LES GRANDS MARINS

JEAN BART

 

CHAPITRE II. — LES PREMIÈRES ANNÉES.

 

 

Par suite de quelles circonstances Jean Bart, dunkerquois, servait-il sur la flotte hollandaise ?

Dunkerque, depuis un siècle, avait subi bien des vicissitudes. Sous l'empire de la nécessité, le petit port de pêche du Moyen-Age s'était transformé en un redoutable nid de corsaires. Par suite d'héritages, la ville avait passé de la domination de Bourgogne à celle d'Espagne. Province obéissante, elle resta fidèle au roi lorsque les provinces rebelles s'en détachèrent. La guerre s'ensuivit entre Pays de Par-deçà et Pays de Par-delà, comme on désigna les territoires devenus depuis la Belgique et la Hollande. Sur terre, elle fut cruelle, et sur mer, atroce. On attachait les prisonniers dos à dos pour les jeter à la mer ; cela s'appelait leur laver les pieds. On enfermait les équipages dans l'intérieur des navires, on clouait les écoutilles et on en faisait un feu de joie.

Les rebelles, les Gueux de mer, molestèrent les pêcheurs dunkerquois, les emmenèrent prisonniers, en pendirent aux remparts de Flessingue. Les pêcheurs se défendirent, puis attaquèrent à leur tour. Ils le firent avec maestria. Bientôt, on vit les corbeaux picorer les corps des Gueux qui se décomposaient aux crocs de fer de la vieille tour du Leughenaer. Bientôt, l'escadre des corsaires dunkerquois terrorisa la marine de Hollande. Philippe II accabla de biens et d'honneur, de chaînes d'or et de grades ceux qui la commandaient. Il l'envoya combattre jusque dans les mers Ibériques et dans la Méditerranée. Elle y promena victorieusement le pavillon de Bourgogne sous lequel elle naviguait toujours, et le pavillon des corsaires de Dunkerque, blanc chargé au milieu d'une croix bleue. Elle jeta quelques rayons de gloire sur la marine espagnole défaillante.

L'autorité, l'Amirauté ne tracassaient pas les corsaires. Armateurs, capitaines, pagadors, contadors, tous gagnaient de l'or et une solide réputation de pirates. Aussi lorsque le marquis de Lede, gouverneur de la ville pour le roi d'Espagne, capitula devant le prince de Condé, le 11 octobre 1646, les marins dunkerquois craignirent que le roi de France ne leur permît plus d'exercer leurs talents avec la même liberté : ils laissèrent au nid femmes et enfants et s'engagèrent sur les navires de leurs anciens ennemis.

Le comte d'Estrades, gouverneur pour le roi de France, perdit à son tour la ville le 11 septembre 1652. Pendant cet intervalle de domination française, Jean Bart y vint au monde. Le 24 juin 1658, Turenne la reprit sur le marquis de Lede avec le concours de la marine anglaise. Suivant les conventions, Dunkerque, ce jour-là, appartint le matin au roi d'Espagne, au roi de France à midi, et le soir même au roi d'Angleterre aux mains de qui Louis XIV en opéra la remise. Habilement, il profita des embarras d'argent de Charles II pour la lui racheter le 27 octobre 1662, et la conserva définitivement. Il proclama qu'il mettait un terme aux piratteries des Dunkerquois, cependant que Colbert annonçait son intention d'en faire un des meilleurs ports de l'Océan.

Et voilà pourquoi Jean Bart, à l'âge de seize ans, suivit l'exemple de ses nombreux parents et des autres marins dunkerquois, et s'en alla faire ses premières armes sous le grand amiral Michel de Ruyter.

C'était pour eux une ancienne connaissance. Dès le début de sa carrière, ils avaient eu affaire à lui. Ils le savaient plein de courage, de valeur maritime, et de ruses. Ils se rappelaient ce jour de l'an 1647 où Ruyter, seul de tout un convoi qui n'osait quitter le port anglais où il s'était réfugié par crainte des Dunkerquois, osa gagner le large sur un navire dont la cargaison comportait du vieux beurre gâté. Il en enduisit abondamment son pont et laissa le premier capre dunkerquois qu'il rencontra y prendre pied sans trop le lui disputer. Mais le beurre avait rendu le pont si glissant que les assaillants ne trouvaient point de prise ferme et ne pouvaient se tenir debout. Ils glissaient et tombaient les uns sur les autres comme s'ils eussent été sur une glace ; de sorte qu'après un léger combat, il fut aisé de les chasser. Tels furent les modestes débuts de celui qui devait devenir l'un des plus grands marins de son temps. Ses anciens adversaires n'eurent aucune peine, dans les circonstances présentes, à se ranger sous ses ordres.

La paix signée, il reste en Hollande. Lui et un autre fils de corsaire dunkerquois, Charles de Keiser, forment une équipe de deux amis, deux inséparables. Keiser a cinq ans de plus : n'importe, c'est le cadet qui commande. Il est le premier à se moquer des édits du roi désireux de repeupler Dunkerque de gens de mer, et qui rappellent ceux qui servent à l'étranger sous menace de confiscation de leurs biens. Qu'importe aux deux jeunes gens, aussi légers de biens que de soucis ? Mais le jour, 6 avril 1672, où Louis XIV déclare la guerre à la Hollande, le jeu devient sérieux : ils se hâtent de regagner leur ville natale.

Dès que le roi entra en possession de Dunkerque, Colbert poursuivit avec énergie, avec ténacité, avec beaucoup d'intelligence et de souplesse, le but que tous deux s'étaient assigné : reconstituer l'escadre de course grâce à laquelle les Espagnols avaient causé d'immenses dommages à leurs ennemis anglais et hollandais ; pour y parvenir, il fallait, en leur ôtant toute crainte sur la façon dont ils seraient traités par leur nouveau maître, attirer à Dunkerque les équipages nécessaires : l'intendant de la Marine, dans sa correspondance, ne tarissait pas sur la qualité et la bravoure des marins dunkerquois. Ils sont rudes, mais il n'y a pas de meilleurs matelots au monde ; ils savent tous tirer le canon et peuvent servir de soldats. Il fallait faire tomber leur méfiance entretenue par la propagande anglo-espagnole. Il fallait encore mettre à leur disposition l'outil nécessaire.

Or, si la ville possédait déjà le précieux observatoire que constituait la fameuse Tour de Saint-Eloi, les deux vierboets, phares où brûlaient des feux qu'entretenait le Magistrat, et la tour du Leughenaer, la tour du Menteur qui servait de point de direction aux navires entrant au port et, à l'occasion, de gibet, le port était dans un état lamentable. Pendant les derniers temps de leur domination, les Espagnols s'étaient contentés de poser quelques fascinages pour arrêter le sable des dunes. Pendant huit ans, tout l'effort des Anglais porta sur les fortifications de terre ; ils négligèrent complètement le côté maritime, et pour cause. Si bien qu'au début de la guerre de Hollande, le port n'offrait plus que neuf pieds d'eau à la pleine mer. Les navires que les armateurs, faute de place, abritaient dans la fosse de Mardick, y restaient exposés aux insultes des petits corsaires ennemis, jusqu'au jour où l'ensablement de la fosse les priva de cette ressource. Alors les prises des corsaires s'accumulèrent dans le port trop étroit ; bien des armateurs, qui les avaient utilisées, en furent réduits à les mettre en vente : les Anglais les achetèrent à moitié de leur valeur. En 1676, à l'entrée de l'hiver, le port est si extraordinairement plein de navires qu'il n'y a nul moyen d'y entrer et sortir et l'intendant de la Marine frémit en songeant aux dangers d'incendie.

Colbert envoya en mission deux ingénieurs chargés d'inspecter le port ; lorsqu'il reçut leur rapport, il avait déjà fait commencer les fortifications de terre les plus urgentes. Sur ses ordres, on mena les travaux du front de mer, génialement conçus, avec une incroyable activité. Vauban en fut le grand metteur en œuvre.

Alors, en six ans, Jean Bart va conquérir la célébrité.

La première année, il s'embarque avec son ami Keiser, l'un comme simple matelot et l'autre comme officier marinier. Le premier, Keiser obtient d'un armateur le commandement d'une frégate. Jean Bart est choisi comme lieutenant et capitaine de prise par Willem Dorne, un marin consommé, un vieux routier de la guerre de course.

Dorne lui inculque lés bonnes méthodes, celles mêmes que Colbert citait en exemple aux corsaires malouins : insoucieux du danger, connaissant comme le fond de sa poche celui de la mer du Nord dont les bancs rendent ces parages si dangereux aux navigateurs, il ne quitte pas la côte de Hollande. Sans se lasser, il croise devant les débouchés de la Meuse, du Texel et du Vlie, et rafle tous les marchands qui tombent sous sa griffe. A-t-il affaire à quelque bâtiment de guerre ? Il ne s'arrête pas à le canonner, et l'aborde. Rarement il navigue seul. Pratique constante des corsaires de Dunkerque : ils signent avant le départ des contrats de société, au gré de leurs affinités ; ils mettent à la voile de conserve ; si les événements de mer les séparent, ce qui arrive fréquemment, ils se joignent à d'autres au hasard des rencontres. Les Mers Etroites, comme ils désignent la Manche et la mer du Nord, en sont sillonnées, et ces petites escadres se forment et se défont pour tenter une aventure, risquer un coup de fortune, quitte à recommencer plus loin avec de nouveaux éléments et courir à une nouvelle entreprise.

Leur première campagne finie, Willem Dorne vante à ses armateurs la conduite et la bravoure de son lieutenant. Il lui obtient son premier navire. Rien d'un vaisseau de ligne : une modeste galiote de trente-cinq tonneaux, deux canons et trente-quatre hommes, le Roi-David. Une première et courte croisière rapporte sept prises valant 260.000 livres. Du coup, l'armateur confie à Jean Bart les soixante tonneaux, les huit canons et les quatre-vingts hommes de la Royale et, l'année suivante, la Palme, qui jauge cent vingt tonneaux et porte dix-huit canons et cent soixante hommes : l'ascension est rapide. Trois ans plus tard, Jean Omaer, un de ces magnats de l'armement qui érigent des fortunes colossales et deviennent des puissances, lui octroie d'abord le Dauphin, que le jeune capitaine ne juge pas assez puissant pour les desseins qu'il médite, et enfin le Mars, une superbe frégate de deux cent cinquante tonneaux et vingt-six canons.

Plus on augmente ses moyens d'action, plus ses exploits développent d'envergure. Avec Willem Dorne, Charles de Keiser et Pierre Lassy qui fut d'abord son lieutenant sur le Roi-David, il sillonne la mer du Nord dans tous les sens. Il ne se borne pas à capturer et à rançonner des marchands. Le 11 septembre 1674, il attaque un baleinier fort de huit canons et quarante hommes, tue le capitaine et ramène au port un chargement de onze baleines valant 95.000 livres. Le 21 janvier 1675, à la barbe d'une frégate de l'Amirauté de Frise, l'Espérance, il enlève un des trois navires marchands qu'elle escorte. Elle court sur lui pour l'obliger à lâcher prise. Elle est plus forte que lui. Il fonce sur elle, supprimé son infériorité en artillerie en montant à l'abordage, tue le capitaine, le lieutenant et dix-huit hommes, et la frégate ennemie, pavillon renversé, vient s'amarrer au quai de Dunkerque.

Un premier écho de ses exploits parvient à Versailles. Ce capre dunkerquoiscapre est le mot flamand qui désigne les corsaires — est fort jeune, courageux ; il était moins fort de canons que l'autre, écrit l'intendant de la Marine, sans encore le nommer.

Et sur ce premier succès, Jean Bart se marie. Entre deux croisières, il est tombé amoureux de la fille de l'hôte de l'Etoile d'Or, une bonne hôtellerie située près du port, où les capitaines corsaires voisinent avec de notables ecclésiastiques. Nicole Gouttières, dont son frère Jacques épousera la sœur Catherine, a seize ans, et lui vingt-quatre. Le curé de Saint-Eloi célèbre leur union le 3 février 1675. Le premier artisan de sa fortune, Willem Dorne, qui périra six mois plus tard dans un combat de mer, signe comme témoin au registre de catholicité.

Six semaines de lune de miel, et il reprend la mer. En compagnie de Keiser et d'un autre capitaine, Alexandre Jacobsen, il prend après combat les Armes-de-Hambourg, dont les douze canons n'ont pas suffi à défendre un chargement de dents d'éléphants, de poudre d'or et de sucre, que les juges d'Amirauté de Dunkerque liquident pour les capteurs au chiffre de 112.000 livres. On fait rendre gorge au lieutenant de Keiser qui, lors de l'amarinage, s'est adjugé l'un des sacs d'or.

En août, Bart et Keiser surveillent deux cents barques d'Enkhuisen dont six navires de guerre protègent la pêche. En deux flottes de vingt-cinq et vingt-huit barques, celles qui ont leur plein de poisson se détachent pour rentrer au port sous l'escorte de deux frégates de douze canons et de quarante-huit hommes chacune, le Lévrier et la Bergère. Nos corsaires enlèvent successivement le Lévrier avec trois des barques, et la Bergère avec douze.

En septembre, une grande flûte dont le chargement vaut 185.000 livres, l'Arbre-de-Jessé, passe en vue de Jean Bart, d'Alexandre et d'Antoine Jacobsen : ils se lancent à ses trousses et s'en emparent. Une violente tempête s'élève. Il faut fuir devant l'ouragan. Jean Bart va s'échouer à l'embouchure de l'Elbe. Il se remet à flot, mais le voilà dans les eaux de quatre vaisseaux de guerre et d'une frégate de Brandebourg. Ils lui appuient une chasse serrée et le forcent à se réfugier à Hambourg. Là, comme on découvre à son bord une partie de cuivre provenant de la cargaison du Chêne, un navire hambourgeois enlevé par des corsaires de Dunkerque, on confisque sa frégate et les papiers du capitaine de l'Arbre-de-Jessé que l'on y découvre. Il s'estime heureux d'être relâché avec son équipage après restitution du cuivre, et grâce à l'intervention du chevalier de Terlon, ambassadeur du roi en Suède, et de se tirer sans autre dommage de ce mauvais pas.

Un beau jour du printemps suivant, un vol de frégates s'élance de la rade de Dunkerque vers le large : Jean Bart sur le Palme, Keiser sur le Grand-Louis, Alexandre Jacobsen sur le Dauphin, Pierre Lassy sur l'Ange-Gardien, et Michel Mesmacker sur le Saint-Michel. La nuit même, ils forcent à s'échouer à la côte de Nieuport une pinasse de dix canons dont l'équipage se sauve à terre. Ils la renflouent et l'expédient à Dunkerque. Au jour, ils donnent dans un convoi de huit bélandres escortées par deux frégates ostendaises de vingt-quatre et vingt-huit canons, et une flessinguoise, la Tholen, de dix-huit canons. Ils se partagent la besogne : Jacobsen et Mesmacker, les plus faibles, amarinent les bélandres ; Lassy essuie le premier feu de la Tholen, que Bart et Keiser attaquent : encore un capitaine ennemi tué ; la frégate se rend, les deux ostendaises se sauvent et les huit bélandres mettent le cap sur Dunkerque.

A l'automne, Jean Bart croisait seul au large d'Ostende, en quête de quelque proie : loin de là, c'est un vaisseau de guerre hollandais qui surgit, le Neptune, de trente-deux canons. La Palme est moitié moins forte. Comment se tirer de là ? En attaquant. Le Neptune s'efforce d'éviter l'abordage et de tenir son adversaire sous le feu de ses batteries. Jean Bart, fin manœuvrier, réussit à lui lancer ses grappins et à l'accrocher. Il prend pied sur le pont du Neptune, blesse dangereusement le capitaine, lui tue vingt hommes et ne vient à bout du reste qu'après une lutte acharnée.

Messieurs les Etats-Généraux des Provinces-Unies ont quelque motif de voter la résolution par laquelle ils le recommandent spécialement aux bons soins de leurs amiraux Schepers et Van Nes. Quant à Louis XIV, habile à discerner le mérite, celui de Jean Bart ne lui échappe pas. Par son ordre, Colbert expédie à l'intendant de la Marine Hubert la première chaîne d'or que, depuis qu'il est maître de Dunkerque, le roi ait destinée à un corsaire. Sa Majesté, dit le ministre, est bien aise d'apprendre qu'un capre de Dunkerque, commandé par le capitaine Bart, ait pris un vaisseau de guerre de Hollande de trente-deux pièces de canon. Comme il est important d'exciter lesdits capitaines à continuer la guerre qu'ils font aux Hollandais, il trouvera ci-joint une chaîne d'or que Sa Majesté a bien voulu accorder au capitaine Bart pour récompense de l'action qu'il a faite. L'intendant convoque le jeune capitaine à l'hôtel de la Marine, lui transmet les félicitations royales, avec la chaîne d'or. Jean Bart reçoit le tout avec grande joie. Voilà qui donne envie aux autres de l'imiter en ses belles actions. Du reste, Hubert observe qu'une bonne partie des gens de mer de ce port, si le roi voulait les utiliser, se soumettraient volontiers à obéir à Jean Bart. Sa bravoure et sa manière de commander, quoique peu expérimenté, lui ont donné quelque créance parmi eux. C'est-à-dire que le jeune capitaine s'est révélé comme un chef.

Chasses, canonnades, prises et rançons forment le menu de sa vie quotidienne, entrecoupé de combats. Au début de mars 1677, sur le Dauphin, il s'occupait, en compagnie de Keiser et de Soutenaie, à opérer une rafle de pêcheurs hollandais. Soutenaie sert d'avant-garde à ses deux camarades : soudain le Schiedam, frégate de l'Amérauté de Rotterdam, forte de vingt-quatre canons et quatre-vingt-quatorze hommes, en route pour assurer la garde des pêcheurs, fond sur lui. Jean Bart s'interpose, reçoit la bordée de l'ennemi, l'aborde par côté cependant que Soutenaie élonge le Dauphin pour le renforcer de monde, et que Keiser l'aborde en poupe. La lutte dure une heure et demie. Le pont de la frégate hollandaise ruisselle de sang. Elle compte cinquante tués et blessés lorsqu'elle se décide à se rendre. Jean Bart, cette fois, est touché : le visage et les mains brûlés, le gras des jambes emporté par un boulet. La convalescence ne se prolonge guère : au printemps de 1678 et l'été jusqu'à la paix de Nimègue, il croise en course sur le Mars, cette grande et belle frégate qu'il obtient de l'armateur Omaer. La paix interrompt ses exploits.

Depuis cinq ans qu'il commande des corsaires, il a livré dix combats dont quelques-uns fort vifs, enlevé quatorze navires fortement armés, et ramené quatre-vingt une prises et rançons. A chaque abordage, il a invariablement marché droit au capitaine ennemi, et l'a tué ou grièvement blessé.

Louis XIV attire à son service les serviteurs de cette trempe. Il incorpore Jean Bart dans la Marine royale. Le 5 janvier 1679, il signe une promotion de lieutenants de vaisseau : le nom de Jean Bart figure le douzième sur cette liste.

La carrière de son ami Keiser sera moins brillante ; son intempérance en sera cause. A l'automne de 1690, il commandait la Serpente et naviguait en compagnie du corsaire Doublet, montant la Sorcière. Une nuit, Doublet entend une canonnade : il court au secours de son compagnon ; il trouve Keiser très blessé, trente de ses hommes tués, presque tout le reste blessé, et la Serpente dans un état pitoyable. Keiser demande à Doublet de l'accompagner jusqu'à Dunkerque. Qu'avait été ce combat ? Le rapport de mer de Doublet n'en dit rien ; celui de Keiser n'existe pas ; mais Doublet s'est montré plus loquace dans son Journal : Je m'embarquai dans ma chaloupe et fus à son bord, dit-il ; je trouvai bien de la consternation ; et ledit capitaine Keiser tout étendu sur le plancher de sa chambre ayant une épaule toute fracassée, jurant et reniant comme un désespéré, et ivre. Je n'en pus tirer de bonnes raisons ; je sortis sur le gaillard et interrogeai le second capitaine, qui était moins ivre. Keiser, pris d'eau-de-vie, négligeant de se parer au combat, avait hélé un navire surgi de la nuit, qui répondit de ses bordées et disparut, après l'avoir mis en ce triste état. A partir de ce moment, et tandis que Jean Bart monte vers les sommets, le compagnon de ses débuts ne servira plus qu'en sous-ordre sur des vaisseaux du Roi ; sa santé est ébranlée ; malgré les premières promesses de sa carrière, il n'en accomplit qu'une très médiocre.