La mort d'Henri II avait surpris Catherine. Avant qu'elle eût pris une décision, le gouvernement était constitué. François II, alors âgé de quinze ans et majeur d'après les lois du royaume, délégua la direction des affaires militaires et des finances, c'est-à-dire le pouvoir, au duc de Guise et au cardinal de Lorraine, oncles de Marie Stuart, et que recommandaient, l'un ses succès sur les Impériaux et les Anglais, l'autre la négociation de la paix du Cateau-Cambrésis. La Reine-mère agréa ce choix, qu'elle n'aurait pas eu d'ailleurs les moyens d'empêcher. Elle n'avait ni parti ni crédit. L'opinion était faite à l'idée de son effacement. Sa timide protestation contre l'acte de régence de 1552 et son initiative dans les affaires italiennes, premiers indices de son ambition, n'étaient connues que de quelques hommes d'État français ou étrangers. A l'Hôtel de Ville, en 1557, elle avait fait impression par sa douceur et sa modestie. Personne ne la croyait capable ou même ne la soupçonnait de vouloir jouer un rôle politique. Mais on se trompait. Pour ne pas perdre de vue son fils, elle quitta aussitôt le palais des Tournelles, où elle laissa le corps de son mari, et contrairement à la coutume des reines-veuves en France de rester quarante jours dans le même logis que le mort, elle alla s'installer auprès de François II, au Louvre. C'était signifier qu'elle ne se laisserait pas tenir à l'écart, comme pendant le dernier règne. Entre tous les candidats au pouvoir, ce sont les Guise qu'elle aurait élus à défaut d'elle-même. Ils étaient riches et puissants, apparentés à la maison royale[1], et cependant, malgré leurs charges, leurs alliances et leur gloire, ils n'avaient pas de profondes attaches dans la noblesse et l'aristocratie de vieille race française. Leurs ennemis — et ces gens heureux en avaient beaucoup — affectaient de les considérer comme des étrangers, la Lorraine étant alors un membre du Saint-Empire romain germanique. Catherine pouvait croire que les deux ministres dirigeants, pour se fortifier contre l'opposition de l'influence qu'elle avait sur le Roi son fils, seraient obligés de lui faire sa part, la meilleure part dans le gouvernement. Elle était d'accord avec eux pour éloigner au plus vite le tout-puissant favori du feu roi, le Connétable de Montmorency, qu'elle hayssoit à mort, dit un contemporain en général bien informé[2], assurément par rancune jalouse et par ressentiment de ses rebuffades. François II, à qui il alla offrir ses services, lui déclara que, pour soulager sa vieillesse, il le dispensait des peines et travaux de sa suite. Quand il quitta la Cour et fit à la Reine-mère sa visite d'adieu, elle lui aurait reproché aigrement d'avoir osé dire que, de tous les enfants d'Henri II, c'était la bâtarde Diane de France, mariée à François de Montmorency, qui lui ressemblait le plus : un propos qu'elle affectait de trouver injurieux pour son honneur de femme[3]. Même après le congé sans terme que le jeune Roi lui avait imposé, Montmorency était redoutable. Il occupait deux des grands offices de la Couronne, la Connétablie et la Grande Maîtrise, le commandement en chef de l'armée et le gouvernement de la maison du Roi. Ses pouvoirs militaires étaient suspendus en temps de paix ; son éloignement l'empêchait d'exercer sa juridiction sur les officiers de bouche et le droit de garder les clefs des résidences royales. Mais on ne pouvait l'en priver pour toujours sans lui faire son procès, et il n'eût pas été prudent de lui donner des juges. Montmorency était le parent ou l'allié des plus anciennes familles de l'aristocratie française, les Levis, les Turenne, les La Rochefoucauld, les La Trémoille, les Rohan, etc. Son fils aîné, François de Montmorency, avait le gouvernement de Paris et de l'Ile-de-France. Un des fils de sa sœur, Coligny, était amiral de France ; un autre, d'Andelot, colonel général de l'infanterie française. Il possédait, dit-on, plus de six cents fiefs et passait pour le plus riche propriétaire du royaume. Son gouvernement de Languedoc, à l'extrémité du royaume, lui constituait comme une sorte de vice-royauté sur une grande part du Midi, des monts d'Auvergne à la Méditerranée, et de la Provence à la Guyenne. Ce n'était pas un adversaire qu'il eût fallu pousser à bout. Catherine, après son algarade, si algarade il y eut, mit sa diplomatie à l'affaiblir par persuasion. Elle le décida un peu malgré lui à céder la grande merise au duc de Guise contre une charge de maréchal qui fut donnée à François de Montmorency. Elle avait autant de raisons que les oncles du Roi d'appréhender d'autres compétiteurs possibles au gouvernement de l'Etat : les princes du sang[4]. Ils descendaient tous du sixième fils de saint Louis et formaient la maison de Bourbon, alors divisée en quatre branches : Vendôme, Condé, La Roche-sur-Yon, Montpensier. Depuis la trahison du connétable de Bourbon, François Ier et Henri II, à son exemple, les tenaient dans une sorte de disgrâce et affectaient de leur préférer des cadets de familles princières étrangères : les La Mark, les Clèves, les Guise de Lorraine, les Savoie-Nemours et les Gonzague de Mantoue. Ils donnaient le pas aux ducs et pairs de toute origine sur les princes du sang qui ne l'étaient pas, et même quand ils l'étaient, ils réglaient la préséance sur l'ancienneté de la création des pairies, comme si le choix du souverain devait l'emporter sur la naissance. Au sacre d'Henri II, les ducs de Nevers (François de Clèves) et de Guise (Claude de Lorraine) marchèrent comme pairs de plus vieille date avant Louis de Bourbon, duc de Montpensier. La déclaration du Roi du 25 juillet 1547, portant que ce précédent ne ferait préjudice au duc de Montpensier, soit pour semblable acte ou autre, était une satisfaction platonique. Au sacre de François II, Nevers passa encore avant Montpensier[5]. Mais la nation continuait à révérer ces descendants de saint Louis, souverains en expectative, et qui seraient les rois de demain, si les fils d'Henri II mouraient, comme Charles VIII et Louis XII, sans héritier mâle. Le Parlement, gardien d'une tradition de respect, résistait, comme il pouvait, aux innovations du pouvoir absolu. Il donnait la préférence, n'osant faire plus, aux princes du sang, quelle que fût la date de leur pairie, sur les pairs qui n'étaient pas princes du sang. En juin 1541, par dérogation à l'ordre d'ancienneté qui désignait le duc de Nevers ; il permit au duc de Montpensier, de lui bailler les roses, que quatre fois par an les pairs offraient en signe d'hommage à la Cour suprême. Le greffier en chef du parlement de Paris, Jean du Tillet, ferme défenseur du droit privilégié des reines-mères à la régence, est pourtant d'avis que les princes du sang, conseillers-nés de la Couronne, font de droit partie du Conseil pour le gouvernement et administration du royaume pendant les minorités. Il professe une sorte de vénération religieuse pour ces grands personnages issus de la plus noble et ancienne maison du monde[6]. De tout temps, les sires des Fleurs de Lis avaient, en cas de minorité, prétendu et quelquefois réussi à être les tuteurs des rois. Leur droit n'était ni légalement ni historiquement établi, et même il se heurtait à celui que les reines-mères tiraient de la nature ; mais la vénération des peuples et l'attachement de la noblesse pouvaient leur tenir lieu de titres. François II, faible d'intelligence et de corps, n'était-il pas, malgré ses quinze ans, incapable de gouverner ? Le duc de Montpensier et le prince de la Roche-sur-Yon, gens paisibles et qui n'étaient d'ailleurs que des Bourbons de branches cadettes, n'élevaient aucune prétention. Mais le chef de leur maison, Antoine, que son mariage avec Jeanne d'Albret avait fait roi de Navarre, montrait quelque velléité de disputer le pouvoir aux oncles de Marie Stuart, et il y était poussé par un de ses frères[7], le prince de Condé, jeune, pauvre et remuant. S'il parvenait à se faire attribuer la régence comme étant plus apte à l'exercer à titre de premier prince du sang, sous un roi qui n'était majeur que d'âge, son droit se trouverait par là même établi contre celui des reines-mères. C'en était fait des ambitions de Catherine dans le présent et l'avenir. Les Guise, au contraire, mettaient leurs soins à la contenter. Ils obligèrent Diane de Poitiers, bien que leur frère, le duc d'Aumale, eût épousé une de ses filles, à restituer les joyaux de la Couronne qu'elle avait en sa possession et à céder à Catherine Chenonceau en échange de Chaumont, qui était d'un bien moindre prix. Ils ôtèrent les sceaux au cardinal Bertrandi, créature de la favorite, et rappelèrent le chancelier Olivier, un honnête homme qu'elle avait fait disgracier. Mais ils n'étaient pas disposés à partager le pouvoir avec elle. Le Cardinal était orgueilleux et jaloux de son autorité ; le Duc était un homme de guerre habitué à commander. Au Conseil, il opinait en termes brefs et qui n'admettaient point de réplique : Et faut qu'il soit ainsi, et ainsi. La Reine-mère s'aperçut bien vite qu'elle n'obtiendrait d'eux que des égards. Et cependant elle estimait qu'elle avait son mot à dire. Mère du Roi et ayant quatre autres enfants tout petits à établir[8], elle pensait avoir plus d'intérêt que les ministres à gouverner habilement. La politique religieuse était le grave problème du moment. Comment traiter les dissidents dont le nombre ne cessait d'augmenter malgré les persécutions ? François Ier avait, au début de son règne, protégé autant qu'il l'avait pu, contre la Sorbonne et le Parlement, les humanistes mal sentants de la foi et l'Église de Meaux, comme on appelle le groupe de réformateurs paisibles dont Marguerite de Navarre était la protectrice, Lefèvre d'Etaples le théologien, Briçonnet l'évêque, et qui voulait, sans violences, supprimer l'abus des œuvres et l'idolâtrie des images et rétablir le culte en esprit et en vérité[9]. Il avait même longtemps ménagé, par politique ou par humanité, les ennemis déclarés de l'unité et de la foi catholique, les luthériens et les sacramentaires, dont les uns niaient le changement de substances dans l'Eucharistie, et les autres, plus hardis encore, la présence réelle. Même après l'affichage de placards contre la messe à la porte de sa chambre à Amboise, il n'avait sévi que par à-coups, passant de sursauts de rigueur mais quels sursauts ! — à des relâches de tolérance. Mais Henri II, poussé par les Lorrains et Diane de Poitiers, avait organisé' la persécution, érigé la terreur en système, rêvé d'extermination. D'ailleurs les novateurs à qui il eut affaire, ce n'étaient plus les quiétistes de Meaux, ennemis du désordre et respectueux des pouvoirs établis, ni des luthériens et des sacramentaires épars et divisés par leur querelle sur l'Eucharistie, ni quelques anabaptistes, révolutionnaires sociaux, odieux à tout le monde, mais des milliers de fidèles, groupés par la même foi en une communion dent le nom, Église réformée, montrait qu'elle pensait être l'image de la primitive Église retrouvée et ressuscitée. Elle avait pour fondateur un Picard, Jean Calvin, humaniste et théologien, qui avait quitté la France pour échapper à la persécution. Après beaucoup de traverses, il s'était fixé à Genève, une petite république de langue française (alliée aux cantons suisses), qu'affaiblissaient ses discordes intestines et que guettait l'ambition des ducs de Savoie. Appelé à réformer l'État et l'Église, il imposa la pratique du pur Évangile pour règle de la vie politique et religieuse. Président du conseil des pasteurs, sorte de théologien consultant de la Cité, il en fut, de 1541 à sa mort, l'inspirateur et le maitre. Ce n'est pas par l'originalité de la doctrine que se distingue Calvin, bien qu'il donne cette impression par la rigueur de sa logique. Venu après Zwingle, Bucer, Œcolampade, et tant d'autres réformateurs qui avaient dépassé Luther et tiré les conséquences de ses principes, il ne faisait que les imiter quand il rejetait, ce que Luther n'osa point, les pratiques et les croyances que les Écritures n'autorisaient pas expressément. Par même respect scrupuleux du texte sacré, il continuait à voir dans la Cène un repas spirituel où Jésus-Christ nourrit nos âmes de sa substance — un sacrement[10] — alors que Zwingle la considérait déjà comme une simple commémoration de la dernière Pâque, célébrée par le Fils de Dieu avec ses disciples. Mais s'il n'a pas innové, il a ramassé ou retrouvé et lié en système les raisons et les preuves pour la réformation et contre le catholicisme qui sont éparses dans les écrits et les prédications de ses devanciers. Son Institution de la religion chrestienne est la première et la plus forte synthèse d'un Évangélisme plus radical que celui de Luther ; et il est sorti de là une nouvelle forme d'Église. Le modèle qu'à Genève il en a donné est marqué de son empreinte austère. La hiérarchie que Luther maintenait a disparu : point d'évêques ; des pasteurs tous égaux entre eux. Le temple aux murs nus, sans autel, sans images, est fait pour un culte dont les cérémonies ordinaires sont le chant des psaumes et le prêche. Aucune pompe, aucun spectacle qui puisse solliciter les yeux et distraire l'âme de son véritable objet, l'adoration intérieure. La musique seule est admise pour donner plus de force et d'ardeur aux élans d'amour et aux supplications des fidèles. Le point de doctrine sur lequel Calvin revient sans cesse, c'est le péché originel, l'impuissance de l'homme déchu à faire son salut. Même le sacrifice volontaire du Christ, ce titre de l'humanité tout entière à la miséricorde divine, ne suffit pas à effacer la souillure de la première faute. Les œuvres ne sont rien en regard de la grandeur et de la bonté de Dieu ; elles n'ont de mérite que par sa grâce, et celle-ci ne peut être qu'arbitraire, élisant de toute éternité les uns et réprouvant les autres. Mais ce cruel dogme de la prédestination — où Calvin se complaît, — et qui semblerait devoir décourager l'effort échauffa le zèle et trempa les énergies. Les fidèles firent par amour de Dieu plus qu'ils n'auraient fait par amour de leur salut. Le martyre même, accepté, non comme un titre de la créature à la faveur du Créateur, mais comme le prix de sa reconnaissance, fut pour des âmes passionnées la plus puissante des séductions et le mobile le plus ardent de prosélytisme[11]. La doctrine de Calvin se répandit en Allemagne, en Angleterre et dans les Pays-Bas. Elle conquit l'Écosse. En France, elle absorba les dissidents de toute origine et entama les masses catholiques. L'Église de Genève fut la mère des Églises réformées, et son enseignement reçu comme l'interprétation la plus pure de la parole divine. Capitale religieuse du protestantisme français, son foyer de rayonnement et de propagande, le séminaire de ses ministres et le point de départ de ses apôtres, la petite république du lac Léman eut, grâce à la forte discipline de Calvin, une très grande place dans le monde. L'effort d'Henri II s'était brisé contre ce bloc compact de fidèles unis par la communauté de croyance et la passion de la vérité. Au cours du règne, malgré tous les supplices et peut-être à cause d'eux, le nombre des réformés alla sans cesse en augmentant. Soixante-douze églises, grandes ou petites, se constituèrent dans les diverses parties du royaume, et les ministres et les anciens de onze d'entre elles, réunis à Paris en un synode, le premier synode national (mai 1559), avaient arrêté une confession de foi[12]. La Réforme avait des adhérents dans toutes les classes. Elle tentait les hommes que les abus et les superstitions de l'Église établie dégoûtaient, ceux que la logique convainc, ceux que les épreuves attirent et qui prennent l'acceptation joyeuse du martyre pour la preuve de la vérité. Même des grands seigneurs avaient été ou émus de pitié ou gagnés par l'attrait du pur Évangile, ou bien encore séduits par les espérances d'avenir d'une Église dont ils constataient les progrès. Un neveu du Connétable, d'Andelot, avait cessé d'aller à la messe ; et, comme Henri II lui en demandait la raison, il avait répondu que c'était une abomination sacrilège de vouloir renouveler tous les jours pour les péchés des morts et des vivants l'immolation du Christ sur la croix[13]. Le Roi, furieux, l'avait fait emprisonner au château de Melun et ne l'avait remis en liberté que par égard pour son oncle et après une sorte de rétractation[14]. Coligny, prisonnier aux Pays-Bas après la capitulation de Saint-Quentin, avait dans sa captivité (1557-1559) lu la Sainte Écriture et un autre livre plein de consolation et pris goût à la vérité. Le premier prince du sang, Antoine de Bourbon, roi de Navarre, s'était lui-même enhardi jusqu'à se mêler aux réformés qui, profitant d'une absence du Roi, se promenaient dans le Pré-aux-Clercs en chantant des psaumes (mai 1558)[15]. Henri II renvoya bien vite Antoine de Bourbon en son royaume pyrénéen. Irrité, dit-on, de ce pullulement d'hérétiques, il se serait hâté de signer la paix du Cateau-Cambrésis pour se consacrer tout entier à l'œuvre d'épuration. Mais il ne trouvait plus chez les magistrats la ferveur d'intolérance qu'il eût voulu. La chambre criminelle du Parlement ou Tournelle acquitta deux réformés[16] ; ce fut un scandale. Les zélés demandèrent que le Parlement délibérât en corps sur l'application des ordonnances contre les hérétiques et interdît à ses membres une jurisprudence de douceur. Dans les séances du mercredi, ou mercuriales, où se débattaient les questions de discipline, quelques conseillers courageux, Paul de Foix, Antoine Fumée, Eustache de La Porte, remontrant que les novateurs se défendaient d'être des hérétiques, demandèrent la suspension de la persécution et jugements capitaux jusqu'à ce qu'un concile général, librement consulté, se fût prononcé sur leur doctrine. Le Roi averti alla tenir son lit de justice au Parlement (10 juin) et commanda de continuer la discussion en sa présence. Du Faur dit qu'il falloit bien entendre qui estoient ceux qui troubloient l'Église, de peur qu'il n'advint ce qu'Élie dit à Achab : C'est toi qui troubles Israël[17]. Le conseiller-clerc, Anne Du Bourg, rendit graces à Dieu de ce qu'il avoit là amené le Roy pour estre present à la decision d'une telle cause et ayant exhorté le Roy d'y entendre, pour ce que c'estoit la cause de nostre Seigneur Jésus Christ, qui doit estre avant toutes choses maintenue des Roys, il parla en toute hardiesse comme Dieu luy avoit donné. Ce n'est pas, disoit-il, chose de petite importance que de condamner ceux qui, au milieu des flammes, invoquent le nom de Jesus Christ[18]. Le Roi, qui se crut visé, fit conduire à la Bastille ces officiers infidèles et nomma des commissaires pour les juger. Deux mois après, il était mort, et François II lui succédait. Les réformés comptaient que le changement de règne amènerait un changement de politique. Mais les Guise n'avaient nulle volonté d'arrêter la persécution. Ils étaient zélés pour la cause catholique et intéressés à la défendre. Le cardinal de Lorraine, archevêque de Reims, abbé de Saint-Denis, de Cluny, de Marmoutier, de Tours, de Fécamp, etc., et qui tirait de tous ses bénéfices 300 000 livres de revenu, devait détester une secte qui voulait abolir la hiérarchie ecclésiastique, organiser démocratiquement l'Église et l'appauvrir pour la régénérer. Les réformés avaient d'ailleurs des relations inquiétantes avec le premier prince du sang, Antoine de Bourbon, le héros du Pré-aux-Clercs, de qui ils attendaient le triomphe de l'Évangile. Dès le premier jour ils opposèrent les droits qu'il tenait de sa naissance à ceux que conférait aux oncles de Marie Stuart la désignation royale. Les jurisconsultes de l'Église réformée — et il en était d'éminents, comme François Hotman, — recueillirent, dans la plus ancienne histoire de France, les précédents qui assignaient aux princes du sang un rang privilégié dans l'État, bien au-dessus des sujets et tout à côté des rois. Sous prétexte que François II était incapable de gouverner, ils soutenaient qu'il y avait lieu de constituer une régence dont le titulaire ne pouvait être qu'Antoine de Bourbon, premier prince du sang. Les Guise ne furent que plus ardents à appliquer les édits. Ils pressèrent le jugement des quatre conseillers arrêtés le jour de la fameuse mercuriale, et en particulier d'Anne Du Bourg, conseiller-clerc qui passait pour avoir bravé Henri II en face[19]. C'est alors qu'en leur désespoir, les réformés, sur le conseil de Condé, de sa belle-mère, Mme de Roye, et de l'Amiral, écrivirent à la Reine-mère pour la prier de s'opposer à la fureur des Guise. Le bruit courait qu'elle n'était pas ennemie de la religion. Elle aimait tendrement Marguerite de France, la nouvelle duchesse de Savoie, une catholique si tiède que Calvin l'exhortait un peu plus tard à faire défection. Elle avait vécu dans l'intimité de Marguerite d'Angoulême, le poète de l'amour divin, et y avait connu un certain Villemadon. Ce vieux gentilhomme lui rappela (lettre du 26 août), qu'au temps où elle désespérait d'avoir des enfants, il lui avait conseillé de recourir à Dieu et que l'ayant fait, elle avait été exaucée. Elle gardait alors dans son coffre une Bible, — la traduction peut-être de Lefèvre d'Etaples ou d'Olivetan[20] — où elle lisait quelquefois ou laissait lire ses serviteurs ; elle avait, lors du grand engouement de la Cour pour la musique sacrée, chanté, et certainement de tout cœur, le psaume 141, qui exprimait mieux que les autres la souffrance d'une épouse stérile et délaissée. Cette crise de religiosité avait été courte, mais on voulait croire à un sentiment profond, refoulé par les attraits du monde, et qui, à la première occasion favorable, reparaîtrait. Un indice, pensait-on, c'est que la Reine, si timide et si déférente aux volontés de son mari, eût pendant les dernières années du règne montré une fois quelque regret de la persécution. Un mois environ après la défaite de Saint-Quentin (5 septembre 1557), on avait surpris dans une maison de la rue Saint-Jacques, en face du collège du Plessis, près de cent cinquante réformés, hommes et femmes, dont plusieurs nobles dames, réunis là pour prier ensemble et célébrer la Cène. Écoliers, prêtres et gens du quartier, qui rendaient l'hérésie responsable des malheurs du royaume, leur firent escorte jusqu'aux prisons du Châtelet, où le guet les conduisait, en les invectivant et les frappant, au désespoir de ne pouvoir faire pis[21]. Les juges en condamnèrent quelques-uns au feu, et parmi eux un vieux maître d'école, un avocat au parlement de Paris et une jeune femme de vingt-trois ans, Damoiselle Philippe de Luns, veuve du sieur de Graveron. Les deux hommes furent brûlés vifs ; leur compagne, flamboyée aux pieds et au visage avant d'être étranglée et jetée au feu[22]. Tous trois moururent avec une constance admirable. Le récit de ce supplice, et peut-être du courage de la jeune femme, émut Catherine, qui le laissa voir. Elle fit plus, à ce qu'il semble. Une de ses dames, Françoise de La Breton-rare ou de Warty, veuve de Charles d'Ailly, seigneur de Picquigny, et mère de Marguerite d'Ailly, qui épousa en 1581 François de Châtillon, comte de Coligny[23], assistait à l'assemblée de la rue Saint- Jacques, et elle avait été, elle aussi, emprisonnée. Comme le président La Place, un contemporain, dit qu'elle fut renvoyée à la Reine, il n'est pas exagéré de croire que Catherine demanda sa mise en liberté[24]. Les réformés interprétaient ce mouvement de compassion comme une marque de sympathie pour leurs croyances. Ainsi peut-on s'expliquer que dans leur recours à Catherine, ils ne lui aient pas écrit comme à une inconnue. s Vivant le feu roy Henri et de longtemps, disaient-ils, ils avoyent beaucoup espéré de sa douceur et bénignité, en sorte qu'oultre les prières qui se faisoyent ordinairement pour la prospérité du roy, ils prioient Dieu particulièrement qu'il luy pleust la fortifier tellement en son esprit qu'elle peust servir d'une seconde Esther. Ils la suppliaient de ne permetre ce nouveau règne estre souillé de sang innocent, ajoutant avec la rude gaucherie des gens de foi entière : lequel [sang] avoit tant crié devant Dieu qu'on s'estoit bien peu appercevoir son ire avoir esté embrasée. Catherine avait le droit de s'irriter que, deux ou trois semaines après la perte d'un mari très cher, sa mort lui fut présentée comme un juste châtiment du ciel, mais il n'était pas de son intérêt de repousser les avances. La prévision, par où la supplique finissait, de nouveaux malheurs, si la persécution continuait, lui donnait envie d'en apprendre davantage. Elle répondit, écrit le ministre Morel à Calvin (1er août), avec assez de bonté (satis humaniter)[25]. Les réformés insistèrent. Ils tremblaient pour Du Bourg et les autres conseillers dont le cardinal de Lorraine hâtait la condamnation. Quelques jours après, ils lui écrivirent encore qu'elle ne permit pas, en dissimulant toujours, de verser à flots le sang des fidèles. Elle fit une réponse assez bienveillante (satis comiter), promettant de faire améliorer leur sort pourvu qu'on ne s'assemblast et que chacun vescut secrètement et sans scandale[26]. Mais elle entendait rester juge du mode et de l'heure de son intervention. Les suppliants apprirent avec colère qu'elle avait d'autres affaires que de sauver les pieux.... Comme, en sa présence, le cardinal de Lorraine donnait des ordres pour l'extermination des prisonniers, non seulement elle n'essaya pas d'apaiser cette bête féroce, mais elle ne donna pas le moindre signe de tristesse. Alors le Consistoire de l'Église de Paris, ou, comme s'exprime Morel, notre Sénat[27], lui écrivit en des termes que probablement les politiques de la secte conseillèrent sans succès d'adoucir : Que sur son asseurance de faire cesser la persécution, ils s'estoyent de leur part contenus selon son désir et avoyent faict leurs assemblées si petites que l'on ne s'en estoit comme point apperçeu, de peur qu'à ceste occasion elle ne fust importunée par leurs ennemis de leur courir sus de nouveau ; mais qu'ils ne s'appercevoyent aucunement de l'effect de ceste promesse, ains (mais) sentoyent leur condition estre plus misérable que par le passé, et sembloit, veu les grandes poursuites contre Du Bourg, qu'on n'en demandast que la peau.... Quoy advenant, elle se pouvoit asseurer que Dieu ne laisseroyt une telle iniquité impunie, veu qu'elle cognoissoit l'innocence d'iceluy et que tout ainsi que Dieu avoit commencé à chastier le feu roy, elle pouvoit penser son bras estre encore levé pour parachever sa vengeance sur elle et ses enfans... Catherine fut, comme de raison, outrée de ce langage. Eh bien ! dit-elle, on me menace, cuidant me faire peur, mais ils n'en sont pas encore où ils pensent[28]. On lui parlait comme si elle trahissait une cause qui fût sienne ; mais, déclarait-elle à l'Amiral, à Condé, à Mme de Roye, qui cherchaient à l'apaiser, elle n'entendait rien à leur religion et ce qui l'avoit paravant esmeue à leur désirer bien estoit plustost une pitié et compassion naturelle qui accompaigne volontiers les femmes, que pour estre autrement instruite et informée si leur doctrine estoit vraie ou fausse[29]. Ainsi commençaient par un malentendu les rapports entre Catherine et les réformés. Elle, attentive aux mouvements de l'opinion et au parti qu'elle en pourrait tirer, et d'ailleurs naturellement encline à la douceur ; eux, convaincus que la timidité seule ou quelque calcul l'empêchait de se déclarer pour eux, et s'irritant de ce qu'ils appelaient sa dissimulation. Dans leur première lettre, ils la priaient ; dans la seconde, ils la pressaient ; et dans la troisième une quinzaine de jours après — ils la sommaient de sauver leurs frères prisonniers, la menaçant, si elle n'agissait pas, de nouvelles représailles célestes. C'était lui demander de se déclarer contre les ministres du Roy son fils Mais elle n'était pas disposée à se compromettre pour des clients si exigeants et dont elle ne savait pas encore ce qu'elle pouvait attendre. A ce moment les Guise frappèrent un grand coup. Instruits par des apostats du nom et des lieux de réunion des religionnaires, ils mobilisèrent commissaires et sergents et cernèrent le faubourg Saint-Germain, surnommé la petite Genève, et les rues avoisinantes. Un conseiller au Châtelet assaillit avec cinquante archers la maison du nommé Le Vicomte, dans la rue au Marais, où descendaient beaucoup de gens suspects, mais il fut chaudement reçu. Les hommes qui s'y trouvaient s'ouvrirent un chemin à la pointe de l'épée. La police n'arrêta qu'un vieillard, une femme, des enfants, en tout une douzaine de personnes. Mais elle saisit certains escripts en rime françoise faisant mention de la mort advenue au roy Henri par le juste jugement de Dieu, esquels aussi ladicte dame (Catherine) estoit taxée de trop déférer au Cardinal[30]. Il y eut d'autres perquisitions dans les divers quartiers de Paris (25-26 août). Les curés au prône sommèrent les fidèles, sous peine d'excommunication, de dénoncer tous les mal sentant, de la foi[31]. Pour exciter le fanatisme populaire, on faisait courir le bruit que les hérétiques s'assemblaient pour paillarder à chandelles éteintes. Le Cardinal, qui savait bien le contraire, mais qui cherchait à détourner la Reine-mère de ses velléités de modération, lui fit amener pour la convaincre deux apprentis bien stylés. Ils récitèrent la leçon apprise : qu'en la place Maubert, dans la maison d'un avocat, le jeudi avant Pâques, en une réunion nombreuse, on avait mangé le cochon, et puis après on s'était mêlé au hasard dans les ténèbres. Catherine était si ignorante de l'esprit d'austérité de la nouvelle Église qu'elle fut merveilleusement aigrie et étonnée. Elle déclara à quelques siennes demoiselles qui favorisaient ceux de la religion, que si elle savoit pour tout certain qu'elles en fussent elle les feroit mourir, quelque amitié ou faveur qu'elle leur portast. Mais celles-ci obtinrent qu'on interrogeât les apprentis, et l'imposture fut découverte[32]. En cette circonstance, Mme de Roye, une héroïne, écrivait le ministre Moral à Calvin, se porta garante de la vertu des réformés. Mais, objectait la Reine, j'entends beaucoup de gens dire qu'il n'y a rien de plus dissolu (flagitiosius) que cette sorte de gens. A quoi la dame de Roye répondit qu'il était facile de nous charger, puisque personne n'ose nous défendre et que si elle nous connaissait, nous et notre cause, elle en jugerait tout autrement. L'entretien continuant, Catherine exprima le désir de voir quelqu'un des ministres de la nouvelle secte, et plus particulièrement un d'entre eux, Antoine de Chandieu, dont on parlait beaucoup, et qui était gentilhomme Elle assura qu'il n'aurait rien à craindre et qu'elle disposerait tout pour que l'entrevue eût lieu dans le plus grand secret[33]. Mme de Roye expédia immédiatement un courrier aux fidèles de Paris, les exhortant à ne pas laisser échapper cette occasion d'entrer en relations avec la Reine-mère. C'était à tort, leur disait-elle, — et ce témoignage est important à retenir — qu'on avait cru auparavant que la Reine avait lu des livres de piété (pios libros) ou entendu des hommes doctes ou vraiment chrétiens ; et elle exprimait- espoir que si la Reine rencontrait Chandieu, elle changerait d'opinion et deviendrait favorable à leur cause[34]. Après beaucoup d'hésitation, le Consistoire donna son consentement. Ce n'était pas uniquement pour des raisons religieuses que Catherine désirait se rencontrer avec ce pasteur gentilhomme. Elle savait la sympathie des réformés pour les princes du sang et tenait à se renseigner sur ce point. Antoine de Bourbon arrivait du Béarn à petites journées pour assister au sacre. Peut-être avait-elle appris qu'il avait été, dans toutes les villes où il passait, visité par les ministres, et qu'à Vendôme, en sa présence, s'était tenue une assemblée mi-politique, mi-religieuse, de réformés et de ses partisans, qui l'avait exhorté à revendiquer son droit au gouvernement de l'État. Villemadon, l'ancien serviteur de la reine de Navarre, ne lui recommandait pas seulement comme un moyen de mériter la bénédiction divine le chant des beaux Psalmes Davidiques, ainsi qu'elle avait fait autrefois, et la quotidiane ouye ou lecture de la parole de Dieu, il la pressait aussi d'éloigner les Guise, monstres étranges, qui ne sont de la maison [royale], occupant par dol et violence la puissance du Roy et de Vous, et qui vont récultans (reculant) et afloiblissans et mettans comme sous le pied les Princes et le Sang de ceste couronne. — Les princes du sang, insistait-ils, vous soyent en honneur[35] (26 août). La lettre de Villemadon, dit Régnier de La Planche, émut la Reine-mère à penser à ses affaires conjecturant que les princes du sang n'estoyent ainsi mis en avant qu'ils ne fissent jouer ce jeu aux autres [36]. Les autres, c'étaient les ennemis des Guise et entre autres les réformés, dont il lui importait tant de connaître les intentions. Que gagnerait-elle ou que perdrait-elle au renversement des oncles de Marie Stuart ? Elle pensait qu'une conversation avec La Roche-Chandieu l'éclairerait sur ce point. Il fut convenu que vers le 18 septembre, date du sacre, La Roche-Chandieu attendrait bien caché, aux environs de Reims, qu'elle le fît secrètement appeler. Mais, après réflexion, elle n'osa pas ou ne voulut pas lui faire signe[37]. Écouter un représentant des doctrines nouvelles, c'était prendre parti contre les Guise qui les persécutaient. Et puis le changement d'attitude des réformés l'inquiétait. Sous Henri II, ils souffraient patiemment la prison et le martyre sans discuter le pouvoir qui les opprimait. Mais maintenant certains d'entre eux, et non des moindres, se faschoyent de la patience chrestienne et évangélique. Des alliés s'offraient à les aider à rendre coup pour coup : soldats et capitaines que la paix et l'embarras des finances avaient obligé les Guise à licencier[38], gentilshommes pauvres et batailleurs, amis d'Antoine de Bourbon et du Connétable, tous ceux enfin que sollicitait le ressentiment d'une injure ou l'amour des nouveautés. La Réforme allait servir de mot d'ordre à tous les opposants. Mais ces fidèles d'occasion, plus sensibles à la tyrannie des Lorrains qu'aux abus du pape, poussaient les vrais fidèles à la rébellion. L'histoire du parti protestant commençait. L'alliance des mécontents politiques et des novateurs
religieux se fit sur la question des droits des princes du sang. Les ennemis
des Guise prétendaient qu'en raison de la mauvaise santé du Roi et de la
faiblesse de son entendement, il y avait lieu, malgré sa majorité, de réunir
les États généraux du royaume et de confier le gouvernement aux princes de
son sang, à l'exclusion de tous autres, conformément à leur degré de parenté.
Un peu plus d'un mois seulement après la mort d'Henri II, le ministre de
l'Église de Paris, Morel, avait exposé à Calvin cette théorie nouvelle de
droit constitutionnel. Les gens d'action du parti allaient encore plus loin,
comme l'écrivit plus tard Calvin à Coligny[39]. En septembre ou
octobre 1559, car ses indications ne permettent pas de préciser davantage la
date de la consultation, quelqu'un,
raconte-t-il, ayant charge de quelque nombre de
gens, me demanda conseil s'il ne seroit pas licite de résister à la tyrannie
dont les edams de Dieu estoyent pour lors opprimez, et quel moyen il y
auroit. Pour ce que je voyoye (voyais) que desjà plusieurs s'estoyent abreuvez de ceste opinion,
apres luy avoir donné response absolue qu'il s'en faloit déporter, je
m'efforçay de luy montrer qu'il n'y avoit nul fondement selon Dieu, et mesme
que selon le monde il n'y avoit que legereté et presomption qui n'auroit
point bonne issue. Il n'y eut pas,
continue Calvin, faute de réplique, voire avec
quelque couleur. Car il n'estoit pas question de rien attenter contre le Roy
ny son authorité, mais de requerir un gouvernement selon les lois du pais
attendu le bas ange du Roy. Et puis, d'heure
en heure on attendoit une horrible boucherie pour exterminer tous les povres
fidèles. Mais Calvin répondit simplement que s'il s'espandoit
une seule goutte de sang, les rivières
en découlleroyent par toute l'Europe et qu'il valait mieux périr tous cent fois que d'estre cause que le nom de Chrestienté
et l'Évangile fust exposé à tel opprobre. Toutefois, il concéda que si les Princes du sang requerroyent d'estre maintenus
en leur droit pour le bien commun, et que les Cours de Parlement se
joignissent à leur querele, qu'il seroit licite à tous bons sujects de leur
prester main forte. L'homme alors demanda : Quand
on auroit induit l'un des princes du sang à cela, encore qu'il ne fust pas le
premier en degré, s'il ne seroit point permis. Mais, ajoute Calvin, il eut encore
response négative en cest endroit. Bref je
luy rabbati si ferme tout ce qu'il me proposoit que je pensoye bien que tout
deust estre mis sous le pied[40]. Il y avait des casuistes qui, comme le jurisconsulte François Hotman, estimaient que le consentement d'un seul prince du sang autorisait l'insurrection contre les Guise. Si le premier, Antoine de Bourbon, se dérobait, ou, comme on disait par euphémisme, en son absence, son frère le prince de Condé pouvait, selon la tradition et la loi écrite, réclamer la charge de suprême conseil du Roi[41]. C'était en effet à l'intention de ce Bourbon, énergique, pauvre et ambitieux, qu'avait été imaginée la théorie de l'unique prince du sang. L'opposition désespérait d'Antoine de Bourbon. Après l'assemblée de Vendôme, il n'avait paru à la Cour que pour s'y faire bafouer. A Saint-Germain, où il était allé trouver le Roi, les Guise ne lui assignèrent pas de logement et il en fut réduit à se contenter de l'hospitalité que le maréchal de Saint-André lui donna par pitié. Il n'avait pas été convoqué aux séances du Conseil. A Reims, lors du sacre, il souffrit qu'on arrêtât en sa présence un de ses gentilshommes, Anselme de Soubcelles, suspect d'avoir diffamé les ministres dirigeants. Prétendant honteux, il n'eut pas le courage de déclarer son droit et accepta avec empressement la mission que lui offrit Catherine de conduire en Espagne Élisabeth de Valois, la jeune femme de Philippe II[42]. Mais Condé agissait pour lui ou sans lui. Il faisait instruire mystérieusement le procès des Guise, et, comme bien l'on pense, l'information faite, il se trouva, dit Régnier de La Planche, par le témoignage de gens notables et qualifiés, iceux (les Guise) estre chargés de plusieurs crimes de lèze-majesté ensemble d'une infinité de pilleries, larrecins et concussions. Ces informations veues et rapportées au Conseil du Prince, attendu que le Roy, pour son jeune aage, ne pouvoit cognoistre le tort à luy faict et à toute la France, et encore moins y donner ordre, estant enveloppé de ses ennemis (les Guise), il ne fut question que d'adviser les moyens de se saisir de la personne de François, duc de Guise, et de Charles, cardinal de Lorraine, son frère, pour puis après leur faire procès par les Estats[43]. Cependant l'entreprise était si hasardeuse que Condé n'osa s'y risquer. Il en laissa la conduite à un certain La Renaudie, gentilhomme périgourdin, qui, ayant eu des démêlés avec la justice, en rendait les Guise responsables. La Renaudie enrôla en France et à l'étranger des soldats et des capitaines et réunit secrètement à Nantes (1er février 1560) les principaux conjurés. Il fut autorisé par cette assemblée, qui était censée tenir lieu d'États généraux, à se saisir des ministres et à les mettre dans l'impossibilité de nuire. Les fauteurs du complot voulaient, par tout cet appareil de procédure : enquête, procès, consultation d'États, apaiser les scrupules de chrétiens comme Calvin et donner à un coup de main le caractère d'une action légale. Ils résolurent d'envahir en forces le château d'Amboise, où était la Cour, et de demander à François II humblement, l'épée en main, le renvoi et la mise en jugement de ses ministres. L'exécution, fixée d'abord au Io mars 1560, fut définitivement ajournée au 16. Le secret du complot, si bien gardé qu'il fût, transpira. Le 12 février les Guise eurent un premier avertissement, vague d'ailleurs, donné par un prince protestant d'Allemagne ; puis vint, quelques jours après, la dénonciation d'Avenelles, un avocat de Paris, qui avait logé La Renaudie à son passage et avait reçu ses confidences[44]. Catherine s'émut de ce danger de guerre civile. Elle commençait à trouver que les ministres de son fils étaient trop violents. Ne s'étaient-ils pas avisés d'ailleurs de contrecarrer ses volontés ? Elle n'avait rien tenté, peut-être par affectation de piété conjugale, pour sauver Du Bourg, qui fut exécuté le 23 décembre 1559. Mais elle s'intéressait à Fumée, à cause de Jean de Parthenay-Larchevêque, sieur de Soubise, à qui elle portoit de longue main faveur. Or le cardinal de Lorraine éludait ses bonnes intentions et l'amusait de promesses. A la fin elle lui déclara que ces façons de faire luy desplaisoient et que s'ils en usoient plus, elle en auroit mescontentement. Le Cardinal, dépité, offrit de se retirer en sa maison. Mais son départ, suivi naturellement de celui de son frère, l'aurait laissée seule en face des réformés, sans qu'elle fût sûre des catholiques ; elle l'apaisa. Il mit alors la faute de la poursuite, raconte l'Histoire des Eglises réformées, sur le procureur général, Bourdin, sur certains conseillers et commissaires du Châtelet et sur l'inquisiteur de la Foi, Démocharès, et quelques Sorbonistes, qu'il disait estre les plus méchants garnemens du monde et dignes de mille gibets.... Sur quoy la dicte dame respondit qu'elle s'esbahissoit donques et trouvoit merveilleusement estrange qu'il se servoit d'eux puisqu'il les connoissoit tels[45]. Fumée fut absous à pur et à plein (février 1560). Les Guise, pensant avec raison que les bélîtres, dont on leur dénonçait l'entreprise, ne pouvaient être que les prête-noms de tout autres ennemis, matai nt plus que jamais le besoin de se concilier la Reine-mère. En leur inquiétude, ils la prièrent d'appeler à la Cour l'Amiral, d'Andelot et le cardinal de Châtillon, les neveux du Connétable. Elle y consentit bien volontiers, car elle avait s confiance dans les vertus de ces personnages et portoit amitié à l'Admiral[46]. Coligny, bien qu'il inclinât décidément à la Réforme, n'avait pas paru à l'assemblée de Vendôme[47]. Il estimait probablement que la nouvelle Église risquait de s'aliéner la Reine-mère, en montrant un zèle exclusif pour la cause des princes du sang. Peut-être aussi jugeait-il Antoine de Bourbon à sa valeur. Il arriva le 24 février à la Cour, et, prié par Catherine de dire son avis, il luy déclara le grand mescontentement de tous les subjects du roy... non seulement pour le faict de la religion, mais aussi pour les affaires politiques, et que l'on avoit mal à gré et du tout à contre-cœur que les affaires du royaume fussent maniées par gens qu'on tenoit comme étrangers, en eslongnant les princes et ceux qui avoient bien déservy de la chose publique[48], il voulait dire le Connétable. Alors elle fit un premier pas. Elle, jusqu'alors si prudente, alla trouver le Roi et lui persuada de consulter le Conseil sur la situation religieuse. Les Guise la laissaient faire. Le Conseil fut d'avis d'accorder et le gouvernement publia une amnistie pour tous les religionnaires qui vivraient désormais en bons catholiques, exception faite des prédicants et de tous ceux qui, sous prétexte de religion, avaient conspiré contre la Reine-mère, nommée, remarquons-le, la première, le Roi, la Reine, les frères du Roi, et les principaux ministres (mars). L'Édit, pour couvrir les Guise, imaginait que leurs ennemis avaient projeté de détruire avec eux la famille royale et même les Bourbons, et il excluait du pardon ces grands coupables, ainsi que les prêcheurs des doctrines nouvelles suspects de propager l'esprit de révolte[49]. Mais cette simple distinction entre les réformés paisibles et les fauteurs de désordre était de grande conséquence. La pratique de l'hérésie n'était donc pas aussi criminelle qu'un complot, puisque celle-là était pardonnable et que celui-ci restait punissable ? L'État prenait donc moins à cœur les affaires de Dieu que les siennes ? Aussi l'Édit fut-il trouvé fort estrange par plusieurs catholiques, dit le journal de Nicolas Brûlart, chanoine de Notre-Dame de Paris[50]. Pour bien marquer que Catherine en était l'inspiratrice, le conseiller et secrétaire des finances du roi, Jacques de Moroges, chargé de le porter au Parlement, déclara t qu'il a eu commandement exprès de la Reine-mère pour dire à la Cour de sa part qu'elle procède le plus promptement qu'elle pourra à la vérification des dites lettres ». Sans user de ses lenteurs ordinaires, le Parlement enregistra le ri mars. C'était l'entrée en scène de Catherine et la première manifestation publique d'une politique personnelle. Mais les concessions venaient trop tard ; les bandes de La Renaudie étaient aux portes d'Amboise. Les Guise, qui n'avaient pas cessé d'armer, dispersèrent, massacrèrent ou livrèrent au bourreau les soldats, gentilshommes, bourgeois et gens mécaniques qui marchaient à l'attaque du château. Catherine n'osa pas s'opposer aux exécutions par jugement, qui suivirent les tueries en pleine campagne. Elle estimait certainement criminelle cette façon d'adresser requête au Roi par soulèvement, surprise, assaut et bataille. Mais elle trouva que les Guise outrepassaient la rigueur de la justice. Elle aurait voulu pardonner à un prisonnier qui, dans l'un des interrogatoires où elle assista, fit à demy confesser au cardinal [de Lorraine] sa doctrine estre vraye, mesmes en la doctrine de la Cène. Mais on se hâta de le dépêcher, pendant qu'elle était occupée ailleurs, de quoy elle fut aulcunement faschée, se disoit-elle, car elle l'avoit jugé innocent. Pour sauver Castelnau, un brave capitaine, dont Coligny et d'Andelot représentaient les grands services faicts par ses prédécesseurs et par luy à la Couronne et maison de France, elle fit tout ce qu'elle peut (put), disoit-elle, jusques à aller chercher et caresser en leurs chambres ces nouveaux rois. Le mot doit être d'elle, car elle l'a employé plusieurs fois contre les Guise dans sa correspondance, mais ils se montrerent invincibles et de fureur irréconciliables. La duchesse de Guise elle-même allait pleurer chez la Reine-mère sur les cruautés et inhumanités qui s'exercent, car elles deux ensemble avoient fort privéement devisé de l'innocence de ceux de la religion[51]. Elle fit plus. Elle envoya Coligny en Normandie pour enquêter sur la cause des troubles, et elle montra aux Guise la lettre où l'Amiral les imputait à la violence de leur politique. Elle les força, conformément aux Édits, de relâcher les prisonniers arrêtés pour cause de religion. L'Édit de Romorantin (mai 1560), qu'elle a certainement inspiré, remettait le jugement du crime d'hérésie aux évêques, et la punition des assemblées et des conventicules aux juges présidiaux[52]. C'était une nouvelle tentative, aussi hardie qu'elle pouvait l'être au lendemain du complot d'Amboise, pour distinguer le spirituel du temporel, et la religion de la police du royaume. Elle cherchait en même temps à renouer avec les réformés,
qui, depuis le Tumulte, avaient laissé tomber
les relations. Elle dépêcha donc à Tours deux de ses serviteurs favorables à
leur cause : Chastelus, abbé de La Roche, son maître des requêtes, et Hermand
Taffin, son gentilhomme servant, chargés de faire
parler à elle La Roche-Chandieu, de qui elle voulait savoir la vraye source et origine des troubles et le moyen
de donner estat paisible à ceux de la religion, sans provoquer
toutefois les catholiques. Mais les fidèles de Tours répondirent que le ministre que la Roine demandoit n'estoit pas à Tours
ny mesmes au royaume. Et comme les messagers les pressaient d'envoyer
à sa place le ministre du lieu, Charles d'Albiac, dit Duplessis, ils refusèrent, l'Église de Tours ayant ses pasteurs trop chers pour les hasarder ainsi.
Ils ajoutèrent que la dicte dame avoit donné peu de
témoignage de son bon vouloir envers eux par les actions passées, aussi que
ce qu'elle désirait sçavoir se pourrait bien escrire par lettres. Elle
ne parut pas s'offenser de leur méfiance, promettant
qu'elle monstreroit par effect n'avoir dédaigné leur conseil. Et
cependant elle les priait de se contenir en la plus
grande modestie que faire se pourroit, afin que leurs adversaires n'eussent
occasion de leur courir sus. Par-dessus tout elle leur recommandait de tenir secret tout ce qu'ils voudraient lui envoyer, car
elle voulait s'en aider en telle sorte que l'on pensant que les ouvertures
qu'elle feroit vinssent seulement de son advis et industrie, et non d'autres
mains, aultrement elle gasteroit tout, leur pensant aider[53]. Ils dressèrent alors pour elle une belle remontrance sous le nom emprunté de Théophile, que Le Camus, fils de son ancien pelletier, lui fit remettre le 24 mai, jour de l'Ascension[54]. C'était, affirmait Théophile, une vérité établie que les forces... apparues près Amboyse n'estoyent contre la majesté du Roy ny contre elle ou aucun prince du sang, mais seulement pour se munir contre ceux qui les voudroyent empescher de se présenter à Leurs Majestés pour leur remontrer les choses qui concernoyent l'estat du Roy et la conservation du royaume. Il allait de soi qu'il n'y a droict ni divin ni humain qui permette aux subjects d'aller en armes faire doléance à leurs princes, ains seulement avec humbles prières. Aussi combien de fois — la Reine-mère pouvait s'en souvenir les réformés, ayant les moyens de se défendre, avaient-ils mieux aimé mettre les arme bas et encourir la note de cueur lasche que de faire acte approchant de rébellion et de désobéissance contre leur prince et naturel seigneur. Mais ces preuves de leur fidélité ayant uniquement servi d'occasion aux meschans d'estre tant plus audacieux jusques à faire acte de tyrans, usurpateurs du roy et du royaume, contre toutes les loix et statuts inviolablement observés en France, il a été finalement licite de repoulser ceste violence par aultre violence, veu que leurs ennemys empruntaient les forces du roy pour les destruire. Et ce qui les esmouvoit davantage, c'est que les édits faits durant les dangers n'étaient pas appliqués, et que l'on avait lieu de croire qu'ils ne le seraient pas, tant que les Guise seraient près de Sa Majesté. En effet, ils poursuivoyent, pour les faire mourir et s'emparer de leurs biens, les gentilshommes qui s'étaient retirés de l'entreprise, confiants dans le pardon du Roi. Aussi ceux-là et même ceux qui n'estoyent encore bougés de leurs maisons... se préparoyent à marcher comme désespérés, jugeant qu'il leur convenait plutost mourir tous ensemble en combattant qu'estant prins en leurs maisons l'un après l'autre tendre le col à un bourreau. C'est ce que la Reine-mère devait
bien considérer et penser en elle-mesme à la conséquence où pourroyent tomber
ces désespérées entreprinses, où l'on jouoit à quitte ou à double. Car encore
que ce fut la ruyne de ceux qui s'eslesveroyent, si est-ce qu'elle devoit
plutost y remédier promptement que l'effect advenu procéder à la destruction
entière de ceux qui autrement estoyent de ses meilleurs subjects. Le
remède, c'était en premier lieu de pourveoir au
gouvernement du royaume et bailler un Conseil au Roy, non à l'appétit de ceux
de Guyze, mais selon les anciennes constitutions et observations de France ;
en second lieu, de tenir un Concile sainct et libre,
sinon général, à tout le moins national, où toutes choses étant décidées par la parolle de Dieu, ceux qu'on condamnoit
maintenant sans estre ouys s'attendoient de gaigner leur cause. Et
jusque-là Théophile requérait pour les fidèles le droit de demeurer en la simplicité des Escriptures s et s de vivre selon le
contenu d'une confession de foy accordée et receue en toutes les églises
réformées de France[55]. La Reine-mère venait de lire cette consultation politico-religieuse quand Marie-Stuart, qui la suyvoit, comme estant aux aguets de toutes ses actions, entra et la surprit le mémoire en main Elle lui demanda ce que c'était, et Catherine, pour se tirer d'embarras, nomma le porteur du paquet. Les Guise firent arrêter Le Camus. Catherine n'était pas brave, et vite elle abandonnait les gens qui la compromettaient. D'ailleurs l'insistance des réformés à mettre en avant les droits des princes du sang, qui étaient destructifs des siens, ne pouvait que lui déplaire. Quand Le Camus fut plus tard conduit devant elle, le 5 juin, à Villesamin (près de Romorantin), elle lui reprocha, en présence des Guise, ces remontrances pleines d'injures et animosité contre le Roy son fils et elle. Et comme Le Camus répondit que sous sa correction les dites remontrances n'estoient telles, elle répliqua que c'estoit bien contre elle en tant qu'elles s'adressoyent contre les sieurs de Guise, ministres et oncles du Roy. Le Camus protesta qu'elles ne tendaient qu'à induire le Roy et ladicte Dame à faire assembler les Estats du royaume pour remédier aux confusions du pays et au mescontentement de ce que les dicts de Guyse s'estoient emparés de la personne du Roy et du gouvernement du royaume contre la volonté des princes du sang et des Estats. On l'envoya prisonnier au château de Loches[56]. Il importait beaucoup à Catherine de savoir si les connétablistes s'accordaient avec les réformés sur
cette question des princes du sang. A Saint-Léger[57], où la Cour alla
en ce même mois de juin (1560), elle
manda un certain Louis Regnier, seigneur de La
Planche s, a qu'on estimoit dès lors servir de conseil bien avant au
mareschal de Montmorency, fils du Connétable. L'histoire publiée sous
son nom[58]
de l'Estat de France sous François II, précieuse par les documents
qu'elle cite, quelquefois tout au long, et par les faits qu'elle rapporte,
est le récit le plus complet et le plus vivant, quoique partial et passionné,
des débuts politiques de Catherine. La Planche, qu'elle questionna sur la
conjuration d'Amboise, s'excusa tant qu'il put de dire son avis ; mais, sommé
de parler, il expliqua que les troubles avaient à la fois des causes
religieuses et politiques, et qu'il y avait deux diverses
sortes de huguenauds. Les uns, qui ne regardent qu'à leur consciences avaient été esmeus par La Renaudie à prendre les armes, ne pouvant plus à la vérité supporter la rigueur, laquelle
on a si longtemps continuée contre eux ; les autres, qui regardent à l'estat public, sont irrités de voir l'estat
du royaume estrangement conduit par estrangers, les princes du sang estant
forclos. Il serait aisé — en quoi La Planche se trompait — d'apaiser les huguenots de religion par une assemblée de quelques suffisans personnages, lesquels, soubs couleur de traduire fidèlement la Bible, cotteroyent les différends (les points de désaccord entre les réformés et les catholiques), et trouveroyent finalement qu'il n'y a pas si grande discorde qu'il semble entre les parties. Mais les huguenots d'État ne s'apaiseroyent aiséement, sinon mettant les princes du sang en leur degré et demettant tout doucement ceux de Guyse par une assemblée des Estats. La Planche reprocha aux Guise, simples cadets de la maison de Lorraine, de prétendre au gouvernement de l'État et même au titre de princes, le roi ne pouvant faire des princes qu'avec la reine. Sa conclusion fut que si elle (Catherine) vouloit éviter un remuement bien dangereux, il falloit contenir ceux de Guyse en leurs limites ou pour le moins leur bailler comme une bride et contrepoix de François naturels et tenir les uns et les autres en raison. Elle répondit qu'en employant les Guise, elle n'avait fait que suivre les traces du feu roy son mary et qu'elle eust bien voulu que le roy de Navarre et le prince de Condé se fussent rangés à la Cour, à l'exemple de messieurs de Montpensier et de La Roche-sur-Yon, qui s'y voyoient favorablement traictés et honorés. Mais ... c'estoit mesmes contre la personne du Roy que l'entreprise d'Amboise avait été dressée. La Planche répliqua que ceux qui occupoyent la place des princes du sang, sçachant iceux ne pouvoir estre déboutés, selon leurs anciens privilèges, que par le seul premier chef du crime lèze-majesté, avoyent plustost forcé (? forgé) ceste accusation, substituant la personne du Roy au lieu de la leur. Le cardinal de Lorraine avait entendu cette attaque contre
sa maison, caché derrière la tapisserie ». La Planche fut renvoyé disner, puis rappelé l'après-midi. La
Reine-mère alors lui déclara qu'elle ne se pouvoit
persuader que ceste querelle fut advenue pour les honneurs prétendus par ceux
de Guyse et qu'en tout cas il se trouveroit
bon remède, donnant le premier lieu aux
princes du sang et le second à ceux de Guyse, de sorte qu'après le premier
prince du sang marcheroit le premier prince de Lorraine ; après le second
prince du sang, le second prince de Lorraine, et ainsi consécutivement ; mais
qu'il sçavoit bien d'autres choses s'il les vouloit dire. Par
promesses claires, par menaces vagues, elle essaya de le faire parler et même
elle le pria de l'aider à prendre certains
principaux rebelles-sans luy nommer de près ny de Loing la maison de
Montmorency. Mais La Planche courageusement remontra que ceux de Lorraine ne devoyent nullement tirer au colier
avec les princes du sang, ains (mais) leur céder et faire place. Et quant à la capture de ces prétendus rebelles, il trancha le mot,
qu'il n'estoit ni prévost des mareschaulx ni espion. Elle le fit
arrêter, mais sil se purgea si évidemment d'avoir eu intelligence avec La
Renaudie qu'au bout de quatre jours il fut relâché[59]. De toutes ces consultations, Catherine conclut qu'il fallait à tout prix rompre la coalition des huguenots d'État et des huguenots de religion. Peut-être pensait-elle, comme Regnier de La Planche, qu'il serait plus aisé de satisfaire ceux-ci que ceux-là et en tout cas c'étaient les concessions qui devaient le moins lui coûter. L'état du royaume demandait qu'on se hâtât. L'Édit de Romorantin n'avait pas calmé les passions ; les réformés tenaient des prêches et s'assemblaient en armes ; ils faisaient aux Guise une guerre de pamphlets qui était le prélude de l'autre. Déjà des bandes couraient la Provence, le Dauphiné, la Guyenne et saccageaient les églises. Sur l'avis de Coligny, la Reine-mère fit décider la réunion à Fontainebleau des plus grands personnages pour aviser aux nécessités du royaume. Ce fut une sorte de Conseil élargi, où le Roi appela, outre ses conseillers ordinaires, les princes du sang, les grands officiers de la Couronne et les chevaliers de l'Ordre [des Saint-Michel]. Le Connétable y vint accompagné de huit cents ou mille chevaux. Mais, malgré ses exhortations, Antoine de Bourbon et son frère restèrent en Béarn et laissèrent passer l'occasion d'exposer solennellement leurs droits et leurs griefs, et d'ôter à leur cause l'allure d'un complot. L'assemblée s'ouvrit le 21 août, en la chambre de la Reine-mère, sous la présidence du jeune Roi. Catherine pria les personnages que le Roy son fils avait convoqués de le vouloir conseiller... en sorte que son sceptre fust conservé et ses subjects soulagés et les malcontents contentés s'il estoit possible [60]. Le nouveau chancelier, Michel de l'Hôpital, ancien
conseiller au Parlement de Paris et ancien Président de la Chambre des
comptes, était une créature des Guise, mais sitost
qu'il eust été estably en sa charge, il se proposa de cheminer droict en homme politique et de ne favoriser
ny aux uns ny aux autres, aies de servir au Roy et à sa patrie[61]. Mais il cheminait prudemment. C'était l'homme qu'il fallait à Catherine. Il prit la parole après elle pour développer sa pensée. Il compara le royaume où tous estats étaient troublés et corrompus avec un très grand mécontentement d'un chascun à un malade et il invita l'assemblée à rechercher la cause du mal. Si on pouvait la découvrir, le remede seroit aisé.... Hoc opus, hic labor est. Le duc de Guise et le cardinal de Lorraine rendirent ensuite compte du fait de leurs charges : gendarmerie et finances. Le 23, François II se disposait à prendre les avis, et ... comme il eust commandé d'opiner à l'évêque de Valence, Monluc, le dernier en date des conseillers, l'Amiral se levant s'approcha du Roi, et, après deux grandes révérences, il lui présenta deux requêtes des réformés, l'une à lui adressée, l'autre à sa mère. Dans la première les fidèles chrétiens épars en divers lieux et endroicts de son royaume suppliaient le roi leur souverain seigneur très humblement de faire surseoir les rigoureuses persécutions, et de leur permettre qu'ils se pussent assembler en toute révérence et humilité pour célébrer ensemble leur culte, et en attendant un concile général de leur ordonner quelques temples en ce royaume afin que leurs assemblées ne fussent plus secrètes et suspectes[62]. Mais la requête à la Reine demandait bien davantage : Vous, disait-elle, comme vertueuse et magnanime princesse, ensuyvant l'exemple de la Royne Esther, ayez pitié du peuple esleu de Dieu pour le délivrer des griefs perils esquels il s'est senti exposé jusques à présent.... Très illustre et souveraine princesse, nous vous supplions... pour l'affection que devez à Jésus Christ, à establir son vray service et deschasser toutes erreurs et abus qui empeschent qu'il ne règne comme il faut. Vueillez faire ce bien aux povres chrestiens afin que par ce moyen Dieu soit servi et honoré publiquement en ce royaume, et le sceptre de vostre fils, nostre souverain roy, soit conservé en intégrité soubs Jésus Christ, le Roy des Roys[63]. C'était lui parler comme à une personne confidente, dont l'Église réformée attendait, non seulement un régime de tolérance, mais l'avènement du règne de Dieu. Après ce coup de théâtre, l'évêque de Valence, Monluc, personnage de grand sçavoir et littérature, mesmes es lettres saintes, parla, en homme bien informé, des services rendus par la Reine-mère, lors de la conjuration d'Amboise où avec sa prudence accoustumée, aidée de celle des sieurs de Guyse soubs son authorité, elle avoit usé de telle intelligence que des souspeçons qui sembloyent estre legiers et de nulle apparence, elle avoit souldainement descouvert l'entreprise des tumultes, et puis y avait avisé plus avec la douceur qu'avec la force. Le moyen de pourvoir aux vices et abus de l'Église et de l'État, c'était la réunion d'un nombre de gens de bien de toutes les provinces et la convocation d'un concile national, si le pape n'en voulait pas tenir un général. Il jugeait inexcusables et par conséquent punissables ceux des sectaires qui, soubs le prétexte et manteau de religion, estoyent devenus séditieux et rebelles, oubliant que Sainct Pierre et Sainct Paul nous commandent de prier Dieu pour les roys, de leur rendre toute subjection et obéissance et à leurs ministres, ores qu'ils fussent iniques et rigoureux. Mais il ne trouvait ni juste, ni utile, ni conforme aux traditions de l'Église primitive de traiter en factieux ceux qui retenoyent la nouvelle doctrine avec telle crainte de Dieu et révérence au Roy et ses ministres qu'ils ne vouldroyent pour rien l'offenser. Ceux-là faisaient bien connaître par leur vie et par leur mort qu'ils n'estoyent meus que d'un zèle et ardent désir de chercher le seul chemin de leur salut, cuidans l'avoir trouvé. Aussi l'expérience avoit appris à tout le monde que les peines en cest endroict ne profitoyent de rien, ains au contraire... Les empereurs chrestiens de saincte et recommandable mémoire, Constantin, Valentinien, Théodose, Marcien, n'avaient voulu user de plus de rigueur envers les autheurs des hérésies que de les envoyer en exil et de leur oster le moyen de séduire les bons. Quant aux assemblées, Monluc n'était pas d'avis de les permettre, pour le danger qui en peult advenir, mais il s'en remettait au bon jugement du Roi pour avoir égard en la punition des transgresseurs... à l'heure, au nombre, à l'intention et à la façon qu'ils se seroient assemblés[64]. L'avis de Monluc, c'était celui de la Reine-mère, dont ce prélat humain et mondain était le confident. Elle estimait nécessaire de relâcher la persécution sans compromettre l'ordre, de ménager les consciences sans désarmer le pouvoir. Monluc s'était gardé de prononcer le nom des États généraux, et il avait eu en passant un mot d'éloge pour les Guise. A tous ces traits, on reconnaît la façon prudente de Catherine. Mais l'archevêque de Vienne, Marillac, parla, lui, avec une hardiesse qu'on n'aurait pas attendue d'un client des Guise, mais qui cependant s'expliquait. Ancien ambassadeur de France en Allemagne, en Angleterre, en Suisse, il pouvait craindre que l'intolérance de ses patrons ne compromit les alliances protestantes, et en tout cas il constatait qu'elle troublait le royaume[65]. Il signala le fardeau toujours croissant des impôts et la corruption du clergé déclarant qu'il n'y avait autre moyen pour asseurer... la bénévolence du peuple et l'intégrité de la religion que d'assembler les États généraux et de tenir un concile national, quelque empêchement que le pape y mit. Il insista sur le devoir de réformer l'Église et d'ouyr les plaintes du peuple sans s'arrêter aux dangers imaginaires que quelques-uns concevaient de ces grandes assemblées. Si les premiers ministres du Roi, dit-il, sont calomniés comme autheurs et cause de tout le mal passé et qui peut advenir, comme ceux qui tournent toutes choses à leur advantage et font leur proffit particulier de la calamité de tous, y a-t-il d'autre moyen pour se nettoyer de tous souspeçons que de faire entendre en telle assemblée en quel estat l'on a trouvé le royaume, [et] comme il a été administré... C'était presque dire que les accusations avaient quelque apparence. Et quand Marillac montrait le Roi, gardé par l'amour de sa mère, de tant de princes du sang, de l'Église et de la noblesse, ne signifiait-il pas aux oncles de Marie Stuart que leurs services n'étaient pas indispensables[66] ? L'Amiral, qui décidément se posait en porte-parole des réformés, attaqua vivement la politique religieuse et le gouvernement des Guise. Le Duc répliqua sur le même ton. Le Cardinal, calme et ironique, remarqua que si les novateurs se disaient très obéissans, c'estoit toutesfois avec condition que le roy seroit de leur opinion et de leur secte ou pour le moins qu'il l'approuveroit[67]. Il dissuada le Roi de leur bailler temples et lieu d'assemblée, car ce seroit approuver leur idolatrie, ce qu'il ne sçauroit faire sans estre perpétuellement damné. Toutefois il fut d'avis que tout en continuant à punir griesvement les séditieux et perturbateurs du peuple et du royaume on ne touchast plus par voye de punition de justice, à ceux qui sans armes, et de peur d'estre damnés, iroyent au presche, chanteroient les psalmes et n'iroyent point à la messe. Il se prononça pour la réunion des États généraux, et, quant à la réforme de l'Église, il proposa de faire ouvrir par les évêques et les curés une enquête sur les abus pour en informer le Roy à fin de regarder la nécessité d'assembler un concile général ou national [68]. Les chevaliers de l'Ordre opinèrent tous comme le cardinal de Lorraine, dont l'avis passa à la majorité des voix. En conséquence, les États généraux furent convoqués pour le 10 décembre suivant à Meaux (31 août 1560). La Reine-mère avait pris une telle importance que l'Amiral et quelques grands seigneurs en qui elle se fiait la sollicitèrent de se saisir du pouvoir et de renvoyer pour quelque temps les Guise en leur maison. Mais elle les cognoissoit de si grand cœur que malaisement endureraient-ils de n'être rien. Le Duc se fortifiait de toutes sortes de gens, et disoit haut et clair avoir la promesse de mille ou douze cens gentilshommes signalés et le serment de leurs chefs, avec lesquels et les vieilles bandes venues de Piedmond et autres dont il s'asseuroit, il passeroit sur le ventre à tous ses ennemis. Disgracier les Guise, ce seroit pour entrer de fiebvre en chaud mal[69]. Il lui faudrait rappeler le Connétable qu'elle n'aimait pas et s'appuyer sur les princes du sang et les réformés, dangereux alliés qui ne manqueraient pas, lors de la réunion des États généraux, de bailler au Roi un conseil où elle était sûre de n'avoir pas la première place. Il n'est pas imaginable combien les protestants, à part quelques hommes comme Coligny[70], se souciaient peu de la gagner. Ils la pressaient de se compromettre pour eux, et en même temps déclaraient dans tous leurs écrits qu'en cas de minorité les princes du sang devaient avoir le premier rang dans l'État, à l'exclusion des étrangers et des reines-mères. Ils l'estimaient, à ce qu'il semblait, trop heureuse de les servir gratuitement. C'était se méprendre du tout sur ses sentiments. Son ambition, naturellement très grande, s'était encore accrue à la faveur des événements et du succès. Elle voyait jour pour arriver au pouvoir suprême ; elle y aspirait pour elle et dans l'intérêt de ses enfants. Or les novateurs religieux, qui auraient dû s'assurer son concours à tout prix, jetaient en travers de sa route et consolidaient sottement la théorie des princes du sang. La Briesve Exposition, qu'ils publièrent après la conjuration d'Amboise, et la Response chrestienne et défensive, qui est du même temps que le Théophile de l'Église de Tours, et Le Camus, porteur de ce mémoire consultatif, invoquaient contre les Guise l'ancienne constitution du royaume et soutenaient tous que la loi salique et la coutume excluaient du gouvernement les étrangers[71]. Pour entraîner Antoine de Bourbon, qui suivant son habitude atermoyait, les représentants des Églises tinrent à Nérac une sorte de grand conseil auquel se trouvèrent le jurisconsulte huguenot Hotman, réfugié à Strasbourg depuis le tumulte d'Amboise, et Théodore de Bèze, poète, écrivain, humaniste, maintenant théologien et le principal coadjuteur de Calvin à Genève. Ils rédigèrent pour le roi de Navarre et le prince de Condé une Remontrance où les prétentions des princes du sang étaient appuyées de précédents historiques spécieux et d'attaques passionnées contre la tyrannie des Guise[72]. En même temps, la guerre civile commençait. Un des hommes d'épée les plus remuants du parti, Maligny le jeune, s'empara de Lyon, la capitale du Sud-Est, et il s'y serait maintenu si Antoine de Bourbon, effrayé de ce coup d'audace, ne lui avait commandé de licencier ses bandes et d'évacuer la ville (septembre 156o). Mais il lui faisait dire en même temps de faire couler les soldats un à un vers Limoges, où il pensait les employer —du moins le bruit en courut — à surprendre Bordeaux et assurer ses communications par mer avec l'Angleterre protestante[73]. Le prince de Condé avait dépêché un certain La Sague à plusieurs grands seigneurs qu'il priait de ne luy faillir au besoin. Les Guise parvinrent à saisir ce messager et trouvèrent sur lui les réponses du Connétable et du vidame de Chartres, François de Vendôme. Anne de Montmorency, qui savait le danger des écritures, exhortoit le prince à la paix, lui conseillant qu'il se gardast bien d'entreprendre chose que Sa Majesté peust trouver mauvaise. Mais le Vidame lui mandait qu'il se devoit asseurer de luy comme de son très humble serviteur et parent et qu'il maintiendroit son party et ceste juste querelle contre tous, sans excepter que le Roy, messieurs ses frères et les roynes[74]. Les Guise enfermèrent cet imprudent à la Bastille (29 août). La Reine-mère, à qui François de Vendôme était particulièrement agréable, approuva l'arrestation. Épouvantée de ces bruits d'armes, dégoûtée de ses avances aux huguenots, tremblant pour ses fils et pour elle-même, elle se rapprocha des Guise et se fit leur alliée contre les Bourbons. Elle écrivit à Philippe II et au duc de Savoie pour leur demander appui et seconda le gouvernement de toute façon. François II avait sommé le roi de Navarre de lui amener son frère pour que celui-ci se justifiât de l'embauchage des hommes d'armes dont on le chargeait, vous pouvant asseurer que là où il refusera de m'obéyr, je sauroy fort bien faire congnoistre que je suis roy[75], et elle, dans une lettre au comte de Crussol, porteur de cet ordre impérieux, elle le chargeait de dire à Antoine que le Connétable et ses deux fils, Montmorency et Damville, avaient en jens de bien fait sur l'entreprise de Condé des révélations qui avaient esté en partie cause de la prise de La Sague et du Vidame[76]. C'était une charité que Montmorency se hâta de démentir (26 septembre)[77], mais qu'elle avait lancée à tout hasard pour rompre l'accord des connétablistes et des partisans des Bourbons. Cependant les Guise massaient des soldats dans Orléans, où ils airaient fait transférer les États généraux. C'est là qu'ils attendaient leurs ennemis. Le roi de Navarre, forcé de choisir entre l'obéissance et la révolte et menacé d'être pris à dos par les miliciens de la Navarre espagnole, dont Philippe II avait ordonné la levée en masse, s'était décidé à conduire son frère à François IL Ses partisans, ses amis, la femme de son frère l'avertissaient du danger qu'ils couraient tous deux[78]. Il put vite s'apercevoir que les gouverneurs le traitaient en suspect et gardaient soigneusement les villes qu'il traversait. Le sénéchal du Poitou, Montpezat, avait reçu de Catherine l'ordre écrit de ne pas le laisser entrer dans Poitiers, une des places les plus fortes de l'Ouest, dont on craignait qu'il ne s'emparât. Il lui signifia la défense de par le roi, ajoutant de son cru : sur la peine de la vie. Antoine fut si outré de l'insulte qu'il délibéra de revenir sur ses pas ; il demanda une explication à la Reine-mère, qui répondit sans hésiter que personne n'a eu charge ne commandement de luy (le Roi) ne de moi de vous tenir ce langage[79], ce qui n'était vrai que de la menace. Femme, elle se croit autorisée, ou même elle se complaît à se défendre avec le s armes des faibles, le mensonge et la ruse. Antoine, rassuré, continua sa route, et le soir même de l'arrivée à Orléans (31 octobre), Condé fut emprisonné. Catherine avait aidé à la capture des Bourbons pour enlever à la révolte ses chefs naturels. Mais les Guise estimaient que ce n'était pas assez et qu'il fallait faire un exemple. Ils en voulaient surtout au prince de Condé dont ils avaient senti la main dans tous les remuements. La santé de François II, qui n'avait jamais été bonne, était à ce moment encore plus mauvaise ; de là leurs inquiétudes et leur passion contre le plus redoutable des ennemis du lendemain. Ils n'osèrent le traduire devant le Parlement garni de pairs, le seul tribunal légitime, de peur d'un acquittement, et ils lui donnèrent pour juges, par autorité absolue, des commissaires ; magistrats, conseillers d'État, chevaliers de l'Ordre[80]. Catherine répugnait aux cruautés superflues. D'ailleurs elle réfléchissait que les Guise, débarrassés de l'esprit agissant de l'opposition, n'auraient plus les mêmes raisons de la contenter et la relégueraient au second plan. Sans tarder, elle se tourna vers le connétable de Montmorency, qui, sous prétexte de maladie, s'était excusé de venir à Orléans. Le jour même où commença l'instruction contre Condé (13 novembre), elle lui écrivait : Je voldrès que vostre santé peut (pût) permettre que feusiés avecques nous, car je cré fermement que l'on seroyt plus sage et, ne l'étant, vous ayderié à sortir le roy aur (hors) de page, car vous aves tousjour voleu que vos mestres feusset aubéi partout[81]. Elle ne nommait personne, mais il est clair que les gens qui n'étaient pas suffisamment sages et qui tenaient le Roi en tutelle, ce ne peut être que les ministres dirigeants. Pour s'opposer à leurs violences, elle appelait à l'aide son vieil ennemi. Elle se ménageait même un recours du côté du roi de Navarre. Un jour qu'Antoine de Bourbon, ému du danger de son frère, rappelait dans une séance du Conseil privé les services rendus par les princes de sa maison et s'écriait que si le Roi avait tant soif du sang des Bourbons...., elle l'avait interrompu, promettant que la justice seule triompherait des hésitations de son fils[82]. Plusieurs fois elle l'aurait fait prévenir de desseins tramés contre lui : coup maladroit dans une partie de chasse, assassinat dans la chambre royale et de la main même du Roi[83]. Mais est-il sûr que les Guise aient voulu supprimer ce pauvre rival ? On peut croire avec plus de vraisemblance que la Reine-mère a discrètement enrayé la poursuite contre son frère. Après la condamnation pour crime de lèse-majesté (26 novembre), deux des commissaires, le chancelier de L'Hôpital et le conseiller d'État Du Mortier, reculoyent tousjours de signer la sentence, en donnant toutefois bonne espérance[84]. Or, c'étaient deux hommes à Catherine ; ils réussirent à gagner du temps. Le jeune Roi, cet adolescent débile que son mariage précoce avec Marie Stuart avait achevé d'affaiblir, eut le 9 novembre et le 16 des syncopes alarmantes. Son état s'aggrava subitement et fut bientôt désespéré. Dans l'appréhension de cette fin, les Guise proposèrent, dit-on, à Catherine de hâter l'exécution du prince[85]. C'était, s'ils le firent, avoir une très médiocre idée et très fausse de son intelligence. Alors que l'avènement de son fils Charles, un enfant de dix ans, lui offrait l'occasion inespérée de se saisir du pouvoir, pouvaient-ils croire qu'elle se mettrait à leur merci et s'aliénerait à jamais les huguenots, en sacrifiant Condé ? Mais elle était fermement résolue à priver Antoine de Bourbon de la régence. Il n'y avait pas de loi expresse qui réglât la transmission du pouvoir en cas de minorité. Le précédent de Blanche de Castille était favorable aux reines-mères, mais la loi salique, en excluant les femmes du trône, semblait par analogie les exclure du gouvernement et y appeler les princes du sang. Demander aux États généraux ou au Parlement de trancher ce grand débat, c'était provoquer une décision qui pourrait être contraire à ses droits, et qui, si elle ne l'était pas, risquait d'être contestée par son concurrent, les armes à la main. Le mieux était de s'assurer la direction paisible de l'État par un accord à l'amiable avec le premier prince du sang. Mais il fallait l'y amener. Elle conduisit l'affaire habilement. Plusieurs fois elle déclara de façon à être entendue qu'elle se procurerait le pouvoir à tout prix. Puis quand elle jugea le roi de Navarre bien apeuré, elle le manda dans son cabinet[86]. Il croyait marcher à la mort (2 décembre). Au passage, une dame, peut-être la duchesse de Montpensier, sa cousine et la confidente de la Reine, lui dit à l'oreille de tout accepter, sinon qu'il y allait de sa vie. Il entra. Le duc de Guise et le cardinal de Lorraine étaient présents. Après qu'un secrétaire eut donné lecture d'un mémoire établissant, par les précédents historiques, le droit des reines-mères à la régence, Catherine, sévèrement, rappela tous les complots des Bourbons. Les dénégations étaient inutiles. Antoine avait perdu par sa conduite les prétentions qu'il aurait pu élever comme premier prince du sang au gouvernement du royaume. Le roi de Navarre protesta de son innocence, ajoutant toutefois qu'il faisait volontiers abandon de ses droits. Catherine lui fit signer cette renonciation et lui promit à (de) bouche qu'il seroit lieutenant du roy en France... et que rien ne seroit ordonné sinon par son advis et des autres princes du sang. Mais elle voulait plus encore : inaugurer son avènement par la réconciliation des chefs de partis. Elle ne craignit pas d'affirmer à Antoine que le Roi avait de sa propre autorité décidé seul l'arrestation et le jugement de Condé et que les Guise n'en étaient pas responsables. Antoine admit encore cette explication et consentit à e embrasser » les deux frères, les pires ennemis de sa maison[87]. Trois jours après, François II mourut (5 décembre), et Charles d'Orléans lui succéda sous le nom de Charles IX. Le règne de Catherine commençait. Elle s'était élevée au premier rang à pas si comptés et d'un mouvement si doux qu'elle avançait sans avoir l'air de cheminer. |
[1] Ils étaient fils de Claude de
Guise et d'Antoinette de Bourbon, sœur d'Antoine de Bourbon, roi de Navarre. François
lui-même avait épousé Anne d'Este, fille d'Hercule, duc de Ferrare, et de Renée
de France, et petite-fille de Louis XII. Histoire de France de Lavisse
t. VI, 1, p. 3-4.
[2] Louis Régnier de La Planche,
ou l'éditeur de l'Histoire publiée sous son nom. L'ambassadeur vénitien,
Giovanni Michieli, dans sa Relation, de 1561 dit aussi qu'à cause de son
accord avec Diane de Poitiers et d'une parole de mépris pour cette fille de marchand le Connétable était non solo poco amato, ma intrinsecamente odiato.
Alberi, Relazioni, t. III, p. 438.
[3] Regnier de la Planche, Histoire
de l'Estat de France tant de la République que de la religion sous le règne de
François II. Chois de chroniques et mémoires sur l'Histoire de France, éd.
Buchon, p. 204 et 207. Le même ambassadeur vénitien (voir note précédente) dans
une dépêche du 25 août 1559 (citée par Armand Baschet, La diplomatie
vénitienne, p. 405) dit que la Reine-mère reçut au contraire le Connétable
avec d'affectueuses paroles et lui promit de prendre en protection les intérêts
de sa maison. Michieli disait vrai en 1559 comme en 1561. Les violences de
paroles ne sont pas de la façon de Catherine et, si vive que fût sa rancune, il
n'était pas de son intérêt de s'aliéner, en l'affichant, un si puissant
personnage.
En
tout cas, un mois après, la Reine-mère annonçait à Montmorency qu'elle avait
fait accorder à sa fille Louise l'abbaye de Maubuisson, Lettres, t. I,
p. 125. — Cf. la lettre amicale qu'elle lui écrivit après l'affaire de la
grande maîtrise, Lettres, t. I, p. 128-120 (fin novembre 1550).
[4] Les raisons contre es princes
du sang très bien vues par Regnier de la Planche p. 218.
[5] Le comté de Nevers avait été
érigé en duché-pairie en janvier 1338 ; et le duché de Montpensier un mois
seulement après (février 1538).
[6] Il convient d'insister sur
cette question des princes du sang, qui est si étroitement, mêlée à l'histoire
de Catherine de Médicis et des derniers Valois, et dont l'intelligence éclaire
tant de pointa obscurs des guerres de religion. Voir Jean du Tillet, Les
princes du sang dans son Recueil des Roys de France, leur Couronne et
maison, Ensemble le rang des grands de France, Paris, 1618, p. 95 sqq. et
surtout p. 313-317.
[7] Il en avait un autre, Charles,
qui était cardinal et archevêque de Rouen, mauvais théologien, bon amateur
d'art et ami personnel de Catherine. C'est le futur roi de la Ligue.
[8] Liste des enfants de Catherine
encore vivants en 1559, d'après une note officielle rédigée entre z561 et 1563
(Louis Paris, Négociations, etc., 1841, p. 892) :
François,
né le samedi 19 janvier 1544, successeur d'Henri II (août 1559), mort le
décembre 1560.
Elisabeth,
née le 2 avril 1546, mariée en 1559 à Philippe H.
Claude,
née le 12 novembre 1547, mariée à Charles III, duc de Lorraine, le 5 février
1558. Charles-Maximilien, né le 27 juin 1550, duc d'Angoulême, puis d'Orléans,
puis roi à la mort de François II, son frère. Mort le 30 mai 1574.
Edouard-Alexandre,
né le 20 septembre 1551, duc d'Anjou, de Poitiers, puis duc d'Angoulême, puis
duc d'Orléans, et qui reçut à sa confirmation le nom d'Henri, depuis duc d'Anjou,
puis roi à la mort de Charles IX, son frère.
Marguerite,
née le 14 mai 1553, et qui épousa en 1572 le roi de Navarre, Henri de Bourbon.
Hercules, né le 18 mars 1555, et qui reçut à la confirmation le nom de
François, duc d'Anjou, puis d'Alençon, et enfin de nouveau duc d'Anjou.
Catherine
avait à l'avènement de François II perdu trois enfants : un fils, Louis
d'Orléans né le 3 février 1549, mort le 24 octobre 1550, et deux jumelles,
Victoire et Jeanne (ou Julie) qui nées le 24 juin 1556, vécurent, l'une quelques
jours, et l'autre deux mois.
[9] Imbert de la Tour, Les
Origines de la Réforme, t. III : L'Evangélisme, Paris, 1914. Sur
l'Eglise de Meaux, voir le chap. III : Lefèvre d'Etaples, p. 110-133, et sur le
mysticisme de Marguerite de Navarre, p. 290-293, avec les références, p. 290.
[10] L'Histoire ecclésiastique,
dit : Qu'encores que le corps de Jésus-Christ soit
maintenan au ciel et non ailleurs, ce nonobstant nous sommes faits participans
de son corps et de son sang par une manière spirituelle et moyennant la foy.
Éd. Baum et Cunitz, t. I, p. 582-583.
[11] Lemonnier, Histoire de
France de Lavisse, t. V, 2, p. 183 sqq. Une forte analyse de la doctrine de
Calvin, dans Faguet, Seizième siècle. Etudes littéraires, Paris, 1891,
p. 151-188.
[12] Lemonnier, Histoire de
France, Lavisse, t. V, 2, p. 230-237.
[13] Le ministre Macar à Calvin, 22
mai 1558, Opera Omnia, XVII, Col. 179. La Place, p. 9 et 10. Hist. ecclés.,
I, p. 268-269.
[14] Lemonnier, Histoire de
France, t. V, 2, p. 240-242. — Cf. sur toute cette affaire, Romier, t. II,
p. 282-286, d'après Alvarotti, agent du duc de Ferrare.
[15] Romier, t. II, p. 272-278.
[16] Mémoires de Condé, t.
I, p. 217.
[17] Mémoires de Condé, t. I,
p. 220-221.
[18] Histoire ecclésiastique des
églises réformées, t. I, 223-224. De La Place, De l'estat de la religion
et republique (éd. Buchon), p. 12-14.
[19] Interrogatoires de Du Bourg et
des autres conseillers, Mémoires de Condé, t. I, p. 224-246.
[20] La traduction en français du
Nouveau Testament, par Lefèvre d'Etaples, parut en 1523. Le Trésor des Saints
Livres, d'Olivetan, ou, comme on dit, la Bible de Serrières, du lieu où elle
fut imprimée (près de Neuchâtel, en Suisse), parut en 1535.
[21] Les références dans Calvin, Opera
Omnia, t. XVI, col. 602 et 603, note. Ajouter La Place, Commentaires,
p. 4. — Romier, t. II, p. 254, note 1, a publié la liste des prisonniers.
[22] [Jean Crespin], Histoire
des martyrs persecutes el mis à mort pour la vérité de l'Evangile depuis le
temps des Apostres jusques à l'an 1574, revue et augmentée d'un tiers en ceste
derniere edition, 1582, livre VII, f° 434. Cf. N. Weiss, B. S. H. P. F.,
1916, p. 595-235.
[23] Lettres de Catherine,
X, 509, note 9, et 550, note 8.
[24] Les ministres Farel, Bèze et
Carmel, sollicitant le Conseil de Berne d'intervenir au nom des Cantons auprès
d'Henri II en faveur des prisonniers (lettre du 27 septembre 1557, citée par
Romier, Les Origines politiques des guerres de religion, t. II, 5954, p.
263, note 3), lui rappellent qu'il y a des plus gros
de la Court [de France] qui favorisent à nostre cause, mays sont timides,
et immédiatement le supplient d'escripre à la Royne
(Catherine), à Madame Marguerite [de France], au roy de Navarre et à
Monseigneur de Nevers (François de Clèves) qu'ils prennent couraige pour parler
au Roy..... Cette lettre prouve tout au moins que Catherine ne passait
pas pour hostile aux réformés.
[25] Régnier de La Planche, Histoire
de l'estat de France... sous le règne de François II, éd. Buchon (Panthéon
littéraire), p. 255. Cette supplique est antérieure au 1er août, date d'une
lettre de Morel à Calvin où il en est question. Calvini Opera omnia, t.
XVII, col. 590.
[26] Seconde lettre des fidèles :
Morel à Calvin, 3 août 5559, Calvini Opera Omnia, XVII, col. 595.
Réponse de la Reine : Morel à Calvin, 15 août. Ibid., col. 597. Voir
aussi Régnier de La Planche, p. 211, dont les lettres de Morel permettent ici
et ailleurs de préciser et de rectifier la chronologie.
[27] Calvini Opera Omnia, t. XVII, col. 597,
25 août.
[28] Cette lettre est antérieure au
25 août, comme on peut le voir d'après la lettre de Morel à Calvin où il en est
fait mention. Elle est rapportée tout au long par Régnier de La Planche, mais
pas à sa date (p. 219-220). — Morel à Calvin, Calvini Opera Omnia, XVII,
col. 597 : Quibus perlactis, hem, inquit,
etiam mihi minantur.
[29] Régnier de La Planche, p. 220.
[30] Régnier de La Planche, p.
222-223.
[31] Une déclaration datée de
Villers-Cotterêts, 4 septembre 1559, et enregistrée au Parlement le 23
décembre, ordonna de raser les maisons où se tiendraient des conventicules ; un
édit du 9 novembre, enregistré le 23, prononça la peine de mort contre les
auteurs d'assemblée illicites (Isambert, Recueil des anciennes lois
françaises, XIV, p. 9 et 11).
[32] Régnier de La Planche, p.
223-225.
[33] Lettre de Morel à Calvin du 11
septembre, Calvini Opens Omnia, XVII, col. 634-635- Antoine de Chandieu,
seigneur de la Roche-Chandieu, né au château de Chabot, dans le Mâconnais, vers
1534, fut d'abord pasteur à Paris, et enfin à Genève, où il mourut en 1591.
Haag, La France protestante, 2e éd., t. III, col. 2049-2038.
[34] Morel, 11 septembre, Calvini
Opera omnia, XVII, col. 635.
[35] Calvini Opera omnia, XVII, col. 618.
[36] Régnier de La Planche, p. 212.
[37] Régnier de La Planche, p. 220,
dit cependant que ce jour-là elle en fut empêchée par la visite de plusieurs
cardinaux et autres seigneurs venus au sacre.
[38] Ordonnance du 14 juillet 1559
; de Ruble, Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, t. II, p. 127.
Brantôme, t. IV, p. 224.
[39] 16 avril (?) 1561, Opera
Omnia, XVIII, col. 425-431. Ce quelqu'un n'est
pas La Renaudie, qui, quelque temps après, alla voir Calvin et fut d'ailleurs
mal reçu. Ibid., col. 427 et 429.
[40] Calvini Opera omnia,
XVIII, col. 425-426. — Sur l'opinion de Calvin, voir Mignet, Journal des
savants, 1857, p. 95.
[41] Calvin à Pierre Martyr, mai
1560. Opera omnia, XVIII, col. 82 et les notes. Cf. Régnier de La
Planche, p. 237.
[42] De Ruble, Antoine de
Bourbon et Jeanne d'Albret, t. II, p. 42-45 et p. 58.
[43] Régnier de La Planche, p.
237-238. — Paillard, Additions critiques à l'histoire de la Conjuration
d'Amboise, Revue historique, t. XIV, 1880, 61-108 et 311-355
(analyse de la correspondance de Chantonnay, frère du cardinal Granvelle : et
ambassadeur d'Espagne en France).
[44] La chronologie des révélations
est difficile à établir. Voir Paillard, Additions critiques à l'histoire de
la conjuration d'Amboise, Revue hist., 1880, t. XIV, p. 81-84 et
passim.
[45] Histoire ecclésiastique des
Eglises réformées au royaume de France, éd. nouvelle par Baum et Cunitz,
1883, I, p. 294-298.
[46] Régnier de La Planche, p. 247.
[47] Erichs Marcks, Gaspard von Coligny, I, 1893, p. 350.
[48] Regnier de La Planche, p. 247.
[49] Fontanon, Les Edicts et
Ordonnances des roys de France, 1611, t. IV, p. 263-264.
[50] Journal de Pierre (lisez
Nicolas) Bruslart, dans Mémoires de Condé, I, P. 9.
[51] Regnier de La Planche, p. 257,
265, 266. Regnier de La Planche ou plutôt l'Histoire publiée sous son nom ne
veut pas que la Reine ait été sincère. C'est un parti pris chez les ennemis de
Catherine de lui dénier tout bon sentiment.
[52] Fontanon, Les Edits et
Ordonnances des roys de France, éd. 1611, t. IV, p. 229-230.
[53] Regnier de La Planche, p.
298-299.
[54] Et non de l'Assomption, comme
dit le texte imprimé de Regnier de La Planche, p. 302. Cf. p. 304, les faits
qui permettent de rectifier cette fausse indication.
[55] Analyse du Théophile,
dans Regnier de La Planche, p. 299-302.
[56] Regnier de La Planche, p. 304.
[57] Saint-Léger (Seine-et-Oise),
est à 12 kilomètres de Rambouillet ; les rois de France y avaient une
résidence, au milieu de la forêt.
[58] Elle n'est probablement pas de
lui, au moins en entier. Il ne s'appellerait pas lui-même (éd. Buchon, p. 326) en certain Louis Regnier et ne donnerait pas comme
une opinion qu'il fût le confident du maréchal de Montmorency. Après avoir dit
à la Reine-mère, dans l'entretien analysé ici, que La Renaudie voulait, soubs prétexte de présenter une requeste, venger la mort
d'un sien beau-frère, il ne se serait pas démenti en ces termes (éd. Buchon, p.
318) : Tel fust le pourparler de La Planche, homme
politique plustost que religieux, s'abusant en ce qu'il mict en avant des
différends de la religion, non moins qu'en ce qu'il dict de l'intention qui
avoit esmeu La Renaudie. La critique de beaucoup de documents du XVIe
siècle reste à faire.
[59] Regnier de La Planche, p.
326-328.
[60] Pierre de La Place, Commentaires
de l'estat de la religion et république sous les roys Henri et François seconds
et Charles neuviesme, éd. Buchon, p. 53-54.
[61] Regnier de La Planche, p. 305.
[62] P. de La Place, p. 54-55,
résume les deux requêtes sans les distinguer.
[63] L'adresse à la Reine est dans
les Mémoires de Condé, II, p. 647-648.
[64] Le discours de Monluc, dans La
Place, p. 55-58.
[65] Cf. sur le revirement de
Marillac, connu jusque-là pour un partisan des Guise, Pierre de Vaissière, Charles
de Marillac, ambassadeur et homme politique sous les règnes de François Ier,
Henri II et François II, Paris, 1896, p. 383-384. — Le discours de Marillac
est dans Regnier de La Planche, p. 352-360.
[66] Regnier de La Planche, p. 357.
[67] [De Mayer], Des Etats
généraux et autres Assemblées nationales, t. X, p. 306-307. — La Place, p.
66-68.
[68] Regnier de La Planche, p.
313-314.
[69] Regnier de La Planche, p.
313-314.
[70] Coligny n'assistait pas, comme
on l'a vu, à la réunion de Vendôme, Erichs Marcks Gaspard von Coligny,
1893, t. I, p. 350.
[71] Aussi approuva-t-elle, si elle
ne l'inspira pas, la réfutation de la thèse des protestants par Jean du Tillet,
greffier en chef du Parlement de Paris, Pour la majorité du roy tres
chrestien contre les escrits des rebelles, Paris, 1560, in-4° (B. N., Lb.
32). Les protestants répondirent par un Légitime conseil des rois de France
pendant leur jeune aage contre ceux qui veulent maintenir l'illégitime
gouvernement de ceux de Guise, soubs le titre la majorité du roy, ci-devant
publié (Mémoires de Condé, t. I, p. 471 sqq.) Du Tillet répliqua : Pour
rentière majorité du roi tres chrestien contre le Légitime conseil, Paris,
1560 (dans Dupuy, Traité de la majorité de nos rois et des régences du
royaume, Paris, 1655. Preuves, p. 329 sqq., où se trouve aussi, p.
319 sqq., le premier écrit de Du Tillet), Du Tillet maintient que les rois sont
majeurs à quatorze ans, qu'ils règlent, comme ils l'entendent, par testament
les régences ; que les reines-mères sont, par lois et coutumes, préférées aux
princes du sang, en cas de mort ab intestat ; qu'il n'y a pas de régents nés,
qu'on ne saurait sans impugner l'autorité de
François II et de sa mère blâmer le choix qu'ils ont fait des Guise pour
ministres. C'est, dit-il à la Reine-mère, vouloir vous asservir à d'autres non mis ne destituables par
vous, et c'est ce tuteur [forcé] qu'ils amènent et nomment légitime conseil.
Dupuy, Preuves, p. 333.
[72] Bèze partit pour Nérac le 20
juillet (1560) (Calvini Opera Omnia, t. XVIII, col. 98, note 5). Il y
était à la fin de juillet (ibid., col. 154, note 4). Hotman y arriva peu
après lui. Les conférences ont dû avoir lieu soit fin juillet, soit plutôt au
commencement d'août. La consultation est dans La Planche, p. 318-338. Elle est
probablement d'Hotman ; De Ruble, t. II, p. 315. Mais il n'en est pas fait
mention dans l'Essai sur François Hotman, de Rodolphe Dareste, Paris, 1550, ni
dans ses deux articles de la Revue historique, t. II, 1876, p. 1 et p.
367.
[73] De Ruble, t. II, p.336-337,
prête peut-être au roi de Navarre des desseins sans proportion avec son
intelligence et son énergie.
[74] Regnier de La Planche, p.
345-346.
[75] De Ruble, t II, p. 361 et 363.
[76] Lettres, t. I, p. 147.
[77] Louis Paris, Négociations...
relatives au règne de François II, p. 577.
[78] Comte J. Delaborde, Eléonore
de Roye, p. 68 ; De Ruble, Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, t.
II, 1882, p. 370.
[79] Lettres, I, p. 150 (17
octobre 1560).
[80] Le procès de Condé dans le
Comte Delaborde, Eléonore de Roye, p. 81-92.
[81] Lettres de Catherine,
t. I, p. 153.
[82] De Ruble, Antoine de Bonbon
et Jeanne d'Albret, t. II, 1882, p. 427-418.
[83] De Ruble, Antoine de Bonbon
et Jeanne d'Albret, t. II, p. 419.
[84] Regnier de La Planche, p. 401.
[85] C'est ce que raconte de Thou, Histoire,
Londres, 1734, liv. XXVI, t. III, p. 573-574.
[86] De Ruble, Antoine de Bonbon
et Jeanne d'Albret, t. II, p. 434 ne soupçonne pas le jeu.
[87] Regnier de La Planche, p. 415-417. D'après cet historien (p. 416), le Roi lui-même, trois jours avant sa mort, aurait déclaré au roi de Navarre qu'il avait de son propre mouvement et contre leur advis (des Guise) fait emprisonner le prince de Condé.