CATHERINE DE MÉDICIS

 

CHAPITRE VIII. — LES DÉBUTS DE LA DYARCHIE.

 

 

ASSURÉMENT elle a pleuré Charles IX, et, comme elle dit, elle a pensé crever quand il lui dit adieu, et la pria de l'embrasser une dernière fois[1]. Mais le lendemain, elle écrivait au nouveau roi, cet autre fils encore plus chéri : Si je vous venois à perdre, je me feroys enterrer avec vous toute en vie. Elle le pressait de revenir immédiatement de Pologne : ...Je meurs d'ennuy de vous revoir... car vous sçavez combien je vous aime, et quant je pense que ne bougerez jamais plus d'avec nous, cela me fait prendre tout en patience. Elle se promettait de cette réunion joye et contentement sur contentements[2].

Elle ne doutait pas qu'Henri III lui laissât même autorité que son prédécesseur, mais elle le savait susceptible et pouvait craindre quelque jalousie d'orgueil en ce surcroît de grandeur. Aussi que de ménagements dans cette première lettre ! Elle l'informait qu'en attendant sa venue, elle avait, sur les instances du Roi mourant, pris la régence et s'excusait presque de n'avoir pas attendu ses ordres. Elle venait d'apprendre que Mongomery, l'ancien capitaine des gardes à Henri II et l'un des meilleurs chefs huguenots, avait capitulé dans Domfront (27 mai) et, veuve impitoyable, elle avait hâte de voir de ses yeux supplicier le meurtrier innocent de son mari. Elle n'avouait pas cette soif de vengeance. Charles IX lui avait, disait-elle, recommandé expressément de faire bonne joustice des prisonniers qu'il savoit estre cause de tout le mal du royaume. C'est à lui aussi qu'elle prêtait de meilleures suggestions touchant le duc d'Alençon et le roi de Navarre. Il avait connu que ses frères (son frère et son beau-frère) avoient regrect en lui (regrettaient leur conduite à son égard), ce qui lui faisoit penser qu'ils me seroient obeissans et à vous, mais que (mais il fallait attendre que) fussiez isy[3]. Ainsi, sans se mettre en avant, elle faisait comprendre à Henri III, un impulsif capable à la fois de rancunes tenaces et de brusques générosités, qu'il était sage d'accorder le pardon et prudent de le différer. Elle parle des affaires de Pologne avec tant de détachement qu'il n'est pas facile de deviner ce qu'elle en pense. Tout d'abord elle engage son fils à rentrer au plus vite. Peut-être ses sujets d'au delà voudront-ils le retenir jusques à ce qu'ils ayent donné ordre à leur faict. Qu'il ne cède pas et parte. Mais c'est risquer de perdre une couronne. Or cela est beau, pour pauvres qu'ils soient (les Polonais), d'estre roy de deux grans royaumes, l'un bien riche et l'autre de grande estendue et de noblesse. Mais ne serait-il pas possible de quitter et de garder la Pologne, et, glisse-t-elle en passant, d'y transférer le duc d'Alençon ? Si vous pouviez laisser quelqu'un où vous estes qui peult (peust, pût) conduire, et que ce royaume de Pollongne vous demeurast ou à vostre frère, je le desirerois bien fort, et leur dire que ou vostre frère ou le second enfant que vous aurez (Henri n'était pas encore marié), vous leur enyoyrez, et en ce pendant qu'ils se gouvernent entre eux, eslisant tousjours un François pour assister à tout ce qu'ils feroient et (je) croy qu'ils en seroient bien aises, car ils seroient roys eulx-mesmes jusqu'à qu'ils esleussent celui que y envoyrez[4].

Si imaginative qu'elle fût, elle était trop intelligente pour supposer que les Polonais resteraient dans l'intérim par égard pour ce roi déserteur jusqu'à ce qu'il lui plût de leur expédier un remplaçant de sa main. Etait-ce une façon de lui insinuer, tout en se disant impatiente de son retour, qu'il devrait rester en Pologne au moins le temps nécessaire pour organiser une lieutenance générale ou négocier l'élection de son frère ? Mais il est malheureusement plus probable qu'elle n'a pensé qu'au plaisir de le revoir le plus tôt possible, et que pour ce plaisir-là elle a sacrifié les intérêts de la France en Pologne. Quelle fin pitoyable de son grand et coûteux succès diplomatique

Elle prenait facilement son parti des railleries à prévoir, si son fils n'avait pas trop pâti en ce pays lointain. L'expérience qu'avez acquise par vostre voyaige est telle que je m'asseure qu'il n'y eust jamays un plus sage roy... et ne me voldrez mal (et vous ne m'en voudrez pas) à l'appétit de ceux qui ne sauroient vivre que sur leur fumier[5], car j'espère (elle veut dire qu'elle est sûre) que vostre élection et allée en Pologne ne vous aura point apporté de mal ni de diminution de honneur et grandeur et de réputation[6]. Et la voilà contente. Son fils a voyagé, ceint une couronne, fait l'apprentissage du pouvoir. Qu'il se hâte de regagner la France.

Henri III n'en avait que trop envie. Il s'enfuit de Cracovie (dans la nuit du 18 au 19 juin), gagna Vienne, où l'empereur Maximilien II, beau-père de Charles IX, l'accueillit bien, et, inquiet des dispositions de l'Allemagne protestante, prit son chemin par Venise. II s'y attarda huit jours dans les fêtes que la Seigneurie donna en son honneur et les plaisirs qu'il s'offrit. Les princes italiens, le duc de Ferrare, le duc de Mantoue, le duc de Savoie, le cardinal-neveu étaient allés eux-mêmes ou avaient envoyé leurs ambassadeurs saluer le nouveau roi de France, ce vainqueur de Jarnac et de Moncontour, en qui ils pensaient trouver à l'occasion un appui contre l'hégémonie oppressive de l'Espagne ; mais il avait bien d'autres soucis. Le jour, il courait les boutiques des marchands, achetant au joaillier Antonio della Vecchia des bijoux et des pierres précieuses et au parfumiez du Lys pour 1125 écus de musc ; la nuit, il allait à des rendez-vous. Sans hâte, il traversa l'Italie du Nord et, par la Savoie, se dirigea vers Lyon, où sa mère, accourue au-devant de lui, l'attendait. Elle avait emmené le duc d'Alençon et le roi de Navarre à qui elle avait fait grâce, à sa demande. Elle se déclarait pleinement satisfaite de leur docilité ...Yl m'ont tou deus dist que asteure qu'ils ont toute libertés, que c'et lors qui (qu'ils) me veulent le plus rendre de sugetion. Et toutefois — qui croira que ce fut par affection ? — elle les avait pendant tout le voyage gardés avec elle dans son chariot et fait coucher dans son logis[7]. Elle eut le 5 septembre à Bourgoin le bonheur d'embrasser le nouveau Roi. Elle se croyait au bout de ses peines. Enfin, elle va pouvoir réaliser la grande politique qu'elle rêve. Elle a l'auxiliaire qu'elle souhaitait pour suppléer à sa faiblesse, mieux qu'un mari, mieux qu'un amant, son fils. Elle sera la tête ; il sera le bras. A eux deux, ils abattront le parti protestant, ruineront la faction des Politiques, feront la royauté aussi forte et aussi obéie qu'elle le fut sous François Ier et sous le roi Louis. Car Louis XI est le modèle qu'elle a récemment choisi.

Le premier acte d'Henri III était d'un bien mauvais augure. A Turin, bien caressé par sa tante, Marguerite de France, duchesse de Savoie, il avait disposé en faveur du duc, comme si c'étaient ses biens propres, des dernières possessions françaises du Piémont : Pignerol, Savillan et Pérouse, que le traité de Fossano[8], interprétatif de celui du Cateau-Cambrésis, avait laissées ou cédées à la France[9]. Une gardait plus au delà des Alpes que le marquisat de Saluces. C'était sa réponse aux princes italiens qui lui avaient porté leurs hommages à Venise. Il livrait au Savoyard, ennemi de la veille et allié douteux, les clefs des Alpes et les voies d'accès de la France en Italie.

Il fit à sa tante ce cadeau royal de sa pleine autorité, sans consulter son Conseil. Les Italiens qui entouraient Catherine de Médicis se montrèrent en cette occasion plus soucieux des droits de la Couronne que le Roi lui-même. Le chancelier Birague refusa de sceller les lettres de cession. Louis de Gonzague, un cadet de la maison de Mantoue, marié à l'héritière de Nevers, et qui était gouverneur des pays d'outremonts, exigea qu'un acte public, délibéré en Conseil, enregistrât sa protestation[10].

Catherine ne fut pas si brave. Et même il n'est pas sûr qu'elle n'ait pas approuvé l'acte du nouveau Roi. Le duc de Nevers l'en accuse presque, et l'on ne peut rien conclure de la réponse embarrassée qu'elle lui écrivit[11]. Elle aimait beaucoup sa belle-sœur, Marguerite, la duchesse de Savoie ; elle avait intérêt à ne pas contrecarrer son fils, de qui son pouvoir dépendait. En tout cas, elle mit un empressement fâcheux à rassurer le duc de Savoie, qui, surpris de tant de générosité, craignait que le donateur, après réflexion, ne se dédit. ... N'y a personne, lui écrivait-elle le 1er octobre 1574, qui puisse empêcher le Roi mon fils de vous tenir promese, come auré peu voir par l'arrivée du grant Prior (Henri d'Angoulême, grand Prieur de France) et du segretere Sove (Sauve) que (qui) je parse à présant auront satisfayst à votre volanté et à celle du Roy. Elle regrette que Marguerite ne soit plus là (elle venait de mourir) pour avoir ce contentement et, affirme-t-elle au Duc, avecques vos mérites... sa mémoyre (celle de là Duchesse) sera tousjour (si) présante à son nepveu (Henri III) qu'ele serviré (servira) à vous[12].

Comme elle était très habile à cacher ses déconvenues et même à se faire un mérite d'actes qu'elle blâmait in petto, il n'est pas possible d'affirmer qu'elle a été complice, mais, d'autre part, avec ses préjugés de puissance absolue, elle ne devait pas trouver plus étrange que son fils donnât des territoires qu'une pension.

Elle était bien plus préoccupée des complaisances dont elle et lui pouvaient pâtir. Dans sa première lettre (31 mai), elle le mettait en garde contre l'esprit de coterie auquel il n'était que trop enclin. Avec l'aide de sa mère, il avait réussi pendant le règne de son frère à se créer dans l'État une situation à part. Même, pour s'assurer contre la jalousie de Charles IX, il s'était cherché partout des amis et des serviteurs, avouant à sa sœur Marguerite qui si le Roi lui ôtait la charge de lieutenant général pour aller luymesme aux armées, ce lui seroit une ruine et desplaisir si grand qu'avant que recevoir une telle cheute, il éliroit plus tost une cruelle mort[13]. Chef de parti il avait été, et, chef de parti, Catherine devait craindre qu'il ne restât, avec les fatalités que ce rôle impose, le client de sa clientèle. Elle l'engageait à changer de méthode avec une sagesse que l'on admirerait à toute sa valeur, si la conseillère n'était en partie cause du mal qu'elle condamnait. ... Ne vous laissez aller aux passions de vos serviteurs, car vous n'estes plus Monsieur qui faille (qui doive) dire je gagneray ceste part, affin d'estre le plus fort. Vous estes le roy, et tous fault qu'ils vous fassent le plus fort, car tous fault qu'ils vous servent et les fault tous aymer et nul haïr que ceux qui vous haïront.... Aymez-les (vos serviteurs) et leur faictes du bien, mais que leurs partialitez ne soient point les vostres, pour l'honneur de Dieu. Elle lui recommandait, le sachant facile aux sollicitations de son entourage, d'ajourner jusqu'à son retour en France la distribution des grâces et des charges. ... Je vous prie, ne donnez rien que vous ne soyiez ici, car vous sçaurez ceulx qui vous auront bien servi ou non ; je les vous nommeray et monstreray à vostre veneue et vous garderay tout ce qui vacquera de bénéfices, d'offices. Ce sera le moyen de se procurer quelque argent. Nous les metterons à la taxe, car il n'y a pas ung escu pour fayre ce qui vous est nécessaire pour conserver vostre royaume[14].

Elle insiste sur le devoir pour le Roi de France de faire oublier le duc d'Anjou dans une courte instruction qu'elle lui fit porter à Turin par Cheverny et qui contenait tout un programme de gouvernement[15].

Il doit cet monstrer mestre et non plus compagnon... et non que l'on panse : yl à jeune, nous luy feyron parer cet que voldrons, et [il doit] aulter la coteume de rien donner à qui le braveré, au luy voldré fayre fayre par fason de conpagnon au d'estre mal content ; qu'il rompe tete coteume à deux ou troys dé plus aupès (? huppés) et hardis. Les aultres yl viendront cornent yl deveront. Qu'il donne de lui-mesme à ceulx qui le serviront bien et ne bougeront de leur charge san qui le viegnet ynportuner pour en avoir .... Qu'il provoy aus aytas et non haux omes, car cela porte domage à son service, quant, pour récompanser un homme, l'on luy donne une charge de quoy il n'est pas digne[16]. Qu'il récompense autrement ou paie avec de l'argent les dévouements sans mérite. Il ne faut pas qu'un favori dispose de tout, car en lieu d'en contenter beaucoup pour les aubliger et en avoyr en chaque provinse à luy (le Roi), yl (le Roi) ne en n'auroit que une dousayne, laquelle dousayne quant yl se voynt si suis et grens yl font teste au Roy, en lyeu de reconoystre qu'i les a fayts[17]. Il est nécessaire dans les provinces de s'attacher par des charges, offices, bénéfices et dignités les plus grens et les plus capables d'antendement, coment solouit (avaient coutume de) fayre le roy Louys (Louis XI) et depuis le Roy (François Ier), son grent-père. Il convient de favoriser aussi les évêques, car yl servet (ils servent) en leur diocèse de tout contenir. Qu'il règle sa Cour et pour la régler qu'i cet (qu'il se) règle le premier. Qu'il se lève à heure certeine et se fasse apporter immédiatement dans sa chambre les dépêches pour les lire et indiquer aux secrétaires d'État les réponses à faire. Qu'il ordonne de lui adresser directement les placets et les demandes — que les solliciteurs avaient pris l'habitude de remettre aux secrétaires d'État — afin que tout le monde sache bien qu'il est l'unique dispensateur des grâces et en cet faysant on n'en sauré gré que au Roy et ne suivra-t-on plus que luy. Qu'il réforme son Conseil et le réduise à nombre honeste. Qu'il ôte ce Conseil des finances, qu'elle avait introduit elle-même pour se décharger, et que, comme au temps de François Ier, tout se décide au Conseil privé, où l'on expédiait d'abord les affaires d'État et où après on appelait pour les parties[18].

Mais surtout il lui importe de faire ces réformes dès le tout premier jour car si (s'il) ne les fayt de set (ce) fin comensement yl ne les fayré jeamès. Mais, dira-t-on, pourquoi, voyant si bien le mal, n'y a-t-elle pas remédié plus tôt ? Set (si) je eusse esté, répond-elle, coment yl (Henri III) est asteure c'est-à-dire aussi puissante qu'elle le croit être et aussi maîtresse de ses actions, je l'euse fayst, et elle conclut : Yl peult tout, mes qu'yl (pourvu qu'il) veulle[19].

Il y parut tout disposé. Aussitôt arrivé à Lyon, il réduisit le Conseil à huit membres : le chancelier (Birague), Messieurs de Morvilliers, de Limoges, de Foix, Pibrac, Jean de Monluc, Cheverny, Bellèvre, à qui s'adjoindraient les princes, quand il les convoquerait. Il nomma Bellièvre surintendant des finances, ce qui était en fait supprimer le Conseil préparatoire des finances. Il écouta les dépêches et dicta les réponses. Les secrétaires d'État, qui s'étaient arrogé le droit d'ouvrir les courriers et d'expédier d'autorité les affaires pressantes, eurent sur la corne et furent ramenés à leur rôle primitif de rédacteurs des ordres du Roi et du Conseil. Aucun don, dit un témoin, ne fut valable si le Roi ne signait de sa main le placet sur lequel il auroit été accordé[20].

Mais le gouvernement personnel exige une volonté, une application, une continuité dans l'effort dont Henri III était incapable. Il se lassa vite des délibérations, des signatures, des audiences. Les anciens errements reparurent, aggravés par l'action intermittente et les caprices du souverain. Contrairement aux conseils de sa mère, il ne fut pas tout à tous, familier aux princes et aux gentilshommes, ainsi que l'étaient son père et son grand-père. Il se confina dans le cercle de quelques compagnons de son âge. Il se dispensa des corvées de la représentation, comme s'il lui déplaisait de se montrer à ses sujets ; il fit mettre une balustrade autour de sa table pour écarter les bavards et les importuns et manger dans la quiétude d'un silence respectueux. Des seigneurs grands et petits, habitués à voir les rois, à les approcher, à leur parler, quittèrent la Cour, indignés de ces singeries qui sentaient la Sarmatie barbare quæ barbari moris suret[21].

Il continua, comme l'appréhendait sa mère, à favoriser les gens de son intimité. Avant d'être arrivé à Lyon, il déposséda le maréchal de Retz de sa charge de premier gentilhomme de la Chambre pour en gratifier Villequier. Catherine lui fit représenter combien tout le monde trouverait étrange qu'il chassât les serviteurs de son frère. Elle obtint seulement que Retz et Villequier seraient en charge six mois chacun. Elle ne put empêcher qu'il promût Bellegarde à la dignité de maréchal de France, bien que les quatre titulaires fussent en vie, ni qu'il créât pour Ruzé une cinquième charge de secrétaire d'État. Il donna à Larchant la charge de capitaine des gardes, dont elle avait investi Lanssac, à la mort du titulaire, et il fit Souvré maître de la garde-robe. C'étaient ses compagnons de voyage en Pologne et il les en récompensait comme d'un sacrifice.

Catherine eut bientôt de plus graves déceptions. La révolte s'étendant, elle revenait à son dessein d'abattre le parti protestant. C'était la suite cruelle, mais logique de la Saint-Barthélemy. Après ce massacre épouvantable, que les coreligionnaires des victimes et même un certain nombre de catholiques incriminaient de préméditation et de guet-apens, il n'y avait plus d'accord ni de confiance possible. Richelieu, qui n'avait pas de représailles à craindre, poursuivit cette politique d'écrasement comme le seul moyen d'en finir avec les guerres civiles. Le tort de Catherine fut de ne pas comprendre que, pour venir à bout des huguenots, il fallait leur ôter l'appui des politiques. Il lui aurait probablement suffi, pour ramener Damville, naguère catholique ardent, de lui laisser le gouvernement du Languedoc et de mettre en liberté les maréchaux de Montmorency et de Cossé. Mais elle avait une si haute idée des talents militaires de son fils qu'elle l'estimait capable de vaincre la coalition des malcontents. Avant même de l'avoir revu, elle l'engageait à se défier de Damville, qui était allé à sa rencontre jusqu'à Turin pour se justifier. Qu'il déclarât expressément sa volonté de faire la guerre si les rebelles n'acceptaient pas ses conditions, dont la première était l'interdiction du culte réformé. Avec les six mille Suisses de nouvelle levée et l'armée du prince Dauphin (le fils du duc de Montpensier), il comprimerait facilement la révolte du Languedoc. Qu'il se gardât bien d'accorder une trêve pendant laquelle ses forces se consumeraient sans effet. Elle se flattait même, cette mère aveugle, que vous voyent (voyant) fort, yl (les révoltés) viendront alla reyson an (ou) les y fairé venir (ou sinon vous les y ferez venir)... et j'é aupinion que avant que en partit (que vous partiez de Lyon) vous metré cet royaume au repos et yré au partir de là vous faire coroner le plus triondant roy que fust jeamès[22].

Henri III, bien stylé par elle, écouta d'une oreille distraite les explications de Damville et les conseils de modération du duc et de la duchesse de Savoie[23]. Le gouverneur du Languedoc revint à Montpellier décidé à ne plus voir le Roi qu'en peinture.

Contre la Reine-mère la guerre de plume avait repris plus vive. Dans de courtes satires ou de longs pamphlets, politiques et protestants, en vers, en prose, en latin, en français, excitaient le sentiment national contre cette étrangère, qui gouvernait avec des étrangers. Le Milanais Birague est chancelier ; Philippe Strozzi, colonel général de l'infanterie française ; le duc de Nevers, un Gonzague de Mantoue, chef d'armée ; Albert de Gondi, maréchal de France. Sardini et un Gondi d'une autre branche, Jean-Baptiste, afferment les impôts et en lèvent plus qu'ils ne doivent ; par les mêmes moyens Adjacet épuise nos richesses. Ainsi la Médicis livre le royaume à des gitons d'Ausonie. Elle a de tout temps poussé les Français les uns contre les autres, opposant les Guise aux Châtillon et triomphant par sa fourberie des uns et des autres. Elle emploie contre ceux que la force ne peut réduire la ruse, les tribunaux, l'assassinat, le poison. Elle a prémédité la Saint-Barthélemy et poussé le peuple au massacre. Elle multiplie stratagèmes et artifices pour ruiner le royaume de fond en comble. Français, résignez-vous lâchement à être les esclaves de ces mignons florentins ou à quitter le pays, votre vieux pays, si vous ne vous décidez pas à combattre les armes à la main la fourberie florentine[24].

Le plus connu de ces libelles et le plus digne de l'être est le Discours merveilleux de la vie, actions et déportemens de la reyne Catherine de Médicis[25], qui justement la flétrit comme l'auteur de la Saint-Barthélemy, mais qui, l'accuse par surcroît, comme si ce crime n'était pas suffisamment exécrable, d'avoir fait empoisonner ou assassiner tous les grands personnages dont la mort, le plus souvent naturelle, avait profité à sa fortune. Son gouvernement n'a été qu'intrigues, complots, perfidies et calculs abominables. Elle a débauché ses fils pour briser leur énergie, affaiblir leur intelligence et les dégoûter de l'action, digne fille de tous ces Médicis confits en impiétés, en forfaits et en incestes.

Le Discours merveilleux est plus qu'un pamphlet. C'est le manifeste des protestants et des catholiques unis. Il tend à réconcilier contre la Reine-mère la noblesse et même le peuple des deux religions. Il ménage les Guise, dont la participation à la Saint-Barthélemy est presque, à titre de vengeance personnelle, excusée[26]. Il n'en veut qu'à la grande criminelle, à l'ennemie du nom français, qui détient les princes et qui a jeté les maréchaux en prison. Il faut résolument s'opposer à ses desseins ... A cela mesme vostre devoir et honneur vous appelle, seigneurs et gentilshommes françois. Ce n'est pas pour contenance que vous portez les armes ; c'est pour le salut de vos princes, de vostre patrie et de vous mesmes. N'endurez donc pas que vos princes soyent esclaves, que les principaux officiers de ceste Couronne, pour la seule affection que l'on sçait qu'ils portent à la conservation d'icelle, soyent en danger de leur vie, que vous mesmes soyez tous les jours exposez à la mort pour satisfaire à l'appétit de vengeance d'une femme qui se veut venger de vous et par vous tout ensemble. Les divisions religieuses sont sa force. Oublions-les. A défaut d'une même foi, ne sommes-nous pas tous François, enfans légitimes d'une mesme patrie, nés en un mesme royaume, sujets d'un mesme Roy ? Marchons donc tous d'un cœur et d'un pas ; tous, dis-je, de tous estats et qualitez, gentilshommes, bourgeois et paisans et la contraignons de nous rendre nos princes et seigneurs en liberté[27].

La Vie sainte Katherine, comme on appelait en raccourci le Discours merveilleux, eut un très grand succès. Les imprimeurs de Lyon, alors capitale de la librairie, avaient, pour suffire à la masse des commandes, rempli leurs caves d'exemplaires. L'opinion était lasse de cette longue tutelle féminine et de sa politique incohérente, des violences sans résultat, de la guerre sans fin, des dépenses de Cour, de la surcharge des impôts, de la disgrâce des princes, du crédit des étrangers et de la misère générale... Ce livre, dit l'Estoile, fust aussi bien receuilli (recueilli, accueilli) des catholiques que des huguenots (tant le nom de ceste femme estoit odieux au peuple) et ai oui dire à des catholiques ennemis jurés des huguenots qu'il n'y avoit rien dans le livre qui ne fust vrai[28].

Il est vrai que Catherine avait poussé dans les hautes charges de l'État et de l'Église ses parents et quelques-uns de ses clients. La fortune de Pierre Strozzi, qui devint maréchal de France, fut surtout l'œuvre d'Henri II et des affaires d'Italie[29]. Mais elle fit de son fils, Philippe, un colonel général de l'infanterie française, de son frère Laurent, un évêque et un cardinal ; elle prit Robert, son autre frère, le banquier de la famille, pour chevalier d'honneur. Elle montra une affection presque maternelle à ses filles ; elle maria Clarisse en 1558 à Honorat de Savoie-Tende, comte de Sommerive, gouverneur de Provence, et la dota d'un revenu de cinquante mille livres et de dix mille livres comptant en bagues et meubles[30] ; elle choisit Alfonsine pour dame d'honneur après la mort et en remplacement de la princesse de La Roche-sur-Yon, une princesse du sang, et nomma le comte de Fiesque, un membre de l'autocratie génoise, qu'elle lui avait fait épouser, général des galères et ambassadeur à Vienne.

Elle ne tint pas rigueur à ses autres cousins, les Salviati, d'avoir pris parti pour le duc de Florence, Côme. L'évêché de Saint-Papoul en Languedoc leur fut réservé comme un fief ecclésiastique. Quand Jean, le fils de Jacques Salviati et de Lucrèce de Médicis, résigna, il eut pour successeur Bernard, déjà grand aumônier, et celui-ci promu au cardinalat fut remplacé à son tour à Saint-Papoul par Antoine-Marie Salviati. Un autre Salviati est aumônier ordinaire.

Elle s'était toujours louée, depuis son arrivée en France, des soins d'une de ses dames, Marie-Catherine de Pierre-Vive, bourgeoise lyonnaise, mariée à un petit gentilhomme florentin, Antoine de Gondi, notable commerçant à Lyon[31]. Ce fut l'origine de la fortune des Gondi. Albert, pour ne citer que les plus marquants, premier gentilhomme de la chambre de Charles IX, fut nommé maréchal de France sans avoir porté les armes, et sa baronnie de Retz érigée en duché-pairie ; Pierre fut évêque de Langres, cardinal, évêque de Paris et l'ancêtre d'une famille épiscopale, qui, d'oncle à neveu, se continua pendant presque un siècle[32].

Catherine employa comme négociateurs d'autres Florentins, les Gadagne, les D'Elbene, qui arrivèrent aussi à Paris par l'étape de Lyon.

On relève dans la liste de ses dames les plus grands noms de Florence, une Cavalcanti, une Tornabuoni, une Buonacorsi. Elle avait attaché à sa personne les filles de Louis Pic, comte de la Mirandole, ce vieux client de la France, et en maria deux à des La Rochefoucauld.

C'est à elle que s'adressaient comme à leur protectrice naturelle tous les Italiens, bannis politiques, lettrés, écrivains, jurisconsultes, artistes, qui cherchaient en France une situation ou un refuge. Elle les secourt, les place, et, solliciteuse infatigable et sans discrétion, les recommande à tout le monde. Elle avait à un haut degré le sens, très italien, des devoirs du patron envers sa clientèle.

C'était presque une fatalité de sa situation. Étrangère, sans parti ni prestige, écartée du pouvoir pendant le règne de son mari par le crédit d'une favorite, puis devenue régente en une crise religieuse, qui exaspérait l'esprit de désobéissance et de faction des temps de minorité, elle avait été heureuse de trouver parmi ses domestiques, ses parents et ses compatriotes des gens de toute confiance, et tout à sa dévotion. Qu'elle les ait récompensés largement, il n'y a là rien qui doive surprendre. Richelieu voulut lui opposer et même substituer ses neveux et ses cousins aux Montmorency, aux Guise, aux d'Épernon ; il maria une de ses nièces à un Condé pour mêler son sang au sang de France. Catherine, plus respectueuse de la naissance et du rang, ne chercha pas à pourvoir les élus de sa faveur aux dépens de la vieille aristocratie française.

En certaines affaires, ses compatriotes étaient indispensables au gouvernement. Les guerres civiles, dont elle n'était pas cause, et le luxe des fêtes et des bâtiments, dont elle était responsable, coûtaient très cher. A la fin du règne de Charles IX, le trésor était vide. Il avait fallu pour vivre recourir à tous prêteurs[33], aliéner des biens d'Église et le domaine de la Couronne, augmenter les impôts, taxer les marchandises à l'entrée et à la sortie, altérer les monnaies. Dans cette chasse à l'argent, les Italiens étaient passés maîtres, ayant été les premiers et étant restés longtemps les seuls grands banquiers de la chrétienté. Ils firent à l'État des avances et empruntèrent en son nom. Ils furent ses meilleurs et ses plus redoutables agents en matière fiscale. Habitués à se grouper pour l'exploitation d'une affaire, ils organisèrent des compagnies par actions ou parts, qui prirent à ferme la perception des aides (impôts de consommation) et des traites (droits de douanes). Prêteurs, ils traitaient le gouvernement en fils de famille prodigue et lui procuraient des fonds à des taux usuraires ; publicains, ils se faisaient adjuger au forfait le plus avantageux la levée des impôts. Ils gagnaient sur le roi, à qui ils vendaient très cher leurs services, et sur les contribuables, qu'ils pressuraient sans pitié pour en tirer le maximum de rendement.

Partisans et traitants prospéraient au milieu de la misère générale. Des Gondi encore[34], et des gens inconnus la veille, les Sardini, les Adjacet, les Zamet, amassaient en quelques années des fortunes immenses, épousaient des filles de la noblesse et de l'aristocratie, s'anoblissaient, faisaient souche de gentilshommes, d'abbés, d'évêques. Ces nouveaux riches du temps n'étaient d'ailleurs pas tous Italiens. Les Français qui entraient dans ces sociétés ne se montrèrent pas moins âpres au gain, mais les huguenots et les politiques avaient intérêt à faire croire que ces sangsues du peuple, comme les appelait un député des États généraux, venaient tous du pays de la Reine-mère. L'opposition s'efforçait de donner à ses attaques le caractère d'une protestation nationale.

Catherine aurait pu répondre que ses prédécesseurs lui avaient légué une situation obérée et qu'il n'avait pas dépendu d'elle d'éviter le retour des guerres civiles. Elle avait trouvé à la Cour de France beaucoup plus d'Italiens qu'elle n'en avait attiré, tous ces fuorusciti que François Ier et Henri II tenaient en réserve pour leurs entreprises d'outremonts. Il n'était pas plus légitime de reprocher au duc de Nevers d'être un Gonzague de Mantoue qu'aux Guise d'être Lorrains et au duc de Nemours, Savoyard. Le chancelier Birague était d'une famille milanaise qui s'était ruinée pour la cause française. Pierre Strozzi et son fils Philippe se firent tuer, l'un sous les murs de Thionville, l'autre, comme on le verra, dans la bataille navale des Açores, en combattant contre Charles-Quint et Philippe II. C'est une question de savoir si l'on doit considérer comme étrangers le duc de Retz et le cardinal Pierre de Gondi, fils d'un notable commerçant, propriétaire à Lyon, conseiller de ville, et marié à une Lyonnaise de race. Ils avaient été élevés en France[35], et ils n'en sortirent que pour des missions temporaires. L'éducation, le milieu, l'ascendance maternelle, contrebalançaient tout au moins l'origine florentine. Après un acclimatement, si l'on peut dire, de deux générations, ils étaient mieux que des naturalisés et pouvaient se dire Français naturels. Mais les pamphlétaires ne sont pas des historiens.

Catherine se moquait des diffamations et des calomnies ; elle se flattait de forcer les opposants à la pointe de l'épée. De sages conseillers, comme Paul de Foix, des hommes de guerre, comme le maréchal de Monluc, engageaient le Roi à faire des concessions ; mais la Reine-mère fit prévaloir le parti des intransigeants. Quatre armées furent formées ou renforcées pour agir contre les rebelles du Midi et de l'Ouest.

Henri III prit le commandement de celle qui devait écraser Damville. Il n'alla pas plus loin qu'Avignon (23 novembre). Il venait d'apprendre la mort de la princesse de Condé, qu'il aimait éperdument et voulait, dit-on, épouser, et, désespéré de sa perte, il avait, pendant plus de huit jours, versé des larmes et crié sa peine. Puis sa douleur tournant en accès de religiosité, il s'affilia aux confréries, si nombreuses en terre papale, de pénitents bleus, blancs, noirs. Il suivit avec les princes et les courtisans les processions de nuit, la face couverte de la cagoule et le cierge à la main. Le cardinal de Lorraine y prit le serein dont il mourut (26 décembre). La Reine-mère, cédant elle aussi à sa passion, qui était de négocier, fit le jour même de son arrivée à Avignon (22 novembre), proposer à Damville une entrevue à Tarascon ou à Beaucaire, luy asseurant en parole de royne et de princesse qu'il peult venir en toute seureté. Mais elle avait affaire à un homme très fin, qui, devinant ses pensées de derrière la tête, s'excusa d'aller lui parler pour ne mectre en jalousye M. le prince de Condé, nostre général, tous nos confédérés et tant de gens de bien unis à nostre cause[36]. Il construisait une citadelle à Montpellier, fortifiait Lunel, Mmes, Beaucaire, et même il convoquait les États généraux de la province, sans l'aveu et même contre l'aveu du Roi. Il attaqua Saint-Gilles sur le Rhône, et battit la place si furieusement que la canonnade s'entendait d'Avignon, à quelques lieues de là Les députés des Églises et des catholiques paisibles assemblés à Nîmes scellaient leur grand pacte d'union et organisaient le gouvernement des provinces du Midi et du Centre. Une République était constituée dans la monarchie sous le commandement de Damville et l'autorité suprême de Condé, le seul prince du sang libre, avec ses assemblées, ses armées, ses chambres de justice, ses douanes, ses finances, ses impôts, sa police et ses établissements hospitaliers (10 janvier 1575)[37].

Henri III, las de faire campagne, approuva l'acte d'Union et autorisa les huguenots et les malcontents à lui présenter, après entente avec le prince de Condé, le cahier de leurs doléances. C'en était fait du grand dessein de Catherine et de ses illusions. Elle avait pu se convaincre que son fils n'était pas un Alexandre. Elle avait pris pour amour des armes un certain feu de jeunesse, qui avait été vite éteint par les plaisirs, et, pour du génie militaire, les victoires dues à l'habileté de Tavannes. Elle constatait encore qu'en tous ses actes il ne suivait d'autre règle que ses convenances et son humeur. Après avoir épuisé en une semaine de pleurs et de plaintes le regret de la princesse de Condé, il déclara à sa mère sa résolution d'épouser une jeune princesse de la maison de Lorraine, Louise de Vaudemont, petite-cousine des Guise, sans fortune ni espérances, dont à son passage à Nancy, en route pour la Pologne, il avait distingué la douceur et la beauté. Catherine négociait en Suède pour lui trouver une femme bien dotée et apparentée, qui l'aiderait peut-être à garder sa couronne de Pologne Mais Henri faisait passer avant tout son inclination. Catherine approuva ce qu'elle n'aurait pu empêcher ; et, pour cacher sa déconvenue, laissa croire qu'elle avait fait ce mariage de sa main. Au moins pouvait-elle se dire que cette bru, dont on vantait la bonté, les goûts simples et l'absence d'ambition, ne lui disputerait pas le gouvernement de son fils et des affaires. Six mois après (27 août 1575), Henri III abandonna au duc de Lorraine, chef de la Maison et d'ailleurs mari de sa sœur Claude, ses droits de suzeraineté sur le Barrois mouvant. Les impulsions du Roi coûtaient cher.

Catherine l'avait aimé par-dessus tous ses enfants et tellement choyé qu'il ignorait l'idée d'une contrainte et se regardait comme un être d'élection. Il avait, il est vrai, de nature les dons les plus rares. Amyot, qui lui avait montré les premières lettres, le comparait pour l'intelligence à François Ier, son grand-père, désireux, comme lui, d'apprendre et entendre toutes choses haultes et grandes, mais oultre les parties de l'entendement qu'il a telles que l'on les sçauroit désirer, il a la patience d'ouyr, de lire et d'escrire, ce que son grand-père n'avoit pas[38].

Il possédait à fond deux langues : la française et l'italienne. Il était né orateur. En 1569, à Plessis-Lès-Tours, après ses victoires sur les huguenots en présence des principaux chefs de l'armée, qui estoient la fleur des princes et seigneurs de France, raconte sa sœur Marguerite, il fit une harangue au Roy pour luy rendre raison de tout le maniement de sa charge depuis qu'il estoit party de la Cour, faicte avec tant d'art et d'éloquence et dicte avec tant de grâce, qu'il se feit admirer de tous les assistans.... la beauté, qui rend toutes actions agréables, florissoit tellement en luy qu'il sembloit qu'elle feit à l'envy avec sa bonne fortune laquelle des deux le rendroit plus glorieux. — Ce qu'en ressentoit ma mère, qui l'aimoit uniquement, ne se peut représenter par paroles, non plus que le deuil du père d'Iphigénie, et à toute autre qu'à elle, de l'âme de laquelle la prudence ne désempara jamais, l'on eust aisément congnu le transport qu'une si excessive joye luy causoit[39]. Mais il manquait de virilité. Entre ce dernier Valois et ses ascendants ou ses frères, le contraste est saisissant. François Ier et Henri II aimaient passionnément les exercices physiques. Charles IX, chasseur acharné, soufflait dans un cor à se rompre la poitrine et, pour se délasser, battait le fer comme un forgeron. Le duc d'Alençon lui-même, petit de taille et grêle de jambes[40], était un homme de cheval, adroit à tous les sports. Henri III se ressentait de son éducation d'enfant gâté. Lors de sa première campagne, sa mère s'inquiétait plus qu'elle ne l'eût fait pour ses autres enfants, et contrairement à la rudesse de ce temps, des fatigues de cet apprentissage guerrier. Il avait trop vécu parmi les filles d'honneur. Un mémoire de Francès de Alava, l'ambassadeur d'Espagne, à Philippe II, le représente à vingt ans toujours entouré de femmes : l'une lui regarde la main, l'autre lui caresse les oreilles et de la sorte se passe une bonne partie de son temps[41].

A ce frôlement de tous les jours, sa sensibilité, naturellement très vive, s'était encore surexcitée. Il avait pris de ses compagnes le goût des frivolités la recherche des parures, l'habitude des caprices, les larmes faciles et un besoin irrésistible de médisance. Les débauches où tout jeune encore il se plongea, en quête de voluptés et iritement d'apetit extraordinaire, achevèrent de l'amollir. Il était devenu tout féminin. A Reims, lors du sacre (13 février), quand l'officiant plaça la couronne sur sa tête, il se plaignit qu'elle le blessait. Le jour de son mariage avec Louise de Vaudemont, il se leva si tard et passa tant de temps à parer l'épousée qu'il fallut dire la messe dans l'après-midi[42]. Aussi jaloux de son pouvoir que paresseux à l'exercer, il laissa la charge et le souci des affaires à sa mère, et n'intervint que par à-coups, rarement pour corriger une erreur de direction, mais presque toujours à l'appétit de son entourage ou dans un sursaut d'orgueil. En ce régime de dyarchie intermittente, le plus homme, c'était la femme.

Il n'eût été que temps d'agir. Les députés de Damville et des Églises protestantes, de retour de Bâle où ils étaient allés se concerter avec le prince de Condé, avaient rejoint la Cour à Paris. Admis le ri avril 1575 à l'audience royale, ils présentèrent en gr articles la liste de leurs griefs et de leurs vœux. Ils demandaient le libre et complet exercice du culte réformé, sans réserves ni restrictions, l'établissement des Chambres mi-parties dans les parlements, l'octroi de places de sûreté, la mise en liberté des maréchaux prisonniers, la punition des massacreurs de la Saint-Barthélemy, la réhabilitation des victimes et la réunion des États généraux.

Le Roi fut confondu de tant d'audace. Catherine déclara, dit-on, que quand ils (les huguenots) auroient cinquante mil hommes en campagne, avec l'Amiral vivant et tous leurs chefs debout, ils ne sçauroient parler plus haut qu'ils font[43]. Mais la mère et le fils, craignant de rompre et honteux de céder, imaginèrent de renvoyer les députés, après de longs débats, en leurs provinces pour y 'faire élargir, c'est-à-dire adoucir leurs instructions (commencement de mai).

Pour faire front avec toutes ses forces à l'armée de secours que Condé rassemblait en Allemagne, il eût fallu que le Roi fût sûr des provinces du Midi. Catherine s'en apercevait un peu tard. Elle eut l'idée étrange — mais c'est une de ces naïvetés qui ne sont pas rares chez les gens très fins — de faire écrire à Damville par le maréchal de Montmorency, enfermé à la Bastille, qu'il lui défendait de poursuivre sa délivrance par des moyens criminels. Damville répondit que tous actes faits en prison sont à répudier, qu'il l'écouterait volontiers comme son plus humble frère le jour où il serait libre, et qu'en attendant, malgré les inventions et reproches escriptes ou dictes au lieu où il était, il persévérerait en la juste poursuite qu'il avait entreprise pour le service de Dieu, de Sa Majesté, bien et repos des subjects et la liberté du chef de sa maison[44].

Catherine eut une fausse joie. Au mois de mai (1575) Damville tomba malade à Montpellier et fut bientôt à l'extrémité. Le bruit même courut à Paris en juin qu'il était mort. La Reine-mère, Cheverny, le maréchal de Matignon et le chancelier de Birague conseillèrent au Roi, s'il fallait en croire l'historien Mathieu, d'achever l'œuvre de la Providence en dépêchant les maréchaux prisonniers. Pour préparer l'opinion à l'idée d'une mort naturelle, le médecin du Roi, Miron, alla les visiter à la Bastille et publia partout qu'ils étaient mal portants et menacés, si l'on n'y prenait garde, d'une esquinancie (inflammation de la gorge). Ainsi l'on ne s'étonnerait pas de les trouver un matin étouffés. Le crime avait habitué Catherine au crime. Damville ne mourut pas ; les maréchaux furent sauvés. L'assemblée de Montpellier (juillet 1575) ordonna aux délégués qu'elle renvoyait en Cour porteurs d'un cahier de doléances d'exiger avant toute discussion l'exercice libre, entier, général et public du culte réformé et la mise en liberté des maréchaux prisonniers. C'était un ultimatum de puissance à puissance[45].

Les divisions de la famille royale encourageaient la révolte. Henri III détestait son frère, le duc d'Alençon, un autre Valois-Médicis de belle marque, et fourbe par surcroît, qui avait prétendu à la lieutenance générale et peut-être comploté, pendant son exil de Pologne, la mort de Charles IX survenant, de le déposséder de la couronne. Sur le conseil de sa mère, qui savait le danger des dissensions domestiques en un royaume divisé, il lui avait pardonné, mais il avait trop de raisons de ne pas oublier. Il le soupçonnait justement d'être en rapports avec Damville, avec La Noue, avec le prince de Condé, avec tous ses ennemis du dedans et du dehors. Il lui en voulait tellement que, dans une maladie dont il pensa mourir (juin 1575), il engagea le roi de Navarre, dont la bonne humeur et l'exubérance gasconne l'amusaient, à s'emparer, lui mort, du pouvoir.

Il était mortellement brouillé aussi avec sa sœur Marguerite, qui avait été nourrie avec lui et qui fut pendant sa jeunesse la confidente de ses rêves ambitieux. Il l'avait chargée, lorsqu'il s'en allait aux armées, de veiller à ses intérêts et d'écarter de la Reine-mère, de qui il attendait tout, les influences hostiles. Des causes de leur rupture, on ne sait que ce que Marguerite en a dit, et ce n'est peut-être pas toute la vérité. Vers 1570, il se serait laissé persuader par son principal favori, Louis Berenger, sieur du Gast, qu'il ne falloit aimer ny fier qu'à soi-même ; qu'il ne falloit joindre personne à sa fortune, non pas mesme ny frère ny sœur, et autres tels beaux préceptes machiavélistes[46]. Comme preuve de cette indépendance de cœur, il alla dénoncer à Catherine la passionnette de sa fille avec le duc de Guise, et lui représenter combien un pareil mariage serait avantageux à ces cadets de Lorraine, ennemis des Valois. Marguerite fut outrée de tant d'ingratitude ; elle supplia sa mère de croire qu'elle conserverait immortelle la souvenance du tort que son frère lui faisoit[47]. Et elle tint sa parole. Quand il partit pour la Pologne il s'efforça, par tous moyens, dit Marguerite, de remettre nostre premiere amitié en la mesme perfection qu'elle avoit esté à nos premiers ans, m'y voulant obliger par serments et promesse[48]. Mais au retour de Blamont, pendant le séjour de la Cour à Saint-Germain, Marguerite fut si touchée, comme elle le raconte elle-même, des submissions et subjections et de l'affection de son autre frère, le duc d'Alençon qu'elle se résolut à l'aimer et embrasser ce qui luy concerneroit[49]. Aussitôt qu'Henri III fut arrivé à Lyon, il se vengea à sa façon. Un jour que sa sœur était sortie en carrosse pour se promener, il insinua au roi de Navarre, qui ne s'en émut pas, et avertit sa mère, très chatouilleuse en matière d'honneur féminin, que Marguerite était allée voir chez lui un amant. Le soir quand l'accusée parut, Catherine commença à jetter feu et dire tout ce qu'une colère oultrée et démesurée peut jetter dehors[50]. Mais la galante reine de Navarre était cette fois-là sans reproche, ayant visité l'abbaye des Dames de Saint-Pierre où les hommes n'entraient pas.

Quand la Reine-mère sut la vérité, elle tâcha de persuader à sa fille, pour disculper son fils, qu'elle avait été trompée par le faux rapport d'un valet de chambre, un mauvais homme, qu'elle chasserait, et, comme elle n'y advançoit rien, le Roy survint, qui s'excusa fort, disant qu'on le luy avoit faict accroire et faisant à sa sœur toutes les satisfactions et protestations d'amitié qui se pouvoient faire[51]. Mais, si elle se sentait obligée, comme sœur et sujette, de recevoir ses justifications, elle lui montra que la condescendance n'irait pas plus loin. Il aurait voulu la réconcilier avec Le Gast, qu'elle accusait d'être son mauvais génie ; mais elle reçut le favori d'un visage courroucé et le renvoya aveq protestation de luy estre cruelle ennemye, comme elle luy a tenu jusqu'à sa mort[52]. C'était une déclaration de guerre. Belle, intelligente, passionnée, Marguerite était une ennemie redoutable.

Henri III continuait à se conduire en chef de parti ; son passé de duc d'Anjou pesait sur lui. Comme s'il n'était pas le Roi et qu'il eût des injures particulières à venger, il s'entoura d'une troupe de jeunes gentilshommes, ardents et braves, dévoués à sa personne. Le duc d'Alençon avait lui aussi sa bande de fidèles, où Marguerite attira, l'ayant débauché de celle du Roi, Bussy d'Amboise, violent entre les plus violents, brave par-dessus les plus braves, et la meilleure épée de France. Le Gast, pour punir cette désertion et blesser la reine de Navarre en ses amours, fit assaillir Bussy, une nuit qu'il sortait du Louvre, par douze bons hommes — Marguerite dit trois cents — montez tous sur des chevaux d'Espagne qu'ils avoient pris en l'écurie d'un très grand (le Roi). Bussy échappa par miracle à ce guet-apens ; mais le lendemain ayant sçeu d'où venoit le coup, comme il commençait à braver, à menasser de fendre nazeaux et qu'il tueroit tout, il fut adverty de bon lyeu qu'il fust sage et fust muet et plus doux, aultrement qu'on joueroit à la prime avec lui... et de bon lyeu fut adverty de changer d'air[53].

Le Roi s'ingéniait à déshonorer sa sœur. Il affecta d'incriminer la particulière amitié que Marguerite avait pour une de ses filles, Gilonne Goyen, dite Thorigny, fille du maréchal de Matignon. Il obligea le roi de Navarre, sous menace de ne l'aimer plus, à renvoyer de sa maison la favorite de sa femme[54].

Il traitait le duc d'Alençon en ennemi. Il faisait surveiller ses démarches, ses relations, ses plaisirs. Il le laissait insulter par ses favoris. Le Gast avoit bravé Monsieur jusques à estre passé un jour devant luy en la rue Sainct-Antoine sans le saluer ni faire semblant de le cognoistre. Il avait dit par plusieurs fois qu'il ne recongnoissoit que le Roy et que quand il luy auroit commandé de tuer son propre frère il le feroit[55].

Pour rompre la bonne entente que Marguerite s'efforçait de maintenir entre son mari et le duc d'Alençon, il employa, sur le conseil de Le Gast, la femme d'un secrétaire d'État, Charlotte de Sauve, une beauté capiteuse, dont les deux beaux-frères étaient épris à en perdre la raison. Cette autre Circé se rendit si désirable à l'un comme à l'autre que, pour accaparer l'ensorceleuse, chacun des amants était résolu à se défaire de son rival. La Cour est la plus estrange que l'ayez jamais veue, écrivait le roi de Navarre à un ami. Nous sommes presque toujours prestz à nous couper la gorge les uns aux aultres. Nous portons dagues, jaques de mailles et bien souvent la cuirassine soubz la cape.... Le Roy (Henri III) est aussy bien menacé que moy ; il m'aime beaucoup plus que jamais.... Toute la ligue que sçavez me veult mal à mort pour l'amour (par amour) de Monsieur, et ont faict défendre pour la troisiesme fois à ma maistresse (Charlotte de Sauve) de parler à moy et la tiennent de si court qu'elle n'oseroit m'avoir reguardé. Je n'attends que l'heure de donner une petite bataille, car ilz disent qu'ilz me tueront et je veulx gagner les devans[56].

Mais quelque fou en amour que fût le roi de Navarre, et il le resta toute sa vie, il n'était pas incapable d'entendre raison. Quelques bons serviteurs lui représentèrent qu'on le menoit à sa ruine en le mettant mal avec son beau-frère et sa femme ; il s'aperçut aussi que le Roi, après lui avoir montré beaucoup de sympathie, commençait à ne plus faire grand estat de lui et à le mespriser. Marguerite semonçait de son côté le duc d'Alençon, à qui Le Gast faisait tous les jours quelques nouvelles avanies. Tous deux reconnaissant qu'ils étoient... aussi desfavorisez l'un que l'autre ; que Le Gast seul gouvernoit le monde... que s'ils demandoient quelque chose, ils estoient refusez avec mespris ; que si quelqu'un se rendoit leur serviteur, il estoit aussitost ruiné et attaqué de mille querelles... ils se résolurent, voyant que leur désunion estoit leur ruine, de se réunir et se retirer de la Cour, pour, ayant ensemble leurs serviteurs et amis, demander au Roy une condition et un traittement digne de leur qualité[57].

Catherine n'était pas tellement aveuglée par sa tendresse pour Henri III qu'elle ne vît les progrès menaçants de la désaffection publique. Les pamphlétaires continuaient à la viser, mais les coups portaient plus haut qu'elle. Ce fils si beau, si cultivé, si séduisant qu'il semblait que tous ses sujets dussent, comme sa mère, l'idolâtrer, s'était en un an de règne aliéné une grande partie de la noblesse par ses attachements exclusifs, la faveur de quelques petits compagnons et la défaveur de ceux même des grands qui n'étaient pas en disgrâce ou en prison. Il avait réussi à faire oublier les fautes de sa mère.

Il tournait en ridicule des princes du sang qui, comme le duc de Montpensier, et son fils le prince Dauphin, avaient été invariablement fidèles. Les dames ne lui pardonnaient pas de colporter avec délices leurs galanteries. Catherine, qui ne s'alarmait pas longtemps d'avance, s'inquiétait des sympathies ou peut-être même de l'aide que les malcontents en armes et l'armée de Condé en marche trouveraient dans les dissensions de la famille royale. Un jour qu'Henri III lui dénonçait les amours de Marguerite et de Bussy, elle avait répliqué vivement que c'étaient là propos de gens qui voulaient le mettre mal avec tous les siens. Mais d'ordinaire elle ne lui parlait pas si ferme. Elle voyait le tort qu'il se faisait sans oser le lui dire, tant il était ombrageux. Elle le savait si porté à régler ses faveurs sur ses sentiments qu'elle pouvait tout perdre, en perdant son affection. Elle était bien obligée aussi de s'avouer qu'il n'était pas uniformément docile. Il supportait mal qu'elle lui rappelât les devoirs de sa charge ou qu'elle le contrecarrât en ses habitudes ou ses caprices. Alors qu'elle avait rêvé d'être l'esprit dirigeant d'un gouvernement viril, elle devait se contenter le plus souvent de réparer les fautes de ce collaborateur si féminin. Il est vrai qu'elle était plus fertile en expédients que capable d'une grande politique. Les circonstances étaient tout à fait appropriées à son génie.

Le duc d'Alençon, qui craignait pour sa liberté et peut-être même pour sa vie, avait résolu de fuir. Il s'attacha à gagner la confiance de sa mère, lui confessant qu'il avait eu plusieurs fois la tentation de quitter la Cour, par peur de son frère, mais qu'il se repentait de ce méchant dessein et voulait désormais complaire au Roi en toute chose. Quand il l'eut bien convaincue de la sincérité de sa conversion, il profita d'un relâchement de surveillance pour se glisser hors de Paris le soir du 15 septembre 1575. Le lendemain il était à Dreux en sûreté. La Reine-mère avait été prévenue de cette fuite, mais son fils l'avait si bien enjôlée qu'elle refusa d'y croire. Au moins en vit-elle aussitôt toutes les conséquences. Comment le Roi pourrait-il résister à l'armée allemande de secours et aux forces des malcontents réunies sous les ordres du Duc, la seconde personne de France. Le soir même elle écrivait au duc de Savoie, le mari de sa chère Marguerite morte, son mervilleux regret d'être encore en vie pour voir de si malheureuse chause ; elle n'était pas plus émue en annonçant la mort de Charles IX. Aystime (j'estime) bien heureuse Madame (Marguerite) hasteure d'estre morte que, pleust à Dieu que je fuse avec aylle (elle) pour ne voyr poynt ce que ayst sorti du roy Monseigneur (Henri II) et de moi, si malheureux cornent yl est (un tel malheureux qu'est) mon fils d'Alanson, qui s'an est enn alaye[58]. Mais ses désespoirs ne duraient guère et ne l'empêchaient pas d'agir. Elle comptait sur le duc de Nevers pour arrêter le fugitif, et, à défaut, lui suggérait un moyen de le faire enlever. Ce serait assez de cinq ou six hommes sûrs et bien choisis. Ils iraient trouver le duc d'Alençon et lui offriraient de recruter en son nom des gens de cheval. S'il acceptait, ces prétendus racoleurs profiteraient de la commodité des lieux et des temps pour l'emmener. Elle était fière de cette belle trouvaille, n'y ayant pas, remarquait-elle, de si habil hommes que l'on ne lé (leur) puise apprendre quelque tour qui ne sevet (qu'ils ne savent) pas encore[59]. Mais vraiment celui qu'elle proposait était un moyen de comédie. Il en fallut chercher un autre à la hâte. Elle apprenait que beaucoup de jeans que je n'euse pansé vont trover cet pouvre malheureux[60]. Elle décida d'y aller elle-même et de traiter avec lui, avant que l'armée d'invasion eût passé la frontière. A leur première entrevue à Chambord (29-30 septembre), le Duc exigea préalablement la mise en liberté des maréchaux prisonniers. Le Roi dut céder (2 octobre 1575).

Alors commença la discussion des articles d'un accord. François demandait beaucoup. Catherine avait pour instructions d'accorder très peu. Henri, à qui elle recommandait de faire des concessions, écoutait plus volontiers les ennemis de son frère, qui accusaient la Reine-mère de faiblesse, ou qui même insinuaient au Roi qu'elle ne l'aimait pas uniquement. Elle se défendait en termes d'amoureuse : Vous ayste mon tout. Elle s'excusait de lui écrire par besoin d'affection tout ce qui lui passait en la fantaisie. C'était une précaution pour lui faire entendre de bons conseils. Qu'il fit donc des avances à tous ceux qui lui pouvaient nuire, et n'objectât pas qu'on ne les gagnerait jamais.... Fault s'eyder d'un chacun, et encore que ayès ceste aupinion, leur fayre croyre par bonnes paroles et bonne mine le contrère, et [ce] n'é plus temps de dire : je ne puis dissimuler ; yl sé (il se) fault transmeuer[61]. Le conseil qui revient dans toutes ses lettres, c'est de conclure la paix, de hâter la conclusion de la paix. Il doit armer et se rendre fort, mais, en se préparant à la guerre, tout faire pour l'éviter. Or, il n'armait pas et cependant entravait les négociations. Il laissait sa mère plusieurs jours sans réponses. Avec quelque impatience, elle lui demandait cet (si) volés la pays ou non[62]. Elle lui signalait le grand nombre de gentilshommes qui se déclaraient pour son frère : 1500 l'avaient déjà rejoint et d'autres se disposaient à les suivre. La défection de la classe militaire était significative. Au Louvre, le soir même de la disparition du Duc, quand le Roi affolé avait commandé aux princes et seigneurs présents de monter à cheval et de le lui ramener, vif ou mort, plusieurs refusèrent cette commission, disant qu'ils donneraient leur vie pour lui, mais d'aller contre Monsieur son frère, ils sçavoient bien que le Roy leur en sçauroit un jour mauvais gré[63]. Montpensier n'avait pas essayé de barrer au fugitif la route de la Loire. La tiédeur des uns et la prise d'amies des autres, qu'on les interprétât comme une marque de respect pour le sang de France ou comme la preuve de l'impopularité d'Henri III, c'était, au jugement de Catherine, autant de raisons de traiter au plus vite avec le chef des mécontents. En tout cas, écrivait-elle (29 octobre 1575) au Roi, il fallait prendre un parti et choisir entre la paix et la guerre. Je prie à Dieu qu'il vous fase bien résuldre (résoudre), car c'ét le coup de tout[64] (le coup décisif).

Elle se crut au bout de ses peines quand elle eut réussi à signer avec le Duc à Champigny un armistice de sept mois (21 novembre 1575-24 juin 1576). Le duc d'Alençon recevrait pour sa sûreté pendant ce temps Angoulême, Niort, Saumur, Bourges et la Charité ; Condé aurait Mézières. Le libre exercice du culte était accordé aux protestants dans toutes les places qu'ils occupaient et dans deux autres villes par gouvernement. Les reîtres toucheraient 500.000 livres et ne passeraient pas le Rhin.

Ce devaient être des préliminaires de paix ; mais Ruffec, gouverneur d'Angoulême, et La Châtre, gouverneur de Bourges, faisaient difficulté de se dessaisir de ces places fortes avant d'avoir obtenu récompense. Les populations des villes se disaient résolues de s'exposer plustost à tous les dangers du monde[65] que de recevoir des garnisons de malcontents et de se laisser désarmer. Cependant Condé et le comte palatin, Jean Casimir, avec les auxiliaires qu'ils avaient soudoyés en Allemagne et en Suisse, poursuivaient leur route et se rapprochaient de la frontière de France sans se soucier de l'accord de Champigny. A la Cour, les adversaires de la trêve accusaient, et même très haut[66], la Reine-mère d'avoir tout accordé au Duc contre la promesse qu'il ne pouvait pas tenir, même s'il l'eût voulu, d'arrêter la marche des envahisseurs. Elle en voulait surtout à La Châtre d'avoir, en quittant Bourges, livré la citadelle aux habitants pour tout rompre et soubs hombre de bon serviteur et fidel, come set (si) je vous euse en cet faysant tréi (trahi). Elle demandait au Roi réparation de cette conduite, qui était pour elle un outrage. Sy vous ne lui fayte santir et aubéir, je vous suplie me donner congé que je m'en elle (aille) en Auvergne (dans ses domaines patrimoniaux) et je auré dé jeans de bien aveques moy pour, quant tous vous auront tréy et désobéi, vous venir trouver si bien aconpagnée pour vous fayre haubéyr et chatier lors cet (ces) petis faiseurs de menées[67]. Il fallait qu'elle fût bien en colère pour poser la question de confiance, et sur ce ton. Elle se défendait verbeusement d'avoir été dupe[68]. Était-ce sa faute si Ruffec et La Châtre avaient par leur refus empêché la signature d'une paix définitive ? N'avait-elle pas sans cesse d'ailleurs recommandé à son fils de négocier et d'armer tout à la fois, tandis que ceux qui le poussaient à la guerre le voulaient faible comme en temps de paix. Je suis si glorieuse, écrivait-elle à Henri III, que je panse vous avoir faict un comensement, s'il ne m'eult aysté ynterrompu, du plus grent service que jeamès mère fist [à] enfans[69]. Elle insistait sur la nécessité de traiter à tout prix. Je vous en suplie et aufrir à Casimire pansion et jeuques ha dé téres (jusques à des terres) én cet royaume[70]. Pour le décider à tous les sacrifices, elle lui citait en exemple le plus habile de ses prédécesseurs, dont les fautes, qu'il sut si bien réparer, prêtaient à comparaison.... Vous soviegne (vous souvienne) du Roy Lui unsième qui donné (donna) tout cet qu'il avoyt au duc de Borgogne sur la rivière de Surnme ; yl fist conestable le conte de Saint-Pol qui menoyt l'armaye contre lui..... C'est ainsi qu'il sortit deu mauvès passage au (où) yl estoit entrè par le consel de ceux qui volouint (voulaient) mal à son frère et qui avoynt aysté cause qu'il n'avoist à son avènement alla corone fayst cas de sa noblesse ni dé vieulx serviteur de son père, qui se retirère (se retirèrent, passèrent) tous à son frère ; car yl ne fesoit cas que de bien peu. Ils feust en la même pouine que vous aystes et si (ainsi) donna une batalle ; car ceux qui estoyent auprès de lui et de son frère ne voleuret au comensement qu'i (il) fist la pays (paix) et après la batalle feust constreynt de la faire et plus desavantegeuse que auparavant. Guardé que ne vous avyegne (advienne) de mesme....[71]

Quand elle revint à Paris (fin janvier 1576), après une absence de quatre mois, elle apprit que le duc d'Alençon se plaignait d'une tentative d'empoisonnement et en demandait raison au Roi. C'était probablement un prétexte pour rompre ses engagements. En effet l'armée allemande arrivait et il se disposait à la rejoindre. Elle passa la Meuse le 9 février 1576, et, prenant par la Bourgogne, se dirigea vers l'Auvergne, où elle s'établit dans la plantureuse Limagne, à portée de Damville et du Languedoc. La Cour était en plein désarroi. Le roi de Navarre, qui était sorti de Paris sous prétexte de courre un cerf dans la forêt de Senlis, s'était dérobé de la compagnie des chasseurs le soir du 5 février 1576 et il avait chevauché tout d'une traite jusqu'à Vendôme. Libre, il se décida, non sans quelques hésitations, à retourner au prêche.

On a dit que Catherine l'avait laissé fuir pour donner un chef de plus aux rebelles et augmenter d'autant les causes de zizanie. Mais elle fut trompée en ce calcul, si tant est qu'elle l'ait fait. Le roi de Navarre se retira dans son royaume, dont il était absent depuis quatre ans, afin d'y pourvoir à ses propres affaires. A vingt-deux ans, il s'annonçait déjà prudent et avisé. Chef naturel des huguenots, en sa qualité de premier prince du sang de la religion, il ne montra point de haine contre l'Église qu'il venait de nouveau de quitter. Il eut des catholiques à sa Cour, dans ses conseils, dans ses armées et pratiqua par raison et par goût la politique d'union religieuse que Damville et François d'Alençon avaient adoptée comme un moyen de défense. La Navarre fut un autre Languedoc, sous un souverain protestant qui employait tous les bons vouloirs pour résister aux intrigues ou aux violences de la Cour.

Henri III s'en prit à sa sœur de ce nouveau coup. Il la soupçonnait, non sans raison, d'avoir fait assassiner Le Gast par le baron de Vitteaux, un des tueurs les plus redoutables du temps, brave duelliste et à l'occasion féroce assassin (30 octobre 1575). Il l'accusa d'avoir favorisé la fuite de son beau-frère, la tint sous bonne garde et, déclare-t-elle, s'yl n'eust été retenu de la Royne ma mère, sa colère, je crois, luy eust fait exécuter contre ma vie quelque cruauté[72].

Catherine s'efforçait de calmer ces esprits furieux. A Marguerite, qui avait d'autres passions que le roi de Navarre, elle expliquait sans rire son emprisonnement comme une juste précaution contre le désir naturel chez une femme de rejoindre son mari. Elle remontrait au Roi doucement que le cas échéant — c'est toujours Marguerite qui parle — peut estre on auroit besoin de se servir de moy ; que comme la prudence conseilloit de vivre avec ses amys come debvans un jour estre ses ennemys, pour ne leur confier rien de trop, qu'aussy l'amitié venant à se rompre, et pouvant nuire, elle ordonnoit d'user de ses ennemys come pouvans estre un jour amys[73]. Elle parvint à lui persuader que le duc d'Alençon ne consentirait pas à traiter s'il ne laissait pas sa sœur libre. Henri alla trouver la prisonnière, et avec une infinité de belles paroles tâcha de la rendre satisfaite, la conviant à son amitié[74]. Marguerite accompagna sa mère, qui allait reprendre les négociations à Sens. Mais si sa présence contenta le Duc, elle n'adoucit pas les exigences des coalisés. Les huguenots obtinrent tout ce qu'ils demandaient : le libre exercice du culte dans toutes les villes, sauf à Paris, la réhabilitation des victimes de la Saint-Barthélemy, huit places de sûreté. Jean Casimir eut promesse de 3.388.549 florins et François d'Alençon reçut en accroissement d'apanage la Touraine, le Berry et l'Anjou, une véritable principauté qui rapportait 300.000 livres de revenu. Damville garda le Languedoc (paix d'Etigny, près de Sens, 7 mai 1576)[75].

Ces clauses étaient si humiliantes pour Henri III, qu'en les signant les larmes lui coulaient des yeux. Mais Catherine le jour même s'était empressée d'écrire à Damville — singulier confident — sa joie de veoir l'aigreur qui faisoit obstacle à l'unyon et bonne intelligence qui doibt estre entre tous les princes, seigneurs et aultres subjects du Roy... par ce moien estainte et assoupie[76]. Oubliait-elle que sa passion contre le gouverneur du Languedoc et les Montmorency était la cause originelle de l'alliance des politiques avec les huguenots et du succès de la prise d'armes ? Mais elle avait quelque raison de prétendre qu'elle n'était pas responsable des conditions onéreuses de la paix. Et maintenant, écrivait-elle au Roi, qu'il se hâtât de faire payer aux reîtres les trois cent mille livres promises en acompte, car ces étrangers ne partiraient pas sans argent, affin que si la paix ne vous réussit aussi incontinent come a faict la tresve, il vous plaise ne vous en prendre pas à moy, car si j'eusse esté creue lors de la tresve, le royaulme ne (ni) vous fussiez en l'estat que vous estes[77]. Henri la boudait et ne montrait aucune envie de la revoir ; mais elle ne laissait pas de travailler à l'exécution du traité. Elle fit donner à Condé Saint-Jean-d’Angély à la place de Péronne, que le gouverneur, d'Humières, appuyé par la noblesse catholique de Picardie, refusait de livrer au prince huguenot. Elle prodigua les assurances d'amitié à Damville. Elle proposa une entrevue au roi de Navarre, à qui la ville de Bordeaux, bien qu'il fût gouverneur de Guyenne, fermait ses portes. En même temps elle dicta pour Henri III un plan de conduite et de gouvernement[78]. C'est comment voz prédécesseurs faisoient. Pour éviter l'apparence d'une critique, elle parlait à peine des fautes commises, et encore était-ce pour les excuser ou les nier .... Les malins (les méchants) ont faict entendre partout que [vous] ne vous soucyez de leur conservation, aussi que n'éviez agreable de les veoir. Elle a l'air de croire, bien qu'elle sache le contraire, que ce sont mauvais offices et menteries pour le faire haïr et s'establir et s'accroistre. Elle reconnaît que bien souvent les depesches nécessaires, au lieu d'estre bientost et diligemment respondues, ne l'ont pas esté, mais au contraire ont demouré, quelquefois ung mois ou six semaines, tant que (tellement que) ceux qui estoient envoies de ceulx qui estoient enchargez des provinces par vous, ne pouvant obtenir response aucune, s'en sont sans icelles [réponses] retournez. Sans doute ils auraient dû considérer la multitude des affaires et négligence de ceulx à qui faisiez les commandemens. Mais ils pensoient estre vrai ce que ces malins disoient. Malgré les ménagements de forme, l'exposé de ce qu'Henri aurait dit faire était la condamnation de ce qu'il avait fait, de sa mollesse, de sa paresse, de son favoritisme, de son mépris pour les contraintes et les obligations de sa charge. Qu'il prenne, remontrait Catherine, une heure certaine de se lever et fasse comme le feu roi son père. Car quand il prenoit sa chemise et que les habillemens entroient, tous les princes, seigneurs, capitaines, chevaliers de l'Ordre, gentils hommes de la Chambre, maistres d'Hostel, gentilzhommes servants, il parloit à eux et le voioient, ce qui les contentoit beaucoup.

Cela fait, s'en alloit à ses affaires (au Conseil des affaires du matin) et tous sortoient hormis ceulx qui en estoient et les quatre secrétaires [d'État]. Si faisiez de mesme, cela les contenteroit fort, pour estre chose accoustumée de tous temps aux roys voz père et grand-père. Qu'il donne après une heure ou deux à ouïr les dépêches et affaires qui sans sa présence ne peuvent être expédiées. Qu'il ne laisse pas passer les dix heures pour aller à la messe, accompagné comme ses père et grand-père de tous les princes et seigneurs et non, dit-elle, come je vous voys aller que n'avez que vos archers. Après le dîner qui aura lieu à onze heures au plus tard donnez audience pour le moings deux fois la semaine, ce qui est une chose qui contente infiniment voz subjetz, et après vous retirer (retirez-vous) pour venir chez moy ou chez la Royne affin que l'on cognoisse une façon de Court, qui est chose qui plaist infiniment aux François, pour l'avoir accoustumé ; et ayant demeuré demie heure ou une heure en public, vous retirer ou en vostre estude ou en privé, où bon vous semblera....

Mais un roi n'a pas le droit de s'isoler longtemps. Sur les trois heures après midi, allez vous promener à pied ou à cheval, affin de vous monstrer et contenter la noblesse et passer vostre temps avec ceste dernière à quelque exercice honneste, sinon tous les jours, au moins deux ou trois fois la semaine.... Et après cela souper avec vostre famille, et l'après souper deux fois la sepmaine tenir la salle du bal, car j'ay oui dire au roy vostre grand-père qu'il falloit deux choses pour vivre en repos avec les François et qu'ils aimassent leur roy : les tenir joyeux et occuper à quelque exercice s, comme e combattre à cheval et à pied, courre la lance. Ainsi faisait aussi Henri II, car les François ont tant accoustumé, s'il n'est guerre, de s'exercer que qui ne leur fait faire, ils s'emploient à autres choses plus dangereuses.

Qu'il rétablisse à la Cour l'honneur et police qu'elle y avait vus autrefois. Du temps du roi vostre grand-père il n'y eust un homme si hardi d'oser dire dans sa Court injure à ung autre, car s'il eust esté ouy, il eust esté mené au prévost de l'hostel. Chacun alors faisait son office et se tenait à son poste : capitaines des gardes, archers, Suisses, prévôt de l'Hôtel. Les capitaines des gardes se promenaient dans les salles et par la cour. Les archers auraient empêché que les pages et lacquais ne jouassent et tinssent les brelans qu'ils tiennent ordinairement dans le chasteau où vous estes logé, avec blasfèmes et juremens, chose exécrable.... Le prévôt de l'Hôtel surveillait la basse-cour, ainsi que les cabarets et lieux publics autour de la résidence royale, et s'il se commettait des choses mauvaises punissait les délinquants. Le soir, quand la nuit venait, le Grand Maître faisait allumer des flambeaux par toutes les salles et passages et, aux quatre coins de la court et degrez, des falots. Dès que le roy estoit couché on fermoit les portes des appartements, dont on mettait les clefs soubs le chevet de son lit, et jamais la porte du chasteau n'estoit ouverte que le roy ne fust éveillé. L'accès à la résidence royale était rigoureusement hiérarchisé. Les portiers ne laissoient entrer personne dans la court du château, si ce n'estoient les enfans du roi et les frères et sœurs, en coche, à cheval et liftière ; les princes et princesses descendoient dessoubz la porte ; les autres, hors la porte.

Le service du Roi, au dîner et au souper, se faisait en grand apparat. Le gentilhomme tranchant apportait la nef et les couteaux, précédé de l'huissier de salle et suivi des officiers pour couvrir. Le maitre d'hôtel allait avec le panetier quérir la viande, escorté des enfans d'honneur et pages, sans valetailles ny autres que l'escuyer de cuisine. Et cela estoit plus seur et plus honorable. L'après dîner et l'après soupper, quand le Roy demandoit sa collation, c'était un gentilhomme servant qui portoit en la main la couppe et après luy venoient les officiers de la panneterie et eschansonnerie. La Reine-mère comptait sur la vertu du cérémonial pour ranimer la foi monarchique.

Elle rappelait aussi à Henri III l'intérêt qu'il avait à examiner lui-même et à expédier rapidement les affaires. Elle lui recommandait de recevoir tous ceux de ses sujets qui venaient des provinces pour le voir, de s'informer de leurs charges et, s'yls n'en ont point, du lieu d'où ils viennent, afin qu'ils cognoissent que voulez sçavoir ce qui se faict parmi vostre royaume et leur faire bonne chère. Qu'il ne se bornât pas à leur parler une fois, mais, quand il les trouvait en sa chambre ou ailleurs, qu'il leur dît toujours quelque mot.

Il doit employer ses faveurs à maintenir son autorité. Catherine aurait désiré infiniment qu'à l'exemple du roi Louis XII, son fils eût une liste de ses serviteurs de toute qualité et un rôle des offices, bénéfices et autres choses qu'il pouvoit donner pour à chaque vacance récompenser qui bon lui semblerait (remarquez qu'elle ne dit pas le plus digne) et se délivrer de toutes les sollicitations, importunitez et presses de la Court. Il aurait ainsi le mérite de la grâce qu'il ferait, l'ayant faite de lui-même, car s'il cédait aux placets ou autres inventions, croiez, disait-elle, que l'on ne tiendra pas le don de vous seul.

Il le faudrait pourtant. Le Roy vostre grand-père... avoit le nom de tous ceulx qui estoient de maison dans les provinces et autres qui avoient autorité parmy les nobles, et du clergé, des villes et du peuple ; et pour les contenter et qu'ils tinsent la main à ce que tout fust à sa dévotion, et pour estre adverty de tout ce qui se remuoit dedans les dictes provinces... il mectoit peine d'en contenter parmy toutes les provinces une douzaine ou plus ou moings... aulx ungs il donnoit des compagnies de gens d'armes ; aux autres quand il vacquoit quelque bénéfice dans le mesme pays, il leur en donnoit, come aussi des capitaineries des places de la province et des offices de judicature, à chacun selon sa qualité.... Cela les contentoit de telle façon qu'il ne s'y remuoit rien, fust au clergé ou au reste de la province, tant de la noblesse que des villes et du peuple, qu'il ne le sçeut. C'est le meilleur remède dont vous pourrez user pour vous faire aisément et promptement bien obéir et oster et rompre toutes autres ligues, accointances et menées. Qu'il mit aussi peine à s'assurer mêmes intelligences en toutes les principales villes — une puissance dont Catherine avait vu grandir l'esprit de faction et la force de résistance pendant les troubles — et qu'il y gagnât trois ou quatre des principaulx bourgeois et qui ont le plus de pouvoir en la ville et aultant des principaulx marchans qui aient bon crédit parmy leurs concitoiens ; que soubz main, sans que le reste s'en aperçoive ny puisse dire que vous rompiez leurs privillèges, il les favorise tellement par bienfaits ou autres moiens.... qu'il ne se fasse ni die rien au corps de ville ny par les maisons particulières que n'en soiez adverti, et que les jours d'élection ils fassent toujours élire par leurs amis et pratiques des hommes qui vous soient tout dévoués, S'assurer des clients dans toutes les provinces et dans tous les ordres, relever le, prestige monarchique, et cependant se rendre accessible et familier à la noblesse, régler sa Cour et ses Conseils, voir lui-même ses affaires et les expédier rapidement, tels étaient les moyens que Catherine recommandait à son fils pour restaurer son autorité et regagner l'affection de ses peuples.

Mais Henri III jugeait encore plus urgent de rompre le traité si favorable aux huguenots ou, comme on disait, la paix de Monsieur. Il s'y croyait tenu en conscience par le serment fait à son sacre de défendre l'Église. Il constatait l'émotion des catholiques : la noblesse de Picardie, qui s'était armée contre le prince de Condé, faisait appel à tous les princes, seigneurs et prélats du royaume pour empescher et destourner leurs finesses et conspirations (des hérétiques) par une sainte et chrétienne union, parfaite intelligence et correspondance de tous les fidèles loyaux et bons sujets du Roi. Le duc de Guise travaillait la bourgeoisie, comme le signalait déjà la Reine-mère à son fils le 25 décembre 1575. Asteure que les villes cet liguet (se liguent) sur le nom d'un grant que vous saurès quelque jours[79]. Il ne devait le connaître que trop.

Henri de Guise, le seul des chefs catholiques qui eût été heureux dans cette malheureuse guerre, avait battu à Dormans (10 octobre 1575) l'avant-garde des envahisseurs commandée par Thoré, et, pour surcroît de bonheur, il avait été blessé au visage d'un coup d'arquebuse. Cette balafre glorieuse le rendait encore plus cher au peuple de Paris, à qui il l'était déjà comme fils de François de Guise, blessé lui aussi au visage pour la défense du pays et mort victime du fanatisme protestant devant Orléans. Aussi pour empêcher que le ressentiment de cette paix honteuse n'aboutit à la formation d'un parti catholique hostile à la monarchie, Henri III était bien résolu à manquer de parole aux protestants. Il entreprit de détacher d'eux le duc d'Alençon, qui de son nouvel apanage avait pris le nom de duc d'Anjou, et les politiques, dont le concours leur avait été si avantageux. Il reçut avec tout honneur ce frère détesté et même fit bon visage à son favori Bussy. Il lui persuada facilement que son alliance avec les huguenots ne profitait qu'aux Guise. La Reine-mère, à son passage à Blois, où Henri III la pria de s'arrêter, eut le contentement d'y voir son fils, le duc d'Anjou, si bien réconcilié que j'espère qu'il n'y aura desormais en eux (ses deux enfants) qu'une mesme volonté à la conservation de ceste couronne[80].

Les États généraux, dont le traité stipulait la convocation, se réunirent à Blois en décembre 1576. Les protestants, découragés par le rapprochement des deux frères, s'étaient abstenus, sauf dans deux ou trois bailliages, de prendre part aux élections. Henri III comptait sur cette assemblée toute catholique pour lui procurer les fonds nécessaires à la guerre. II renvoya Sébastien de l'Aubespine, évêque de Limoges, qui avait assisté Catherine dans les négociations d'Étigny. Il se fit apporter la liste d'adhésion à la Ligue et s'y signa le premier comme chef ; il déclara en plein Conseil que ce qu'il avait fait à ce dernier Édit de pacification avoit été seulement pour ravoir son frère et chasser les reitres et autres forces étrangères hors de ce royaume... mais en intention de remettre laditte religion (catholique) le plus tost qu'il pourroit à son entier.... Il poussa les trois ordres à voter le rétablissement de l'unité religieuse. C'était signifier à sa mère qu'elle devait changer de politique ou renoncer au gouvernement. Elle était plus pacifique que jamais, ayant constaté que le Roi était incapable de conduire ou même d'organiser la guerre. Elle accusait les évêques tout bas — de lui avoir conseillé de ne tenir ses promesses aux hérétiques et rompre tout ce qu'elle avoit promis et contracté pour luy[81] ; mais elle se garda bien de lui résister en face. Dans un nouvel Avis qu'elle lui adressa (2 janvier 1577)[82], elle louait son dessein de rétablir la religion en son royaume et de supprimer une secte dont la tolérance est tres desplaicente à Dieu. Mais discrètement elle glissait une recommandation pacifique sous la forme d'un souhait ; elle espérait, disait-elle, que, conformêment à la volonté bien connue du Roi, cette résolution pouffait s'exécuter sans en venir aux armes. Elle lui en indiquait les moyens, s'assurant sur son affection pour excuser ce que j'en pourrois dire de mal à propos[83].

Il devrait envoyer une ambassade de représentants des trois ordres au prince de Condé, au roi de Navarre et à Damville pour leur faire connaître son intention et celle des États, et si le roi de Navarre n'y entendait point, lui déléguer le duc de Montpensier (Louis de Bourbon) lequel pour estre prince tel qu'il est de sa maison et d'aage, est à croire qu'il le respectera et croyra plus que nul autre. Montpensier, comme de soi-même, lui parlerait d'un mariage possible entre la princesse de Navarre, Catherine de Bourbon, sa sœur, et le duc d'Anjou, et lui annoncerait la venue, après les États, de la Reine-mère accompagnée de Marguerite, sa femme, qu'il réclamait. Le prince de Condé resté seul s'accordera. Quant au maréchal d'Amville, c'est celuy-là, disait-elle, que je crains le plus, d'autant qu'il a plus d'entendement, de expérience et de suite. Aussi était-il nécessaire de le gagner à tout prix. Mais si ces trois-là par leur obstination, rendaient la guerre inévitable, il faudrait lever trois armées avec les subsides des États et l'aliénation des biens du clergé. Le Roi marcherait lui-même en Guyenne après avoir fait nettoyer tout le pays devant lui par le duc de Montpensier, pour ne trouver rien qui ne lui obéisse. Et en ce pendant qu'il n'était ni en paix ny en guerre, il devait renforcer les troupes des gouverneurs, assurer la garde des villes, enrôler des reîtres en Allemagne et députer aux princes de ce pays pour les détourner d'une nouvelle invasion[84].

Catherine avait pris depuis longtemps ses précautions contre Élisabeth d'Angleterre, la protectrice naturelle des huguenots, avec qui ses rapports, qui ne furent jamais cordiaux qu'en apparence, étaient depuis la Saint-Barthélemy aigres, froids, défiants. Le point faible de la puissance britannique, c'était l'Irlande catholique, plusieurs fois vaincue, jamais soumise, et, ici ou là toujours prête à s'armer contre ces maîtres étrangers et hérétiques. Catherine pensait qu'une insurrection irlandaise serait une bonne riposte à une intervention anglaise, mais elle ne pouvait, sans se compromettre, entretenir des relations ouvertes avec les mécontents. Elle laissait faire un de ses anciens pages, gouverneur de Morlaix, capitaine de Granville, et grand ennemi, à ce qu'il semble, des Anglais, ce Troilus de Mesgouez, qui ne s'est pas illustré dans le rôle amoureux que lui prête la légende[85]. En ces temps de désordre et de faible centralisation, où se déployaient et quelquefois se déchaînaient les libres initiatives, La Roche avait l'air de battre les mers d'Irlande, armateur ou corsaire, pour son propre compte et sous sa responsabilité[86]. On le voit en 1570 débarquer dans le territoire d'un des chefs de la rébellion latente, Desmond ; il s'y attarde plusieurs mois, malgré les instances des Anglais et sa promesse, et, quand il se décide à partir, il emmène le frère de Desmond, Fitz-Maurice, et oublie quelques soldats dans un fort[87]. Il recueille en Bretagne les fugitifs et les bannis, il les cache, il les aide, il les arme. En juillet 1575, il accompagne à la Cour Fitz-Maurice, qui, allant en Espagne solliciter Philippe II, avait été contraint, alléguait-on, par la tempête d'aborder en France[88], et c'est à lui aussi que s'adresse à quelques jours de là comme à l'intermédiaire naturel, un certain capitaine Thomas Bate, qui se disait chargé par le comte Quillegrew (lisez Kildare) d'offrir à la Reine-mère les moyens dont disposait ce lord irlandais, prisonnier à la Tour de Londres, pour faire de grands services au Roi de France en Irlande. Ce Thomas Bate, un espion d'Élisabeth, voulait tenter la Reine-mère et l'obliger à se découvrir. Catherine, flairant le piège, fit arrêter et enfermer au bois de Vincennes cet agent provocateur. Le chargé d'affaires anglais, Dale, qu'elle fit venir pour lui expliquer l'emprisonnement de ce sujet britannique, saisit cette occasion de se plaindre des menées de La Roche et de ses liaisons avec les rebelles irlandais. Elle protesta qu'elle ne savait rien de ces intrigues, mais elle admit comme possible que La Roche, qui était, disait-elle, au duc d'Alençon, l'eût entretenu de quelque projet et qu'il en eût été volontiers ouï, comme les princes font bien souvent, principalement ceux qui sont de son âge et mesmement (surtout) quand on leur parle pour leur grandeur[89]. Gentilhomme servant du duc d'Alençon, ami des Guise, les chefs du parti catholique, et gouverneur du Roi, La Roche était un personnage à plusieurs faces, hardi et ambitieux[90], dont on ne savait jamais exactement pour qui il opérait, ni même s'il n'opérait pas pour lui-même. Mais Élisabeth savait bien contre qui. C'est, disait-elle à l'ambassadeur de France ung terrible, gallant contre elle[91]. Les titres qu'il porte dans les lettres patentes de mars 1577, marquis de Coetarmoal, comte de Kermoallec et de la Joyeuse Garde, conseiller du Roi en son Conseil privé et chevalier de l'Ordre, sont probablement le prix de cette guerre sourde à l'Angleterre, en prévision d'une guerre ouverte. Mais l'autorisation qui lui est octroyée par ces mêmes lettres patentes de s'établir aux Terres Neuves d'Amérique, pour en jouir perpétuellement, lui et ses héritiers, n'est pas une récompense. Ce projet de colonisation (mars 1577) coïncide si bien avec la reprise de la lutte contre les huguenots qu'il y a de bonnes raisons de ne pas le prendre trop au sérieux. Quelque incohérente qu'ait toujours été la politique des Valois, il n'est pas vraisemblable qu'ils se fussent dessaisis d'une partie des navires bretons au moment où ils pouvaient craindre l'entrée en ligne de la marine anglaise. De même que Charles IX avait fait en 1571, sous prétexte d'un établissement outremer, dresser une flotte, qui était destinée à tenir le roi d'Espagne en cervelle, Henri III accordait à La Roche le droit de lever, fréter, équiper tel nombre de gens, navires et vaisseaux qu'il avisera, non pas, comme le publiait la déclaration royale, pour aller aux Terres Neuves, mais pour prêter aide, le cas échéant, aux rebelles d'Irlande, si Élisabeth s'avisait de secourir les rebelles de France. Les agents anglais ne s'y trompèrent pas et, comparant l'importance de cette entreprise coloniale à l'insuffisance de celui qui en était chargé, ils avertirent leur gouvernement (juin 1577) qu'il y avait quelque dessein traître contre l'Irlande[92]. La guerre ayant fini (septembre 1577) avant que la flotte fût prête et qu'Élisabeth eût bougé, on nomma La Roche, pour sauver la face ou l'indemniser des avances d'argent qu'il avait faites, vice-roi, lieutenant général et gouverneur des Terres Neuves à découvrir et à conquérir (janvier 1578). Il partit avec un vaisseau de trois cents tonnes environ, mais il fut bien battu par quatre navires anglais, qu'il pensait piller[93], et probablement regagna le port.

La Reine-mère avait employé un autre moyen qu'elle pensait aussi efficace pour empêcher l'Angleterre de se déclarer en faveur des huguenots ; elle avait remis en avant le projet de mariage du duc d'Anjou avec Élisabeth. Elle travaillait au dedans comme au dehors à préparer au Roi une victoire facile. Elle parvint non sans peine à rassurer Damville qui, sachant que le Roi lui en voulait mortellement de sa révolte passée, demandait des garanties. Les assurances ne coûtaient pas à Catherine. Elle lui faisait dire par le duc de Savoie, l'ami du Roi de France et l'allié de tous ses ennemis, que s'il se remettait, comme il devait, en son devoir, elle consentait, tant elle était sûre du contraire, que tout le mal qu'il aurait du Roi, on le lui fasse à elle-même et que Dieu lui en envoie autant[94]. Elle sollicitait sa femme, Antoinette de La Marck, ardente catholique, de le détacher des huguenots. Mais Damville voulait mieux que des paroles. Il obtint que le marquisat de Saluces lui fût donné de surcroît s'il réussissait à soumettre tout le Languedoc à l'obéissance du Roi. Catherine se porta garante de cet accord, affirmant que son fils aymeroit mieulx mouryr que faillir à ses promesses[95]. C'était rompre à bon marché, la cession étant conditionnelle, l'alliance des protestants et des politiques (mai 1577).

Catherine avait justement prévu qu'Henri III se dégoûterait vite de la guerre. Il avait donné à son frère le commandement de la principale armée et il le lui retira par jalousie après la prise d'assaut de la forte place d'Issoire (11 juin). L'argent manqua ; les États généraux, qui avaient applaudi à son dessein de rétablir l'unité de foi, lui avaient refusé les moyens de l'imposer. Mais les huguenots, affaiblis par la défection des catholiques unis, acceptèrent la paix de Bergerac (7 septembre 1577).

L'Édit de Poitiers, confirmatif de ce traité, restreignait l'exercice du culte réformé à une ville par bailliage, outre les villes et bourgs où le libre exercice existait avant la dernière prise d'armes. Henri III, fier de cette paix — sa paix — qui réparait la honte de la paix de Monsieur, oublia les conseils de sa mère et ne pensa plus qu'à ses plaisirs.

Après la mort de Du Gast, un favori de grande allure, il avait commencé en 1576 à vivre dans l'intimité de dix ou douze jeunes gens beaux et bien faits, qu'il trouvait un plaisir équivoque à voir parés, coiffés, attifés avec une recherche et des raffinements de femmes. Les Mignons, comme on les appelait, Quélus, Maugiron, Saint-Luc, d'Arques, Saint-Mesgrin, etc., jaloux d'accaparer la faveur et les faveurs de leur maître, excitaient ses rancunes et ses défiances contre son frère. Ils assaillirent Bussy, qui les qualifiait crûment de mignons de couchette, et le manquèrent. Quelques jours après, aux noces de Saint-Luc (9 février 1578), ils narguèrent le duc d'Anjou que Catherine, conciliante, avait décidé à paraître au bal. Celui-ci, de dépit et de colère, quitta la fête et alla raconter à sa mère ce' qui venait de se passer, de quoy elle fut très marrie. Il lui dit son intention, qu'elle trouva très bonne, de s'en aller pour quelques jours, à la chasse, soulager et divertir un peu son esprit des brouilleries de la Cour. Mais le Roi, inquiet de cette brusque sortie, et appréhendant une fuite, envoya réveiller la Reine-mère et pénétra dans la chambre du Duc, suivi du sieur de Losses, capitaine des gardes, et de quelques archers écossais. Catherine, craignant qu'en cette précipitation, il (le Roi) fist quelque tort à la vie de son fils, accourut toute déshabillée... s'accomodant comme elle peust avec son manteau de nuit[96]. Henri fouilla la chambre et le lit, et arracha des mains du suspect, malgré ses prières, une lettre où il croyait trouver la preuve d'un complot, et qui n'était qu'un poulet de Mme de Sauve. Mais, encore plus irrité de cette déception, il sortit, commandant à Losses de garder son frère et de ne le laisser parler à personne. Le prisonnier passa la nuit dans une mortelle inquiétude. Catherine, qui s'était tue ce soir-là pour ne pas exaspérer les passions, envoya le lendemain quérir tous les vieux du Conseil, Monsieur le chancelier, les princes, seigneurs et mareschaulx de France, qui tous furent d'avis qu'elle devoit remonstrer au Roy le tort qu'il se faisoit, et tâcher de l'habiller cela le mieux que l'on pourroit. Elle alla trouver Henri III avec tous ces messieurs et fit agir aussi le duc de Lorraine, son gendre, qui se trouvait à là Cour. Le Roi, ayant les yeux dessillez, consentit à une réconciliation, s'excusant de ce qu'il avait fait sur le zèle qu'il avoit au repos de son Etat. Le Duc se déclara satisfaict si son frère recognoissoit son innocence. Sur cela la Reine-mère les prit tous deux et les fist embrasser[97].

Mais cinq jours après, le duc d'Anjou, qu'Henri III tenait consigné dans le Louvre, s'enfuit par la fenêtre de l'appartement de la reine de Navarre, sa sœur, et se retira à Angers, capitale de son apanage.

Cette fuite serait-elle, comme en 1575, l'annonce d'une prise d'armes générale. Il y avait d'autant plus lieu de le craindre que le nombre des malcontents était plus grand. Pour suffire aux dépenses des dernières guerres, aux appétits de son entourage et à ses prodigalités, Henri III continuait et aggravait les expédients financiers de sa mère. Il augmentait les tailles, empruntait de force aux particuliers et aux villes, levait sur le clergé des décimes ordinaires et extraordinaires, aliénait les biens d'Église et projetait d'établir à la sortie du royaume un nouveau droit, la traite foraine domaniale, sur les blés, les toiles, les vins et le pastel (plante tinctoriale), au risque de tarir ces quatre sources de la richesse française[98]. Il généralisait les droits d'importation, révisait, pour les hausser, les anciens tarifs, et concentrait la levée des aides, des gabelles et des traites entre les mains de quelques Italiens experts à pressurer les contribuables[99].

L'assemblée générale de la Ville de Paris, dans ses doléances au Roi de 1575, avait protesté déjà contre les grandes daces et impositions nouvellement inventées ès fermes desquelles on n'a jamais voullu recevoir les naturels François, et elle concluait par ce sérieux avertissement : Comme vous avez la domination sur vostre peuple, aussy Dieu est vostre supperieur et dominateur, auquel debvez rendre compte de vostre charge. Et sçavez trop mieulx, Sire, que le prince qui lève et exige de son peuple plus qu'il ne doibt alliene et perd la volunté de ses subjects de laquelle deppend l'obeissance qu'on luy donne [100]. En 1578, l'orateur des États de Normandie, Nicolas Clérel, chanoine de Notre-Dame de Rouen, représentait au lieutenant général du Roi les povres villageois de Normandie... maigres, deschirez, langoureux, sans chemise en dos ny soulier en pieds, ressemblans mieux hommes tirez de la fosse que vivans, et il s'écriait : Se souviendront point les inventeurs des Édits pernicieux à l'Estat du Roy et repos public que Dieu qui est par dessus les Roys les peut confondre en abisme comme il sait bien, quand il luy plaist, transférer les royaumes et monarchies où l'iniquité abonde et la justice est ensevelie, ainsi qu'il menace en Osée, chap. 13 : Aufferam, inquit, regem in indignatione mea. — Je vous ôterai votre roi dans ma colère (Osée, XIII)[101]. Nicolas Boucherat, abbé de Cîteaux, porte-parole des États de Bourgogne (mai 1578), ne craignit pas de rappeler à Henri III que Roboam avait, par une aigre et dure réponse aux plaintes de ses sujets, perdu l'obéissance de dix tribus[102].

C'est au nom de ses privilèges que la Bourgogne repoussait l'établissement de nouvelles taxes, sans un vote de ses États généraux. Les autres provinces alléguaient aussi les droits historiques : la Bretagne, les stipulations du contrat de mariage de la reine Anne ; la Normandie, la charte aux Normands de Louis le Hutin. La grande Ligue de 1576 était morte de l'étreinte royale, mais la surcharge des impôts ravivant ici et là l'esprit particulariste et s'ajoutant à toutes les autres causes de mécontentement, des ligues de toutes sortes se formaient et s'organisaient en Périgord, en Auvergne, en Dauphiné, en Provence, etc.

Au moins Henri III aurait-il dû s'attacher le duc de Guise, si populaire à Paris et dans la plupart des grandes villes. Mais il prétendait gouverner d'après les préjugés de puissance absolue, comme s'il n'avait rien ni personne à ménager. Il traita Guise avec hauteur et laissa voir l'intention de lui ôter la grande maîtrise pour en gratifier Quélus. Les Mignons, privés du plaisir d'humilier Monsieur, tournèrent leur desbordée outrecuidance contre ce nouvel ennemi. Mais ils trouvèrent à qui parler. Quélus et Maugiron, assistés de Livarot, furent, en un duel de trois contre trois, l'un tué, l'autre mortellement blessé par le jeune d'Entragues, Ribérac et Schomberg, qui étaient de la bande des Lorrains (27 avril 1578). Saint-Mesgrin, autre mignon, qui faisait à la duchesse de Guise une cour compromettante, fut, au sortir du Louvre, dans la nuit du 21 juillet, assassiné par une troupe que dirigeait, dit-on, le frère du duc, Mayenne. Guise avait quitté Paris en mai et le bruit courut qu'en prenant congé du Roi il lui avait signifié qu'il s'abstiendrait, à l'avenir, de porter les armes contre le duc d'Anjou, son frère et l'héritier présomptif de la couronne[103].

La s paix du Roi s était aussi odieuse à beaucoup de catholiques qu'à la plupart des huguenots, ceux-là s'indignant qu'Henri III se fût arrêté en plein succès et n'eût pas interdit partout l'exercice public de l'hérésie, ceux-ci ne se résignant pas à perdre dans la plus grande partie du royaume la liberté de culte que la paix de Monsieur leur avait octroyée partout. Les politiques, dont le revirement avait décidé du succès de la dernière guerre, s'étonnaient de la défaveur de leurs chefs. Aussi les brasseurs de troubles, qui allaient de parti en parti et de province en province, porteurs de plaintes et de projets de coalition, trouvaient partout des oreilles complaisantes. Qu'adviendrait-il s'ils réussissaient à entraîner le duc d'Anjou, roi en expectative ?

Catherine se le demandait avec inquiétude. Elle savait par deux expériences successives de quel poids serait la détermination du Duc. Lui seul était capable de grouper en faisceau compact pour une offensive commune les catholiques et les protestants, divisés et même opposés de sentiments, de griefs, d'intérêts, et, seul, il pouvait donner à l'insurrection un caractère de légitimité. Une prise d'armes qu'il désavouerait ou même n'avouerait pas ne serait jamais que partielle, sans grande chance de succès ou tout au moins de durée, mais celle dont il prendrait le commandement exposait à tous les hasards, par le nombre et la force des assaillants, la puissance et la personne royales. Il tenait dans ses mains la paix et la guerre.

Catherine était en conséquence décidée à payer au plus haut prix son alliance ou sa neutralité. Mais il lui fallait convaincre le Roi de la nécessité des sacrifices, et elle y trouvait bien des difficultés. Les négociations de 1576 avec Monsieur font date dans son histoire. Les critiques contre sa faiblesse ou sa complaisance avaient fait impression sur Henri III, jaloux et fier, dont l'orgueil royal avait été cruellement éprouvé et qui doutait d'être, comme il l'avait cru jusqu'alors, l'enfante uniquement chéri b. Dans la séance d'ouverture des États généraux de Blois, tout en donnant des louanges immortelles à la vigilance, magnanimité et prudence de sa mère, il avait parlé des tourmentes de sa minorité, quoiqu'il eût à son avènement vingt-deux ans, en homme décidé à prendre lui-même à l'avenir le gouvernail[104]. Il y a bien douze ans, disait en 1588 Catherine, que mon fils n'écoute plus mes conseils...[105] Elle exagérait assurément. Son fils continuait à l'aimer et l'estimait plus capable que personne de conduire les grandes affaires. Il revenait à elle en toutes ses difficultés comme à une mère très tendre et au serviteur le plus sûr. Par habitude de paresse ou quand il était malade, il lui abandonnait même toute la charge du gouvernement, mais il l'y contrecarrait souvent et lui faisait sentir toujours que c'était par délégation. Désormais, elle fut obligée de rendre compte de ses actes, d'expliquer sa politique ou de ruser et biaiser. Son règne était bien fini ; elle tombait au rang de principal ministre.

 

 

 



[1] Lettres, IV, p. 310, 31 mai 1574.

[2] Lettres, IV, p. 311-312.

[3] Lettres, IV, p. 310.

[4] Lettres, IV, p. 311.

[5] C'est la seconde fois qu'elle emploie ce mot contre ceux qui, comme Tavannes, s'étaient déclarés contre l'aventure de Pologne et la politique de magnificence.

[6] Lettres, IV, p. 312.

[7] Lettres de Catherine, V, p. 73.

[8] Voir ci-dessus ch. V.

[9] Du Mont, Corps diplomatique, t. V, I, p. 231.

[10] Lettres, V, p. 102, n. 2.

[11] Lettres de Catherine, 16 octobre 1574, t. V, p. 99.

[12] Lettres de Catherine, t. V, p. 92.

[13] Sa conversation avec Marguerite, Mémoires, éd. Guessard, p, 14.

[14] Lettres, 31 mai 1574, t. IV, p. 311-312.

[15] Lettres, t. V, p. 73-75, dont j'ai modernisé ci-dessous, en note, les passages les plus difficiles.

[16] Lettres, t. V, p. 74. Il doit se montrer maitre et non plus compagnon... et il ne faut pas que l'on pense : Il est jeune, nous lui ferons passer ce que [nous] voudrons et il doit ôter la coutume de rien donner à qui le braverait ou [qui] lui voudrait faire faire par façon de compagnon ou d'être mal content ; qu'il rompe cette coutume à deux ou trois des plus huppés (?) et hardis. Les autres, ils viendront [à se conduire] comme ils devront. Qu'il donne de lui-même à ceux qui le serviront bien et ne bougeront de leur charge sans qu'ils le viennent importuner pour en avoir... Qu'il pourvoit aux états et non aux hommes, car cela porte dommage à son service, quand, pour récompenser un homme, l'on lui donne une charge dont il n'est pas digne.

[17] Il ne faut pas qu'un favori dispose de tout, car, au lieu d'en contenter beaucoup [de ses sujets] pour les obliger et avoir [des hommes] à lui en chaque province, le Roi n'en aurait qu'une douzaine, laquelle douzaine, quand ils se voient si seuls et grands, ils tiennent tête au Roi, au lieu de reconnaître qu'il les a faits [ce qu'ils sont].

[18] Par la force des choses, la division du travail s'établissait dans le Conseil du roi. Les séances du Conseil privé partagées entre les affaires d'État, la justice et les finances tendaient à devenir des sections. Mais les rois quand ils voulaient avoir l'œil directement à leurs affaires et les suivre jour par jour, recommençaient à les faire délibérer en leur présence dans le Conseil au lieu de les laisser décider à part par un groupe de conseillers. Ainsi François Ier, au retour de sa captivité de Madrid, avait remis en un le Conseil privé divisé en trois : guerre et affaires, finances, justice. Ce Conseil unifié tenait deux séances : l'une de préférence le matin, réservée aux finances et affaires d'État (d'où les divers noms qui avaient cours au XVIe siècle de Conseil des affaires, Conseil de la chambre, Conseil étroit, Conseil des affaires du matin), l'autre, avec un personnel plus nombreux, consacrée aux requêtes et parties (Conseil des parties, Conseil privé et des parties). C'est à l'organisation du temps de François Ier, celle qui nous est connue par un règlement de 1543, que se réfère Catherine de Médicis. Quant au Conseil des finances qu'elle avait établi et qu'elle proposait de supprimer, il n'était à l'origine qu'une commission préparatoire, formée de conseillers plus compétents et chargée de préparer les décisions à soumettre au Conseil privé en matière de finances, mais il s'était habitué à tout régler et avait réduit le Conseil privé à n'être plus qu'une chambre d'enregistrement.

[19] Lettres de Catherine de Médicis, t. V, p. 75.

[20] Lettres de Catherine de Médicis, t. V, p. 85, note 1.

[21] Lettres, t. V, p. 85, note 1. — Ant. Du Verdier, Prosoporaphia ou Description des personnes illustres tant chrestiennes que profanes, Lyon, 1603, t. III, p. 2558-59.

[22] Lettres, V, p. 67-68, août 1574.

[23] D'après Giovanni Michiel, ambassadeur de Venise en France en 1575, ce serait la seigneurie de Venise qui aurait engagé le Roi à entrer en France désarmé, en proclamant un pardon général et en libérant les prisonniers (Tommaseo, II, p. 245.)

[24] Mémoires-journaux de l'Estoile, édition pour la première fois complète et entièrement conforme aux manuscrits originaux, Paris, Jouaust, t. I, 1875 p. 18-19.

[25] Texte reproduit dans les Archives curieuses de l'Histoire  de France, publiées par Cimber et Danjou, Ire série, t. IX, p. 3-113.

[26] Un autre pamphlet protestant, daté du douzième jour du sixième mois de la trahison (la Saint-Barthélemy), c'est-à-dire du 4 ou 5 février 1373 et qui parut à Edimbourg en 1574, Le Réveille matin des François et de leurs voisins composé par Eusèbe Philadelphe, allait encore plus loin et, faisant allusion à la prétention qu'avaient les Guise de descendre de Charlemagne, il leur disait : Les huguenots ne désireroient rien mieux que de vous voir remis au throsne que Hugues Capet usurpa sur les rois vos predecesseurs, s'assurans bien (comme ce livre porte) que non seulement vous lairriez leurs consciences libres : ains aussy tout exercice de leur religion sain, sauf et libre par toute la France.

[27] Archives curieuses de l'Histoire de France, t. IX, p. 111-112. - Cf. la déclaration de Damville pour la justification de la prise d'armes (13 nov. 1574), dans l'Histoire générale du Languedoc de D. Vaissète, éd. nouvelle, Toulouse, 1889, t. XII (Preuves), col. 1105-1111.

[28] Mémoires-journaux de Pierre de L'Estoile, éd. Jouaust, t. I, p. 28.

[29] Ch. II, p. 49-52.

[30] Lucien Romier, Les Origines politiques des guerres de religion, t. I, p. 150, note 2.

[31] Corbinelli, Histoire généalogique de la maison de Gondi, Paris, 1705, 2 vol. : Antoine de Gondi, père du duc de Retz, t. II, p. 2. Sur le négoce des Gondi, le généalogiste est muet. Aussi faut-il suppléer à son silence avec quelques indications d'archives du comte Charpin de Feugerolles, Les Florentins à Lyon, 1894, p. 229, 120 et passim.

[32] Corbinelli, t. II, p. 25-29 et p. 62.

[33] Par exemple aux Vénitiens et au grand-duc de Toscane, en leur donnant en gage les joyaux de la Couronne. Aussi M. Germain Bapst a-t-il écrit un excellent chapitre de l'histoire financière des Valois dans son Histoire des joyaux de la Couronne de France d'après des documents inédits, Paris, 1889, liv. II : Rôle financier des diamants de la Couronne.

[34] Sur Jean-Baptiste Gondi, le compère de Catherine, banquier à Lyon, puis traitant, voir Corbinelli, t. I, p. CCXLV, qui indique ses dignités de maitre d'hôtel du roi, etc., mais ne dit rien de ses spéculations.

[35] Albert de Gondi est né à Florence le 4 novembre 1522, pendant un séjour qu'y firent ses parents ; mais depuis 1533 son père et sa mère, et lui probablement, vécurent à la Cour (Corbinelli, t. II, p. 25). Le Cardinal est né à Lyon en 1533 (Corbinelli, t. II, p. 61).

[36] Lettre de Catherine du 22 novembre et réponse de Damville du 23, dans Lettres, t. p. 105-106, note.

[37] Voir le règlement de l'Union, 10 janvier 1575, dans l'Histoire générale du Languedoc, éd. nouvelle, t. XII (Preuves), col. 1114-1138, et les articles promulgués par Damville, ibid., col. 1138-1141.

[38] Lettre d'Amyot à Pontus de Thyard, du 27 août 1577, dans les Œuvres de Pontus de Thyard, éd. Marty-Laveaux, 1875, introd., p. XXIII.

[39] Mémoires de Marguerite de Valois, éd. Guessard, p. 22.

[40] Priuli, dans sa relation de 1582, Relazioni degli ambasciatori venati al senato, serie Ia, Francia, t. IV, p. 428.

[41] Forneron, Histoire de Philippe II, t. II, 1881, p. 297.

[42] L'Estoile, t. I, p. 50.

[43] L'Estoile, t. I, p. 56.

[44] De Crue, Le Parti des politiques, 1892, p. 257, croit que la lettre du maréchal de Montmorency est supposée.

[45] Histoire du Languedoc, nouvelle édition, t. XII, col. 1143.

[46] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 17-18.

[47] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 19-20.

[48] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 37.

[49] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 38.

[50] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 47-48.

[51] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 52.

[52] Brantôme, t. VIII, p. 62.

[53] Brantôme, t. VI, p. 186-188.

[54] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 61.

[55] L'Estoile, t. I, p. 92.

[56] Recueil des Lettres missives de Henri IV, publié par Berger de Xivrey (Coll. Documents inédits), t. I, p. 81. Berger de Xivrey date à tort cette lettre de janvier 1576, car elle est évidemment antérieure à la fuite du duc d'Alençon, c'est-à-dire au 15 septembre 1575.

[57] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 62-63.

[58] Lettres, t. V, p. 132.

[59] Lettres, t. V, p. 137, 18 septembre 1575.

[60] Lettres, t. V, p. 136.

[61] Lettres, t. V, p. 147, 5 octobre.

[62] Lettres, t. V, p. 156, 20 octobre 1575.

[63] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 65.

[64] Lettres, t. V, p. 159.

[65] C'est ce qu'avait écrit M. de Rambouillet à la Reine-mère des gens de Bourges. Lettres, t. V, p. 171, note 1. Les gens d'Angoulême refusèrent aussi d'obéir, Lettres, t. V, p. 179, note 1.

[66] Trop hault, écrit Catherine à Henri III, pour n'en respondre (pour que je n'y réponde pas) un mot. Lettres, t. V, p. 171, 3 décembre.

[67] Lettres, V, t. p. 173, entre le 8 et le 21 décembre.

[68] Lettres, V, p. 175-178, 11 décembre.

[69] Lettres, V, p. 176-177.

[70] Lettres, V, p. 177.

[71] Lettres, V, p. 177.

[72] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 67.

[73] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 67-68.

[74] Mémoires de Marguerite, Éd. Guessard, p. 74-75.

[75] Comte Boulay de la Meurthe, Histoire des guerres de religion à Loches et en Touraine, t. I, 1906, p. 133-145.

[76] Lettres, t. V, p. 193, 7 mai 1576.

[77] Lettres, t. V, p. 198, 15 mai 1576. Sur Jean Casimir et son royal débiteur, voir Germain Bapst, Histoire des joyaux de la Couronne de France, 1889, p. 137-142.

[78] C'est l'Avis qu'Hector de La Ferrière a publié au tome II des Lettres de Catherine de Médicis, p. 90-95, et daté du 8 septembre 1563, comme une exhortation de Catherine à son fils Charles IX immédiatement après la déclaration de sa majorité. — Grün, La Vie publique de Montaigne, p. 183-197 (ch. VI), avait déjà soutenu que les conseils de la Reine-mère étaient adressés à Henri III et non à Charles IX, mais il les plaçait à tort en 1574. A cette date, ils auraient fait double emploi avec le Mémoire qu'elle fit porter à Henri III à Turin. Voici sur le vrai destinataire les arguments de Grün, auxquels j'en ajouterai quelques autres pour établir que le document est de la fin de 1576. Si Catherine avait écrit à Charles IX, qui fut déclaré majeur dans sa quatorzième année, elle n'aurait pas parlé de la minorité de son prédécesseur, François H ayant, quand il devint roi, quinze ans accomplis. Elle n'aurait pas recommandé à ce roi de quatorze ans de tenir la Cour avec la reine, alors qu'il n'était pas marié et ne le fut que sept ans après. Il est trop spécieux de prétendre que Catherine, se proposant de marier son fils, pouvait parler de la chose comme déjà faite. Mais ce qui serait encore plus étrange, c'est qu'elle conseillât à Charles IX, qui n'avait encore rien fait, étant en tutelle, de changer de méthode. Imagine-t-on Catherine de Médicis reprochant à son fils les actes de sa régence à elle ?

L'Avis suppose un roi majeur qui n'a pas régné aussi sagement qu'il aurait dû et il lui indique un bon chemin assurément parce qu'il en a pris un mauvais. Il ne convient pas à un enfant, au nom de qui sa mère avait gouverné et voulait continuer à gouverner. Mais tout parait clair si on admet, comme on le doit, que Catherine écrivait cette sorte de leçon pour Henri III, après les fautes de ses deux premières années de règne.

En tête de l'Avis elle rappelle les avertissements qu'elle avait donnés à son fils avant d'aller à Gaillon ; il lui restait maintenant à dire ce qu'elle estimait nécessaire pour le faire obéir dans son royaume. Ce n'est pas lors de ce voyage qu'elle a fait vers la fin février 1576 avec le Roi (L'Estoile, t. II p. 122), et oh elle a pu lui parler librement, qu'elle a dicté ce programme de conduite. Elle y fait d'ailleurs allusion à la paix que Dieu a donnée au Roi, c'est-à-dire à la paix d'Étigny (7 mai 1576), dont elle était si heureuse et lui si humilié. Le Mémoire, postérieur à ce traité, soit de quelques semaines ou même de quelques jours, a dû vraisemblablement être rédigé pendant qu'Henri III se tenait loin de sa mère et boudait.

[79] Lettres, t. V. p. 281.

[80] Lettre du 2 novembre 1576. Lettres, t. V, p, 223. — Mémoires de Villeroy, éd. Buchon, p. 109.

[81] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 88.

[82] Lettres, t. V, p. 232-236.

[83] Lettres, t. V, p. 232.

[84] Lettres, t. V, p. 232.

[85] Voir plus haut, ch. V.

[86] L'histoire des rapports de la France avec les Irlandais pendant le règne d'Elizabeth reste à écrire. Il n'en est fait mention qu'en passant dans les volumes de Froude, History of England from the fall of Wolsey to the defeat ot the spanish Armada, t. VI-XIII, 1887.

[87] Mémoires de Walsingham, fév. 1570, passim, p. 34, 36, 49. — Correspondance de La Mothe-Fénelon, t. III, p. 444, 23 janvier 1571. — Cf. ibid., p. 450, et t. IV, p. 483.

[88] Elisabeth fit remercier Henri III de n'avoir pas encouragé Fitz-Maurice, Correspondance de La Mothe-Fénelon, t. VI, p. 488 (13 juillet 1575).

[89] Sur cet épisode, voir la dépêche de Dale à son gouvernement, Calendar of Stats papers, foreign series, of the reign of Elisabeth, 1575-1577 (t. XI), p. toi, et celle de Catherine à La Mothe-Fénelon, 29 juillet 1575, Lettres, t. V, p. 127-129.

[90] Paulet à Walsingham (juin 1577) : On laisse entendre à la Cour (de France) que La Roche est un impudent drôle (an insolent fellow), qu'il dépend absolument des Guise, qu'un royaume est trop peu pour lui. Calendar of Stats papers, 1575-1577 (t. XI), p. 594.

[91] Correspondance de La Mothe-Fénelon, t. VI, p. 468, 13 juillet 1575. Elisabeth, qui ne sait pas très bien le français, transporte dans notre langue des mots de la sienne et qui en viennent d'ailleurs, mais qui ont, en cours de route, changé de sens. Gallant, en anglais, signifie vaillant, hardi.

[92] Calendar of Stats papers, foreign series, of the reign of Elisabeth, 1575-1577 (t. XI), n° 1467, p. 594. Voir l'échange de récriminations entre Paulet ambassadeur d'Angleterre et Henri III et la Reine-mère dans Lettres, t. V, p. 258, note (20 juin 1577) et plus amplement t. V, p. 268, dépêche de Catherine à Mauvissière du 1er août, à propos des agissements de Fitz-Maurice et de La Roche. La Roche, dit-elle à Paulet, n'était allé en nul lieu et lui avait promis de n'entreprendre aucune chose contre sadicte maistresse (Élisabeth) et s'il faisoit au (le) contraire, il ne faudroit (manquerait) d'estre bien chastié.

[93] Paulet à la reine Elisabeth, 7 juillet 1578, Calendar of Stats papers, 1578-1579 (t. XIII), n° 71, p. 53.

[94] Au duc de Savoie, 9 janvier 1577, Lettres, t. V, p. 236.

[95] A Damville, 27 janvier 1577, Lettres, t. V, p. 240. — Cf. la lettre du 16 décembre, p. 228. — Sur la cession de Saluces, voir t. V, p. 240, note.

[96] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 135-137.

[97] Mémoires de Marguerite, éd. Guessard, p. 143-146.

[98] Sous le nom d'imposition foraine, domaine forain, rêve et haut passage, étaient levées ensemble trois espèces de droits sur les produits du sol et les marchandises, soit à la sortie du royaume, soit au passage de la ligne des douanes intérieures. En février 1577, Henri III greva les blés, les toiles, les vins et le pastel d'un nouveau droit, la traite foraine domaniale, qui était perçu en outre des précédents, mais seulement à la frontière du royaume.

[99] Mariéjol, Histoire de France de Lavisse, t. VI, 1, p. 223-233.

[100] Remontrances tres humbles de la Ville de Paris et des bourgeois et cytoiens d'icelle, Registres du Bureau de l'Hôtel de Ville de Paris, t. VII, p. 313-317.

[101] Ch. Robillard de Beaurepaire, Cahiers des Etats de Normandie sous le règne de Henri III. Documents relatifs à ces assemblées, t. I (1574-1582), p. 324 et 326.

[102] Weill, Les Théories sur le pouvoir royal en Francs pendant les guerres de religion, 1891, p. 151).

[103] Négociations diplomatiques de la France avec la Toscane, t. IV, 1872, p. 269.

[104] [Lalourcé et Duval], Recueil de pièces authentiques, t. II, p. 45.

[105] C'est l'aveu qu'elle faisait en gémissant à un capucin qui s'étonnait qu'elle eût permis le meurtre des Guise. Cette pièce intéressante a été publiée par Charles Valois, Histoire de la Ligue. Œuvre inédite d'un contemporain, Soc. Hist. France, I, 1914, app., p. 300.