RENAUD DE DAMMARTIN

 

CHAPITRE IX.

 

 

MAI 1212. — MARS 1213

TRAITÉ D'ALLIANCE ENTRE RENAUD ET JEAN-SANS-TERRE. — NÉGOCIATIONS AVEC LES PRINCES DES PAYS-BAS ET D'ALLEMAGNE. — ENRÔLEMENT DE TROUPES FLAMANDES. — RENAUD REPART POUR LE CONTINENT. — PLAN DES ALLIÉS. RENAUD REVIENT EN ANGLETERRE. — ARMEMENTS DE JEAN-SANS-TERRE.

 

Accompagné du comte palatin Henri et de son frère Simon, le comte de Boulogne se présenta devant le roi d'Angleterre. Il s'acquitta des différentes missions qu'il s'était fait confier : c'en était plus qu'il ne fallait pour que Jean fût convaincu de sa sincérité, et comprit en même temps quel collaborateur précieux lui venait. Sans plus tarder, il se l'attacha par un traité passé à Lameheiam, le 4 mai 1212.

Renaud se déclara son homme lige, jura d e le servir fidèlement, sa vie durant, contre tous ses ennemis, et de ne faire sans lui ni paix ni trêve soit avec le roi de France, soit avec son fils. Son frère Simon, Walo de la Capelle, Hugues de Bétisy, Jean de Lestes et son frère Alain, son maréchal Robert de Dammartin, se portèrent garants de sa parole. Il fournit en outre de nombreux otages : Ide sa femme ; ses neveux, les deux fils de Guillaume de Fiennes ; le fils de Jean de Seninghem ; le fils ou la fille du comte de Chinny ; Simon, fils de Julien de Canewell ; le fils de Daniel de Bétencourt ; le fils d'Ansiau l'échanson ; le fils de Bertin de Colembert ; le frère de Baudouin de Rivière ; et enfin le fils de Guillaume d'Ordre.

Ces otages devaient être livrés le 27 février 1213, jour des Cendres, et vers la fin de l'année 1212, Jean-sans-Terre promit que s'ils lui étaient remis au jour indiqué, il les rendrait quatre ans plus tard ; Renaud exécuta sa promesse ; aussitôt le roi souscrivit l'engagement de libérer les otages à l'expiration du délai convenu, si le Comte de Boulogne lui restait fidèle pendant ce laps de temps, et se conformait aux conditions du traité qu'il avait conclu[1].

De son côté, Jean-sans-Terre s'engagea à ne faire ni paix, ni trêve avec le roi de France ou avec son fils Louis, sans y comprendre le comte de Boulogne, et à lui restituer ses possessions sur le continent s'il parvenait à les reprendre. Au cas où une trêve interviendrait entre la France et l'Angleterre, Renaud de Dammartin serait libre d'y entrer à son gré, à la condition de ne pas forfaire envers Philippe-Auguste. Si la paix était signée, Renaud obtenait la promesse qu'il aurait pour ses domaines les même garanties que le roi d'Angleterre pour les siens. Un grand nombre de témoins figurent au bas de cet acte et lui donnent une importance exceptionnelle.

Le même jour, le roi rendit au comte de Boulogne les manoirs de Dunham, de Kirketon, de Norton dans le comté d'Oxford, de Norton clans le comté de Suffolk, de Bampton, de Ridai, de Wrestlinghall, de Pedinton, d’Ixning, avec les droits et dépendances y afférant. Pour les autres fiefs que Renaud et Ide réclamaient en Angleterre et en Normandie, et qui n'étaient pas encore suffisamment déterminés, Jean-sans-Terre leur donna une rente de mille livres par an, pour trois ans, en attendant que justice leur fût rendue. Des ordres. pour l'exécution immédiate de ces différentes mesures furent expédiés au comte d'Essex, aux vicomtes de Lincoln, d'Oxford, de Suffolk et de Bedford, au prieur de l'Hôpital de Jérusalem, aux trésoriers et aux camériers du roi[2]. Le 26 mai suivant, Renaud reçut 500 marcs d'argent, et le 3 juillet, 40 marcs. A ces deux dates, Hugues de Boves touchait également 500 marcs pour équiper de la cavalerie, et 40 marcs, à titre de don personnel[3].

Les fidèles qui avaient accompagné le comte de Boulogne eurent aussi leur part des libéralités du roi d'Angleterre ; Simon de Dammartin fut gratifié d'un fief d'argent de cent marcs, qui devait cesser de lui étre payé le jour où il entre.- rait en possession des biens héréditaires de sa femme, c'est-à-dire du Ponthieu ; Walo de la Capelle, Jean et Main de Lestes, Alard et Guillaume de Renti, Thomas d'Orchel, Daniel de Bétencourt et un certain nombre de chevaliers flamands, Guillaume de Saint-Omer, Daniel de Courtrai, Henri de Bailleul, Adam de Berghes, Thomas de Bavelinghem et Adam Kiéret reçurent diverses donations (mai et 3 juillet 1212)[4].

Dès le 4 mai, Jean-sans-Terre s'empressa de répondre aux messages que Renaud lui avait transmis. Il importait au plus haut point de profiter de toutes les bonnes volontés qui s'offraient, et de ne pas laisser au roi de France le temps de les influencer en sa faveur. Jean envoya Étienne l'Anglais annoncer au vicomte de Thouars l'arrivée du comte de Boulogne en Angleterre, et les dispositions favorables de l'empereur d'Allemagne. Il fit savoir au comte de Bar qu'il accueillait volontiers son désir de lui rendre hommage. Il écrivit à Gérand de Zanches et aux autres nobles du Hainaut que, suivant l'avis du comte de Boulogne, il était disposé à conclure une alliance avec eux. Il informa Arnoul d'Audenarde, Rase de Gavre et son fils, Gautier et Gérard de Sotteghem, Thierri de Beuvren et leurs amis, qu'il les prenait à son service, à la demande de Renaud de Dammartin[5]. Il répondit à la comtesse douairière de Flandre, Mathilde, qu'il était disposé à lui prêter 3.000 marcs, dès qu'il aurait reçu d'elle, de son neveu Ferrand, des trois villes de Gand, Ypres et Bruges, l'attestation du prêt et l'engagement que le remboursement en serait fait au terme fixé (4 mai)[6].

Toujours le 4 mai, Jean-sans-Terre écrivit au comte de Flandre que le comte de Boulogne lui avait fait part de ses bienveillantes intentions ; que personnellement il était très désireux de conclure une alliance avec lui, et qu'il le priait. de lui envoyer des députés, pour établir d'un commun accord les bases d'un traité. Malgré la promptitude de cette réponse, il fallut de longues négociations avant que Ferrand consentit à s'engager d'une manière formelle et définitive vis-à-vis du roi d'Angleterre ; il fallut aussi la pression des événements, et l'invasion de son territoire par le roi de France ; toute sa conduite démontre qu'il aurait préféré s'entendre avec ce dernier ; ses exigences furent l'obstacle à cette solution ; d'ailleurs Philippe-Auguste était décidé à en finir une fois pour toutes, et ne voulut rien céder de ses prétentions.

En réponse à la lettre du roi d'Angleterre datée du 4 mai, Ferrand lui envoya Guillaume d'Obrichecourt, qui arriva. le 1er juin ; le même, jour Jacob de Calais partait pour remettre au comte de Flandre une lettre par laquelle Jean l'engageait à venir en Angleterre lui rendre hommage, et opérer, à l'exemple de ses prédécesseurs, le relief des fiefs qu'il tenait de lui ; il lui donnait pour cela un sauf-conduit. Jean désirait vivement l'alliance de Ferrand ; ces démarches réitérées en font foi ; dans ses lettres il l'appelle son ami, son cher ami. Dans le courant du mois de juin, il lui dépêcha successivement Thomas de Samford, Jean de Gravelines et Richard de Barnwell. Le 20 juillet, Guillaume Longue-Épée, comte de Salisbury et frère du roi, passa lui-même le détroit pour porter au comte de Flandre un sauf-conduit et l'engager à venir à Douvres. Le 8 août, nouvel envoi de sauf-conduit. Les envoyés de Ferrand sont comblés de cadeaux lorsqu'ils viennent en Angleterre : ainsi Henri de Mauvis reçut une coupe d'argent massif du poids de trois ou quatre marcs. Malgré tout, Ferrand hésitait à se lier définitivement[7].

Quant à Henri de Louvain, il jouait un double jeu depuis déjà longtemps. Il avait fiancé sa fille à Oton en 1198 : mais comme il aspirait à l'Empire, il fit alliance avec Philippe-Auguste le jour où Oton fut couronné. Du chef de sa première femme, Mahaud d'Alsace, la sœur d'Ide de Boulogne. il possédait des fiefs en Angleterre, ce qui le mettait dans la nécessité d'en ménager le roi, tout en restant l'allié de Philippe-Auguste : c'est pourquoi il avait chargé Renaud de bonnes paroles pour Jean-sans-Terre. Ce dernier lui répondit que sur le rapport du comte de Boulogne, il prenait bonne note de son attitude favorable, et l'engagea à soutenir Oton. 'Comme le roi de France donnait tout son appui à Frédéric de Hohenstaufen, sans favoriser l'ambition du comte de Louvain, ce dernier porta secours à Oton, ce qui lui attira l'inimitié de Frédéric. Jean-sans-Terre l'en remercia, et le pria de se rendre auprès de son neveu, si cela lui était possible ; il lui demanda de faire connaître à Godefroid de Louvain, leur intermédiaire, ce qui se passait dans les domaines de l'évêque de Liège, et en outre d'autoriser les chevaliers de sa terre à entrer à son service et à venir rejoindre le comte de Boulogne. En même temps, Arnoul de Rotselaer, sénéchal d'Henri de Louvain, recevait de Jean une lettre de teneur analogue, l'engageant à venir en Angleterre le plus tôt possible. Les relations continuèrent à être assez suivies entre la cour anglaise et le comte de Louvain, dont un varlet, Renier de Werk, était encore à Londres au mois d'octobre, et rejoignait son maître le 29 de ce mois[8].

Avec le duc de Limbourg, les négociations furent simples et rapides : Jean-sans-Terre lui répondit que le comte de Boulogne lui avait transmis sa demande, et qu'il ne demandait pas mieux que d'y faire droit ; il le priait donc de venir en Angleterre le plus tôt possible, pour déterminer quels fiefs devaient lui être rendus. Leduc ne pouvant venir en personne, Sean lui demanda de lui envoyer son fils Waleran avec neuf chevaliers. Le jeune homme débarqua en Angleterre à la fin du mois d'août 1212 ; un messager du roi, Grégoire, alla à sa rencontre ; la question des fiefs réclamés par son père fut aussitôt étudiée et tranchée ; les 20-25 septembre, Hugues de Boves faisait tenir au duc 400 marcs d'argent pour son fief. Le 13 mai 1213, Waleran, demeuré à la cour d'Angleterre, reçut personnellement 200 marcs[9].

Comme autrefois, Jean-sans-Terre se livrait à ses passions, mais elles ne l'empêchaient plus de s'occuper des affaires extérieures comme au temps des guerres de Normandie. Son trône était en jeu ; il consacrait toutes ses forces, toute son activité à tisser la trame dans laquelle il espérait enserrer le roi de France, et l'étouffer. A partir du mois de mai 1212, c'est-à-dire à partir du moment où le comte de Boulogne fut venu se joindre à lui, il envoie des messagers, des ambassadeurs, et en reçoit de tous côtés. Il négocie avec l'évêque de Spire (fin septembre 1212) ; avec le vicomte de Thouars (4 mai, 28 août. septembre, commencement de décembre 1212, 10 avril 1213) ; avec le comte de Loos qui lui envoie des otages (2 juin 1213) ; en mai 1212, il donne audience à un moine limousin qui vient à lui de son pays avec un message confidentiel ; comme il veut soulever le Poitou, car il attaquera le roi de France de ce côté en même temps que par le Nord, il y envoie son fidèle Hubert de Burgh auprès de Juon de la Jaille, et l'échange de lettres est constant entre eux (fin août, 9 septembre, décembre et Noël 1212 ; 7, 8, 9 avril 1213). Il a des ambassadeurs à la cour de Rome. Il trace la ligne de conduite que doit suivre Raymond de Saint-Gilles (octobre 1212 ; avril 1213). Il écrit au roi d'Aragon, espérant provoquer encore une diversion dans le Midi. 11 entretient des relations d'amitié même avec le roi de Hongrie et avec le roi de Norvège ; le comte Absalon de Dacie vient le trouver en Angleterre. Il entretient une correspondance avec les comtes d'Auvergne et d'Évreux, avec le maire et les bourgeois de la Rochelle et de Bayonne. Pour rallier à sa cause le comte de Saint-Pol, il ordonne à ses lieutenants et à ses baillis de le laisser jouir en paix des domaines jadis possédés en Angleterre par ses ancêtres. Il garde le contact avec les chevaliers qui sont venus s'engager à son service et sont ensuite repartis pour le continent. Ainsi fait-il avec Gautier de Bailleul, Guillaume de Fiennes, Robert de Béthune (mars-avril 1213). Nous ne faisons que mentionner ici ses rapports avec Oton IV. Avec les communes de Flandre, il règle sa conduite suivant les circonstances, favorisant leur commerce quand elles sont aux mains de ses partisans, faisant arrêter leurs navires quand elles sont au pouvoir des gens du roi de France[10].

Ses messagers de confiance sont Gautier de Baillolet, Jean de Gravelines et Baudouin de Nieuport. Ils ne font qu'aller et venir entre l'Angleterre et le continent, chargés de missions secrètes (12 août, deux fois en septembre, fin octobre 1212 ; mars, 23 et 25 avril 1213). Il se produisit alors à la cour d'Angleterre un va-et-vient constant, un mouvement ininterrompu de messagers, d'ambassadeurs qui partaient pour les quatre coins de l'Europe ou en arrivaient, et de gens de guerre gascons, flamands, poitevins, allemands, venant prendre du service. L'entourage de Jean avait un aspect pittoresque, extrêmement curieux, avec ce bariolage de races, de costumes et de langage.

Le rôle de messager n'était pas facile à remplir à cette époque, et lorsque Jean-sans-Terre avait une dépêche importante à communiquer, il la transmettait au destinataire par plusieurs porteurs différents, expédiés simultanément par des voies diverses. Il fallait beaucoup d'habileté, de ruse, de sang-froid, pour traverser un pays ennemi sans se laisser prendre ; les embûches et les obstacles se dressaient à chaque pas. L'habit ecclésiastique était un excellent passeport. Certains sont particulièrement adroits et rapides : le moine Grisius mit vingt-quatre jours à faire le voyage d'Aragon en Angleterre. D'autres sont moins heureux : on découvrit toute une correspondance dans le bâton de crosse d'un évêque ; Thierri le Teuton fut arrêté par les gens de Frédéric de Hohenstaufen, et il fallut payer 44 marcs pour sa rançon (20 janvier 1213) ; un envoyé de Jean au duc de Louvain fut pris par le prince Louis (août 1212)[11] ; le 29 avril 1213, Alain Hanselm reçut trois marcs de récompense pour avoir découvert et fait prendre des messagers du roi de France.

Le messager, une fois rendu auprès de Jean-sans-Terre, lui remet les lettres dont il est porteur, et reçoit une somme d'argent à titre d'indemnité. En attendant la réponse, il vient à la cour à époque fixe chercher l'argent dont il a besoin pour son entretien ; cela continue ainsi jusqu'à ce qu'on lui donne _ la réponse ; il reçoit alors des cadeaux en nature ou en argent, .dont la valeur varie suivant la distance qu'il a à parcourir, .ou l'importance de sa mission et du personnage qui l'a envoyé. Vital, un messager du comte de Saint-Gilles, resta de la sorte cinq mois environ à la cour d'Angleterre avant de retourner auprès de son maître, et chaque mois il vint recevoir la somme nécessaire à subvenir aux frais de son séjour[12].

Par bandes plus ou moins nombreuses, on voyait arriver et repartir, lorsqu'ils avaient pris l'engagement de servir le roi, des gens de guerre, chevaliers et sergents, poitevins, gascons, flamands, hennuyers, brabançons, allemands, aventuriers de toutes sortes, dont les plus sûrs certificats d'origine étaient les cicatrices qui les balafraient. Bon nombre de Flamands sont embarqués pour la Normandie, tandis que les méridionaux sont expédiés dans les Flandres. Presque tous ceux qui vinrent des Pays-Bas ou d'Allemagne furent embauchés par Renaud de Dammartin et soldés par Hugues de Boves. Le roi leur adressa lui-même plusieurs appels : le 11 août 1212, il écrivit aux chevaliers de Flandre et du Hainaut pour qu'ils vinssent auprès de lui prendre l'engage. ment de le servir, car il lui était impossible de se rendre auprès de chacun d'eux individuellement. Quelques jours plus tard, un certain nombre d'entre eux abordèrent en Angleterre : Jean leur écrivit de nouveau pour les presser de se rendre en sa présence. En 1213, il envoya une autre lettre circulaire aux chevaliers et sergents de Flandre, pour les prier de venir le plus tôt possible en Angleterre, armés et montés ; il promettait de bien recevoir ceux qui se présenteraient au nom de son justicier, du comte de Boulogne ou de Guillaume Briwerr. Le 26 juin et le 8 juillet, Henri de Ver fut chargé de traiter avec une bande de chevaliers et de sergents flamands aux ordres de Gautier le Buc et de Gautier de Sotteghem, et de leur remettre 500 marcs s'ils entraient au service du roi. Le 11 novembre, une troupe de Brabançons, commandés par Francon d'Arquennes accompagné de quatre chevaliers et de dix-huit sergents, s'en retourna dans son pays, et le vicomte de Kent fut chargé de leur fournir les bateaux nécessaires à leur passage[13].

Ces gens de guerre sont plus ou moins payés, suivant leur importance, leur valeur, leur réputation, leur force. Outre la solde, il arrive que le roi doive fournir tout ou partie de leur équi pement. Le 14 septembre 1212, il fait une distribution de palefrois et de roncins, les premiers valant quarante sous, les seconds vingt sous, à Gislain, Roger et Gautier de Gis-telles à Gautier de Subringham, à Gautier de Courtrai, à Jean Creton, à Ades et à Aleaume de Beauvoir, à Cristian des Prés, à Renard de Humtchies, à Oton de Trasigny, à Henri de Mauvis, à Gautier de Rave, à Henri Hontey et à Gaucher Sororio. En général, ceux qui sont de la même famille s'arrangent pour être enrôlés et combattre ensemble[14].

La solde moyenne des chevaliers est de deux sous par jour. En mai 1213, c'est la somme que touchaient, aux ordres de Renaud de Dammartin et de Guillaume de Salisbury, Gilles de la Hœrst, Bouchard d'Avesnes, Henri de Oldham, Geffroi de Vendosies, Jean, Simon et Gérard Creton, Gautier de Bruile, Adam et Thomas Kéret, Robert et Henri de Wanerans, Albert de Metz, Guillaume Fluchin, Oton et Jean de Wiringen, Henri de Bailleul, Roger de Reling, Lambekin de Rollecourt, Ade le Poitevin, Renard de Vendosies, Nicolas de Cluze, Guillaume de Saint-Orner, Guillaume d'Étaples, Alard et Guillaume de Renti, Baudouin de Saint-Léger, Daniel de Bétencourt, Guillaume de Beauchamp, Jocelin, Geffroi de Montfaucon, Gautier le Bue qui avait trente-cinq sergents avec lui, et Thomas d'Orchies. Nous retrouvons là plusieurs des chevaliers du Boulonnais qui ne quittaient pas leur comte[15].

Non seulement le roi leur faisait des cadeaux, les soldait, les équipait : il fallait encore qu'il payât leur rançon lorsqu'ils étaient faits prisonniers. Ainsi, Lambert de Sauvantin, Guillaume de Saint Orner et plusieurs autres lui avaient coûté 200 marcs le 2 novembre 1204[16].

A ces dépenses venaient s'ajouter les frais de réparation des forteresses, et de leur approvisionnement en vivres et en munitions. Jean-sans-Terre fit réparer et fortifier le château de Bruges, et y entretint une garnison à ses frais. Il fallait s'occuper de la flotte, faire équiper des navires ; d'un seul coup, il fait délivrer, pour fabriquer des cordages et des câbles, 2,200 balancées de fil de chanvre à William de Wrotham, archidiacre de Taunton, qui avait la garde de ses vaisseaux et de ses galères, la charge de les faire construire et armer, la garde des ports, et la superintendance des bâtiments de la marine[17].

Au mois de mai 1212, Renaud de Dammartin, proscrit par Philippe-Auguste et dépouillé de tous ses biens, avait reconquis un rang et une situation qui en faisaient un des personnages politiques les plus influents de la cour de Londres. Il allait de pair avec Guillaume de Salisbury et Guillaume le Maréchal. Le premier usage qu'il fit de cette nouvelle influence fut de satisfaire une rancune personnelle : son caractère vindicatif ne se dément jamais. Il avait retrouvé auprès du roi son ancien sénéchal, celui qu'il avait chassé du Boulonnais, celui dont il avait pris et incendié les domaines, Eustache le Moine, devenu un pirate tout-puissant sur la Manche, propriétaire de fiefs en Angleterre, et servant .à l'occasion d'ambassadeur au roi. Il se mit à le noircir dans l'esprit de Jean-sans-Terre et à lui tendre des embûches ; les rapports des baillis des ports n'étaient pas faits pour .plaider en faveur du pirate. Prévenu à temps de l'orage qui s'amoncelait sur sa tête, Eustache le Moine s'enfuit, et, pour se venger du roi d'Angleterre, alla offrir ses services à Philippe-Auguste, pour lequel il combattit loyalement jusqu'à sa mort[18].

Le rôle qu'allait avoir à jouer le comte de Boulogne était tout tracé : maintenir les alliances déjà scellées, consolider celles qui n'étaient encore qu'ébauchées, s'efforcer d'en contracter de nouvelles, et enfin recruter des troupes. On peut dire qu'il fut la cheville ouvrière de la coalition. Hugues de Boves lui fut adjoint pour la partie financière. Sa situation étant définie, et pour qu'il pût commencer de suite ses opérations, Jean-sans-Terre accorda, dès le 25 mai 1212, un sauf-conduit général à tous ceux qui viendraient en Angleterre avec des lettres de Renaud de Dammartin ou de Hugues de .Boves, pour entrer à son service, à la condition qu'ils ne causeraient aucun dommage aux habitants ni au royaume[19]. Le 1er juin, il écrivit nominativement à vingt-quatre chevaliers de Flandre, pour leur dire qu'il ratifiait par avance, ce que feraient en son nom, pour les engager à son service,. Renaud de Dammartin, Hugues de Boves, Adam Kéret et Guillaume de Cresec[20].

Le comte de Boulogne se mit de suite à l'œuvre ; le 5 juin, il remettait à R. de Glocester, en la Tour de Londres, une, liste de gens de guerre embauchés par lui[21]. Puis il se prépara à retourner sur le Continent, où était son véritable, champ d'action. Il remit l'administration de ses domaines à son maréchal, Robert de Dammartin, son homme de confiance chargé de ses affaires litigieuses, celui qu'il avait mis à la tète de ses fiefs de Normandie, lorsque lui-même était dans le Boulonnais ou à Paris. Robert eut sans doute quelques difficultés avec les gens du roi, car le 22 novembre 1212, Jean ordonna à Henri de Braibourg, aux vicomtes de Suffolk, de Huntindon, d'Oxford, de Nottingham et de Lincoln, de ne pas l'entraver dans l'administration des biens que son maître possédait dans leurs bailliages[22].

Avant son départ, Renaud eut à Roffam une dernière entrevue avec Jean-sans-Terre, qui quitta pendant deux jours la Tour de Londres où il résidait à ce moment, pour s'entendre définitivement sur les démarches que le comte allait tenter. Presque le même jour, Thierri le Teuton s'embarquait pour l'Allemagne[23].

Les grandes lignes du plan des alliés sont désormais bien arrêtées : l'Aragon et le Portugal, décidé par Ferrand, envahiront le Languedoc et la Provence ; l'empereur, Ferrand et le comte de Boulogne, à la tête des contingents flamands, hollandais, anglais et allemands, entreront en Champagne, où devait porter le principal effort de la coalition, tandis que Jean en personne envahirait le Poitou.

Renaud débarqua à Wissant ; il se rendit d'abord auprès de Mathilde, et lui remit la lettre du roi d'Angleterre stipulant les conditions auxquelles il lui avancerait la somme d'argent qu'elle demandait. De là Renaud visita successivement le duc de Louvain, Hugues, évêque de Liège, les comtes de Juliers, de Gueldre et de Namur ; il rencontra Ferrand à Winedale, et rejoignit l'empereur à Aix-la-Chapelle[24].

Avant que le comte de Boulogne l'eût rejoint, Oton avait envoyé en Angleterre son sénéchal Conrad de Wilre, Lambert de Cologne et frère Guillaume de Saint-Audouin qui, le 13 septembre 1212, reçurent 1.000 marcs à son intention ; le 21, son clerc Iwan reçut 20 marcs du roi d'Angleterre pour aller lui annoncer ce payement[25].

Henri de Louvain, le comte de Loos et plusieurs autres seigneurs belges se trouvaient à Aix auprès de l'empereur en même temps que le comte de Boulogne. Ils figurèrent ensemble comme témoins au bas d'une charte par laquelle Oton concédait aux bourgeois de Cologne une entière exemption de tonlieu à Kaiserswerth, Boppard et Duisbourg[26]. Parmi les grands qui formaient la cour de l'empereur, Renaud se trouvait dans un milieu propice pour fomenter la haine contre Philippe-Auguste, faire briller aux yeux des barons allemands le mirage du butin à récolter sur les riches populations de la France, et pour resserrer les liens de la coalition. Le 13 janvier 1213, un nouvel allié vint se joindre aux autres : Guillaume de Hollande se présenta à Nimègue devant Oton, qui lui concéda son comté en pur fief[27].

Par un messager du nom de Russel, le comte de Boulogne tenait Jean-sans-Terre au courant de ce qui se passait à la cour d'Allemagne. L'empereur, de son côté, envoya une seconde fois à Jean Conrad de Wilre, accompagné de Gérard de Rodes, pour lui annoncer la prochaine arrivée d'Henri, comte palatin, de Renaud de Dammartin et de Guillaume de Hollande. Le 28 janvier 1213, le roi d'Angleterre lui fit savoir qu'il avait fait remettre pour lui à ses envoyés 8.000 marcs, plus 500 marcs à Simon Saphir ; il écrivait sa lettre des provinces septentrionales de son royaume, où il se trouvait en ce moment, mais annonçait qu'il s'empressait de regagner le Sud, afin de rencontrer plus vite ceux dont l'empereur lui annonçait l'arrivée, et auxquels il se disposait à faire bon accueil[28]. Cette réponse fut portée à l'empereur par son clerc Guillaume ; l'avant-veille du départ de ce dernier, le roi avait expédié Russel au comte de Boulogne. ll y avait là une sorte de contre-police[29].

Les trois personnages annoncés par Oton n'arrivèrent à Londres qu'à la fin du mois de mars. Le 29, le comte de Hollande s'engagea par traité à fournir à Jean-sans-Terre 25 chevaliers, 500 ou mille sergents suivant les circonstances, et à venir l'assister de sa personne au cas où l'Angleterre serait attaquée. Jean commençait à craindre une descente en son royaume des soldats de Philippe-Auguste. Guillaume de Hollande se reconnut son homme lige, à charge par le roi d'Angleterre de lui servir, ainsi qu'à ses héritiers, une rente annuelle de 400 marcs. Renaud et son frère Simon furent témoins à ce traité[30]. Les 400 marcs furent versés immédiatement aux mains de deux chevaliers du comte de Hollande, Baudouin de Harlem et Hugues de Fornes, et le roi y ajouta 100 marcs d'indemnité pour les dépenses occasionnées au comte par son séjour à Londres. Le 28 avril suivant, on lui envoya encore 300 marcs par Corbin, un valet du comte de Salisbury. Jean venait de bien et dûment sceller une nouvelle et sérieuse alliance, qu'il préparait depuis longtemps, car déjà le 11 novembre 1212, il avait donné l'ordre à son trésorier et à ses camériers de faire remettre au comte de Hollande des sommes d'argent et divers objets de prix[31].

Le comte de Boulogne eut alors tout le temps de rendre compte au roi des détails de sa mission, tandis qu'on se préparait à la guerre, de plus en plus imminente, par des achats d'approvisionnements, de munitions, de cordes pour mangonneaux, de flèches, d'armes de toutes sortes, etc., et par l'envoi des troupes sur leurs points de concentration. Le 3 mars, Jean-sans-Terre avait donné l'ordre à toute sa flotte de se réunir à Portsmouth, et à ses troupes de terre, chevaliers et gens de pied, de se trouver toutes rassemblées à Douvres le jour de Pâques, c'est-à-dire le 14 avril suivant[32].

 

 

 



[1] Rot. chart., 189.

[2] Rot. lit. claus. I, 116, 117. — Rot. Chart., I, 186.

[3] Rot. lit. Claus., 118, 119. — Misœ Rolls, 14th John.

[4] Rot. lit. Claus., 118, 119. — Misœ Rolls, 14th John.

[5] Rot. lit. claus., 129, 130.

[6] Rot. lit. claus., 129, 130.

[7] Rot. lit. pat., I, 93. — Rot. lit. claus., 123. — Rymer, I, 161. — M. R., 14th John.

[8] Rot. lit. pat., I, 93. — Rot. lit. claus., 123. — Rymer, I, 161. — M. R., 14th John.

[9] Rot. lit. pat., I, 93. — Rot. lit. claus., 123. — Rymer, I, 161. — M. R., 14th John.

[10] M. R., 14th John. — Rot. lit. pat., 95, 96. Rot. lit. claus., 130, 134, 145.

[11] Petit-Dutaillis, Étude sur Louis VIII, p. 31.

[12] M. R., 14th John. — Les sultans des provinces du centre de l'Afrique en usent exactement de même avec leurs gouverneurs ; le rôle des messagers est identique, ainsi que la manière dont ils remplissent leurs missions. Nous tenons ce détail de l'explorateur Louis Mizon. Du reste, cette région est soumise au régime féodal, et l'on y rencontre des analogies frappantes avec notre féodalité du moyen-âge.

[13] Rot. lit. pat., 94, 98, 134,145.

[14] M. R., 14th John.

[15] M. R., 14th John.

[16] M. R. — Rot. lit. claus., I, 13.

[17] P. R., 58. — Sir Nicolas Harris, History of royal navy, I.

[18] Ann. de Dunstable, 34. — Hist. de Guillaume le Maréchal, II, 263-267, v. 17365 et suiv.

[19] Rot. lit. pat., I, 93.

[20] Rot. lit. pat., I, 93.

[21] Rot. Chart., 191.

[22] Rot. lit. claus., 127 b.

[23] M. R., 14th John.

[24] Kervyn de Lettenhove, Hist. de Flandre, I, 23. — Jean d'Outremeuse. — Bœhmer, Regesta imperii, Itinéraire d'Oton IV.

[25] M. R.

[26] Bœhmer, op. cit., 142.

[27] Kluit, Historia critica comitum Hollandiœ, II, 344.

[28] Rot. lit. claus., I, 133. — Rymer, I. 52.

[29] M. R.

[30] Kluit, Historia critica comitum Hollandiœ, II, 349. — Rot. Chart., 190 b.

[31] M. R. — Rot. lit. claus., I, 126.

[32] Rymer, I, 10. — P. R., passim.