HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE DE 1789 A 1799

TOME PREMIER

 

CHAPITRE DIXIÈME.

 

 

L'ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (FIN). - LA JOURNÉE DU CHAMP DE MARS. - LA DÉCLARATION DE PILLNITZ. - ACHÈVEMENT DE LA CONSTITUTION.

Juin-septembre 1791.

 

Avant que le roi fût rentré aux Tuileries, l'Assemblée s'est occupée des mesures à prendre à son égard. Thouret, au non du comité de Constitution, avait proposé :

1° Qu'on donnât provisoirement au roi une garde qui, sou les ordres du commandant de la garde nationale, veillât à a sûreté et répondît de sa personne ;

2° Qu'on donnât provisoirement à l'héritier de la couronne une garde particulière, et que l'Assemblée lui nommât un gouverneur ;

3° Que tous ceux qui avaient accompagné la famille roy fussent arrêtés et interrogés, et que le roi et la reine fasse j entendus dans leur déclaration ;

4° Qu'il fût donné provisoirement une garde particulière la reine ;

5° Que, provisoirement, le sceau de l'État continuât d'è apposé par le ministre de la justice aux décrets de l'Assen blée nationale, sans qu'il fût besoin delà sanction et de l'acceptation du roi.

Le député royaliste Malouet protesta contre le projet de décret comme portant atteinte à la Constitution, qui avait déclaré la personne du roi inviolable.

Un député de la gauche répondit que le décret n'attaquait pas en principe l'inviolabilité du roi ; qu'il était seulement question de tenir le roi en état d'arrestation provisoire.

Ce terme d'arrestation du roi excita de grands murmures. Alexandre de Lameth et un autre député influent, tout en soutenant le décret, déclarèrent qu'ils voulaient la Constitution monarchique, et qu'ils croyaient que l'étendue et la grande population du royaume exigeaient la monarchie.

Thouret et Duport appuyèrent sur la distinction que marquait le décret entre l'interrogatoire des personnes accusées d'avoir concouru à l'enlèvement du roi, et la déclaration demandée au roi et à la reine. Ils indiquaient par là que le roi et la reine n'étaient pas considérés comme accusés. Le décret fut voté à la presque unanimité.

L'Assemblée, comme Brissot sut bien le dire dans son journal, le Patriote français, mettait ainsi les mots en contradiction avec les choses. Elle arrêtait le roi et la reine et n'en voulait pas convenir, de même qu'elle avait fait une Constitution républicaine tout en conservant le roi et le nom de monarchie.

Le public des tribunes n'avait pas applaudi, comme l'Assemblée, aux déclarations monarchiques des orateurs, et, sur la fin de la séance, une députation du département de l'Hérault vint lire, à la barre de l'Assemblée, une adresse où l'on reprochait au roi d'avoir violé son serment. La Nation indignement trompée, disait cette adresse, ne sollicitera pas de vous un acte de vengeance ; mais le monde attend de )us un grand acte de justice.

L'Assemblée termina la séance en licenciant les gardes du corps.

Il y eut, le lendemain, un nouveau débat sur l'application a décret du 25 juin. Duport, au nom des comités de l'Assemblée, proposa que les juges ordinaires procédassent à l'interrogatoire des personnes arrêtées à l'occasion de l'événement de la nuit du 20 juin, et que trois commissaires de l'Assemblée entendissent les déclarations du roi et de la reine.

Robespierre soutint que les juges ordinaires devaient être seuls chargés de toute l'information, sans exception pour le roi et la reine. Le roi, dit-il, premier fonctionnaire public, est un citoyen comptable à la Nation.

Duport répliqua que le roi n'était pas un citoyen ; qu'il était un pouvoir.

Duport ne niait pourtant pas que le roi pût être accusé ; car il ajouta qu'il ne s'agissait pas encore ici d'une action criminelle, mais seulement d'une action politique de l'Assemblée nationale contre le roi, sans rien préjuger.

Thouret, en effet, le 28 mars dernier, avait fait décider par l'Assemblée que la royauté était une fonction et que ses obligations devaient avoir une sanction pénale. La proposition de Duport fut votée.

Trois commissaires de l'Assemblée se transportèrent immédiatement aux Tuileries, où Louis XVI leur fit une déclaration suggérée par Barnave. Il s'y défendait fort d'avoir eu l'intention de sortir du royaume, et prétendait n'avoir eu aucun concert avec les puissances étrangères ni avec les émigrés. Il avait voulu, disait-il, rétablir la force du gouvernement et assurer sa liberté. Il avait reconnu, dans son voyage, que l'opinion publique était en faveur de la Constitution. — Ce n'était point, d'ailleurs, assura-t-il, contre les principes de la Constitution qu'il avait protesté.

La reine, avec un accent plus ferme, dit au fond les mêmes choses.

Louis XVI et Marie-Antoinette étaient bien, en réalité, prisonniers et gardés à vue dans leurs appartements.

L'opinion parisienne, en dehors de l'Assemblée, ne comprenait pas qu'il fût possible de faire remonter le roi sur ce trône constitutionnel qu'il semblait avoir abdiqué par sa fuite. Les plus modérés parlaient de faire roi le petit dauphin, idée très répandue dans l'Assemblée elle-même, et de nommer un régent. Le duc d'Orléans crut devoir publier dans les journaux une lettre où il déclarait renoncer, s'il était question de régence, aux droits que lui donnait la Constitution. Il entendit n'être qu'un simple citoyen.

Le duc d'Orléans, qui avait eu, la veille, l'inconvenance de se faire voir dans la foule sur le passage du triste cortège royal, tâchait de recouvrer sa popularité alors très compromise. Au mois de janvier dernier, il s'était avisé de réclamer au Trésor quatre millions, représentant le capital d'une rente que son bisaïeul le régent avait fait jadis donner en dot à une de ses filles par le petit roi Louis XV. Le duc d'Orléans prétendait hériter de sa grand'tante, quoiqu'elle eût renoncé à la succession du régent en faveur de son frère, et que les héritiers de ce frère n'eussent rien à réclamer sur ce don extorqué à un roi enfant. Le duc d'Orléans comptait par là se rembourser des grosses sommes que ses familiers tiraient de lui pour soudoyer des cabales.

L'Assemblée avait rejeté sa demande, et son avidité lui avait beaucoup nui auprès du peuple.

Malgré le grand événement de la fuite et de l'arrestation du roi, la majorité de l'Assemblée nationale entendait maintenir la Constitution qu'elle avait faite et conserver la royauté à la tête d'un gouvernement qui était, à tout autre égard, une vraie république. L'ancienne extrême gauche, le parti de Duport, Barnave et Lameth, s'était réunie à la majorité que dirigeaient les grands légistes, les Thouret, les Target, les Lechapelier, etc., principaux auteurs de la Constitution. Duport et Alexandre de Lameth avaient même fait plus que de se rallier à la majorité. Au commencement, la majorité inclinait fort à transférer la couronne au petit dauphin, et ce furent Duport et Lameth qui ramenèrent les comités (les bureaux) de l'Assemblée à la pensée de rétablir Louis XVI.

La majorité de gauche essaya de se réconcilier avec la minorité royaliste et aristocrate, avec la droite. Elle lui eût fait quelques concessions afin que la droite acceptât la Constitution, et qu'elle aidât à maintenir et la royauté et la paix avec les gouvernements étrangers.

Mais, comme le dit un écrivain royaliste, le marquis de Ferrières, les grands seigneurs, le haut clergé, les anciens membres du Parlement, les financiers, ne voulaient pas de la Constitution, quelques adoucissements qu'on pût y apporter : il leur fallait tout l'Ancien Régime. Pour qu'il restât une chance à l'Ancien Régime, ils préférèrent courir la chance de la ruine du monarque, la chance de leur propre ruine. Cazalès, le loyal et brillant orateur de la droite, perdant toute espérance, donna sa démission et partit pour l'émigration.

L'abbé Maury, qui avait les mêmes talents, mais non la même droiture que Cazalès, rédigea, de concert avec les plus violents et les plus déraisonnables des députés aristocrates r une protestation que signa toute la droite, deux cent quatre-i vingt-dix députés. Ils y déclaraient qu'ils ne reconnaissaient plus la légalité des décrets de l'Assemblée, et ne prendraient dorénavant aucune part aux délibérations qui n'auraient pas pour unique objet la défense du roi et de la famille royale.

Le 30 juin, l'Assemblée reçut du marquis de Bouillé une lettre datée de Luxembourg, où il s'était réfugié après l'affaire de Varennes ; il y signifiait à l'Assemblée qu'elle répondait des jours du roi et de la reine à tous les rois de l'univers ; que, si on leur ôtait un cheveu de la tête, il ne resterait pas pierre sur pierre à Paris ; que tout espoir de résister était chimérique. — Je connais les chemins, disait-il ; je guiderai les armées étrangères.

Cette lettre ne causa point de peur, mais une grande colère.

Le parti qui voulait arrêter et fixer la Révolution resta ains isolé entre deux autres partis, celui qui voulait abattre la Révolution avec l'aide des armées étrangères et celui qui voulait la continuer.

Toute conciliation étant-impossible avec la droite, la majorité persisterait-elle à maintenir le roi constitutionnel, à la fois contre les royalistes et contre les républicains ?

La Fayette était républicain au fond. Il avait dit au roi lui-même que, si le roi séparait sa cause de celle du peuple, il resterait, lui, du côté du peuple. Tl eût souhaité qu'une réunion des principaux députés, convoquée chez un de ses amis, M. de la Rochefoucauld, se décidât pour la République. Il n'en fut rien, et La Fayette, voyant l'Assemblée presque tout entière opposée à cette idée, se soumit à la majorité.

L'opinion, en dehors de l'Assemblée, n'allait pas dans le même sens. Les journaux et les clubs se déchaînaient de plus en plus contre Louis XVI. Danton, le 23 juin, avait dit aux Jacobins qu'il fallait interdire le roi comme imbécile, pour n'avoir pas à le déclarer criminel, et faire gouverner le royaume par un Conseil qu'éliraient les départements. Robespierre, plus dur sous des formes moins violentes, avait fait entendre que, puisqu'on poursuivait les complices de la fuite du roi, il fallait poursuivre le principal coupable.

Le 27 juin, un autre orateur demanda nettement que Louis XVI fût traduit devant un haut jury. Il ajouta que les Anglais avaient donné aux Français un grand exemple.

Il rappelait par là l'exécution de Charles Ier. D'autres Jacobins proposaient de nommer un régent.

Les Cordeliers, de leur côté, disaient et affichaient partout que Louis XVI n'était plus rien, et qu'il restait à savoir s'il était avantageux de nommer un autre roi.

Bonneville, dans son journal, la Bouche de fer, avait répondu à cette question : Le peuple souverain, en restant couvert devant le ci-devant roi, a sanctionné la République.

Cependant, les Jacobins, si hostiles à la personne de Louis XVI, retiraient encore la parole à ceux de leurs collègues qui demandaient la République (22 juin-1er juillet). C'était contraire, disaient-ils, à leur titre de Société des amis de la Constitution.

Le mouvement républicain les déborda.

Le 1er juillet, on afficha dans toutes les rues et jusque dans les corridors de l'Assemblée une Adresse aux citoyens, où l'on proposait la déchéance du roi et l'abolition de la royauté. Un certain nombre de députés demandèrent des poursuites contre l'auteur. La majorité affecta pour cette pièce un dédain qui cachait l'embarras et l'inquiétude, et passa à l'ordre du jour.

L'Adresse était l'ouvrage du publiciste anglais Thomas Paine, qui, après avoir très utilement servi la Révolution d'Amérique, était venu se mettre au service de la Révolution de France.

Thomas Paine provoqua Sieyès à une discussion publique sur la république et la monarchie. Sieyès avait récemment écrit qu'il y avait plus de liberté sous la monarchie que sous la république. Il montra, dans sa réponse à Thomas Paine, qu'il n'entendait pas ces deux mots comme tout le monde. Il entendait par république le gouvernement où le pouvoir exécutif est confié à plusieurs personnes, à un conseil, et par monarchie, le gouvernement où le pouvoir exécutif est confié à un seul. Il ne niait pas que l'hérédité du chef du gouvernement ne fût contraire aux vrais principes représentatifs, et ne se prononçait pour le maintien du roi héréditaire qu'en vue des circonstances et de l'opportunité. En théorie, c'était donc un président électif qu'il eût préféré.

Camille Desmoulins et Bonneville redoublèrent d'ardeur républicaine dans leurs journaux. Le 8 juillet, Pétion, aux Jacobins, parla contre le rétablissement de Louis XVI sur le trône. Le 10, Brissot, avec bien plus de talent et d'éclat, soutint que le roi devait être jugé ; il affirma que ceux qu'on ap• pelait républicains ne voulaient ni l'anarchie, ni la division de la France en petites républiques fédérées ; qu'ils voulaient l'unité de la patrie. Il n'y avait pas, suivant lui, à s'inquiéter de ce que feraient contre nous les rois de l'Europe. C'était à eux et non à la France de trembler.

Les Jacobins furent enlevés par ce discours et applaudirent avec transport. Les sociétés de province affiliées aux Jacobins leur avaient envoyé de nombreuses adresses animées d'un esprit républicain. La province poussait Paris. Mais c'était de Paris que beaucoup de ces sociétés avaient reçu l'impulsion donnée par la main d'une femme.

Cette femme était Mme ROLAND. C'était une Parisienne, fille d'artiste ; son père était graveur. Son nom de famille était Manon Phlipon. Elle avait épousé un homme beaucoup plus âgé qu'elle, qui lui avait inspiré une profonde estime et une solide affection par ses vertus, son savoir et son patriotisme. Roland de la Platière, inspecteur des manufactures, avait longtemps servi son pays par de patients travaux sur les intérêts économiques et industriels de la France ; il le servait maintenant sur le terrain de la politique en se dévouant à la Révolution. Sa femme s'associait avec enthousiasme aux opinions que Roland soutenait avec une gravité austère.

L'enthousiasme, chez Mme Roland, avait été uni, dès la première jeunesse, aux sérieuses méditations. Elle s'était tellement pénétrée des idées et des sentiments de Rousseau, qu'on pouvait dire qu'il lui avait transmis son âme et qu'elle était vraiment sa fille.

Mais, si elle avait hérité des idées et des sentiments de Rousseau, elle n'avait pas hérité de ses faiblesses. Elle était aussi forte, aussi maîtresse d'elle-même, de ses volontés, de ses actions, de son imagination, que Rousseau l'avait été peu, du moins pendant la première moitié de sa vie. Elle avait profité de ses leçons pour ne pas suivre ses exemples.

Elle avait, une première fois, fait entendre sa voix, sans dire son nom, lors de la fédération lyonnaise en 1790 ; puis, des environs de Lyon qu'elle habitait avec son mari, elle était arrivée avec lui à Paris, en février 1791. Leur petit salon, rue Guénégaud, près de la Monnaie, devint bientôt le rendez-vous des députés et des journalistes de l'opinion la plus avancée : Brissot, Pétion, Robespierre, Camille Desmoulins, Buzot, Grégoire, etc. Madame Roland exerçait au premier abord, sur tous, une attraction extraordinaire, et dont l'effet sur beaucoup, sur les meilleurs, ne cessa point jusqu'à la mort.

Elle avait alors trente-sept ans, mais paraissait beaucoup plus jeune. Sa physionomie expressive et animée produisait une plus vive impression qu'une beauté plus régulière. Son front ample et rempli de pensées semblait celui d'un homme de génie ; mais son gracieux visage et toute sa personne avaient bien le charme de la femme. Ses grands yeux si fiers et si doux entraient jusqu'au fond de l'âme. Tout en elle était force, bonté, honnêteté, et grâce faisant valoir tout le reste.

Ce fut, pour ainsi dire, l'idée même de la République qui prit corps dans cette femme. En elle se personnifia une seconde époque de la Révolution, qui n'était plus l'époque de la Constituante. Au delà de cette grande Assemblée qui avait renversé l'Ancien Régime, mais qui voulait encore maintenir un roi, madame Roland, dès son arrivée à Paris, avait aperçu autre chose dans l'avenir. Au moment de la fuite du roi, elle qui, jusque-là, s'était tenue modestement dans l'ombre derrière son mari, écrivit et fit écrire de tous côtés en province, pour pousser et les sociétés affiliées aux Jacobins et les assemblées primaires à réclamer que l'on consultât la France afin de savoir si l'on conserverait la royauté. Elle et son mari étaient décidés pour qu'on ne la conservât pas.

Beaucoup d'autres femmes agissaient alors très vivement dans Paris, les unes pour la royauté, les autres pour la république. Parmi celles qui pensaient comme madame Roland, il en est une digne d'être citée à côté d'elle pour la pureté morale, les idées élevées et le dévouement héroïque à la liberté et à la patrie. C'était madame de Condorcet.

Comme madame Roland et comme toutes les femmes de ce temps qui ne restèrent pas du côté du clergé et de l'Ancien Régime, madame de Condorcet était une élève de Rousseau.

Appartenant non à la petite bourgeoisie, comme madame Roland, mais à la noblesse pauvre, elle avait été destinée à être religieuse ; mais elle avait passé à la philosophie en épousant un philosophe, lui aussi noble sans fortune, et aussi, comme Roland, beaucoup plus âgé que sa femme. Mais Condorcet était de ces hommes qui, animés d'une flamme intérieure sous une apparence de froide réserve, restent jeunes toute leur vie.

Condorcet, le biographe de Voltaire, l'ami de Turgot et le dernier survivant des philosophes du dix-huitième siècle, crut le moment venu de mettre en pratique les conceptions de la philosophie. Poussé par les vives inspirations de sa femme et décidé par les méditations de sa haute raison, il jugea impossible de persévérer dans le compromis tenté par les hommes de 89 entre la démocratie et la royauté.

.Le 12 juillet, au Cercle social, club où l'on faisait moins de politique active, mais plus de théorie et de philosophie politique que chez les Jacobins et les Cordeliers, Condorcet prononça un discours où il établit qu'un roi n'était nullement nécessaire là où les pouvoirs étaient bien organisés. Il réfuta le préjugé qui faisait croire à beaucoup de gens qu'un grand État comme la France ne pouvait se constituer en république. Il affirma enfin que l'hérédité du trône, obstacle au progrès, n'était qu'une cause de luttes civiles, bien loin d'être une cause de stabilité.

Il dit, dans une autre occasion, une parole profonde et qui, malheureusement, fut une prophétie.

Le roi, en ce moment, ne tient plus à rien ; n'attendons pas qu'on lui ait rendu assez de puissance pour que sa chute exige un effort. Cet effort sera terrible, si la République se fait par révolution, par soulèvement du peuple. Si elle se fait à présent avec une Assemblée toute-puissante, le passage ne sera pas difficile.

Les déclarations républicaines de cet homme, si connu et si respecté de tout ce qu'il y avait de penseurs et de savants en France et en Europe, produisirent un grand effet.

Les discussions politiques furent suspendues quelques heures par une cérémonie splendide qui réunit dans un même sentiment tous les amis de la Révolution. Ce fut la pompe funèbre de Voltaire.

L'Assemblée avait décerné aux restes de ce grand homme les mêmes honneurs qu'à la dépouille mortelle de Mirabeau, et avait ordonné de transporter le corps de Voltaire au Panthéon. On jugea plus conforme au génie solitaire de Rousseau de laisser ses restes reposer en paix parmi les eaux et les bois d'Ermenonville ; mais on associa son image à celle de Voltaire dans le cortège. Tous les corps civils et militaires, l'Assemblée en tête, les sociétés populaires, les électeurs de 89, les vainqueurs de la Bastille, le peuple de Paris en masse et de nombreuses députations du dehors, escortèrent le char colossal, traîné par douze chevaux blancs, qui portait le sarcophage surmonté de l'effigie du philosophe. On lisait sur mille bannières des devises en vers tirées de ses ouvrages. Celle-ci surtout attirait les regards :

Les mortels sont égaux ; ce n'est pas la naissance,

C'est la seule vertu qui fait leur différence.

Des chœurs de musique chantaient l'hymne à la Liberté, écrit jadis par Voltaire au pied des Alpes.

On fit faire au cercueil du philosophe une première station sur les ruines de celle des tours de la Bastille où il avait été enfermé dans sa jeunesse, puis une autre devant la maison où il était mort, sur le quai qui porte son nom. Sa fille adoptive, madame de Villette, l'attendait là, entre les deux filles de Calas, le martyr protestant dont il avait vengé la mémoire. Madame de Villette couronna en pleurant l'image de son bienfaiteur.

Le corps de Voltaire fut déposé à côté de ceux de Mirabeau et de ce grand Descartes, le père de la philosophie moderne, dont il avait combattu le système et qu'on lui associait dans l'immortalité.

Les restes de Voltaire ne sont plus dans les caveaux du Panthéon ; ils en ont été enlevés secrètement, par des mains sacrilèges, sous la Restauration.

Le 13 juillet, l'Assemblée entendit la lecture du rapport fait, au nom de ses divers comités, sur l'affaire de Varennes. Le rapport était très doux pour le roi, concluait que Louis XVI n'avait pas formellement violé la Constitution ; que, d'ailleurs, son inviolabilité ne permettait pas qu'on le mît en cause ; qu'enfin, il ne fallait poursuivre que Bouillé et ses complices, qui avaient abusé de la confiance du roi.

Robespierre demanda et ne put obtenir qu'on ajournât la discussion, afin de délibérer avec maturité. Pétion dit que, pour être inviolable, il faudrait que le roi fût impeccable ; il soutint que le roi devait être jugé, soit par l'Assemblée nationale, soit par une Convention nommée à cet effet.

Le soir, aux Jacobins, Robespierre fit un discours équivoque, où il dit qu'on lui faisait trop d'honneur de l'appeler républicain ; qu'on lui ferait déshonneur en l'appelant monarchiste ; qu'il n'était ni l'un ni l'autre ; qu'il ne s'agissait pas de disputer sur des mots, mais d'être libre.

Au fond, il ne voulait pas se compromettre.

Danton attaqua vivement l'inviolabilité royale, et dit que le jugement de l'Assemblée nationale pourrait bien être réformé par celui de la Nation. Le boucher Legendre menaça les comités de la colère de la masse.

Le débat continua dans l'Assemblée les deux jours suivants.

Robespierre proposa de consulter le vœu de la Nation. Les orateurs de la majorité soutinrent que le roi ne pouvait être mis en jugement ; qu'il fallait maintenir la suspension de ses fonctions jusqu'à ce que la Constitution fût achevée ; qu'alors on la lui présenterait, et que, s'il ne l'acceptait pas ou se rétractait après l'avoir acceptée, il serait déchu du trône.

Le roi acceptera, s'écria l'abbé Grégoire, alors évêque constitutionnel de Blois. Le roi jurera, mais quel compte ferez-vous sur ses serments ?

Grégoire et Buzot reprirent la proposition de Pétion, à savoir : qu'on fit élire une Convention pour juger le roi. Un député nommé Salles plaida la cause du roi au point de vue du sentiment, des intentions de Louis XVI, de sa malheureuse situation au milieu de courtisans factieux qui s'entendaient pour le tromper. Puis Barnave, dans un discours très éloquent et très habile, traita la question au point de vue politique, s'efforça, de démontrer la nécessité de la monarchie en confondant la République avec le fédéralisme, erreur réfutée d'avance par Brissot, et en combattant l'idée de remettre le pouvoir exécutif à plusieurs personnes, à un Conseil, comme si cette idée eût été nécessairement liée à celle de la République, et comme si la République n'eût pas pu avoir un président. Il soutint qu'il était temps que la Révolution s'arrêtât.

La Fayette appuya l'opinion de Barnave et de Salles en faveur de Louis XVI, et demanda que la discussion fût fermée.

Le décret proposé par les comités, qui se bornait à ordonner la mise en accusation de Bouillé et de ses complices, fut voté à la presque unanimité, moins Robespierre, Pétion, Buzot et trois ou quatre autres.

La foule, qui attendait au dehors, jeta des cris de colère en apprenant le vote du décret, hua les principaux députés de la majorité à leur sortie, puis, écartée par la garde nationale, se porta aux théâtres et les fit fermer en signe de deuil.

Le soir, aux Jacobins, Laclos, le principal meneur du parti d'Orléans, proposa de faire signer, à Paris et, dans toute la France, une pétition pour la déchéance du roi. Il faut, dit-il, faire signer tout le monde, femmes, enfants. Nous aurons dix millions de signatures.

Danton appuya. Robespierre approuva que la Nation manifestât son sentiment à l'Assemblée, mais sans faire intervenir les femmes ni les mineurs.

En ce moment, la salle du club fut envahie par des bandes de gens du dehors, mêlés de filles du Palais-Royal, qui poussaient de grandes clameurs en faveur de la pétition. C'était un coup monté par Laclos et les autres familiers de Philippe d'Orléans. Au milieu de ce tumulte, la pétition fut votée ; on chargea Laclos et Brissot de la rédiger. A la manière de Laclos, Brissot prit la plume et écrivit que l'Assemblée nationale, en suspendant et en arrêtant le roi, avait reconnu que Louis XVI avait abdiqué la couronne ; — les pétitionnaires, ajouta-t-il, demandent que l'Assemblée pourvoie au remplacement du roi.

— Au remplacement ? dit Laclos. — Ajoutez : Par tous les moyens constitutionnels.

C'était là le but de toute l'intrigue de Laclos. La royauté étant dans la Constitution, les moyens constitutionnels consistaient à remplacer Louis XVI par son jeune fils et à nommer un régent. Les frères du roi étaient en émigration et en révolte contre la Constitution, Monsieur s'étant enfui, la même nuit que Louis XVI, et étant allé rejoindre le comte d'Artois et les Condé en Belgique et sur le Rhin. Le seul prince français qui pût être appelé à la régence était donc Philippe Orléans. Il y avait renoncé publiquement d'avance ; mais Laclos comptait qu'il se laisserait faire violence sans beaucoup de peine.

Brissot hésita, puis tomba dans le piège. Laclos lui persuada qu'il fallait parler de moyens constitutionnels pour que la pétition ne fût pas poursuivie comme séditieuse.

La pétition se terminait par une déclaration que les signataires ne reconnaîtraient jamais Louis XVI pour roi, à moins que la majorité de la Nation n'émit un vœu contraire au leur.

La pétition avait été proposée dans un but intéressé par la baie d'Orléans ; mais elle n'en répondait pas moins à un and sentiment populaire. L'Assemblée en comprit la portée et voulut l'arrêter court. Le 16 juillet, elle vota un nouveau décret statuant que le roi serait censé avoir abdiqué si, après avoir prêté serment à la Constitution, il le rétractait ou s'il connivait à une attaque armée contre la Nation. Dans ces deux cas, il pourrait être mis en jugement comme un simple citoyen.

Il fut décrété que le pouvoir exécutif serait restitué à Louis XVI après qu'il aurait accepté la Constitution. Ce décret rendait illégale la pétition qui demandait la déchéance du roi. L'Assemblée manda le directoire du département de la Seine et la municipalité de Paris pour leur enjoindre d'assurer le maintien de l'ordre, et les accusateurs publias pour leur prescrire d'informer sur-le-champ contre tous les perturbateurs.

Les députés avaient trouvé, la veille, que le maire Bailli et la municipalité gardaient beaucoup trop de ménagements envers la foule.

Pendant ces délibérations de l'Assemblée, la pétition, selon ce qui avait été arrêté la veille aux Jacobins, était portée au Champ de Mars, afin que le peuple la signât sur l'autel de la Patrie. Le club des Cordeliers arriva en masse pour prendra connaissance de la pièce envoyée par les Jacobins. Quand on lut les mots moyens constitutionnels, Bonneville, le rédacteur de la Bouche de fer, s'écria : On trompe le peuple ! on met un roi à la place d'un autre !

Les Cordeliers applaudirent, et le terme moyens constitutionnels fut effacé. Les Jacobins avaient écrit : Nous ne reconnaîtrons plus Louis XVI. Les Cordeliers ajoutèrent : Ni aucun autre roi.

Les Cordeliers et les autres personnes présentes envoyèrent douze d'entre eux, parmi lesquels Bonneville, prévenir la municipalité de leur intention de convoquer de nouveau le peuple, le lendemain, au Champ de Mars, pour signer la pétition. La loi prescrivait de faire cette déclaration la veille des réunions publiques. Le procureur syndic de la ville en donna un récépissé aux envoyés.

D'autres délégués, du Champ de Mars, étaient allés reporter la pétition aux Jacobins, afin qu'on se mît d'accord. Laclos se récria contre la suppression des moyens constitutionnels. Le terme ne fut pas rétabli ; mais on fit plus : on retira la pétition. C'est que, dans l'intervalle, on avait été informé du nouveau décret de l'Assemblée. Robespierre déclara qu'il obéirait à la loi ; mais, en même temps, il fit le tableau le plus effrayant et le plus exagéré de la conduite de l'Assemblée et de ses comités.

Brissot, de son côté, dans son journal, le Patriote français, tout en affirmant que nos législateurs s'étaient déshonorés, écrivait qu'il fallait obéir.

Les chefs des Cordeliers eux-mêmes, si ardents, hésitèrent devant le nouveau décret. Camille Desmoulins, qui avait écrit des articles terribles contre les représentants infidèles, se retira à la campagne avec Danton pour ne pas prendre la responsabilité d'un conflit.

Malheureusement, on n'arrête pas à volonté un mouvement une fois lancé ; on savait dans le public que les pétitionnaires étaient mis en règle avec la municipalité, et bien des gens ne se rendaient pas compte de la portée du décret. Il était à prévoir que la foule affluerait au Champ de Mars le lendemain dimanche, et qu'il arriverait quelque malheur. Il y avait quelque chose de sinistre dans l'air. La Révolution était divisée contre elle-même : constitutionnels contre républicains. Le parti avancé était irrité contre l'Assemblée, qui maintenait le roi par des équivoques et des subterfuges, quoiqu'il fut tenté d'abattre la Révolution. L'Assemblée était irritée contre les clubs et les journaux. La garde nationale s'exaspérait des injures de Marat et d'autres journalistes, qui la litaient de mouchards de La Fayette.

La journée du 17 juillet commença mal. On découvrit deux hommes cachés sous les degrés de l'autel de la Patrie ; ils ne purent justifier de leurs intentions. On prétendit qu'ils voulaient faire sauter l'autel avec de la poudre ; sur cette accusation imaginaire, des furieux les massacrèrent et portèrent leurs têtes au Palais-Royal. L'Assemblée fut informée très inexactement des circonstances de ce double meurtre. On lui raconta que deux bons citoyens avaient été assassinés pour avoir recommandé au peuple le respect de la loi. Cela disposa l'Assemblée aux mesures de rigueur.

Entre midi et une heure arriva une nouvelle plus vraie. Un homme, au Gros-Caillou, avait tiré sur La Fayette ; les gardes nationaux l'arrêtèrent. La Fayette, par une générosité imprudente, le fit relâcher. La Fayette poussa jusqu'à l'autel de la Patrie. Il y trouva des gens occupés à rédiger une nouvelle pétition. Ils promirent de se séparer paisiblement après l'avoir signée.

Trois commissaires de la municipalité, qui vinrent après La Fayette, entendirent la lecture de la pétition et ne la jugèrent point illégale. Les termes en étaient vifs, mais non point outrageants pour l'Assemblée. On l'invitait à revenir sur son décret qu'on disait nul au fond, comme contraire au vœu du peuple souverain, et nul en la forme, parce que les deux cent quatre-vingt-dix députés de la droite y avaient pris part, quoiqu'ils eussent renoncé à leurs droits de représentants en protestant contre toute Constitution libre.

La pétition fut couverte de milliers de signatures, parmi lesquelles beaucoup de noms de femmes. La foule allait croissant, et de Paris et même de la banlieue ; elle était sans armes et point menaçante. On venait comme à la promenade avec femmes et enfants.

L'Assemblée, cependant, restait sous l'impression des nouvelles du matin. Elle se croyait en péril. On accourait lui dire que la foule, du Champ de Mars, voulait marcher sur lesi Tuileries. Un des frères Lameth (Charles), qui, ce jour-là, présidait l'Assemblée, envoya message sur message à l'Hôtel de ville pour sommer la municipalité d'agir. Vers cinq heures, le maire Bailli et la municipalité se décidèrent à proclamer la loi martiale, à faire battre la générale et arborer le drapeau rouge, signe de danger public.

Les trois commissaires de la municipalité, qui revenaient à du Champ de Mars, racontèrent ce qu'ils avaient vu et protestèrent contre toute mesure offensive. Bailli, fort troublé et inquiet, répondit qu'il allait au Champ de Mars pour y mettre la paix. Les municipaux se mirent en marche avec La Fayette et la garde nationale. Trois colonnes de garde nationale débouchèrent dans le Champ de Mars par l'École militaire, par le Gros-Caillou et par le bord de la rivière. La Fayette et Bailli étaient avec la colonne du centre, celle du Gros-Caillou. Une bande de gens montés sur le glacis qui bordait le Champ de Mars du côté du Gros-Caillou se mirent à huer et à jeter des pierres. Un coup de pistolet blessa un soldat. La garde nationale eut la générosité de tirer en l'air. Les perturbateurs continuèrent à lancer des pierres.

L'avant-garde et l'artillerie avaient continué d'avancer, et la cavalerie se déployait rapidement refoulant la multitude. La masse entassée autour de l'autel et sur les degrés de l'autel de la Patrie ne provoquait pas la troupe, et pourtant, sans sommations, sans ordres, des rangs de cette même garde nationale qui venait de tirer en l'air devant les provocateurs, partit tout à coup une fusillade meurtrière.

Y eut-il là le crime d'hommes de parti qui voulaient à tout prix la guerre civile, ou plutôt un de ces malentendus et de ces hasards funestes comme on en a vu de nos jours ?

Ce qui est trop certain, c'est que des gens inoffensifs jonchèrent de leurs corps les marches de l'autel de la Patrie. Une sorte de vertige tournait les têtes. Les canonniers voulaient tirer à leur tour sur la foule qui s'enfuyait en poussant des cris d'épouvante. La Fayette poussa intrépidement son cheval devant la bouche d'un canon. Les canonniers s'arrêtèrent. Près de l'École militaire, des bataillons de la garde nationale protégèrent la foule fugitive contre les cavaliers qui la poursuivaient. Bailli félicita ces bataillons de leur humanité.

Le Champ de Mars fut évacué à la nuit tombante. La municipalité eût pu atténuer l'effet de ce malheureux événement ; elle l'aggrava, non par violence, mais par faiblesse. Le maire Bailli se laissa circonvenir par les hommes de parti qui espéraient exploiter à leur profit la journée du Champ de Mars.

On l'amena à venir, le lendemain, lire devant l'Assemblée nationale un procès-verbal peu fidèle, où l'on mêlait tous les incidents de la journée de façon à confondre et à rendre solidaires le meurtre de deux hommes suspects, l'attentat contre La Fayette, l'agression d'une bande de perturbateurs sur le glacis du Gros-Caillou et le rassemblement de l'autel de la Patrie. On n'y mentionnait pas ce qu'avaient dit les trois commissaires municipaux sur l'attitude paisible de la foule. Enfin, on n'y disait pas, ce qui eût été la justification de La Fayette et de Bailli, que les gardes nationaux avaient tiré sans ordres.

Bailli prenait ainsi la responsabilité du sang qu'il n'avait pas ordonné de verser. Cette faiblesse, ou cette générosité mal entendue, devait, deux ans après, lui coûter la vie.

L'Assemblée déclara approuver la conduite de la municipalité. Barnave exalta le courage et la fidélité de la garde nationale. L'Assemblée rendit un décret sévère contre ceux qui, par écrits ou par discours publics, auraient excité à la sédition.

La journée du Champ de Mars préparait un funeste avenir. Elle laissa après elle des ressentiments implacables. L'Assemblée accusait les clubs d'avoir fomenté contre elle une insurrection. Le parti populaire accusait les meneurs de l'Assemblée d'avoir préparé un massacre. Le sang qui souillait ce champ de la Fédération, théâtre, un an auparavant, de la fête de la Fraternité, séparait désormais les deux grands partis de la Révolution, constitutionnels et républicains, en attendant que les républicains eux-mêmes se subdivisassent en factions, ennemies. L'ère de violences et de déchirements était ouverte dans l'histoire de la Révolution.

Ce sang avait été versé dans un but impossible. L'Assemblée s'était trompée. Restaurer Louis XVI après Varennes, c'était le vouer à la mort, lui, les siens et ceux qui le rétablissaient. La Fayette lui-même a écrit ceci dans ses Mémoires : Le départ pour Varennes enleva pour toujours au roi la confiance et la bienveillance des citoyens. Cette méfiance -se propagea jusqu'à l'époque du 10 août.

C'est la condamnation du parti que prirent La Fayette et Bailli, ou plutôt l'Assemblée ; car La Fayette suivit la majorité contre son cœur.

Au fond, il regrettait qu'on eût arrêté le roi, et, contrairement à Robespierre, il pensait, comme les Roland, comme les républicains les plus sagaces, qu'il eût mieux valu que le roi eût échappé. La République, alors, se fût faite toute seule. Ce n'était pas l'incapable Philippe d'Orléans ni les intrigants -de son entourage qui eussent su l'empêcher.

Le maître de poste Drouet, qui se croyait et qu'on croyait le sauveur de la France, nous a l'ait bien du mal sans le vouloir.

Condorcet avait vu clair avec sa raison ; Mme Roland et Camille Desmoulins avec leur sentiment passionné.

La grande Assemblée de 89 n'avait plus, elle, le sentiment de la nouvelle période qui s'ouvrait. Ces hommes, ainsi que Mirabeau, leur plus fort génie, ne tiraient pas les dernières conséquences des principes démocratiques qu'ils avaient posés. Ils ne dépassaient pas l'époque de transition, l'époque des essais de transaction entre la démocratie et la royauté ; ils s'arrêtaient sur le seuil de la nouvelle ère républicaine.

Les destinées, cependant, ne s'arrêtent pas. La République était désormais inévitable ; mais l'occasion de l'établir ans effusion de sang et sans échafauds était perdue. La TERREUR était dorénavant en perspective. La journée du Champ de Mars en fut la préface.

Il y eut d'abord, après la malheureuse journée, un moment d'abattement dans le parti populaire. Mme Roland, si intrépide pour elle-même, crut tout perdu pour la cause.

Camille Desmoulins cessa de publier son journal, les Révolutions de la France et des royaumes du Continent, après un énergique numéro d'adieu à ses lecteurs. Il se cacha, ainsi que Danton, Marat et autres, pour échapper à des mandats d'arrêt. Robespierre, un moment menacé de poursuites, fil voter aux Jacobins une adresse où il vantait la sagesse, la fermeté, la justice de cette même Assemblée qu'il avait si violemment attaquée naguère, et où il protestait du respect des Jacobins pour les représentants de la Nation et de leur fidélité à la Constitution.

On avait parlé, entre les meneurs de l'Assemblée, de supprimer les clubs ; mais Duport, le premier fondateur des Jacobins, s'y était opposé. Il espérait recommencer à se servir des clubs au profit des constitutionnels, et il tentait en ce moment, avec ses amis, de dissoudre et de reconstituer les Jacobins.

Dès le 16 juillet, à l'occasion de la pétition de Laclos, la plupart des députés affiliés aux Jacobins et des membres de leur comité de correspondance avaient quitté leur club pour en installer un nouveau aux Feuillants, vaste et somptueux couvent qui s'étendait entre le jardin des Tuileries et la rue Saint-Honoré, sur l'emplacement de la rue actuelle de Rivoli, à la hauteur de la place Vendôme.

Les Jacobins tentèrent une démarche de conciliation. Les Feuillants, ainsi qu'on nomma le nouveau club, répondirent qu'ils n'admettraient de Jacobins que ceux qui accepteraient leurs nouveaux règlements. Un des articles de ces règlements interdit de recevoir quiconque n'était pas citoyen actif, c'est-à-dire ne payait pas d'impôt direct.

Robespierre en profita contre les Feuillants dans une Adresse aux sociétés de province, qu'il fit adopter aux Jacobins. La scission entre les deux clubs y était motivée sur cette exclusion des pauvres par les Feuillants. Les Jacobins, de leur côté, se donnèrent un règlement nouveau, qui épura et réorganisa leur société sous l'influence d'un comité où Robespierre eut la haute main.

Les Feuillants avaient aussi écrit aux sociétés affiliées des départements. Ils disaient qu'ils voulaient se borner à préparer, par leurs discussions, les travaux de l'Assemblée nationale, sans rien voter.

Cela eût été bon quand l'Assemblée commençait, mais non maintenant qu'elle allait finir. Il s'agissait actuellement d'autre chose.

Les réponses des sociétés de province arrivèrent successivement dans les derniers jours de juillet et les premiers d'août. Un grand nombre conjuraient Feuillants et Jacobins de se réunir. D'autres, plus nombreuses encore, tout en déplorant la scission, protestaient de rester inviolablement unies aux Jacobins. Plusieurs attaquaient vivement les Feuillants, et reprochaient à l'Assemblée nationale de tolérer dans son sein les deux cent quatre-vingt-quinze députés qui avaient protesté contre ses décrets après Varennes. Les amis des Roland prirent la part la plus active à ce mouvement. Très peu de sociétés adhérèrent aux Feuillants.

Parmi les sociétés nettement prononcées en faveur des Jacobins figuraient celles de Meaux, Versailles, Amiens, Lyon, Marseille, Chalon-sur-Saône, Strasbourg, Toulouse, Lille, Bordeaux, Toulon, Nancy, Limoges, Saint-Omer, Metz, Évreux, Dieppe.

La majorité des sociétés des départements se prononça de plus en plus dans ce sens. Ce fut la province qui releva Paris. La Révolution vivait et agissait dans tout le corps de la France, et, quand le centre se ralentissait, l'impulsion revenait des extrémités.

La réaction avait été bien vite arrêtée. Les chefs des constitutionnels étaient en grande inquiétude. Ils voyaient se relever les Jacobins, qu'ils avaient quittés et qui se passaient d'eux, et, d'une autre part, les contre-révolutionnaires persistaient à repousser toutes les avances, soit dans l'Assemblée nationale, soit au dehors. Les constitutionnels avaient envoyé à Bruxelles, afin de négocier avec les princes émigrés, un homme habile et insinuant, l'abbé Louis, qui, bien des années après, fut un ministre éminent sous la Restauration. L'abbé Louis fut hué par les nobles émigrés et obligé de quitter Bruxelles.

Les journaux contre-révolutionnaires redoublaient de provocations, et ne cessaient de menacer la Révolution des armes de l'étranger. Depuis l'évasion de Monsieur, l'aîné des frères du roi, qui l'avait préparée et accomplie avec autant d'habileté que Louis XVI et Marie-Antoinette avaient mis de maladresse et d'imprudence dans leur fuite, l'émigration prenait des proportions énormes. Monsieur, n'ayant pu tourner la Révolution à son profit, se mettait à la tête de la contrerévolution, et y employait une capacité que n'avaient ni l'étourdi comte d'Artois, ni le prince de Condé ; celui-ci courageux, mais médiocre.

On établit de vrais bureaux d'émigration. On pressait, on forçait les nobles d'émigrer, en leur signifiant qu'ils étaient déshonorés s'ils restaient, et qu'ils seraient traités en roturiers au retour des princes. Monsieur, qui méprisait le roi -son frère et qui haïssait sa belle-sœur et ne pensait qu'à son propre intérêt, poussa ainsi la noblesse à délaisser le malheureux Louis XVI au milieu des dangers où il s'était précipité pour les intérêts de la noblesse et du clergé, encore plus que pour ceux de la royauté.

L'Assemblée nationale vota, le 17 août, un décret contre les émigrés, mais fort modéré encore ; on se bornait à tripler les contributions des Français absents du royaume qui n'y rentreraient pas sous un mois. On statua en même temps qu'aucun Français ne pourrait sortir du royaume sans passeport.

L'Assemblée avait, quelques jours auparavant, supprimé tous les ordres de chevalerie, décorations ou distinctions quelconques, à l'exception de l'ordre militaire de Saint-Louis, maintenu provisoirement en attendant qu'on instituât un ordre à la fois civil et militaire.

Les émigrés, s'ils détestaient la Révolution, ne s'aimaient guère entre eux ; les discordes et les intrigues de cour recommençaient déjà, à Bruxelles et à Coblentz, comme autrefois à Versailles. Calonne, cet ancien ministre si décrié, qui avait tant contribué à hâter la chute de l'Ancien Régime, gouvernait le comte d'Artois et cabalait contre Monsieur.

Les émigrés n'étaient d'accord que sur un seul point : c'était de pousser les puissances étrangères à faire la guerre à la Révolution.

Toutes les cours du continent avaient contre la Révolution la même hostilité ; mais le difficile était de réunir tous ces intérêts divers et ces ambitions diverses en une action commune.

Voici où en étaient les relations des puissances entre elles.

Nous avons dit qu'elles avaient failli se faire une guerre générale au printemps de 1791, puis, qu'elles s'étaient remises à négocier.

La question qui touchait le plus directement la France, c'était l'accord ou la désunion de l'Autriche et de la Prusse : leur guerre eût été notre sécurité ; leur union devait être notre péril. La Prusse avait son ambition tournée vers la Pologne ; l'Autriche, vers la Turquie. Par leur convention de Reichenbach, en juillet 1790, elles s'étaient promis que l'une n'étendrait pas ses frontières si l'autre n'en faisait autant. La Prusse avait garanti à l'Autriche la conservation de la Belgique ; puis l'Autriche avait signé une trêve avec la Turquie, laissant la Russie poursuivre seule la guerre contre les Turcs.

L'empereur Léopold avait d'autres vues que son frère et son prédécesseur Joseph II. Léopold regardait l'alliance de Joseph Il avec la Russie contre les Turcs comme une faute, parce qu'il voyait bien que les deux empires ne pourraient jamais s'entendre quant à la possession des bouches du Danube, et il semble qu'au fond il considérait le démembrement de la Pologne comme une autre faute non moins grave de son frère. Il eût souhaité tout au moins qu'on n'entamât pas davantage la Pologne, et il avait des velléités de relever et de sauver ce peuple.

La Pologne avait signé, en 1790, une alliance avec la Prusse, alors brouillée avec la Russie ; mais les Polonais se défiaient avec raison des projets de la Prusse sur les villes importantes de Dantzig et de Thorn, que la Prusse aspirait à s'approprier, tout en ayant promis le contraire à l'Autriche.

Les Polonais tendaient à quitter l'alliance de la Prusse pour celle de l'empereur Léopold. Le 3 mai 1791, le roi Stanislas Poniatowski proposa et fit adopter à la Diète de Varsovie une nouvelle Constitution qui améliorait la condition des paysans, conférait les droits politiques à la bourgeoisie, abolissait l'institution anarchique appelée Liberum-veto, par laquelle un seul opposant faisait échouer toutes les résolutions d'une assemblée : enfin, la Constitution statuait qu'après le roi régnant, la couronne deviendrait héréditaire au profit de la maison électorale de Saxe.

Par cette Constitution, la noblesse n'était plus tout en Pologne ; la bourgeoisie arrivait : on préparait l'avènement des paysans, et l'hérédité de la couronne était elle-même un progrès ; car la royauté héréditaire, qui ne convient plus aux peuples parvenus à la démocratie, est nécessaire aux sociétés qui sont encore dominées par une noblesse héréditaire.

Cette Constitution pouvait sauver la Pologne, si elle s'y établissait solidement. L'empereur Léopold l'approuvait ; le gouvernement prussien, à qui elle déplaisait fort, fit semblant de l'approuver, parce qu'il n'osait rompre ni avec la Pologne ni avec l'Autriche, n'étant pas encore bien sûr de se raccommoder avec la Russie.

Le roi de Prusse, Frédéric-Guillaume, proposa à l'empereur une entrevue à Pillnitz en Saxe, et Léopold promit d'aller s'entendre avec Frédéric-Guillaume sur tout ce qui concernait les affaires de France et de Pologne, et sur les moyens d'entraîner les autres puissances à une intervention commune contre la Révolution française. Léopold, pendant ce temps, s'efforçait d'amener la tzarine de Russie à faire la paix avec les Turcs.

Ceci se passait au moment de la fuite de Varennes.

L'empereur Léopold, au moment de la fuite de Louis XVI, était à Padoue, sur le territoire vénitien. D'après de fausses nouvelles, il crut, jusqu'au 5 juillet, au succès de cette évasion qui avait échoué dès le 21 juin, tant les communications étaient encore lentes en ce temps-là. Croyant sa sœur et son beau-frère en sûreté à Bruxelles, il leur avait écrit qu'il mettait troupes et argent à leur disposition. Il avait demandé l'assistance armée des rois d'Espagne et de Sardaigne, et se préparait à réclamer aussi les secours des cantons suisses, de la Diète germanique et du roi de Prusse.

Le 6 juillet, désabusé sur le succès de l'évasion, il expédia aux autres princes une circulaire où il les invitait à s'entendre avec lui pour déclarer à la France :

Qu'ils demandaient la mise en liberté de Louis XVI et de sa famille ;

Qu'ils se réuniraient pour venger avec éclat tous les attentats que l'on commettrait dorénavant contre la liberté, l'honneur et la sûreté du roi, de la reine et de la famille royale ;

Qu'ils ne reconnaîtraient comme lois constitutionnelles, légitimement établies en France, que celles qui seraient munies du consentement volontaire du roi, jouissant d'une liberté parfaite ;

Mais qu'au contraire ils emploieraient, de concert, tous les moyens en leur puissance pour faire cesser le scandale d'une usurpation de pouvoir qui porterait le caractère d'une révolte ouverte, dont il importerait à tous les gouvernements de faire cesser le funeste exemple.

Un envoyé du roi de Prusse signa, le 25 juillet, à Vienne une convention préliminaire avec l'Autriche dans le sens indiqué par la circulaire de Léopold.

Les efforts réunis de Léopold et des trois puissances confédérées, Angleterre, Prusse et Hollande, réussirent auprès de la tzarine de Russie. Catherine II accepta des conditions de paix modérées avec l'empire turc. Elle se contenta de la cession d'Oczakow et d'une portion du territoire entre les fleuves du Dniester et du Bug. La paix entre l'Autriche, la Russie et la Turquie fut signée dans la première quinzaine d'août.

Ce fut une paix meurtrière, et qui prépara la destruction de la Pologne et l'immense guerre de la Révolution française. Catherine II avait changé de politique. Abandonnée de l'Autriche et gênée dans ses projets sur l'Orient par l'Angleterre et par la Prusse, elle lâchait momentanément la Turquie pour se rejeter sur la Pologne en se réconciliant avec la Prusse, et pour faire échouer les plans de Léopold en faveur des Polonais.

La nouvelle de la paix d'Orient combla de joie les émigrés. Ils croyaient déjà voir les armées de la coalition en marche.

Mécontents que Léopold et Frédéric-Guillaume n'eussent pas agi tout de suite sans attendre les autres, et surtout irrités des lenteurs de Léopold, ils mettaient toute leur confiance dans Catherine II et dans le roi de Suède. Ces deux souverains avaient rompu avec éclat toutes relations diplomatiques avec le gouvernement révolutionnaire français et accrédité des ambassadeurs auprès des princes émigrés, à Coblentz, comme si ceux-ci eussent représenté le gouvernement légitime de la France. Marie-Antoinette avait envoyé une épée d'or au roi de Suède, avec la devise : Pour la défense des opprimés. Gustave III était retourné en Suède afin de faire ses préparatifs, et offrait d'opérer une descente en Normandie avec une armée suédoise et russe. La noblesse normande l'appelait.

Mais Catherine II se jouait des émigrés, et ne faisait tant de bruit contre la Révolution française que pour masquer ses desseins sur la Pologne et compromettre l'Autriche avec la France.

Les négociations continuaient entre l'Autriche et la Prusse. L'ambassadeur de Léopold avait proposé à Frédéric-Guillaume de cesser toutes relations avec la France, si l'Assemblée nationale ne s'arrêtait sur la voie où elle s'était engagée, et de réunir un congrès des puissances afin de délibérer sur la Constitution future de la France, pour le cas où l'on interviendrait par les armes, l'Autriche voulait qu'on s'engageât mutuellement à ne pas s'agrandir aux dépens du territoire français. La Prusse refusa de s'engager à cette renonciation, à moins qu'on ne réussît à rétablir complètement le gouvernement de Louis XVI. Dans le cas contraire, elle demandait qu'on s'entendît d'avance sur ce qu'on ferait de l'Alsace et de la Lorraine.

Les ministres prussiens, d'ailleurs, détournaient leur roi de s'engager trop vite, comme il y eût été assez disposé. Léopold, de son côté, avait de grandes hésitations par le fait même de sa correspondance secrète avec Marie-Antoinette et Louis XVI.

Louis XVI, vers le commencement de juillet, avait fait parvenir à l'empereur une note où il lui disait qu'arrêté par les factieux et prisonnier dans Paris, il avait résolu de faire connaître à l'Europe l'état où il se trouvait, et ne doutait pas que l'empereur, son beau-frère, ne vînt au secours du royaume de France.

Le 30 juillet, Marie-Antoinette écrivit à l'empereur son frère une lettre contraire aux idées de guerre et favorable à une transaction avec les constitutionnels ; mais une contre-lettre, expédiée le lendemain, prévint Léopold qu'elle avait écrit sous la dictée des chefs de parti avec lesquels elle était en relations secrètes. J'en serais humiliée, ajoutait-elle, si je n'espérais que mon frère jugera que, dans ma position, je suis obligée de faire et d'écrire tout ce qu'on exige de moi.

Cependant, elle avouait qu'elle avait lieu d'être assez contente de ces chefs de parti, surtout de Barnave et d'Alexandre de Lameth ; qu'elle voyait en eux franchise, force et envie de rétablir l'autorité royale.

Elle était donc alors réconciliée personnellement avec les principaux meneurs des constitutionnels, mais non pas avec la Révolution ni la Constitution. Elle ne voulait ni la Constitution telle que l'Assemblée l'achevait, ni même une Constitution avec deux Chambres, système auquel les chefs constitutionnels eussent été disposés à revenir.

Les chefs des constitutionnels, en même temps qu'ils taisaient écrire par la reine à son frère, chargeaient l'ambassadeur de France à Vienne de remettre à l'empereur une note où ils lui représentaient que toute tentative de l'étranger sur le royaume, au lieu de servir le roi, le perdrait ; que, quant à eux, loin de vouloir renverser le trône, ils ne cherchaient qu'à transiger avec le roi à des conditions en rapport avec les exigences légitimes de l'opinion.

Ils cherchaient ainsi à maintenir la paix, tout en mettant le pays en défense. On travaillait à la réparation des places frontières, et l'Assemblée avait ordonné la mobilisation de près de cent mille gardes nationaux (22 juillet 1791).

L'empereur répondit à sa sœur que les puissances européennes, obligées de sauver l'Europe entière de la révolte et de l'anarchie, ne pouvaient reconnaître la Constitution française que si on lui rendait un caractère suffisamment monarchique (17-20 août).

Sa sœur était bien d'accord avec lui, car, dans ses lettres, elle déclarait la Constitution absurde et monstrueuse, et exprimait le vœu qu'on pût la culbuter au plus tôt : mais elle jugeait essentiel que les émigrés, surtout les frères du roi, restassent en arrière et que les puissances étrangères agissent seules. Elle entendait par là que les puissances négociassent les armes à la main, sans entrer en France.

Elle considérait comme impossible que le roi refusât d'accepter la Constitution. Il ne s'agit pour nous, écrivait-elle, que de les endormir (les gens de l'Assemblée) et de leur donner confiance en nous pour les mieux déjouer après (21-26 août). Elle traitait d'ailleurs les émigrés bien plus mal encore que les gens de l'Assemblée. Vous connaissez, écrivait-elle, leurs mauvais propos et leurs mauvaises intentions. Les lâches, après nous avoir abandonnés, veulent exiger que, seuls, nous nous exposions et, seuls, nous servions tous leurs intérêts.

Tandis que la reine engageait l'empereur à tenir en arrière les frères du roi, entourés, écrivait-elle, par des ambitieux qui les perdront, Monsieur, l'aîné des frères du roi, avait en poche les pleins pouvoirs de Louis XVI, expédiés le 7 juillet. Tout était contradiction et incohérence autour de Louis XVI.

Comme le moment fixé pour l'entrevue de l'empereur et du roi de Prusse approchait, le comte d'Artois courut à Vienne pour tâcher de décider Léopold à la guerre immédiate, en offrant, prétendent. les historiens allemands, de lui céder la Lorraine. Léopold ne promit rien. Le comte d'Artois le suivit à Pillnitz, où, de son côté, le général émigré Bouillé était venu apporter au roi de Prusse un plan d'invasion de la France.

Le comte d'Artois présenta à Léopold et à Frédéric-Guillaume un Mémoire où les princes émigrés proposaient de publier un manifeste qui déclarerait nuls tous les actes de l'Assemblée nationale et la sanction qu'y avait donnée Louis XVI, comme extorquée par ruse et par force. Monsieur prendrait le titre de régent, annoncerait à la Nation l'intervention collective des puissances et rendrait les habitants de Paris responsables, sous peine de mort, de la sûreté de la famille royale.

Léopold était loin d'entrer dans ces vues. Il faisait peu de cas des émigrés et craignait fort que la guerre ne lui fît perdre la Belgique et ne mît en péril la vie de sa sœur Marie-Antoinette. Il sentait d'ailleurs que la guerre compromettrait ses projets du côté de la Pologne. Il agit sur le roi de Prusse dans le sens des délais et des négociations, et repoussa, d'accord avec lui, le plan du comte d'Artois.

Le comte d'Artois, Calonne, Bouillé, firent des efforts désespérés pour obtenir quelque chose de l'empereur et du roi de Prusse. Léopold et Frédéric-Guillaume s'arrêtèrent enfin à la déclaration suivante :

 

27 août.

Sa Majesté l'empereur et Sa Majesté le roi de Prusse, ayant entendu les désirs et les représentations de Monsieur et de M. le comte d'Artois, déclarent conjointement qu'ils regardent la situation où se trouve actuellement Sa Majesté le roi de France comme un objet d'un intérêt commun à tous les souverains de l'Europe. Ils espèrent que cet intérêt ne peut manquer d'être reconnu par les puissances dont le secours est réclamé et qu'en conséquence, elles ne refuseront pas, conjointement avec leurs dites Majestés, les moyens les plus efficaces relativement à leurs forces pour mettre le roi de France en état d'affermir, dans la plus parfaite liberté (de sa personne), les bases d'un gouvernement monarchique également convenable aux droits des souverains et au bienêtre des Français. Alors, et dans ce cas, leurs dites Majestés sont décidées à agir promptement et d'un mutuel accord, avec les forces nécessaires pour obtenir le but proposé et commun. En attendant, elles donneront à leurs troupes les ordres convenables pour qu'elles soient à portée de se mettre en activité.

 

La dernière phrase, qui semblait annoncer une prochaine entrée en campagne, avait été obtenue, à force d'instances, par l'adroit et intrigant Galonné ; mais, le soir même, Léopold écrivit à son premier ministre, le vieux Kaunitz, très partisan de la paix, qu'il n'avait pris aucun engagement sérieux ; qu'il n'avait promis d'agir que dans le cas où les puissances dont le secours était réclamé l'accorderaient et que, si l'Angleterre faisait défaut, le cas n'existerait plus.

Or, il était sur que l'Angleterre ferait défaut. Ainsi, cette fameuse Déclaration de Pillnitz, qui devait être le point de départ de la grande guerre de la Révolution, fut l'ouvrage d'un prince, le roi de Prusse, qui n'était nullement décidé à la guerre, et d'un prince, l'empereur, qui ne la voulait point du tout. Léopold ne voulait pas la guerre et il fit tout pour la rendre inévitable. La France ne connaissait point sa pensée et ne connaissait que ses paroles. La menace d'intervention armée, qu'exprimaient et sa circulaire du 6 juillet et la Déclaration de Pillnitz, obligeait la France à se mettre en défense et l'autorisait à prendre l'offensive, si elle le jugeait nécessaire.

Léopold, d'ailleurs, comme nous le montrerons bientôt, maintenait, pour le compte de l'Empire germanique, en dehors de ce qui regardait la personne et l'autorité de Louis XVI, des prétentions entièrement incompatibles avec la paix.

L'effet de la Déclaration de Pillnitz fut tout contraire à celui qu'en espérait Léopold. La Révolution s'irrita au lieu de s'effrayer et avança au lieu de reculer. Au moment même où l'étranger la menaçait, elle donnait une grande preuve de sa force et de sa confiance en elle-même. La vente des lient nationaux, des anciennes possessions du clergé, avait été d'abord assez lente. Au 24 mars 1791, d'après un rapport du comité qui dirigeait l'opération, il ne s'en était encore vendu que pour 180 millions. L'Assemblée nationale, le 27 avril, accorda aux acquéreurs un nouveau délai de huit mois pour les premiers paiements. Cette facilité décida les gens de la campagne à tirer l'argent de ses cachettes et à acheter. Le 26 août, le comité déclara à l'Assemblée que la vente avait atteint un milliard, qui en vaudrait peut-être deux et demi d'aujourd'hui. La démocratie prenait possession du sol de la France et répondait ainsi d'avance à la Déclaration de Pillnitz.

En même temps que les acquéreurs de biens nationaux se multipliaient les sociétés de Jacobins. Il s'en fonda six cents en août et septembre. Toutes les sociétés nouvelles adhérèrent aux Jacobins de Paris. Jacobins et acquéreurs de biens nationaux firent partout cause commune pour défendre à mort la Révolution.

L'Assemblée nationale, tout en s'efforçant de détourner la guerre et en décrétant des mesures pour mettre en défense le territoire, achevait alors le grand ouvrage par lequel elle avait entrepris d'organiser et de fixer la Révolution. Elle s'occupait de mettre en ordre toutes les lois diverses qu'elle avait rédigées au cours des événements. Elle les classait méthodiquement après coup.

Deux républicains, Pétion et Buzot, figuraient parmi les nouveaux membres qu'on avait adjoints au comité de Constitution pour ce travail. C'était comme une garantie qu'en établissant de l'ordre entre les lois, on ne les altérerait pas dans un sens monarchique.

On avait beaucoup réclamé contre les décrets qui imposaient le paiement d'un marc d'argent comme condition d'éligibilité à la députation. La Fayette qualifiait ce décret d'absurde. Jean-Jacques Rousseau, écrivait-il, n'aurait pas été membre de l'Assemblée.

Le comité proposa de supprimer toute condition d'éligibilité pour les représentants, mais de maintenir la condition d'une contribution de trois journées de travail pour les citoyens actifs ou électeurs de premier degré. Il exigeait une contribution de quarante journées de travail pour les électeurs de second degré, ceux qui nommaient les représentants.

Robespierre et Grégoire combattirent énergiquement cette proposition. Ils voulaient le vote universel. L'Assemblée n'y accéda point ; mais elle substitua à la contribution, réclamée parle comité pour les électeurs de second degré, la condition d'être propriétaire ou usufruitier d'un bien évalué, suivant les localités, de cent cinquante à deux cents journées de travail, ou d'être locataire d'une habitation dont le loyer vaudrait de cent à cent cinquante journées de travail, ou enfin d'être fermier ou métayer d'un bien dont le revenu vaudrait quatre cents journées de travail.

Les citoyens actifs étaient entre trois et quatre millions ; les éligibles pour le second degré étaient nombreux encore ; mais le chiffre est difficile à évaluer. C'était de la demi-démocratie. L'article proposé par le comité statuait que les membres de la famille royale ne pourraient exercer les droits de citoyen actif ; c'était établir qu'outre le roi, il subsistait des princes qui avaient une position à part du reste de la nation.

Philippe d'Orléans, qu'on n'appelait plus le duc d'Orléans depuis l'abolition des titres, protesta et déclara qu'il renoncerait à ses droits de membre de la dynastie régnante plutôt qu'aux droits de citoyen français.

Il fut applaudi par l'Assemblée et par les tribunes. Il tâchait de refaire sa popularité, aidé par son fils aîné, jeune homme avisé et actif, qui avait reçu des Jacobins une couronne civique pour avoir sauvé la vie à une personne qui se noyait. Ce jeune homme devait être le roi Louis-Philippe.

Quand l'Assemblée arriva à l'importante question de révision de la Constitution, un député proposa que la Constitution ne pût être révisée avant trente ans.

La Fayette demanda qu'on passât outre sans discuter la proposition, parce qu'elle attentait au droit souverain qu'avait le peuple français de modifier la forme de son gouvernement.

L'Assemblée décida que, lorsque trois législatures successives auraient demandé le changement d'un article de la Constitution, la quatrième législature délibérerait sur ce changement.

L'Assemblée déclara que la Nation avait le droit imprescriptible de réviser la Constitution quand il lui plairait, mais qu'il était de son intérêt de suspendre l'exercice de ce droit pendant trente ans.

L'année ne devait pas achever son cours avant que la Constitution se fût écroulée !

Malouet renouvela en vain ses tentatives pour faire modifier la Constitution dans un sens monarchique et pour faire rétracter les mesures prises contre les émigrés et les prêtres réfractaires. Le côté droit, qui poussait au pire et rejetait toute transaction, le laissa seul.

La Fayette, cependant, parvint à faire rejeter les décrets relatifs à la Constitution civile du clergé dans la classe des lois ordinaires et non des lois constitutionnelles. Il pensait que l'espoir d'obtenir d'une prochaine législature la modification de ces lois calmerait les scrupules du roi sur l'acceptation de la Constitution ; mais, quant aux attributions du pouvoir exécutif, l'Assemblée ne concéda rien.

Robespierre, en termes d'une violence extrême, défia qui que ce fût de transiger avec la cour et demanda que quiconque oserait composer avec le pouvoir exécutif sur un article de la Constitution fût déclaré traître à la patrie. Duport, que Robespierre entendait surtout défier, ne répondit pas ; ni Barnave, ni les Lameth (1er septembre 1791). Les Jacobins n'en étaient plus au lendemain de la journée du Champ de Mars !

La révision fut terminée le 3 septembre. Une grande députation porta la Constitution au roi. Ce fut Thouret, un de ses principaux rédacteurs, qui la présenta à Louis XVI. Le roi promit une prompte réponse et se déclara décidé à rester à Paris.

Le lendemain, les Tuileries furent ouvertes et les consignes de la garde nationale levées. Le roi et la reine furent remis en pleine liberté. Le roi fut bien accueilli du public quand il se rendit à la messe à la chapelle du château.

Louis XVI et Marie-Antoinette furent assaillis par les avis les plus contradictoires. L'abbé Maury, le violent meneur du côté droit, et Burke, le fameux orateur et publiciste irlandais qui avait écrit un livre si passionné contre la Révolution, conjurèrent le roi et la reine de ne point accepter la Constitution. Burke pressait Marie-Antoinette de défendre la cause de tous les souverains, enveloppée dans la sienne. La fermeté seule, lui écrivait-il, vous sauvera.

Personne n'a plus fait que cet étranger pour pousser à leur perte le roi et la reine.

Le premier ministre d'Autriche, le vieux prince de Kaunitz, au contraire, fit passer à Louis XVI le conseil d'accepter. Ce fut aussi l'avis de l'ancien ministre Malesherbes, l'ami de Rousseau et de Turgot.

Malouet conseillait un parti moyen : accepter provisoirement, en signalant les défauts de la Constitution et en attendant que la Nation eût été appelée à se prononcer.

Marie-Antoinette eut avec Barnave une entrevue secrète, comme elle en avait eu une l'année d'avant avec Mirabeau.

Le 13 septembre, Louis XVI envoya son acceptation à l'Assemblée. Il s'exprimait dans son message avec plus de dignité qu'il n'avait fait dans la protestation écrite au moment de sa fuite. Il y expliquait de son mieux sa conduite. Il assurait ne s'être éloigné de Paris que parce qu'en ce moment-là il avait perdu l'espérance de voir se rétablir l'ordre et le respect de la loi ; que, depuis, l'Assemblée avait été frappée, comme lui, de la nécessité de réprimer le désordre ; qu'elle avait modifié certaines dispositions de la Constitution et déterminé dans quelles formes la Constitution pourrait être révisée ; qu'enfin, le vœu du peuple en faveur de la Constitution n'était plus douteux à ses yeux. Il promettait donc de la maintenir au dedans et de la défendre contre les attaques du dehors.

Il faisait seulement quelques réserves sur les moyens d'exécution et d'administration qui ne lui paraissaient pas avoir toute l'énergie nécessaire ; mais il consentait que l'expérience en fût le seul juge.

Il réclamait le concours des pouvoirs contre le désordre et l'anarchie, et l'oubli du passé pour tous dans une réconciliation générale.

Le message royal fut fort applaudi.

L'Assemblée, sur la motion de La Fayette, décréta la mise en liberté des personnes détenues à l'occasion du départ du roi, l'abolition des procédures relatives aux événements de la Révolution, et la suppression des passeports et de toutes entraves à la circulation.

La reine déclara aux envoyés de l'Assemblée qu'elle et ses enfants partageaient les sentiments du roi.

Dans cette même séance du 13 septembre, l'Assemblée décréta la réunion à la France d'Avignon et du comtat ou comté Venaissin, qui étaient tombés, au Moyen Age, dans les mains des papes.

La grande majorité des habitants réclamaient passionnément cette réunion depuis deux ans et l'on eût probablement évité de grands malheurs en déférant plus tôt à leurs vœux.

Le lendemain 14, le roi se rendit à l'Assemblée pour renouveler en personne l'acceptation de la Constitution. Quand le roi entra, l'Assemblée se leva en silence. Il n'y avait plus de trône, mais, à gauche du fauteuil du président, un fauteuil semblable pour le roi. On avait voulu marquer, par ce changement dans l'étiquette, que le chef du pouvoir exécutif n'était plus le souverain, mais seulement le premier des fonctionnaires de l'État.

A la vue du fauteuil, le roi hésita. Il commença cependant à prononcer, debout et découvert, la formule du serment à la Constitution : Je jure d'être fidèle à la Nation et à la Loi.

Puis, s'apercevant que l'Assemblée s'était assise pendant qu'il était debout, il pâlit et s'assit brusquement à son tour avant d'achever la formule en ces termes : Puisse cette grande et mémorable époque être celle de la paix, de l'union, et devenir le gage du bonheur du peuple et de la prospérité du royaume ! L'Assemblée cria : Vive le roi ! Le président Thouret répondit à Louis XVI que c'était l'attachement et la confiance des Français qui lui déféraient la plus belle couronne de l'univers et qu'elle lui était garantie par le besoin que la France aurait toujours de la monarchie héréditaire.

L'Assemblée en corps reconduisit le roi aux Tuileries. Cela ne consola point Louis XVI. Quand il rentra dans ses appartements avec Marie-Antoinette, il s'écria en sanglotant : Quelle humiliation !... Tout est perdu, Madame !...

Les constitutionnels tâchaient en vain de se faire illusion. Le descendant de Louis XIV, l'héritier des monarques absolus, ne pouvait se résigner à devenir le premier magistrat d'une démocratie.

L'acte constitutionnel fut proclamé en grande pompe dans Paris, le 18 septembre, par la municipalité, le maire en tête. Le maire portait le livre de la loi et le montrait au peuple. Ce furent les dernières splendeurs de Bailli.

Le soir, le roi et la reine furent applaudis à l'Opéra, puis aux Champs-Elysées, qu'illuminaient des guirlandes de feu l'arbre en arbre jusqu'à la place de l'Étoile.

Mais, quand on criait : Vive le roi ! durant la promenade, un inconnu qui suivait la voiture du roi ne cessait de protester en criant : Ne les croyez pas ! Vive la Nation !

Le 30 septembre, Louis XVI vint faire ses adieux à l'Assemblée. Il parla mieux qu'à son ordinaire, en termes simples et touchants, de son affection pour le peuple et du besoin qu'il avait d'en être aimé ; il réitéra, sans réserve, sa promesse d'exécuter fidèlement la Constitution.

Il voyait avec anxiété se séparer cette Assemblée qu'il avait si longtemps regardée comme son ennemie et qui le laissait seul devant un avenir obscur et sombre.

Quand le roi se fut retiré, le président Thouret dit : L'Assemblée nationale constituante déclare que sa mission est terminée.

Le peuple, à la sortie, porta en triomphe Robespierre et Pétion.

L'Assemblée, dit La Fayette dans ses Mémoires, se sépara volontairement, sans qu'aucun de ses membres y eût gagné ni fortune, ni places, ni titres, ni pouvoirs, et l'on peut affirmer que jamais aucune réunion d'hommes n'a été conduite par un dévouement plus vrai pour tout ce qui tient à la liberté et par conséquent au véritable honneur d'une nation.

Cette Assemblée, ajoutait La Fayette trente ans après, cette Assemblée, rénovatrice de l'ordre social, ayant à détruire un vaste édifice d'oppression et d'abus, la résistance rendit impossible de rien réformer sans tout abattre. Les principes généraux de la Constitution qu'elle fit, fondés sur les premiers droits de la nature et sur les derniers progrès de la raison, furent sans doute bien salutaires ; car, malgré tout ce qu'on perdit ensuite par l'anarchie, le terrorisme, le maximum, la banqueroute et la guerre civile, malgré une lutte terrible contre toute l'Europe, il est une vérité incontestable : c'est que l'agriculture, l'industrie, l'instruction publique de la France, l'aisance et l'indépendance des trois quarts de sa population se sont améliorés à un degré dont il n'y a pas d'exemple dans l'histoire d'aucun temps et dans aucune partie de l'ancien monde.

La Constituante avait abattu la monarchie absolue et tout ce qui restait du régime féodal, supprimé tous les privilèges et remplacé la hiérarchie des Trois Ordres par l'unité civile et politique de la Nation souveraine, affranchi le travail en proclamant la liberté de tout commerce et de toute industrie, affermi la propriété sur sa vraie base, sur le droit individuel, en abolissant les abus qui usurpaient le nom de propriété, humanisé, éclairé et rectifié la justice, reconnu la liberté de la pensée et de la conscience, de la parole et de la presse.

Elle n'avait pas effectué, mais elle avait préparé le renouvellement et l'unité des lois civiles. Elle n'avait pas organisé l'éducation nationale, mais elle en avait proclamé le principe, en décidant qu'il serait créé une instruction publique commune à tous les citoyens, gratuite à l'égard des parties de l'enseignement indispensables à tous les hommes.

La première en date entre les assemblées qui se sont succédé en France durant quatre-vingts ans de révolutions, elle reste, malgré les fautes de ses derniers jours, la plus grande de toutes dans la mémoire des hommes.