APERÇU DE L’HISTOIRE DE L’ÉGYPTE

Depuis les temps les plus reculés jusqu’à la Conquête Musulmane.

 

APPENDICE.

 

 

Dans les remarques qui servent d’introduction au premier chapitre de la période païenne (voyez plus haut), j’ai indiqué brièvement les sources auxquelles l’égyptologie puise ses renseignements, et j’ai montré que ces sources peuvent être ainsi divisées ; 1° les monuments égyptiens ; 2° les fragments de l’ouvrage de Manéthon ; 3° enfin les écrivains grecs et latins.

Je me propose de revenir ici sur Manéthon et sur les monuments. Quelque longs qu’ils puissent être, les détails qui concernent ces autorités ont leur importance : étudier Manéthon et les monuments, c’est rechercher nos preuves ; c’est demander à l’Égypte elle-même les titres de sa propre histoire ; c’est en même temps démontrer aux habitants de l’Égypte, c’est-à-dire à ceux qui vivent à côté des monuments, la valeur des vénérables débris qui les entourent et qui sont pour eux de vrais parchemins de noblesse. Manéthon d’un côté, les monuments de l’autre, tel sera donc le double objet des développements auxquels cet Appendice est consacré.

 

§ 1er. — MANÉTHON.

Sous Ptolémée Philadelphe, Manéthon écrivit en langue grecque une histoire d’Égypte d’après les archives officielles conservées dans les temples. Comme tant d’autres livres, cette histoire a disparu, et nous n’en possédons aujourd’hui que des fragments, et la liste de tous les rois que Manéthon avait placée à la fin de son ouvrage, liste heureusement conservée dans les écrits de quelques chronographes antérieurs de peu d’années à l’hégire.

Cette liste, on le sait déjà, partage en dynasties ou familles royales, tous les souverains qui ont successivement régné sur l’Égypte. Pour la plupart des dynasties, Manéthon fait connaître le nom des rois, la durée de leur règne, la durée de la dynastie. Pour d’autres (et les moins nombreuses), il se contente de brefs renseignements sur l’origine de la famille royale, le nombre de ses rois et les chiffres des années pendant lesquelles cette famille régna.

Il serait trop long de donner ici ces listes complètes. J’en résumerai les parties principales dans le tableau suivant :

TABLEAU DES DYNASTIES ÉGYPTIENNES, SELON MANÉTHON.

Il n’y a personne qui ne soit frappé de l’énorme total auquel l’addition des dynasties de Manéthon nous fait arriver. Par la liste du prêtre égyptien, nous remontons en effet jusqu’aux temps qui passent pour mythiques chez tous les autres peuples, et qui sont ici certainement déjà de l’histoire.

Embarrassés par ce fait et d’ailleurs ne trouvant, en aucune façon à mettre en doute l’authenticité et la véracité de Manéthon, quelques auteurs modernes ont supposé que l’Égypte avait été, à diverses périodes de son histoire, partagée en plusieurs royaumes, et que Manéthon nous donne comme successives des familles royales dont le règne en définitive aurait été simultané. Selon eux, la Ve dynastie, par exemple, aurait régné à Eléphantine en même temps que la VIe gouvernait à Memphis. — Les avantages de ce système n’ont pas besoin d’être démontrés. En rapprochant certains chiffres, en en corrigeant d’autres, on peut’, avec un arrangement ingénieux et même savant des dynasties, raccourcir presqu’à volonté les listes de Manéthon, et c’est ainsi que là où, dans le tableau précédent, nous arrivons à l’année 5626 avant l’hégire pour la fondation de la monarchie égyptienne, d’autres auteurs, comme M. Bunsen, ne font remonter le même évènement qu’à l’année 4245.

De quel côté est la vérité ? Plus on étudie cette question, plus on s’aperçoit qu’il est difficile d’y répondre. Le plus grand de tous les obstacles à l’établissement d’une chronologie égyptienne régulière, c’est que les Égyptiens eux-mêmes n’ont jamais eu de chronologie. L’usage d’une ère proprement dite leur était inconnu, et jusqu’ici on ne saurait prouver qu’ils aient jamais compté autrement que par les années du roi régnant. Or, ces années étaient loin d’avoir elles-mêmes un point initial fixe, puisque tantôt elles partaient du commencement de l’année pendant laquelle mourut le roi précédent, tantôt du jour des cérémonies du couronnement du roi. Quelle que soit la précision apparente de ses calculs, la science moderne échouera donc toujours dans ses tentatives pour restituer ce que l’es Égyptiens ne possédaient pas. — Au milieu de ces doutes, je crois que ce qui nous éloigne encore le moins de la vérité, c’est l’adoption pure et simple des listes de Manéthon. Je suis bien loin de prétendre que, de Ménès aux empereurs, l’Égypte ait toujours formé un royaume unique, et peut-être (les découvertes inattendues prouveront-elles un jour que, pendant toute la durée de ce vaste empire, il y eut encore plus de dynasties collatérales que les partisans de ce système n’en admettent aujourd’hui. Mais tout porte à croire que le travail d’élimination est déjà fait dans les listes de Manéthon, telles qu’elles nous sont parvenues. Si en effet ces listes contenaient encore les dynasties collatérales, nous y trouverions, avant ou après la XXIe, la dynastie des grands-prêtres qui régna à Thèbes pendant que cette XXIe occupait Tanis ; nous aurions de même à compter avant ou après la XXIIIe, les sept ou huit rois indépendants qui furent ses contemporains et qui devraient, si Manéthon ne les avait éliminés, ajouter autant de familles royales successives à la liste du prêtre égyptien ; de même la dodécarchie compterait au moins pour une dynastie qui se placerait entre la XXVe et la XXVIe, et enfin les rois thébains, rivaux des Pasteurs, prendraient leur rang avant ou après la XVIIe. Il y eut donc incontestablement en Égypte des dynasties simultanées ; mais Manéthon les a écartées pour n’admettre que celles qui furent réputées légitimes, et elles ne sont plus dans ses listes. Autrement, ce n’est pas 31 dynasties que nous aurions à compter dans la série des familles royales antérieures à Alexandre ; c’est jusqu’à 60 peut-être qu’il faudrait monter pour en exprimer le nombre. D’ailleurs, en supposant même que Manéthon n’ait pas voulu faire cette élimination, comment admettre que les abréviateurs de Manéthon, tous plus ou moins intéressés à raccourcir ses listes, ne l’aient point faite eux-mêmes, alors que par le texte de l’ouvrage qu’ils avaient sous les yeux ils en possédaient les moyens ? Tout se réunit donc contre le système des dynasties collatérales, et j’attendrai pour y croire qu’une seule fois les monuments nous aient fait connaître comme simultanées deux des familles royales qui figurent dans les listes de Manéthon comme successives. Je dirai plus : je regarderai l’introduction du système des dynasties partielles dans Manéthon comme l’invention d’une ingénieuse érudition tant qu’on aura pas renversé les preuves par lesquelles les monuments eux-mêmes établissent que celles de ces familles royales qu’on regarde le plus souvent comme collatérales ne le sont pas. J’en citerai deux exemples. Dans la plupart des systèmes, la Ve dynastie règne à Eléphantine pendant que la VIe règne à Memphis. Si la vérité de ce fait historique était admise, chaque dynastie aurait eu ainsi son territoire propre, et il s’ensuit qu’aucun monument de la Ve dynastie ne devait se trouver sur le territoire de la VIe, et réciproquement. Or, nos fouilles nous ont fait découvrir des monuments de la Ve dynastie (Eléphantine) à la fois à Eléphantine et à Sakkarah, et des monuments de la VIe (Memphis) à la fois à Sakharah et à Éléphantine. Si l’on en croyait les auteurs de ces mêmes systèmes, la XIVe dynastie, originaire de Xoïs (Sakha, province de Menoufieh) aurait été contemporaine de la XIIIe, originaire de Thèbes (province de Qéneh). Mais les colosses de la XIIIe dynastie que nous avons trouvés à Sân (province de Charqyeh), à quelques kilomètres seulement de Sakha, ne prouvent-ils pas que la dynastie Thébaine qui les fit élever possédait la Basse-Égypte ? Comme on le voit par ces détails, le système des dynasties collatérales a donc bien des présomptions contre lui. Je ne donne pas pour cela le tableau développé plus haut comme le dernier mot de la science ; sans aucun doute, bien des chiffres de détail sont à corriger ; mais j’admets que les 31 dynasties de Manéthon nous présentent, sans juxtaposition de dynasties collatérales, le nombre des séries royales enregistrées comme légitimes et successives dans les annales officielles de l’Égypte avant Alexandre.

 

§ II. — MONUMENTS.

Il n’est pas de pays, en dehors de l’Égypte, dont l’histoire puisse être écrite sur le témoignage d’un plus grand nombre de preuves vraiment originales. On trouve en effet des monuments égyptiens, non seulement en Égypte, mais encore en Nubie, au Soudan, et jusqu’à Beyrouth. A cette série déjà si nombreuse, il faut ajouter la quantité considérable d’objets antiques qui, depuis 50 ans, sont passés en Europe pour y former les Musées que presque toutes les capitales possèdent. Enfin, on comptera comme une source non moins abondante de matériaux à employer la collection conservée dans le Musée dont la libéralité de S. A. Ismaïl-Pacha a, depuis peu de temps, doté la science.

Faire connaître les principaux d’entre ces monuments dans leurs rapports avec l’histoire d’Égypte est le but de ce paragraphe. Je présenterai donc quelques détails : 1° sur les monuments égyptiens qui ont un intérêt général pour l’histoire ; 2° sur les monuments qui se rattachent plus spécialement à une dynastie, nous la révèlent et servent pour ainsi dire à en certifier l’existence.

Les monuments principaux qui ont un intérêt général pour l’histoire sont les suivants :

1° Le premier est un papyrus conservé au Musée de Turin, auquel il a été vendu par M. Drovetti, Consul Général de France. Si ce papyrus était intact, l’égyptologie ne posséderait pas un monument plus précieux. On y trouve en effet une liste de tous les personnages mythiques et historiques qui ont régné sur l’Égypte depuis les temps fabuleux jusqu’à une époque que nous ne pouvons apprécier, puisque nous ne possédons, pas la fin du papyrus. Rédigée sous Ramsès II, c’est-à-dire à l’une des belles époques de l’histoire d’Égypte, cette liste a tous les caractères d’un document officiel, et nous serait d’un secours d’autant plus efficace que chaque nom de roi y est suivi de la durée du règne et qu’après chaque dynastie intervient le total des années pendant lesquelles cette dynastie a gouverné les affaires de l’Égypte. Malheureusement, l’incurie des fellahs qui l’ont découvert, l’incurie plus grande encore de ceux qui l’ont envoyé en Europe, ont porté au Papyrus royal de Turin le coup le plus funeste, et cet inappréciable trésor, manié par des mains inhabiles, n’existe plus qu’en minimes fragments (on en compte 164) qu’il est le plus souvent impossible de rapprocher. D’une incomparable valeur, s’il était entier, le papyrus de Turin a donc perdu presque tout crédit, et on ne le trouve que bien rarement cité dans les ouvrages qui traitent d’égyptologie.

2° Un autre monument précieux a été enlevé du temple de Karnak par M. Prisse et donné à la Bibliothèque Impériale de Paris. Ce monument est une petite chambre sur les parois de laquelle on a représenté Thoutmès III faisant des offrandes devant les images de 61 de ses prédécesseurs ; on l’appelle la Salle des Ancêtres. Ici, nous n’avons plus affaire à une série régulière et non interrompue ; un choix a été fait par Thoutmès III parmi ses prédécesseurs et, à ceux-là seuls, il adresse ses hommages ; mais quelle est la raison de ce choix ? A première vue, la Salle des Ancêtres ne peut donc être traitée que comme un extrait des listes royales d’Égypte. Le rédacteur guidé par des motifs qui nous échappent, a pris çà et là quelques noms de rois, tantôt acceptant une dynastie entière, tantôt écartant absolument de longues périodes. Notons, en outre, que l’artiste chargé de l’ornementation de la salle en a conçu le plan au point de vue de la décoration, sans se soucier de donner partout aux figures qu’il employait un ordre strictement chronologique. Enfin, rappelons-nous que de regrettables mutilations (12 noms royaux manquent) font perdre à la liste de Paris une partie de son importance. Il s’ensuit que la Salle des Ancêtres n’apporte pas à la science tout le secours qu’on semble en droit d’attendre d’elle. Elle nous a cependant rendu le service de préciser mieux qu’aucune autre liste les noms portés par les rois de la XIIIe dynastie.

3° Le monument appelé la Table d’Abydos est à ajouter à la série de ceux que nous énumérons ici. Comme son nom l’indique, ce monument provient d’Abydos, d’où il a été enlevé par M. Mimaut, Consul-Général de France ; il fait aujourd’hui partie des richesses conservées dans le Musée Britannique. Il n’y a peut-être pas dans toute l’archéologie égyptienne un monument qui soit plus célèbre, et qui mérite moins sa réputation. L’hommage aux ancêtres est fait cette fois par Ramsès II. Originairement les cartouches cités (à part ceux du dédicateur lui-même qui sont répétés 28 fois) étaient au nombre de 50 ; il en reste 30 plus ou moins complets. Comme la Salle des Ancêtres, la Table d’Abydos nous offre donc une liste qui est le résultat d’un choix fait sous l’inspiration de motifs que nous ne connaissons pas. Une autre cause nuit d’ailleurs au crédit dont la Table d’Abydos pourrait jouir dans la science : nous n’en possédons pas le commencement. Après la XVIIIe dynastie, cette liste passe sans transition à la XIIe ; mais à quelle dynastie rattacher les 14 cartouches inconnus que le monument place au-delà de la XIIe ? Appartiennent-ils aux plus anciennes familles royales, ou doit-on s’en servir pour combler une partie du vide monumental qu’on remarque entre la VIe et la XIe ? La Table d’Abydos n’est donc pas une de ces autorités qui, comme aurait pu l’être le Papyrus de Turin, servent à placer une pierre solide dans les fondements de la science : à l’époque où l’égyptologie naissait, elle a certainement aidé Champollion au classement des rois de la XVIIIe dynastie ; plus tard elle a servi de repère à M. Lepsius pour mettre à leur rang respectif les Amenemha et les Ousertasen, et par suite identifier ces rois à la XIIe dynastie de Manéthon ; mais la Table d’Abydos a dit par là son dernier mot, et il n’est pas probable qu’elle nous tienne encore en réserve une de ces révélations qui servent si puissamment aux progrès de nos études.

4° Le monument le plus complet et le plus intéressant que nous possédions en ce genre est celui qui provient de nos fouilles de Saqqarah et qui fait maintenant partie de la collection de Boulaq. Celui-ci n’a pas comme les autres une origine royale. Il a été découvert dans la tombe d’un prêtre égyptien qui vivait sous Ramsès II, nommé Tounar-i. Dans les croyances égyptiennes, un des biens réservés aux défunts qui avaient mérité la vie éternelle, était d’être admis dans la société des rois. Tounar-i est ici représenté pénétrant dans l’auguste assemblée : cinquante-huit rois sont présents. Tous les doutes en présence desquels nous venons d’être amenés par la Table d’Abydos se reproduisent pour la Table de Saqqarah. Pourquoi ces cinquante-huit rois plutôt que d’autres ? Tant que ce problème ne sera pas résolu, la Table de Saqqarah ne jouira dans la science que d’une autorité relative. Il faut dire cependant que la liste du Musée de Boulaq a sur toutes les autres d’incontestables avantages : en premier lieu, nous en connaissons le commencement, et par là nous possédons au sommet de la liste un premier jalon fixe ; en second lieu, entre ce jalon et la fin de la série, s’ajoutent çà et là, au moyen de cartouches antérieurement connus et classés, d’autres jalons intermédiaires qui donnent aux grandes lignes de l’ensemble une précision inconnue aux autres documents. C’est ainsi qu’au-delà de la M’aime dynastie, de la XIIe et de XIe, nous arrivons en face des six premières dynasties que, par une fortune inespérée, nous trouvons presque aussi complètes sur la Table qu’elles le sont dans Manéthon. La Table de Saqqarah est donc cette fois un monument hors ligne sur lequel nous allons tout à l’heure fixer toute notre attention.

Tels sont les plus célèbres des monuments égyptiens qui ont un intérêt général pour l’histoire. Je vais maintenant prendre isolément les dynasties de Manéthon, en indiquant pour chacune d’elles les monuments principaux qui s’y rapportent.

Avant de procéder à ce nouvel inventaire, je dois rappeler que l’égyptologie est une science née en quelque sorte d’hier et qu’on n’écrit pas une histoire d’Égypte comme une histoire de la plupart des autres pays, c’est-à-dire en suivant, les yeux presque fermés, une route depuis longtemps battue. Ici il faut reconnaître cette route à chaque pas, chemin faisant recueillir et contrôler tous les indices, puis assembler les matériaux qu’on aura ramassés çà et là, absolument comme un habile ouvrier rapproche les mille fragments d’un meuble depuis longtemps brisé. On ne s’étonnera donc pas de voir, dans les développements qui vont suivre, que nous n’allons pas toujours directement au but, et que nous entrons souvent dans des détails qui seraient tout autre part oiseux ; on ne s’étonnera pas non plus si, dans l’intention d’édifier le lecteur sur la valeur de nos moyens d’investigation, nous le faisons assister (le temps en temps à l’une de ces lentes opérations par lesquelles nous essayons de recomposer pièce à pièce l’histoire de l’Égypte ancienne.

Ire, IIe et IIIe Dynasties.

Notre guide principal pour la reconstruction de ces trois dynasties est Manéthon, guide à la rigueur un peu suspect à cause du prodigieux éloignement de la période à travers laquelle nous le suivons. La Table de Saqqarah vient heureusement prêter son appui à l’annaliste égyptien. Cette Table ne pouvant nous donner qu’un choix de souverains, il ne faut pas s’attendre à y rencontrer tous les noms que Manéthon énumère. Mais elle cite deux rois de la Ire dynastie, six rois de la IIe, huit de la IIIe. Il n’en faut pas plus pour nous prouver que Manéthon est l’écho fidèle des annales égyptiennes. Désormais, nous pouvons affirmer que ses trois premières dynasties appartiennent à l’histoire authentique de l’Égypte ; nous pouvons de même être certains qu’aucune d’elles ne fut contemporaine de l’autre. — Malgré leur antiquité, les monuments de ces dynasties qui ont traversé les siècles pour venir jusqu’à nous sont encore assez nombreux. Le plus ancien serait la Pyramide à degrés de Saqqarah qui remonterait jusqu’au 4e roi de la Ire dynastie. Après elle, il faudrait placer le tombeau de Top-hotep, trouvé pendant les fouilles du Vice-Roi à Saqqarah et encore en place ;les trois statues de la famille des fonctionnaires Sepa, au Louvre, découvertes il y a 40 ans aux Pyramides, enfin le tombeau et la statue d’Amten, transportés des Pyramides au Musée de Berlin par M. Lepsius et contemporains de l’avant-dernier roi de la IIIe dynastie. — Les fouilles que nous poursuivons en ce moment à Abydos nous livreront tôt ou tard d’autres monuments de ces vieilles familles, si effectivement les buttes au milieu desquelles nos ateliers fonctionnent sont, comme on le croit, celles de Thinis, capitale des rois de la Ire et de la IIe dynastie.

IVe et Ve Dynasties.

Manéthon et la Table de Saqqarah sont encore cette fois nos autorités principales pour l’arrangement des rois de cette période. La Table suit ici l’historien national de si près que rien n’est plus évident que la communauté d’origine des deux listes. Nous enregistrons avec empressement ce résultat qui est le témoignage le plus affirmatif que les monuments aient porté jusqu’ici de la véracité de Manéthon et de ses Tables de l’Ancien-Empire. Les monuments de cette période sont peut-être les plus connus de toute l’Égypte : j’ai assez nommé les Pyramides. Les Pyramides de Gyseh appartiennent en effet à la IVe dynastie ; parmi les autres on en compte, particulièrement à Abousyr, qui remontent à la Ve. Je citerai aussi comme d’importants vestiges de la civilisation sous ces deux familles royales, les magnifiques tombes que les voyageurs vont visiter aux Pyramides et à Saqqarah. Enfin, on ajoutera à cette liste le temple tout (l’albâtre et (le granit que nous avons découvert près du Grand Sphinx de Gyzeh, monument unique jusqu’à présent, puisqu’il est le seul spécimen que nous possédions de l’architecture monumentale de l’Ancien-Empire. — Cette énumération des monuments qui se rapportent à la IVe et à la Ve dynastie ne serait pas complète si je ne mentionnais les principaux objets de cette époque que possède le Musée du Vice-Roi. Ce sont : 1° la statue de Chéphren, fondateur de la 2e Pyramide. Cette statue, qui n’a pas aujourd’hui moins de 60 siècles, n’est pas seulement remarquable par sa haute antiquité : le fini des détails, l’ampleur et la majesté de l’ensemble la rendent aussi un des morceaux les plus rares qu’on puisse rencontrer. Elle jette d’ailleurs sur l’histoire de l’art en Égypte un jour inattendu, et nous montre qu’il y a six mille ans les artistes égyptiens n’avaient déjà plus de progrès à faire. 2° Une inscription sur une pierre carrée, contemporaine de Khoufou, le fondateur de la 1re Pyramide, et relatant les offrandes faites à un temple par ce roi. Ces offrandes consistent en images divines travaillées avec la pierre, l’or, le bronze, l’ivoire et le bois. Cette inscription, modèle précieux des formules monumentales usitées sous la IVe dynastie, est à l’écriture et à la langue ce que la statue de Chéphren est à la sculpture ; elle détermine la limite que la civilisation égyptienne avait atteinte au commencement de la IVe dynastie, et nous fournit, en même temps, un terme de comparaison précieux pour le classement des monuments qui se rapportent aux diverses époques de l’Ancien-Empire. 3° Une grande stèle trouvée aux Pyramides de Gyzeh et consacrée à la mémoire d’une princesse qui, après avoir été grande favorite dans le sérail des deux rois Snéfrou II (Sôris de Manéthon) et Khoufou (Souphis I du même historien), fut attachée à la maison civile de Schafra (Souphis II de Manéthon, Chéphren des Grecs). Cette stèle assure ainsi, d’accord avec la Table de Saqqarah, la place relative des trois pharaons que nous venons de nommer. 4° Une statue de bois. Jamais l’art égyptien n’a produit un portrait plus ressemblant. Le personnage que cette statue représente vit en quelque sorte dans son image. La tête surtout est étudiée avec une vérité frappante. C’est, dans toute sa pureté, ce type fin et rond qu’on rencontre aujourd’hui dans la plupart des villages de la Basse-Égypte. Le monument devait d’ailleurs être encore bien plus remarquable quand il possédait ce petit enduit composé d’une gaze fine recouverte de stuc qui servait au sculpteur à compléter son œuvre. 5° Plusieurs beaux sarcophages de granit rose et noir. Les uns appartiennent à des princes de la IVe dynastie ; les autres sont précieux par les ornements dont les quatre faces extérieures sont couvertes. On trouve là d’excellents modèles de cette architecture à grandes lignes usitée sur les façades des édifices du temps. — Je rappellerai d’ailleurs que la IVe et la Ve dynastie sont si riches en monuments de tout genre que la seule collection du Musée de Boulaq compte une cinquantaine de stèles monolithes de 2 à 3 mètres de hauteur, et autant de belles statues de toutes matières.

VIe Dynastie.

Quatre rois dans la Table de Saqqarah, six rois dans Manéthon. Depuis Ménès, la Table compte 36 noms, Manéthon 49. Les six dynasties ont d’ailleurs leurs représentants sur le monument de Tounar-i. De ce fait, je conclus sans hésitation qu’il n’y a ici aucune dynastie collatérale. — La VIe dynastie a des monuments à Eléphantine, à El-Kab, à Kasres-Sayad, à Abydos, à Cheykh-Said, à Zaonyet-el-Maïtin, à Memphis, à Sân, à Wadi-Magliara. Elle a ainsi occupé les bords du Nil de la Méditerranée à la Cataracte. Parmi les monuments de cette dynastie que possède le Musée de Boulaq, je citerai : 4° une grande inscription de 50 lignes provenant d’un tombeau découvert à Abydos. Un fonctionnaire, nommé Ouna, y prend la parole et raconte sa vie. Après avoir obtenu diverses distinctions sous les rois Teti et Papi (Apappus), il servit encore sous un 3e roi nommé Meri-en-Ra. Notre inscription, à la vérité, infirme singulièrement la durée de 400 ans attribuée au règne du second de ces Pharaons ; mais elle place les trois rois, Teti, Papi et Meri-en-Ra à leur rang chronologique. 2° une seconde inscription relative à un autre fonctionnaire d’Abydos. Celui-ci passa sa vie sous Papi et Meri-en-Ra et mourut sous un quatrième pharaon nommé Nefer-ké-Ra. Comparées l’une à l’autre dans leurs éléments chronologiques, les deux inscriptions d’Abydos certifient donc la succession de quatre rois de la Vioc dynastie, et sont, pour les personnes qui n’ont pas l’habitude des études archéologiques, un bon exemple des procédés à l’aide desquels la science parvient à mettre patiemment à sa place chacun des innombrables rois dont se compose le canon égyptien. — J’en finirai avec la période des trois dynasties que nous venons d’analyser en indiquant les traits principaux qui permettent de classer ente eux les divers monuments qui remontent à ces temps reculés. Ces monuments ont presque tous un caractère commun : ils sont funéraires. Les tombes elles-mêmes sont, dans l’ensemble, conçues sur un plan uniforme. Un édicule de forme massive et carrée où, à certains anniversaires, les parents du mort se réunissaient, un puits creusé verticalement dans le sol et au fond de ce puits des chambres à jamais closes quand elles avaient reçu leur dépôt funèbre, tel en est l’arrangement général. La manière d’orner cet ensemble était aussi à peu près uniforme. Plus de figures que de textes, absence absolue d’images de divinités, scènes nombreuses tirées de la vie privée et particulièrement des travaux des champs, titres des défunts plutôt religieux que civils, emploi des cartouches royaux dans ces titres très fréquents, en général travail des sculptures en même temps vigoureux et fin. En analysant ces monuments, on distingue cependant certaines différences qui les font ranger en trois classes. Les premiers appartiennent au type le plus ancien. Tel est le tombeau d’Amten. On y sent un art et une écriture qui se forment. Les hiéroglyphes sont clairsemés et en relief. Les formes rudes y abondent. Les statues sont trapues ; les détails anatomiques y sont exagérés. Les seconds ont plus d’assiette. Les hiéroglyphes ont des formes moins heurtées ; l’œil du texte a plus d’harmonie. Ces textes eux-mêmes se lisent mieux. L’élément alphabétique se substitue peu à peu à l’élément syllabique qui prend une si large part dans les légendes du temps d’Amten. Du reste, peu de généalogies ascendantes. Au seul Anubis s’adressent les formules d’invocation. Le tombeau de Ti, à Saqqarah, découvert pendant nos fouilles il y a quelques années, est le plus beau spécimen que je connaisse des monuments de cette seconde époque. La troisième est contemporaine de la Virile dynastie. Le nom d’Osiris, jusqu’alors si rare, commence à être plus usité. La formule le justifié se rencontre aussi en de rares occasions. Les textes s’allongent ; de belles formules de prières se montrent et quelques récits biographiques varient la monotonie des représentations. C’est dans les tombes de ce temps et dans celles qui sont contemporaines de Ti que se trouvent ces belles statues élancées, au visage rond, à la bouche souriante, au nez fin, aux épaules larges, aux jambes musculeuses, dont on trouvera de si jolis spécimens dans notre Musée. C’est enfin dans ces mêmes sépultures que l’antiquaire recueille ces énormes stèles monolithes taillées en forme de façade d’édifice dont le Musée de Boulaq est également si riche. Jusqu’à quelle époque après la -rime dynastie l’usage de ces monuments se maintint-il ? Je ne saurais le dire. Depuis deux ans, je poursuis dans la nécropole de Saqqarah, avec des chances variées, la solution de ce double problème : faut-il regarder quelques-unes des tombes que je viens de décrire comme postérieures à la VIe dynastie et les faire même contemporaines de la XIIe qui, chose remarquable, n’est pas représentée dans les cimetières de Memphis ? Ou bien, en présence des monuments d’un tout autre style que nous offre à Thèbes la XIe dynastie, faut-il supposer que les traditions funéraires de l’Ancien-Empire aient été tout à coup rompues au milieu des perturbations encore inexpliquées, qui, après le VIe, ont amené le vide monumental dont je vais parler ? Jusqu’ici aucun argument ne nous permet de formuler un jugement définitif.

VIIe, VIIIe, IXe et Xe Dynasties.

Le vide monumental qui distingue cette période est déjà connu. Il n’y aurait rien d’étonnant cependant à ce que plusieurs des tombes portant les cartouches de Pépi, de Téti et des autres rois de ce temps appartinssent aux cieux premières de ces quatre dynasties, lesquelles sont 3lemphites. Quant à la IXe et à la Xe dynastie que Manéthon place à Héracléopolis, nous n’en n’avons encore trouvé aucune trace, peut-être parce que Meydoun, Licht, Ahnas-el-Medyneh, et en général toute la zone de terrain qui barre l’entrée du Fayoum, ont été négligés des fouilleurs. Il ne faudrait pas croire d’ailleurs que l’absence des monuments soit aussi absolue qu’on serait tenté de le supposer. Peut-être, en effet, les quatorze cartouches placés à la rangée supérieure de la Table d’Abydos représentent-ils des rois de l’époque dont nous nous occupons. De son côté, la Salle des Ancêtres fait connaître quelques personnages de sang royal qui auront pu profiter des discordes du temps pour préparer l’avènement de la XIe dynastie, et qui, par conséquent, seraient des contemporains de la Xe. Enfin de nouveaux monuments seraient indispensables pour éclaircir la question de savoir si, comme je le crois, quelques-uns des rois nommés Sebekhotep n’appartiennent pas aussi à l’une de nos VIIe, VIIIe, IXe ou Xe dynasties. En résumé, cette période est à étudier dans de nouvelles fouilles.

XIe Dynastie.

Manéthon ne donne pas les noms des rois qui composèrent cette dynastie. L’étude des monuments révèle une demi-douzaine de rois qui forment sans aucun doute une même famille et qui sont restés longtemps sans classement. On doit à une stèle du Musée de Leyde un renseignement qui permet de donner à cette famille sa place dans les annales égyptiennes. Il résulte en effet de la traduction du texte gravé sur cette stèle qu’un personnage qui mourut sous un roi déjà classé de la XIIe dynastie aurait eu pour bisaïeul un autre personnage qui vivait sous l’un des rois de notre groupe. Le doute n’est donc pas possible, et ces rois, précédant la XIIe, forment incontestablement la XIe. — La partie de Thèbes appelée Drah-abou’l-neggah est le lieu qu’il faudra fouiller toutes les fois qu’on voudra obtenir des renseignements sur la XIe dynastie. A plusieurs reprises, les fellahs y ont trouvé, depuis quarante ans, des sépultures de rois aussi précieuses que rares. Malheureusement, ces découvertes faites par des mains ignorantes n’ont rien donné à la science. Drah-abou’l-neggah a été du reste l’objet de toute notre attention pendant nos dernières fouilles, et d’heureux résultats nous sont restés entre les mains. C’est en effet de Drah-abou’l-neggah que viennent plusieurs stèles du Musée, et presque tous les vases, fruits, pains, vêtements, meubles, armes, ustensiles, que notre collection possède. En faisant l’histoire de la XIe dynastie, j’ai parlé du style rude qui caractérise cette époque. Je reviens sur cette question pour faire remarquer que les objets qui s’y rapportent n’ont avec les dynasties antérieures aucune de ces ressemblance qui trahissent des liens de parenté. Quelle qu’en ait été la cause, la Mme dynastie est une renaissance. De carrées qu’elles étaient, les stèles sont devenues arrondies par le haut. Les hiéroglyphes y ont une gaucherie particulière qui ne ressemble en rien à celles des tombes de la XIe dynastie. Les sarcophages de ce temps ont aussi un caractère particulier qui les fait reconnaître à première vue. Par allusion à la déesse Isis qui protége son frère Osiris auquel le mort est assimilé, en étendant sur lui ses bras armés d’ailes, les cercueils sont couverts d’un système d’ailes peintes en couleurs variées et éclatantes. — Comme je l’ai dit plus haut, Manéthon ne mentionne la Kline dynastie que brièvement et sans nous donner les noms de ses rois. Sur. la Table de Saqqarah cette famille royale est représentée par deux seuls cartouches. Quant à la Salle des Ancêtres, elle serait de beaucoup la plus complète si le rédacteur de la liste n’avait pas rangé pèle mêle les cartouches de la Mme dynastie au milieu d’autres noms appartenant à la VIe, à la XIIe et même à la XVIIe. En somme, tout n’est pas dit sur cette intéressante famille royale, et il n’est pas douteux que nos fouilles de Drah-abou’l-neggah ne nous livrent encore quelques renseignements précieux.

XIIe Dynastie.

C’est la famille des Ousertasen et des Amenemha. On en trouve la liste, non seulement dans Manéthon, mais dans la Table d’Abydos, la Table de Saqqarah et la Salle des Ancêtres. De Ouady-Maghara à Kumneh et à Semneh (au-delà du Ouady Haifa) ses traces se rencontrent. C’est à elle qu’on doit l’obélisque de Matarieh, l’obélisque de Begyg (Fayoum), les magnifiques hypogées de Beni-Hassan, quelques-unes des grottes de Syout, et plusieurs beaux colosses trouvés pendant nos t’ouilles à Sân et à Abydos. Tous ces monuments se font remarquer par leur grand style, et nous prouvent que l’une des plus brillantes époques de l’art égyptien est celle qui fut contemporaine de la XIIe dynastie. — La place que doit prendre cette famille dans la série successive des dynasties a été longtemps incertaine. Au début des études égyptiennes, la Table d’Abydos était le seul document qui pût nous amener à distinguer quelle était cette place. Mais la Table d’Abydos, sans qu’on s’en doutât alors, saute cinq dynasties, et met ainsi les Ousertasen en contact immédiat avec les Thoutmès (XVIIIe dynastie). Longtemps on a donc cru, avec une apparente raison, que les Ousertasen formaient la XVIIe dynastie. C’est à M. Lepsius qu’on doit d’avoir le premier reconnu la fausseté de cette attribution. Manéthon nomme dans la XIIe dynastie des rois parmi lesquels dominent les noms d’Amenemès et de Sesortosis ; mais la Table nomme de son côté des souverains qui s’appellent tous Amenemha et Ousertasen : ajoutons que la série des noms d’Abydos s’adapte (après correction toutefois) à la série des noms de l’historien national. Les Ousertasen ne sont donc pas de la XVIIe dynastie, et on voit par ces courtes explications que leur place est indubitablement dans la XIIe. — J’ai un dernier renseignement à ajouter. Manéthon compte la durée de la XIIe dynastie pour 160 ans, et la durée de la XIe pour 43, en tout 203 ans. De son côté, le Papyrus de Turin donne le chiffre 213 pour le total de la durée d’une famille royale qui se termine par les deux derniers rois de la XIIe dynastie, mais dont le point initial a disparu avec les mutilations subies par ce monument. Faut-il corriger une erreur de 40 ans dans Manéthon, et faire porter les 213 ans du Papyrus sur la XIe et la XIIe dynastie, comme si le Papyrus, de ces deux familles, n’en faisait qu’une ? La question est d’autant plus douteuse que j’ai trouvé à Drah-abou’l-neggah une stèle sur laquelle on lit déjà l’an 50 de l’un des rois de cette dynastie à laquelle Manéthon n’attribue que 43 ans de règne.

XIIIe et XIVe Dynasties.

Les noms, des rois de ces deux dynasties ne sont pas cités dans Manéthon, ce qui est toujours un embarras quand il s’agit de retrouver la série monumentale correspondante. Les monuments sont venus ici à notre aide. Au côté droit de la Salle des Ancêtres et sur des objets de diverse nature conservés dans les Musées, on lit les noms de plusieurs pharaons qui se sont généralement appelés Sebekhotep et Nofrehotep et, qui à eux seuls forment une famille nombreuse. Où classer cette famille ? Une inscription de Senmeh, signalée par M. de Rougé, mentionne à la fois Sebekhotep I vivant et Ousertasen III mort : donc les Sebekhotep sont postérieurs à la XIIe dynastie. Un renseignement du même genre est fourni par le Papyrus de Turin. Un grand fragment a heureusement conservé la tête de deux colonnes : à la première colonne se voient des cartouches bien connus de la XIIe dynastie ; mais la seconde commence précisément par le cartouche-prénom de Sebekhotep IV. Encore une fois la grande famille où domine le nom de ce dernier prince ne peut donc être rangée qu’après celle des Amenemha et des Ousertasen. Mais on se rappellera : 1° que les Sebekhotep sont antérieurs à la XVIIIe dynastie, puisqu’ils nous sont révélés principalement par un monument du règne de Thoutmès III ; 2° qu’ils furent des rois indépendants, puisqu’ils possédèrent l’Égypte du fond de la Nubie à la Méditerranée, ce qui empêche qu’ils soient contemporains des Pasteurs auxquels on attribue les XVe, XVIe et XVIIe dynasties. La marge des erreurs possibles se rétrécit donc de plus en plus, et on voit par ces détails que nous n’avons à hésiter qu’entre la XIIIe et la XIVe dynastie. Or la XIIIe dynastie eut une durée de 453 ans, et comme elle eut Thèbes pour siége officiel de son gouvernement, il est plus naturel de lui attribuer les beaux monuments des Sebekhotep que de supposer que ces monuments soient dus à la XIVe qui, pendant 184 ans, régna dans une localité obscure du Delta (Xoïs). C’est donc en vain que Manéthon aura passé sous silence les noms des rois qui succédèrent aux Amenemès et aux Sesortosis : on vient de voir comment la science, par une suite d’inductions ingénieuses et délicates, a su les retrouver.— On rencontre, du reste, les cartouches des deux dynasties qui nous occupent, non seulement au Papyrus de Turin et au côté droit de la Salle des Ancêtres, mais encore sur des stèles répandues dans les divers Musées, sur des colosses de Sein, sur les parois de quelques hypogées de Syout, ainsi qu’à Assouan et à Hamamât. — Je dois ajouter que plusieurs rois, ente autres Skhaï-het, dont les cartouches figurent dans les collections du Musée Vice-Royal, ne sont classés que conjecturalement dans la XIVe dynastie, et que rien ne m’étonnerait si des recherches nouvelles aidées de monuments encore à découvrir nous forçaient à reporter ces rois à la période qui s’étend de la VIe à la XIe.

XVe et XVIe Dynasties.

Ici vide monumental qui a pour cause la présence des Hycsos. Ceux-ci ne nous ont laissé aucune trace directe de leur passage sur les bords du Nil. Peut-être les rois égyptiens, expulsés des provinces septentrionales, ont-ils régné sur quelques points encore ignorés de la Haute-Égypte ; mais, pas plus que les Pasteurs, ils ne sont représentés dans la série des monuments égyptiens.

XVIIe Dynastie.

Dynastie double. Une dynastie de rois Pasteurs règne à Sein, tandis qu’une dynastie de rois Égyptiens règne à Thèbes. La renaissance qui se manifeste à Thèbes offre dés analogies singulières avec celle qu’on constate au commencement de la XIe dynastie. A ce moment Drah-abou’l-neggah devient de nouveau le cimetière de Thèbes. Les cercueils richi (c’est-à-dire à plumes), et les mauvaises momies qui les emplissent, reparaissent. Les mêmes vases, les mêmes armes, les mêmes meubles se retrouvent dans les tombes. Quelques cercueils de princes et de personnages élevés, sans négliger l’ornement traditionnel des ailes, sont dorés des pieds à la tète, autre manière de rappeler, par le chatoiement de l’or dans les parties saillantes, un des titres d’Isis protégeant Osiris : elle a fait de la lumière avec ses plumes. En outre les morts s’appellent comme autrefois Entef, Améni, Ahmès, Aah-hotep, si bien qu’aujourd’hui l’œil le plus exercé a peine à distinguer entre eux des monuments que’ plusieurs dynasties et une longue invasion séparent. Quant aux rois et aux princes de cette XVIIe dynastie thébaine, on les trouve mentionnés dans des listes gravées sur les murs de certaines hypogées de Qournah, sur une table à libations du Musée de Marseille, et sur quelques objets conservés dans les collections publiques de l’Europe et de Boulaq. Les abréviateurs de Manéthon nous ont laissé d’après l’annaliste égyptien, diverses listes des rois qui formèrent la XVIIe dynastie de Sân. Dans ces noms propres (Saïtès, Staan, Assis, Asseth, Sethos) le nom du dieu Set, en honneur parmi les peuples dont les Khétas ont été le rameau le plus distingué, parait avoir dominé. Deux seuls des noms royaux de la XVIIe dynastie de Sein ont été jusqu’ici retrouvés sur les monuments : celui du premier roi de la dynastie, Saïtès (écrit sur une stèle de notre Musée Set aa pchti Noubti), et celui du dernier roi Apophis, dont l’orthographe égyptienne Apapi est exactement celle de l’Appapus de la VIe dynastie. Les monuments se rapportant aux Pasteurs de la XVIIe dynastie sont d’ailleurs : 1° quatre grands sphinx de granit (Musée de Boulaq) trouvés à Sân ; au lieu de la coiffure ordinaire ils ont la tête couverte d’une épaisse crinière de lion ; les traits du visage sont anguleux, sévères, vivement accentués et rappellent ceux des pêcheurs actuels du lac Menzaleh ; sur l’épaule droite de chacun d’eux Apophis a fait graver ses cartouches avec le titre aimé de Set ; plus tard ils ont été usurpés de nouveau par Ménephtah (XIXe dynastie) et Psousennès (XXIe) : 2° un groupe de granit (Musée de Boulaq) représentant deux personnages debout tenant sur leurs mains étendues une table d’offrandes chargée de poissons et de fleurs ; ce magnifique morceau n’a aucune légende contemporaine de l’époque de son érection ; mais le travail des têtes, identique à celui des quatre sphinx, assure la date du monument ; 3° une tête de roi Pasteur (Musée de Boulaq) trouvée à Myt-Farès (Fayoum), découverte importante en ce qu’elle prouve que les Pasteurs se sont avancés jusque-là et par conséquent ont occupé Memphis ; 4° un papyrus du Musée de Londres ; selon le récit dont ce papyrus conserve le texte, le Roi Raskenen gouvernait à Thèbes tandis que notre Apophis était établi à Sân ; ce papyrus parle d’une querelle et laisse entrevoir des hostilités prochaines entre les deux souverains ; 5° un second récit gravé sur les parois de l’un des tombeaux d’El-Kab appartenant à un fonctionnaire nominé Ahmès ; ici encore l’inscription raconte les principaux évènements de la vie du défunt. Ahmès passa son enfance sous Raskenen, et prit ensuite part aux campagnes du roi Amosis contre les Pasteurs, campagnes qui eurent pour résultat la définitive expulsion de ces Asiatiques ; 6° enfin je mentionnerai, comme se rapportant indirectement à notre XVIIe dynastie des Hycsos, la grande stèle de granit trouvée pendant nos fouilles à Sân et dont le vrai sens échappe encore à nos investigations ; elle est du règne de Ramsès II (XIXe dyn.) et datée de l’an 400 du roi Set aa pchti Noubti ; si ce roi est le Saïtès de Manéthon, il semblerait, quel que soit le motif de l’érection de la stèle, que 400 ans se sont écoulés entre l’avènement de la XVIIe dynastie et l’année de Ramsès II pendant laquelle notre texte a été gravé, renseignement dont l’importance chronologique n’échappe à personne. L’année du règne de Ramsès II est à la vérité inconnue ; mais comme la stèle contient une invocation à Set, et que le culte de Set (ou Sutekh) ne fut rétabli à Sân qu’après la paix conclue entre les Khétas et Ramsès, l’an 23 du règne de ce dernier prince, il s’ensuit que la date cherchée est postérieure à celle que nous venons d’énoncer.

XVIIIe Dynastie.

Le classement des rois de la XVIIIe dynastie ne s’établit pas sans discussion. Des altérations regrettables ont en effet porté atteinte à l’intégrité des listes (le Manéthon. Non seulement les noms propres y sont mal transcrits, mais on y trouve aussi certains règnes transposés. D’un autre côté, la Table d’Abydos, qui seule des monuments hiéroglyphiques a conservé une liste suivie des rois de ce temps, n’est pas complète et de parti pris saute par-dessus quelques personnages royaux qu’elle a sans cloute regardés comme illégitimes. Quant à la Table de Saqqarah, des 12 cartouches qu’elle place entre Ramsès II et Amosis, dix sont à jamais perclus. Nous devons donc renoncer à obtenir, soit de Manéthon, soit des monuments, une liste déjà faite de la XVIIIe dynastie, et pour avoir cette liste, il faut la demander aux éclaircissements qu’on pourra tirer çà et là de l’étude des textes. — Les monuments principaux qui, après la Table d’Abydos, servent à amener cet important résultat sont : 1° l’inscription d’El-Kab, dont nous avons déjà parlé. On y trouve la mention chronologique des quatre rois sous lesquels Ahmès vécut : Raskenen, Amosis, Aménophis I et Thoutmès I. Le premier de ces rois appartenant à la XVIIe dynastie, on rangera les trois autres en tète de la XVIIIe. 2° Une autre inscription tirée d’un tombeau d’El-Kab, et la base d’une statue, aujourd’hui au Louvre, découverte dans le même tombeau. Ici le personnage auquel ces monuments se rapportent vécut successivement sous Amosis, Aménophis I, Thoutmès I, Thoutmès II et Thoutmès III. Dans le courant du même texte est nommée la régente Hatasou, sans rang chronologique ; mais comme Thoutmès III fit marteler ses cartouches, et qu’elle-même usurpa souvent ceux de Thoutmès II, il s’ensuit qu’elle se place entré ces deux princes. La première série d’El-Kab est donc augmentée par la seconde de trois nouveaux cartouches. La parenté de ces rois, et en particulier celle des Thoutmès, est d’ailleurs établie par divers autres monuments parmi lesquels on distingue les obélisques de Karnak, la grande inscription commémorative des campagnes de Thoutmès III dans le même temple, et des statues que possèdent les Musées de Londres et de Berlin. 3° Une stèle du Musée de Boulaq, consacrée à un personnage nommé Neb-oua. Thoutmès III et Aménophis II y sont placés dans leur ordre. 4° Une inscription du tombeau de Hor-em-heb à Abd-el-Qournah (prov. de Qéneh). Hor-em-heb fut successivement le serviteur des rois Aménophis II, Thoutmès IV et Aménophis III. La série se continue donc sans interruption, et déjà nous possédons la presque totalité des rois de la XVIIIe dynastie. Si l’on en croyait la Table d’ Abydos et Manéthon, le dernier de ces rois, Aménophis III, aurait eu pour successeur immédiat Horus. Cependant si l’on étudie les monuments, on s’apercevra qu’Horus a fait construire à Karnak un pylône avec les matériaux d’un édifice détruit portant les cartouches de Khou-en-Aten (aussi nommé Aménophis), lequel Khou-en-Aten lui est par conséquent antérieur ; que ce Khou-en-Aten a fait exécuter des martelages dont les traces se reconnaissent sur les inscriptions jusqu’à la fin du règne d’Aménophis III, preuve qu’à son tour Aménophis III était antérieur au roi fanatique de Tell-el-Amarna. Le doute n’est donc pas possible, et entre l’Aménophis et l’Horus de la Table d’Abydos prendra place celui que nous appelons avec raison Aménophis IV. Je ne pousserai pas plus loin ces démonstrations : je ne ferai pas voir par quelle suite d’observations on a découvert qu’Aménophis IV ne fut pas le seul de sa lignée, et qu’il eut pour successeurs deux ou trois souverains exclus comme lui de la série des Pharaons légitimes. Ce que j’ai voulu prouver, c’est que les monuments à eux seuls nous ont rendu la XVIIIe dynastie tout entière, et que nous n’avons en définitive rien perdu aux altérations du texte de Manéthon et aux lacunes de la Table d’Abydos. — Avec la XVIIIe dynastie, nous entrons du reste dans la période monumentale. A Gebel-Barkal, près d’Abou-Hammed et de la 4e cataracte, Aménophis III fonda un temple dont les avenues sont précédées de sphinx en forme de béliers accroupis. A Soleb, entre la 2e et la 3e cataracte, à Semneh, un peu au-dessus de Wadi-Halla, à Amada en Nubie, des temples sont bâtis par Thoutmès III. Un des plus jolis temples de l’Égypte, détruit il y a 30 ans par le vandalisme des habitants d’Assouan, avait été fondé dans l’île d’Eléphantine par Aménophis III. Une porte de granit encastrée dans la cour d’enceinte du temple d’Ombos, rappelle le souvenir de la régente Hatasou. A Gebel-Silsileh apparaissent des bas-reliefs qui relatent les campagnes d’Horus. Thèbes est en quelque sorte toute resplendissante encore des belles constructions qu’y a laissées la XVIIIme dynastie. Sur la rive gauche, c’est le temple de Deir-el-Bahari, c’est la partie septentrionale de Médinet-Abou, œuvre des Thoutmès, ce sont les colosses d’Aménophis III, ce sont les magnifiques hypogées d’Abd-el-Qournah, ce sont les trois ou quatre tombeaux de rois qu’on visite dans la vallée de l’Ouest ; sur la rive droite, les grosses constructions de Karnak sont dues à la XVIIIe dynastie, et Aménophis HI fut le fondateur du temple de Louqsor à l’embellissement duquel ses successeurs jusqu’à la XXVIe dynastie travaillèrent. Dans les autres parties de l’Égypte, la XVIIIe dynastie n’a pas laissé moins de traces. On en trouve à El-Kab, à Tell-el-Amarna, à Gebel-Touneh, à Memphis, à Saqqarah, aux Pyramides, à Héliopolis, à Serbut-el-Kadim, à Wadi-Maghara. — Enfin, je rappellerai que la XVIIIme dynastie est de celles qui ont le plus enrichi les Musées d’Europe et du Caire. Les belles statues de Turin sont en effet de la XVIIIe dynastie. Le Musée du Vice-Roi possède un buste colossal représentant Thoutmès III qui certes égale ces statues comme œuvre d’art. C’est aussi au Musée de Boulaq qu’appartient la stèle degranit qui, bien que nouvelle dans la science, est déjà cependant célèbre. Sur cette stèle est gravé un poème composé en l’honneur des victoires de Thoutmès III. L’inspiration la plus pure a guidé l’auteur de ce beau chant poétique qui, bien qu’antérieur de plusieurs siècles à Homère et à la Bible, n’en est pas moins un des plus précieux échantillons de la littérature ancienne. C’est aussi à la XVIIIe dynastie, et au premier de ses rois, que remontent les beaux bijoux découverts sur la momie de la reine Aah-hotep, mère du roi Amosis, et aujourd’hui conservés dans la collection de Boulaq. Parmi les plus remarquable d’entre eux, il faut citer :

1° Une hache, symbole ordinaire de la divinité. Le tranchant est d’or massif. On y voit d’un côté des représentations symboliques ; de l’autre est une image du roi Amosis lui-même, les jambes écartées et levant le bras pour frapper un barbare. Le manche de cette hache est en bois recouvert d’une feuille d’or. Une légende hiéroglyphique, découpée dans la feuille d’or, laisse lire toute la série des titres royaux d’Amosis.

2° Un pectoral en or massif découpé à jour. Ce monument, unique jusqu’ici et d’un prix inestimable, a la forme générale d’une chapelle égyptienne. Au centre, Amosis est représenté debout dans une barque et naviguant sur l’Océan céleste. Deux divinités sont près du roi et lui versent sur la tète l’eau de purification. On remarquera le fini d’exécution qui distingue ce rare monument. Les couleurs ne sont pas obtenues, comme on le pense généralement, par des émaux, mais par des plaquettes de pierres précieuses arrangées dans des cloisons d’or. Les pierres qu’on y remarque sont : la turquoise, le lapis-lazuli, la cornaline rouge. Au revers le monument offre une série de gravures à la pointe qui forment un ensemble peut-être plus harmonieux encore que la face principale.

3° Une barque en or massif portée sur un chariot à roues de bronze. La forme de cette barque rappelle celle des caiks de Constantinople et des gondoles de Venise. Les rameurs sont en argent massif. Au centre se tient assis un petit personnage armé d’une hache et d’un bâton recourbé. A l’arrière est le timonier qui dirige la barque au moyen du seul gouvernail connu alors, c’est-à-dire par une rame à large palette. A l’avant est debout le chanteur, chargé de régler la cadence des rameurs. Près de lui sont gravés les cartouches du roi Kamès. Quant à la signification de ce monument, elle était toute symbolique. Les Égyptiens croyaient qu’avant d’arriver à sa dernière demeure, l’âme devait traverser des espaces éthérés où se rencontraient des champs, des fleuves, des canaux. La barque symbolisait ce voyage dans l’autre monde.

4° Un bracelet en or massif avec figures en or sur fond de lapis-lazuli. Ce bracelet est encore un chef-d’œuvre de gravure. Les représentations qu’on y voit sont celles de divinités funèbres.

5° Trois abeilles découpées dans des plaques d’or massif et réunies par une chaîne commune. On pense que ces trois abeilles formaient une décoration. L’usage des décorations dans l’ancienne Égypte est constant. A El-Kab un fonctionnaire, nommé Ahmès comme le roi et contemporain des bijoux dont nous nous occupons, raconte sa biographie sur les parois du tombeau où il a été enseveli. On y voit qu’Ahmès servit successivement sous plusieurs souverains et que, pour les actes de bravoure dont il s’honora, il fut décoré jusqu’à sept fois. Mais il ne paraît pas que cette décoration militaire ait été l’abeille retrouvée dans le tombeau de la reine Aah-hotep. Il est plus probable que l’insigne était le lion, dont on a d’ailleurs quelques exemples dans les peintures des hypogées.

6° Un diadème en or qui servait à retenir dans sa partie circulaire les cheveux qui y étaient réunis en tresses. Il est orné de deux petits sphinx accroupis à chaque extrémité d’une sorte de boîte en forme de cartouche. Le nom du roi Amosis, en lettres d’or sur fond de lapis, se lit au milieu de ce cartouche.

7° Un poignard à lame d’or. Rien de plus gracieux que ce monument. La poignée est ornée de dessins en triangle de diverses couleurs. Elle est terminée par quatre têtes de femmes du style le plus pur. Au milieu de la lame court une bande de métal foncé sur laquelle se détachent vivement des ornements en or damasquiné. Les légendes d’Amosis y sont encore reproduites. D’un côté, elles sont accompagnées par une suite de sauterelles qui vont en s’amincissant jusqu’à l’extrémité du poignard. De l’autre côté, on voit la représentation très singulière d’un lion qui se précipite sur un taureau. Ce sujet, d’un caractère tout asiatique, est d’autant plus à remarquer qu’on le trouve sur un monument contemporain d’un roi qui, relégué dans la Haute-Égypte pendant la majeure partie de son règne, n’avait certainement jamais visité l’Asie.

8° Un miroir qui rappelle la forme élégante du palmier. Le manche est de bois rehaussé d’or. Quand au disque, le poli en a disparu avec le vernis d’or qui le recouvrait. Ce disque est aussi pesant que l’or, et il est formé d’un alliage dont la chimie moderne devrait chercher à retrouver la composition.

9° Deux bracelets. Le fermoir consiste en une bande d’or ornée de cartouches d’Amosis. Le corps des bracelets est formé de fils d’or sur lesquels sont enfilées des perles de lapis, de turquoise, de cornaline et d’or.

10° Un poignard à lame de bronze. Le manche est formé d’un disque d’argent. On se servait de cette arme en laissant sortir la lame entre l’index et le medium et en appuyant le manche contre la paume de la main.

11° Un collier qui était formé d’une multitude de petites pièces cousues sur le linge de la momie. On y voit des éperviers, des vautours, des chacals, des lions, au milieu d’autres ornements empruntés au règne végétal.

12° Une chaîne tressée en fils d’or de plus d’un mètre de longueur. Elle est terminée par deux fermoirs formés de têtes d’oies. Ici encore se lisent les légendes d’Amosis. Un scarabée d’un travail digne d’être remarqué y est suspendu. Les pattes sont repliées sous le ventre et imitées de la nature avec une rigoureuse exactitude. Les ornements du dos sont formés de minces cloisons d’or dans lesquelles on a introduit une pâte du bleu le plus tendre. Le scarabée figure ici comme symbole de la puissance créatrice qui doit donner à l’âme une vie nouvelle.

13° Un bracelet destiné à être porté non pas au poignet mais au haut du bras. L’ornementation se compose, comme motif principal, d’un vautour les ailes déployées. Ce monument est un spécimen heureux du travail qu’exécutaient le plus ordinairement les bijoutiers de l’antique Égypte.

14° Une série de dix gros bracelets sous forme d’anneaux épais. Ces bracelets se portaient aux jambes.

15° Un bâton recouvert en bois noir entouré d’une feuille d’or el spirale. Ce bâton devait être dans l’antique Égypte un signe de commandement. Il est encore usité aujourd’hui en Nubie où on le voit communément aux mains des habitants de ce pays.

XIXe Dynastie.

Les sept rois nommés par Manéthon comme formant cette famille royale ont été retrouvés sur les monuments et coordonnés au moyen de certains indices qu’il serait trop long d’énumérer ici. Les rois de la XIXe dynastie ont d’ailleurs laissé leurs traces : 1° sur des monuments antérieurement bâtis dont ils ont continué l’édification ; 2° sur des monuments sortis directement de leur initiative. Les premiers sont nombreux. On ne trouve presque pas un temple élevé par la XVIIIe dynastie où les rois de la XIXe, et particulièrement Ramsès II, n’aient gravé leurs noms. Ce fait a surtout son importance à Thèbes. Louqsor est certes un temple dû à la piété d’Aménophis III ; cependant les deux obélisques (l’un d’entre eux a été transporté à Paris) qu’on y voit sont de Ramsès II, ainsi que les quatre colosses élevés en avant du pylône principal. Ce pylône lui-même, bien que construit par Aménophis III, n’est orné que de sculptures du temps de Ramsès II. A Karnak, même observation. Sur le second pylône, sur les splendides colonnes de la salle hypostyle, sur l’extérieur des murs d’enceinte, les cartouches de Séti et de Ramsès se voient seuls. Enfin, Ramsès II a commis en plusieurs occasions les plus singulières usurpations. Sur des statues et des sphinx représentant des rois de la XIIe et de la XIIIe dynastie il a souvent fait effacer les noms qui constatent l’origine et la date de ces monuments, et y a fait inscrire ses propres cartouches. Faite avec un soin minutieux, cette opération trompe l’archéologue le plus exercé, et il est ainsi bien des monuments qu’on attribue au conquérant de la XIXe dynastie, et qui lui sont antérieurs de mille ans. Quant aux constructions dues à l’initiative directe des rois de cette famille, on notera en premier lieu les tombes de Bab-el-Molouk, et particulièrement celle de Séti Ier, le plus magnifique des souterrains que possède l’Égypte. On notera aussi le monument d’Ibsamboul creusé tout entier dans le flanc d’une montagne, et destiné à perpétuer le souvenir des victorieuses campagnes de Ramsès contre les Soudaniens et les Khétas. Les temples de Derr et de Beit-Oually, en Nubie, sont d’autres édifices dus à l’activité de ce roi. Vis-à-vis Edfou, sur la route qui conduit du village de Radasieh aux mines d’or de GebelAtoky on trouve une station monumentale élevée par Séti Ier. L’interprétation des nombreuses légendes hiéroglyphiques dont cette station est couverte ont permis de reconnaître l’intention qui avait présidé à l’érection de ce monument au milieu du désert. Depuis longtemps, les mines d’or étaient improductives parce que les caravanes qui y transportaient les hommes et les animaux périssaient de soif sur la route. Séti Ier fit creuser un puits d’eau jaillissante, et, en souvenir de l’évènement, le temple dont nous parlons et qui a subsisté jusqu’à nos jours, a été bâti. J’ai à peine besoin de dire que Thèbes profita également de la munificence des rois de la XIXe dynastie. Karnak comprend dans son immense enceinte deux ou trois petits temples de Ramsès II, malheureusement très mutilés. Sur la rive gauche, le Ramesséum est l’œuvre colossale du même roi, et Séti fit élever à la mémoire de son père Ramsès I le temple de Qournah. A Abydos, le petit temple célèbre par la Table qu’on y a découverte est de Ramsès II. C’est Séti Ier et son fils Ramsès II qui firent élever le grand temple que nous déblayons en ce moment au profit des études égyptiennes. Nul doute que Memphis n’ait aussi été l’objet de l’attention des Pharaons de la XIXe dynastie. A la vérité, il ne reste de cette ville illustre que des monceaux de décombres ; mais les beaux colosses qu’on voit à Myt-Rahyneh et dont la tête offre un portrait si ressemblant de Ramsès II, témoignent assez du soin que ce roi avait pris d’embellir la capitale septentrionale de l’Égypte. Enfin comme dernier monument de la XIXe dynastie, on comptera le temple de Sàn qui, probablement mutilé à la suite du siège que supporta la ville sous Amosis, fut rebâti tout entier sous Ramsès II, Ménephtah et Séti H. Les travaux que, par ordre du Vice-Roi, nous y poursuivons et qui ont déjà eu pour résultat la mise au jour de tant de morceaux contemporains des Pasteurs, sont encore en voie d’exécution ; mais déjà onze obélisques, de nombreuses colonnes monolithes de granit, des stèles colossales ont été retirés des décombres et prouvent que ce temple fut un des plus considérables de ceux que la XIXe dynastie éleva sur les bords du Nil.

XXe Dynastie.

Tous les rois de la XXe dynastie se sont appelés Ramsès, comme plus tard tous les rois de la XXXIIIe s’appelleront Ptolémée. On n’a pour aider au classement de ces souverains que quelques monuments épars et les tombeaux de Thèbes, particulièrement ceux de Bab-el-Molouk. — Cette dynastie, occupée de ses divisions intestines, a peu bâti. On lui doit cependant le pavillon et le temple de Médinet-Abou, constructions qui ne le cèdent en rien aux plus magnifiques de l’Égypte ; on lui doit encore l’édifice appelé le temple de Chons, situé au sud de Karnak, près de la grande allée de sphinx à tête de bélier. Quoiqu’il porte presque partout les cartouches des rois de la XXIe dynastie, ce temple n’en a pas moins été construit par les derniers Ramsès. — La belle stèle donnée à la Bibliothèque Impériale de Paris par M. Prisse est aussi un monument de la Mme dynastie et provient du temple de Chons. Cette stèle est intéressante sous bien des rapports ; on y lit le récit officiel d’un évènement qui se passa dans les circonstances suivantes. Un de nos Ramsès faisait sa tournée dans la Mésopotamie, alors soumise à la domination égyptienne, quand il rencontra la fille d’un chef qu’il épousa. Quelques années plus tard, Ramsès étant à Thèbes, on vint lui dire qu’un envoyé de son beau-père se présentait, sollicitant du roi que celui-ci envoyât un médecin de son choix auprès de la sœur de la reine, atteinte d’un mal inconnu. Un médecin égyptien partit en effet avec le messager. La jeune fille souffrait d’une maladie nerveuse, et, selon la croyance du temps, on pensait qu’un esprit demeurait en elle. En vain, le médecin eut-il remis à toutes les ressources de l’art ; l’esprit, dit la stèle, refusa d’obéir, et le médecin dut revenir à Thèbes sans avoir guéri la belle-sœur du roi. Ceci se passait en l’an 45 du règne de Ramsès. Onze ans plus tard, c’est-à-dire en l’an 26, un nouvel envoyé se présenta. Cette fois rallié du roi d’Égypte ne demandait plus un médecin : selon lui, c’était l’intervention directe de l’un des dieux de Thèbes qui amènerait la guérison de la princesse. Comme la première fois, Ramsès consentit à la demande du père de la reine, et un dieu de Thèbes, nommé Chons, partit effectivement. Le voyage fut long : il dura un an et six mois. Enfin le dieu thébain arriva en Mésopotamie, et l’esprit vaincu fut chassé du corps de la jeune fille qui recouvra immédiatement la santé. Mais à ce dénouement ne s’arrête pas le récit gravé sur la stèle de la Bibliothèque Impériale de Paris. Un dieu dont la seule présence amenait des guérisons si miraculeuses était précieux à bien des titres, et au risque de se brouiller avec son puissant allié, le père de la jeune fille résolut de le garder dans son palais. Effectivement, pendant trois ans et neuf mois Mons fut retenu en Mésopotamie. Mais, au bout de ce temps, le chef qui avait ordonné cette mesure violente eut un songe. Il lui sembla voir le dieu captif qui s’envolait vers l’Égypte sous la forme d’un épervier d’or, et, en même temps, il fut attaqué d’un mal subit. Le beau-père de Ramsès, selon l’usage du temps, prit-il ce songe pour un avertissement ? C’est ce que laisserait penser l’ordre qu’il donna immédiatement de renvoyer le dieu qui, en l’an 33 du règne de Ramsès, était de retour dans son temple de Thèbes.

XXIe Dynastie.

Les Grands-prêtres qui régnaient à Thèbes ont achevé le temple situé entre Karnak et Louqsor, et c’est là qu’on trouve leurs noms. La dynastie légitime a laissé des traces principalement à Sân. Quelques architraves et des lames d’or qui sont en ce moment conservées dans la collection du Musée de Boulaq nous ont donné quelques cartouches nouveaux de cette famille royale.

XXIIe Dynastie.

Manéthon nomme les neuf rois de cette famille qui fut originaire de Tell-Basta. La généalogie de quelques-uns de ces rois est également certifiée par les inscriptions gravées sur une statue du dieu Nil appartenant au Musée de Londres, par de longues légendes dont un des murs extérieurs de Karnak est couvert, enfin par les inappréciables textes que nous avons découverts il y a douze ans dans la tombe d’Apis à Saqqarah et qui font maintenant partie des richesses conservées dans le Musée du Louvre à Paris. On ne connaît, du reste, aucun grand édifice fondé par cette famille royale. Il n’est pas douteux que des fouilles persévérantes dans les buttes de Tell-Basta nous feraient cependant trouver quelques restes des monuments dont les rois de la XXIIe dynastie embellirent la ville qui fut de leur temps le siége du Gouvernement.

XXIIIe Dynastie.

La XXIIIe dynastie fut une époque de troubles. Toute l’histoire de ce temps est écrite sur une stèle de granit que nous avons trouvée dans les fouilles récentes de Gebel-Bakal. II est à remarquer que ce monument n’est pas égyptien, mais couschite. Les Couschites, en formant un royaume séparé, adoptèrent la religion, l’écriture, la langue des Égyptiens ; leur civilisation est ainsi fille de la civilisation égyptienne, et la stèle du Musée, en nous montrant les Ethiopiens imposant leur domination à l’Égypte, nous font ainsi assister au spectacle d’un fleuve qui s’insurge contre sa source.

Je viens de dire que la XXIIIe dynastie fut une époque de troubles. L’Égypte fut en effet partagée alors en plusieurs dynasties collatérales. Manéthon a enregistré celle de ces dynasties qui, plus tard, fut officiellement reconnue comme légitime : elle se compose de trois rois et était originaire de Sân. Les stèles de la tombe d’Apis nous en révèlent une autre qui, comme la dynastie de Sân, compte trois règnes : c’est celle qui régnait à Memphis. Enfin la stèle de Gebel-Bakal nous montre que quelques autres provinces de l’Égypte obéissaient à des rois partiels qui n’étaient ni ceux de Manéthon, ni ceux des stèles de la tombe d’Apis.

XXIVe Dynastie.

Bocchoris est, selon Manéthon, l’unique roi de la XXIVe dynastie. Son nom égyptien est resté longtemps inconnu. Nous l’avons découvert enfin sur quelques-unes des pierres de la tombe d’Apis. Jusqu’à présent ce sont là les seules indications monumentales que nous possédions de l’existence de ce roi. Rien ne prouve que, sous son règne, les Éthiopiens n’aient pas occupé l’Égypte méridionale.

XXVe Dynastie.

Cette dynastie fut le triomphe définitif des Couschites sur les Égyptiens. Aussi on doit peu s’étonner de voir les noms des souverains qui la composent à la fois au Soudan et en Égypte. Manéthon ne lui donne que trois rois. Évidemment c’est la manière égyptienne de compter. A Talfraka, 3e roi de cette famille, succéda effectivement, selon les stèles d’Apis, Psammitichus, 1er roi de la XXVIe. Mais si les Éthiopiens ont, comme les Égyptiens, rédigé des Annales historiques, on doit y rencontrer un nom de plus, celui du mari de la reine dont le Musée de Boulaq possède une statue. Ce roi (Piankhi) succéda à Tahraka, et occupa la Haute-Égypte pendant que les douze rois confédérés se partageaient les autres parties du royaume. Mais Psammitichus, en montant sur le trône 15 ans après la chute de Tahraka, ne tint pas compte de ces compétitions, et se regarda comme souverain du pays à partir du jour où le troisième roi Couschite cessa de l’être.

XXVIe Dynastie.

Avec la XXVIe dynastie nous arrivons à une époque où les Grecs ont commencé à avoir un plus libre accès sur les bords du Nil, et où l’Égypte est plus fréquemment mentionnée dans leurs écrits. On trouvera donc dans les écrivains de la tradition classique une liste suffisamment exacte des rois de la XXVIe dynastie. On peut aussi étudier cette famille royale dans Manéthon. Enfin les stèles de la tombe d’Apis, forment un ensemble imposant de monuments contemporains des Psammitichus. Parmi ces stèles on citera particulièrement les épitaphes officielles des Apis. Rédigées sur un modèle à peu près uniforme, elles mentionnent la date de la naissance du taureau, la date de sa mort, la durée de sa vie par an, mois et jour, le tout rapporté selon l’usage à l’ère du roi régnant. Il n’est personne qui ne comprenne l’utilité de pareils renseignements. Si l’une de ces épitaphes, par exemple, mentionne un Apis qui, né l’an 53 d’un règne, mourut l’an 46 d’un autre roi à l’âge de 47 ans, ne saurons-nous pas en premier lieu que les deux rois cités se suivent chronologiquement, en second lieu que le premier a occupé le trône pendant 5t ans et le second au moins pendant 16 ans ? Appliquées successivement à tous les rois de la XXVIe dynastie, les épitaphes de la tombe d’Apis nous donnent le moyen de reconnaître tout à la fois et l’ordre dynastique de ces rois, et la durée chronologique de toute la famille royale. —En dehors de la tombe d’Apis, à Saqqarah, les monuments de la XXVIe dynastie sont assez rares. Plusieurs belles tombes de l’Assassif, à Thèbes, remarquables par leur étendue et le fini des bas-reliefs qui les décorent, sont de cette époque. Sur les rochers d’Assouan et d’Hamamat, à Thèbes, à Abydos, à Saqqarah, on voit encore çà et là quelques souvenirs des princes qui à ce moment ont occupé le trône égyptien. Ce n’est pas que la XXVIe dynastie ait été, moins que d’autres, portée à laisser après elle des souvenirs durables de sa grandeur et de son autorité ; mais tout nous prouve qu’à ce moment la civilisation s’était portée entièrement vers le nord et que toutes les forces de la XXVIe dynastie s’étaient concentrées sur la ville (Sâ-el-Haggar) qu’elle s’était choisie pour siége officiel du gouvernement. Il résulte, en effet, du témoignage d’Hérodote que Sâ-el-Haggar était devenue, sous les rois de la XXVIe dynastie, une des villes les plus florissantes du royaume. Apriès y avait construit un temple qui ne le cédait en magnificence à aucun des autres édifices de l’Égypte. Amosis y fit élever un portique qui était digne d’admiration et qui surpassait de beaucoup tous les autres ouvrages de ce genre, tant par sa hauteur et son étendue, que par la qualité et la grandeur des pierres qu’on y avait employées. Ce prince y avait placé des statues et des sphinx de proportions gigantesques. On voyait aussi à Sâ-el-Haggar un colosse énorme de 75 pieds de hauteur, semblable à celui qu’Amosis avait érigé à Memphis. Ce roi ne s’était pas seulement borné à la construction des portiques, mais il avait encore fait arriver des pierres d’une grosseur démesurée pour réparer le temple. Une partie de ces pierres était sortie des carrières de Tourah : les plus grosses avaient été tirées d’Assouan. Mais ce qu’il y avait de plus admirable à Sâ-el-Haggar, c’était la chapelle monolithe qu’Amosis avait fait venir des carrières d’Eléphantine. Deux mille bateliers avaient été occupés pendant trois mois à la transporter. Elle avait extérieurement environ 12 mètres de long, 7 mètres de large, et 4 mètres de hauteur. Avec l’évidement intérieur, le poids total de cette gigantesque masse était de près de 480 mille kilogrammes. Le récit d’Hérodote ne laisse donc pas de doute sur la magnificence de la ville élevée par les rois Salies, et il est évident que ceux-ci avaient fait pour leur capitale ce que, dix siècles auparavant, les XVIIIe et XIXe dynasties avaient fait pour Thèbes. Malheureusement Sâ-el-Haggar a disparu sans retour, et d’une ville célèbre dans les fastes des arts et de la civilisation il ne reste que des ruines confuses. Des fouilles sur l’emplacement de ces ruines nous rendraient-elles au moins quelques vestiges de la grandeur de la XXVIe dynastie ? Je n’ose l’espérer.

XXVIIe Dynastie.

Les Perses occupent les rires du Nil. Cambyse, humilié par trois défaites, traite l’Égypte en pays conquis. L’Égypte de son côté subit avec répugnance le joug des étrangers. De là, des révoltes successives pendant lesquelles on ne songe guère à élever des monuments. Le nom de Cambyse se trouve cependant sur quelques stèles de la tombe d’Apis. Darius laisse aussi des traces de son passage à Hamamât, et il bâtit même dans l’oasis de Khargeh un temple à Ammon. Artaxerxés lui-même est cité dans plusieurs légendes, et son nom se lit sur deux beaux vases conservés à la Bibliothèque de Paris et dans le trésor de Saint-Marc à Venise. En dehors de ces rares monuments, les Perses n’ont laissé d’autre empreinte sur le sol égyptien que les ruines amoncelées par les fureurs de Cambyse. Nous devons à Manéthon la liste des rois de cette XXVIIe dynastie.

XXVIIIe, XXIXe et XXXe Dynasties.

Autre période de troubles. L’Égypte est rendue à elle-même ; mais l’ennemi est toujours à ses portes. Ces dynasties travaillées par tant de germes de dissolution ont pourtant laissé des monuments dignes d’une époque plus florissante. A Philae, le grand temple est commencé par Nectanébo II ; Nectanébo I ajoute quelques parties aux temples de Médinet-Abou et de Karnak. A Memphis, la tombe d’Apis est complétée par ce dernier prince, et un beau pylône est bâti en avant des souterrains. Acoris, Néphéritès, sont des princes qui tiennent aussi "honneur d’embellir de leurs statues et de leurs bas-reliefs les édifices sacrés. Les grands et beaux sarcophages de granit que possèdent les Musées de Berlin, de Paris et de Boulaq sont encore de ce temps, et parmi eux on remarquera le sarcophage de Nectanébo I enlevé d’Alexandrie pour être transporté à Londres. Chose remarquable, sous ces dynasties déchues de leur rang politique, rien ne laisse apercevoir encore les traces de cette rapide décadence qui, quelques années après l’occupation des Grecs, va frapper toutes les œuvres de l’art égyptien.

XXXIe Dynastie.

Les Perses sont de nouveau maîtres de l’Égypte. Cette seconde dynastie persane n’est nommée que dans Manéthon. C’est à peine si les monuments égyptiens nous font connaître les noms des rois qui la formèrent.

XXXIIe Dynastie.

Dynastie macédonienne qui eut pour chef Alexandre-le-Grand. Ici s’arrêtent les listes de Manéthon, et nous n’avons plus à compter maintenant, pour la formation du tableau chronologique des rois que sur les monuments éclairés et complétés par les récits des écrivains de la tradition classique. On trouve dans File d’Eléphantine deux montants d’une porte en granit sur lesquels on lit les cartouches d’Alexandre I. Philippe Aridée, son frère, construisit à Karnak la belle chambre de granit qui occupe, au milieu d’une autre chambre élevée par Thoutmès III, la place principale en avant du sanctuaire. Enfin Alexandre II figure comme souverain légitime sur quelques bas-reliefs qui décorent les murs des temples de Karnak et de Louqsor.

XXXIIIe Dynastie.

Depuis la XIXe dynastie aucune famille royale n’a plus bâti sur les rives du Nil. Non seulement les Ptolémées ont restauré et complété les anciens sanctuaires, mais ils ont élevé à nouveau des temples nombreux. En Nubie, c’est Dakkeh, Kalabscheh, Deboud, Dandour ; c’est surtout Philae, île charmante dont ils ont fait un site peut-être unique au monde. En Égypte, on citera Ombos, modèle d’architecture puissante gâté malheureusement par le mauvais style du temps ; Esneh qui serait moins détestable si nous en connaissions les parties enfouies sous la ville moderne ; Erment maintenant presque tout entier détruit. Tout en ornant Alexandrie d’édifices somptueux dont nous ne pouvons plus juger aujourd’hui, les Ptolémées n’oublièrent pas non plus Thèbes. Sur la rive gauche, Deir-el-Médyneh et le petit temple situé sur le Birket-Abou sont de leur temps ; sur la rive droite, ils firent élever la grande porte isolée qui est tout à fait au nord de Karnak, l’autre porte de même modèle sous laquelle on passe en arrivant de Louqsor au temple de Chons, et enfin le petit édifice situé à côté de ce temple. Que dire de Denderah, monument hors ligne dédié aux dieux du pays en l’honneur de Césarion ? Que dire surtout d’Edfou ? Là, mûrissent pour la science, des moissons de textes inédits, et l’on peut dire avec vérité que les inscriptions qui seront une sorte de résurrection de la mythologie et de la géographie de l’Égypte sous la domination des Ptolémées s’y comptent par centaines de mètres. Enfin, je rappellerai qu’à El-Kab, à Môtanalt (province d’Esneh), à Akhmin, à Behbit (près de Mahalleh-el-Kebir) et en bien d’autres localités, les noms des Ptolémées se montrent, et qu’il faut aussi leur attribuer la partie la plus belle de la tombe d’Apis à Saqqarah, ainsi que les gigantesques sarcophages qui s’y trouvent. On ne peut parler des monuments qui se rapportent à ces rois sans mentionner le fragment célèbre connu sous le nom de Pierre de Rosette. Découverte, il y a 65 ans environ, par des soldats français qui creusaient un retranchement près d’une redoute située à Rosette, la pierre qui porte ce nom a joué le plus grand rôle dans l’archéologie égyptienne. Sur la face principale sont gravées trois inscriptions. Les deux premières sont en langue égyptienne et écrites dans les deux écritures qui avaient cours à cette époque. L’une est en écriture hiéroglyphique réservée aux prêtres : elle ne compte plus quel h. lignes tronquées par la brisure de la pierre. L’autre est en une écriture cursive appliquée principalement aux usages du peuple et comprise par lui : celle-ci offre 32 lignes de texte. Enfin, la troisième inscription de la stèle est en langue grecque et comprend 54 lignes. C’est dans cette dernière partie que réside l’intérêt du monument trouvé à Rosette. Il résulte en effet de l’interprétation du texte grec de la stèle que ce texte n’est qu’une version de l’original transcrit plus haut dans les deux écritures égyptiennes. La Pierre de Rosette nous donne donc, dans une langue parfaitement connue (le grec), la traduction d’un texte conçu dans une autre langue encore ignorée au moment où la stèle était découverte. Qui ne voit l’utilité de cette mention ? Remonter du connu à l’inconnu n’est pas une opération en dehors des moyens d’une critique prudente, et déjà l’on devine que si la Pierre de Rosette a acquis dans la science la célébrité dont elle jouit aujourd’hui, c’est qu’elle a fourni la vraie clef de cette mystérieuse écriture dont l’Égypte a si longtemps gardé le secret. Il ne faudrait pas croire cependant que le déchiffrement des hiéroglyphes au moyen de la Pierre de Rosette ait été obtenu du premier coup et sans tâtonnements. Bien au contraire, les savants s’y essayèrent sans succès pendant 90 ans. Enfin, Champollion parut. Jusqu’à lui, on avait cru que chacune des lettres qui composent l’écriture hiéroglyphique était un symbole, c’est-à-dire que dans une seule de ces lettres était exprimée une idée complète. Le mérite de Champollion a été de prouver qu’au contraire l’écriture égyptienne contient des signes qui expriment véritablement des sons, en d’autres termes qu’elle est alphabétique. Il remarqua, par exemple, que partout où dans le texte grec de Rosette se trouve le nom propre Ptolémée, on rencontre à l’endroit correspondant du texte égyptien un certain nombre de signes enfermés dans un encadrement elliptique. Il en conclut 1° que les noms des rois étaient dans le système hiéroglyphique signalés à l’attention par une sorte d’écusson qu’il appela cartouche ; que les signes contenus dans cet écusson devaient être lettre pour lettre le nom de Ptolémée. Déjà donc, en supposant les voyelles omises, Champollion était en possession de cinq lettres P, T, L, M, S. D’un autre côté Champollion savait, d’après une seconde inscription grecque gravée sur un obélisque de Philae, que sur cet obélisque un cartouche hiéroglyphique qu’on y voit devait être celui de Cléopâtre. Si sa première lecture était juste, le P, le L et le T de Ptolémée devaient se retrouver dans le second nom propre ; mais en même temps ce second nom propre fournissait un K et un R nouveaux. Enfin, appliqué à d’autres cartouches, l’alphabet encore très imparfait révélé à Champollion par les noms de Cléopâtre et de Ptolémée le mit en possession d’à peu près toutes les autres consonnes. Comme prononciation des signes, Champollion n’avait donc pas à hésiter, et dès le jour où cette constatation eut lieu il put certifier qu’il était eu possession de l’alphabet égyptien. Mais restait la langue, car prononcer des mots n’est rien si l’on ne sait pas ce que ces mots veulent dire. Ici le génie de Champollion se donna libre cours. Il s’aperçut en effet que son alphabet tiré des noms propres et appliqué aux mots de la langue donnait tout simplement du copte. Or, le copte à son tour est une langue qui, sans être aussi explorée que le grec, n’en était pas moins depuis longtemps accessible. Cette fois le voile était donc complètement levé. La langue égyptienne n’est que du copte écrit en hiéroglyphes, ou pour parler plus exactement le copte n’est que la langue des anciens pharaons, écrite, comme nous l’avons dit plus haut, en lettres grecques. Le reste se devine. D’indices en indices, Champollion procéda véritablement du connu à l’inconnu, et bientôt l’illustre fondateur de l’égyptologie put poser les fondements de cette belle science qui a pour objet l’interprétation des hiéroglyphes. Telle est la Pierre de Rosette. C’est grâce à elle que les monuments égyptiens ne sont plus aujourd’hui des objets de vaine curiosité : c’est par elle que l’Égypte ancienne a repris dans l’histoire générale du monde la place qui lui convient. — J’achèverai l’histoire de la Pierre de Rosette en deux mots. Transportée aussitôt après sa découverte à Alexandrie, elle tomba, quelques mois après, entre les mains des Anglais qui à leur tour venaient de s’emparer de l’Égypte, et de là elle fut transportée à Londres où, avec un grand nombre d’autres monuments pris à l’armée française, elle forma le noyau du Musée Britannique.

XXXIVe Dynastie.

Après cinq mille quatre cents ans de durée, l’Empire de Ménès succombe, et l’Égypte n’est plus désormais qu’une province de l’Empire Romain. Les préfets élèveront bien encore à Alexandrie quelques monuments parmi lesquels on comptera la colonne de Pompée ; à Antinoë (aujourd’hui Cheykh-Abadeh, province de Minyeh), Adrien bâtira toute une ville, il construira à Antinoüs, son favori, un tombeau digne des anciens rois ; il fera précéder ce tombeau de sphinx et d’obélisques d’un de ces obélisques est maintenant à Rome sous le nom (l’obélisque Barberini) ; à Kalabscheh, à Dandour, à Dakkeh, à Philos même, à Edfou, à Esneh, à Erment, à Denderah, les empereurs feront bien continuer l’œuvre des Ptolémées. A travers cette apparente prospérité, mille signes de décadence s’aperçoivent déjà. Le bel art des Khoufou, des Osortasen, des Thoutmès, des Ramsès, des Psammitichus, devient de jour en jour plus grossier : les coutumes, la langue, l’écriture, tout se modifie. Comme un vieillard que la décrépitude a frappé, l’Égypte s’avance en chancelant vers son dernier jour, et sous Théodose elle finit par succomber.

Le but que nous nous sommes proposé dans cet appendice sera atteint si, après les détails que nous venons de donner. le lecteur reste bien convaincu d’une chose : que l’histoire d’Égypte, si longue, si intéressante, si traversée d’accidents divers qu’elle soit, est une histoire vraiment digne de ce nom et que nulle peut-être n’a pour elle un ensemble plus complet de preuves monumentales.

 

FIN DE L’OUVRAGE