on m’emmènera aux villes éternelles[33], pour que j’y suive la Dame de tout[34] ! Ah ! puisse-t-elle me dire les beautés de ses enfants, et passer l’éternité à côté de moi[35] ! Lors donc qu’on eut parlé à la majesté du roi Khopirkéourîya[36], à la voix juste[37], de ces affaires qui me concernaient, Sa Majesté daigna m’envoyer un message avec des présents de la part du roi pour mettre dans la joie le serviteur qui vous parle[38], comme ceux qu’on donne aux princes de tous les pays étrangers, et les Infants[39] qui sont dans son palais me firent tenir leurs messages. COPIE DE L’ORDRE QU’ON APPORTA AU SERVITEUR ICI PRÉSENT AU SUJET DE SON RAPPEL EN ÉGYPTE L’Horus, vie des naissances, le maître des diadèmes du Nord et du Sud, vie des naissances, le roi de la haute et de la basse Égypte, KHOPIRHÉRÎYA, fils du Soleil, AMENEMHAÎT[40], vivant à toujours et à jamais ! Ordre du roi pour le serviteur Sinouhît ! Voici, cet ordre du roi t’est apporté pour t’instruire de sa volonté[41] : Tu as parcouru les pays étrangers, sortant de Kadimâ vers Tonou, et chaque pays t’a passé à l’autre, et cela rien que sur le conseil de ton cœur à toi. Qu’est-ce que tu as obtenu par là qu’on te fasse ? Tu ne peux plus maudire[42], car on ne tient aucun compte de tes paroles ; tu ne peux plus parler dans le conseil des notables, car tes discours sont mis de côté. Et pourtant cette position que ton cœur a prise elle n’est pas due à une mauvaise volonté de ma part contre toi. Car cette reine, ton ciel, qui est dans le palais, elle dure, elle est florissante encore aujourd’hui, sa tête est exaltée parmi les royautés de la terre, et ses enfants sont dans la partie réservée du palais[43]. Tu jouiras des richesses qu’ils te donneront et tu vivras de leurs largesses. Quand tu seras venu en Égypte et que tu verras la résidence où tu vivais, prosterne-toi face contre terre devant la Sublime Porte, et joins-toi aux Amis[44]. Car aujourd’hui, voici que tu t’es mis à vieillir ; tu as perdu la puissance virile et tu as songé au jour de l’ensevelissement, au passage à la Béatitude éternelle. On t’a assigné des nuits parmi les huiles l’embaumement et les bandelettes, par la main de la déesse Taît[45]. On t’a fait ton convoi au jour de l’enterrement, gaine dorée, tête peinte en bleu[46], un baldaquin au-dessus de toi[47] ; mis dans le corbillard, des bœufs te tireront, des chanteurs iront devant toi, on exécutera pour toi les danses des bateleurs[48] à la porte de ta syringe ; on récitera pour toi les invocations des tables d’offrande[49], on tuera des victimes pour toi auprès de tes stèles funéraires, et ta pyramide sera bâtie en pierre blanche dans le cercle des Infants royaux[50]. Il ne sera pas que tu meures sur la terre étrangère, ni que des Asiatiques te conduisent au tombeau, et que tu sois mis dans une peau de mouton quand on fera ton caveau[51] ; mais il y aura compensation pour l’oppression que tuas subie sur ton corps, quand tu seras revenu ici[52]. Quand cet ordre m’arriva, je me tenais au milieu de ma tribu. Dès qu’il me fut lu, m’étant jeté à plat ventre, je me traînai dans la poussière[53], je la répandis sur ma chevelure, je fis le tour de mon douar, me réjouissant et disant : Comment se peut-il que pareille chose soit faite « au serviteur ici présent, que son cœur a conduit aux pays étrangers, barbares ? Et certes combien c’est chose belle la compassion qui me délivre de la mort ! Car ton double va permettre que j’achève la fin de mon existence à la cour. COPIE DE L’ACCUSÉ DE RÉCEPTION DE CET ORDRE Le serviteur du harem, Sinouhît, dit : En paix excellente plus que toute chose ! Cette fuite qu’a prise le serviteur ici présent dans son inconscience, ton double la connaît, Dieu bon, maître des deux Égyptes, ami de Râ, favori de Montou le seigneur de Thèbes. Puissent Amon le seigneur de Karnak, Sovkou[54], Râ, Horus, Hâthor, Toumou[55] et sa Neuvaine de dieux[56], Soupdou le dieu aux belles âmes, l’Horus du pays d’Orient[57], la royale Uræus qui enveloppe ta tête[58], les chefs qui président à l’inondation, Minou-Horus qui réside dans les contrées étrangères, Ouarourît dame du Pouanît[59], Nouît[60], Haroêris-Râ[61], que tous les dieux de l’Égypte et des îles de la Très Verte[62], donnent la vie et la force à ta narine ; qu’ils te fournissent de leurs largesses, qu’ils te donnent le temps sans limites, l’éternité sans mesure, si bien qu’on se répète la crainte que tu inspires sur tous les pays de plaine et de montagne, et que tu domptes tout ce que le disque du soleil entoure dans sa course ! C’est la prière que le serviteur ici présent fait pour son seigneur, qui là délivré du tombeau ! Le maître de sagesse qui connaît les hommes l’a connue en la Majesté du Souverain, quand le serviteur ici présent craignait de la dire, tant c’était chose grave de l’énoncer[63]. Mais le Dieu grand, l’image de Râ, rend habile celui qui travaille pour lui-même, et le serviteur ici présent lui est soumis, et il est sous sa volonté ; car Ta Majesté est Horus[64], et la puissance de tes bras s’étend jusque sur tous les pays ! Or donc, que Ta Majesté donne ordre d’amener Mâki de Kadimâ, Khentiâoush de Khonti-Kaoushou[65], Menous des deux pays des Soumis[66], qui sont princes dont le nom est sans tache et qui t’aiment, sans qu’on leur ait jamais rien reproché, car Tonou est à toi comme tes chiens. Car cette fuite qu’a prise le serviteur ici présent, il ne l’a pas prise consciemment, elle n’était pas dans mes intentions ; je ne l’avais pas préméditée et je ne sais pas ce qui m’arracha du lieu où j’étais. Ce fut comme un rêve, comme lorsqu’un homme d’Athou se voit à Iabou[67], ou un homme de la glèbe dans le désert de Nubie[68]. Je n’avais rien à redouter, nul ne me poursuivait, je n’avais entendu aucune vilenie, et mon nom n’avait jamais été dans la bouche du héraut, et pourtant mes membres tressautèrent, mes jambes s’élancèrent, mon cœur me guida, le Dieu qui me prédestinait à cette fuite me tira, car moi, je n’en suis pas un qui redresse l’échine et l’individu est craint que son propre pays connaît bien. Or Râ a donné que ta crainte règne sur la terre d’Égypte, que ta terreur soit sur, toute terre étrangère. Moi donc, que je sois dans le palais ou que je sois ici, c’est toi qui peux voiler mon horizon ; le soleil se lève à ton gré, l’eau du fleuve, qui te plaît la boit, la brise du ciel, qui tu dis la respire. Moi, le serviteur ici présent je laisserai mes fonctions que moi, le serviteur ici présent, j’ai eues en cette place. Que ta Majesté fasse comme il lui plaît : car on vit de l’air que tu donnes, c’est l’amour de Râ, d’Horus, d’Hathor, que ta narine auguste, et c’est le don de Montou, maître de Thèbes, qu’elle vive éternellement. Quand on fut venu me chercher moi le serviteur[69], ici présent, je célébrai un jour de fête dans Aîa pour remettre mes biens à mes enfants ; mon fils aîné fut chef de ma tribu, si bien que ma tribu et tous mes biens furent à lui, mes serfs, tous mes bestiaux, toutes mes plantations, tous mes dattiers. Moi donc, ce serviteur ici présent, je m’acheminai vers le Sud, et quand j’arrivai aux Hariou-Horou[70], le général qui est là avec les garde-frontières manda un message au palais pour en donner avis. Sa Majesté envoya un excellent directeur des paysans de la maison du roi, et, avec lui, des navires de charge pleins de cadeaux de la part du roi pour les Bédouins qui étaient venus à ma suite afin de me conduire à Hariou-Horou. Je leur dis adieu à chacun par son nom ; puis comme il y avait là des artisans de toute sorte appliqués chacun à son travail, je démarrai, je mis à la voile, et on brassa, on passa la bière[71] pour moi jusqu’à ce que j’arrivai à la ville royale de Taîtou-taoui[72]. Quand la terre s’éclaira au matin suivant, on vint m’appeler : dix hommes vinrent et dix hommes allèrent pour me mener au palais. Je touchai la terre du front entre les sphinx[73], puis, les Infants royaux qui se tenaient debout dans le corps de garde me vinrent à l’encontre, les Amis qui ont charge de mener au Salon hypostyle me conduisirent au logis du roi[74]. Je trouvai Sa Majesté sur la grande estrade dans l’embrasure de Vermeil[75], et je me jetai sur le ventre, et je perdis connaissance devant lui. Ce Dieu m’adressa des paroles aimables, mais je fus comme un individu qui est pris dans le crépuscule : mon âme défaillit, mes membres se dérobèrent, mon cœur ne fut plus dans ma poitrine, et je connus quelle différence il y a entre la vie et la mort. Sa Majesté dit à l’un de ces Amis : Lève-le et qu’il me parle ! Sa Majesté dit : Te voilà donc qui viens, après que tu as couru les pays étrangers et que tu as pris la fuite. L’âge t’a attaqué, tu as atteint la vieillesse, ce n’est point petite affaire que ton corps puisse désormais être enseveli, sans que les barbares t’ensevelissent. Ne récidive pas de ne point parler quand on t’interpellera ! J’eus peur du châtiment, et je répondis par une réponse d’homme apeuré : Que m’a dit mon maître ? Ah ! je lui réponds ceci : Ce ne fut pas mon fait, ce fut la main de Dieu. La crainte qui est à présent dans mon sein est comme celle qui produisit la fuite fatale[76]. Me voici devant toi : tu es la vie ; que ta Majesté agisse à son plaisir ! On fit défiler les Infants Royaux, et Sa Majesté dit à la Reine : Voilà Sinouhît qui vient semblable à un Asiatique, comme un Bédouin qu’il est devenu. Elle poussa un très grand éclat de rire et les Infants royaux s’esclaffèrent tous à la fois. Ils dirent en face de Sa Majesté : Non, il ne l’est pas en vérité, Souverain, mon maître ! Sa Majesté dit : Il l’est en vérité ! Alors ils prirent leurs crotales[77], leurs sceptres[78], leurs sistres, puis voici ce qu’ils dirent à Sa Majesté : Tes deux mains soient pour le bien, ô roi, toi sur qui posent durablement les parures de la Dame du Ciel[79] ; la déesse d’or donne la vie à ta narine, se joint à toi la Dame des astres, le diadème du Sud descend et son diadème du Nord remonte le courant, unis solidement par la bouche de ta Majesté, et l’uraeus est à ton front. Tu as écarté du mal les sujets, car Râ t’est favorable, ô maître des deux pays ! On t’acclame comme on « acclame la Maîtresse de tout[80], ta corne est rude, ta flèche détruit. Donne que respire celui qui est dans l’oppression ! Accorde-nous cette faveur insigne que nous te demandons, pour ce cheikh Simihît[81], le Bédouin qui est né en Tomouri ! S’il a fui, c’est par la crainte de toi ; la face ne blêmit-elle pas qui voit ta face et l’œil n’a-t-il pas peur qui t’a contemplé ? Sa Majesté dit : Qu’il ne craigne plus, qu’il ne crie pas la terreur ! Il sera un Ami de ceux qui sont parmi les prud’hommes, et qu’on le mette parmi les gens du c cercle royal[82]. Allez avec lui au Logis Royal, lui enseignant la place qu’il doit occuper ! Lorsque je sortis du Logis Royal, les Infants me donnèrent la main, et nous nous rendîmes ensuite à la double grande porte[83]. On m’assigna la maison d’un Fils Royal, avec ses richesses, avec sa salle de bain, avec ses décorations célestes et son ameublement venu de la double maison blanche, étoffes de la garde-robe royale et parfums de choix ; il y avait dans chaque maison des artisans royaux choisis parmi les notables qu’il aime, chacun pratiquant son métier[84]. Éloignant les années de mes membres, je me rasai, je me peignai ma chevelure[85], je laissai la crasse aux pays étrangers et leurs vêtements aux Nomioushâîou[86] ; puis, je m’habillai de fin lin, je me parfumai d’essences fines, je couchai dans un lit, et je laissai le sable à ceux qui y vivent, l’huile d’arbre à ceux qui s’en frottent[87]. On me donna la maison qui convient à un propriétaire foncier et qui avait appartenu à un Ami ; beaucoup de briquetiers travaillèrent à la bâtir, toutes les charpentes en furent refaites à neuf, et l’on m’apporta des friandises du palais, trois fois, quatre fois par jour, en plus de ce que les Infants me donnaient sans jamais un instant de cesse. On me fonda une pyramide en pierre au milieu des pyramides funéraires[88] ; le chef des carriers de Sa Majesté en choisit le terrain, le chef des gens au collier en dessina la décoration, le chef des sculpteurs la sculpta, les chefs des travaux qu’on exécute dans la nécropole parcoururent la terre d’Égypte à cette intention[89]. Toute sorte de mobilier fut placé dans les magasins, et on y mit tout ce qu’il fallait. On m’institua des prêtres de double[90], on m’y fit un appareil funèbre. Je donnai le mobilier, faisant les agencements nécessaires dans la pyramide même, puis je donnai des terres et j’y instituai un domaine funéraire[91] avec des terres en avant de la ville[92], comme on fait aux Amis du premier rang ; ma statue fut lamée d’or avec une jupe de vermeil, et ce fut Sa Majesté qui la fit faire. Ce n’est pas un homme du commun à qui on en eût fait autant, mais je fus dans la faveur du roi jusqu’à ce que vînt pour moi le jour du trépas. — C’est fini du commencement jusqu’à la fin, comme ç’a été trouvé dans le livre. |
[1] Les amis occupaient les postes les plus élevés à la cour de Pharaon : au Papyrus Hood du British Museum, la hiérarchie les place au septième rang après le roi. Ils se divisaient en plusieurs catégories : les amis uniques, les amis du sérail, les amis dorés, les jeunes, dont il n’est guère possible d’établir la position exacte. Le titre continua d’exister à la cour des Ptolémées et il se répandit dans le monde macédonien (cf. Maspero, Études égyptiennes, t. II, p. 20-21).
[2] Le protocole de Sinouhît renferme, à côté des dignités égyptiennes ordinaires, un titre malheureusement mutilé et qu’on n’est pas accoutumé à rencontrer sur les monuments, mais qui le met en rapport avec les Bédouins de l’Asie. Sinouhît avait été en effet chef de tribu chez les Saatiou et il lui en restait quelque chose, même après être rentré en Égypte, à la cour de Pharaon. C’est un fait nouveau et qu’il n’est pas inutile de signaler à l’attention des Égyptologues.
[3] Le Sanouosrit et l’Amenemhaît dont la princesse est la femme et la fille sont désignés ici par le nom des pyramides dans lesquels ils étaient enterrés, Khnoumisopitou et Qanofir. Le Musée du Caire possède deux statues d’une princesse Nofrît, qui ont été découvertes par Mariette à Sàn, l’antique Tanis (Maspero, Guide to the Cairo Museum, 5e éd., 1910, p. 93, 94, n° 200 et 201).
[4] L’un des textes, celui que l’Ostracon du Caire nous a conservé, porte ici la mention du deuxième mois d’Iakhouit.
[5] En d’autres termes, le roi Amenemhaît II, mourut. On a déjà vu, le Conte des deux frères, un autre exemple de cet euphémisme.
[6] Les Timihou sont les tribus berbères qui habitaient le désert libyen, à l’occident de l’Égypte.
[7] Le roi mort, les amis du sérail avaient dû prendre la régence en l’absence de l’héritier.
[8] Le faucon qui s’envole est, selon l’usage égyptien, le nouveau roi, identifié soit à Harouêri, Horus l’aîné, soit à Harsiésît, Horus fils d’Isis.
[9] Sinouhît évite de nous apprendre par quel accident il se trouvait en posture d’entendre, à l’insu de tous, la nouvelle que le messager apportait au nouveau roi. Nous ne savons pas si la loi égyptienne décrétait de mort le malheureux qui commettait en pareil cas une indiscrétion même involontaire : le certain est que Sinouhît craint pour sa vie et qu’il se décide à la fuite.
[10] Sinouhît se cache dans les buissons tandis que le cortège royal défile secrètement sous ses yeux, puis il se fraie un chemin à travers les fourrés, évitant la route suivie par le Pharaon.
[11] Ce passage ne peut guère faire allusion qu’à une guerre civile. En Égypte, comme dans tous les pays d’Orient, un changement de règne entraînait souvent une révolte : les princes qui n’avaient pas été choisis pour succéder au père prenaient les armes contre leur frère plus heureux.
[12] Pour ce nom géographique et pour les suivants, voir l’introduction de ce conte.
[13] Cf. L. Borchardt, zu Sinuhe 25 ff., dans la Zeitschrift, 1891, t. XXIX, p. 63.
[14] Le papyrus du Ramesséum donne ici en variante le Lotanou supérieur ; cf. l’introduction de ce conte.
[15] Probablement des transfuges échappés d’Égypte dans des conditions analogues à celles où l’évasion de Sinouhît s’était produite.
[16] La question du prince de Tonou, un peu obscure à dessein, est d’autant plus naturelle que nous savons par d’autres documents (Papyrus Sallier II, p. 1, lign. dern., p. 2, lign. 1-2) qu’Amenemhaît Ier avait failli succomber à une conspiration de palais. Ammouianashi demande à Sinouhît s’il n’a pas été impliqué dans quelque tentative de ce genre ; et s’il n’a pas dû s’échapper à la suite de l’assassinat du roi.
[17] Sokhib, ou Sakhmit, qu’on a longtemps confondue avec Pakhouit, était une des principales déesses du Panthéon égyptien. Elle appartenait à la triade de Memphis et elle avait le titre de grande amie de Phtah. C’était une lionne ou une déesse à tête de lionne : avec une tête de chatte, elle se nommait Bastît et elle était adorée à Bubaste, dans le Delta.
[18] Sinouhît répond à la question par laquelle le chef de Tonou lui demandait si son exil n’avait point pour motif quelque complicité dans un attentat dirigé contre la vie du roi. Sa fuite est comme une volonté de Dieu, comme une fatalité ; et, en effet, nous l’avons vu plus haut, c’est par hasard et sans le vouloir qu’il a appris la mort d’Amenemhaît. Afin de mieux montrer qu’il n’a jamais trempé et ne trempera jamais dans aucun complot, il se lance dans un éloge emphatique du nouveau Pharaon Sanouosrit Ier : l’exagération du compliment devient ici une preuve de loyalisme et d’innocence.
[19] Un des titres qu’on donne à Sokhît (cf. note 17) et à ses formes belliqueuses.
[20] C’est la formule égyptienne pour indiquer que le pouvoir royal appartient au roi dès le moment qu’il est conçu dans le sein de sa mère.
[21] D’après Gardiner (Notes on the Story of Sinuke, dans le Recueil, t. XXXII, p. 224), ce passage signifierait qu’il laisse l’Égypte plus populeuse qu’elle ne l’était au temps de sa naissance ; il rappelle à ce propos les noms d’Horus, celui qui renouvelle les naissances pour Amenemhaît Ier, et celui qui est la vie des naissances, pour Sanouosrît Ier.
[22] Les peuplades nomades qui habitent le désert à l’Orient de l’Égypte. Ils sont appelés ailleurs Haouiou-Shaiou, les maîtres des sables : la variante Nomiou-shdiou parait signifier ceux qui dominent les sables.
[23] Voir dans l’introduction de ce conte l’identification proposée pour cette localité.
[24] Le mot a été laissé en blanc dans le manuscrit de Berlin. Très probablement il était illisible dans le papyrus original, d’après lequel la copie que nous possédons du conte de Sinouhît a été faite ; le scribe a préféré ne rien mettre plutôt que de combler la lacune de sa propre autorité.
[25] Litt. : les archers. C’est le nom générique que les Égyptiens donnaient aux peuplades nomades de la Syrie, par opposition à Monatiou, qui en désignait les peuplades agricoles.
[26] Ce sont les expressions dont on se servait dans les rapports officiels, pour décrire les ravages des guerres conduites par les Pharaons. Sanouosrît III dit de même : J’ai pris leurs femmes, j’ai emmené leurs subordonnés, me manifestant vers leurs puits, chassant devant moi leurs bestiaux, gâtant leurs maisons et y mettant le feu (Lepsius, Denkm., II, pl. 136, h, l. 14-16).
[27] Tout ce passage est d’interprétation difficile. J’ai adopté dans l’ensemble la dernière traduction de Gardiner (Notes on the Story of Sinuhe, dans le Recueil, t. XXXIII, p. 68-72). Sinouhît parait penser que son origine étrangère est la cause de la provocation dont autrement il ne comprendrait pas les motifs : il l’accepte pourtant, et il s’en remet au jugement de Dieu.
[28] Le dieu de la guerre à Thèbes. Il était adoré à Hermonthis, dans le voisinage immédiat de la grande ville, et les Grecs l’identifièrent avec Apollon : c’était en effet un dieu solaire, et les monuments le confondent souvent avec Râ, le soleil.
[29] La vocalisation, en i de ce nom est donnée ici par le manuscrit, quand plus haut l’i n’était pas écrit. Les Égyptiens, dans leur système imparfait d’écriture, étaient fort embarrassés de rendre le son des voyelles étrangères : de là, les différences qu’on observe dans l’orthographe d’un seul et même nom.
[30] Cf. le même souhait exprimé en faveur du Naufragé par le serpent qui l’a accueilli dans son île, Le Naufragé.
[31] Autant que je puis comprendre, Sinouhît prie le roi d’examiner et la disgrâce qu’il a encourue et l’Égypte d’où il a été banni, puis, considérant la disproportion entre cette disgrâce et la cause qui l’a produite ; de le rappeler, lui Sinouhît, en Égypte.
[32] C’est un des titres de la reine. Comme on l’a vu un peu plus haut, Conte des deux frères, Sinouhît était l’administrateur du harem et par suite des biens de la reine : il demande à reprendre son ancienne fonction.
[33] Les villes éternelles ou la maison éternelle est le nom que les Égyptiens donnaient à la tombe.
[34] La Dame de tout est, comme le Maître de tout, une divinité des morts. Erman (Aus den Papyrus der Könlglichen Museen, p. 22, note 2) et Gardiner (Notes on the Story of Sinuhe, dans le Recueil, t. XXXIII, p. 85-86) pensent qu’il s’agit plutôt de la reine : Sinouhît souhaiterait de la servir éternellement dans l’autre monde, comme il l’a servie dans celui-ci.
[35] On sait la crainte que les Égyptiens avaient de mourir et surtout de rester ensevelis à l’étranger : ils pensaient ne pouvoir jouir de la vie d’outre-tombe que si leur momie reposait dans la terre d’Égypte. C’est pour éviter l’opprobre et le malheur d’un tombeau en Syrie que Sinouhît, parvenu à la vieillesse, demande à rentrer au pays ; s’il insiste tant sur ces idées funèbres, c’est qu’elles étaient, plus que toute autre considération, de nature à lui valoir la pitié du Pharaon.
[36] C’est le prénom du roi Sanouosrit Ier, fils et successeur d’Amenemhaît Ier, avec une variante sur le mot ka.
[37] Les Égyptiens, comme tous les peuples orientaux, attachaient une grande importance non seulement aux paroles qui composaient leurs formules religieuses, mais encore à l’intonation qu’on donnait à chacune d’elles. Pour qu’une prière fût valable et qu’elle eût son plein effet auprès des dieux, il fallait qu’on la récitât avec la mélopée traditionnelle. Aussi le plus grand éloge qu’on pût faire d’un personnage obligé à réciter une oraison était-il de l’appeler md-khrôou, juste de voix, de dire qu’il avait la voix juste et qu’il savait le ton qu’il devait donner à chaque phrase. Le roi ou le prêtre qui faisait l’office de lecteur (khri-habi) pendant le sacrifice était dit Md-khrôou. Les dieux triomphaient du mal par la justesse de leur voix, quand ils prononçaient les paroles destinées à rendre les mauvais esprits impuissants. Le mort, qui passait tout le temps de son existence funéraire à débiter des incantations, était le md-khrôou par excellence. La locution ainsi employée finit par devenir une véritable épithète laudative, qu’on joignait au nom de tous les morts et de tous les personnages du temps passé dont on parlait sans colère.
[38] L. Borchardt, der Ausdruck Bk im, dans la Zeitschrift, 1889, t. XXVII, p. 122-124.
[39] Les Infants sont, ou bien les enfants du roi régnant, ou les enfants d’un des rois précédents ; ils prennent rang dans la hiérarchie égyptienne immédiatement après le roi régnant, la reine et la reine-mère (cf. Maspero, Études égyptiennes, t. II, p. 14, 16).
[40] Le nom de ce roi est formé du prénom Knopirkérîya de Sanouosrît Ier et du nom d’Amenemhaît II. Sur la valeur de cette combinaison, voir l’Introduction générale de cet ouvrage.
[41] Ceci est la réponse à l’appel indirect que Sinouhît avait adressé plus haut à la reine dont nous savons qu’il était l’un des principaux officiers, ainsi qu’aux enfants que le Pharaon avait eus de cette princesse. Il semble résulter de ce passage que leur intercession avait été efficace et que Sinouhît devait le pardon de sa faute aux prières de Nofrît et des Infants.
[42] Gardiner a déterminé exactement la coupe générale de la phrase avec beaucoup de sagacité, mais il me semble que le sens du détail lui a échappé (Notes on the Story of Sinuhe, dans le Recueil, t. XXXIII, p. 87-89). Maudire, en d’autres termes, prononcer contre un individu ou contre un objet des imprécations qui obligeaient les dieux mis en cause à le détruire, était une faculté qui n’appartenait qu’aux personnes en possession de la plénitude de leurs droits civils, comme celle de siéger parmi les Notables : en s’exilant volontairement Sinouhît a renoncé à ses facultés, si bien que sa malédiction n’a plus aucune valeur, et qu’on n’en tient pas compte. Si, pour empêcher qu’on ne le vole, il prononce les imprécations usuelles en pareil cas, un ne les redoute plus et on peut le voler impunément. Ce n’est qu’un exemple pour indiquer le sens que j’attribue à ce passage : il serait trop long d’en citer d’autres.
[43] Rappelons une fois encore que Sinouhît avait été attaché au harem de la reine. Même pendant qu’il était en exil, celle-ci avait pris sa défense et avait entretenu les bonnes dispositions du Pharaon à son égard.
[44] Voir plus haut, ce qui est dit des Amis royaux.
[45] Le nom de la déesse Taît signifie littéralement linge, bandelettes : c’est la déesse qui préside à l’emmaillotement du nouveau-né et du nouveau-mort. Les cérémonies auxquelles ce passage fait allusion sont décrites dans un livre spécial, que j’ai eu la chance de publier et de traduire sous le titre de Rituel de l’embaumement (Maspero, Mémoire sur quelques papyrus du Louvre).
[46] Les cercueils des momies de la XIe dynastie et des époques suivantes que nous avons au Louvre, par exemple, sont en effet dorés complètement, à l’exception de la face humaine qui est peinte en rouge et de la coiffure qui est peinte en bleu.
[47] On déposait la momie sur un lit funéraire que surmontait un baldaquin en bois, pendant les cérémonies de l’enterrement. M. Rhind en trouva un à Thèbes (Rhind, Thebes, its Tombs and their Tenants, p. 89-90), qui est aujourd’hui au musée royal d’Édimbourg. J’en ai découvert trois depuis lors : le premier à Thèbes, de la XIIIe dynastie ; le second, à Thèbes également, de la XXe dynastie ; le troisième à Akhmim, d’époque ptolémaïque. Ils sont tous au musée du Caire (Maspero, Archéologie égyptienne, p. 219 et Guide to the Cairo Museum, 5e édit., 1910, p. 496, 511-512). Le musée du Caire possède également deux traîneaux à baldaquins, nous dirions deux corbillards, de la XXe dynastie (Maspero, Archéologie, p. 219, et Guide to the Cairo Museum, 5e édit., 1910, p. 481, 488), déterrés à Thèbes en 1886, dans le tombeau de Sannozmou. Ils appartiennent à la catégorie de ceux qu’on attelait de bœufs afin de traîner la momie à sa demeure dernière.
[48] Dans les tombeaux de l’âge thébain, surtout dans ceux de la XVIIIe Dynastie, on voit deux ou trois personnages, des hommes aux endroits que je connais, vêtus du pagne court, et la tête surmontée d’une haute coiffure, probablement une perruque à long poil ou leurs cheveux poussés long, qui sont relevés en pain de sucre et liés au-dessus de leur tête. Ce sont les baladins qui exécutaient les danses mortuaires pendant les funérailles et qui amusaient la foule dans les intervalles des lamentations et des pleurs par leurs contorsions ou par leurs tours de force.
[49] Lors des funérailles et à tous les offices célébrés par la suite en l’honneur des morts, l’homme au rouleau appelait, — nais — l’un après l’autre les objets nécessaires à la subsistance et au bien-être d’un être humain, puis il les posait sur la table d’offrandes, d’où, par la vertu des formules, ils passaient soudain sur le guéridon du mort.
[50] C’est la description exacte des funérailles égyptiennes, telles que les monuments nous en font connaître le détail (cf. Maspero, Études égyptiennes, t. I, p. 81-194).
[51] Nous savons par Hérodote (II, LXXXI) que les Égyptiens n’aimaient pas qu’on mit de la laine avec leurs morts : nous savons aussi que, malgré leur répugnance, on employait parfois la peau de mouton pour les enterrements, et l’une des momies de Déir-el-Baharî (n° 5289) était enveloppée d’une peau blanche encore garnie de sa toison (Maspero, les Momies royales, dans les Mémoires présentés par les Membres de la Mission permanente, t. I, p. 548). Comme cette momie est celle d’un prince anonyme, qui parait avoir été empoisonné, on peut se demander si la peau de mouton n’était pas réservée aux gens d’une certaine catégorie, à des suppliciés ou à des prisonniers, que l’on condamnait à être impurs jusqu’au tombeau. S’il en était ainsi, on comprendrait la place qu’occupe la mention de la peau de mouton dans le rescrit royal : le Pharaon, en promettant à Sinouhît qu’on le mènera au tombeau avec l’appareil solennel des princes ou des riches, et qu’on n’enveloppera point sa momie dans la peau de mouton des condamnés, lui assurait par là le pardon plein et entier même dans l’autre vie.
[52] Le membre de phrase final parait être altéré dans le seul manuscrit que nous ayons pour ce passage. La longue description qu’il termine répond à la requête que Sinouhît avait adressée plus haut d’être autorisé à venir reposer dans la terre natale, et elle montre que l’appel adressé par lui à la compassion du souverain avait été exaucé : il aura tous les rites nécessaires à la survivance de son double, et son avenir au tombeau est assuré par la clémence royale.
[53] Les Égyptiens appelaient cette cérémonie san-taon, flairer la terre c’était l’accompagnement obligé de toute audience royale ou de toute offrande divine ; cf. Le Voyage d'Ounamounou aux côtes de Syrie.
[54] Sovkou est le dieu crocodile qu’on adorait à Ombo, à Esnèh et dans les villes du Fayoum.
[55] Toumou, Atoumou, est le dieu d’Héliopolis, le chef de l’Ennéade divine qui a créé et qui maintient le monde depuis le premier jour. Sur sa Neuvaine des dieux, et sur la Neuvaine en général, cf. dans le Conte des deux Frères.
[56] Soupdou, qui reçoit ces diverses épithètes, était le dieu adoré dans le nome arabique de l’Égypte ; il est figuré parfois sous forme d’un homme portant sur la tête le disque solaire, et il reçoit le titre du plus noble des esprits d’Héliopolis. Il ne faut pas le confondre avec la déesse Sopdit, en grec Sothis, qui représente la constellation la plus célèbre du ciel égyptien, celle qui correspond à notre Sirius.
[57] La royale Uræus est le serpent que le roi porte attaché à sa couronne et qui était censé le protéger contre ses ennemis.
[58] Minou, l’Horus des pays étrangers, est le dieu du désert arabique et, d’une manière générale, celui de tous les pays qui environnent immédiatement l’Égypte, à l’Orient comme à l’Occident.
[59] Ouarourît ne m’est guère connue que par ce passage. Son titre dame du Pouanît semble montrer en elle une forme secondaire d’Hathor, que diverses traditions fort anciennes faisaient venir de ce pays. Ouarourît serait-elle l’Alilat des écrivains classiques ?
[60] Nouît est la déesse ciel. Elle forme avec Sibou-Cabou, le dieu terre, un couple divin, l’un des plus antiques parmi les couples divins de l’Égypte, l’un de ceux qui n’ont pas pu être ramenés au type solaire par les théologiens de la grande école thébaine du temps des Ramsès. Des tableaux représentent Nouît repliée sur son époux et figurant par la courbure de son corps le firmament étoilé.
[61] Horus l’aîné, Harouêri, dont les Grecs ont fait Arodris, est un dieu solaire au même titre que Râ, ce qui explique qu’il soit réuni avec lui dans ce passage. Il ne doit pas être confondu avec Horus le jeune, fils d’Isis et d’Osiris.
[62] Les Égyptiens donnaient à la mer le nom de Très Verte, Ouaz-ouêrît. Ce nom s’applique parfois à la mer Rouge, mais plus souvent à la Méditerranée : c’est de cette dernière mer qu’il est question ici.
[63] La chose qu’il était grave d’énoncer, et que le Souverain a connue dans sa sagesse, est la prière que Sinouhît vient de prononcer à l’effet d’être admis à rentrer en Égypte.
[64] Les rois de l’Égypte primitive pensaient descendre directement d’Horus, le faucon divin, et par conséquent ils s’intitulaient l’Horus. Par la suite, ce premier sens s’affaiblit et l’on déclara que le roi vivant, étant l’incarnation dé bien, s’identifiait à la troisième personne de la trinité égyptienne, au dieu fils : il était donc l’Horus, l’Horus vivant, la vie d’Horus, ainsi qu’il est dit dans les protocoles officiels.
[65] Khonti-Kaoshou signifie au propre celui qui est emprisonné dans Kaoushou, et semble par conséquent désigner un personnage originaire de l’Éthiopie. Toutefois, le voisinage de Kadimâ indique plutôt une localité syrienne, que je ne sais où placer exactement.
[66] Les mots que je rends par les pays soumis ont été rendus par H. Brugsch et par d’autres le pays des Phéniciens. Sans entrer dans la question de savoir si le nom ethnique Fonkhou se prête à une identification avec la Phénicie, il suffit de dire que l’orthographe du manuscrit ne nous permet pas de le reconnaître dans ce passage. Je ne sais pas d’ailleurs quelle région les Égyptiens désignaient sous le nom de pays soumis ou plus exactement de pays ravagés.
[67] Iabou est le nom égyptien d’Éléphantine, Athou celui d’un canton du Delta : ces deux localités, qui sont situées, la première à l’extrême sud, la seconde à l’extrême nord de l’Égypte, servaient proverbialement, comme Dan et Bershébâ chez les Hébreux, à désigner toute l’étendue du pays. Un homme d’Iabou qui se voit à Athou, c’est un égyptien du nord transporté au sud et complètement dépaysé ; la différence, non seulement des mœurs, mais encore des dialectes, était assez grande pour qu’on pût comparer le langage inintelligible, d’un mauvais écrivain au parler d’un homme d’Iabou qui se trouve à Athou.
[68] La traduction exacte serait dans le pays de Khonti. Ce pays de Khonti doit représenter, par opposition à la plaine cultivée de l’Égypte, Khato, la Nubie ou les pentes sèches et stériles qui bordent la vallée à l’est et à l’ouest (cf. Brugsch, Dictionnaire géographique, p. 1281-1284).
[69] M. Gardiner transporte ici, avec raison je crois, le membre de phrase qui, dans le seul manuscrit que nous ayons, se trouve deux lignes plus haut (die Erzählunq des Sinuhe, p. 13). Il semble que le scribe, arrivé au bas de sa page, avait passé toute la péroraison de ce document à partir de je laisserai ; il s’est aperçu de son erreur avant d’avoir écrit autre chose que le membre de phrase déplacé, et il amis tout ce qui manquait au-dessus et à la suite de celui-ci, sans songer à rétablir les mots qu’il avait insérés ainsi par erreur au haut de la page suivante, à l’endroit même où ils appartenaient.
[70] Voir l’introduction de ce conte.
[71] La bière était préparée au jour le jour, en même temps que le pain, qu’on employait en guise de levure pour faire fermenter le brassin.
[72] Le nom de cette localité est écrit Taîtou, litt. la dominatrice. Griffith y a reconnu très ingénieusement un équivalent de l’expression Taîtou-taoui, litt. la dominatrice des deux terres, qui sert à désigner la ville royale des premiers rois de la XIIe dynastie, au voisinage des pyramides de Licht.
[73] Il s’agit ici des colosses ou plutôt des sphinx qui, selon l’usage, étaient érigés de chaque côté des portes d’un temple ou d’un palais.
[74] Voir plus haut, dans le Conte de Khoufouî, une description d’audience royale, moins développée, mais analogue à celle-ci pour les termes employés.
[75] Les Égyptiens se servaient beaucoup de l’or et des métaux précieux dans l’ornementation de leurs temples et de leurs maisons : il est fait mention fréquente de portes, de colonnes, d’obélisques recouverts de feuilles d’or, d’argent ou d’électrum, c’est-à-dire d’un alliage d’or et d’argent dans lequel il entrait au moins vingt pour cent d’argent. L’Embrasure de Vermeil, la porte dorée où les Pharaons siégeaient en audience, tirait son nom de la décoration qu’elle avait reçue. La grande salle des tombes royales thébaines, correspondant à la Salle du trône des palais, s’appelle la Salle d’Or, bien qu’elle ne fût pas dorée : sans doute elle avait été autrefois décorée de feuilles de métal, et le nom lui en était resté.
[76] Sinouhît proteste de son innocence une fois de plus. Nous avons vu dans quelles circonstances il s’était enfui, et cette fuite précipitée aurait pu donner lieu de croire qu’il avait été mêlé à un complot contre Amenemhaît, surtout contre Sanouosrît. De plus les clauses du traité entre Ramsès II et le prince de Khati, relatives à l’échange des transfuges, montrent avec quel soin Pharaon essayait de reprendre ceux de ses sujets qui s’enfuyaient à l’étranger. C’est à ces causes que Sinouhît revient avec tant d’insistance sur le motif de sa fuite et sur la fatalité dont il a été victime.
[77] D’après Loret (les Cymbales égyptiennes, dans Sphinx, t. V, p. 93-96) l’instrument que je désigne sous le nom de crotales serait les cymbales, Le cérémonial des audiences pharaoniques comportait, comme celui des audiences byzantines, des chants réglés à l’avance. Les Infants, après avoir salué le roi, commencent cet acte de la cérémonie : ils prennent leurs insignes, qu’ils avaient déposés avant le défilé et l’adoration devant le roi, puis, avec leurs insignes, le sistre qui doit rythmer leur mélopée.
[78] Sceptre ne répond pas exactement au terme employé en cet endroit, et qui se lit sakhmou. Le sakhmou était à l’origine une arme de guerre et de chasse, composée d’une sorte de lame plate en bois dur, coupante des deux côtés, taillée carrément par le haut et montée sur un manche arrondi : elle agissait à la façon d’un sabre et d’un casse-tête à la fois, assommant plus encore que tranchant. Elle était primitivement si bien liée à l’idée de l’homme fort, qu’elle lui servit d’emblème et qu’on la déposait dans le tombeau comme un soutien ou un corps de la survivance : le sakhmou, l’épée de bois animée par l’esprit de son ancien maître terrestre, est une forme de l’âme, comme le double et comme le lumineux. De même que chez nous l’épée avait fini par devenir chez les gens de cour une simple marque de rang, le sakhmou n’était plus chez les égyptiens de l’âge historique qu’un emblème honorifique : les gens de bonne famille ou les employés le portaient en cérémonie. Une de ses variétés, le Kharpou, ou parfois lui-même, jouait un rôle dans le sacrifice : tandis qu’autrefois on s’était servi de lui afin d’abattre réellement la victime, le personnage qui offrait se bornait à l’élever au-dessus de la tête de celle-ci pour donner au boucher le signal de l’égorgement.
[79] La locution poser les parures de la Dame du Ciel paraît exprimer, d’après le contexte, une idée de clémence. Plusieurs divinités portent le titre de Dame du Ciel ; la mention de Noubouît, la dame d’or, à la ligne suivante prouve que c’est d’Hathor qu’il est question ici.
[80] Ici de même que plus haut, cette expression désigne soit une déesse, — Hathor dans son rôle funéraire, — soit, comme Gardiner le veut (Notes on the Story of Sinuhe dans le Recueil, t. XXXIII, p. 85-86), la reine Nofrît.
[81] Cette variante du nom de Sinouhît, signifie littéralement le Fils du Nord : Gardiner (die Erzählung des Sinuhe, p. 14, note 5) traduit le Fils du Vent du Nord. Sinouhît est appelé le Sîti, à cause de ce long séjour chez les Bédouins qui lui avait fait perdre le bel air de la cour ; le roi avait déjà dit plus haut qu’il venait comme un rustre avec la tournure d’un Sîti. — Le Tomouri, la terre des canaux, est un nom du Delta qu’on appliquait également à l’Égypte entière.
[82] Les personnages attachés à la cour de Pharaon reçoivent deux qualifications collectives, celle de Shanouatiou, les gens du cercle, ceux qui sont en cercle autour du souverain, et celle de Qanbouatiou, les gens de l’angle, peut-être ceux qui se tiennent aux angles de la salle d’audience.
[83] Le Rouîti, ou, avec l’article, le Prouîti, est, comme Parouî-dou, Pharaon, une dénomination topographique qui a servi d’abord à désigner le palais du souverain, puis le souverain lui-même. On l’a vu dans l’Introduction de cet ouvrage, c’est de ce titre que la légende grecque tira le Protée, roi d’Égypte, qui reçut Hélène, Pâris et Ménélas à sa cour (Hérodote, II, CXII-CXVI). Ici on doit prendre le terme dans son sens étymologique, et y reconnaître la double porte qui fournissait accès au palais, et sous laquelle les Pharaons donnaient audience ou rendaient la justice. Sinouhît est conduit par les Infants à la double grande porte afin d’y recevoir légalement la donation que le souverain lui fait (Spiegelberg, Ueber zwei Stellen der Sinuhe-Novelle, dans Sphinx, t. IV, p. 140-141).
[84] A chaque palais du roi et à chaque hôtel ou château de riche particulier étaient attachées ce qu’on appelait des maisons ou des chambres — aît — où l’on fabriquait tout ce qui était nécessaire à la vie, et où logeaient tous les esclaves ou tous les artisans employés à la fabrication. Il y avait ainsi les maisons de la viande, de la bière, du pain, des étoffes, et ainsi de suite. Les scènes figurées en poupées de bois qu’on trouve dans les tombeaux du premier âge thébain ou de la fin de l’art memphite nous montrent quelques-unes de ces maisons en pleine activité (Maspero, Guide to the Cairo Museum, 1910, 5- éd. anglaise, p. 501-503).
[85] Ainsi est confirmé le passage de Diodore de Sicile (I, 18) où il est conté que les Égyptiens conservaient leur chevelure longue et embroussaillée aussi longtemps qu’ils demeuraient à l’étranger et qu’ils ne la coupaient qu’au retour (Spiegelberg, Ueber zwei Stellen der Sinuhe-Novelle, dans Sphinx, t. IV, p. 140-141).
[86] Pour la valeur géographique et pour le sens de ce nom, cf. Le Roi Khoufouî et les Magiciens.
[87] L’huile d’arbre est l’huile d’olive qu’on fabriquait en Asie, par opposition â l’huile de kiki, à l’huile de ricin, qu’on employait en Égypte.
[88] C’est la mise en récit, d’une façon suivie, des faits que nous trouvons mentionnés isolément dans les inscriptions funéraires. Sinouhît reçoit de Sanouasrît la faveur suprême, un tombeau bâti et doté aux frais de Pharaon, Khir hosou niri soutonou, par la grâce du roi. Le terrain lui est donné gratuitement, puis, la pyramide construite, les fêtes funéraires sont instituées, les revenus et les biens-fonds destinés à l’entretien des sacrifices sont pris sur le domaine royal, enfin la statue même qui doit servir de support au double de Sinouhît est en métal précieux.
[89] Voir en tête du conte, la version de ce passage que nous a conservée l’Ostracon 5629 du British Museum. Les voyages de ces personnages à travers l’Égypte ont pour objet de fournir le sarcophage, les tables d’offrandes, les coffrets, les statues de pierre, qu’on déposait dans les tombeaux.
[90] Les Serviteurs ou prêtres du double étaient les personnages chargés de tenir le tombeau en ordre, et d’accomplir tous les actes et toutes les cérémonies nécessaires pour y assurer l’existence et le confort du double.
[91] On pourrait traduire à la rigueur un lac. Le lac, ou plutôt la pièce d’eau bordée d’une margelle de pierre, était en effet l’ornement indispensable de toute villa réputée confortable (cf. dans le Conte de Khoufouî, le lac du palais de Sanafrouî, et, plus loin, celui du palais d’Amasis, dans l’Histoire du Matelot). Le tombeau idéal étant avant tout l’image de la maison terrestre, on avait soin d’y placer un lac semblable à celui des villas : le mort y venait se promener en barque, halé par ses esclaves, ou il s’asseyait sur les bords, à l’ombre des sycomores. Le kiosque était, comme le lac, un des ornements indispensables d’un jardin. Les bas-reliefs de Thèbes nous le montrent au milieu des arbres, parfois à côté de la pièce d’eau réglementaire. Le mort s’y rendait, comme le vivant, pour faire la sieste, pour causer avec sa femme, pour lire des histoires, pour jouer aux dames.
[92] Les champs du domaine funéraire étaient la propriété du mort et lui fournissaient tout ce dont il avait besoin. Chacun d’eux produisait un objet spécial, ou le revenu en était consacré à procurer au mort un objet spécial de nourriture ou d’habillement et il portait le nom de cet objet : celui dont Ti, par exemple, tirait ses figues ou ses dattes, s’appelait les figues de Ti, les dattes de Ti. Ces biens étaient administrés par les prêtres du double ou de la statue funéraire, qui, eux-mêmes, étaient souvent les prêtres du temple principal de la localité où le tombeau était situé ; la famille passait avec eux un contrat aux termes duquel ils s’engageaient à célébrer les sacrifices nécessaires à la félicité du mort, en échange de certaines redevances prélevées sur les domaines légués.