HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE DE 1789 A 1799

TOME SECOND

 

CHAPITRE DOUZIÈME.

 

 

DIRECTOIRE (SUITE). — SITUATION MILITAIRE AU COMMENCEMENT DU DIRECTOIRE. — CAMPAGNE D'ITALIE, BONAPARTE. VICTOIRES DANS LES ALPES MARITIMES. PAIX IMPOSÉE AU PIÉMONT. CONQUÊTE DU MILANAIS. VICTOIRES SUR BEAULIEU, SUR WURMSER, SUR ALVINZI. PRISE DE MANTOUE. — CAMPAGNE DE JOURDAN ET DE MOREAU EN ALLEMAGNE. — VICTOIRES DE BONAPARTE SUR L'ARCHIDUC CHARLES, INVASION DE L'AUTRICHE. — VICTOIRES DE HOCHE ET DE MOREAU EN ALLEMAGNE. — PRÉLIMINAIRES DE LÉOBEN.

Brumaire an IV-Germinal an V. - Octobre 1795-avril 1797.

 

Tandis que la guerre civile finissait, la guerre étrangère était poursuivie avec une vigueur nouvelle et des résultats de la plus haute importance.

On avait reconnu l'impossibilité de maintenir l'immense effectif des quatorze armées de l'an II et de l'an III, impossibilité prévue par Carnot, quand il s'efforçait à tout prix de rendre décisive la grande campagne de 1794, afin de faire ensuite la paix. La réduction fut opérée dans de telles proportions, qu'on licencia jusqu'à 23.000 officiers. La solidité devait désormais compenser le nombre. Les volontaires et les réquisitionnaires étaient devenus les soldats les plus aguerris du monde.

Au moment de l'installation du Directoire, notre situation militaire était compromise sur le Rhin, par la trahison de Pichegru et par la retraite de Jourdan. Cette retraite avait été inévitable ; mais Jourdan l'avait poussée trop loin en se repliant jusqu'à Düsseldorf, ce qui séparait nos deux armées par un très grand intervalle. Le général autrichien Clairfayt, qui avait réussi à masser le gros de ses forces entre nos deux armées, traversa le Rhin à Mayence et força nos lignes de blocus devant cette ville (8 brumaire an IV - 29 octobre 1795). Il fallut lever le siège de Mayence en abandonnant l'artillerie de siège et de grands magasins.

Pichegru pouvait du moins défendre Manheim, qui était pour nous une tête de pont très importante sur le Rhin. Il occupait de bonnes positions sur la Pfriem, à l'entrée des Vosges ; il les abandonna, après quelques engagements contre Clairfayt, sans y être obligé (20 brumaire - IO novembre). Il découvrit par là Manheim, que l'ennemi assiégea aussitôt, et qui se rendit dès le 2 frimaire (22 novembre). La garnison de 10.000 hommes resta prisonnière. Pichegru avait placé là un général peu connu, qui n'appartenait pas à l'armée du Rhin. On commença à parler de trahison.

Jourdan, appelé à la hile par les ordres de Carnot, s'était remis en mouvement, mais était arrivé trop tard pour sauver Manheim. Il se trouva lui-même dans une situation assez périlleuse, ayant devant lui, sur la rive gauche du Rhin, les deux armées autrichiennes réunies, qui le séparaient de Pichegru.

Les Autrichiens n'essayèrent pas de profiter de cette position avantageuse ; ils proposèrent, le 29 frimaire (19 décembre), un armistice spécial pour les armées du Rhin. Le Directoire s'empressa de l'accepter.

L'Autriche avait réussi à conserver Mayence et à repousser l'invasion française de l'Allemagne ; maintenant, d'accord avec Pitt, qu'inquiétait le changement de l'opinion anglaise, elle voulait avoir l'air de souhaiter la paix et faire croire que c'était la France qui ne la voulait point. Pitt, quoiqu'il eût toujours une forte majorité dans le Parlement, voyait l'opinion populaire se déchaîner contre lui. Lors de l'ouverture du Parlement anglais (29 octobre), une émeute avait éclaté dans Londres aux cris de : La paix ! la paix ! et le carrosse du roi avait été assailli à coups de pierres.

Pitt fit proposer vaguement un congrès par le ministre d'Angleterre en Suisse au ministre qui représentait la France dans ce pays, Barthélemy (mars 1796). Le Directoire, sachant que l'Angleterre et l'Autriche entendaient imposer pour première condition la restitution de la Belgique, répondit que la Constitution ne lui permettait d'aliéner aucune portion du territoire de la République ; quant aux pays occupés, mais non réunis, ils pourraient devenir le sujet d'une négociation. Ainsi le Directoire ne refusait pas de négocier relativement à la rive gauche du Rhin, dont nous avions reperdu une partie.

Le désir d'imputer la continuation de la guerre au mauvais vouloir de la France n'était pas le seul motif qui avait engagé les Autrichiens à l'armistice. Ils espéraient que la trêve nuirait plus à la République que la guerre, et ils comptaient sur Pichegru.

Ce général parut, en effet, s'être donné pour but de faire périr son armée de misère et de froid, ou de la pousser par le désespoir à la révolte et à la Contre-révolution. Il mandait aux Autrichiens, par les agents de Condé, de se tenir prêts à tomber sur les troupes de Jourdan et sur ses propres troupes, dès que le désordre et le mécontentement des soldats obligeraient le Directoire à rompre la trêve. Au lieu de cantonner ses troupes après une rude campagne, il les laissait campées dans la boue et dans la neige, au fond des âpres vallées des Vosges, tandis qu'il se livrait dans Strasbourg à de honteuses débauches avec l'argent des Autrichiens et des Anglais.

Ses lieutenants s'étonnaient et s'indignaient. Le soupçon monta de nos camps jusqu'à Paris. Carnot surveillait Pichegru. Celui-ci, se sentant suspecté, offrit sa démission. Il se croyait trop bien protégé par le souvenir de la conquête de la Hollande pour qu'on osât accepter. Carnot le fit prendre au mot et le fit remplacer par Moreau, dont les hautes qualités militaires s'étaient de plus en plus manifestées (3 germinal - 10 avril).

On s'apprêta à reprendre l'offensive sur le Rhin ; mais les grands coups avaient déjà commencé de se porter ailleurs. Tous les yeux étaient fixés sur l'Italie depuis l'hiver.

La résolution d'agir en grand de ce côté avait été prise aussitôt que la paix avec l'Espagne nous eut débarrassés de l'obligation d'entretenir deux armées sur les Pyrénées.

Durant l'été précédent, les Autrichiens et les Piémontais avaient obtenu des succès contre nous dans la Corniche, cette longue chaîne de montagnes qui borde la mer depuis l'extrémité de la Provence jusqu'à l'entrée de la Toscane. Ils nous avaient enlevé des positions et avaient coupé nos communications avec Gênes, d'où notre armée d'Italie tirait ses subsistances.

Le général Schérer, envoyé de l'armée des Pyrénées-Orientales à celle d'Italie avec des renforts, attaqua les Autrichiens et les Piémontais et remporta sur eux une grande victoire à Loano (1er frimaire an IV - 21 novembre 1795). Ce succès remit dans nos mains tout ce qu'on appelait la Rivière du Ponent, c'est-à-dire la partie occidentale de la Corniche entre Nice et Gênes.

Schérer eût pu tirer un bien plus grand parti de sa victoire. Carnot, en reprenant- la direction de la guerre, s'était empressé de lui recommander les plans rédigés par Bonaparte pour la guerre d'Italie, pendant qu'il était au bureau topographique du Comité de salut public. Ces plans étaient conformes aux vues que Carnot avait depuis longtemps à ce sujet. Il s'agissait de descendre en Piémont, d'imposer la paix à son roi et de s'en faire un allié en lui offrant le Milanais.

Mais Schérer, capable de gagner une bataille, ne l'était pas de conduire un vaste ensemble d'opérations. Son remplacement fut résolu.

Le général Bonaparte souhaitait ardemment d'aller réaliser lui-même ses plans, dont la descente en Piémont n'était que le point de départ. Sa position, considérable depuis le 13 vendémiaire, n'était pas celle qui convenait à son génie et à son ambition. Il était général de l'armée de Paris, de l'armée de l'intérieur. C'était là un rôle de haute police, qui ne donnait pas d'éclat ni de gloire. Il avait profité de cette situation pour acquérir de l'influence et des moyens d'action ; mais il avait hâte d'en sortir. II s'appliqua à gagner à tout prix l'appui des hommes qui avaient le pouvoir de l'y aider.

Il aspirait au premier rôle dans la grande campagne qui allait s'ouvrir. Le plan était d'attaquer à fond l'Autriche avec trois armées, les deux premières partant du Haut et du Bas-Rhin pour se rejoindre au cœur de l'Allemagne, puis pour se concerter avec la troisième, celle d'Italie, afin de marcher toutes trois sur Vienne.

Une quatrième armée, peu nombreuse, devait garder une position défensive sur les Hautes-Alpes, afin d'empêcher toute diversion des ennemis par le Piémont contre la Savoie ou le Dauphiné. La Hollande était gardée par une autre petite armée, qui menaçait l'Angleterre, et une sixième armée, celle de Hoche, devait, après la soumission de la Vendée, s'embarquer pour aller porter la république en Irlande. Carnot, qui en ce moment faisait maintenir Jourdan et appeler Moreau à la tête des deux armées du Rhin, voyait poindre dans Bonaparte un grand capitaine qui connaissait admirablement le terrain des Alpes et des Apennins, et qui était préparé mieux que personne à conduire des opérations décisives en Italie.

Un des frères de Carnot, comme lui officier du génie et ancien conventionnel, voulut le mettre en garde contre Bonaparte : — C'est un aventurier, un ambitieux, lui dit-il ; il jettera le trouble dans la République !

La préoccupation militaire l'emporta : Carnot ne voulut voir dans cet ardent et hautain jeune homme que le général dont il attendait de grands services.

Barras, le premier protecteur de Bonaparte, se joignit à Carnot pour décider le Directoire. Bonaparte fut nommé, le 5 ventôse (23 février), au commandement de l'armée d'Italie.

Quelques jours après, il épousa la veuve du général Beauharnais, cette gracieuse Joséphine qui avait brillamment figuré dans la société de l'époque thermidorienne, avec son amie madame Tallien, Elle avait été intimement liée avec Barras,

Bonaparte arriva au quartier général de l'armée d'Italie à Nice le 6 germinal (26 mars). C'est à cette date que s'ouvre véritablement sa carrière.

A cette heure solennelle de sa vie, quelles étaient ses idées et ses vues ? Avait-il, comme on l'a dit, passé par des opinions très diverses, et gardait-il encore, à cette époque, des opinions auxquelles il devait renoncer plus tard ?

C'est là méconnaître cet esprit qui, absorbé en lui-même, resta toujours, au fond, étranger aux idées et aux croyances qui renouvelaient le monde autour de lui. Dans son enfance et son adolescence, animé de passions précoces, il avait étés par tradition, un patriote corse. II ne devint pas ensuite un patriote français. La France ne lui apparut que comme un théâtre plus vaste offert au déploiement de ses grandes fa-Cuités.

Si l'on s'arrêtait aux faits extérieurs, on croirait qu'il changea plusieurs fois d'Opinion. Se trouvant à Paris le 20 juin 1792, il vit avec répugnance et irritation l'invasion des Tuileries par le peuple et dit à un de ses amis qu'il aimerait à voir balayer toute cette canaille. Il n'était pas royaliste pour cela, mais déjà antipathique aux mouvements populaires. Il fut ensuite favorable aux Girondins ; mais, quand leur parti eut le dessous, il écrivit une brochure intitulée Le Souper de Beaucaire, où il établissait qu'on devait se rallier aux Montagnards. Le Comité dé salut public lui inspira une admiration qu'il a toujours conservée. Il n'estimait que la force et la grandeur, quel qu'en fût l'emploi bon ou mauvais. Tout ce qui était idée générale ou principe, tout ce que, dans sa première jeunesse, il avait pris superficiellement chez les philosophes du dix-huitième siècle et les politiques de la Révolution, s'était bien vite effacé de son esprit. N'ayant ni la foi de l'avenir, ni la foi du passé, il ne lui restait, en politique, qu'une résolution bien arrêtée : c'était de ne pas laisser revenir l'ancienne royauté qui entraverait ses destinées. Il rêvait pour lui-même une puissance et une grandeur sans limites, n'importe dans quel lieu, sous quelle forme et dans quelles conditions.

Il trouva l'armée d'Italie dans un bon état comme énergie morale, mais dans un mauvais état matériel. Depuis trois ans, cette armée n'avait vécu que de privations dans cette rude guerre où l'on s'était disputé par cent combats des défilés sauvages et des rochers stériles.

Bonaparte s'était mis en mesure de rétablir l'ordre dans l'administration de l'armée et d'assurer, par des traités avec de grandes compagnies de fournisseurs, la subsistance du soldat pour l'entrée en campagne. Les troupes sentirent là tout de suite une main habile et vigoureuse ; mais Bonaparte ne se contenta pas de mériter par ces soins éclairés leur sympathie et leur confiance.

Le Directoire l'avait autorisé, quand il descendrait dans l'intérieur de l'Italie, à faire vivre l'armée sur le pays qui serait le théâtre de la guerre. Il le fallait bien, avec la détresse de nos finances. Voici comment Bonaparte interpréta cette autorisation dans une proclamation qu'il adressa aux troupes le 7 germinal (27 mars) :

Soldats, leur disait-il, vous êtes mal nourris et presque nus. Le Gouvernement vous doit beaucoup : il ne peut rien pour vous. Votre patience, votre courage, vous honorent, mais ne vous procurent ni avantages ni gloire. Je vais vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. ; vous y trouverez de grande villes et de riches provinces ; vous y trouverez honneur, gloire et richesses. Soldats d'Italie, manqueriez-vous de courage ?

C'était là un langage nouveau chez les généraux de la République. Bonaparte promettait, à une armée qui avait souffert de longues misères, gloire et richesses dans des grandes villes et de riches provinces, c'est-à-dire la conquête et les dépouilles du pays conquis. Ce n'était plus la langue de Hoche, de Kléber ou de Jourdan. Il ne s'agissait plus ici d'affranchir les peuples, mais de les exploiter. On pouvait dès lors pressentir que Bonaparte voulait attacher son armée à sa fortune personnelle et non plus à celle de la République et de la France.

Bonaparte avait à sa disposition un peu moins de 40.000 hommes contre environ 60.000 : près de 40.000 Autrichiens et 20.000 Piémontais ; mais les deux généraux ennemis, l'Autrichien Beaulieu et le Piémontais Colli, étaient assez mal d'accord, l'Autrichien étant surtout occupé de protéger la Lombardie, et le Piémontais, de couvrir le Piémont.

L'armée française était échelonnée le long de la Corniche, de Nice à Gênes, et occupait les passes des montagnes d'où descendent, vers le Piémont et la Lombardie, les vallées du Tanaro et de la Bormida. Les deux armées autrichienne et piémontaise, renforcées et réorganisées depuis leur défaite de Loano, défendaient les débouchés des montagnes au-dessous des positions occupées par les Français.

Bonaparte commença un mouvement .de concentration dans le but de franchir les montagnes au-dessus de Savone, vers le point peu élevé où la chaîne des Apennins se détache de celle des Alpes-Maritimes. Il comptait se jeter entre les Autrichiens et les Piémontais.

Il fut prévenu par l'ennemi. Le général Beaulieu, croyant que les Français voulaient s'emparer de Gênes, descendit de Gavi en avant de Gênes par la passe de la Bocchetta, pendant que son lieutenant Merci d'Argenteau se portait par Acqui vers les passes de la Bormida, par lesquelles Bonaparte se proposait de déboucher. Si d'Argenteau eût réussi à descendre sur Savone, l'avant-garde française, déployée sur la côte de Savone à Gènes, eût été écrasée entre les deux moitiés de l'armée autrichienne, et le reste de notre armée eût été refoulé vers Nice.

A Monte-Legino, près de Montenotte, la passe était barrée par une redoute que défendait un détachement de 1.200 hommes. Leur colonel, Ramon, avait compris que de leur résistance dépendait le salut de l'armée. Quand il vit monter vers lui les masses autrichiennes, il fit jurer à ses hommes de mourir tous plutôt que de se rendre.

Ces braves gens tinrent parole. Un contre dix, ils repoussèrent trois assauts furieux. D'Argenteau se découragea et se replia sur Montenotte (22 germinal - 11 avril).

Bonaparte avait été imprudent d'avoir mis si peu de monde à ce poste décisif : il répara cette faute par des prodiges de décision et d'activité. La nuit fut bien employée. Dès le lendemain matin, cette avant-garde française, qui avait failli être coupée, enveloppait d'Argenteau entre elle et un autre corps français commandé par Masséna. D'Argenteau rejoignit à grand'peine et avec grandes pertes, à Dego, son chef Beaulieu revenu en toute hâte des environs de Gènes.

Le troisième jour, pendant que les Autrichiens, dispersés entre Gênes et Dego, tâchaient de se rallier sur ce dernier point, Bonaparte se jeta sur les Piémontais et les chassa de Millesimo sur Ceva, en leur prenant une division entière.

Le quatrième jour (25 germinal — 14 avril), il se retourna contre les 'Autrichiens, les battit à Dego et leur fit sept ou huit mille prisonniers.

La première partie du plan de Bonaparte avait complètement réussi. Les deux armées ennemies, très diminuées et désorganisées, étaient tout à fait séparées, et Bonaparte pouvait achever à son gré l'une ou l'autre.

La pensée de Carnot avait été que, lorsque l'on aurait battu et disjoint les deux armées ennemies, on se jetât sur les places intermédiaires entre le Piémont et la Lombardie, Alexandrie, Valenza, Tortone. Cela semblait la conséquence logique du plan de séparation. Bonaparte préféra en finir d'abord avec le Piémont. Il se crut assez fort pour y réussir, avant que les Autrichiens' pussent revenir à l'aide.

Il laissa derrière lui une seule division pour observer les Autrichiens, et marcha droit au camp retranché qu'avaient les Piémontais à Ceva. Lorsque nos troupes, du haut de Montezemolo, virent se déployer sous leurs pieds les plaines du Piémont couronnées au loin par les sommets des grandes Alpes, un cri d'enthousiasme s'éleva de tous les rangs.

Les débris des Piémontais furent chassés de Ceva, puis de Mondovi. Les habitants de Mondovi accueillirent les Français avec des acclamations, et plantèrent l'arbre de la Liberté ; mais leur sympathie se refroidit promptement, quand Bonaparte eut levé sur la ville et sa petite province une contribution d'un million.

Dès le 6 floréal (25 avril), Bonaparte était à Cherasco, à dix lieues de Turin.

La marche sur Turin était une entreprise hardie. Les Français n'avaient pas de matériel de siège. Le roi de Sardaigne pouvait concentrer ce qui lui restait de forces dans sa capitale et s'y défendre jusqu'à ce que les Autrichiens revinssent à son secours. Mais la terreur régnait à la cour et dans la ville. Le roi sentait tout défaillir autour de lui.

Il envoya le gouverneur de Turin solliciter un armistice. Bonaparte se hâta d'entrer en négociations, quoique le Directoire ne lui en eût pas accordé le droit. Il imposa des conditions qui mettaient le Piémont dans nos mains. Elles furent acceptées. Le roi de Sardaigne consentit à se retirer de la coalition, à remettre aux Français les places fortes de Coni et de Tortone, en laissant dans leurs mains tout ce qu'ils occupaient déjà et à leur livrer passage sur son territoire pour communiquer avec la France et pour continuer les opérations contre l'Autriche (9 floréal - 28 avril). Il envoya à Paris un plénipotentiaire pour traiter de la paix définitive.

Plusieurs des chefs de notre armée, ardents révolutionnaires, eussent voulu renverser le roi et fonder la République en Piémont, et ils avaient vivement protesté contre l'armistice. La majorité du Directoire était, au fond, dans le même sentiment. Cependant, quoiqu'il y eût en Piémont, comme partout, des partisans des principes français, la masse du peuple n'y était point préparée à une révolution, et la transaction dictée par Bonaparte nous était plus avantageuse que n'eût été la conquête. Elle nous en évitait les embarras.

Bonaparte, exalté par son succès, écrivit au Directoire qu'il espérait être avant un mois dans le Tyrol, donnant la main aux armées du Rhin., Il annonçait le projet de tirer des millions du duc de Parme, pour lui accorder la paix, et de Gênes, sous prétexte des violations de la neutralité que les Anglais avaient commises dans son port.

C'était bien l'application de sa proclamation du 7 germinal. Les soldats l'appliquaient, de leur côté, comme ils l'avaient comprise. Leur général leur avait promis gloire et richesses. Ils avaient battu l'ennemi ; ils pillèrent le pays. Beaucoup d'entre eux se dédommagèrent de leurs longues privations par de tels désordres, que Bonaparte fut obligé d'ordonner aux généraux de faire fusiller les pillards. Mais il annonçait en même temps qu'il lèverait de fortes contributions sur le pays conquis, de manière à pouvoir payer la moitié de la solde en argent.

Il ne put ni ne voulut arrêter à fond l'impulsion qu'il avait donnée, et l'habitude de rançonner les contrées envahies s'introduisit dans tous les rangs de cette armée si brillante sur les champs de bataille, mais si promptement dévoyée de la sévère moralité des armées du Rhin. Bonaparte n'entendait pas laisser les soldats se débander pour la maraude, mais il ferma trop souvent les yeux, par système, sur les déprédations des chefs militaires et des commissaires civils.

Sa conduite envers les populations italiennes offrait des contradictions singulières. Dans une seconde proclamation du 6 floréal (25 avril), après ses victoires et avant l'armistice, il promettait à ses soldats la conquête et aux peuples de l'Italie la liberté.

C'était le commencement de la grande équivoque qu'il devait mettre, toute sa vie, dans ses paroles et dans ses actes. N'ayant aucune croyance, aucun principe, il fit appel, tour à tour, ou tout à la fois, à toutes les croyances et à tous les principes contradictoires, en même temps qu'aux intérêts et aux passions.

Paris et la France ne virent que la splendeur de ces rapides et foudroyants succès. Paris accueillit avec ivresse l'aide de camp de Bonaparte, Murat, apportant au Directoire les drapeaux conquis. Le Directoire fit décréter par les Conseils que l'armée d'Italie avait bien mérité de la patrie. Il fit célébrer une fête à la Victoire et ratifia l'armistice, qui fut converti le 25 floréal (14 mai) en un traité de paix.

Le roi de Sardaigne renonçait à la Savoie et à Nice, nous cédait tous les passages entre la France et l'Italie, et démolissait les forteresses du revers italien des Alpes. Les places fortes de Coni, de Tortone, de Valenza resteraient dans nos mains jusqu'à la paix générale. Le roi accordait une amnistie à ses sujets poursuivis ou condamnés pour actes ou pour opinions révolutionnaires.

Le gouvernement royal, prévoyant que cette amnistie lui serait imposée, s'était hâté de faire exécuter, avant la signature du traité, un certain nombre de révolutionnaires piémontais, qu'il tenait dans ses prisons.

Avant qu'on eût fêté à Paris les premières victoires de l'armée d'Italie, elle en avait déjà remporté de nouvelles.

Bonaparte s'était remis en mouvement dès les premiers jours de mai. Le roi de Sardaigne n'avait pu lui livrer la place forte de Valenza, qu'il réclamait comme tête de pont sur le Pô. Les Autrichiens s'étaient saisis de cette place piémontaise et y attendaient l'attaque des Français, avec Pavie et le Tésin derrière eux en seconde ligne. Bonaparte, au lieu de les attaquer de front, les tourna en filant le long de la rive droite da Pô et en allant passer ce fleuve à Plaisance, sur le territoire du duc de Parme (18 floréal - 7 mai).

Ce beau mouvement obligea les Autrichiens à se replier rapidement sur•l'Adda. Bonaparte imposa en passant au duc de Parme une contribution d'argent, de vivres et de tableaux, parmi lesquels le fameux Saint Jérôme, du Corrège, le grand peintre de Parme.

Bonaparte avait déjà fait connaître au Directoire son intention de prélever sur l'Italie, non seulement de l'argent, mais des objets d'art, comme nous l'avions déjà fait en Belgique et partiellement en Hollande. Le Directoire eut le tort d'encourager cette disposition chez le général. Rien ne pouvait nous dépopulariser davantage parmi les Italiens, si justement fiers des trésors d'art qui sont la gloire de leur pays.

Bonaparte ne perdit pas de temps à Plaisance. Il y était arrivé le 18 floréal (7 mai) avec l'avant-garde. Dès le 20 (9 mai), toute l'armée avait franchi le Pô ; la première division autrichienne qu'on rencontra fut chassée au delà de l'Adda. Le 21 floréal (10 mai), on marcha sur Lodi et l'on s'empara de cette ville. Un pont de cent toises (200 mètres) joint Lodi à la rive orientale de l'Adda. Le principal corps de l'armée autrichienne défendait le passage avec trente pièces de canon en batterie à l'autre bout du pont. Bonaparte opposa batterie à batterie, fit reculer par son canon la ligne autrichienne, puis lança sur le pont une colonne de grenadiers et de carabiniers (infanterie légère). Les trente canons autrichiens couvraient le pont de mitraille. Il y eut un moment d'hésitation parmi nos fantassins. Le général Masséna, le chef d'état-major Berthier, deux autres généraux et le chef de demie brigade (colonel) Lannes, se précipitèrent à la tète de la colonne et entrainèrent tout. Le pont fut franchi, la grande batterie autrichienne enlevée, le corps d'armée ennemi rompu et mis en déroute.

Le général autrichien Beaulieu, ralliant à grand'peine ses débris, évacua le Milanais et se retira sur le Mincio et sur Mantoue. Les Français entrèrent, le 25 floréal (14 mai), à Milan, aux acclamations du peuple et aux cris de Vive la liberté !

Bonaparte reçut, le jour même de cette entrée triomphale, des instructions du Directoire fort contraires à ses projets et à ses espérances. Le Directoire jugeait trop hardi son plan d'entrer par le Tyrol en Bavière pour y joindre les armées du Rhin. On lui annonçait que le général Kellermann, avec l'armée des Alpes, serait chargé d'occuper le Milanais, et que, lui, aurait à marcher avec l'armée d'Italie sur Rome et sur Naples.

Ce n'était pas plus la pensée de Carnot que celle de Bonaparte. C'était la pensée de la majorité du Directoire. La Réveillère et Rewbell, républicains sincères et ombrageux, commençaient à se défier de l'ambition du général. La Réveillère, passionné pour une nouvelle secte déiste qui s'organisait sous le nom de théophilanthropes et grand ennemi du catholicisme romain, désirait très vivement qu'on allât détrôner le pape. Quant à Barras, il était jaloux du haut essor que prenait son ancien protégé. La Réveillère et Rewbell, auxquels se rattachait Barras pour tâcher de se garder une grande situation révolutionnaire, souhaitaient de porter la république dans toute l'Italie. Quoi que valût leur plan au point de vue politique, il était très mauvais au point de vue militaire, et il eût désorganisé le grand et beau plan de campagne arrêté entre Carnot et Bonaparte.

Bonaparte avait bien parlé au Directoire d'une démonstration contre Rome et Naples ; mais il n'entendait par là qu'une diversion à opérer par un de ses lieutenants pour obliger le pape et le roi de Naples à se détacher de la coalition, pendant qu'il marcherait en personne vers le Tyrol avec le gros de son armée, renforcée par des corps détachés du Rhin et des Alpes.

Bonaparte répondit très vivement au Directoire et sur le plan de campagne et sur l'unité nécessaire du commandement en Italie. Il offrit sa démission, si l'on persistait dans le partage du commandement entre lui et Kellermann.

Le Directoire hésita. Bonaparte employa des moyens efficaces pour l'obliger à se rétracter. Il agit avec habileté sur l'opinion, et les amis qu'il avait laissés derrière lui en France exploitèrent largement la brillante affaire du pont de Lodi. Il agit directement, d'une autre façon, sur le Directoire. Il lui envoya plusieurs millions pour aider à l'entretien des autres armées, en sus de tout ce qu'il prenait pour la sienne. Il avait imposé au duc de Modène des conditions plus dures qu'au duc de Parme, dix millions au lieu de deux, et aussi des tableaux et autres objets précieux. Il levait sur le Milanais une contribution de vingt millions, plus, des tableaux et des objets d'art divers.

Le Directoire céda, et lui laissa le commandement général avec toute liberté d'action (8 prairial - 28 mai).

La conduite de Bonaparte en Lombardie était pleine de contradictions volontaires et calculées. Il poursuivait un double but bien difficile à faire concorder : pressurer ce beys et en tirer tout ce qu'il y pourrait .prendre, et, en même temps, s'y faire une popularité, ou tout au moins un parti.

Les classes aisées et éclairées avaient dans le Milanais un vif désir de ne pas retourner sous la domination de l'Autriche : elles souhaitaient la république ; mais la haute noblesse, les grands propriétaires, la voulaient avec des institutions aristocratiques, et la jeunesse bourgeoise la voulait avec la démocratie comme en France.

Bonaparte donna des espérances aux uns et aux autres, et demanda au Directoire s'il fallait laisser faire les populations. En attendant, il maintint le conseil qui administrait le pays du temps des Autrichiens, sous le titre de Congrès d'État, en renouvelant le personnel, et il organisa la garde nationale dans les villes. Conformément aux instructions de Carnot, il fit beaucoup d'avances aux savants et aux gens de lettres. Il essaya de rendre supportable la lourde contribution qu'il exigeait, en ordonnant de ne la répartir qu'entre les riches et le clergé. Mais, le même jour (29 floréal - 19 mai), il chargeait un agent de faire passer en France les principaux objets d'art, de science, etc., qui se trouvaient dans les villes conquises.

Singulier contraste avec ses appels à la fraternité des peuples, au réveil de l'Italie et du peuple romain ! (Proclamation du 30 floréal.)

Ses proclamations étaient d'une éloquence entralnante qui passionnait les soldats, étonnait les étrangers et fascinait chez nous toutes les imaginations. L'éclat de la forme empêchait de réfléchir sur le fond.

Les Français avaient été d'abord très bien accueillis dans le Milanais ; mais les exigences de Bonaparte, les maraudages des soldats, et, bien plus encore, les exactions des commissaires civils et des fournisseurs, provoquèrent en quelques jours une réaction dont profitèrent les partisans de l'Autriche et le clergé. Au moment où l'armée se remettait en marche afin de poursuivre les Autrichiens, une révolte éclata dans les campagnes et à Pavie. Milan même s'agitait. Bonaparte revint en toute hâte, força l'entrée de Pavie, où s'étaient jetés quelques milliers de paysans armés, et réprima rudement l'insurrection (7 prairial - 26 mai).

Quatre cents otages, choisis parmi les familles les plus distinguées du Milanais, eurent ordre de se rendre en France, où le gouvernement de la République tâcha de les gagner par beaucoup d'égards et de démonstrations affectueuses.

Le gros de l'armée avait continué son mouvement en avant ; mais le plan de Carnot et de Bonaparte n'était plus immédiatement exécutable.

Le mauvais état des armées du Rhin et le manque d'argent et de vivres avaient beaucoup retardé leur entrée en campagne. Elles étaient à peine en ce moment (fin mai) prêtes à franchir le Rhin.

Bonaparte ne pouvait donc s'avancer seul sur-le-champ vers le Tyrol, quand les deux autres armées étaient si loin encore. Son but immédiat devint, non plus le Tyrol, mais Mantoue, cette forte place qui restait la citadelle des Autrichiens en Italie, et que couvrait le général Beaulieu, retiré sur le Mincio.

Afin de couper les communications entre Mantoue et l'Allemagne, Bonaparte entra sur le territoire vénitien et se porta à Brescia, en poussant son extrême gauche jusqu'à Salo, sur le lac de Garde. Les Autrichiens ayant, par un ancien traité avec Venise, une route militaire à travers l'État vénitien, il était à peu près impossible de respecter la neutralité vénitienne. Un État qui accorde sur son territoire le passage à l'une des parties belligérantes n'a pas le droit de s'étonner que l'autre partie opère aussi sur son territoire.

Beaulieu, voyant les Français à Brescia, s'empara, de son côté, d'une placé vénitienne, Peschiera, afin de maintenir ses communications menacées.

Bonaparte, comme il avait déjà fait entre Valenza et Plaisance, trompa Beaulieu sur le point d'attaque qu'il avait choisi et tenta le passage du Mincio à Borghetto. La cavalerie de l'armée d'Italie, peu nombreuse, mal montée, avait jusqu'alors assez mauvaise renommée et n'avait eu aucune part à nos succès. Pour la première fois, lancée par l'impétueux Murat, elle enfonça la belle cavalerie autrichienne et eut l'honneur de la journée. Les Autrichiens, qui n'avaient là que la moindre partie de leurs forces, évacuèrent Borghetto, repassèrent le Mincio, et brûlèrent le pont derrière eux. Nos grenadiers se jetèrent à l'eau et passèrent à gué.

Beaulieu abandonna Peschiera et se retira en Tyrol.

Bonaparte occupa Peschiera, effraya par ses menaces le sénat de Venise, qu'il accusa, sans motifs sérieux, d'avoir violé la neutralité.

Il arracha le consentement du sénat à l'établissement d'une garnison française dans Vérone, concurremment avec la garnison vénitienne, et à l'occupation de la ligne de l'Adige par les Français.

Beaulieu une fois refoulé sur le Tyrol, et la ligne de l'Adige en nos mains, Bonaparte prépara le siège de Mantoue. Cette grande place et sa citadelle sont protégées par des marais que forme le Mincio ; mais cette position, très forte au point de vue défensif, permet à l'assiégeant de resserrer la garnison dans la place en occupant seulement quelques têtes de chaussées aux débouchés des marais. Bonaparte parvint à y bloquer 12.000 hommes avec 8.000 et garda libre la disposition de tout le reste de son armée.

S'il n'avait pas voulu, et avec raison, marcher sur Rome et sur Naples en négligeant les Autrichiens, il n'en reconnaissait pas moins la nécessité d'assurer la prépondérance française dans toute l'Italie et de désarmer ceux des gouvernements italiens qui étaient avec nous en guerre ouverte ou en guerre sourde.

Le gouvernement aristocratique de Gênes nous avait donné des sujets de plainte beaucoup plus fondés que n'avait fait celui de Venise. Il protégeait des bandes de partisans, soudoyés par le ministre d'Autriche à Gênes, qui couraient les Apennins, attaquaient nos convois et assassinaient nos soldats isolés. Bonaparte envoya Lannes, avec un détachement, disperser ces bandes, et dépêcha Murat avec une lettre menaçante au sénat de Gênes. Le sénat se soumit et renvoya de Gènes le ministre d'Autriche (26 prairial - 14 juin).

Quelques jours auparavant, le roi de Naples, effrayé des grands revers des Autrichiens, avait demandé et obtenu de Bonaparte un armistice (17 prairial - 5 juin). Il retirait sa cavalerie de l'armée autrichienne et son escadre de la flotte anglaise. Cet arrangement avec Naples était contraire aux tendances de la majorité du Directoire, mais convenu entre Bonaparte et Carnot. Celui-ci renonçait à la politique révolutionnaire au dehors, et ne visait plus qu'à une paix honorable.

Le pape, dont les États étaient maintenant à la portée de nos mains, ne devait pas s'en tirer à aussi bon compte que le roi de Naples. Bonaparte n'avait aucune envie d'aller à Rome, mais il entendait imposer au pape des conditions qui pussent excuser une transaction aux yeux du Directoire.

Les Français entrèrent donc sur le territoire du pape et occupèrent Ferrare et Bologne. Bonaparte fut accueilli à Bologne avec enthousiasme (1er messidor - 19 juin) : la domination du clergé était insupportable à ces populations, surtout aux classes instruites. Bonaparte, tout à la fois, encouragea le mouvement populaire et empêcha toute violence contre les prêtres et les couvents. Il pensait à enlever au pape toute la contrée au nord des Apennins ; mais, en même temps, il avait déjà quelque idée d'arrangement politique avec la papauté, sans se soucier si le maintien de cette monarchie théocratique en Italie était compatible ou non avec l'existence de la République française.

Le pape, hors d'état de se défendre, avait sollicité la médiation de l'ambassadeur d'Espagne à Rome. Celui-ci vint à Bologne demander les conditions du général français. Bonaparte exigea vingt et un millions, tant en argent qu'en approvisionnements, cent tableaux au choix de nos commissaires, cinq cents manuscrits anciens, et l'occupation par nos troupes de Ferrare, de Bologne et d'Ancône ; de plus, on ne rendit pas treize millions saisis dans les caisses publiques des États Romains.

Bonaparte franchit ensuite les Apennins avec un corps de troupes et descendit en Toscane. Le grand-duc de Toscane, quoique prince autrichien, avait quitté la coalition dès qu'il l'avait pu, et ne souhaitait que d'être neutre ; mais les Anglais, qui ne respectaient la neutralité nulle part, disposaient de son port de Livourne comme s'il leur appartenait, y amenaient les prises qu'ils faisaient sur notre marine, et y exerçaient sur les Français des violences impunies.

Bonaparte, d'accord avec le Directoire, résolut de s'emparer de Livourne. Le grand-duc ne résista pas plus à cette violation de sa neutralité qu'il n'avait résisté aux excès des Anglais. Les troupes françaises entrèrent à Livourne sans opposition (9 messidor - 27 juin). Les navires anglais s'échappèrent et l'on ne put saisir que les marchandises qu'ils avaient à terre ; Bonaparte avait des vues au delà de cette confiscation. Il voulait fermer les ports d'Italie aux Anglais sur les deux mers. Il y réussit par Livourne et par Ancône. Livourne devint son point d'appui pour recouvrer la Corse. Les Corses commençaient à se retourner contre les Anglais. Les manières anglaises leur déplaisaient, et les victoires de leur compatriote Bonaparte produisaient sur eux une vive impression. Des mouvements insurrectionnels se prononçaient dans l'île, et les Anglais devaient être réduits à évacuer la Corse au premier débarquement de troupes françaises.

Le temps employé par Bonaparte à établir sa domination sur l'Italie avait servi aux Autrichiens à préparer un puissant effort pour la lui arracher. Pendant que l'archiduc Charles, frère de l'empereur, jeune homme d'une haute capacité militaire, était appelé au commandement en chef des deux armées destinées à la défense de l'Allemagne, le vieux général Würmser, commandant de l'armée autrichienne du Haut-Rhin, recevait l'ordre de se porter du Rhin en Tyrol avec 25.000 hommes et d'y rallier les restes de l'armée de Beaulieu. Le cabinet de Vienne envoya à Würmser des levées tyroliennes et croates, et lui fit une armée d'au moins 70.000 hommes, en y comprenant la garnison de Mantoue.

Bonaparte, avec les renforts qu'il avait reçus, ne comptait en tout que 40 et quelques mille soldats.

Würmser descendit du Tyrol pour secourir Mantoue et attaqua par trois routes à la fois. Malgré la grande supériorité du nombre, c'était bien téméraire vis-à-vis d'un adversaire tel que Bonaparte.

Les trois colonnes autrichiennes marchèrent, la première par la rive gauche de l'Adige sur Vérone, la seconde le long de la rive orientale du lac de Garda sur Peschiera, la troisième par la rive occidentale de ce lac sur Salo et Brescia. Les deux premières colonnes devaient attaquer les Français et débloquer Mantoue, la troisième, tourner les Français et couper leurs communications avec le Milanais.

L'attaque, poussée avec vigueur, réussit d'abord. La colonne de gauche occupa les hauteurs qui commandent Vérone. La colonne du centre, que conduisait Würmser en personne, refoula les Français des importantes positions de la Corona et de Rivoli, qui barrent le passage entre le lac de Garda et l'Adige. La colonne de droite descendit de l'autre côté du lac de Garda jusqu'à Brescia, qu'elle enleva avec nos malades et nos magasins.

L'ennemi continuait d'avancer. Le péril croissait. Bonaparte, accouru au point central de Roverbello et voyant la ligne de l'Adige tournée, eut un moment la pensée de se retirer derrière le Pô. Un de ses lieutenants, Augereau, général d'une grande décision et d'une grande audace, s'y opposa vivement et se fit fort d'aller reprendre Brescia avec notre aile gauche.

Bonaparte laissa faire Augereau et prit une grande résolution. Dans la nuit du 13 thermidor (31 juillet), il leva le siège de Mantoue, en abandonnant l'artillerie de siège, ramassée à grand'peine dans toute la Haute-Italie, avec des approvisionnements considérables. Ce sacrifice lui permettait de masser toutes ses troupes afin de tomber successivement sur les divers corps ennemis trop espacés.

Würmser eût pu prévenir Bonaparte en coupant le centre des Français avec sa colonne centrale, la plus forte des trois ; mais il crut que les Français l'attendaient auprès de Mantoue et poussa droit à cette place, devant laquelle il ne trouva plus que des canons encloués et des débris de provisions noyées ou brûlées (14 thermidor —1er août).

Les Français employèrent mieux leur temps. Augereau, comme il l'avait dit, se porta à marche forcée sur Brescia. La droite autrichienne ne l'y avait pas attendu ; elle avançait pour rejoindre Würmser. Un petit corps français de 1.500 hommes avait renouvelé à Salo, sur le bord du lac de Carda, le dévouement victorieux des 1.200 soldats du colonel Rampon. Il avait repoussé cinq assauts d'un corps d'armée autrichien et fut secouru à temps (13-14 thermidor - 31 juillet-1er août).

Bonaparte rejoignit Augereau à Brescia, d'où il reporta son quartier général en avant, à Montechiaro. Il voulait aller occuper les hauteurs qu'une autre armée française a de nos jours enlevées aux Autrichiens dans la journée de Solferino. Mais, le lendemain, apprenant que l'ennemi avait passé en force le Mincio et que notre avant-garde avait abandonné le poste important de Castiglione, il projeta de concentrer l'armée à Montechiaro, puis de se replier sur l'Adda, pour, de là, reprendre l'offensive.

Augereau protesta de nouveau contre toute retraite. Il voulait attaquer sur-le-champ. Les autres généraux le soutinrent. Bonaparte lui dit avec impatience : Eh bien ! prenez le commandement.

Il laissa Augereau diriger, sur notre droite, l'opération par lui réclamée avec tant d'ardeur, et alla rejoindre à Lonato notre centre commandé par Masséna. De cette position, il pouvait se porter à droite ou à gauche suivant les circonstances. De Lonato, il poussa notre gauche sur Salo et sur la rive occidentale du lac de Garda, pour tenir en échec le corps autrichien qui avait évacué Brescia.

Ce corps autrichien, supérieur en nombre, refoula notre gauche et vint se jeter sur Lonato pour tâcher de rejoindre Würmser. Là il fut coupé, haché, dispersé par Masséna avec une perte énorme (16 thermidor - 3 août).

La nuit précédente, Augereau avait attaqué l'avant-garde de Würmser et lui avait repris Castiglione et Solferino. Il battit de nouveau, le 16 thermidor, l'avant-garde de Würmser renforcée. La droite autrichienne était tellement désorganisée par la défaite que lui avait fait éprouver Masséna, que ses corps, séparés les uns des autres, erraient au hasard. Un gros de 4.000 hommes revint, dans la journée du 17 thermidor (4 août), sur Lonato, où ses chefs avaient eu avis qu'il ne se trouvait plus que quelques centaines de Français. C'était précisément notre quartier général, et Bonaparte était là en personne.

Le commandant autrichien fit sommer les Français de se rendre. Bonaparte répondit en lui donnant huit minutes pour mettre bas les armes avec sa division. Passé ce délai, il n'y aurait plus de quartier.

Le commandant autrichien se crut entouré par toute l'armée française, et se rendit.

Bonaparte, en ayant fini avec la droite autrichienne, alla rejoindre Augereau à Castiglione. Toute notre armée eut ordre de s'y concentrer.

Würmser avait enfin réuni sa gauche et son centre, et s'avançait avec une armée déjà bien réduite et fort ébranlée. Bonaparte feignit un mouvement de retraite, pour donner le temps à nos divisions d'arriver et pour engager Würmser à trop s'étendre à droite du côté du lac de Garda, puis il le tourna par sa gauche et reprit impétueusement l'offensive.

La position centrale de Solferino fut enlevée à la baïonnette par un jeune général de brigade, Joubert, qui commençait une brillante, mais bien courte carrière.

L'armée autrichienne fut enfoncée, culbutée, chassée au delà du Mincio (18 thermidor - 5 août). Würmser retourna en Tyrol avec la moitié à peine des forces qu'il en avait amenées. Il laissait dans les mains des Français 15.000 prisonniers et 70 canons.

L'impression fut immense dans toute l'Italie. Tous les gouvernements, à Rome, à Naples, à Gênes, à Venise, avaient cru au succès des Autrichiens et s'étaient laissé aller à des démonstrations hostiles contre la France. Ils courbèrent de nouveau la tête.

Bonaparte n'avait plus de parc de siège ; il ne pouvait plus prendre Mantoue que par la famine. Il laissa un petit corps de blocus devant la place, écrivit au général de notre armée du Haut-Rhin, à Moreau, pour lui donner rendez-vous à Insprück, au cœur du Tyrol, et marcha vers les Alpes Tyroliennes, en remontant l'Adige et les deux rives du lac de Garda. Les Autrichiens furent chassés de Roveredo, de Trente, de tout le Tyrol italien (18-19 fructidor - 4-5 septembre).

Würmser et le gros de ses troupes n'étaient plus devant nous. Ce vieux général avait risqué un coup d'une hardiesse étrange. Tandis que les Français remontaient l'Adige pour entrer en Tyrol, il s'était jeté, par les passes des montagnes, dans la vallée de la Brenta, et il redescendait sur le territoire vénitien pour nous tourner et se reporter sur le Bas-Adige.

Tenter une telle entreprise avec les débris d'une armée vaincue était insensé. Bonaparte, abandonnant la route du Tyrol allemand, se rejeta sur la Brenta derrière Würmser, avec une rapidité prodigieuse, l'atteignit et le battit à Primolano et à Bassano, en lui faisant une masse de prisonniers (21-22 fructidor - 7-8 septembre).

Würmser, coupé d'avec le Tyrol et l'Autriche, n'avait plus qu'une ressource : c'était de gagner à tout prix Mantoue. A force de célérité, il y réussit. Il franchit l'Adige sur un point qui n'était pas gardé, passa sur le corps à quelques petits détachements français, entra dans Mantoue, et, là renforcé par la garnison, il essaya de tenir encore la campagne. Il perdit sous Mantoue une nouvelle bataille, qui le réduisit à s'enfermer dans la place avec les restes de son armée. Le blocus fut repris.

Au moment même où l'armée française complétait ainsi l'éclatant triomphe de Castiglione, le pape refusait les conditions de paix que lui avait signifiées le Directoire. Carnot avait obtenu à grand'peine que le Directoire consentît à une paix quelconque avec celui que le gouvernement de la République appelait le prince de Rome, pour ne pas l'appeler le Saint-Père. Le Directoire exigeait, avec l'abandon des provinces au nord des Apennins, la révocation des actes pontificaux que le pape avait fulminés contre la Constitution civile du clergé, et l'abolition de l'Inquisition de Rome.

Le refus du pape (26 fructidor - 12 septembre) ne rouvrit cependant pas les hostilités. L'armistice fut maintenu. Bonaparte avait fait comprendre au Directoire qu'il ne fallait pas se donner de nouveaux embarras avant la prise de Mantoue. La Réveillère, malgré sa haine pour le papisme, s'était rallié sur ce point à Carnot et à Letourneur.

Le roi de Naples ne fit pas comme le pape. Quand il vit les Autrichiens battus et rebattus, quand il sut que les Anglais évacuaient la Corse à la nouvelle d'un traité d'alliance entre la République française et le roi d'Espagne, il signa la paix (19 vendémiaire - 10 octobre).

Le sénat de Gênes plia de nouveau, paya quatre millions d'indemnité, et rappela les démocrates génois qu'il avait bannis.

Les événements d'Allemagne, plus que la saison qui avançait, contraignirent Bonaparte d'ajourner l'attaque du Tyrol ou celle de Trieste, entre lesquelles il balançait. Nous reviendrons sur cette campagne d'outre-Rhin, où d'impor• tants succès avaient été suivis de revers.

Bonaparte, obligé à une sorte de trêve, s'occupa à mettre son armée dans des conditions d'équipement et de matériel qu'elle n'avait jamais connues, et à organiser selon ses vues le pays dont il était maître. Dans l'intérêt de sa puissance personnelle et non par sympathie pour la liberté de l'Italie, il était décidé maintenant à créer dans la Haute-Italie une grande république, en même temps qu'a traiter avec les monarchies du Centre et du Sud.

II avait épargné le duc de Parme tout en le rançonnant, parce qu'il était parent du roi d'Espagne. Il détrôna le duc de Modène, cousin de l'empereur d'Allemagne, et il appela les Modénais à la liberté (13 vendémiaire - 4 octobre).

C'était lui qui, présentement, était plus révolutionnaire que le Directoire. Le gouvernement directorial lui écrivait, précisément alors, de ne rien faire qui empêchât une paix durable, et le détournait de soulever les populations, afin de pouvoir rendre à l'Autriche le Milanais pour conserver la rive gauche du Rhin. Nos échecs d'Allemagne avaient produit ce revirement dans la majorité du Directoire.

Le Directoire n'osa cependant revenir sur ce qu'avait fait Bonaparte, qui poursuivait son entreprise, adjoignait Bologne et Ferrare à Modène et se préparait à les réunir au Milanais.

Nos échecs en Allemagne, bien qu'ils ne fussent nullement décisifs, et les préparatifs que l'opiniâtre Autriche renouvelait en vue de l'Italie, commençaient à relever l'espoir de nos ennemis et à éloigner de nous les douteux. Bonaparte ne réussit pas à entraîner le roi de Sardaigne dans notre alliance contre l'Autriche. La cession du Milanais seule l'y eût décidé, et ni Bonaparte ni le Directoire ne voulaient alors le lui donner. Venise résista également à nos propositions d'alliance.

L'Autriche, après tant de pertes, semblait inépuisable. Elle avait reformé très promptement une troisième armée d'Italie après la destruction de celles de Beaulieu et de Würmser. C'est que son gouvernement avait eu l'habileté de rendre cette guerre populaire parmi les populations belliqueuses de la Hongrie, de la Croatie et du Tyrol. Les levées se faisaient avec la même facilité et la même ardeur qu'au temps de Marie-Thérèse. L'archiduc Charles avait fait introduire dans l'armée autrichienne des réformes et des règles d'avancement presque démocratiques.

Une double attaque fut concertée entre deux corps d'armée. Le principal, sous le général Alvinzi, arriva par les provinces orientales de la Vénétie ; le second corps, sous le général Davidowitch, par le Tyrol.

Bonaparte n'avait, cette fois encore, qu'une quarantaine de mille hommes à mettre en ligne, et les ennemis en comptaient près de soixante ; mais c'étaient des recrues contre les soldats les plus aguerris du monde, et le plan imposé par le cabinet de Vienne à ses généraux était encore plus hasardeux que celui qui avait été si malheureusement exécuté par Würmser. Il y avait une énorme distance entre les deux corps d'armée autrichiens, et Bonaparte était entre les deux.

Il marcha au devant d'Alvinzi, qui avait déjà passé la Brenta, l'attaqua et le rejeta sur Bassano (15 brumaire 5 novembre), où il avait récemment défait Wiirmser. Dans la nuit, il fut informé que le général français Vaubois, qui occupait le Trentin, c'est-à-dire la partie italienne du Tyrol au sud des Alpes, avait été repoussé avec perte par les forces supérieures de Davidowitch et qu'il se retirait sur Vérone. Bonaparte lâcha Alvinzi, retourna en toute hâte sur Vérone, renvoya le corps de Vaubois à Rivoli et dépêcha Joubert occuper plus au nord les défilés de la Corona. Le mouvement avait été si rapide qu'on prévint l'ennemi dans ces deux postes, qui barrent le passage entre l'Adige et le lac de Garda.

Alvinzi, cependant, voyant Bonaparte s'éloigner après une première victoire, l'avait suivi et avait poussé jusqu'aux hauteurs de Caldiero, sur la route de Vicence à Vérone. Bonaparte revint l'y assaillir (22 brumaire - 12 novembre).

L'attaque, contrariée par le mauvais temps qui gênait les mouvements de notre artillerie, ne réussit pas.

La situation devenait critique. Alvinzi se maintenait dans un bon poste. Würmser, avec la garnison de Mantoue, qui était toute une armée, faisait sortie sur sortie. Il était à craindre que Joubert et Vaubois ne fussent forcés dans leurs positions par Davidowitch et que nous ne fussions tournés.

A la nouvelle du péril de l'armée, on vit accourir, des hôpitaux de la Lombardie à Vérone, une foule de malades encore enfiévrés, des blessés dont les plaies saignaient encore. Tous ces vaillants hommes arrivaient pour vaincre ou mourir avec leurs compagnons.

Le lendemain de l'attaque infructueuse contre Alvinzi, le 23 brumaire (13 novembre) au soir, Bonaparte, qui avait fait rentrer l'armée dans Vérone, lui fit repasser l'Adige. Les soldats croyaient d'abord à une retraite et s'en affligeaient. Mais, au lieu de tourner du côté de la Lombardie, on descendit la rive droite de l'Adige, et l'on franchit celte rivière à Ronco. Toute l'armée comprit alors qu'il s'agissait d'un de ces beaux mouvements tournants qui avaient déjà si bien réussi à Bonaparte. On était sur les derrières de la position autrichienne de Caldiero.

Les Français étaient séparés de l'ennemi par un vaste marais que traversaient deux chaussées ; l'une aboutissait à Vérone, l'autre, à la route de Vérone à Vicence, en arrière du camp autrichien. Si l'on pouvait occuper la première de ces deux chaussées et déboucher par l'autre, toute retraite était coupée à l'ennemi, Masséna s'empara de la chaussée qui menait à Vérone et culbuta en gros corps autrichien venu pour la défendre.

Pendant ce temps, Augereau, avec une autre colonne française, s'avançait par l'autre chaussée. Elle traversait un petit affluent de l'Adige, appelé l'Alpon, par le pont du village d'Arcole. Les Autrichiens défendirent vigoureusement ce pont. Deux fois, Augereau tenta en vain de forcer le passage. Bonaparte accourut en personne et s'élança vers le pont, un drapeau à la main. Quoique ce pont très court fût peu de chose en comparaison de celui de Lodi, le feu de l'ennemi fut si terrible que la colonne française ploya. Des grenadiers restés fermes en tète entraînèrent le général pour le mettre à l'abri. Le brave Lannes, en le couvrant de son corps, fut grièvement blessé, et l'aide de camp préféré de Bonaparte, Muiron, fut tué. Bonaparte eut son cheval tué sous lui et tomba dans le marais. Les grenadiers s'élancèrent au-devant des ennemis, qui franchissaient le pont pour s'emparer du général.

Ils le sauvèrent ; mais nous ne pûmes franchir le pont. Beaucoup d'officiers d'élite avaient été tués ou mis hors de combat dans cette lutte sanglante.

Ce sang avait été versé inutilement pour nous. L'opiniâtre résistance des Autrichiens les avait sauvés d'un désastre ; mais la position que nous n'avions pu enlever fut tournée. Une brigade française, qui avait passé l'Adige en bateau au-dessous du confluent de l'Alpon avec l'Adige, chassa les Autrichiens d'Arcole quelques heures après.

Alvinzi avait abandonné son camp de Caldiero pour se reporter en arrière sur l'Alpon ; mais, encore très supérieur en nombre aux Français, il fit d'opiniâtres efforts pour se maintenir près de l'Adige : il espérait toujours que Davidowitch forcerait le passage afin de venir à son aide. Bonaparte, de son côté, n'ayant pas réussi à désorganiser l'armée d'Alvinzi, recommença le mouvement qu'il avait fait après le combat de Bassano ; il se disposa à aller secourir Vaubois et Joubert contre Davidowitch, qui les accablait par le nombre et leur avait enlevé la Corona et Rivoli.

Au moment où Bonaparte repassait l'Adige à Ronco, Alvinzi essaya de reprendre l'offensive, et s'engagea de nouveau au milieu des marais. Ce fut sa perte. Bonaparte tourna tète, battit, écrasa les Autrichiens dans les marais, très mauvais terrain pour eux, leur belle cavalerie s'y trouvant inutile ; puis, les voyant en désarroi, il les poursuivit dans la plaine, de l'autre côté de l'Alpon. Alvinzi, rompu, enfoncé, dut renoncer enfin à la lutte et se retirer en désordre vers la Brenta.

Ce qu'on appelle la bataille d'Arcole avait duré quatre jours (25-29 brumaire).

Bonaparte envoya aussitôt Masséna et Augereau secourir Vaubois et Joubert et rejeter Davidowitch en Tyrol.

Pendant ces opérations, dont le résultat grandit la renommée toujours croissante de l'armée d'Italie et de son chef, avaient eu lieu des tentatives de négociation. La campagne d'Allemagne n'avait pas réalisé les espérances du Directoire, et il craignait que la fortune de l'armée d'Italie ne se soutînt pas jusqu'au bout. Il était donc sérieusement disposé à la paix, pourvu que l'Autriche et l'Angleterre la lui rendissent possible. Pitt, de son côté, appréhendait que l'Angleterre ne finit par se lasser. Le Directoire avait accueilli à Paris, cet automne, un envoyé anglais de haut rang, lord Malmesbury, et venait d'expédier en Italie un des personnages qui dirigeaient sous Carnot l'administration de la guerre, le général Clarke, avec mission de traiter d'un armistice et d'aller ensuite négocier à Vienne.

Le Directoire voulait offrir à l'empereur le choix entre diverses propositions, ou la restitution du Milanais, avec des agrandissements en Allemagne ; ou bien les domaines du pape au nord des Apennins, en partageant le reste des États du pape entre les princes italiens ; enfin, la Bavière et d'autres accroissements en Allemagne aux dépens des princes ecclésiastiques, en faisant une part à la Prusse, l'électeur de Bavière étant envoyé en Italie pour y régner sur les Romains. L'offre de restituer le Milanais à l'Autriche était un triste démenti à toute la politique de la Révolution. L'abolition du pouvoir temporel du pape était, au contraire, une conséquence logique de cette politique.

Bonaparte, victorieux et assuré désormais de sa conquête, fut doublement mécontent qu'on envoyât un autre que lui négocier avec l'Autriche, et que l'on prétendit établir un armistice qui ne pouvait qu'arrêter ses succès.

Roide et hautain d'habitude, il savait se faire insinuant et séduisant au besoin. Il s'y prit si adroitement avec Clarke qu'il le gagna tout à fait : Clarke écrivit au Directoire qu'il fallait que le général en chef continuât à diriger toutes les opérations politiques au delà des Alpes.

Le gouvernement autrichien, malgré sa nouvelle défaite en Italie, n'était, pas plus que Bonaparte, disposé à la paix. Il déclara qu'il ne pouvait recevoir à Vienne un plénipotentiaire de la République française, puisqu'il ne la reconnaissait pas, et que, d'ailleurs, il ne traiterait pas sans ses alliés. Il espérait, en ce moment, un nouvel auxiliaire. La tsarine de Russie n'était jusque-là que de nom membre de la coalition. Elle n'avait donné aux ennemis de la France que des paroles. Elle était enfin sur le peint de s'engager, moyennant un subside des Anglais, à fournir un contingent de 60.000 hommes.

Mais la grande Catherine mourut, le 17 novembre 1796, et son fils Paul, qui n'avait rien de ses idées ni de son génie, ne signa pas le traité.

La dernière victoire de Bonaparte et l'attitude de l'Angleterre avaient changé les dispositions du Directoire, qui, du reste, n'avait jamais cru le désir de la paix sincère chez Pitt. Le 21 frimaire (11 décembre 1796), le ministre des affaires étrangères d'Angleterre écrivait à son ambassadeur : Quant à la question de consentir à ce que les Pays-Bas (la Belgique) continuent à faire partie de la France, Votre Seigneurie ne doit pas donner le plus léger espoir que Sa Majesté puisse se relâcher sur ce point.

L'Angleterre prétendait que la France rendit la Belgique, tandis que la Prusse, la Russie et l'Autriche garderaient les grandes provinces qu'elles s'étaient partagées en Pologne. Quant à elle, elle n'entendait pas rendre les colonies qu'elle avait prises à la Hollande.

Le 29 frimaire (19 décembre), le Directoire rompit la négociation et signifia au plénipotentiaire anglais de sortir de Paris dans les quarante-huit heures.

Quatre jours auparavant, la flotte française avait quitté la rade de Brest, portant un corps d'armée et le général Hoche, et faisant voile pour l'Irlande, où la grande association républicaine des Irlandais-Unis appelait les Français. Hoche croyait voir enfin se rouvrir devant lui un plus brillant théâtre que la triste guerre civile où il avait, depuis deux ans, usé ses grandes facultés. Il existait en Irlande un nombreux parti qui visait à séparer cette île de l'Angleterre, et ses agents étaient venus en France presser le Directoire d'aider à la fondation d'une république irlandaise. Hoche était entré dans cette pensée avec passion, et le projet de descente en Angleterre, qui lui était commun avec Carnot, s'était changé en un plan de descente en Irlande. L'exécution en avait été quelque temps retardée par le mauvais état de notre marine et surtout par le mauvais vouloir de l'amiral Villaret-Joyeuse, qui s'était jeté en plein dans la réaction et qui tenait une conduite très suspecte. Hoche put enfin partir dans la nuit du 25 frimaire (15 au 16 décembre), avec quinze vaisseaux de ligne, douze frégates et 13.000 soldats. Un second convoi portant 9.000 soldats devait suivre. Hoche avait donné ordre, en cas de rencontre avec la flotte anglaise, d'attaquer sur-le-champ les vaisseaux ennemis corps à corps, à l'abordage.

La sortie de la rade de Brest s'opéra sous de tristes présages. Un vaisseau de 74 canons donna sur une roche et s'engloutit avec tout ce qu'il portait. A la hauteur de l'île d Ouessant, une tempête de deux jours dispersa au loin la flotte.

L'ouragan avait, en même temps,. dispersé les croisières anglaises. La plus grande partie de la flotte se rallia et arriva au rendez-vous désigné, la baie de Bantry, sur la côte sud-ouest d'Irlande. Mais il manquait quelques navires, et, parmi eux, la frégate qui portait le général Hoche et l'amiral Morard de Galles, successeur de Villaret-Joyeuse !

La flotte anglaise ne paraissait pas. Le brave Irlandais Wolfe-Tone, l'ami de Hoche, et les autres envoyés des Irlandais-Unis conjuraient les Français de descendre sans délai, et promettaient une vaste insurrection. Le général Grouchy. qui commandait en second sous Hoche, hésita, malgré les instances du chef d'état-major, et quoiqu'il eût en main des instructions très positives de Hoche. Deux des trois contre-amiraux étaient opposés au débarquement ; le troisième hésitait, comme Grouchy, et, voyant lé vent s'élever de nouveau, ils regagnèrent le large et remirent à la voile pour la France. Ils rentrèrent à Brest le 12 nivôse (1er janvier).

Ce jour-là même, le général Hoche et l'amiral Morard de Galles, après avoir à grand'peine échappé aux Anglais, au milieu desquels les vents avaient jeté leur frégate, entraient dans la baie de Bantry. Hoche, désespéré, repartit aussitôt pour aller rejoindre et ramener la flotte ; mais, durant trois semaines, sa frégate fut de nouveau ballottée par les tempêtes. Lorsque Hoche rentra à Brest, il trouva la flotte hors d'état de reprendre immédiatement la mer.

L'expédition d'Irlande fut ajournée, et Hoche reçut une autre destination.

Les vents, cette fois comme bien d'autres, avaient protégé l'Angleterre.

Ce n'étaient pas les accidents de la nature, mais des fautes militaires, qui, durant la campagne de 1796, avaient protégé l'Autriche en Allemagne. Nos généraux des armées du Rhin, quoique braves et capables, ne s'étaient pas trouvés, comme Bonaparte, à la hauteur du plan vaste et hardi qu'ils étaient chargés d'exécuter. Jourdan, dont le nom est justement honoré, ne fut jamais un général de premier ordre, et Moreau, qui le devint, ne l'était pas encore.

Carnot eût voulu que nos deux armées d'Allemagne dénonçassent l'armistice et commençassent leurs opérations presque en même temps que l'armée d'Italie. Les généraux en démontrèrent l'impossibilité. On n'avait ni argent, ni magasins, ni fourrages. Le gouvernement avait tout promis et n'avait rien pu tenir. La chute rapide des mandats territoriaux, sur lesquels il avait compté, lui avait enlevé les moyens de subvenir aux besoins des armées. Les généraux n'avaient pas de quoi pourvoir aux dépenses les plus urgentes. La rive gauche du Rhin était ruinée par la longue guerre dont elle était le théâtre. Il n'y avait pas moyen de rentrer en campagne avant qu'on-trouvât du moins du fourrage sur les champs.

Les troupes autrichiennes étaient en beaucoup meilleur état que les nôtres et avaient une très grande supériorité en cavalerie. Il fut heureux pour nous que l'ennemi n'eût pas rompu l'armistice pendant l'hiver.

Les Autrichiens avaient compté sur les complots de Pichegru. Après qu'il eut donné sa démission, il resta quelque temps encore à Strasbourg, continuant sa correspondance avec l'ennemi. H avait de l'influence sur Moreau, son ancien lieutenant, lui donnait les conseils les plus propres à le faire battre et en avertissait les Autrichiens. Le cabinet de Vienne venait de conférer le commandement en chef des deux armées autrichiennes d'Allemagne au jeune frère de l'empereur, l'archiduc Charles. Pichegru, par une lettre du 20 mai, pressa l'archiduc de dénoncer l'armistice et d'attaquer vivement les Français.

L'archiduc suivit ce conseil. Heureusement, le général Gouvion Saint-Cyr, un des lieutenants de Moreau, était parvenu à lui faire changer les dangereuses dispositions suggérées par Pichegru et à faire rapprocher l'armée de Moreau (Rhin-et-Moselle) de l'armée de Jourdan (Sambre-et-Meuse).

L'archiduc avait ordre de se jeter entre les deux armées françaises pour refouler Jourdan sur la Moselle, Moreau sur l'Alsace, et avancer sur la Sarre. Les Français le prévinrent. Jourdan avait une tête de pont sur la rive droite du Rhin, à Düsseldorf : il fit déboucher son lieutenant Kléber par Düsseldorf le Il prairial (30 mai). Kléber chassa devant lui un corps autrichien qui gardait la rive droite.

Quelques jours après, Gouvion Saint-Cyr, avec l'aile gauche de l'armée de Moreau, marcha pour attaquer l'ennemi à Kaiserslautern. L'archiduc était sur la rive gauche du Rhin avec le gros de ses forces et pouvait tenter de faire sa trouée entre les deux armées françaises ; mais, sur ces entrefaites, étaient arrivées les nouvelles de la défaite de Beaulieu en Italie et de la défection du Piémont. Le maréchal Würmser, qui commandait, sous l'archiduc Charles, l'armée autrichienne du Haut-Rhin, venait de recevoir l'ordre de partii pour l'Italie avec 25.000 hommes.

Würmser se replia avec toute son armée sur Manheim, puis partit. L'archiduc, affaibli par le gros détachement qu'emmenait Würmser, évacua la rive gauche du Rhin, sauf Mayence, et courut, avec une partie de ses forces, soutenir sur la rive droite le corps qu'avait battu Kléber.

Jourdan avait franchi le Rhin à Neuwied, au-dessous de Coblenz, pour joindre Kléber. N'ayant point opéré avec assez de célérité, il laissa à l'archiduc le temps de masser ses troupes, ne se jugea point en état de lui livrer bataille, et repassa le Rhin (30 prairial - 18 juin).

Ce n'était là qu'un demi-échec. Jourdan, en attirant l'archiduc vers le nord, sur la rivière de Lahn, avait donné à Moreau la facilité de franchir le Rhin près de Strasbourg, à Kehl. Moreau fit forcer le passage par le général Desaix, dans la nuit du 5 messidor (23 au 24 juin).

Moreau, arrivé sur la droite du Rhin, mit un peu de lenteur dans ses mouvements et ne profita pas de la dispersion des forces ennemies pour les accabler avant que l'archiduc, revenu en toute hâte des bords de la Lahn, eût rallié les corps épars de l'ancienne armée de Würmser. L'archiduc barra le passage à Moreau à Ettlingen, entre Rastadt et Carlsruhe.

Moreau le chassa, de ses positions (21 messidor - 9 juillet). L'archiduc se retira sur le Necker, et, de là sur le Danube. L'évacuation du pays de Bade et du Würtemberg par les Autrichiens amena la défection de tout le cercle de Souabe, qui traita avec les Français et qui leur promit des contributions en argent, en chevaux, en approvisionnements.

L'électeur de Saxe, après les princes de Souabe, abandonna la coalition.

Jourdan avait de nouveau passé le Rhin, puis la Lahn, et arrivait sur le Mein en chassant devant lui le corps autrichien, très inférieur à son armée, qui avait déjà eu affaire à Kléber. Les deux armées françaises pouvaient se réunir et former une masse irrésistible de plus de 110.000 hommes, sans compter un gros corps d'observation laissé devant Mayence.

La réunion ne s'opéra pas. Moreau, qui avait ordre de se relier par sa droite à l'armée d'Italie en Tyrol, suivit l'archiduc vers le Danube, en jetant sa droite au delà de ce fleuve jusqu'au lac de Constance et à l'entrée du Tyrol.

Jourdan, de son côté, manqua l'occasion d'écraser le corps autrichien de Wartensleben et suivit ce corps qui se retirait devant lui par la rive droite du Mein, au lieu de franchir cette rivière pour se rapprocher de Moreau. Il avait l'ordre du Directoire de rester sur la droite du Mein, afin de maintenir ses communications avec sa ligne de retraite. Cette première fois, la jonction paraît donc avoir manqué par la faute de la direction de Paris. L'occasion se présenta le mois suivant. L'archiduc, qui avait disputé le terrain pied à pied contre Moreau, entre le Necker et le Danube, reprit l'offensive et fut de nouveau repoussé à Neresheirn le 24 thermidor (11 août). Il se retira au delà du Danube.

L'armée de Jourdan était maîtresse du cours du Mein ; elle occupait Würtzbourg et Bamberg. Kléber, qui commandait pendant une maladie de Jourdan, avait écrit à Moreau, le 14 thermidor (1er août), pour lui demander par où et comment il désirait que la jonction s'opérât. Il n'y avait aucun obstacle.

Moreau ne consentit pas à appuyer sur sa gauche. Il avait l'ordre du Directoire de passer le Danube et le Lech, important affluent méridional de ce fleuve, c'est-à-dire d'envahir la Bavière et d'entamer le Tyrol. Il suivit donc l'archiduc sur la rive droite du Danube. Il se porta sur le Lech et sur Augsbourg (2 fructidor - 19 août).

Si Kléber fût resté à la tête de l'armée de Sambre-et-Meuse, la jonction, toutefois, se fût probablement effectuée : Kléber, maître de Nuremberg, eût sans doute tourné à droite vers le Danube, et nos deux armées eussent pu se donner la main par dessus ce fleuve.

Mais Jourdan, reprenant le commandement, fit tout le contraire. Il continua de pousser devant lui Wartensleben, en s'écartant du Danube vers la Bohême.

On ne peut plus dire, en cette occasion, que ce fut la faute du Directoire et de Carnot ; car les instructions de Paris, comme l'atteste Gouvion Saint-Cyr dans ses Mémoires, insistaient sur la nécessité de la réunion des deux armées. Ce mouvement de Jourdan eut des conséquences funestes. L'archiduc Charles, qui avait perdu sa position centrale entre nos deux armées, eut la possibilité de la reprendre et le fit avec décision et rapidité. Il laissa 30.000 hommes au général Latour, afin de disputer le terrain, autant que possible, à Moreau, et, se reportant au nord du Danube avec le reste de ses forces, il alla joindre le général Wartensleben sur la Naab, faisant ainsi ce que Jourdan et Moreau eussent dû faire.

Jourdan, inférieur aux forces autrichiennes réunies, commença de se replier, et son arrière-garde éprouva un échec à Amberg (7 fructidor - 24 août). Il recula jusqu'à Würtzbourg ; là il tint ferme et livra bataille à l'archiduc (17 fructidor - 3 septembre). Après une vigoureuse résistance, il perdit le champ de bataille et se retira au nord de la Lahn, où Marceau, qui commandait le corps d'observation devant Mayence, vint le renforcer. Jourdan ne tira pas tout le parti possible de ce secours. Après une série de combats acharnés sur la Lahn, les Français continuèrent leur retraite vers le nord. Ils firent une perte cruelle entre la Lahn et la Sieg, à Altenkirchen (3e jour complémentaire de l'an IV - 19 septembre). Le général Marceau y fut blessé mortellement d'un coup de carabine par un chasseur tyrolien. Sa jeunesse, son ardeur, sa générosité, sa simplicité républicaine, sa belle et sympathique figure, l'avaient rendu l'idole de notre armée et le faisaient aimer des ennemis mêmes. Les Autrichiens s'unirent à nous pour célébrer ses funérailles, et leur canon mêla ses adieux aux nôtres, quand on descendit ses restes dans la fosse. Le monument funéraire de Marceau s'élève aux bords du Rhin, près de Coblenz. Il était mort à 27 ans.

Jourdan, découragé par ses revers, brouillé avec Carnot, qui l'accusait de la mauvaise issue d'une campagne si brillamment commencée, donna sa démission. Il fut remplacé par l'ancien ministre de la guerre Beurnonville, faute grave, quand on avait Kléber sous la main. L'armée de Sambre-et-Meuse, retirée, partie au nord de la Sieg, partie sur la rive gauche du Rhin, ne fit plus rien du reste de la campagne et resta en échec devant Wartensleben, tandis que l'archiduc, reparti avec 16.000 hommes, courait essayer de faire contre Moreau ce qu'il avait fait contre Jourdan.

Moreau, quoique averti du départ de l'archiduc et du péril de Jourdan, avait continué son mouvement en Bavière ; il avait poussé jusqu'à Munich, et imposé à l'électeur de Bavière la paix et une grosse contribution.

Il avait espéré, par là faire lâcher prise à l'archiduc et l'obliger à revenir en Bavière ; mais le prince autrichien laissa les Français rançonner tout à leur aise les Bavarois. Moreau essaya trop tard de communiquer avec Jourdan par sa gauche. Jourdan était déjà loin, en pleine retraite. Moreau, alors, se trouvant seul à une si grande distance de la France, jugea nécessaire de commencer à son tour un mouvement rétrograde. Il repassa le Lech, puis l'Iller, suivi de près par le corps d'armée autrichien de Latour et harcelé par les populations bavaroises et_ souabes, qui se soulevaient de toutes parts autour de lui.

Latour, inférieur en nombre, eut la témérité de l'attaquer et essuya une rude défaite à Biberach.

Moreau continua sa marche vers le Rhin par le Val d'Enfer et Fribourg en Brisgau, forçant sur son passage les défilés de la Forêt-Noire. L'archiduc avait rejoint Latour, rallié le plus de forces qu'il avait pu, et il vint assaillir Moreau aux environs de Fribourg. Moreau repoussa toutes ses attaques, acheva sa retraite dans le meilleur ordre et rentra en Alsace par les têtes de pont de Brisach et d'Huningue (30 vendémiaire-7 brumaire - 20-26 octobre). Cette retraite victorieuse est restée célèbre et a valu grande renommée à Moreau. Il se montra là fort supérieur à ce qu'il avait été durant la première partie de la campagne.

Les dangers n'y avaient pourtant pas été tels qu'on l'a dit, et Moreau n'y eut pas réellement des forces bien supérieures ni surtout bien concentrées à combattre. Les pires difficultés vinrent de l'hostilité des populations plus que de l'armée ennemie.

Nos deux armées du Rhin se remirent en communication par la rive gauche. Le choix du remplaçant de Jourdan ne valait rien. Beurnonville, brave soldat, n'avait ni les talents ni la décision nécessaires. Il permit à l'ennemi, qui n'était plus inquiété sur la rive droite du Rhin, de concentrer tous ses efforts contre les deux têtes de pont importantes que nous avions à Kelh et à Huningue. Moreau ne réussit pas à secourir ces deux postes, qui furent réduits à capituler en janvier et février 1797, après que les garnisons eurent infligé de grandes pertes aux assiégeants.

L'Autriche avait semblé bien près de sa perte au moment où Bonaparte, vainqueur de Beaulieu et de Würmser, menaçait de nouveau le Tyrol et Trieste, et où Jourdan et Moreau pénétraient jusqu'au cœur de l'Allemagne et approchaient des États héréditaires autrichiens. Sauvée de ce péril par les habiles manœuvres de l'archiduc Charles, et fière d'avoir, pour la seconde fois, obligé les Français à évacuer l'Allemagne, elle revenait à toutes ses espérances et préparait avec ardeur une quatrième tentative pour reprendre l'Italie sur Bond parte.

Les derniers revers d'Alvinzi en Italie n'avaient point effacé, parmi les populations militaires de la monarchie autrichienne, l'impression produite par les succès de l'archiduc Charles. Vienne et les principales villes offrirent des bataillons de volontaires pour suppléer aux levées régulières qui s'épuisaient. Dès les premiers jours de janvier 1797, Alvinzi put rentrer en campagne et marcher de nouveau au secours de Mantoue. Le gouvernement du pape avait levé des troupes sous l'ancien général piémontais Colli, et celui-ci projetait de donner la main aux Autrichiens dès qu'ils auraient eu un succès. Le roi de Naples avait les mêmes intentions.

Alvinzi combina une double attaque, comme il avait fait deux mois auparavant, mais avec un plan différent. Il fit marcher le général Provera, avec une quinzaine de mille hommes, par Padoue vers le bas Adige, afin d'attirer de ce côté les Français, pendant que lui-même dirigeait en personne la principale attaque, avec 35 à 40.000 hommes, entre le haut Adige et le lac de Garda, afin de déboucher par Rivoli sur Mantoue.

Bonaparte, obligé de laisser un corps devant Mantoue, ne pouvait disposer de plus de 35.000 hommes contre au moins 50.000. Accouru à Vérone, il hésita d'abord entre les deux attaques entamées par l'ennemi le 23 nivôse an V (12 janvier), l'une sur la Corona, entre le lac de Garda et le haut Adige, l'autre sur Porto-Legnago et le bas Adige. Le rapport qu'il reçut de son lieutenant Joubert, le 24 nivôse au soir, ne lui laissa plus de doute. C'était au nord qu'était le danger. Joubert, qui gardait avec 10.000 hommes les positions entre le lac et le haut Adige, avait été assailli par 22.000 Autrichiens. Après avoir vigoureusement repoussé leur avant-garde, se voyant tourné, il avait dû se replier de la Corona sur le plateau de Rivoli.

Bonaparte courut aussitôt joindre Joubert à Rivoli, y appela la division de Masséna, qui était à Vérone, et fit avancer un corps de réserve au sud de Rivoli, à Castel-Nuovo. Alvinzi, encore renforcé, croyait n'avoir affaire qu'au seul corps de Joubert. Il l'assaillit de front et détacha une colonne afin de lui couper la retraite sur Vérone. Le corps de Joubert soutint à lui seul, toute la matinée du 25 nivôse, les efforts de l'armée ennemie. Notre artillerie foudroya, écrasa la cavalerie et l'artillerie autrichiennes qui tentaient de monter vers le plateau par un long chemin tournant, le seul qui leur frit accessible ; mais les masses de l'infanterie ennemie parvinrent à escalader le plateau. 4.000 hommes de Masséna arrivèrent enfin, comme Joubert allait succomber, et, après deux heures d'une mêlée furieuse, une charge désespérée, conduite par Joubert, enfonça, brisa la masse ennemie. La colonne qui avait tourné la position des Français, et qui était commandée par un émigré, fut elle-même coupée et prise par notre corps de réserve.

Alvinzi essaya, le lendemain, de renouveler la lutte. Joubert le tourna, le chassa de la Corona, lui prit 6.000 hommes et l'obligea de s'enfuir presque seul à travers les rochers.

Tandis que Joubert achevait ainsi la victoire, Bonaparte en remportait déjà une autre. Il avait reçu avis, sur le champ de Rivoli, que le général Provera, avec l'autre corps d'armée autrichien, était parvenu à franchir l'Adige, près de Legnago, et s'avançait sur Mantoue. Il était reparti aussitôt avec cette division Masséna qui avait marché toute la nuit du 24 nivôse (13 au 14 janvier) et, la matinée suivante, décidé la victoire à Rivoli, et qui fit encore, dans la nuit du 25 et la journée du 26, seize lieues tout d'une traite, pour aller secourir notre corps de blocus devant Mantoue. Nos soldats français de ce temps étaient les premiers marcheurs du monde ! On n'avait rien vu de pareil depuis les légions romaines. Ceux qui résistaient à de pareilles fatigues devenaient des hommes de 1er ; mais les faibles y périssaient.

Provera essaya d'opérer sa jonction avec la garnison de Mantoue par le faubourg de Saint-Georges. Le général français Miollis occupait ce faubourg, séparé de la ville de Mantoue par le Mincio, avec un détachement de 1.500 hommes. Il se défendit toute la journée. Le lendemain, Würmser, avec sa nombreuse garnison, et Provera, avec le corps de secours, firent un effort désespéré pour se rejoindre ; mais la division Masséna, amenée par Bonaparte, était arrivée. Elle assaillit Provera, pendant que le général Sérurier, commandant du corps de blocus, chargeait Würmser, qui débouchait de la citadelle de Mantoue. Würmser fut repoussé. Provera, pris en tête par la division Masséna, en queue par les troupes d'Augereau, fut forcé de mettre bas les armes avec tout son corps d'armée.

En trois ou quatre jours, les Autrichiens avaient perdu une trentaine de mille hommes, dont 20.000 prisonniers.

Ce dernier triomphe couronnait et dépassait tous nos précédents succès de cette prodigieuse campagne d'Italie, et mettait Bonaparte au niveau des plus grands capitaines anciens et modernes.

Le maréchal Würmser ne pouvait prolonger davantage la défense de Mantoue. Vingt-sept mille soldats autrichiens y étaient morts de blessures ou de maladies depuis le commencement du siège. Le 18 pluviôse (29 janvier), n'ayant plus que trois jours de vivres, Würmser envoya demander une capitulation.

Bonaparte, dans la joie de son éclatante fortune, fut généreux envers un vieux soldat dont il estimait l'opiniâtre courage. Il accorda des conditions très honorables à Würmser. Le maréchal ne resta point prisonnier de guerre et eut le droit d'emmener avec lui son état-major, 200 cavaliers et 500 fantassins et artilleurs, sans autres conditions que de ne pas servir de trois mois contre nous. Le reste de la garnison (il y avait encore 20.000 hommes) devait être échangé le plus tôt possible contre des prisonniers français.

Bonaparte n'assista point en personne au défilé de cette garnison qui était toute une armée, soit affectation de dédain pour les honneurs qu'il avait mérités, soit par égard pour le vieux maréchal, auquel il ne voulait pas montrer son jeune vainqueur.

Würmser reconnut la courtoisie de Bonaparte, en lui donnant avis d'une tentative d'empoisonnement qui le menaçait.

Bonaparte était libre enfin de revenir au grand plan offensif contre l'Autriche qui avait été retardé d'une année ; mais il jugea nécessaire, auparavant, d'en finir avec Rome et Naples, qui avaient manifesté de nouveau tout leur mauvais vouloir pendant la dernière crise de la guerre. Bonaparte, avec raison au point de vue militaire, mais avec une arrière-pensée de politique personnelle, voulait seulement faire peur au pape et lui imposer la paix au plus vite, ainsi qu'au roi de Naples, sans se donner l'embarras de les renverser. Le Directoire, tout en souhaitant d'enlever au pape le pouvoir temporel et de détruire le centre d'unité romaine, laissait à Bonaparte liberté d'action à ce sujet.

Bonaparte, de Bologne, se porta en avant avec un petit corps de troupes, balaya les soldats du pape qui ne tinrent nulle part, ménagea les populations et leur déclara que les Français venaient en amis, occupa Ancône et envoya au Directoire la fameuse madone de Lorette, vieille image en bois, grossièrement sculptée, qui était l'objet de la dévotion des pèlerins de toute la catholicité. Mais, en même temps qu'il donnait cette satisfaction au directeur La Réveillère et à tous les ardents adversaires de la superstition, il témoignait de la bienveillance au clergé ; il traitait humainement les prêtres français émigrés, qui étaient nombreux dans les États du pape, et obligeait le clergé romain à pourvoir à leur subsistance. Il avait déjà lors de la capitulation de Mantoue, fermé les yeux sur l'évasion des émigrés français mêlés aux soldats autrichiens. Il n'avait pas plus les haines que les croyances de la Révolution. Ces haines, du reste, étaient fort amorties, et nos soldats républicains, maintenant, épargnaient volontiers les émigrés qui tombaient entre leurs mains.

Bonaparte franchit les Apennins et porta son quartier général à Tolentino, dans l'Ombrie. Quand on le vit à trois journées de Rome, la terreur succéda â la colère. La cour de Rome essaya de négocier. Il donna cinq jours pour que le pape lui envoyât des plénipotentiaires. Le pape se hâta de les dépêcher à son cher fils le général Bonaparte, avec sa bénédiction.

C'était une douloureuse nécessité pour le pape et pour la cour de Rome que de demander, pour ainsi dire, quartier à la Révolution française. Mais c'était beaucoup que d'être admis à traiter à des conditions quelconques, lorsqu'on ne pouvait opposer aucune résistance. Le pape dut renoncer à toute alliance avec les ennemis de la France et à toute prétention sur Avignon et le Comtat venaissin, céder à la République française Bologne, Ferrare et la Romagne, laisser Ancône aux Français jusqu'à la paix générale, payer une nouvelle contribution de 15 millions, désavouer l'assassinat commis, en janvier 1793, sur le secrétaire de la légation française, Basseville, enfin, mettre en liberté les personnes détenues dans l'État Romain pour opinions politiques.

Bonaparte fit seulement la concession de ne pas exiger, conformément aux instructions du Directoire, l'abolition de l'Inquisition romaine. On lui avait fait observer que cette Inquisition, depuis longtemps, ne brûlait plus personne.

Le traité entre la République française et le pape Pie VI fut signé le 2 ventôse (19 février 1797). Bonaparte écrivit au pape, aussitôt après, une lettre où il assurait Sa Sainteté de sa vénération ; il espérait, disait-il, que la République française serait une des amies les plus vraies de Rome.

Il avait écrit, la veille, à son lieutenant Joubert, dans les termes les plus méprisants pour ce gouvernement de prêtres, et il avait mandé au Directoire qu'il n'y avait pas d'inconvénients à traiter quant à présent avec Rome, parce que le gouvernement pontifical ne pouvait exister longtemps, dépouillé de ses plus belles provinces, et qu'une révolution s'y ferait toute seule. — Qui voulait-il tromper, du pape ou du Directoire ? — L'un et l'autre, suivant les circonstances et son intérêt.

La paix signée avec Rome décidait le maintien de la paix avec Naples. Bonaparte n'avait plus à s'occuper que de l'Autriche. La campagne s'annonçait dans les plus belles conditions et pour lui et pour la France. L'armée d'Italie, qu'une suite de victoires sans exemple animait d'une confiance illimitée en elle-même et en son chef, était devenue irrésistible. Nos deux armées d'Allemagne n'étaient nullement ébranlées par une double retraite, l'une honorable, l'autre victorieuse, qui n'avaient entamé ni leur énergie ni leur discipline. Reposées et renforcées, elles ne demandaient qu'à se reporter en avant. Elles aussi, comme l'armée d'Italie, elles avaient foi dans leurs chefs. Moreau avait grandi aux yeux de son armée de Rhin-et-Moselle, dans la dernière partie de la campagne. Quant à l'ancienne armée de Sambre-et-Meuse, elle avait maintenant à sa tête, non plus Beurnonville, mais le général Hoche : c'est tout dire !

Ces deux armées comptaient, au printemps, l'une 60.000, l'autre plus de 80.000 hommes, et les Autrichiens n'avaient plus en tout à mettre en ligne devant elles qu'environ 80.000 hommes. L'archiduc Charles, comme Würmser l'année d'a • vant, mais dans des circonstances bien autrement périlleuses pour l'Autriche, avait été rappelé des bords. du Rhin avec une partie de son armée ; il était chargé de défendre, non plus l'Italie, mais les États héréditaires d'Autriche, sur lesquels Bonaparte allait fondre du haut des Alpes.

Le succès était infaillible et décisif, si nos trois armées se concertaient et attaquaient toutes ensemble.

Mais, alors, Bonaparte n'aurait pas toute la gloire à lui seul. Hoche savait, comme lui, porter des coups foudroyants. On pouvait s'attendre à voir sur le Danube des journées dignes de celles de l'Adige et du Mincio.

Bonaparte était prêt ; les autres, Moreau surtout, ne l'étaient pas. Bonaparte avait des raisons très spécieuses pour entrer immédiatement en campagne. Il recevait, dans les premiers jours de mars, la plus grande partie d'un puissant renfort que lui avait promis Carnot. Moreau, avec un louable désintéressement, avait choisi dans son armée, qui avait beaucoup souffert, ce qui restait dans le meilleur état pour l'envoyer en toute hâte à Bonaparte : 20.000 excellents soldats arrivèrent du Rhin sur l'Adige avec un général de grand mérite, Bernadotte. Bonaparte avait donc ses renforts. L'archiduc Charles n'avait pas les siens. L'archiduc, accouru sur les confins de la Vénétie et du Tyrol, ne pouvait recevoir avant trois semaines 40.000 hommes détachés des armées autrichiennes du Rhin.

Cette avance de trois semaines était capitale pour l'ouverture des opérations. Il n'était pas douteux que Bonaparte ne culbutât les débris d'armées qu'allait lui opposer l'archiduc ; mais, après les premiers succès, Bonaparte pouvait se trouver compromis, s'il marchait sur Vienne avant que nos armées du Rhin fussent en mesure de lui donner la main ; ou, tout au moins, s'il maintenait son avantage et si l'Autriche se résignait à traiter avec lui, les conditions de la paix seraient évidemment beaucoup moins avantageuses à la France que dans le cas où l'Autriche serait accablée, écrasée, sous nos trois armées réunies.

Ces considérations n'arrêtèrent pas Bonaparte. Il ne vit que l'intérêt de sa gloire.

Il se lança en avant.

Il avait tous les avantages : les premiers soldats du monde contre des recrues, et, pour la première fois, même le nombre : il avait plus de 60.000 hommes en ligne. L'archiduc eût pu du moins avoir une bonne ligne de défense dans des pays de montagnes ; mais le cabinet de Vienne lui avait imposé un plan défectueux. On l'avait obligé de couvrir la route de Vienne par le Frioul, au lieu d'occuper les positions bien plus fortes du Tyrol de façon à prendre Bonaparte en flanc et en queue dans sa marche, ou à lui opposer un front presque inexpugnable s'il attaquait par le Tyrol.

Dés que l'archiduc n'était pas en Tyrol, il eût dû se poster à l'entrée des montagnes de la Carinthie pour défendre la route directe de Vienne ; mais le cabinet autrichien lui avait imposé de couvrir avant tout la place maritime de Trieste.

L'archiduc avait donc pris position sur le cours inférieur du Tagliamento. Bonaparte l'y attaqua avec notre droite (25.000 hommes), le 27 ventôse (16 mars). Bernadotte, à la tête de ses soldats du Rhin, traversa la rivière à gué aux cris de vive la République !

L'archiduc fut forcé à la retraite. Il eut avis que, pendant ce temps, Masséna, avec notre centre (15.000 hommes), avait poussé droit aux passes de la Carinthie, culbuté un corps autrichien, et allait s'emparer du col de Tarvis, la position décisive de ces montagnes.

L'archiduc y courut, mais trop tard et avec des forces insuffisantes. Masséna força ces hauts passages couverts de neige et de glace. Il rejeta l'archiduc de l'autre côté des montagnes. Un gros corps de trois divisions autrichiennes, qui n'avait pu rejoindre à temps l'archiduc, fut pris dans les défilés entre Masséna et une division envoyée par Bonaparte. Cinq mille hommes furent faits prisonniers avec leur général : le reste se dispersa (28-29 ventôse - 17-48 mars).

Ces victoires avaient porté les Français au point de jonction des deux chaînes de montagnes qu'on nomme les Alpes Car-niques et les Alpes Juliennes. Ils descendirent du bassin de l'Adriatique dans celui du Danube et du pays de langue italienne dans le pays de langue allemande. Ils étaient dans les domaines héréditaires de la vieille Autriche.

Bonaparte, avec son centre, entra dans Klagenfürth, capitale de la Carinthie. Son aile droite occupa, presque sans résistance, ce port de Trieste que le cabinet autrichien s'était efforcé si vainement de sauver à tout prix, et la province de Carniole. Sur la gauche, le général Joubert avait été chargé par Bonaparte d'opérer avec 20.000 hommes du côté du Tyrol. Il avait battu, dans cinq combats sanglants, des corps autrichiens que soutenaient les intrépides et adroits montagnards du Tyrol levés en masse : il leur avait tué plusieurs milliers d'hommes, leur avait fait 8.000 prisonniers, avait rejeté leurs débris au delà du mont Brenner ; puis il revint, à travers les montagnes neigeuses, rejoindre Bonaparte en Carinthie.

Cette entrée en campagne était magnifique ; mais la suite pouvait devenir difficile, à mesure que l'armée d'Italie s'enfoncerait dans les États autrichiens, sans s'être concertée avec les armées du Rhin. Bonaparte, afin d'éviter que les soulèvements populaires ne vinssent en aide aux forces régulières autrichiennes, garda envers les populations allemandes des ménagements qu'il n'avait pas eus pour les Italiens : il leur adressa une proclamation où il leur promettait de ne pas leur imposer de contributions et rejetait tous les maux de la guerre sur l'obstination du ministère autrichien, vendu, disait-il, aux Anglais.

Le 11 germinal (31 mars), il reçut à Klagenfürth une dépêche du Directoire qui lui annonçait que le passage du Rhin n'avait pu encore être effectué par Moreau, faute d'argent et d'équipages. Les contributions auxquelles s'étaient engagés les princes de l'Allemagne du Sud n'avaient pas été payées, par suite de la retraite de nos armées, et nos embarras étaient toujours les mêmes à l'intérieur.

Bonaparte avait commencé à désirer sincèrement le concours des armées du Rhin. Il comptait bien battre de nouveau l'archiduc Charles, quoique l'archiduc eût reçu enfin ses renforts, très entamés en Tyrol par Joubert ; mais il comprenait que, si l'empereur et le cabinet autrichien se retiraient de Vienne en Hongrie, l'armée d'Italie ne suffirait certainement pas pour terminer la guerre.

Il fit donc sur-le-champ, sans y être autorisé, des ouvertures de paix à l'archiduc Charles. Il l'engageait, dans sa lettre, à mériter le titre de bienfaiteur de l'humanité, en décidant son gouvernement à la paix. Quant à moi, disait-il, si l'ouverture que j'ai l'honneur de vous faire peut sauver la vie à un seul homme, je m'estimerai plus fier de la couronne civique que j'aurai méritée que de la triste gloire des triomphes militaires

Bonaparte savait parler tous les langages, même celui de la philanthropie, bien qu'en réalité, parmi les grands capitaines, aucun n'ait moins que lui ménagé la vie des hommes.

L'archiduc répondit avec courtoisie, mais en s'excusant d'engager une négociation pour laquelle il était sans pouvoirs.

C'était une maladresse de la part du cabinet de Vienne que de n'avoir pas autorisé l'archiduc à négocier ; car l'empereur et ses ministres étaient résignés à traiter. Ils ne gagnèrent à ce retard que de nouvelles défaites. Bonaparte reprit vivemen t sa marche et força les défilés de Neumarck, que l'archiduc essayait de défendre avec les renforts venus du Rhin. L'émulation entre l'armée d'Italie et ses auxiliaires des armées de Rhin-et-Moselle et de Sambre-et-Meuse rendait nos soldats irrésistibles.

L'archiduc demanda un armistice. Bonaparte répondit qu'on n'accorderait d'armistice que pour traiter de la paix et continua sa route.

Les Autrichiens essuyèrent un nouvel échec à Un zmarck, et, le 18 germinal (17 avril), notre avant-garde occupa Leoben, sur. la Muer. Elle poussa jusqu'à Bruck et jusqu'au Simmering. L'armée française n'avait plus à franchir que le Simmering, l'extrémité orientale des Alpes Noriques, pour descendre sur Vienne. Elle n'était qu'à vingt-cinq lieues de cette capitale.

Ce même jour, 7 avril, deux officiers généraux autrichiens se présentèrent au quartier général français, et demandèrent une suspension d'armes pour traiter de la paix. Bonaparte l'accorda pour cinq jours, puis consentit à la prolonger du 24 germinal au 1er floréal (13-20 avril).

Sur quelles bases allaient s'engager les négociations ?

Bonaparte était encore incertain sur les conditions qu'il ferait à l'Autriche. Il était si pressé de se donner les honneurs de la paix, qu'il songeait à rendre la Lombardie à l'Autriche, après avoir tant parlé aux Lombards de liberté et d'indépendance. Il eût seulement, en ce cas, conservé une République cispadane, c'est-à-dire formée des pays au sud du Pô (Modène, Bologne, Ferrare, la Romagne), comme avant-garde de la France en Italie. C'était là un projet non seulement déplorable au point de vue des principes de la Révolution, mais d'une très mauvaise politique. Il nous laissait engagés en Italie dans des conditions fort désavantageuses.

Mais ce n'était point là une pensée bien arrêtée dans l'esprit de Bonaparte. Il avait aussi déjà des idées d'arrangement aux dépens des États vénitiens. Les événements qui se passaient en ce moment même dans la Vénétie le décidèrent.

Bonaparte et le Directoire avaient plusieurs fois pressé le gouvernement vénitien de quitter la neutralité pour entrer dans notre alliance. Le sénat de Venise n'avait pu s'y résoudre. Il sentait qu'une fois engagé dans l'alliance de la Révolution française, il ne pourrait maintenir une constitution plus qu'aristocratique, qui excluait de toute participation au pouvoir, non seulement les classes populaires, mais même les classes patriciennes de toutes les villes soumises à Venise. Incapable de faire respecter sa neutralité, le gouvernement vénitien avait vu son territoire devenir le théâtre de cette grande guerre à laquelle il ne prenait point de part, et il avait été obligé d'admettre dans ses places fortes de la terre ferme des garnisons françaises qui partageaient le service avec les garnisons vénitiennes. Un parti révolutionnaire, chose inévitable, s'était formé dans les États de Venise, précisément parmi les classes qui étaient, ailleurs, opposées à la Révolution. Les familles aristocratiques des villes sujettes de Venise s'étaient mises à conspirer avec leurs voisins les Lombards, qui les excitaient à réunir leur pays au Milanais. Bonaparte et ses lieutenants favorisaient ce mouvement. Tandis que l'armée française marchait vers l'Autriche, le parti révolutionnaire, renforcé par les patriotes lombards, se souleva à Bergame, à Brescia, à Salo, et proclama la réunion au Milanais (22-27 ventôse - 12-17 mars).

Les classes populaires n'étaient pas favorables au mouvement : elles étaient attachées au gouvernement vénitien, qui les traitait avec beaucoup de douceur, et nos réquisitions, les exigences de notre armée, les avaient irritées. Les montagnards du Brescian et du Bergamasque se soulevèrent en faveur de l'autorité vénitienne. Les troupes régulières lombardes, qu'avait organisées Bonaparte, eurent ordre de désarmer les montagnards.

Le sénat de Venise, effrayé, expédia des députés à Bonaparte pour invoquer son intervention. Il la leur promit à deux conditions : des concessions aux villes sujettes de Venise et l'alliance française.

Le sénat de Venise ne fit rien et la situation s'aggrava chaque jour. Les montagnards, surexcités par des agents autrichiens, avaient commencé une petite guerre et contre les Lombards et contre les Français. Ils firent prisonniers dans Salo un détachement de 300 Français et Polonais au service de la France.

Bonaparte apprit ce fait, qui l'irrita fort, le surlendemain de l'armistice, le 20 germinal (9 avril). Il était dans une de ces situations d'esprit où le moindre incident emporte la balance. Il expédia un message menaçant au doge de Venise ; mais il n'attendit pas la réponse. Il se décida à sacrifier la Vénétie.

Les conférences pour la paix s'ouvrirent à Léoben, le 26 germinal (15 avril), entre Bonaparte et les envoyés autrichiens, le comte de Meerfeldt et le marquis de Gallo.

Ceux-ci avaient les pleins pouvoirs de l'empereur François If. Bonaparte n'avait pas ceux du Directoire. Il s'en passa.

Lorsque les plénipotentiaires autrichiens voulurent consigner, dans le premier article des préliminaires, que l'empereur reconnaissait la République française, Bonaparte s'écria : Effacez cela ! la République n'a pas besoin d'être reconnue. Elle est comme le soleil sur l'horizon : tant pis pour qui ne veut pas le voir

Bonaparte suivait l'exemple de la Convention nationale. Lorsque la Convention avait traité avec la Prusse et l'Espagne, elle n'avait point admis que ces puissances eussent à reconnaître la République. Trois projets de préliminaires à choisir furent envoyés le 27 germinal (16 avril), à l'empereur François. Tous trois admettaient la cession de la Belgique et de la rive gauche du Rhin à la France.

L'Autriche eût consenti à n'avoir plus rien en Italie et eût accepté une indemnité en Allemagne, par exemple la Bavière, à condition que la France garantît la République de Venise dans sa constitution actuelle.

Dès qu'on sortait de la voie purement révolutionnaire et qu'on entrait dans celle des remaniements territoriaux au point de vue des convenances et non des principes, c'était en Allemagne qu'il fallait dédommager le prince qui était encore, en ce temps-là le chef de l'empire allemand.

Il y aurait eu sans doute inconvénient et contradiction fâcheuse, pour la République française, à garantir la constitu-

tion aristocratique de Venise ; mais les autres projets étaient incomparablement pifes. Bonaparte écarta cette solution, et, comme il pensait que le Directoire l'eût acceptée, il lui cacha la proposition.

Il écrivit au Directoire qu'il offrait de rendre la Lombardie à l'Autriche, parce qu'elle avait refusé, ajoutait-il faussement, toute compensation en Allemagne !

L'Autriche, poursuivait-il, n'accepte pas la Lombardie, à moins qu'on n'y ajoute une portion du territoire vénitien ou des légations, les provinces enlevées au pape (27 germinal - 16 avril).

Quatre jours auparavant, il disait, dans une proclamation aux Lombards : Vous demandez des assurances pour votre indépendance ! Ces assurances ne sont-elles pas dans les victoires que l'armée d'Italie remporte chaque jour ? Vous ne doutez pas de l'intérêt et du désir qu'a notre gouvernement de vous constituer libres et indépendants !

La restitution de la Lombardie à l'Autriche formait le premier des trois projets envoyés à Vienne. Les deux autres projets ne rendaient pas la Lombardie, mais offraient à l'Autriche des compensations et l'un des deux énonçait formellement que cette compensation comprendrait la plus grande partie des États vénitiens.

Ainsi, dans chacun des trois projets, Bonaparte livrait, au nom de la République française, une partie des populations italiennes à l'Autriche.

Prévoyant la vive opposition qui se produirait au sein du Directoire, il récriminait aigrement contre l'inaction des armées du Rhin, qui empêchait de dicter les conditions de la paix comme on l'aurait pu faire. Rien n'était plus injuste, car il s'était jeté tout seul en avant, sans se soucier si les armées du Rhin étaient en mesure d'en faire autant.

L'Autriche fit son choix entre les trois projets, et les préliminaires de paix furent signés à Léoben le 29 germinal an V (18 avril 1797). — L'empereur renonçait à la Belgique et reconnaissait les limites de la France décrétées par les lois de la République française. Les armées françaises évacuaient les provinces autrichiennes qu'elles occupaient (Styrie, Carinthie, Tyrol, Carniole et Frioul). Les deux parties enverraient au plus tôt des plénipotentiaires en pays neutre, à Berne, pour y conclure sous trois mois la paix définitive. — Les hostilités cessaient immédiatement entre l'Empire germanique et la France.

Il était encore question, dans cet article, de l'intégrité de l'Empire germanique, ce qui permettait à l'Autriche d'équivoquer sur la limite du Rhin, implicitement reconnue par elle à la France.

Par des articles secrets, l'empereur renonçait au Milanais, à condition d'être dédommagé par la partie du territoire vénitien entre l'Oglio, le Pô, la mer Adriatique et les Étals héréditaires autrichiens, plus la Dalmatie et l'Istrie. — La partie des États vénitiens à l'ouest de l'Oglio (le Bergamasque, Créma, Crémone, etc.) appartiendrait à la République française. — La France rendait Mantoue à l'Autriche. — La France cédait à la République de Venise, en dédommagement de ce qu'on lui enlevait, la Romagne, Bologne et Ferrare. — Le Milanais et la partie du territoire vénitien acquise à la France formeraient une République indépendante.

La compensation accordée à Venise était inconvenante et insuffisante, ainsi que Bonaparte l'avoue dans sa lettre au Directoire. Elle ne pouvait être acceptée par le Sénat, et on ne l'avait stipulée que par un reste de respect humain.

Bonaparte affirme, dans cette même lettre, que ce traité sera un monument de la gloire de la République française et un présage infaillible qu'elle peut, en deux campagnes, soumettre le continent de l'Europe, si elle organise ses armées avec force.

Il entrevoyait déjà dans cet élan orgueilleux, Austerlitz et Iéna. Il concluait en déclarant qu'il ne s'était jamais considéré pour rien dans toutes ses opérations ; qu'il ne demandait que du repos, et que la calomnie s'efforcerait en vain de lui prêter des intentions perfides. — Ma carrière civile, disait-il, sera, comme ma carrière militaire, une et simple.

Au moment où Bonaparte se plaignait avec tant d'aigreur de l'inertie des armées du Rhin, le jour même où il signait les préliminaires de Leoben, le Rhin était franchi, et une victoire au delà du Rhin répondait à ses victoires.

Il n'avait pas dépendu de Hoche que la campagne n'eût commencé en Allemagne presque aussitôt que dans le Frioul. Arrivé sur la fin de février, il avait, en quelques semaines, remis l'ordre dans l'administration militaire, ainsi que Bonaparte l'avait fait à l'armée d'Italie au commencement de la campagne précédente. Après avoir débuté par une sorte de coup d'État contre les commissaires et les fournisseurs qui pillaient et l'armée et le pays conquis, il avait assuré le bon emploi des ressources qu'offrait la contrée par l'armée de Sambre-et-Meuse sur les deux rives du Rhin, tout en ménageant les populations allemandes plus que Bonaparte n'avait ménagé les Italiens. Il était à la tête d'une magnifique armée de 86.000 hommes capables de tout entreprendre sous un chef tel que lui.

L'armée de Rhin-et-Moselle était loin de cet état florissant. Elle comptait une soixantaine de mille hommes très fatigués encore de la campagne d'hiver où ils avaient tâché en vain de défendre Kehl et la tète de pont d'Huningue : ils manquaient de tout ; le pays qu'ils occupaient ne pouvait leur fournir presque rien, et Hoche était obligé de leur envoyer des vivres et des chevaux. Les lenteurs de Moreau, irritantes pour l'impatience de Hoche, avaient de légitimes excuses.

On était au milieu d'avril : Hoche n'attendit plus, et, sans s'arrêter à la nouvelle de l'armistice conclu par Bonaparte pour l'armée d'Italie, il lança son lieutenant Championnet, avec son aile gauche, par la rive droite du Rhin, de Düsseldorf sur la Sieg (28 germinal-17 avril). Le lendemain, il passa le Rhin en personne. à Neuwied, avec le gros de l'armée. Le général Werneck, qui commandait l'armée autrichienne du Bas-Rhin, était hors d'état de résister à des forces plus que doubles des siennes ; pris entre les deux attaques des Français, il fut enfoncé, culbuté, chassé au delà de la Lahn et devancé sur le Mein par les Français.

Les Français étaient aux portes de Francfort le 3 floréal (22 avril). Les Autrichiens avaient perdu à chaque pas des centaines de prisonniers et des canons. Leur armée, de 30 à 40.000 hommes, était cernée par 60.000 Français, et sa destruction était inévitable, lorsqu'arriva un courrier apportant la signification des préliminaires de Leoben. Hoche fut ainsi arrêté, à l'instant même où une carrière digne de son génie s'ouvrait devant ses pas. Il montra une sérénité et une abnégation entières.

Le 1er floréal (20 avril), Moreau, à son tour, enfin mis en mesure d'agir par les efforts de son vaillant et actif lieutenant Desaix, avait passé le Rhin au-dessous de Strasbourg, près de Kilstett. Il gagna une bataille de deux jours sur l'armée autrichienne du Haut-Rhin. Le 3 floréal (22 avril), son avant-garde força le passage de la Renchen, et une nouvelle bataille allait s'engager. Le succès n'en était pas douteux.

La signification des préliminaires de paix arrêta Moreau ainsi que Hoche. Si Bonaparte les eût attendus, ils eussent infailliblement balayé devant eux les débris des armées autrichiennes du Rhin et poussé jusqu'à Vienne. L'Autriche eût été accablée et réduite à se rendre à discrétion. Il n'aurait plus été question de la dédommager en Italie, au mépris de tous les principes et de tous les droits.

La majorité du Directoire accueillit d'abord par une explosion de colère la dépêche envoyée par Bonaparte. La Réveillère et Rewbell s'indignèrent, et de l'audace du général qui avait signé sans autorisation un acte aussi grave, et des conditions qu'il avait souscrites. Barras parla comme eux. Carnot fut d'avis qu'il fallait ratifier.

Comment un homme si droit put-il approuver un acte aussi injuste ? — Carnot, depuis longtemps déjà n'avait plus qu'une pensée : lui qui avait si bien organisé et dirigé la guerre, il ne songeait plus qu'à la finir. Il était douloureusement préoccupé du mauvais état intérieur de la France, qui offrait un si triste contraste avec l'éclat de nos victoires. Il voyait la ruine dans les finances, le désordre dans les idées et dans les mœurs. Il craignait que le pays, ballotté entre des terroristes qui l'effrayaient et des réacteurs qui le ramenaient à un passé détesté, ne se jetât dans les bras d'une dictature militaire, et Il !l'apercevait de chance de salut pour la République que dans une paix qui calmerait les esprits, ranimerait le travail et nous permettrait de rétablir l'ordre dans les rapports économiques. Cette préoccupation patriotique exclusive lui fit méconnaître le caractère d'un traité par lequel on peut dire que la Révolution se reniait elle-même.

Letourneur suivit Carnot, et Barras convint qu'il n'y avait pas moyen de refuser la ratification.

Il est certain que l'opinion publique était entièrement pour la paix et qu'il y aurait eu un déchaînement presque général contre le Directoire, s'il eût désavoué Bonaparte.

Le Directoire ratifia les préliminaires de Léoben.