(XIXe DYNASTIE)
Le manuscrit de ce conte, acheté en Italie par madame Élisabeth d’Orbiney, fut vendu par elle au British Museum en 1857 et bientôt après reproduit par Samuel Birch, dans les Select Papyri, t. II, pl. IX-XIX (1860), in-folio. Une édition cursive de ce fac-similé couvre les pages 22-40 de l’Ægyptische Chrestomathie de M. Leo Reinisch, Vienne, 4875, petit in-folio, et une copie très soignée en a été donnée par G. Möller, Hieratische Lesestücke, Leipzig, 4940, petit in-folio, t. II, p. 1-20. F. Ll. Griffith a revu soigneusement le texte sur l’original ; il a publié sa collation sous le titre de Notes on the Text of the d’Orbiney Papyrus, dans les Proceedings of the Society of Biblical Archæology, t. VII, 1888-1889, p. 464-172 et 444-446. Le texte a été traduit et analysé pour la première fois par : E. de Bougé, Notice sur un manuscrit égyptien en écriture hiératique, écrit sous le règne de Merienphtah, fils du grand Ramsès, vers le XVe siècle avant l’ère chrétienne, dans l’Athénæum Français, numéro du samedi 30 octobre 1852, p. 280-284 (tirage à part chez Thunot, 1852, in-12°, 24 pp.), et dans la Revue archéologique, Ire série, t. VIII, p. 30 sqq. (tirage à part chez Leleu, 1852, in-8°, 15 pp. et 1 pl.) ; ce mémoire a été republié dans les Œuvres Diverses, t. II, p. 303-349. Depuis lors des analyses et des transcriptions et traductions nombreuses en plusieurs langues ont été données par : C.-W. Goodwin, Hieratic Papyri, dans les Cambridge Essays, 1858, p. 232-239. Mannhardt, das älteste Märchen, dans la Zeitschrift für Deutsche Mythologie und Sittenkunde, 1859. Birch, Select Papyri, part. II, London, 1860, Text, p. 7-9. Lepage-Renouf, On the Decypherment and Interpretation of dead Languages, London, 1863, in-8° ; reproduit dans The Life-Work of Sir Peter Lepage-Renouf, Ire série, t. I, p. 116-133. Chabas, Étude analytique d’un texte difficile, dans les Mélanges Égyptologiques, 2e série, 1864, p. 182-230. Brugsch, Aus dem Orient, 1864, p. 7 sqq. Ebers, Ægypten und die Bücher Moses, in-8°, Ire éd., 1868, p. 311-316. Vladimir Stasow, Drewnéjsaja powest w miré « Roman dwuch bratjew » Le plus ancien conte du Monde, le Roman des deux Frères, dans la Revue Westnik Jewropi (les Messagers d’Europe), 1868, t. V, p. 702-732. Maspero, Le Conte des deux Frères dans la Revue des Cours littéraires, 1871, numéro du 28 février, p. 780 sqq. Lepage-Renouf, The Tale of the Two Brothers, dans les Records of the Past, Ire série, t. II, p. 137-152 ; cf. ses Parallels in Folklore, dans les Proceedings of the Society of Biblical Archæology, t. XI, p. 177-189, reproduits dans The Life-Work, t. III, p. 311-327. Maspero, Conte des deux Frères, dans la Revue archéologique, 2e série, XIX, année (mars 1878). Tirage à part, chez Didier, Paris, in-80, 16 p. ; reproduit dans les Mélanges de Mythologie et d’Archéologie Égyptiennes, t. III, p. 43-66. Chabas, le Conte des deux Frères, dans le Choix de textes égyptiens, publié après sa mort par M. de Horrack, Paris, 1883, in-8°, p. 5 sqq., reproduit dans les Œuvres diverses, t. V, p. 424-435. E.-M. Coemans, Manuel de la langue égyptienne, 1887, t. I, p. 95-120. W-N. Groff, Étude sur le Papyrus d’Orbiney, Paris, Leroux, 1888, in-4°, 84-III p., et Quelques Observations sur mon Étude sur le Papyrus d’Orbiney, Leroux, 1889, in-4°, VIII p.. Ch.-E. Moldenke, The Tale of the two Brothers. A fairy tale of ancient Egypt, being the d’Orbiney Papyrus in hieratic character in the British Museum ; to which is added the hieroglyphic transcription, a glossary, critical notes, etc. New-York, 1888-1893, in-8°. E.-W. Budge, Egyptian Reading Book, Ire édit. Londres, Nutt, 1888, in-8°, p. XI et 1-25 ; ne contient que la transcription du texte en hiéroglyphes. W. Flinders Petrie, Egyptian Tales, 1895, t. II, p. 36-86. Ch.-E. Moldenke, The Oldest Fairy Tale translated from the Papyrus d’Orbiney, with Notes, dans les Transactions of the Meriden Scientific Association, Meriden, 1895, in-8°, t. VII, p. 33-81. Karl Piehl, En gammia Saga dans Bilder fran Egypten, 1896, in-8°. F. Ll. Griffith, Egyptian Literature dans Specimen Pages of the World’s best Literature, New-York, 1898, in-8°, p. 5253-5262. D. A. Speransky, lz literatury Dpewnjago Jegypta, Wipuski : Razskaz o dwuch bratjach (Le Conte des deux Frères), Saint-Pétersbourg, 1906, in-8°, 264 p. A. Wiedemann, Altægyptische Sagen und Mürchen, Leipzig, 1906, petit in-8°, p. 58-77. Le manuscrit renferme dix-neuf pages de dix lignes, les cinq premières assez mutilées. Quelques lacunes ont été remplies par l’un des possesseurs modernes ; elles ont été signalées sur le fac-similé. Le livre portait, à deux reprises, le nom de son propriétaire antique, Sêtoui Mainephtah, qui régna plus tard sous le nom de Sêtoui II. Au verso de l’un des feuillets, un contemporain, peut-être Sêtoui lui-même, a tracé le mémorandum suivant (cf. W. Spiegelberg, Rechnungen, p. 41, n. 8) :
Le manuscrit sort de l’officine du scribe Ennana, à laquelle nous devons plusieurs autres éditions d’ouvrages classiques, entre autres le Papyrus Anastasi IV, et qui était en pleine activité sous les règnes de Ramsès II, de Ménéphtah, et de Sêtoui II ; il a plus de trois mille ans d’existence. Il y avait une fois deux frères d’une seule mère et d’un seul père[1] : Anoupou[2] était le nom du grand, tandis que Baîti[3] était le nom du cadet. Or Anoupou, lui, avait maison, avait femme, mais son frère cadet était avec lui ce qu’il en est d’un cadet. C’était lui qui fabriquait les étoffes, tout en allant derrière ses bestiaux aux champs[4], c’était lui qui faisait les labours, c’était lui qui battait le grain, lui qui exécutait tous les travaux des champs ; car ce petit frère était un ouvrier excellent, et il n’y avait point son pareil dans la Terre-Entière[5], mais le germe de tout dieu était en lui. Et après beaucoup de jours ensuite de cela[6], lorsque le frère cadet était derrière ses vaches, selon sa coutume de tous les jours, il venait à sa maison chaque soir, chargé de toutes les herbes des champs, ainsi qu’on fait quand on revient des champs ; il les déposait devant son grand frère, qui était assis avec sa femme, il buvait, il mangeait, il dormait dans son étable, avec ses vaches, chaque jour[7]. Et quand la terre s’éclairait et qu’un second jour était, dès que les pains étaient cuits, il les mettait devant son grand frère, et celui-ci lui donnait des pains pour les champs. Il poussait ses vaches pour les faire manger aux champs, et tandis qu’il allait derrière ses vaches, elles lui disaient : Elle est bonne l’herbe, en tel endroit ; or, lui, il écoutait tout ce qu’elles disaient, il les menait au bon herbage qu’elles souhaitaient. Elles donc, les vaches qui étaient avec lui, elles devenaient belles, beaucoup, beaucoup, elles multipliaient leurs naissances, beaucoup, beaucoup[8]. Et une fois, à la saison du labourage, son grand frère lui dit : Prépare-nous notre attelage pour nous mettre à labourer, car la terre est sortie de l’eau[9] et elle est bonne à labourer. Toi donc, va-t’en au champ avec les semences, car nous nous mettrons à labourer demain matin ; ainsi lui dit-il, et son frère cadet fit toutes les choses que son grand frère lui avait dites quant elles furent. Lorsque la terre s’éclaira et qu’un second jour fut, ils allèrent aux champs avec leur attelage pour se mettre à labourer, et leur cœur fut joyeux beaucoup, beaucoup, de leur travail, et ils n’abandonnèrent pas l’ouvrage. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, tandis qu’ils étaient aux champs et qu’ils boutaient, le grand frère dépêcha son frère cadet, disant : Cours, apporte-nous les semences du village ! Le frère cadet trouva la femme de son grand frère qu’on était occupé à coiffer[10]. Il lui dit : Debout l donne-moi des semences, que je coure aux champs, car mon grand frère a dit en m’envoyant : Point de paresse ! Elle lui dit : Va, ouvre la huche[11], toi, emporte ce qu’il te plaira, de peur que ma coiffure ne reste inachevée. Le gars entra dans son étable, il emporta une grande jarre, car son intention était de prendre beaucoup de grains, il la chargea de blé et d’orge et il sortit sous le faix. Elle lui dit : Quelle est la quantité qui est sur ton épaule ? Il lui dit : Orge, trois mesures, froment, deux mesures, total, cinq, voilà ce qu’il y a sur mon épaule. Ainsi lui dit-il, mais elle, elle lui adressa la parole, disant : Il y a grand prouesse en toi, et j’observe tes forces chaque jour ![12] Et son cœur l’accointa comme on accointe un gars[13]. Elle se leva, elle le saisit, elle lui dit : Viens ! reposons ensemble, une heure durant ! Si tu m’accordes cela, certes, je te fais deux beaux vêtements. Le gars devint comme un guépard du midi en rage grande, à cause des vilains propos qu’elle lui disait, et elle eut peur beaucoup, beaucoup. Il lui adressa la parole, disant : Mais certes, tu es pour moi comme une mère ! mais ton mari est pour moi comme un père ! mais lui, qui est mon aîné, c’est lui qui me fait vivre ! Ah ! cette grande horreur que tu as dite, ne me la dis pas de nouveau ; et moi je ne la dirai à quiconque, et je ne la laisserai échapper de ma bouche pour personne. II chargea son faix, il s’en alla aux champs. Quand il fut arrivé auprès de son grand frère, ils se mirent à travailler de leur travail. Et après cela, sur le moment du soir, tandis que le grand frère retournait à sa maison, et que le frère cadet était à la suite de ses bestiaux, chargé de toutes les choses des champs, et qu’il menait ses bestiaux devant lui pour les faire coucher dans leurs étables au village[14], comme la femme du grand frère avait peur des propos qu’elle avait dits, elle prit de la graisse, un chiffon, et elle s’accoutra comme qui a été roué de coups par un malfaiteur[15], afin de dire à son mari : C’est ton frère cadet qui m’a rouée de coups. Quand donc son mari revint au soir, selon son habitude de chaque jour, en arrivant à sa maison, il trouva sa femme gisante et dolente comme de violence ; elle ne lui versa point l’eau sur les mains selon son habitude de chaque jour, elle ne fit pas la lumière devant lui, mais sa maison était dans les ténèbres et elle gisait toute souillée. Son mari lui dit : Qui donc a parlé avec toi ? Voilà qu’elle lui dit : Nul n’a parlé avec moi, outre ton frère cadet. Lorsqu’il vint prendre pour toi les semences, me trouvant assise toute seule, il me dit : « Viens, toi, que nous reposions ensemble une heure durant ; revêts tes beaux vêtements ». Il me parla ainsi, et moi, je ne l’écoutai point : « Mais ne suis-je pas, moi, ta mère ? car ton grand frère n’est-il pas pour toi comme un père ? » Ainsi lui dis-je. Il eut peur, il me roua de coups pour que je ne te fisse point de rapport. Si donc tu permets qu’il vive, je me tuerai ; car, vois, quand il reviendra, le soir, comme je me suis plainte de ces vilaines paroles, ce qu’il fera est évident. Le grand frère devint comme un guépard du midi[16] ; il donna du fil à son couteau, il le mit dans sa main. L’aîné se tint derrière la porte de son étable, afin de tuer son frère cadet, lorsque celui-ci viendrait, au soir, pour faire entrer ses bestiaux à l’étable. Et quand le soleil se coucha, et que le frère cadet se chargea de toutes les herbes des champs, selon son habitude de chaque jour, et qu’il vint, la vache de tête, à l’entrer dans l’étable, dit à son gardien : Voici ton grand frère qui se tient devant toi, avec son couteau, pour te tuer ; sauve-toi devant lui ! Quand il eut entendu ce que disait sa vache de tête, la seconde, entrant, lui parla de même ; il regarda par-dessous la porte de son étable, il aperçut les pieds de son grand frère qui se tenait derrière la porte, son couteau à la main[17], il posa son faix à terre, il se mit à courir de toutes ses jambes, et son grand frère partit à la poursuite avec son couteau. Le frère cadet cria vers Phrâ-Harmakhis[18], disant : Mon bon maître, c’est toi qui juges l’inique du juste ! Et Phrâ entendit toutes ces plaintes, et Phrâ fit paraître une eau immense entre lui et son grand frère, et elle était pleine de crocodiles, et l’un d’eux se trouva d’un côté, l’autre de l’autre, et le grand frère par deux fois lança sa main pour le frapper, mais il ne le tua pas ; voilà ce qu’il fit. Son frère cadet le héla sur la rive ; disant : Reste là jusqu’à ce que la terre blanchisse. Quand le disque du soleil se lèvera, je plaiderai avec toi devant lui, afin que je rétablisse la vérité, car je ne serai plus avec toi jamais, je ne serai plus dans les lieux où tu seras : j’irai au Val de l’Acacia ![19] Quand la terre s’éclaira et qu’un second jour fut, Phrâ-Harmakhis s’étant levé, chacun d’eux aperçut l’autre. Le gars adressa la parole à son grand frère, lui disant : Pourquoi viens-tu derrière moi afin de me tuer en fraude, sans avoir entendu ce que ma bouche avait à dire ? Mais moi, je suis réellement ton frère cadet ! Mais toi, tu m’es comme un père ! Mais ta femme m’est comme une mère, n’est-il pas vrai ? Or, quand tu m’eus envoyé pour nous apporter des semences, ta femme m’a dit : « Viens, passons une heure, couchons-nous », et voici, cela a été perverti pour toi en autre chose. Il lui fit donc connaître tout ce qui s’était passé entre lui et la femme. Il jura par Phrâ-Harmakhis, disant : Toi, venir derrière moi pour me tuer en fraude, ton poignard à la main, en trahison, quelle infamie ! Il prit une serpe à couper les roseaux, il se trancha le membre, il le jeta à l’eau où le silure trembleur le dévora[20], il s’affaissa, il s’évanouit. Le grand frère en maudit son cœur beaucoup, beaucoup, et il resta là à pleurer sur lui ; il s’élança, mais il ne put passer sur la rive où était son frère cadet, à cause des crocodiles. Son frère cadet le héla, disant : Ainsi, tandis que tu te figurais une action mauvaise, tu ne t’es pas figuré une seule des actions bonnes ou même une seule des choses que j’ai faites pour toi ! Ah ! va-t’en à ta maison, soigne toi-même tes bestiaux, car je ne demeurerai plus à l’endroit où tu es, j’irai au Val de l’Acacia. Or, voici ce que tu feras pour moi, quand tu seras retourné à tes affaires ; car, apprends-le, des choses vont m’arriver. J’arracherai a mon cœur par magie afin de le placer sur le sommet de a la fleur de l’Acacia ; et, lorsqu’on coupera l’Acacia et que mon cœur sera tombé à terre, tu viendras le chercher. Quand tu passerais sept années à le chercher, ne te rebute pas, mais, une fois que tu l’auras trouvé, mets-le dans un vase d’eau fraîche[21] ; certes je vivrai de nouveau, je rendrai le mal qu’on m’aura fait[22]. Or, tu sauras qu’il m’arrive quelque chose ; lorsqu’on te mettra une cruche de bière dans la main et qu’elle jettera de l’écume ; on t’en donnera une autre de vin et elle se troublera. Ne demeure pas en vérité, après que cela te sera arrivé. Il s’en alla au Val de l’Acacia, et son grand frère retourna à sa maison, la main sur sa tète, barbouillé de poussière[23]. Lorsqu’il fut arrivé à sa maison, il tua sa femme, il la jeta aux chiens[24], et il demeura en deuil de son frère cadet. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, le frère cadet, étant au Val de l’Acacia sans personne avec lui, employait la journée à chasser les bêtes du désert, et il venait passer la nuit sous l’Acacia, au sommet de la fleur duquel son cœur était placé. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, il se construisit de sa main, dans le Val de l’Acacia, une ferme remplie de toute bonne chose, afin de se monter une maison. Comme il sortait de sa ferme, il rencontra la Neuvaine des dieux[25] qui s’en allait régler les affaires de leur Terre-Entière[26]. La Neuvaine des dieux parla tous ensemble et elle lui dit : Ah ! Baîti, taureau de la Neuvaine des dieux[27], n’es-tu pas ici seul, pour avoir quitté ton pays devant la femme d’Anoupou, ton grand frère ? Voici, sa femme est tuée, et tu lui as rendu tout ce qui avait été fait de mal contre toi. Leur cœur souffrit pour lui beaucoup, beaucoup, et Phrâ-Harmakhis dit à Khnoumou[28] : Oh ! fabrique une femme à Baîti, afin que tu ne restes pas seul[29]. Khnoumou lui fit une compagne pour demeurer avec lui, qui était belle en ses membres plus que toute femme qui est en la Terre-Entière, car le germe de tous les dieux était en elle. Les Sept Hâthors[30] vinrent la voir et elles dirent d’une seule bouche : Qu’elle meure la mort du glaive ! Baîti la désirait beaucoup, beaucoup : comme elle demeurait dans sa maison, tandis qu’il passait le jour à chasser les bêtes du désert afin de les déposer devant elle, il lui dit : Ne sors pas dehors, de peur que le fleuve[31] ne te saisisse ; tu ne saurais te délivrer de lui, car tu es une femme tout bonnement. Quant à moi, mon cœur est posé au sommet de la fleur de l’Acacia et si un autre le trouve, il me faudra me battre avec lui. Il lui révéla donc tout ce qui concernait son cœur[32]. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, Baîti étant allé à la chasse, selon son habitude de chaque jour, comme la damoiselle était sortie pour se promener sous l’Acacia qui était auprès de sa maison, voici, elle aperçut le fleuve qui tirait ses vagues vers elle, elle se prit à courir devant lui, elle entra dans sa maison. Le fleuve cria vers l’Acacia, disant : Que je m’empare d’elle ! et l’Acacia livra une tresse de ses cheveux. Le fleuve la porta en Égypte, il la déposa au douet des blanchisseurs de Pharaon, v, s. f. [33] L’odeur de la boucle de cheveux se mit dans le linge de Pharaon, v. s. f. et l’on querella les blanchisseurs de Pharaon, v, s, f., disant : Odeur de pommade dans le linge de Pharaon, v. s. f. ! On se mit à les quereller chaque jour, si bien qu’ils ne savaient plus ce qu’ils faisaient et que le chef des blanchisseurs de Pharaon, v. s. f., vint au douet, car son cœur était dégoûté beaucoup, beaucoup, des querelles qu’on lui faisait chaque jour. Il s’arrêta, il se tint au douet, juste en face de la boucle de cheveux qui était dans l’eau ; il fit descendre quelqu’un et on la lui apporta, trouvant qu’elle sentait bon beaucoup, beaucoup, et lui la porta à Pharaon, v. s. f. On amena les scribes sorciers de Pharaon, v. s. f. Ils dirent à Pharaon, v. s. f. : Cette boucle de cheveux appartient à une fille de Phrâ-Harmakhis qui a en elle l’essence de tous les dieux[34]. Puisque c’est un hommage pour toi d’une terre étrangère, fais que des messagers, aillent vers toute terre étrangère afin de chercher cette fille ; et le messager qui ira au Val de l’Acacia, fais que beaucoup d’hommes aillent avec lui pour la ramener. Voici, Sa Majesté, v. s. f., dit : C’est parfait, parfait ce que nous avons dit » ; et on fit partir les messagers. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, les hommes qui étaient allés vers la Terre étrangère vinrent faire rapport à sa Majesté, v. s. f., mais ils ne vinrent pas ceux qui étaient allés vers le Val de l’Acacia : Baîti, les ayant tués, laissa un seul d’entre eux pour faire rapport à Sa Majesté, v. s. f., Sa Majesté, v, s. f., fit aller beaucoup d’hommes et d’archers, aussi des gens de char, pour ramener la damoiselle ; une femme était avec eux qui lui donna tous les beaux affiquets d’une femme en sa main[35]. Cette femme vint en Égypte avec elle, et on se réjouit d’elle dans la Terre-Entière. Sa Majesté, v. s. L, l’aima beaucoup, beaucoup, si bien qu’on[36] la salua Grande Favorite. On lui parla pour lui faire dire ce qu’il en était de son mari, et elle dit à Sa Majesté, v, s. f. : Qu’on coupe l’Acacia, et lui il sera détruit ! On fit aller des hommes et des archers avec leurs outils pour couper l’Acacia ; ils coupèrent la fleur sur laquelle était le cœur de Baîti, et il tomba mort en cette male heure. Et quand la terre s’éclaira et qu’un second jour fut, après que l’Acacia eut été coupé, comme Anoupou, le grand frère de Baîti, entrait dans sa maison et s’asseyait, ayant lavé ses mains, on lui donna une cruche de bière et elle jeta de l’écume, on lui en donna une autre de vin et elle se troubla de lie. Il saisit son bâton avec ses sandales, aussi ses vêtements avec ses armes, il se mit à marcher vers le Val de l’Acacia, il entra dans la villa de son frère cadet, et il trouva son frère cadet couché sur son cadre[37], mort. Il pleura, quand il aperçut son frère cadet couché et bien mort ; il s’en alla pour chercher le cœur de son frère cadet sous l’Acacia à l’abri duquel son frère cadet couchait le soir, il consuma trois années à le rechercher sans le trouver. Et il entamait la quatrième année, lorsque, son cœur désirant venir en Égypte, il dit : J’irai demain ; ainsi dit-il en son cœur. Et quand la terre s’éclaira et qu’un second jour fut, il alla sous l’Acacia, il passa la journée à chercher ; tandis qu’il revenait le soir, et qu’il regardait autour de lui pour chercher de nouveau, il trouva une graine, il revint avec elle, et voici, c’était le cœur de son frère cadet. Il apporta une tasse d’eau fraîche, il l’y jeta, il s’assit selon son habitude de chaque jour. Et lorsque la nuit fut, le cœur ayant absorbé l’eau, Baîti tressaillit de tous ses membres, et il se mit à regarder fixement son grand frère, tandis que son cœur était dans la tasse[38]. Anoupou, le grand frère, saisit la tasse d’eau fraîche où était le cœur de son frère cadet ; celui-ci but et son cœur fut en place, et lui devint comme il était autrefois. Chacun d’eux embrassa l’autre, chacun parla avec son compagnon, puis Baîti dit à son grand frère : Voici, je vais devenir un grand taureau qui aura tous les bons poils, et dont on ne connaîtra pas la nature[39]. Toi, assieds-toi sur mon dos quand le soleil se lèvera, et, lorsque nous serons au lieu où est ma femme, je rendrai des réponses. Toi donc, conduis-moi à l’endroit où l’On est, et on te fera toute bonne chose, on te chargera d’argent et d’or pour m’avoir amené à Pharaon, v. s. f., car je serai un grand miracle et on se réjouira de moi dans la Terre-Entière, puis tu t’en iras dans ton bourg. Et quand la terre s’éclaira et qu’un second jour fut, Baîti se changea en la forme qu’il avait dite à son grand frère. Anoupou, son grand frère, s’assit sur son dos, à l’aube, et il arriva à l’endroit où l’On était[40]. On le fit connaître à Sa Majesté, v. s. f., elle le regarda, elle entra en liesse beaucoup, beaucoup, elle lui fit grand’fête, disant : C’est un grand miracle qui se produit ! et on se réjouit de lui dans la Terre-Entière[41]. On chargea d’argent et d’or son grand frère, et celui-ci s’établit dans son bourg. On donna au taureau des gens nombreux, des biens nombreux, car Pharaon, v, s. f., l’aima beaucoup, beaucoup, plus que tout homme en la Terre-Entière. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, le taureau entra au harem[42], et il s’arrêta à l’endroit où était la favorite, et il se mit à lui parler, disant : Vois, moi je vis pourtant. Elle lui dit : Toi, qui es-tu donc ? Il lui dit : Moi, je suis Baîti. Tu savais bien, quand tu faisais abattre l’Acacia par Pharaon, v, s. f., que c’était me mettre à mal, si bien que je ne pusse plus vivre ; mais, vois, moi je vis pourtant, je suis taureau. La favorite eut peur beaucoup, beaucoup, du propos que lui avait dit son mari. Il sortit du harem, et Sa Majesté, v. s. f., étant venue passer un jour heureux avec elle, elle fut à la table de Sa Majesté et On fut bon pour elle beaucoup, beaucoup. Elle dit à Sa Majesté : Jure-moi par Dieu disant : « Ce que tu diras, je l’écouterai pour toi ». Il écouta tout ce qu’elle disait : Qu’il me soit donné de manger le foie de ce taureau, car il ne fera rien qui vaille. C’est ainsi qu’elle lui parla. On s’affligea de ce qu’elle disait beaucoup, beaucoup, et le cœur de Pharaon en fut malade beaucoup, beaucoup. Et quand la terre s’éclaira et qu’un second jour fut, on proclama une grande fête d’offrandes en l’honneur du taureau, et on envoya un des bouchers en chef de Sa Majesté, v. s. f., pour faire égorger le taureau. Or, après qu’on l’eut fait égorger, tandis qu’il était sur les épaules des gens [qui l’emportaient], il secoua son cou, il laissa tomber deux gouttes de sang vers le double perron de Sa Majesté, v, s. f. : l’une d’elles fut d’un côté de la grande porte de Pharaon, v. s. f., l’autre de l’autre côté, et elles poussèrent en deux grands perséas[43], dont chacun était de toute beauté. On alla dire à Sa Majesté, v. s, f. : Deux grands perséas ont poussé en grand miracle pour Sa Majesté, v. s. f., pendant la nuit, auprès de la grande porte de Sa Majesté, v. s. f. ; et on se réjouit à cause d’eux dans la Terre-Entière, et On leur fit des offrandes[44]. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, Sa Majesté, v. s. f., se para du diadème de lapis-lazuli, le cou ceint de guirlandes de toutes sortes de fleurs, elle monta sur son char de vermeil, elle sortit du palais royal, v. s. f. afin de voir les perséas. La favorite sortit sur un char à deux chevaux, à la suite de Pharaon, v. s. f., puis Sa Majesté, v, s. f., s’assit sous un des perséas[45], la favorite s’assit sous l’autre perséa. Quand elle se fut assise, le perséa parla à sa femme : « Ah ! perfide ! Je suis Baîti et je vis, maltraité de toi. Tu savais bien que faire couper l’Acacia par Pharaon, v. s. f., c’était me mettre à mal ; je suis devenu taureau, et tu m’as fait tuer. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, comme la favorite était à la table de Sa Majesté, v. s. f., et qu’On était bon pour elle, elle dit à Sa Majesté, v. s. f. : Prête-moi serment par Dieu, disant : Ce que la favorite me dira, je l’écouterai pour elle. Parle ! Il écouta tout ce qu’elle disait. Elle dit : « Fais qu’on abatte ces deux perséas, qu’on en fabrique de beaux coffres ![46] On écouta tout ce qu’elle disait. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, Sa Majesté, v. s. f., envoya des charpentiers habiles, on coupa les perséas de Pharaon ; v, s, f., et se tenait là, regardant faire, la royale épouse, la favorite. Un copeau s’envola, entra dans la bouche de la favorite, et elle s’aperçut qu’elle concevait[47]. On fabriqua les coffres, et On en fit tout ce qu’elle voulut. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, elle mit au monde un enfant mâle, et on alla dire à Sa Majesté, v. s. f. : Il t’est né un enfant mâle ! On l’apporta, on lui donna des nourrices et des remueuses[48]. On se réjouit dans la Terre-Entière. On se mit à faire un jour de fête, on commença d’être en son nom[49]. Sa Majesté, v. s. f., l’aima beaucoup, beaucoup, sur l’heure, et on le salua fils royal de Kaoushou[50]. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, Sa Majesté, v. s. f., le fit prince héritier de la Terre-Entière. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, quand il fut resté beaucoup d’années prince héritier de la Terre-Entière, Sa Majesté, v. s. f., s’envola vers le Ciel[51]. On dit : Qu’on m’amène les grands officiers de Sa Majesté, v. s. f., que je leur fasse connaître tout ce qui s’est passé à mon sujet. On lui amena sa femme, il la jugea par devant eux, et ils ratifièrent son jugement. On lui amena son grand frère, et il le fit prince héritier de sa Terre-Entière. Il fut vingt ans roi d’Égypte, puis il passa de la vie, et son grand frère fut en sa place le jour des funérailles. - Il est fini en paix ce livre, pour le double du scribe trésorier Qagabou, dû trésor de Pharaon, v, s. f., du scribe Haraoui, du scribe Maîaemapît ; l’a fait le scribe Ennana, le maître de ce livre. Quiconque parle contre ce livre, puisse Thot le provoquer en duel ![52] |
[1] La polygamie était permise, bien qu’elle ne fût pas toujours pratiquée par les simples particuliers. Souvent, un riche personnage, après avoir eu des enfants d’une femme légitime ou d’une concubine, la donnait en mariage à quelque subordonné qui en avait des enfants à son tour : il n’était donc pas inutile de dire, en nommant deux frères, qu’ils étaient d’une seule mère et d’un seul père. La préséance accordée ici à la mère sur le père était de droit commun en Égypte : nobles ou roturiers, chacun indiquait la filiation maternelle de préférence à la paternelle. On s’intitulait : Sanouosrit, né de la dame Mankhouit, ou bien : Sésousriya, né de la dame Ta-Amon, et on négligeait le plus souvent de citer le nom du père.
[2] Forme originelle du nom divin dont les Grecs et les Latins ont fait Anoubis, Anubis.
[3] Baîti, Bêti, Bouti, est le nom d’un Dieu très ancien à double tête de taureau, que la chronique indigène avait transformé en un roi des temps antérieurs à Ménès : les Grecs ont connu ce souverain mythique sous le nom de Boutés ou Boutis, Bytis.
[4] Les fellahs filent aujourd’hui encore tout en menant paître leurs bestiaux ; c’est à une habitude de ce genre que ce passage fait allusion.
[5] L’Égypte était divisée en deux moitiés (Pashoui), en deux terres (taoui), dont chacune était censée former un pays distinct, celui du nord (to-mouri) et celui du sud (to-risi ou To-shamâit). La réunion de ces deux contrées s’appelait tantôt Qamait, la terre noire, tantôt Torzerouf, la Terre-Entière.
[6] Il ne faut pas prendre cette transition à la lettre. Beaucoup de jours après cela n’implique pas nécessairement un laps de temps considérable ; c’est une formule sans valeur certaine, dont on se servait afin d’indiquer qu’un évènement était postérieur à un autre. Pour marquer le passage d’aujourd’hui à demain, on disait : Quand la terre s’éclaira, et qu’un second jour fut ; pour aller au-delà du lendemain on ajoutait : Beaucoup de jours après cela.
[7] Dans les tableaux agricoles, on voit souvent le bouvier qui pousse ses bœufs devant lui, d’où l’expression marcher, aller derrière les bœufs, pour conduire les bœufs. Il porte sur les épaules une sorte de bât, analogue à la bricole de nos porteurs d’eau, et d’où pendent, tantôt des touffes remplies de foin ou d’herbe, comme c’est le cas pour Baîti, tantôt des cages qui renferment un lièvre, un hérisson, un faon de gazelle, une oie, un animal quelconque attrapé pendant la journée. De retour au logis, le bouvier déposait son faix devant le maître ; celui-ci est représenté tantôt debout, tantôt assis sur un fauteuil à côté de sa femme, comme Anoupou dans notre roman. La même expression, et quelques autres éparses au cours du récit, se retrouvent mot à mot dans les textes des peintures d’El-Kab, où sont reproduites des scènes de labourage (Lepsius, Denkmæler, III, bl. 10, et Maspero, Notes sur différents points de Grammaire et d’Histoire, dans la Zeitschrift für Egyptische Sprache, 1879, p. 58-63).
[8] Toute cette partie n’était pas aussi invraisemblable aux Égyptiens qu’elle l’est pour nous. Nous verrons, dans un fragment de conte fantastique qui sera donné plus loin, que le bon berger devait être quelque peu magicien pour protéger ses bêtes : l’auteur du Conte des deux Frères s’est donc borné à douer Baîti d’un peu plus de science que les bouviers ordinaires n’en possédaient.
[9] C’est une allusion au retrait de l’inondation.
[10] La coiffure des Égyptiennes se composait ordinairement de petites tresses très minces et très nombreuses ; il fallait plusieurs heures pour a la mettre en ordre, et, une fois faite, on ne devait la renouveler qu’après un intervalle de plusieurs jours, ou même de plusieurs mois, comme aujourd’hui encore celle des femmes nubiennes.
[11] Il s’agit probablement ici de ces huches en terre battue qui sont figurées sur les tables d’offrandes anciennes en forme de maisons paysannes, et qui sont encore d’usage dans l’Égypte entière.
[12] Les cinq mesures de grains représentent une capacité de 368 litres, c’est-à-dire une charge d’environ 276 kilogrammes. Nos forts de la halle portent une charge moyenne de 200 kilogrammes, et ils vont rarement jusqu’à 276 kilogrammes (Chabas, Recherches sur les poids, mesures et monnaies des Anciens Égyptiens, p. 9, 11). Baîti était donc d’une force peu commune et qui justifie l’admiration de la dame.
[13] Le texte donne littéralement : Son cœur le connut en connaissance de jeune homme.
[14] Le frère aîné, maître de la ferme, rentre directement chez lui, son travail une fois terminé. Le cadet, simple valet de ferme, doit encore se charger d’herbe et ramener les bestiaux à l’étable ; il marche donc plus lentement et il n’arrive à la maison que longtemps après l’autre. La femme a ainsi tout le temps de raconter une fausse histoire et d’exciter son mari contre son beau-frère.
[15] Elle se frotta de graisse pour simuler les traces luisantes et les meurtrissures que les coups laissent sur la chair humaine.
[16] C’est l’expression consacrée et presque banale pour dire qu’un homme ou un souverain se met en colère : Ramsès II ou l’Éthiopien Paènékhi s’emportent comme un guépard du midi, ni plus ni moins que Baîti.
[17] Le bas de la porte égyptienne ne touchait presque jamais le seuil dans la plupart des tableaux où une porte est représentée, on aperçoit un vide assez considérable entre le battant et la ligne de terre.
[18] Les Égyptiens nommaient le soleil Raiya, Biya, d’où nous avons fait Râ, et, avec l’article masculin, Prâ ou Phrâ. Harmakhouiti était Horus dans les deux horizons, c’est-à-dire le Soleil dans sa course diurne, allant de l’horizon du matin à l’horizon du soir. Les deux formes de Râ et d’Harmakhouiti, différentes à l’origine, s’étaient confondues depuis longtemps à l’époque où le Conte des deux Frères fut écrit, et l’expression Phrâ-Harmakhouiti était employée comme simple variante de Phrâ ou de Râ dans le langage courant. D’Harmakhouiti, les Grecs ont fait Harmakhis ; Harmakhis était personnifié dans le grand Sphinx de Gizeh, près des Pyramides.
[19] Le nom que je traduis acacia avait été traduit cèdre pendant longtemps. Loret voulait qu’il s’agit du pin, et Spiegelberg a proposé plus récemment le sens de Cyprès (Rechnungen, p. 54 sqq., et die Bauinschrift Amenophis III, dans le Recueil, t. XX, p. 52). Le Val de l’Acacia, du Cèdre, du Pin, ou du Cyprès, paraît être en rapport avec la Vallée funéraire où Amon, le dieu de Thèbes ; allait en visite chaque année, afin de rendre hommage à son père et à sa mère, qui passaient pour y être enterrés ; Virey même, généralisant l’hypothèse (la Religion de l’Ancienne Égypte, p. 194-191), a cru qu’il était l’autre monde, l’Awentit qui communique en effet avec l’Égypte par le Nil. Lefébure, trompé par la traduction courante Val du Cèdre, le plaçait au pays des cèdres, en Phénicie (Œuvres diverses, t. I, p. 163), ce qui lui fournissait un point de concordance nouveau entre l’histoire de Baîti et la légende gréco-égyptienne d’Osiris. En réalité, le Val était situé, comme on le verra plus tard, sur les bords du Nil (iaoumâ), sans doute près de l’endroit où le fleuve descendait du ciel dans notre monde.
[20] Selon la légende, Osiris, après avoir été coupé en morceaux par Typhon, avait été jeté au Nil ; tous les poissons avaient respecté les débris du dieu, sauf l’oxyrrhynque qui dévora le membre. Le scribe qui écrivit le Conte des deux Frères substitua le nom d’un autre poisson, celui de l’oxyrrhynque, sans doute par respect. Ce poisson, qui est représenté à plusieurs reprises sur les parois du tombeau de Ti, s’appelait nârou ; on le reconnaît aisément aux barbillons dont le pourtour de sa bouche est hérissé et à la forme convexe de sa nageoire caudale. C’est, comme le prouve la comparaison des dessins antiques avec les planches de la Description de l’Égypte (Poissons du Nil, pl. 12, fig. 1-4), le malaptère électrique ou silure trembleur (Description, t. XXIV, p. 299 sqq.).
[21] La libation d’eau fraîche est indispensable aux morts : sans elle, ils ne peuvent revivre. Encore à l’époque ptolémaïque, les Égyptiens hellénisés affirmaient, dans leurs épitaphes en langue grecque, qu’Osiris leur avait donné sous terre l’eau fraîche.
[22] Litt. : Je rendrai réponse à ce qui est transgressé.
[23] Une des marques de douleur les plus fréquentes en Égypte comme dans le reste de l’Orient ; on ramassait des poignées de poussière et de boue afin de s’en barbouiller le visage et la tête. Un tableau d’une tombe de Thèbes, reproduit par Wilkinson (Manners and Customs, 2e édit., t. III, pl. LXVIII), nous montre la famille et les amis du mort se souillant de la sorte en présence de la momie.
[24] Ce même trait se retrouve dans le Conte de Satni-Khâmoîs où Tboubouî fait jeter les enfants du héros, en bas de la fenêtre aux chiens et aux chats, et ceux-ci en mangèrent les chairs.
[25] Les dieux cosmogoniques de l’antique Égypte formaient un ensemble théorique de neuf personnes divines, qu’on appelait psit ou paouitnoutirou, l’Ennéade, la neuvaine des dieux, ou pour employer un terme plus vague, le Cycle des dieux. Cette Ennéade, dont chaque personne peut se décomposer en un nombre infini de formes secondaires, présidait à la création et à la durée de l’univers, telle que certaines écoles sacerdotales l’avaient conçue. D’autres textes nous apprennent que les dieux descendaient parfois sur la terre afin de s’y promener ; le 25 Paophi, par exemple, on était exposé à les rencontrer sous forme de taureau (Chabas, le Calendrier des Jours fastes et néfastes, p. 43).
[26] C’est-à-dire : De l’Égypte.
[27] L’épithète de Taureau est au moins bizarre, appliquée à un eunuque. On ne doit pas oublier cependant que Baîti est une forme populaire du dieu à double tête de taureau ; sa mésaventure, tout en lui enlevant sur la terre la puissance virile, ne l’empêche pas, comme dieu, de garder ses facultés prolifiques. De même, dans une des variantes de la légende, Osiris, mort et mutilé, se réveille pour féconder Isis et devient le père d’Horus.
[28] Le nom de Khnoumou signifie le modeleur, et l’on disait que le dieu avait modelé l’œuf ou la matière du monde sur un tour à potier. Khnoumou, qui était avant tout un dieu local, celui d’Éléphantine et du pays de la première Cataracte, était donc un dieu cosmique, et l’on comprend pourquoi l’Ennéade divine le choisit afin de fabriquer une femme à Baîti : il la pétrit, la modèle du limon de la terre. Nous verrons plus loin, par le Conte de Khoufouî, qu’il assistait aux accouchements, et les tableaux bien connus des temples de Déir-el-Babarî et de Louxor nous apprennent qu’après la fécondation, c’était lui qui fabriquait sur son tour à potier le corps et le double de l’infant : il le modelait dans le sein de la mère, et il lui donnait la forme définitive après la naissance.
[29] Cette phrase renferme un brusque changement de personne. Dans la première partie, Phrâ s’adresse à Khnoumou et lui dit : Fabrique une femme à Baîti ; dans la seconde, il se tourne brusquement vers Baîti et lui dit : Afin que tu ne sois plus seul.
[30] Les Sept Hâthors jouent ici le même rôle qu’ont les fées marraines dans nos contes de fées. Elles reparaissent au début du Conte du Prince Prédestiné, ainsi qu’on le verra plus loin.
[31] Les Égyptiens anciens appelaient le Nil la mer (iaoumâ), comme les Égyptiens modernes (bahr) : on retrouvera l’expression dans le premier Conte de Satni-Khâmoîs.
[32] Littéralement : il lui ouvrit son cœur en toute sa forme.
[33] Pharaon est une forme hébraïsée, puis grécisée, du titre Paradoui la double Grande maison, qui sert à désigner tous les rois. Si le souverain était la double grande maison et non pas simplement la grande maison, cela tient à ce que l’Égypte était divisée de temps immémorial en deux terres : comme le roi était un double roi, le roi de l’Égypte du Nord et le roi de l’Égypte du Sud, sa maison était une double maison pour répondre à chacune des deux personnes dont il se composait. V. s. f. est l’abréviation de la formule Vie sans force, qui suit toujours le nom d’un roi ou un titre royal.
[34] Dans les croyances des Égyptiens, comme dans celles de beaucoup d’autres peuples, toutes les parties du corps étaient si étroitement reliées par une sympathie mutuelle, qu’elles exerçaient encore leur action l’une sur l’autre, même séparées et transportées à de grandes distances. Le sorcier qui possédait un membre, des lambeaux de chair, des rognures d’ongles, surtout des cheveux, pouvait imposer sa volonté à l’homme de qui ces débris provenaient. On ne doit donc pas s’étonner si le Nil demande une boucle des cheveux de la Fille des Dieux, ni si les magiciens, en examinant cette boucle, reconnaissent immédiatement la nature de la personne à qui elle appartient.
[35] Piehl (Zeitschrift, 1886, p. 80-81) préférerait traduire : Une femme était avec eux, elle lui donna tous les gâteaux doux d’une femme. Cf. Max Muller, Ueber einige Hieroglyphenzeichen dans le Recueil de Travaux, t. IX, p. 170, et la réponse de Piehl, Lettre à M. le Rédacteur du Recueil, 1888, p. 1-3.
[36] On, répondant à la forme du pronom indéfini emtoutou suivie du déterminatif divin, parait désigner constamment le Pharaon, On la salua serait donc l’équivalent de Pharaon la salua.
[37] C’est le lit bas, rectangulaire, l’angareb des Berbérins d’aujourd’hui, dont le cadre était monté d’ordinaire sur quatre pieds de lion.
[38] Cf. la note de Sethe, zu d’Orbiney, 14, 2-3, dans la Zeitschrift, t. XXIX, p. 57-59.
[39] Notre héros, étant une forme du dieu à double tête de taureau, devient aisément un taureau, et, par conséquent, le taureau par excellence, l’Apis. Or, Apis devait avoir sur le corps un certain nombre de marques mystiques, dessinées par des poils de couleurs diverses. Il était noir, portait au front une tache blanche triangulaire, sur le dos la figure d’un vautour ou d’un aigle aux ailes éployées, sur la lande l’image d’un scarabée ; les poils de la queue étaient doubles. Le scarabée, le vautour, et toutes celles des autres marques qui tenaient à la présence et à la disposition relative des épis, n’existaient pas réellement. Les prêtres, initiés aux mystères d’Apis, les connaissaient sans doute seuls et savaient y voir les symboles exigés de l’animal divin, à peu près comme les astronomes reconnaissaient dans certaines dispositions d’étoiles, les linéaments d’un dragon, d’une lyre et d’une ourse (Mariette, Renseignements sur les Apis, dans le Bulletin archéologique de l’Athénæum français, 1855, p. 54).
[40] Il y a là un souvenir de la tradition très ancienne, d’après laquelle le mort était emporté vers le domaine et vers le palais d’Osiris par un taureau sacré ou par une vache Hather. On voit assez souvent, sur les cercueils thébains à fond jaune de la XXIe dynastie et des dynasties suivantes, une scène qui représente le maître en sa forme vivante, à califourchon sur la bête, ou couché sur le dos de celle-ci en sa forme de momie.
[41] Pendant le temps qui s’écoulait entre la mort d’un Apis et l’invention d’un autre Apis, l’Égypte entière était en deuil ; l’intronisation de l’Apis nouveau faisait cesser le deuil et était célébrée par de grandes fêtes. Le roman reproduit donc en cet endroit les habitudes de la vie réelle.
[42] Les animaux sacrés avaient libre accès à toutes les parties du temple où ils vivaient. On sait les franchises dont le bouc de Mendès jouissait et les fantaisies singulières auxquelles il se livrait parfois (Hérodote, Il, XLVI ; cf. Wiedemann, Herodots Zweites Buch, pp. 216-218). Betti, en sa qualité de taureau sacré, pouvait pénétrer sans qu’on l’en empêchât, dans les parties du palais fermées au vulgaire et jusque dans le harem.
[43] Le perséa, d’après Schweinfurth, le Mimusops Schimperi, était consacré à Osiris. Il y avait un perséa de chaque côté de l’entrée du temple de Déir-el-Bahari, et Naville a encore trouvé des troncs d’arbres desséchés aux points où Wilkinson avait marqué sur son plan des bases d’obélisques. Spiegelberg a rapproché fort ingénieusement ce fait du passage de notre conte (Naville, Un dernier mot sur la succession de Thoutmès, dans la Zeitschrift, t. XXXVII, p. 48-52).
[44] C’est une conséquence du culte que le peuple rendait aux arbres (Maspero, Histoire Ancienne, t. I, p. 121 ; cf. V. Scheil, Cinq tombeaux thébains, dans les Mémoires de la Mission française, t. IV, pp. 578-579, et pl. IV), et dont beaucoup de traces subsistent encore aujourd’hui dans l’Égypte musulmane (Maspero, Mélanges de Mythologie, t. II, p. 224-227).
[45] Le scribe égyptien a passé ici une ligne entière : Sa Majesté s’assit sous un des perséas, la favorite s’assit sous l’autre perséa. Quand elle fut assise, le perséa se mit à parler avec sa femme. C’est un véritable bourdon que le scribe a commis. Dans l’original qu’il avait sous les yeux deux lignes consécutives se terminaient par le mot perséa : il a sauté la seconde.
[46] Cf. Chabas, Œuvres diverses, t. V, p. 434, et K. Sethe, Zu d’Orbiney, 18, 4, dans la Zeitschrift, 1907, p. 134-135.
[47] Il y a ici une allusion à un fait mythologique : chaque soir, le soleil entrait dans la bouche de la déesse Nouit, qui concevait par là même, et le lendemain matin, mettait au monde un soleil nouveau (Maspero, Études de Mythologie et d’Archéologie égyptiennes, t. II, p. 25-26).
[48] Cette charge de remueuse ou de berceuse était parfois remplie par des hommes quelques hauts fonctionnaires de la XVIIIe dynastie en ont été investis. Le mot khnoumou, qui la désigne, signifie au propre dormir, assoupir : le khnoumou est donc au propre la personne qui endort l’enfant, la mordit celle qui lui donne le sein.
[49] Cette phrase obscure peut être interprétée de plusieurs façons. Elle signifie, ou bien que l’on commença à imposer le nom du jeune prince aux enfants qui naquirent après lui, ou plutôt, comme le veut Lefébure (L’Importance du Nom, dans Sphinx, t. I, p. 97), que le prince, ayant reçu un nom commença d’entrer en pleine possession de sa personnalité ; la personne humaine n’était complète en effet qu’après réception du nom.
[50] Un des titres des princes de la famille royale. Le fils royal de Kaoushou était, à proprement parler, le gouverneur du pays de Kaoushou, c’est-à-dire de l’Éthiopie. Dans la réalité, ce titre pouvait ne pas être simplement honorifique : le jeune prince gouvernait lui-même, et A faisait l’apprentissage de son métier de roi dans les régions du haut Nil.
[51] Un des euphémismes ordinaires du style officiel égyptien, pour dire qu’un roi est mort. On en retrouve l’équivalent au début des Mémoires de Sinouhît.
[52] Cette formule parait avoir été d’usage courant, car on la retrouve tracée, comme exercice de plume, par un scribe qui se faisait la main, au verso du Papyrus Sallier IV, pl. 21 : Fait par le scribe Amânouâ, le maître de cet Enseignement. Quiconque parlera contre cet Enseignement du scribe Amânouâ, que Thot lui livre duel à mort ! Le maître du livre ou de l’Enseignement est le personnage qui en avait le droit exclusif de propriété, soit qu’il en fût l’auteur, soit qu’il en fût seulement l’éditeur ou le récitateur attitré. La menace qu’il adressait à quiconque, lecteur ou auditeur, s’en permettrait la critique, se traduirait littéralement : Soit fait à lui Thot compagnon de combat ! Cette expression se comprend lorsque l’on voit à Sakkarah ou à Beni-Hassan les tableaux qui représentent les exercices de gymnastique exécutés par les soldats : chacun d’eux s’appareille — fait compagnon — à un autre, de mémé qu’en Grèce les lutteurs ou les gladiateurs à Rome.