ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE, FIN. - LUTTE DE L'ASSEMBLÉE ET DE LA COMMUNE. - MASSACRES DE SEPTEMBRE. - ÉLECTION DE LA CONVENTION NATIONALE. - PROCLAMATION DE LA RÉPUBLIQUE. 11 août-21 septembre 1792.Depuis 1789, on datait les actes publics de l'ère de la liberté. A partir de l'établissement du suffrage universel, on joignit l'ère de l'égalité à celle de la liberté : on data de l'an IV de la Liberté, an Ier de l'Égalité. La Législative, par un règlement du 11 août, fixa les élections primaires au 26 août ; les élections des députés à la Convention au 2 septembre ; la réunion de la Convention au 20 septembre. En introduisant le vote universel, la Législative maintint les deux degrés d'élection, contrairement à l'opinion qui commençait à se répandre en faveur de l'élection directe parmi les démocrates les plus radicaux. Les opérations électorales, avec le double degré et la nomination successive des députés, dans chaque département, au scrutin individuel, devaient prendre un temps assez long. L'intervalle entre la chute du trône et la réunion de la Convention chargée des pleins pouvoirs du peuple, allait être rempli d'immenses dangers. La Législative, qui n'avait pas fait le 10 août et qui n'avait plus qu'un reste d'autorité bien affaiblie, se trouvait en présence d'un nouveau pouvoir irrégulier, violent et audacieux : la Commune du 10 août, c'est-à-dire les commissaires élus tumultuairement par la majorité fort douteuse des sections, et qui s'étaient mis à la place du conseil général de la Commune. Il y avait là des hommes capables de tout : les uns par fanatisme révolutionnaire, les autres par une ambition perverse. Le reste, avec des intentions patriotiques, avait trop de passions et trop peu de lumières pour ne pas se laisser entraîner par les meneurs. Il n'y aurait eu qu'une chance d'éviter d'affreux malheurs ; c'ettt été l'union du ministère. Là se trouvaient face à face les hommes de confiance de la Gironde : Roland, Clavière et Servan, et l'homme d'action des clubs et du peuple, Danton. S'ils s'entendaient, tout pouvait être sauvé. Tout dépendait de l'accord entre les deux plus puissants -esprits qui, depuis la mort de Mirabeau, restassent à la Révolution : Mme Roland et Danton. La rupture n'était pas inévi4able entre eux comme elle l'avait été entre Mme Roland et Robespierre, car Danton ne haïssait point la supériorité chez autrui. Ils ne s'entendirent pas. Il y eut de leur faute à tous deux. La mauvaise réputation de Danton avait fortement prévenu madame Roland contre lui. Sa physionomie et son langage aggravèrent ces préventions, quand elle le vit de près. La mauvaise réputation de Danton était-elle méritée ? On lui a attribué, de son temps, avant qu'il y eût des taches de sang sur ses mains, les mêmes vices qu'à Mirabeau, et ces mêmes connivences payées avec la cour, qui ont été prouvées chez Mirabeau. Il vivait, disait-on, dans tous les désordres. Les plus honnêtes gens, les plus véridiques, La Fayette, Mme Roland, l'ont accusé, dans leurs Mémoires, d'avoir touché 100.000 francs du gouvernement pour le remboursement d'un office qui en valait 10.000, puis d'avoir reçu, à diverses reprises, de grandes sommes d'argent du ministre Montmorin. Tout le monde, ou à peu près, a longtemps cru à ces accusations. La vie privée de Danton n'a été sérieusement étudiée que depuis peu d'années. On y a trouvé tout autre chose que ce qui s'était accrédité sur lui. L'honnête famille bourgeoise où avait été élevé Danton, simple, unie, régulière, offrait un parfait contraste avec la famille féodale de Mirabeau, si désordonnée, si démoralisée, si horriblement divisée. Danton, fils dévoué, frère désintéressé, mari affectueux, malgré ses passions fougueuses, n'avait jamais été ce jeune homme ignorant, paresseux et débauché, ce misérable avocat sans causes qu'on a imaginé. Assez lettré quand il fut reçu, à vingt-huit ans, en 1787, avocat aux conseils du roi (Conseil d'État, Requêtes de l'hôtel, etc.), il prononça, suivant l'usage, un discours latin. Il y fit un tableau saisissant de l'état de la France. C'était au moment de la première assemblée des Notables. Il déclara qu'il sentait venir une révolution terrible, exprima le regret qu'on ne pût la reculer de trente années, pour qu'elle se fit paisiblement par le progrès des lumières, et termina en jetant ce cri prophétique : Malheur à ceux qui provoquent les
révolutions ! — Malheur à ceux qui les font ! En 1788, il refusa un emploi important au ministère de la justice. Lorsque les charges d'avocat aux conseils du roi furent supprimées par la Constituante, avec indemnité, Danton ne reçut pas 100.000 francs pour ce qui en valait 10.000 : suivant son droit légal, il fut remboursé de 69.000 francs pour une charge qui lui en avait coûté 78.000. Ce qui avait trompé La Fayette, c'est que le principal de la charge ne valait que 10.000 francs, et que le reste était le prix du cabin,et d'affaires qui s'y trouvait joint. Quant aux sommes reçues du ministre Montmorin, aucune pièce ne constate le fait. L'affirmation de Montmorin doit paraître de peu de valeur, depuis que l'on connaît la correspondance par laquelle cet ancien ministre trahissait La Fayette et connivait avec les généraux autrichiens contre lui, au moment même où La Fayette se perdait pour tâcher de sauver le roi et la reine. Danton aurait certes bien mal gagné son argent, car il ne cessa de pousser à outrance contre la cour, et l'on ne saurait citer dans sa conduite rien qui ressemble aux variations de Mirabeau. La cour était, du reste, fort souvent volée par les intermédiaires qu'elle employait pour tâcher de gagner les chefs révolutionnaires. On avait promis au roi d'acheter aussi Pétion, dont le désintéressement était notoire. Louis XVI eut la preuve qu'il était effrontément dupé. Il ne subsiste donc pas la moindre preuve de la vénalité de Danton ; mais les apparences étaient contre lui. Ses liaisons avec tous les hommes propres aux coups de main, qu'ils fussent bien ou mal famés, la crudité de son langage poussée souvent jusqu'au cynisme, l'absence de scrupules dont il faisait étalage quant aux moyens de servir la Révolution, choquaient la moralité austère que garda toujours Mme Roland sous des manières aimables et d'une honnête liberté. Danton n'avait point de principes, mais il avait des sentiments généreux et des affections profondes. Mme Roland méconnut ces sentiments. Elle comprit la puissance de Danton, mais la crut toute vouée au mal. Elle méconnut la sincérité de ses protestations pour la liberté, pour la patrie, pour l'union des bons citoyens. Elle ne comprit pas que, sous cet extérieur bizarre, effrayant, il y avait une âme magnanime, comme l'a dit un homme d'une grande autorité, qui n'était pas suspect de sympathies révolutionnaires, Royer-Collard. Mme Roland ne crut voir chez Danton qu'un ambitieux corrompu et sanguinaire, qui visait à la tyrannie et qui prenait pour instruments Robespierre et Marat. Profonde erreur — Marat n'était l'instrument que de sa fureur et de sa démence. — Quant à Robespierre, qui ne fut jamais l'instrument de personne, Mme Roland le jugeait un froid et médiocre rhéteur, et n'appréciait pas assez la formidable puissance que lui donnaient son inflexible volonté et son habileté à manier les assemblées populaires. Mme Roland voyait le péril pour la Révolution là où aurait pu être le salut, chez Danton, et non pas là où le péril était réellement, chez Marat pour le présent, chez Robespierre pour l'avenir. La rupture de Mme Roland et de Danton, ce fut la brouille de Rousseau et de Diderot, la scission des philosophes du XVIIIe siècle, se renouvelant avec des conséquences bien autrement terribles, car Danton était l'héritier de Diderot et de l'Encyclopédie, et c'était madame Roland, bien plus que Robespierre, qui était la vraie héritière de Rousseau. Un incident sinistre, dès le soir du 10 août, avait caractérisé la période où l'on entrait. Une bande de vauriens et de forcenés avaient porté en triomphe à l'Hôtel de ville Marat, sorti de sa cave comme un hibou effaré qu'on tire de son trou. Désormais, cette hideuse figure ne bougea plus de la salle des séances. Marat domina la Commune, quoiqu'il n'en fût pas membre. Les élections continuant dans les sections pour compléter la nouvelle Commune, Robespierre fut élu le lendemain, par la section des Piques (Place Vendôme). La saleté, la brutalité, la férocité ignoble de Marat le dégoûtaient ; il l'avait traité d'extravagant aux Jacobins ; il le ménagea cependant à la Commune, et ne le contrecarra point. La Commune, toutefois, le 11 août, applaudit le maire Pétion, lorsqu'il vint annoncer que le peuple promettait de ne plus faire d'exécutions, de les abandonner à la loi. Elle parut disposée à seconder l'Assemblée nationale pour préserver de la vengeance populaire les officiers suisses prisonniers. Dès la veille, à peine le combat fini, l'Assemblée avait mis les Suisses et autres étrangers sous la sauvegarde de la loi. Le 11 au matin, comme la foule du dehors menaçait ceux des Suisses qui étaient restés dans les bâtiments des Feuillants, le public des tribunes aida l'Assemblée à sauver ces malheureux et les introduisit dans la salle des séances, où ils jurèrent fidélité au peuple français. L'Assemblée décréta la formation d'une cour martiale pour juger les Suisses. Le nouveau ministre de la justice, Danton, prit la parole : — Là où commence l'action de la justice, là doivent cesser les vengeances populaires. Ces paroles expliquaient le vrai but de l'institution de la cour martiale. On entendait que ce tribunal, purement militaire, ne condamnât que les chefs convaincus d'avoir fait tirer sur le peuple. Les officiers et sous-officiers prisonniers furent envoyés à la prison de l'Abbaye, les simples soldats au Palais-Bourbon. Les Marseillais les escortèrent, en déclarant qu'ils ne les considéraient plus comme ennemis, depuis qu'ils étaient vaincus. Plût au ciel que les Marseillais eussent persévéré dans ces sentiments jusqu'au bout ! La plupart des soldats suisses furent admis à s'enrôler dans des régiments français, et les 250 soldats réunis au Palais-Bourbon échappèrent tous à la catastrophe de septembre. Dans les journées des 11 et 12 août, toutes les statues des rois furent abattues dans Paris par le peuple, même celle d'Henri IV, dont la mémoire était si populaire encore en 89. La passion qu'on avait contre les rois s'en prenait au passé tout entier. On effaça partout les emblèmes de la royauté. Ce fut alors que la Commune, dans les correspondances officielles, remplaça le terme de Monsieur par celui de Citoyen. Le 12 août, la Commune fit arrêter les rédacteurs des journaux contre-révolutionnaires et confisqua leurs presses, qu'elle distribua aux imprimeurs jacobins. Marat n'avait pas attendu cette décision pour mettre la main sur une partie des caractères de l'Imprimerie Royale. La Commune fit fermer les barrières, suspendre les passeports, arrêter nombre de suspects. Les hommes qui s'étaient emparés de la puissance municipale ne s'étaient intitulés d'abord que commissaires de la majorité des sections ; ils se doublèrent par de nouvelles élections, qui portèrent leur nombre à 288, et prirent alors le titre de conseil général de la Commune, comme ils en exerçaient le pouvoir. Dans les nouveaux élus, il n'y avait de nom éclatant que Robespierre. Quelques-uns devinrent fameux plus tard : Billaud-Varennes, Chaumette, Pache, etc. Il y eut des débats qui se prolongèrent, trois jours durant, entre l'Assemblée et la Commune, sur le lieu où l'on détiendrait Louis XVI. L'Assemblée voulait d'abord l'envoyer au Luxembourg. C'était encore un palais pour le royal captif. La Commune protesta contre la facilité qu'il aurait là de s'échapper. L'Assemblée céda, et Louis XVI fut transféré, avec sa famille, à la tour du Temple. C'était un vieux donjon où les templiers avaient gardé jadis leur trésor, qui contribua tant à exciter la jalousie de Philippe le Bel et à préparer leur ruine. Le sombre enclos du Temple, entouré de hautes murailles et situé dans un des quartiers les plus pauvres de Paris, a été remplacé par le Marché du Temple, et, depuis, par un square aujourd'hui verdoyant et fleuri. Ce triste lieu était bien une prison, et la famille déchue n'avait plus d'illusion à se faire. Pétion avait escorté le roi, comme au retour de Varennes, mais combien, depuis quatorze mois, l'abîme s'était creuse pour Louis XVI ! Pétion et les autres qui voulaient, en 1791, ôter à Louis XVI la couronne, eussent été ses sauveurs, et ceux qui la lui avaient remise sur la tête, l'avaient perdu. A l'Assemblée nationale, dans les séances des 15, 16 et 17 août, il fut donné lecture des papiers trouvés aux Tuileries, qui prouvaient que le roi avait continué de solder les gardes du corps émigrés à Coblenz, et que les pamphlets contre-révolutionnaires de Paris et de Coblenz étaient payés par la liste civile. Les commissaires de l'Assemblée assurèrent que d'autres lettres, qu'il ne convenait pas de publier immédiatement, attestaient que la cour et ses agents correspondaient avec les généraux autrichiens. Ces révélations confirmaient les accusations tant de fois lancées dans les journaux et à la tribune, augmentaient les ressentiments populaires contre la famille déchue, et déterminèrent l'Assemblée à mettre en accusation les anciens ministres Montmorin, Bertrand de Molleville et plusieurs autres, et, avec eux, Barnave et Alexandre de Lameth. L'Assemblée, pendant ce temps, était engagée dans de graves débats avec la Commune. Elle avait ôté la police politique aux juges de paix, qui l'avaient exercée jusque-là, mais qui étaient suspects de feuillantisme, et elle l'avait transférée aux municipalités ; ceci convenait à la Commune ; mais, afin de donner à la Commune un contre-poids, l'Assemblée avait ordonné des élections pour renouveler l'autorité départementale, qui était restée désorganisée depuis sa lutte avec le corps municipal. Robespierre vint, au nom de la Commune, protester, en termes menaçants, contre la restauration d'un pouvoir qui dominerait ou balancerait l'autorité des délégués immédiats du peuple, et qui romprait l'unité nécessaire au salut public. L'Assemblée céda, en ne laissant au directoire départemental que ce qui regardait les contributions ; la police et la sûreté générale restèrent exclusivement à la Commune (13 août). La Commune exerça la même pression sur l'Assemblée pour lui faire rapporter son décret sur la cour martiale. Cette cour n'eût jugé que les faits militaires de la journée du 10 août, et tous les autres accusés politiques fussent restés justiciables de la haute cour qui siégeait à Orléans. L'Assemblée rétracta encore ici sa décision, et décréta que les crimes du 10 août seraient jugés par les jurés qu'éliraient les sections. Robespierre revint, le lendemain (15 août), réclamer, au nom de la Commune, un tribunal extraordinaire, formé de commissaires qu'éliraient les sections, sans distinction de jury d'accusation et de jury de jugement, et qui jugeraient en dernier ressort. L'Assemblée. consentit que le nouveau tribunal jugeât en dernier ressort, mais maintint les formes légales qui confiaient alors l'instruction des procès à un jury d'accusation, le jugement du fait à un jury de jugement, et l'application de la peine, comme aujourd'hui, à des juges. Une adresse de l'Assemblée aux citoyens de Paris, rédigée par Brissot, déclara qu'un peuple libre ne devait pas imiter les tyrans en créant des commissions extraordinaires, des Chambres ardentes. Quelques Jacobins ardents siégeaient à l'extrême gauche de l'Assemblée, au-dessus des Girondins, sur des bancs élevés qui leur faisaient donner le nom de Montagnards. Ils s'indignèrent, autant que leurs collègues, des menaces insolentes que proférèrent des délégués de la Commune durant ces discussions. On veut une inquisition, s'écria le député Choudieu. J'y résisterai jusqu'à la mort. — J'aime la liberté, j'aime la Révolution, dit un autre montagnard, Thuriot, un des vainqueurs de la Bastille ; mais, s'il fallait un crime pour l'assurer, j'aimerais mieux me poignarder. La révolution n'est pas seulement pour la France ; nous en sommes comptables à l'humanité ! Les juges furent élus à nouveau, comme les jurés, mais par des électeurs de second degré, ainsi que le prescrivait la loi sur l'organisation judiciaire. Les formes étaient conservées ; mais c'étaient, en réalité, les vainqueurs qui allaient juger les vaincus dans le tribunal du 17 août. Robespierre, élu premier juge, refusa, en disant qu'il ne pouvait être le juge de ceux dont il avait été l'adversaire ; mais les autres juges étaient dans le même cas. Robespierre aimait mieux siéger à la Commune qu'au tribunal. Le ministre de la justice, Danton, adressa, le 18 août, aux tribunaux une circulaire, où, sous des formes âprement révolutionnaires, on pouvait apercevoir une pensée d'ordre social et d'union entre les patriotes. Toutes mes pensées, dit-il, n'ont eu pour objet que la liberté politique et individuelle, le maintien des lois, l'unité et la splendeur de l'État, la prospérité du peuple français, et non l'égalité impossible des biens, mais une égalité de droits et de bonheur. Tournez contre les ennemis de la patrie le glaive de la loi. Que la justice des tribunaux commence, et la justice du peuple cessera. Ces dernières paroles, rappelant celles qu'il avait déjà prononcées le 11 août, attestent qu'un pressentiment terrible l'obsédait. Il eût voulu se placer entre l'Assemblée et la Commune, entre la Gironde et les Jacobins ardents que l'on commençait à nommer LA MONTAGNE, pour tâcher de concilier tout ce qui était resté dans le mouvement révolutionnaire, quand La Fayette et les Feuillants s'en étaient séparés. Le naufrage de La Fayette s'achevait en ce moment même. Ce général, vers le 10 août, était à Sedan. Ses préoccupations politiques ne lui avaient pas fait négliger ses devoirs militaires, et il avait remis sur le meilleur pied possible les troupes comprises dans son commandement, qui s'étendait de la Meuse à la mer. Il les avait raffermies par de petits succès d'avant-postes contre les Autrichiens, et il s'apprêtait à manœuvrer sur le flanc de la grande armée ennemie, qui envahissait notre frontière entre Meuse et Moselle. La nouvelle du 10 août jeta La Fayette dans de terribles angoisses. Il avait à choisir entre deux résolutions extrêmes : reconnaître la révolution du 10 août et abandonner la royauté, ou prendre l'offensive contre cette révolution et entraîner son armée contre Paris, en laissant derrière lui la frontière ouverte à l'ennemi. Il eut horreur de -ce second parti, ne se décida pas à l'autre, n'accueillit pas les avances qui lui furent adressées de nouveau par les Girondins, et rêva une réaction intérieure, une coalition de directoires de départements, qui eussent fait le vide autour du nouveau ministère et obligé Paris à rendre au roi son pouvoir constitutionnel et à l'Assemblée elle-même sa liberté ; car il la croyait aussi captive que le roi. Le département des Ardennes entra dans ses vues. Le conseil municipal de Sedan, d'accord avec lui, fit arrêter trois commissaires envoyés par l'Assemblée (14 août). L'Assemblée en fut informée le 17. Elle décréta aussitôt l'arrestation des autorités des Ardennes, et dépêcha trois nouveaux commissaires autorisés à requérir la force publique. Le ministère destitua La Fayette et nomma à sa place Dumouriez commandant de l'armée du Nord. Roland et Servan, qui appréciaient les talents de Dumouriez, oublièrent patriotiquement leurs griefs contre lui, et Roland écrivit à Dumouriez une très noble lettre pour tâcher de lui relever l'âme au niveau de la charge qu'on lui confiait. Le 19 août, l'Assemblée décréta d'accusation La Fayette. Le rêve du malheureux général s'était bientôt dissipé. Le directoire du département de l'Aisne, jusque-là très favorable à La Fayette, se retourna, et arma ses gardes nationales contre lui. Les départements voisins suivirent l'exemple de l'Aisne. Les troupes qui n'étaient pas sous le commandement direct de La Fayette se déclarèrent pour le 10 Août. Le mouvement gagna bientôt les régiments mêmes qui se trouvaient autour du général, et qui étaient prêts à s'entrebattre. La Fayette comprit que ce serait un crime de faire entre-tuer des Français devant l'ennemi, et que son rôle était fini. Il assura de son mieux la sûreté de son armée, la laissa dans de bonnes positions, assuma sur lui seul toute la responsabilité de la résistance qu'il avait tentée et passa la frontière avec quelques officiers de ses amis, auxquels s'était joint Alexandre de Lameth (19 août). La Fayette avait compté gagner la Hollande, et, de là, l'Angleterre et l'Amérique, naturel asile de l'ancien lieutenant de Washington. Mais, à Rochefort en Ardennes, sur le territoire neutre de Liège, le général et ses amis furent arrêtés par un détachement autrichien. Le duc de Saxe-Teschen, commandant des forces autrichiennes en Belgique et beau-frère de Marie-Antoinette, fit faire à La Fayette la communication suivante : Puisque le chef de l'insurrection française, forcé de s'expatrier par ce même peuple auquel il avait appris à se révolter, est tombé dans les mains des puissances alliées, on le gardera prisonnier jusqu'à ce que son souverain ait décidé de son sort. La Fayette, ayant quitté l'armée et ayant été pris sur terre étrangère, ne pouvait être réputé prisonnier de guerre. Mais les despotes commençaient alors d'inventer un nouveau droit des gens à leur usage, en vertu duquel ils se concertaient pour châtier les révolutionnaires de tous pays. La Captivité de La Fayette fut la meilleure preuve qu'il n'avait pas voulu trahir la liberté. La Fayette passa tour à tour des prisons de la Prusse dans celles de l'Autriche, où sa courageuse femme obtint plus tard de venir s'enfermer avec lui. Il y souffrit durant plusieurs années toutes les misères infligées par l'empereur François II aux amis de la liberté, que sa bigoterie impitoyable se croyait mission de châtier pour le bien de leur âme. Après le départ de La Fayette, le département des Ardennes se soumit, et les velléités d'opposition contre le 10 Août cessèrent partout. Quelques officiers généraux et supérieurs donnèrent leur démission ; un certain nombre de directoires de départements, qui s'étaient montrés hostiles ou hésitants, furent dissous par le ministre de l'intérieur Roland, et tout fut dit, quant à l'ancien parti feuillant ou constitutionnel. Le danger n'était pas là : il était dans les complots des contre-révolutionnaires alliés à l'étranger et dans les fureurs des ultra-révolutionnaires, mais surtout dans le désaccord entre les amis éclairés de la Révolution. On s'entendait du moins sur la défense nationale. L'Assemblée et la Commune s'efforçaient de se surpasser l'une l'autre. L'Assemblée réorganisait la garde nationale de Paris, en faisant entrer dans les cadres tous les citoyens armés. Elle prenait de nouvelles mesures pour établir le camp décrété sous Paris. Elle mettait en réquisition toutes les fonderies, toutes les manufactures d'armes, tous les cuivres et métaux nécessaires pour la guerre ; elle ordonnait la distribution de tous les fusils aux volontaires. La tribune était sans cesse encombrée par les dons patriotiques ; les séances étaient en partie remplies par la lecture de lettres où les citoyens offraient à la patrie leurs personnes et leurs biens. Deux riches patriotes proposèrent d'équiper chacun un régiment de hussards. La Commune, de son côté, relevait, comme en juillet, les estrades des enrôlements volontaires ; elle envoyait l'argenterie des églises à la monnaie, faisait fondre et les statues de bronze des rois et les cloches des églises pour faire des canons, laissant seulement deux cloches à chaque paroisse ; elle désarmait ceux des gardes nationaux qui avaient signé la pétition contre le 20 juin, et donnait leurs fusils aux volontaires. Paris offrait un aspect héroïque, extraordinaire. On peut dire que la fameuse journée des enrôlements se renouvela durant des semaines et des mois. Il y avait, dans cet enthousiasme, des fluctuations, des retours. Les mères qui avaient donné leurs enfants se désolaient, s'exaspéraient parfois. Un jour, Danton fut arrêté dans la rue par une bande de femmes furieuses, qui lui reprochaient la Révolution et la guerre. Il monta sur une borne, leur répondit, d'abord avec violence, que, si elles avaient eu des enfants, ce n'était pas pour elles, mais pour la patrie ; puis il s'attendrit en leur parlant de la France, et il pleura, et elles pleurèrent avec lui. Le 25 août, il arriva une mauvaise nouvelle. La grande armée ennemie avait attaqué Longwy. Le cœur avait failli aux habitants de cette forte ville, et ils avaient entraîné le commandant à capituler, malgré les volontaires de la garnison. L'Assemblée nationale, sur la proposition de Vergniaud, décréta que tout citoyen qui, dans une ville assiégée, parlerait de se rendre, serait puni de mort, et que Longwy serait rasé dès qu'on l'aurait repris. Elle requit le département de Paris et les départements voisins de fournir sur-le-champ une nouvelle levée de 30.000 hommes. Une série de circulaires, parties du ministère de l'intérieur, alla partout animer les administrations départementales à faire leur devoir. L'âme héroïque de Mme Roland y respirait tout entière. On y représente le 10 Août comme la réponse nécessaire de Paris au manifeste de Brunswick et aux trahisons de la cour. Les périls augmentent, est-il dit ; nos ennemis veulent se frayer une route jusq6'à Paris. — Que partout le fer se transforme en piques ou se fonde en boulets ! Que les femmes mêmes travaillent aux habits, aux tentes des défenseurs de la patrie ! Que, de toutes parts, ces défenseurs se lèvent et accourent vers la capitale ! — Que chaque ville, chaque hameau, s'environne de fossés, de retranchements, se prépare à la résistance ! — Veillez aux passages des rivières, disposez-vous à couper les ponts et les chaussées ; que des abatis coupent les chemins des forêts ! — Lève-toi dans ta force, lève-toi tout entière, nation française ; voilà l'heure du combat ; il faut vaincre ou périr ! (23 août-1er septembre.) D'accord contre l'étranger, l'Assemblée et la Commune ne l'étaient pas en ce qui regardait les ennemis intérieurs. Les Girondins ne voulaient frapper les contre-révolutionnaires que par le bras de la Loi. La Commune ne supportait aucun frein légal à ses passions et à ses vengeances. Le 23 août, ses délégués avaient prétendu exiger de l'Assemblée que les accusés déférés à la haute cour d'Orléans fussent transférés à Paris pour y subir le supplice dû à leurs forfaits. — Si vous n'accordez cette demande, avait ajouté l'orateur de la Commune, nous ne répondons plus de la vengeance du Peuple ! C'était Lacroix, un ami de Danton, qui présidait ce jour-là. Il répondit avec dignité que la Convention nationale aurait seule le droit de changer l'organisation de la haute cour. Le peuple, ajouta-t-il, peut disposer de notre vie : nous saurons mourir à notre poste pour la liberté et l'égalité ! L'Assemblée passa unanimement à l'ordre du jour. La Commune ne fut pas longtemps satisfaite du tribunal du 17 août. Les Jacobins ardents qui composaient ce tribunal avaient débuté par prononcer plusieurs condamnations à mort pour conspirations royalistes, mais ils eurent la loyauté d'acquitter les accusés qui n'avaient d'autre crime que leurs opinions impopulaires. On s'en irrita fort à l'Hôtel de ville. L'Assemblée décréta, le 26 août, une mesure rigoureuse qui, en satisfaisant les passions révolutionnaires, devait, du moins dans la pensée de ses auteurs, sauver la vie des hommes qui en étaient l'objet : c'était l'ordre à tous les prêtres qui avaient refusé le serment civique de sortir de France sous quinze jours. Leur cause, étroitement liée à celle de la contre-révolution, rendait la situation de la plupart d'entre eux impossible. Un commencement d'insurrection contre-révolutionnaire dans les Deux-Sèvres et dans le Morbihan excitait plus que jamais le peuple de Paris contre eux. Danton, le 28 août, vint demander à l'Assemblée, au nom du ministère, d'autoriser des visites domiciliaires dans toutes les communes de France, pour constater tout ce qu'il existait d'armes, de munitions, de chevaux et de voitures. Les municipalités seraient autorisées à désarmer les suspects et à distribuer leurs armes aux défenseurs de la patrie. L'Assemblée vota cette mesure de salut public, bien redoutable par l'abus qu'en pouvait faire une autorité municipale telle qu'était la Commune de Paris. Les visites domiciliaires, commencées à paris dans la nuit du 20 au 30 août, se prolongèrent jusqu'au 31 au soir ; exécutées avec beaucoup de violence et d'arbitraire par les agents de la Commune, elles amenèrent de nombreuses arrestations et causèrent un grand effroi dans la ville. La Commune, cependant, lit relâcher le lendemain les personnes qui n'avaient été arrêtées que pour avoir signé la pétition contre le 20 juin. Durant cette crise, la lutte reprenait plus âprement entre l'Assemblée et la Commune. Le 28 août, une adresse de la Commune, placardée sur les murs de Paris, dénonçait au peuple les traîtres qui complotaient dans les comités de l'Assemblée. Le lendemain, l'énergique section des Lombards, qui avait eu grande part au 10 Août, et la section -de la Halle aux blés dénoncèrent au contraire, à l'Assemblée, les abus et les usurpations de la Commune. Le 30 août, le ministre de l'intérieur vint annoncer que la Commune avait cassé le comité des subsistances, qui faisait partie de l'ancienne administration municipale maintenue par la nouvelle Commune elle-même dans la nuit du 10 août. L'approvisionnement de Paris se trouvait, par là, désorganisé. L'extrême gauche elle-même éclata contre la Commune, et l'accusa de tout bouleverser et de dilapider la fortune publique. L'Assemblée, sur la proposition de Cambon, décida de se faire représenter les pouvoirs donnés à ces délégués provisoires par le peuple. Une nouvelle insolence de la Commune fit perdre patience à l'Assemblée. La Commune avait fait cerner le ministère de la guerre, où s'était retiré un journaliste girondin qu'elle prétendait arrêter. L'Assemblée ordonna de nouvelles élections municipales dans les vingt-quatre heures, pour remplacer la Commune provisoire (30 août), enjoignit aux commissaires de la Commune de rendre compte des objets saisis dans les visites domiciliaires, et signifia à la municipalité de se renfermer, quant aux arrestations, dans les bornes prescrites par la loi (31 août). La Commune, pour la première fois, parut plier devant l'Assemblée ; elle réintégra le comité des subsistances, chargea son secrétaire Tallien de rédiger une apologie de sa conduite, et pria le maire Pétion d'aller présenter cette pièce à l'Assemblée. Pétion avait été, depuis trois semaines, mis à l'écart par le nouveau Conseil général, qui avait, en effet, usurpé les fonctions exécutives du maire et du corps municipal. L'adresse, lue à la barre de l'Assemblée par Tallien, était pleine des récriminations les plus arrogantes. Le président Lacroix répondit avec fermeté que la Commune provisoire était maintenant illégale, et que Paris ne donnerait pas l'exemple d'investir un conseil provisoire d'une dictature rivale de l'Assemblée nationale. L'Assemblée ne révoqua point le décret qui ordonnait de nouvelles élections pour la Commune. Les meneurs de la Commune sentaient le pouvoir échapper de leurs mains. Il n'y a guère à douter que cela n'ait précipité les projets terribles qui s'agitaient parmi eux. Dans la séance de la Commune du fer septembre, au soir, Robespierre donna lecture d'une adresse aux sections, où il récriminait amèrement, comme l'avait fait Tallien, contre les ministres et contre le comité des Vingt-et-un, et il conclut en déclarant qu'il ne voyait d'autre moyen de sauver le peuple que de lui remettre le pouvoir que le Conseil général avait reçu de lui. Quelle était sa pensée ? — Ce n'était certes pas de se soumettre paisiblement au décret de l'Assemblée qui avait ordonné de nouvelles élections pour remplacer la Commune ; ce qu'il voulait, c'était que l'Assemblée nationale et la Commune disparussent à la fois devant le peuple souverain. Il espérait sans doute que le peuple souverain viendrait chercher Robespierre, en attendant la Convention. Le procureur-syndic de la Commune, Manuel, donna de grands éloges à Robespierre, mais conclut à ce que le Conseil général restât en fonctions tant que la patrie serait en danger. Le Conseil vota la publication de l'adresse de Robespierre, mais adopta les conclusions de Manuel. C'était, sous une autre forme que celle proposée par Robespierre, voter la résistance contre l'Assemblée. Les sections, appelées aux élections par le décret de l'Assemblée, avaient peu voté dans la journée du ler septembre. Paris ne songeait qu'aux nouvelles de la guerre et des complots royalistes. Des révoltes dans l'Ouest, .une conspiration à Grenoble, des cris de : Vive le roi poussés par des groupes devant le Temple et par un condamné au pilori de la Grève, les bravades imprudentes des détenus dans les prisons de Paris, le bruit que les faux assignats qui infestaient la capitale et désolaient les pauvres gens étaient fabriqués dans les prisons, concouraient avec les graves nouvelles de la guerre à remuer violemment les masses. La coalition contre la France semblait grandir. On disait qu'un corps d'armée russe était en marche pour joindre les Allemands. L'ambassadeur d'Angleterre venait de quitter Paris, par suite de la suspension du pouvoir exécutif près lequel il était accrédité. Le gouvernement anglais parlait bien encore de garder la neutralité, mais on ne s'y fiait pas. L'Angleterre et la Russie, c'était le péril de demain ; le péril immédiat, l'invasion allemande, approchait. Le roi de Prusse était devant Verdun, place plus faible que Longwy. Verdun tombé, il n'y avait plus sur cette route de place forte qui couvrît Paris. Dumouriez n'avait que 23.000 hommes à Sedan, et Luckner, que 20.000 hommes à Metz, pour tenir tête à plus de 100.000 ennemis qui faisaient la trouée, et il était bien douteux que nos deux généraux fussent renforcés à temps. L'anxiété était telle, dans le Conseil des ministres, que l'on y proposa de se retirer à Blois. Danton dit : J'ai fait venir ma mère, qui a 70 ans ; j'ai fait venir mes deux enfants ; ils sont arrivés hier ; avant que les Prussiens entrent dans Paris, je veux que ma famille périsse avec moi ; je veux que vingt mille torches fassent de Paris un monceau de cendres. Cette scène transpira dans Paris. Danton voulait deux choses à tout prix : défendre Paris contre l'étranger, et empêcher la querelle entre l'Assemblée et la Commune de dégénérer en lutte armée. Cette lutte, à ses yeux, eût été la ruine de la Révolution. Il décida son ami Thuriot à proposer à l'Assemblée une mesure de conciliation. C'était d'admettre le chiffre de 288 auquel la Commune avait porté le nombre de ses membres, et de confirmer dans leurs fonctions ceux des membres actuels qui n'auraient pas été remplacés par leurs sections dans les élections en cours d'opérations. C'était une grande concession. L'Assemblée hésita beaucoup, et finit par voter la motion vers une heure. Durant toute cette matinée, la fermentation populaire avait été croissant. On était au dimanche 2 septembre. Le peuple restait, depuis longtemps déjà, comme dans un état de fièvre permanente. Les ouvriers étaient sans travail et se souciaient peu d'en trouver : ils n'avaient qu'une idée, c'était d'aller se battre contre les étrangers et contre les émigrés. La petite bourgeoisie, le petit commerce étaient ruinés par la cessation des affaires, et exaspérés contre les aristocrates. Les menaces insensées des journaux royalistes, qui ne parlaient que de galères et de potences, et les excitations de Marat et de ses émules avaient produit le même effet sur une grande partie de la population, celui de l'habituer à mêler l'idée du meurtre aux idées politiques. Le journal de Marat avait, dès le 19, prêché l'extermination des détenus du 40 août. Des motions sanguinaires avaient commencé de se discuter dans quelques sections. On répétait, de bien des côtés, qu'il ne fallait pas laisser d'ennemis derrière soi en marchant à la frontière ; que les complices de l'étranger massacreraient les femmes et les enfants des patriotes, si l'on ne se débarrassait d'eux avant de partir. Tout le monde prévoyait des choses effroyables et sentait les prisons menacées. Plusieurs hommes influents se hâtèrent de faire élargir ceux des prisonniers auxquels ils s'intéressaient. Le procureur de la Commune, Manuel, fit sortir de l'Abbaye l'auteur de Figaro, Beaumarchais, son ennemi personnel, ne voulant pas qu'on pût lui imputer de s'être vengé, s'il arrivait malheur. Robespierre, Danton, le jeune secrétaire de la Commune, Tallien, tirèrent de prison des prêtres, leurs anciens professeurs, et d'autres personnes. On sauvait quelques individus ; mais, des autres, de ces centaines de suspects entassés dans les prisons, 'qu'allait-on faire ? Quelles étaient les dispositions des hommes politiques ? La Commune, en général, et Robespierre, en particulier, étaient disposés, nous ne dirons pas à tout faire, mais à tout laisser faire. L'Assemblée serait-elle capable de rien empêcher ? Les Girondins avaient horreur de la violence et de la cruauté, et ils étaient en majorité dans le ministère ; mais le ministère était réduit à l'impuissance par la faute de la Constituante, qui, dans l'excès de sa réaction contre la centralisation monarchique, n'avait pas seulement restitué aux communes ce qui doit leur appartenir, mais leur avait donné une partie des attributions qui doivent rester au pouvoir central. Le chef même de la Commune de Paris, le maire Pétion était annulé de fait par le Conseil général, et le commandant de la garde nationale, Santerre, beau-frère du plus violent des meneurs de la Commune, de Panis, l'ami de Marat, n'obéissait ni au maire, ni au ministre de l'intérieur. Les ministres girondins n'avaient aucune force militaire sous la main, et ne pouvaient rien, si Danton ne leur prêtait son influence sur les masses. Mais que ferait Danton ? Il sentait que ses collègues se défiaient de lui, et,
d'ailleurs, il ne voulait point de lutte entre révolutionnaires pour sauver
les ennemis de la Révolution. Le mot fatal de Barnave, lors des premiers
meurtres en 89, lui revenait en mémoire : — Ce sang
est-il donc si pur, qu'on n'ose le verser ? et il oubliait la grande
parole de Rousseau : — C'est une maxime exécrable
que de dire qu'il est permis de sacrifier un innocent pour le salut du peuple.
Il tâchait de se persuader ce qu'il dit le lendemain : — Il n'y a pas là un seul innocent. Il croyait tout permis contre les ennemis de la Révolution, et il allait donner le plus effrayant exemple de ce que peut devenir l'homme le mieux doué, le plus généreux même, s'il se gouverne par les passions et non par les principes. A quels alliés, grand Dieu ! allait-il s'associer, et de quelles œuvres allait-il accepter la solidarité ! Il sembla un instant que tout s'unissait devant la patrie en danger. Pendant que l'Assemblée discutait la motion conciliante de Thuriot, Manuel annonçait à la Commune le siège de Verdun, et faisait voter par le Conseil général une proclamation qui convoquait tous les citoyens au Champ de Mars, pour former une armée de 60 000 hommes et marcher sur-le-champ à l'ennemi. Le Conseil général arrêta qu'à l'instant le canon d'alarme serait tiré, le tocsin sonné et la générale battue, et dépêcha des commissaires à l'Assemblée nationale pour la prévenir des mesures qu'il venait de prendre. La Commune, par cette démarche, faisait, de son côté, un pas vers l'Assemblée. L'Assemblée ne pensait plus qu'à Verdun et à l'invasion. Vergniaud félicita la Commune de ses résolutions énergiques, l'invita à se concerter avec les ministres, et, s'écriant qu'il n'était plus temps de discourir, il appela le peuple au camp décrété, mais non encore formé, sous Paris. Danton remplaça Vergniaud à la tribune : Que quiconque, dit-il, refusera de servir de sa personne, ou de remettre ses armes, soit puni de mort ! Le tocsin qu'on va sonner, c'est la charge sur les ennemis de la patrie ! Pour les vaincre, il faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, et la France est sauvée ! Lacroix ami de Danton, demanda qu'on punit aussi de mort ceux qui refuseraient d'exécuter ou qui entraveraient les actes du pouvoir exécutif. C'était la dictature au ministère, du moins quant aux mesures d'exécution. Cette motion, la veille, eût pu tout sauver, si elle eût été présentée par les deux têtes du ministère, Danton et Roland réunis ; mais elle venait trop tard ; Roland n'était pas là, et Danton avait son parti pris. L'Assemblée renvoya ces motions à la Commission des Vingt-et-un, pour qu'elle lui en présentât une nouvelle rédaction à six heures. Il était deux heures, Danton s'en alla au Champ de Mars, prêcher au peuple la levée en masse et la marche aux frontières. Sa voix tonnante dominait le tocsin et le canon, qui retentissaient au loin dans Paris. La Commune venait de fermer les barrières et d'arborer le drapeau noir sur l'Hôtel de Ville. Les volontaires défilaient à. la barre de l'Assemblée. Le bruit que Verdun était pris redoublait l'exaltation populaire. Les enrôlements, qui étaient, dans ce moment, de 1.500 à 2.000 hommes par jour, doublèrent le 2 septembre. Un vieillard de la section des Lombards avait quatre fils ; ils lui demandèrent la permission de partir tous quatre. — Allez, et battez-vous bien ! — Le bataillon partit. Le père ne voyait déjà plus ses enfants, mais il voyait encore le drapeau. — Mon Dieu, dit-il, comme ce drapeau s'éloigne vite !... Je suis trop vieux, je ne puis le suivre. — Comment ferez-vous pour vivre sans vos enfants ? lui demanda-t-on. — La patrie aura soin de moi. Paris présentait, à deux heures, un spectacle sublime ; une heure après, il commença d'être un théâtre d'horreur. La fureur se mêlait à l'enthousiasme populaire. Mais eût-elle abouti à des crimes, si des hommes pervers ne l'eussent organisée et dirigée ? Le complot d'où sortit la Saint-Barthélemy est connu dans ses moindres détails : il n'en est pas de même quant à l'origine des massacres de Septembre. On discute encore aujourd'hui s'ils ont été concertés à l'avance. La Commune n'a jamais délibéré là-dessus ; il n'y en a pas trace dans ses procès-verbaux. Mais la Commune s'était donné, sous le nom de Comité de surveillance, une sorte de pouvoir exécutif qui annulait l'autorité du maire. Il y avait là un avocat sans talent, mais fort dangereux, nommé Panis, qui était l'homme de Marat, et un artiste graveur, Sergent, qui n'avait point eu jusque-là mauvais renom, mais que la passion rendait capable des plus criminels entraînements ; les autres étaient des hommes vulgaires et violents, sans scrupules et sans pitié. Panis, qui menait le reste, se fit autoriser par la Commune à compléter son comité par trois nouveaux membres. Au lieu de trois, il en ajouta six, dont trois n'étaient pas de la Commune, et vinrent s'imposer eux-mêmes. L'un des trois était Marat. Ceci se passait dans la matinée du 2 septembre. Qu'il y eût ou non jusque-là un projet arrêté, à partir de ce moment, il n'y a plus pour nous de doute possible. Le Comité de surveillance s'entendit avec les pires des membres de la Commune, et se mit en rapport par ses affidés avec quelques-unes des sections, où furent présentées des motions exterminatrices. La section Poissonnière vota la mise à mort de tous les conspirateurs renfermés dans les prisons d'Orléans et de Paris, avant le départ pour la frontière. La section du Louvre adhéra à ce vote. La section du Luxembourg prit, de son côté, la même décision. Deux sections votèrent seulement la motion de faire marcher à l'ennemi, avec les volontaires parisiens, les ci-devant nobles et financiers et les signataires de la pétition contre le 20 Juin. Entre deux et trois heures, un détachement de fédérés avignonnais et marseillais vint chercher au dépôt de la mairie (aujourd'hui la Préfecture de police) une vingtaine de prêtres réfractaires pour les transférer à la prison de l'Abbaye (détruite il y a quelques années). Le dépôt de la mairie était tout auprès du lieu où siégeait le Comité de surveillance. Cette translation, selon toute apparence, s'opéra d'après l'ordre du Comité, et les hommes chargés de servir d'escorte avaient été choisis exprès. Ces hommes, pendant la route, ne cessèrent d'exciter le peuple contre les gens qu'ils conduisaient. Ils criaient que c'étaient là les complices de l'étranger ; ils offraient leurs sabres et leurs piques à qui voudrait en faire justice. La foule invectiva les prisonniers, mais ne les toucha point, Les hommes de l'escorte commencèrent à lancer des coups de pique et de sabre dans les voitures qui renfermaient les détenus. Un de ceux-ci, exaspéré, répondit par un coup de canne. L'homme qu'il avait touché lui passa son sabre au travers du corps. Ce fut le signal. Les voitures entraient en ce moment dans la cour de l'Abbaye. Les prisonniers furent massacrés, soit dans les voitures, soit en cherchant à s'échapper. Trois ou quatre prêtres réussirent à se réfugier dans le local du comité de la section des Quatre-Nations. On les poursuivit. L'un d'eux fut reconnu par un des membres du comité. Vous passerez sur mon corps pour aller jusqu'à lui, cria-t-il. C'est l'abbé Sicard, un des hommes les plus utiles à son pays. C'était, en effet, le successeur de l'illustre abbé .de l'Épée dans l'art bienfaisant qui rend à la société les malheureux sourds et muets. Les bourreaux de ses compagnons accoururent tous l'embrasser. Ils n'en continuèrent pas-moins à s'acharner contre d'autres victimes. Des gens du quartier étaient venus grossir la première bande. Une partie se détachèrent pour aller aux Carmes de la rue de Vaugirard. L'Assemblée, par son décret du 26 août, avait ordonné de délivrer des passeports aux prêtres réfractaires qu'elle bannissait ; mais le Comité de surveillance de la Commune avait fait conduire ceux de Paris, les uns après les autres, aux Carmes et au séminaire de Saint-Firmin, en attendant, disait-il, qu'on les expédiât tous ensemble à la frontière. On a toujours soupçonné là une arrière-pensée sinistre. Il y avait aux Carmes plus de cent cinquante ecclésiastiques, et, parmi eux, l'archevêque d'Arles et les évêques de Saintes et de Beauvais. L'archevêque d'Arles était particulièrement haï, parce que sa ville avait été le foyer du parti contre-révolutionnaire en Provence. Les trois prélats et cent vingt prêtres furent tués à coups de fusil, à coups de sabre, dans le jardin des Carmes. Ils eussent pu échapper à la mort en prêtant le serment civique. Tous refusèrent. La réunion de ces prêtres autour de leurs évêques les avait exaltés, confirmés dans leur résolution. Le point d'honneur soutint ceux chez lesquels la foi n'eût peut-être pas suffi. Jusque-là, cette querelle du serment constitutionnel, suscitée par quelques changements de pure forme, ce nouveau parti religieux dont les chefs les plus bruyants étaient le cardinal de Rohan et l'abbé Maury, ne semblaient guère qu'une intrigue politique ; mais, après que les victimes des Carmes et tant d'autres eurent préféré la mort au serment, bien des gens, en France et en Europe, ne s'inquiétèrent plus de l'origine de la querelle et oublièrent les intrigants pour ne plus voir que les martyrs. Une cause pour laquelle on meurt impose le respect et bientôt la sympathie. Les furieux et les insensés qui égorgeaient ou faisaient égorger ces prêtres travaillaient pour la contre-révolution. Ils la relevaient moralement ; elle avait, grâce à eux, ses martyrs dans Paris ; elle allait bientôt avoir ses héros dans la Vendée. Aucune force publique n'avait paru. Le ministre de l'intérieur Roland, aux premiers symptômes menaçants, avait écrit au maire et au commandant de la garde nationale ; mais Santerre ne bougeait pas, ou du moins il ne s'occupait de protéger que la prison du Temple. Pendant ce temps, le Comité de surveillance faisait placarder une proclamation, probablement extraite de l'adresse de Robespierre aux sections, et qui accusait le ministère de trahison. A la lecture de cette proclamation, la section de l'île Saint-Louis, présidée par un jeune homme courageux qui avait été secrétaire de la Commune avant le 10 août et qui devint un homme illustre longtemps après, Royer-Collard, envoya une députation à l'Assemblée pour lui demander s'il était vrai, comme le prétendait la Commune, que le ministère eût perdu la confiance de la Nation. L'Assemblée, indignée, répondit, unanimement : Non ! non ! Dans ce moment même, une bande tumultueuse se portait au ministère de l'intérieur en criant à la trahison contre les ministres. Le Comité de surveillance n'osa mettre à exécution les mandats d'arrêt qu'il avait préparés contre Roland, Brissot et plusieurs des Girondins. Que faisait cependant la Commune ? A la première nouvelle du massacre, elle nomma des commissaires afin d'aller protéger les prisonniers pour dettes ou pour causes civiles. C'était abandonner au couteau les détenus politiques. Un peu plus tard, néanmoins, elle se décida à expédier à l'Abbaye deux autres commissaires, avec charge de veiller à la conservation des prisonniers. L'un des deux revint déclarer que les citoyens enrôlés, craignant de laisser la ville au pouvoir des malveillants, ne voulaient point partir avant que tous les scélérats du 10 Août fussent exterminés. Les massacres avaient recommencé à l'Abbaye. La Commune dépêcha des commissaires à l'Assemblée nationale, pour lui demander quelles mesures on pourrait prendre afin de garantir les prisonniers. La Commune avait, beaucoup plus que l'Assemblée, les moyens de prendre ces mesures. Elle en prit une qui ne pouvait servir qu'à entraver l'évasion des victimes : c'était d'autoriser les sections à empêcher l'émigration par la rivière. Billaud-Varennes dénonça à la Commune la conspiration d'un parti puissant pour faire roi le duc de Brunswick à la place de Louis XVI. Robespierre appuya Billaud-Varennes, inculpa la Gironde et dénonça nominativement Brissot. Le Comité de surveillance, sans respect pour les droits de la représentation nationale, fit faire, le lendemain de grand matin, une perquisition chez Brissot. Il va sans dire qu'on ne trouva rien. On n'osa l'arrêter. L'Assemblée nationale, avertie quand le massacre était terminé aux Carmes, avait envoyé des commissaires à l'Abbaye. Ils arrivèrent au milieu de scènes dont la nuit redoublait l'horreur. On y égorgeait des prisonniers de toutes conditions : officiers et sous-officiers suisses, gardes constitutionnels du roi, prêtres et laïques. La voix des représentants du peuple fut entièrement impuissante. Manuel, le procureur de la Commune, qui venait de sauver Mme de Staël arrêtée dans la rue, ne fut pas mieux écouté que les députés, quoiqu'il se bornât à conjurer les massacreurs de ne point frapper au hasard innocents et coupables. Enfin, un arrêté du Comité de surveillance, signé Panis et Sergent, obtint meilleur accueil : il y était enjoint de juger tous les prisonniers de l'Abbaye. Le Comité s'avisait un peu tard de mettre de l'ordre dans l'extermination. Un homme qui avait probablement suggéré cette résolution, Maillard, qui avait conduit les femmes à Versailles au 5 octobre, était présent. Les massacreurs l'acclamèrent président. Il désigna douze juges parmi les gens du quartier, et installa son étrange tribunal. Ce qui restait de détenus après l'extermination des Suisses, des gardes du roi et des fabricateurs de faux assignats, recouvrait une chance de salut. Il y eut, pour cette dernière catégorie, plus d'acquittements que de condamnations. Quarante-trois malheureux furent sauvés. Les mêmes égorgeurs, qui se jetaient comme des bêtes féroces sur les condamnés, reconduisaient les acquittés à leurs familles avec des démonstrations d'allégresse et refusaient de rien accepter de leur reconnaissance. Ils ne refusèrent pas de même le sanglant salaire que Billaud-Varennes vint leur promettre, en les félicitant d'avoir si bien travaillé. Les comités des sections furent obligés d'acquitter leur solde ! La plus notable des victimes de l'Abbaye fut l'ancien ministre Montmorin. Il n'était pas justiciable de tels juges, mais une haute cour l'eût condamné. Parmi les acquittés, deux vieillards, très engagés dans la contre-révolution, et dont les fils étaient avec les émigrés, avaient été sauvés par leurs filles. Le dévouement filial de Mlles Cazotte et de Sombreuil est resté célèbre. Des Marseillais, touchés de l'héroïsme avec lequel Mlle Cazotte disputait son père aux bourreaux, l'aidèrent à entraîner les juges. Quant au vieux Sombreuil, le gouverneur des Invalides, ce fut le président du tribunal, le terrible Maillard lui-même, qui vint en aide à sa courageuse fille. Innocent ou coupable, dit-il, je crois qu'il serait indigne du peuple de tremper ses mains dans le sang de ce vieillard. Il n'est pas vrai qu'on ait fait boire un verre de sang à Mlle de Sombreuil. Maillard fit acquitter un autre royaliste, en disant : Ce n'est pas pour juger les opinions que nous sommes ici, mais pour juger les actes. Cette prétention d'être l'organe de la justice et du droit au milieu de telles monstruosités, est peut-être ce qu'il y a de plus effrayant dans les journées de Septembre. Le fanatisme politique conduit aux mêmes aberrations que le fanatisme religieux. Le carnage, dans cette nuit sinistre, s'étendit de prison en prison. Le Châtelet et la Conciergerie furent envahis à leur tour. Les meurtriers tuaient ailleurs des contre-révolutionnaires : ils vinrent ici tuer des voleurs en bien plus grand nombre que les détenus politiques. Les massacreurs entendaient à leur façon purger la société. La prison de la Force fut assaillie ensuite. Il y avait là des femmes, des dames de la cour. On les fit sortir, sauf une seule ; ainsi qu'une partie des hommes, à condition que ceux-ci s'enrôlassent dans l'armée ; puis on installa un tribunal improvisé comme à l'Abbaye. Mais, là, ce furent des membres de la Commune qui présidèrent : Hébert, le rédacteur du Père Duchesne, et trois ou quatre autres. Les malheureux qui comparurent devant l'infâme Hébert durent regretter de n'avoir point affaire à Maillard. La seule dame qui n'eût pas été élargie était une amie intime de la reine, Mme de Lamballe. On la haïssait fort, parce qu'elle passait pour la conseillère et l'agent principal des menées de Marie-Antoinette. Elle ne méritait pas cette haine. C'était une femme douce et timide, qui ne s'était quelque peu mêlée de politique que par dévouement et obéissance pour la reine. Bien des gens eussent voulu la sauver ; mais Hébert n'y aida pas, et la pauvre femme n'avait ni l'énergie, ni la présence d'esprit de Mlle Cazotte ou de Mlle de Sombreuil. Elle ne trouva rien pour sa défense, ne put se décider à racheter sa vie en jurant haine à ceux qu'elle aimait, au roi et à la reine, mit la main sur ses yeux et se laissa traîner à la mort. Ses bourreaux portèrent sa tête sous les fenêtres du Temple pour la montrer à Louis XVI et à Marie-Antoinette ! Le meurtre de Mme de Lamballe eut lieu dans la matinée du 3. Le même jour, les égorgeurs allèrent tuer des voleurs à la tour Saint-Bernard et des prêtres à Saint-Firmin, dans le quartier du Jardin des Plantes. Un jeune homme destiné à une grande illustration dans les sciences, Geoffroi-Saint-Hilaire, avait sauvé, la nuit, douze prêtres de Saint-Firmin, dont quelques-uns avaient été ses professeurs. Sur le faux bruit que les prisonniers de Bicêtre se révoltaient, les massacreurs s'y portèrent. Dans ce vaste dépôt du vice et de la misère étaient renfermés quelques centaines de vagabonds et de malfaiteurs, et, auprès d'eux, de tout jeunes gens, presque des enfants, détenus seulement à correction. Les massacreurs tuèrent les uns et les autres. Ivres de sang et de vin, ils étaient devenus comme fous. Ils allèrent ensuite à la Salpêtrière, où l'on détenait des filles publiques. Ils en tuèrent quelques-unes et firent sortir les autres pour se livrer à des orgies avec elles. Les brigands se mêlaient maintenant aux fanatiques et le pillage se joignait au meurtre. L'aspect de Paris offrait des contrastes monstrueux, incompréhensibles. Le mouvement enthousiaste des enrôlements, des volontaires défilant en armes à la barre de l'Assemblée, continuait à côté des massacres. Les journaux, même girondins, étaient comme stupéfiés ou paraissaient admettre qu'une conspiration de prison avait provoqué la vengeance populaire. Brissot seul resta ferme et digne dans son Patriote français du 3. L'Assemblée sentait son impuissance et, dans la matinée du 3, elle ne tenta rien. Les massacreurs étaient peu nombreux, quelques centaines seulement ; mais la foule semblait les autoriser en les regardant faire. La garde nationale ne paraissait pas. Son commandant Santerre ne lui donnait pas d'ordres ; mais était-il besoin d'ordres ? — Il y eut de la stupeur chez beaucoup, de la lâcheté chez certains ; cela ne suffit pas à expliquer une inaction semblable ! Il faut dire le vrai : Paris partagea un moment, jusqu'à un certain point, le crime de Danton. Paris, ainsi que Danton, ne tua pas, mais ne se décida point à lutter pour empêcher qu'on tuât ceux qu'il appelait ses ennemis ! Et la grande cité et le grand révolutionnaire devaient cruellement expier ce coupable égarement ! Le 3 au soir, l'Assemblée essaya de réagir. Sur la demande
des ministres, elle enjoignit à la municipalité, au conseil général de la
Commune et au commandant de la garde nationale de faire
respecter la sûreté des personnes et des propriétés, et adressa au
peuple une proclamation où elle disait : Il n'y a
plus de liberté ni de patrie là où la force prend la place de la loi. Elle envoya aux départements une lettre de Roland, où le ministre de l'intérieur protestait contre les hommes qui répandent la défiance, sèment les dénonciations, excitent la fureur, dictent les proscriptions. Il y parlait des événements dans des termes qui montrent quel bouleversement il y avait dans les esprits. Hier, dit-il, fut un jour sur les événements duquel il faut peut-être laisser un voile ; je sais que le peuple, terrible en sa vengeance, y porte encore une sorte de justice... mais je sais qu'il est facile à des scélérats d'abuser de cette effervescence et qu'il est du devoir des autorités constituées d'y mettre un terme, ou de se regarder comme anéanties. Je sais aussi que cette déclaration m'expose à la rage des agitateurs. Eh bien, qu'ils prennent ma vie !... Il faisait entendre que, si la sécurité et la liberté ne se rétablissaient pas dans Paris, les sages et les timides se réuniraient pour établir la Convention ailleurs. Ces paroles ide Roland furent le point de départ de l'accusation de fédéralisme portée plus tard contre ses amis et lui. Tandis que Roland déclarait qu'il fallait arrêter à tout prix le carnage, Danton, chez lui, au ministère de la justice, laissait échapper un mot fatal : C'était nécessaire ! Et il faisait ou il subissait quelque chose de plus fatal encore. Marat lui envoyait, au nom du Comité de surveillance, une circulaire qu'il avait probablement rédigée à lui seul et où il disait ce qui suit : La Commune de Paris se hâte d'informer ses frères des départements qu'une partie des conspirateurs féroces détenus dans les prisons a été mise à mort par le peuple : actes de justice indispensables pour contenir les traîtres par la terreur. Sans doute, la nation entière s'empressera d'adopter ce moyen si nécessaire de salut public. Danton, déférant à l'invitation de Marat, laissa partir cette pièce sous le couvert du ministère de la justice ! La circulaire de Marat ne produisit pas tout ce qu'il en espérait ; il n'y eut point une Saint-Barthélemy dans toute la France. Il se commit pourtant des meurtres dans quelques villes et la responsabilité en retomba sur Danton comme sur Marat lui-même. Le lendemain, la Commission des Vingt-et-un, ignorant encore la connivence du ministre de la justice, lui proposa résolument l'arrestation de Marat. Danton refusa, en même temps qu'il obligeait le Comité de surveillance à supprimer le mandat d'arrêt préparé par Marat contre Roland. Même en mettant sa main dans la main sanglante du chef des égorgeurs, il entendait rester fidèle à son système d'empêcher la lutte entre révolutionnaires. Il ne voulait pas voir qu'il tuait son système et qu'il creusait un abîme entre lui et les Girondins. Un mouvement de réaction commençait à se prononcer dans Paris, à mesure que se répandaient les horribles détails des massacres. Des commissaires envoyés par l'Assemblée dans les sections, le 4 au matin, y furent très bien accueillis. Dans la section du Luxembourg, naguère si violente, on protesta contre les calomnies de Robespierre à l'égard de l'Assemblée. A l'ouverture de la séance du 4, l'Assemblée, en réponse à l’accusation de vouloir faire roi le duc de Brunswick, jura haine à la royauté. La Commission des Vingt-et-un, par l'organe de Vergniaud, déclara qu'elle donnait sa démission devant les calomnies dont elle était l'objet. Eh quoi ! s'écria l'énergique Cambon, vous venez de jurer que vous combattriez les rois et la royauté, et déjà vous courbez la tète sous une tyrannie, celle de la Commune ! L'Assemblée, à l'unanimité, refusa la démission des Vingt-et-un . Roland écrivit, cette fois très rudement, à Santerre, en le rendant responsable de tout attentat commis sur un citoyen quelconque. Santerre répondit en protestant de la douleur que lui causaient les excès auxquels on s'était livré et alla faire un discours sentimental à la Commune, qui, de son côté, avait publié une proclamation sur la nécessité de s'en remettre à la loi pour frapper les coupables ; mais Santerre n'en exécuta pas davantage les ordres de Pétion ni ceux de Roland. Le Temple seul fut sérieusement protégé, parce que personne, même à la Commune, ne voulait le meurtre du roi, qu'on regardait alors comme un otage. Dans les autres prisons, après le grand carnage du 2 au 4 septembre, il y eut encore quelques meurtres jusqu'au 6. Pétion, après avoir parlé contre les massacreurs à l'Hôtel de ville, aux applaudissements même des tribunes, alla par deux fois les chasser de la Force. Ils y revinrent quand il fut parti, Santerre n'ayant point envoyé de poste. Du 2 au 6 septembre, il avait péri plus de treize cents personnes, dont un tiers tout au plus étaient des victimes politiques. Le reste étaient des détenus pour crimes ou délits de droit commun. Cet effroyable drame eut un dernier acte hors de Paris. Nous avons dit que la Commune avait réclamé arrogamment de l'Assemblée que les accusés déférés à la haute Cour d'Orléans fussent jugés à Paris par le tribunal du 17 août. L'Assemblée n'ayant pas consenti à dessaisir la haute Cour, les meneurs de la Commune avaient dépêché à Orléans une troupe de gens armés, sous prétexte d'empêcher un complot pour la délivrance des prisonniers. Il y avait parmi ces accusés un ancien ministre des affaires étrangères, Delessart, poursuivi à cause de ses ménagements envers l'Autriche ; un ancien ministre de la guerre, d'Abancourt, poursuivi pour avoir désobéi à l'Assemblée, qui lui avait ordonné d'éloigner de Paris le régiment suisse qui combattit au 10 Août ; l'ancien commandant de la garde constitutionnelle du roi, M. de Brissac, et un certain nombre d'officiers et de bourgeois accusés d'avoir voulu appeler les troupes espagnoles à Perpignan. L'Assemblée ratifia après coup le départ des gens envoyés par la Commune et les chargea de garder les prisonniers (26 août). Le 2 septembre au soir, voulant empêcher qu'on ne traitât les détenus d'Orléans comme ceux de Paris, elle ordonna leur translation à Saumur. Les chefs de la bande envoyée par la Commune dirigèrent les prisonniers non sur Saumur, mais sur Paris. Tout ce que put faire le ministre de l'intérieur, quand il sut les prisonniers arrivés à Étampes, ce fut d'obtenir qu'on les détournât sur Versailles. On n'y gagna rien. Des massacreurs accoururent de Paris à Versailles, se renforcèrent de ce qu'il y avait de 'plus violent dans cette ville, et l'escorte livra ses prisonniers. Quarante-quatre furent tués sur la place (9 septembre). Les hommes de Marat mirent leur œuvre sous le couvert de Danton. La bande, revenue de Versailles, vint acclamer Danton sous ses fenêtres ; il n'eut pas le courage de s'abstenir, et, s'enfonçant avec une sorte de vertige dans sa complicité, il leur dit : Ce n'est pas le ministre de la justice, c'est le ministre de la Révolution qui vous remercie ! Séparer la justice de la Révolution, qui, dans son principe, était la justice même, c'était mettre le chaos dans les idées comme dans les faits. Cependant, même dans ces heures 'criminelles et honteuses, Danton gardait toujours au fond la même pensée. Tandis qu'il acceptait, dans le massacre des contre-révolutionnaires, cette solidarité qui pèse à jamais sur sa mémoire, il sauvait un des initiateurs, un des pères de la Révolution, qu'elle avait pris en haine parce qu'il avait voulu l'arrêter dans sa marche ; c'était Adrien Duport, un des membres les plus éminents de la Constituante. Danton arracha Duport des mains de Marat, et cela dans un moment où Marat était plus forcené et plus fou d'orgueil que jamais. Il venait d'être élu député à la Convention. Paris eut cette honte, grâce à un règlement imposé aux électeurs parisiens par la Commune, sous l'influence de Robespierre. La Commune avait prescrit le vote à haute voix et la publicité des séances du corps électoral. Robespierre fit de plus exclure du corps électoral les signataires de la pétition contre le 20 Juin. Les élections de premier degré s'étaient opérées au milieu de terribles préoccupations et l'on avait peu voté. Une minorité violente domina l'assemblée des électeurs de second degré, qui se tint dans la salle des Jacobins, sous la pression de leurs tribunes. Robespierre fut élu le premier des vingt-quatre députés de Paris. Marat passa le septième. Danton et Camille Desmoulins avaient passé, il est vrai, avant lui. Le plus grand nombre des députés de Paris appartinrent aux Jacobins extrêmes, au parti de la Commune ; Panis, Sergent, Billaud-Varennes, Tallien, Fréron, Collot-d'Herbois en furent. Aux massacres dans Paris succédait le pillage, sinon dans les maisons, au moins dans la rue. Des voleurs, se faisant passer pour agents municipaux, dévalisaient les passants en plein jour, sous prétexte de les obliger à des dons patriotiques, ou en criant sur eux : A l'aristocrate ! Les agents de la Commune commettaient eux-mêmes toutes sortes de violences et de déprédations, non seulement dans Paris, mais dans les départements où la Commune avait expédié des commissaires, dans l'intérêt, disait-elle, du salut public. L'autorité étant anéantie, comme l'avait dit Roland le 3 septembre, les citoyens, résolus enfin à se défendre eux-mêmes, se mirent à s'associer pour se garantir les biens et la vie. Plusieurs sections, celle de l'Abbaye en tête, donnèrent le signal. En province aussi, l'on résista et l'on arrêta sur quelques points les envoyés de la Commune. L'Assemblée commençait à se rassurer par les nouvelles des départements, où les élections étaient favorables aux Girondins. Roland, Cambon, Vergniaud la poussèrent à montrer de la vigueur. Dans la séance du 17, Vergniaud fut magnifique. Il éclata avec une généreuse indignation contre les nouvelles arrestations par lesquelles les agents de la Commune semblaient préparer un nouveau massacre. — Il est temps de briser ces chaînes honteuses ! — Que m'importent leurs poignards et leurs sicaires ! — Qu'importe la vie aux représentants du peuple, quand il s'agit de son salut ! Périsse l'Assemblée nationale et sa mémoire, pourvu que la France soit libre ! L'Assemblée et les tribunes se levèrent et acclamèrent d'un élan unanime. L'Assemblée demanda compte à la Commune des nouveaux mandats d'arrêt qu'elle avait décernés ou fait décerner par ses agents. Elle défendit aux municipalités d'envoyer désormais des commissaires hors de chez elles. Elle demanda compte à la Commune et aux sections des objets précieux saisis dans les églises et dans les maisons royales et particulières. Le cri public accusait des dilapidations énormes. L'Assemblée décréta la peine de mort contre quiconque prendrait indûment l'écharpé municipale. Ceci atteignait les agents subalternes de la Commune. La Commune ploya, cette fois, pour tout de bon. Pétion y reprit le dessus sur Panis. Les membres intrus qui, le matin du 2 septembre, s'étaient introduits dans le Comité de surveillance, Marat et deux autres, en furent exclus. La Commune demanda elle-même à l'Assemblée d'avancer la réélection partielle de ses membres qu'ordonnait la loi. L'Assemblée ne se contenta pas de cette demi-mesure. Elle ordonna la réélection totale de la Commune ; elle réserva désormais au maire la signature des mandats d'arrêt, interdit toute perquisition pendant la nuit, hors le cas de flagrant délit, et autorisa tout citoyen, dont on violerait le domicile de nuit, à résister par la force. Ces principes sont restés ceux de notre législation en matière de liberté individuelle. Enfin, dans la ville où le Corps législatif tiendrait ses séances, quiconque, sans ordre, ferait sonner le tocsin et tirer le canon ; d'alarme, devrait être puni de mort (20 septembre). La Législative, qui allait finir, s'efforçait de protéger la Convention, qui allait naître. Ce jour-là même, 20 septembre, les nouveaux représentants du peuple se réunirent en séance préparatoire aux Tuileries, dans la salle des Cent-Suisses. Pétion fut élu président à la presque unanimité ; tout le bureau fut pris parmi les Girondins. Le 21, la Convention nationale notifia officiellement son existence à l'Assemblée législative. La Législative vint saluer son héritière aux Tuileries. Cent quatre-vingt-trois de ses membres retrouvaient place dans la nouvelle Assemblée. La Législative avait terminé sa carrière orageuse et tourmentée ; la Convention allait en parcourir une bien autrement tragique et terrible. La Législative, au milieu des agitations politiques, avait voté des lois qu'il n'est pas permis d'oublier. Elle avait préparé l'abolition de l'esclavage, en supprimant la prime en faveur de la traite des noirs (11 août). Elle avait encouragé le commerce par des primes et les découvertes utiles à l'agriculture par des récompenses. Elle avait aboli l'institution aristocratique des substitutions de biens, supprimé définitivement le droit d'aînesse et fait disparaître toute inégalité entre les enfants (25 août, 2 septembre). Elle avait ordonné le percement d'un canal de jonction du Rhône au Rhin (6-17 septembre). Elle avait retiré au clergé la constatation légale des principaux -actes de la vie : de la naissance, du mariage et de la mort, et organisé l'état civil dans les municipalités (20-21 septembre). Elle avait décrété et réglementé le divorce (13 septembre), grave question sur laquelle nous aurons à. revenir. La Convention nationale s'installa provisoirement dans la salle du Manège, aux Feuillants, que venait de quitter la Législative, en attendant que les Tuileries fussent préparées pour recevoir l'assemblée républicaine qui remplaçait les rois. Dans la première séance, Couthon protesta contre le bruit qu'il se formait un parti pour créer un triumvirat, une dictature ou un protectorat ; il proposa de jurer une haine égale à la royauté et à toute espèce de puissance individuelle contraire à la souveraineté du peuple. On se préoccupait, en effet, dans le public d'un prétendu triumvirat de Robespierre, Danton et Marat. Couthon était l'ami de Robespierre et parlait indirectement pour lui. Danton, à son tour, en renonçant aux fonctions de ministre pour celles de député, traita le triumvirat et la dictature d'absurdes fantômes et déclara qu'il ne pouvait exister de constitution que celle qui serait acceptée par la majorité des assemblées primaires. Puis il affirma qu'il s'agissait maintenant, avant tout, d'assurer la liberté et la tranquillité publiques. Jusqu'ici, dit-il, on a agité le peuple, parce qu'il fallait lui donner l'éveil contre les tyrans ; maintenant, il faut que les lois soient aussi terribles contre ceux qui y porteraient atteinte, que le peuple l'a été en foudroyant la tyrannie. — Déclarons que toutes les propriétés territoriales, individuelles et industrielles seront éternellement maintenues. C'était la vraie pensée de Danton qui éclatait ; les lois dont il avait sanctionné un moment la violation sanglante, il voulait les rétablir. Cette assemblée nouvelle, dont la majorité le regardait avec défiance, avec effroi, il eût voulu l'unir pour le salut public. Il voulait affermir, sur les bases naturelles et éternelles, la nouvelle société démocratique. Il protestait implicitement contre les déclamateurs, qui, autour de Marat, commençaient à attaquer le principe de la propriété. Il savait bien que la masse du peuple, les campagnes surtout, ne voulaient, par la Révolution, que rendre la propriété accessible au grand nombre, la fortifier en l'élargissant. Il soutenait la propriété au point de vue du fait ; un Girondin, Lasource, observa, au point de vue du droit, que la propriété individuelle était antérieure à toute constitution et au pacte social lui-même. La Convention déclara qu'il ne pouvait y avoir de constitution qu'après qu'elle aurait été acceptée par le peuple et que la sûreté des personnes et des propriétés était sous la sauvegardé de la nation. Grégoire, évêque constitutionnel de Blois, proposa que, par une loi solennelle, l'Assemblée consacrât l'abolition de la royauté. L'Assemblée se leva tout entière et rendit par acclamation le décret suivant : La Convention nationale décrète que la, royauté est abolie en France. La Convention décréta que tous les actes publics seraient désormais datés de l'an Ier de la RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. Les Principes de 89 avaient atteint leur dernière conséquence. Le pouvoir héréditaire, incompatible avec l'inaliénable souveraineté nationale, disparaissait après tous les autres privilèges. Quelques-uns des hommes politiques qui proclamèrent la République le 21 septembre 1792, les Condorcet, les Brissot, les Roland, les Camille Desmoulins, eussent voulu la donner à la France tin an plus tôt. Si la Constituante les eût écoutés au retour de Varennes, on eût évité le 10 Août et le 2 Septembre, et l'institution nouvelle qui remplaçait cette vieille royauté préposée, durant une si longue suite de générations, aux destinées de la France, la République fût née parmi de moins sombres présages. Le lendemain, arrivèrent à la Convention d'importantes nouvelles du théâtre de la guerre. L'armée prussienne et autrichienne avait été repoussée dans une première affaire générale contre l'armée française. Le sang de Valmy lavait le sang de l'Abbaye et de la Force, et un rayon de gloire éclairait le berceau de République. |