POLITIQUE DE VERCINGETORIX : UNION NATIONALE DES CITÉS DE
§ I. — Politique de César chez les Éduens, conférence de Decetia. Labienus détaché en expédition contre les Sénons et les Parisiens. César se porte chez les Arvernes. Nous reprenons le récit de César après le siège d'Avaricum (Bourges), ville principale des Bituriges. César est encore actuellement dans cette place, qu'il vient d'enlever par surprise. L'heureux vainqueur y est au milieu des cadavres de quarante mille défenseurs ou habitants, percés du glaive romain, tous pêle-mêle, jusqu'au dernier enfant à la mamelle. L'ardeur des légionnaires au carnage est enfin assouvie, et maintenant c'est de butin qu'ils ont soif. Dans leur fureur, ils n'ont pas songé que, s'ils eussent réservé cette multitude de malheureux Gaulois pour l'esclavage, ils eussent pu les vendre à gros prix d'or. Il ne leur reste donc plus qu'à tourner et à retourner tous ces cadavres noyés dans le sang, pour y chercher quelque objet précieux, quelque bijou à emporter. Puis ils fouillent toutes les maisons, où, du moins, ils trouvent des vivres en abondance, et ils s'en rassasient à loisir, jusqu'à ce que les exhalaisons pestilentielles les forcent à s'éloigner. Quant à Vercingétorix, il est dans le voisinage d'Avaricum, où il vient de recueillir au sein de son armée les quelques hommes échappés au massacre. Il ne laisse faiblir dans le cœur de ses rudes Gaulois ni le courage ni l'espoir. Ce qu'il les engage surtout à considérer dans cet affreux désastre, c'est un enseignement et pour eux et pour lui-même : pour eux, qui n'ont pas voulu déférer à son avis d'incendier la ville d'Avaricum, plutôt que d'avoir à la défendre contre fart irrésistible des Romains dans l’attaque des places, art dont eux, Gaulois, n’ont aucune connaissance ; pour lui-même, qui a montré trop de condescendance à leurs prières, trop de compassion pour les souffrances de cette pauvre population de la ville, qui devait presque tout perdre dans l'incendie, et qui maintenant n'existe plus. Mais il compte, dit-il à son
armée, réparer bientôt ce désastre par des
avantages d'une plus grande importance pour Nous saluons de nouveau, dans ces paroles de l'intrépide et sage Gaulois, la première apparition de notre UNITÉ NATIONALE, et nous continuons de présenter le récit même de César. Cette allocution de Vercingétorix ne déplut point aux Gaulois, surtout parce qu'ils lui voyaient le cœur ferme en face d'un si grand désastre, qu'il ne s'était point retiré à l'écart, et qu'il n'évitait point les regards de la multitude, lis l'estimaient d'autant plus capable de prévoir et de pressentir les événements, que tout d'abord il avait émis l'avis d'incendier Avaricum, et ensuite de l'abandonner. C'est pourquoi, autant les revers éprouvés diminuent l'autorité des autres chefs d'armée, autant pour lui, tout au contraire, après ce désastre, le respect des siens augmentait de jour en jour. En même temps, ils auguraient bien de l'assurance qu'il leur avait donnée, de faire entrer dans l’union toutes les autres cités qui restaient encore séparées. Ce fut à cette époque, pour la première fois, que les Gaulois se décidèrent à fortifier leurs camps ; et ces hommes, si peu accoutumés aux travaux de ce genre, furent tellement émus de la situation, qu'ils se résignèrent à supporter tout ce qu'on voulut leur commander. Et aussi, comme il l'avait
promis, Vercingétorix s'appliquait à faire entrer les autres cités dans
l'union, et y attirait leurs princes par ses dons et ses promesses. Pour cela,
il avait soin de s'adressera des hommes convenablement choisis et qui, tous,
fussent disposés à se laisser facilement prendre par ses discours captieux ou
par son amitié[1]. Il fait armer et habiller les réfugiés d'Avaricum. En
même temps, pour réparer ses pertes, il demande aux cités des contingents
de soldats dont il fixe le nombre, en indiquant aussi la date avant
laquelle il veut qu'on les amène dans son camp, il ordonne qu'on lui envoie
tous les archers qu'on trouvera, et ils étaient très-nombreux en Gaule. De
cette manière, les pertes éprouvées à Avaricum sont promptement réparées. Sur
ces entrefaites, Theutomat, roi des Nitiobriges, fils d'Ollovicon,
appelé par le sénat l’ami du peuple romain, vient se joindre à
Vercingétorix avec un grand nombre de cavaliers de sa cité et avec d’autres
encore qu'il amenait de l’Aquitaine[2]. César, ayant trouvé à Avaricum beaucoup de blé et d'autres vivres, y laissa l’armée pendant un certain nombre de jours, pour se reposer de ses fatigues et se refaire de la disette qu'elle avait endurée. L'hiver touchait à sa fin, la
saison l'appelait à entrer en campagne, et il s'était décidé à partir de là
pour aller ou relancer f ennemi dans ses marais, ou l'écraser dans
ses places, lorsqu'il lui arrive une députation de princes éduens qui
le supplient de venir en aide à leur cité, où son intervention est plus que
jamais nécessaire. Ils lui expliquent dans quel péril extrême s'y trouve
la chose publique, attendu que, contre la coutume traditionnelle, qui veut que
chaque année un seul magistrat soit nommé et garde le pouvoir suprême pendant
l’année, deux magistrats à la fois sont actuellement en fonctions, et que
chacun des deux prétend être nommé conformément aux lois de la cité ; que
l'un, Convictolitave, est un jeune homme dans la fleur de l'âge
et déjà illustre ; que l'autre, Cote, né d'une famille très-ancienne,
est lui-même un homme de la plus grande influence, qui a de grandes
alliances de famille, et dont le frère Vedeliac avait exercé la même
magistrature l’année précédente ; que toute la cité a pris les armes ;
que le sénat est divisé ; que le peuple aussi est divisé suivant les
clientèles qui appuient chacun des deux compétiteurs ; que si la discorde est
plus longtemps fomentée, les deux partis vont en venir aux mains dans la cité
; qu'il dépend de sa diligence et de son autorité de prévenir un tel malheur. Bien que César considérât comme très-préjudiciable de laisser du répit à l’ennemi et de s'en éloigner, néanmoins, n'ignorant pas quels maux naissent ordinairement des dissensions ; craignant qu'une cité si considérable et si étroitement attachée au peuple romain, que lui-même il avait toujours soutenue et obligée en toutes choses, n'en vînt à la violence et aux armes, et que le parti qui avait moins de confiance en lui n’appelât Vercingétorix à son aide, il pensa qu'il fallait avant tout aplanir ces difficultés[3]. Et, attendu que les lois des Éduens
ne permettaient pas à ceux qui exercent la magistrature suprême de sortir du
territoire de la cité ; ne voulant pas paraître avoir porté atteinte à leur
droit ni à leurs lois, il prit le parti de se rendre lui-même chez les Éduens
et il convoqua auprès de lui, à Decetia (Decize), tout leur sénat avec les
compétiteurs et leurs partisans. Presque toute la cité s'y étant rassemblée, il
fit appeler en secret un petit nombre de personnes qui lui apprirent que
Cote avait été proclamé par son frère dans un autre lieu et à un autre moment
que le lieu et le moment obligatoires, et bien que les lois défendissent
non-seulement que deux membres d'une même famille fussent nommés magistrats
du vivant de l’un et de l'autre, mais encore qu'ils fussent tous les deux
admis dans le sénat. Sur quoi, César força Cote à déposer la magistrature
et en investit Convictolitave qui avait été nommé par les prêtres,
suivant la coutume de la cité, et par l’entremise des anciens magistrats. L'affaire ainsi arrangée, IL EXHORTA LES ÉDUENS à oublier leurs querelles et leurs divisions, et a tout
laisser DE CÔTÉ POUR SE
CONSACRER ENTIÈREMENT AUX SOINS DE CETTE GUERRE ; ET À ÊTRE BIEN ASSURÉS QUE,
UNE FOIS Après quoi, César divisa l'armée en deux corps : l’un, de quatre légions, qu'il confia à Labienus pour aller en expédition contre les Sénons et les Parisiens ; l'autre, de six légions, qu'il mena lui-même contre les Arvernes, en se dirigeant tout le long de l'Allier sur Gergovia[5]. Il donna une partie de la cavalerie à Labienus et il garda l'autre. Informé de cette marche de l'ennemi, Vercingétorix fait couper tous les ponts de l'Allier, et se met aussi en mouvement sur la rive opposée (rive gauche), accompagnant César sans le perdre de vue, et campant à chaque étape en face de lui. Interrompons ici un instant le récit de César. — Cette
partie des Commentaires qu'on vient de lire confirme tout à fait, on
doit le reconnaître, tout ce que nous avions induit de divers passages
précédents concernant la politique de Vercingétorix dans la cité éduenne. On
voit maintenant à découvert la tactique de l'ennemi et celle du défenseur de Nous venons de laisser le
vainqueur d'Avaricum se dirigeant de Decetia sur Gergovia, avec
six légions et une partie de sa cavalerie, jointe à toute la cavalerie des
Éduens ; il remonte le long de l'Allier, sur la rive droite, en face de
Vercingétorix qui, sur la rive gauche (où
est située Gergovia), le surveille dans
l'intention de l'empêcher de passer la rivière. Mais César trompe les regards
de Vercingétorix et réussit à passer l’Allier par derrière. Aussitôt que le
chef gaulois en est informé, ne voulant pas être forcé à accepter la
bataille contre sa volonté, il prend l'avance par de grandes marches et
va attendre César à Gergovia même. César, en cinq étapes depuis qu'il a passé l’Allier, arrive devant Gergovia. Il engage une escarmouche de cavalerie et reconnaît avec soin la position de la place. Elle occupait le sommet d’une montagne très-élevée et avait tous ses abords difficiles ; si bien qu'il désespéra de l'enlever d'assaut ; quanta en faire le siège, il ne voulut pas l'entreprendre qu'il n'eût préalablement pourvu à l'approvisionnement de vivres. Vercingétorix, de son côté, avait établi son camp sous le rempart de l’oppidum, au versant même delà montagne, et il occupait toutes les collines qui s'en détachent. On commence par se tâter, de part et d'autre, dans quelques escarmouches. César enlève une position forte qui se trouve en face de l'oppidum au pied même de la montagne, y établit deux légions, et la rattache à son camp par un double fossé de douze pieds de largeur. § II. — Échec politique éprouvé par César chez les Éduens. Assaut malheureux livré à Gergovia : départ rapide de César dans la direction du nord et passage de l'Allier. Pendant que ces choses se passent
devant Gergovia, Convictolitave, à qui César avait attribué le pouvoir
chez les Éduens, comme nous l'avons indiqué plus haut, gagné par l’argent
des Arvernes, s'abouche avec quelques jeunes gens à la tête
desquels étaient Litavic et ses frères, jeunes gens de très-grande famille.
Il partage avec eux la somme reçue, et il les exhorte à se rappeler qu'ils
sont des hommes libres et nés pour le commandement ; que la cité
éduenne, elle seule, tient en suspens la victoire infaillible des Gaulois
unis, et que, dès qu'elle aura passé de l'autre côté, les Romains ne
pourront se maintenir en Gaule ; ajoutant que personnellement il garde le
souvenir de quelques actes de César en sa faveur, sans que cependant il ait
obtenu de lui rien qui ne fût très-juste, mais que cela ne saurait balancer,
à ses yeux, ce qu'il doit à la liberté commune. Pour quelle raison, en effet,
les Éduens, en désaccord sur leur droit et leurs lois, seraient-ils obligés
de s'en remettre au jugement de César, plutôt que ne le sont les Romains, en
pareilles circonstances, de recourir et de se soumettre à l'arbitrage des
Éduens ? Aussitôt ces jeunes gens, entraînés par le raisonnement du
magistrat et par l’argent[6], déclarent qu'ils sont prêts à prendre l’initiative de ce
qu'il proposera. Et tous étant bien convaincus que la cité ne se laissera pas
facilement entraîner à entreprendre la guerre, ils cherchent quelque moyen de
l'y pousser. A cet effet, ils décident que Litavic sera mis à la
tête de ces dix mille hommes qu'on doit envoyer à César comme auxiliaires,
qu'il se chargera de les conduire, et que ses frères le devanceront
promptement auprès de César ; et ils arrêtent d'un commun accord tous les
détails d'exécution de leur projet. Ainsi nous ne pouvons plus conserver le moindre doute sur
le succès actuel de la politique gauloise chez les Éduens. Évidemment le
magistrat que César y avait élevé de sa propre autorité au pouvoir suprême se
trouve actuellement entraîné par l'opinion publique qui pousse à la liberté
de Litavic part donc avec les dix mille hommes d'infanterie éduenne, et, parvenu à environ trente milles de Gergovia, tout à coup il fait assembler les troupes, et, s'adressant à elles : Où allons-nous, s'écrie-t-il, soldats éduens ? Toute notre cavalerie et toute notre noblesse ont péri ; deux princes de notre cité, Eporedorix et Virdumare, accusés de trahison, ont été jugés et mis à mort. Apprenez tout cela des hommes que vous voyez, qui ont échappé au massacre. Car pour moi, qui ai perdu mes frères et tous mes proches, la douleur m'empêche de vous raconter comment la chose s’est passée. On fait avancer ces hommes à qui Litavic avait fait la leçon, et qui donnent à la multitude des explications conformes à ce qu'il vient de dire : à savoir, que beaucoup de cavaliers éduens ont été massacrés, sous prétexte qu'ils avaient des intelligences avec les Arvernes ; qu'eux-mêmes ils n'ont échappé au massacre que par la fuite, en se cachant parmi la multitude des troupes. Tous tes soldats éduens se récrient, et supplient Litavic de pourvoir à leur salut. En vérité, s'écrie-t-il, avons-nous à délibérer ? avons-nous un autre parti à prendre que daller en toute hâte nous unir aux Arvernes à Gergovia ? Pouvons-nous douter qu après leur acte abominable, les Romains n'accourent vers nous pour nous massacrer ? Si donc nous avons un peu de courage, vengeons la mort de ceux viennent de périr si indignement et tuons ces brigands[7]. Il désignait des citoyens romains qui étaient là de confiance sous la protection de ses troupes. Aussitôt un grand convoi de blé et d'autres vivres est livré au pillage, les conducteurs eux-mêmes sont cruellement mis à mort. Litavic envoie des courriers dans toute la cité des Éduens, pour tâcher d'y susciter un soulèvement par cette même fausse nouvelle du massacre des cavaliers et des princes, et pour exhorter ses concitoyens à tirer aussi vengeance des injures qu'ils ont reçues, comme il vient de le faire lui-même. Il y avait auprès de César, dans
la cavalerie éduenne, deux jeunes gens nominativement appelés par lui : Eporedorix,
jeune Éduen né en haut lieu et jouissant dune grande influence dans le pays ;
et, avec lui, Virdumare qui était du même âge et de la même distinction
personnelle, mais d’une naissance bien inférieure, et que César, en le
recevant de la main de Divitiac, avait tiré d’une humble position pour l’élever
ensuite au faite des honneurs. Ils se disputaient l’un à l’autre le premier
rang, et, dans la lutte des magistrats qui venait d’avoir lieu, ils avaient
soutenu de toutes leurs forces, l'un Convictolitave, et l'autre Cote. Un de ces
jeunes gens, Eporedorix, informé du projet de Litavic, vient presque au
milieu de la nuit en donner avis à César, en le priant de ne pas souffrir que
leur cité, par suite des projets insensés de ces jeunes gens, se détache de
l'amitié du peuple romain : ce qu'il prévoit devoir arriver, si tant de
milliers d'Éduens se joignent aux ennemis ; attendu que ni leurs parents ne
pourront manquer d'entreprendre de les sauver, ni la cité ne pourra
considérer leur perte comme peu importante. Voilà deux Gaulois césariens, Eporedorix et Virdumare, qui jouent un bien triste rôle et qui continueront de même jusqu'à la fin de la guerre. On voit qu'ils sont pour César deux hommes de confiance et de prédilection. On voit que ces deux jeunes ambitieux aspirant l'un et l'autre à parvenir au premier rang, c'est à qui des deux réussira, par plus de services de toute sorte, à être préféré par celui qui donne tout dans la cité éduenne, même la magistrature suprême. On voit aussi que l'habile Romain a eu soin de choisir l'un de ses favoris parmi les princes, et l'autre parmi les plus humbles du peuple, de manière qu'ensemble ils puissent lui procurer des amis partout. Remarquons enfin que César tient Virdumare de la main même de Divitiac, et qu'ainsi ce malheureux druide (quel que soit actuellement son sort) a laissé après lui quelqu'un qui peut le remplacer utilement auprès du meurtrier de son frère. Autant Divitiac a été utile à César au début de la guerre de Gaule, autant ces deux nouveaux traîtres à la patrie gauloise, Eporedorix et Virdumare, vont lui être utiles pour la terminer. Considérons les suites de cette délation commise par Eporedorix. César laisse paraître dans son récit l’impression qu'il éprouva à la nouvelle de cette défection organisée chez les Éduens par Vercingétorix et ses affidés. A l’instant il en voit toute la portée, et il sent l'urgence d'intervenir avant que la cité éduenne se soit laissé entraîner. Voici comment il s'exprime : En apprenant cela, César éprouva une vive inquiétude, parce qu’il avait toujours eu pour la cité des Éduens une affection particulière. Sans hésiter un instant, il fait sortir du camp quatre légions ne portant que leurs armes, et toute la cavalerie. Et l’on n'eut pas le temps, en de telles circonstances, de resserrer le camp, tout paraissant dépendre de la célérité[8] (XL). C'est ici le premier signe d'inquiétude grave qu'ait manifesté César dans cette guerre de Gaule, qu'il poursuit déjà depuis six années. Jusque-là, pas une seule fois, il n'a paru douter de sa fortune, même au milieu des plus redoutables péripéties d'une bataille ; mais, dans la circonstance actuelle, alarmé du péril d'une telle situation, il part à l'instant avec quatre légions ne portant que leurs armes et accompagné de toute sa cavalerie ; il franchit plus de vingt-cinq milles (près de quarante kilomètres) tout d'une traite ; il détrompe l'infanterie éduenne en faisant avancer les prétendus massacrés, Eporedorix et Virdumare, et il tâche de tout réparer. Les troupes éduennes demandent grâce. Litavic, chef du complot qui vient d'échouer, s’enfuit à Gergovia avec quelques clients dévoués à sa personne, suivant la coutume des Gaulois. Il y retrouve ses frères, sur lesquels César avait bien immédiatement tâché de mettre la main, et qu'il avait fait rechercher dans le camp au moment du départ ; mais ils avaient eu l'œil ouvert sur Eporedorix et ils étaient déjà partis. César envoie des courriers annoncer à la hâte dans la cité éduenne qu'il fait grâce à ces troupes dont, par le droit de la guerre, il avait le sort entre ses mains. Il accorde à son corps d'armée trois heures de la nuit pour se reposer ; puis il repart pour Gergovia. A mi-chemin, il rencontre des cavaliers envoyés par le lieutenant Fabius, laissé à la garde du camp, pour lui faire savoir quel danger les deux autres légions ont couru : — que le camp a été assailli par des masses de troupes sans cesse renouvelées, tandis que les défenseurs, obligés de faire face en même temps sur tous les points d'une si vaste enceinte, se sont trouvés tous à la fois engagés dans la lutte et sont épuisés de fatigue ; que beaucoup d'hommes ont été blessés par une nuée de projectiles de toute espèce ; que du reste, les machines ont été d’un grand secours contre cet assaut ; et que, l'ennemi s'étant enfin retiré, on a, sauf deux portes réservées, barricadé les autres, dans la prévision d'une pareille attaque pour le lendemain. — cette nouvelle, César stimule l'ardeur des soldats, qui font un effort suprême, et, avant le lever du soleil, il rentre dans son camp[9]. Cependant le cri trompeur : On a massacré nos frères, s'était propagé du côté de la cité éduenne, et ce cri avait l'avance sur les courriers de César. Le peuple éduen, excité par cette nouvelle, s'était porté à des actes de violence et de pillage contre des Romains isolés. Quand la véritable situation fut connue, quand on apprit que César avait dans son camp toute l'armée éduenne, la cité s'efforça d'atténuer les faits. Une députation alla présenter des excuses à César ; des poursuites furent dirigées contre les coupables, etc. ; néanmoins les actes avaient eu trop d'éclat ; la cité restait compromise ; elle songeait à se défendre, en cas de besoin ; on se concertait en secret, on se mettait en rapport avec les autres cités, on se préparait à la guerre. César le soupçonnait bien (quæ tametsi Cæsar intelligebat...), est-il ajouté dans le récit : malgré cela (ou plutôt à cause de cela), il use du langage le plus bienveillant à l’égard de la députation ; il lui donna l'assurance qu'il ne rend pas la cité responsable de l'ignorance et de l'emportement de la populace, que cela n'ôte rien à ses bons sentiments pour les Éduens. — Mais suivons rigoureusement le texte, qui prend ici une grande importance. Lui-même s'attendant à un
mouvement plus considérable de Cette phrase est complète, limpide, dans la pensée comme dans la rédaction. On vient de voir quels événements graves sont survenus pendant le siège de Gergovia, César a des raisons de penser que la situation va encore s'aggraver davantage. C'est pourquoi il lui faut songer à quitter cette position compromise. On voit même où César va tendre en partant de là, c'est à rallier Labienus et les quatre légions qu'il a envoyées avec lui du côté de Lutèce. Toutefois il y a encore dans le texte un dernier membre de phrase, à savoir : De peur qu'un départ causé par la crainte de la défection ne parût ressembler à une fuite. — Ne profectio, nata a timore defectionis, similis fugæ videretur. Voilà un de ces passages où il nous semble que César se dispose à jeter un voile sur le fond des événements de la guerre de Gaule. Ce membre de phrase d'abord, ce qui est bien extraordinaire dans un récit de César, ne semble pas exprimer une pensée claire et précise. En effet, ce départ (profectio) sera un simple départ, une retraite de devant Gergovia (a Gergovia discedere), quel qu'en soit le motif, s'il est effectué avec calme, si les troupes marchent comme à l'ordinaire et en bon ordre. Il n'aura une apparence de fuite (similis fugæ videretur), et ne pourra être une fuite réelle, que si ce même départ, toujours quel qu'en soit le motif, est effectué avec trouble et précipitation, avec tumulte et en désordre[10]. Ainsi, dans le départ d'une armée qui s'éloigne d'un ennemi voisin, la distinction entre l'état de retraite simple et l'état apparent de fuite, dépendant absolument de la manière dont ce départ est effectué, non du motif pour lequel il s'effectue, le membre de phrase que nous examinons nous paraît obscur en lui-même. On doit reconnaître également qu'il ne se lie pas à ce qui le précède dans la même phrase, où il s'agit simplement du motif du départ de César, mais non de l’exécution de ce départ d'une manière quelconque. Remarquons surtout que l’ordre chronologique dans le récit, la filiation naturelle des faits et des pensées, n'appelle nullement ici la pensée dune fuite. César n'a jamais fui jusqu'à ce jour, son armée n'est point démoralisée ; il est depuis le commencement de cette campagne dans une série non interrompue de succès ; rien n'indique qu'il ait essuyé un échec quelconque, ni qu'il soit dans une de ces situations qui justifient ou qui expliquent la pensée d'une fuite. Par conséquent, le membre de phrase où il en semble préoccupé ne se rattache nullement à quoi que ce soit de tout ce qui précède. Il ne tient non plus aucunement à ce qui va suivre. En
effet, il y a là dans le texte une transition tout artificielle et
littéraire, qui constate même la séparation des idées, et qui mérite d'être
remarquée. Voici en quels termes César continue : Comme
il pensait à cela, il lui parut se présenter l'occasion d'un bon coup de main
à exécuter. — Hæc cogitanti visa est
facultas bene rei gerendæ. — Cette transition tout à fait
grammaticale pourrait aussi bien, et même plus naturellement pour le sens,
être placée immédiatement avant le membre de phrase en question ; et on peut
supprimer ce membre de phrase sans qu'il en résulte la moindre lacune dans le
récit. Il est facile de s'en assurer en réalisant cette suppression dans le texte
de la manière suivante : Lui-même, s'attendant à un
mouvement plus considérable de Le membre de phrase où se trouve l'idée d'une fuite est donc intercalé dans ce passage. Si l'idée d'une fuite doit se présenter, ce n'est point ici le lieu. Ce n'est pas même le moment de se préoccuper d'un départ effectif prochain, une telle préoccupation ne s'expliquant et ne pouvant se justifier par aucune cause quelconque. Cela est si vrai que, à l'instant même, César songe à attaquer l'ennemi et va livrer l'assaut à Gergovia. L'inutilité du membre de phrase précédent où se trouve l'idée d'une fuite est donc, sauf un but caché, évidente. Quel était ce but ? On a dit à Rome que César s'était enfui de devant Gergovia. On l'a dit et on l'a cru sur de bons renseignements, puisque Suétone l'a affirmé, et qu'après lui Eutrope et Orose l'ont répété en ces termes : Et ainsi là (devant Gergovia), César, chargé par les ennemis qui se précipitent de la hauteur, ayant perdu une grande partie de son armée, vaincu, s'enfuit. Or, pour qu'on ait pu dire d'un guerrier tel que Jules César, sur qui tous les contemporains avaient les yeux fixés, qu'il s'était enfui de devant Gergovia avec six légions ; que ce héros de Rome, avec une telle armée, avait fui devant des Gaulois, il a bien fallu que cela fût vrai. Car c'était là un fait militaire trop grave, un fait matériel trop considérable, pour que, s'il n'eût pas été avéré, on eût eu l'audace de l'affirmer et de le publier, et pour que, sûrement établi et accepté comme tel, on pût le nier, ou le passer sous silence dans le récit de cette guerre de Gaule. Il est clair d'ailleurs que César ne pouvait rapporter ce fait aussi simplement que le rapporte Eutrope, d'après Suétone. Aurait-il donc voulu, comme pour expliquer et dissiper une erreur possible de l'opinion publique, affronter, dans ce membre de phrase précédent l'idée et le mot de fuite, en le plaçant à ce point du récit où rien encore ne rend le fait croyable, afin d'éviter cette idée et ce mot quand les événements les proclameront d'eux-mêmes ? — Suivons. Comme il pensait à cela, il lui parut se présenter l'occasion d'un bon coup de main à exécuter. Puis César dresse son plan, prépare tout, et lance les légions à l'assaut de Gergovia, dans l'espoir de s'en emparer à l'improviste, comme il s'était emparé d'Avaricum. Mais ici Vercingétorix était présent et connaissait la ruse militaire qui avait réussi à Avaricum. Les Gaulois accourent au point surpris, arrêtent les Romains, les refoulent et les précipitent par le versant du mont. César les reçoit, les soutient en cédant, avec la dixième légion qu'il tenait en réserve ; puis celle-ci, à son tour, est reçue et soutenue par les cohortes de la treizième, qu'il a fait venir en toute hâte du camp ; et enfin, une fois dans la plaine, les légions retrouvant de plain-pied tous les avantages de leurs armes, s'arrêtent, se reforment et font face à l'ennemi. Vercingétorix, qui les a précipitées jusqu'au pied du mont, fait remonter les siens dans la place. Le lendemain, César, ayant convoqué ses soldats, leur reproche leur témérité et leur ardeur aveugle, d'avoir voulu juger eux-mêmes jusqu'où il fallait aller et ce qu'il fallait faire, et de ne s'être pas arrêtés au signal donné de la retraite et de ne s'être pas laissé retenir par les tribuns des soldats et les lieutenants... Ensuite et en terminant sa harangue, il raffermit le courage des soldats, de crainte que leur moral ne fût ébranlé par ce revers, et qu'ils n'attribuassent à la valeur des ennemis ce qui était résulté du désavantage du terrain : lui-même persistant, au sujet du départ, dans la même pensée à laquelle il s'était arrêté précédemment — (eadem de profectione cogitans, quæ ante senserat...) Voilà une défaite dont il n'est pas possible de méconnaître la gravité. Les pertes que César accuse, 46 centurions et environ 700 soldats, pourront paraître légères, mais il ne faut pas perdre de vue que c'est lui qui a dicté le bulletin. Au sujet de la bataille de Pharsale, les pertes qu'il accuse ne sont que de 30 centurions et de 200 soldats : c'est donc encore bien moins. Eutrope, parlant d'après Suétone, rapporte l'assaut de Gergovia de même que César ; sauf que, au sujet des pertes qu,y essuyèrent les Romains, l'estimation qu'en donne Eutrope indiquerait qu'elles furent beaucoup plus considérables que ne le dit César. — Chargé, dit Eutrope, par les ennemis qui se précipitent de la hauteur, ayant perdu une grande partie de son armée... Quoi qu'il en soit des pertes réelles, la défaite de César est bien certaine. Le moral de son armée est ébranlé manifestement, puisqu'il s'efforce de le raffermir. Si, au lieu d'expliquer d'avance le motif de son départ
alors qu'il ne partait point mais qu'il songeait à livrer cet assaut
malheureux. César en eût parlé à présent qu'il va partir ; et si, au lieu de
montrer sa crainte de paraître fuir
quand rien encore ne motivait une telle préoccupation de sa part, il en eût
parlé à cette heure où l'idée de fuite se présente naturellement à l'esprit.
César eût suivi à ce sujet l'ordre habituel de son récit, l'ordre
chronologique, la filiation lumineuse des faits et des pensées. Lors donc
qu'il nous a dit que : Lui-même, s'attendant à un
mouvement plus considérable de César nous a montré un double but qu'il voulait atteindre
: 1° ne pas être enveloppé dans un soulèvement
général des cités ; 2° rallier le
corps d’armée de Labienus, gui était du côté de Lutèce. Il lui
était difficile d'atteindre à la fois ces deux résultats. En effet, à partir
de Gergovia, pour ne pas être enveloppé,
il faudrait qu'il se retirât au sud,
vers Ayant toujours au sujet du départ la même pensée, à laquelle il s'était arrêté auparavant, il fit sortir les légions du camp, et les rangea en bataille dans une position avantageuse. Comme cela ne décidait pas Vercingétorix à descendre dans la plaine, après avoir engagé une escarmouche de cavalerie avec succès, il fit rentrer l'armée romaine dans le camp. Le lendemain, après avoir répété la même manœuvre, pensant que c'était assez pour rabattre la jactance gauloise et raffermir le moral des soldats, il décampa dans la direction des Éduens. A ce moment même, l’ennemi ne l’ayant point poursuivi, il parvint le troisième jour sur l’Allier, rétablit un pont et y fit passer son armée. Là... Jamais ailleurs, que nous sachions, César ne s'est présenté sous cette apparence d'un héros d'Homère. Ranger son armée dans une position avantageuse pour offrir à son ennemi de combattre en ligne : n'est-ce pas ici proposer à Vercingétorix le désavantage du terrain et de plus un mode de combat qu'il ne pourrait accepter, même dans des conditions de terrain égales, d'après sa tactique bien arrêtée et déclarée, que César lui-même nous a fait connaître précédemment : tactique forcée, suivant nous, par le défaut d'armes soit offensives, soit défensives, comparables à celles des Romains ? Constater, après un tel défi, que Vercingétorix ne descend pas dans la plaine — ce qui même est inexact au sujet de sa cavalerie qu'il y fait descendre —, et ajouter que c'est avoir assez fait pour rabattre la jactance gauloise : cela prouve-t-il autre chose vraiment, sinon que les Gaulois avaient peut être raison de se glorifier ? Ce langage, enfin, est-il à la hauteur de l'idée que l'on a de César ? Vercingétorix eût-il humilié les Romains en les invitant à remonter à l'assaut de Gergovia ? Plusieurs passages des Commentaires prouvent que lorsque César désire réellement attirer les Gaulois au combat, loin de les provoquer, il feint de les craindre : ce qui lui a réussi plusieurs fois, ainsi qu'à ses lieutenants[11]. Cette manœuvre des légions et ces paroles de César sembleraient donc n'être qu'une démonstration vaine : à moins que la suite du récit ne nous en laisse apercevoir un motif plus sérieux. César s'est trouvé une autre fois dans une situation tout à fait pareille à celle-ci : il avait alors Pompée pour adversaire, et le rapprochement de ses actes et de son récit, dans les deux cas, pourra jeter ici quelque lumière. Du reste, ce n'est pas le seul rapprochement à faire entre la lutte de César contre Vercingétorix et sa lutte contre Pompée. Ayant donc attaqué Pompée dans ses lignes, près de Dyrrachium, César fut repoussé, comme il vient de l’être devant Gergovia, et perdit beaucoup de monde. De même il harangua ses soldats pour relever leur moral abattu. Enfin de même encore il décampa immédiatement dans la direction d'Apollonie. Or dans ce cas-là, où des deux côtés c'étaient des Romains qui combattaient, César n'avait aucun intérêt à voiler des faits connus de tous, et il nous dit pourquoi et comment il s'éloigna alors de Pompée, de même qu'il s'éloigne ici de Vercingétorix. Quelques hommes d'élite, est-il dit dans le récit de la
guerre civile, demandaient à rester et à combattre de nouveau. Au contraire. César ne comptait point assez sur des
soldats terrifiés et pensait qu'il leur fallait du temps pour reprendre
courage... C'est pourquoi, sans perdre un
instant de plus que ne l'exigeaient les soins à donner aux blessés et aux
malades, dès la nuit venue, il fit partir d'avance tous les bagages pour Apollonie,
avec défense de prendre aucun repos avant d'être arrivés à destination. Une
légion fut envoyée pour les escorter. Ces précautions prises, il retint deux
légions dans le camp et commanda aux autres légions de prendre les devants
par le même chemin, en les faisant sortir, dès la quatrième veille (trois heures du matin), par plusieurs portes. Et après avoir laissé
écouler un certain temps, afin que, sans manquer à la règle militaire, son
départ ne fût connu que le plus tard possible, il ordonna de proclamer le
départ (conclamare
vasa) : sortant aussitôt et
ralliant l’arrière-garde, il fut bien vite hors de vue du camp de Pompée. Ni
Pompée non plus, dès qu'il connut le parti qu'avait pris César, ne mit du
retard à le poursuivre... Il fit prendre les
devants à sa cavalerie pour harceler l’arrière-garde. Mais elle ne put
l'atteindre, parce que César suivait un bon chemin et avait beaucoup d'avance
sur elle. Cependant, quand on fut arrivé sur le Génuse, fleuve à bords
difficiles, la cavalerie de Pompée atteignit des traînards... C'est ainsi que des cours d'eau très-profonds et de
très-grandes difficultés à franchir ne causèrent à César aucun dommage. Car
Pompée, une fois en retard le premier jour, se donna vainement beaucoup de
peine les jours suivants... Le quatrième jour,
il mit fin à la poursuite[12]. Voilà comment César procède lorsqu'il veut faire retraite sans être poursuivi, sinon le plus tard possible, et qu'il veut gagner du temps pour traverser sans combat un cours à eau profond qu'il doit rencontrer sur sa route. C'était précisément le même cas au départ de Gergovia. Il nous semble donc que, pour ces mêmes motifs et dans ces mêmes conditions, César a dû partir de devant Gergovia, de même qu'il est parti de devant Dyrrachium, et qu'il a pu le faire de cette même manière, sans qu'il soit besoin de changer un seul mot à son récit, que nous avons cité précédemment. Remarquons, en effet, que l’Allier coule très-près de
Gergovia ; qu en cet endroit de son cours, il est bien plus facile à
traverser que beaucoup plus loin en aval, après qu'il a reçu En se rendant compte ainsi du mode de départ de Gergovia, la manœuvre des légions que César rangea en bataille devant son camp aurait eu un motif sérieux, celui de dissimuler son intention de partir, et, en même temps, de faciliter le départ. En effet, pendant que les légions, placées comme un rideau devant le camp, attiraient sur elles toute l'attention de l'ennemi, on a pu, comme près de Dyrrachium, tout préparer pour le départ. De même encore, la nuit venue, les bagages ont pu filer avec une escorte, et les légions ont pu les suivre immédiatement, en tenue de combat. De cette manière, en un instant, toute l'armée a dû se trouver en marche, dans l'ordre de retraite : ordre inverse de celui que César lui faisait prendre à l'approche de l'ennemi, et dont il a été parlé à propos de la première campagne. Enfin, César a fort bien pu constater qu'il arriva sur l'Allier sans avoir été poursuivi par les Gaulois. Il eût pu également constater qu'il arriva sur le Génuse sans avoir été poursuivi, puisqu'il ne vit personne ; pour une bonne raison : il allait si vite ! Mais, au temps d'arrêt inévitable pour passer le Génuse, la cavalerie de Pompée survint et atteignit les traînards : nous allons voir bientôt si personne ne survint au passage de l'Allier. Mais auparavant déterminons le point de l'Allier où eut
lieu ce passage. César nous dit qu'il y arriva et y fit passer son armée le troisième jour de marche depuis Gergovia.
Or, du point où il avait passé l'Allier précédemment, il avait mis cinq jours pour arriver devant Gergovia. En se
retirant a-t-il marché plus vite et repassé la rivière au même point ? S'il a
marché comme à l'ordinaire, en tenant compte du temps nécessaire, pour
rétablir le pont et faire passer l'armée, nous croyons qu'on peut compter
approximativement soixante-dix kilomètres parcourus du camp au pont. Cela
porterait le passage de l'Allier près de Varenne, avant
le confluent de § III. — Temps d’arrêt au-delà de l'Allier. –
Insurrection générale des cités : fuite des légions vers le haut du cours de Reprenons le récit de l'illustre auteur. —Là (au passage de l’Allier), les Éduens Viridomare et Eporedorix viennent apprendre à César que Litavic est parti avec toute la cavalerie pour tâcher de soulever les Éduens, et qu'il est nécessaire qu’eux-mêmes prennent les devants pour maintenir la cité. — César, bien que déjà beaucoup de choses lui eussent révélé la perfidie des Éduens, et qu'il ne pût douter que le départ de ceux-ci ne précipitât la défection de la cité, ne croit pas cependant devoir les retenir, ne voulant ni paraître leur faire injure, ni donner aucun signe de crainte. Au départ de ceux-ci, il leur rappelle brièvement tous les bienfaits dont il a comblé les Éduens, quels et dans quel état d'abaissement ils étaient lorsqu'il les a reçus... et à quel degré de fortune et d'agrandissement il les a élevés, au point que non-seulement ils se trouvent rétablis dans leur situation ancienne, mais encore ils paraissent dépasser en dignité et en influence tout ce qu'ils ont jamais pu être à aucune époque. Cela dit, il leur donne congé[14]. Voilà encore un de ces passages qui nous paraissent exceptionnels dans le récit des Commentaires. Ici, l’insuffisance d'indications utiles est manifeste. Il manque tout ce qu'il importait le plus d'indiquer. En effet, examinons les choses. Là (ibi), au passage de l’Allier, voilà où se trouve César quand Viridomare et Eporedorix demandent à lui parler et lui apprennent que Litavic emmène toute la cavalerie. Mais comment Litavic, l'ennemi déclaré de César, a-t-il pu se trouver là pour emmener ainsi toute la cavalerie de César ? D'où est-il sorti ? Nous avons bien vu précédemment Litavic, son coup manqué dans cette même région, s'enfuir à Gergovia. — Litavicus... Gergoviam profugit. — Il était donc dans Gergovia quand César est parti de son camp, établi devant cet oppidum. Il faut donc nécessairement, tout au moins, que Litavic ait de sa personne poursuivi César et l'ait atteint au passage de l'Allier (comme Pompée l'atteignit au passage du Génuse), bien que César vienne de nous dire que personne ne le poursuivait quand il se rendait sur l'Allier. Ainsi, un premier point incontestablement démontré, c'est que Litavic, qui était avec Vercingétorix dans Gergovia, a poursuivi les Romains à leur départ de devant cet oppidum, les a atteints au passage de l’Allier, et là, par un moyen quelconque, leur a enlevé toute la cavalerie éduenne qui était avec César depuis son départ de Decetia. C'était évidemment un point capital à expliquer que cette intervention de Litavic au passage de l’Allier, où il enlève toute la cavalerie auxiliaire de César, et le récit ne présente aucune explication à ce sujet ; il y a donc ici défaut manifeste d'une indication très-importante à connaître. Mais Litavic a-t-il tout seul poursuivi César à son départ de Gergovia ? Et Vercingétorix avec son armée, que fait-il ? Est-il resté dans l'oppidum ? En est-il sorti comme Litavic ? Poursuit-il César ? Lorsque César a l'avantage et qu'il cherche à attaquer l'ennemi, les Helvètes, Arioviste, Afranius, Pompée, ce même Vercingétorix dans cette même région de l'Allier, rien n'est omis dans le récit. On voit tous les mouvements des armées, du côté de César, du côté opposé ; rien n'échappe aux regards ; c'est un spectacle, Ici, pas un mot n'est dit de Vercingétorix, ni de son armée ; pas un mot ne va en être dit de longtemps. C/cIa ne peut tenir à ce que César aurait manqué de renseignements sur ce qui se passa alors ; car, si l'on y fait attention, il est impossible de ne pas reconnaître qu'il a toujours été renseigné sur toutes choses durant cette guerre : César connaissait la puissance de l'or et ne l'épargnait pas : il lui coûtait si peu 1 Serait-ce donc parce que les rôles se trouvent maintenant changés, qu'ici il aurait supprimé celui de Vercingétorix ? Quoi qu'il en soit, cette lacune complète du récit, concernant Vercingétorix et son armée, nous paraît incontestable et capitale[15]. Remarquons encore, de la part de César, cette appréhension
de paraître faire injure à ces deux Eduens,
Viridomare et Eporedorix, s'il les eût retenus auprès de lui, tandis
que ce même César, campé sur les côtes de César avait aussi dans son armée dix mille hommes d’infanterie éduenne, demandés par lui à la conférence de Decetia, conduits à son camp de Gergovia par ce même Litavic qui vient d'emmener toute la cavalerie éduenne, et qui déjà alors avait tenté d'enlever à César toute cette infanterie auxiliaire, pour l'emmener chez les Arvernes, comme César l'a parfaitement expliqué alors. Cette infanterie éduenne a figuré à l'assaut de Gergovia, pour opérer une diversion utile aux légions (VII, XLV, L). Au moment présent, Litavic l'emmène-t-il avec la cavalerie éduenne ? Viridomare et Eporedorix l'emmènent-ils avec eux ? Reste-t-elle auprès de César ? On ne la verra plus figurer désormais ; on ne la retrouvera plus nulle part. Dion Cassius dit, à cette même occasion, que Tous les Éduens qui combattaient avec César lui demandèrent à rentrer chez eux, promettant de maintenir la cité dans son alliance[17]. Ici, il est facile de comprendre, au ton du récit, que le départ de Viridomare et d'Eporedorix est une grosse affaire. Tandis que ces deux hommes étant simplement des créatures politiques de César, comme il l’a expliqué plus haut ; étant probablement sur le point de le trahir, comme il l’explique ici ; et Eporedorix ayant déjà auparavant, dans l'intérêt de César, trahi Litavic et ses frères et tous leurs affidés ; ces deux hommes qui changent de parti suivant leur intérêt du moment, s'ils n'emmènent point avec eux l'infanterie éduenne, ne devraient pas, ce nous semble, inspirer de tels scrupules à César. Il reste donc encore dans son récit, à l'égard de ces dix mille hommes d'infanterie éduenne, un défaut important d'indications utiles, d'où une obscurité qui ne peut avoir été que préméditée de la part à un écrivain naturellement si clair : obscurité derrière laquelle il est permis de chercher l'indice d'une situation particulièrement difficile et grave. Poursuivons : Noviodunum (Nevers) était une ville éduenne bien placée au bord de Personnellement, ils font appel
aux armes dans le pays circonvoisin ; ils disposent des postes et des gardes
sur les bords de Ainsi, voilà encore deux partisans de César entraînés, de même que Convictolitave, par la force de l’opinion publique et par l’état des choses dans la cité éduenne ; mais comme Viridomare et Eporedorix devaient tout à César et avaient jusque-là tout fait pour lui, il leur faut maintenant racheter ces antécédents fâcheux par des manifestations opposées et équivalentes ; les voilà donc devenus ses plus actifs ennemis, le jour où il se trouve avoir besoin d'eux. Grande leçon politique dont les exemples ne manquent pas ! Pendant le temps nécessaire pour que tous ces événements se soient accomplis, c'est-à-dire, depuis le départ de Viridomare et d'Eporedorix au moment du passage de l'Allier, qu'a fait César ? Est-il demeuré à la même place ? Où est-il actuellement ? Pour fixer les idées, admettons qu'il soit en un lieu connu de cette région de la rive droite de l'Allier, non loin du point où il a passé cette rivière et que nous avons démontré ci-dessus devoir être situé entre Vichy et Moulins : disons que César est actuellement près de Lapalisse. Voilà devant lui, au nord, le pays éduen en pleine insurrection contre les Romains ; la cavalerie gauloise se montre de tous les côtés pour leur disputer les vivres ; c'est bien là la tactique de Vercingétorix : peut-être y est-il présent de sa personne et dirigeant les opérations militaires. Quoi qu'il en soit, il est manifeste que les événements se précipitent et pressent l’armée de César. Remarquons bien cette idée qui nous est présentée dans le
récit, à savoir, que César, informé de ces choses, pensa devoir ne point perdre de temps, vu les chances à courir dans l'établissement de ponts, afin de combattre avant que de plus grandes forces y fussent rassemblées. — Quibus rebus cognitis, Cœsar maturandum sibi censuit, si essei in perficiendis pontibus periclitandum, ut priusquam esserit majores eo copiæ coactæ, dimicaret. Maturandum, se hâter à point. On trouve dans César plusieurs autres expressions pour indiquer l'action de se hâter : Acceleret Cæsar ut prœlio intersit... Cæsar in Italiam magnis itineribus contendit... Cæsar neque diurno neque nocturno itinere intermisso, per fines Æduorum in Lingones contendit, ut si quid etiam de sua salute ab Æduis iniretur consilii, celeritate præcurreret. L'expression employée dans ce dernier texte est la plus forte ; elle répond à une situation extrême, à un cas de vie ou de mort d'où il ne s’agit plus que d'échapper par la vitesse : comme dans la circonstance au sujet de laquelle César s'exprime ainsi et où il se trouva au commencement de la septième campagne. Dans le passage que nous examinons, c'est l'expression maturandum que César emploie, et c'est la plus faible : César va se hâter à point, mûrement, se hâter lentement, comme dit Boileau, se hâter sans perdre de temps, mais sans courir. Rien ne le presse par derrière : Vercingétorix et les siens n'y sont pas ; c'est par devant que nous devons regarder. Là (eo), il y a des ponts à établir et des chances à courir quand on les établira. Il faut donc que César se hâte convenablement afin de combattre avant que de plus grandes forces soient rassemblées là ; sinon, il pourrait avoir sur les bras une multitude à combattre pendant le travail des ponts. Telle est bien exactement, ce nous semble, la perspective qui nous est présentée tout d'abord par ce premier texte. Maintenant suivons. Car, quant à prendre un autre parti et à changer de
direction pour retourner vers Voilà une protestation
formelle, une véritable démonstration morale contre toute pensée
de quitter la partie et de retourner dans Mais César n'avait-il que la voie des Cévennes pour se
retirer du côté de César, avons-nous dit, est actuellement sur la rive droite
de l'Allier, près de Lapalisse. Il a donc,
au sud, les Cévennes, dans le lointain
; au nord, Ainsi, dans le texte que nous venons de citer. César ne
nous montre que deux des quatre côtés de l'horizon, le nord et le sud.
Depuis son départ de Gergovia, il nous laisse ignorer ce que fait
Vercingétorix, à l’ouest ; maintenant
il nous laisse encore ignorer que, à l’est et en
passant Et puis, quel gros mot, infamie, — infamia, — dans la bouche de César ! Lui qui, d'ordinaire, parle si simplement ! C'est, croyons-nous, l'unique exemple d'un tel langage dans tous ses Commentaires. D'ailleurs, César ne savait-il pas que la mémoire de Q. Fabius Maximus Cunctator, loin d'être notée d'infamie, était vénérée à Rome précisément parce que ce grand capitaine avait su éviter un terrible ennemi et attendre le moment opportun ? N'était-ce même pas pour celte raison que, depuis lors, le peuple romain appela Fabius le bouclier de l’Empire, — Imperii scutum[18], et qu'ensuite Virgile l'immortalisa dans l'Énéide : . . . . . . . . . . . . . . . . . Tu Maximus ille es, Unus qui nobis cunctando restituis rem ? Il ne semblerait donc point qu'il s'agisse ici d'un simple mouvement de retraite, d'une simple jonction à opérer avec Labienus : tout nous annonce quelque chose de plus grave. Suivons le texte, pour sortir de toutes ces obscurités. C'est pourquoi, après avoir
exécuté des marches forcées et de jour et de nuit, il parvint sur Voilà donc, enfin, la vérité du fait derrière son double voile : derrière la perspective illusoire et la protestation décevante que nous avons fait remarquer ci-dessus. L'orage que nous avons vu s'élever, semble maintenant pousser l’armée romaine devant lui. Aussi bien, si les légions conduites par César avaient réellement couru de cette manière, en toute hâte, jour et nuit, pendant plusieurs jours de suite y non pas pour atteindre l’ennemi, mais pour s'en éloigner, il fallait bien que cela se retrouvât dans ces Commentaires de la guerre de Gaule, et que les légionnaires s'y reconnussent. Ceci, on le voit, est très-important, dans l'histoire de celte guerre. Ainsi, constatons bien la chose : examinons tout avec ordre et comme il convient. Commençons par le fait considéré dans son ensemble. Le
motif, le but de la marche de César, est, nous dit-il, de faire sa jonction
avec Labienus : c'est là son plus ardent désir, — vehementer
cupiebat ; — soit : mais cela ne paraît pas être une raison
suffisante pour courir ainsi pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, sans
s'arrêter ; puis, en arrivant à Examinons maintenant les détails. Comparons la réalité,
telle que César nous l’a enfin laissé voir, avec la perspective qu'il nous
avait d'abord présentée. Dans la perspective,
on devait se hâter mûrement, — maturandum,
— se hâter à point, sans perte de temps ni précipitation. Dans le fait, on
pousse la marche à outrance, de nuit comme de jour, — admodum magnis diurnis atque nocturnis itineribus,
— l’urgence est déclarée, — pro rei necessitate.
— Là, on nous montrait des ponts à établir, — in
perficiendis fontibus ; — ici, c'est un gué, un port de salut que
des cavaliers découvrent, — vadoque per équites
invento... opportuno ; — et
l'on s'y jette dans l'eau de glace sans hésiter. Dans la perspective, il y
avait des ennemis à combattre pendant l'établissement des ponts, — in perfimidis pontibus periclitandum, — et
César se hâtait simplement pour combattre avant que de plus grandes forces
fussent rassemblées là, — ut priusquam essent
majores eo copiæ coactæ, dimicaret. — Dans le fait, aucun ennemi
n'attendait là César ; les prévisions de tous étaient tournées d'un autre
côté, — contra omnium opinionem. — Ces
ennemis qui prennent l'épouvante au premier aspect, — hostibus primo adspectu perturbatis, — c'est
l'expression pittoresque de l'effet d'une telle apparition sur les gens du
pays qui se trouvaient là, très-probablement sans armes. Car, si les ennemis
en question eussent été armés et postés là pour combattre, César eût employé
le mot fugatis qui indique la mise en
fuite d'une troupe armée ; le mot perturbatis
s'appliquant plus exactement à une population sans armes qui prend
l'épouvante. Dans le fait, tel que César le rapporte, il n'a ni perdu ni tué
un seul homme ; il n'a poursuivi aucune troupe ; il n'a été harcelé par
aucune troupe ; il n'a donc eu réellement aucun ennemi à combattre au passage
de La perspective qui nous a été présentée d'abord était donc complètement illusoire. Nous n'avons pas à revenir sur la protestation qui se trouve aussi placée avant le fait. Désormais tous ces voiles sont écartés. Toutes les obscurités du récit de César dans cet épisode
sont éclaircies, et la question du fait est mise en plein jour par une simple
considération toute géographique, à savoir que : étant parti de Gergovia (point de repère), et, le troisième jour de
marche, ayant passé l'Allier entre Vichy et Moulins, César se trouve
certainement entre l'Allier et Que manque-t-il pour confirmer cette présomption ? Nous avons trouvé dans le récit de César d'abord un échec grâce à Gergovia, qui a ébranlé le moral des légions ; puis une marche très-précipitée, prolongée nuit et jour : ces deux faits étaient trop généraux, trop mémorables, pour qu'il fût possible de les passer sous silence dans ses Commentaires sur cette guerre. Mais nous n'avons trouvé dans ce même récit de César que des motifs insuffisants et illusoires pour expliquer la précipitation de cette marche des légions ; donc son véritable motif n'était point avouable. Enfin, ici, un double voile est jeté par César sur la direction qu'a prise l'armée romaine ; donc il est très-vraisemblable qu'elle tournait le dos à l'ennemi, c'est-à-dire à l'armée de Vercingétorix et à l'insurrection éduenne. Tout est là. Si César eût laissé voir où tendait sa marche précipitée, sa fuite fût devenue évidente. Mais il lui était possible, faute de connaissances géographiques chez ses contemporains, de faire naître dans leur esprit une illusion à l'égard de la direction prise par son armée, et ainsi de pallier sa fuite. On conçoit donc toute l'importance que César dut naturellement attacher à voiler la direction prise par les légions après sa défaite de Gergovia. C'est ainsi que tout s'enchaîne dans la contexture du récit de cet épisode. Mais il nous reste à examiner un autre ordre d'arguments. Peut-on trouver, dans les Commentaires mêmes, des
preuves positives que César, pour mettre en sûreté son armée démoralisée et
harcelée dans sa retraite de Gergovia, se jeta précipitamment à l'est ou au
sud-est, dans la direction de César lui-même nous fournit trois éléments pour déterminer
la direction générale de sa marche à partir de Gergovia. Il nous dit qu'il
part de là, 1° pour ne pas être entouré par l’insurrection
; donc, maintenant qu'il se trouve près de Lapalisse, il ne doit se diriger
ni à l’ouest, ni au nord, où l'insurrection est ardente, et il ne
lui reste plus qu'à choisir, entre les deux autres côtés de l'horizon, entre
les chemins du sud ou les chemins de l’est qui mènent tous dans le pays le plus calme
et vers Ainsi, à partir de devant Gergovia même, César a commencé à se diriger droit au nord, pour aller passer l'Allier entre Vichy et Moulins. Deux raisons nous le font comprendre. La première, c'est que, au moment du départ, l'insurrection éduenne n'ayant point encore éclaté. César, sans doute, comptait reprendre les bagages de son armée laissés à Nevers ; peut-être même espérait-il retenir les Éduens par sa présence chez eux. La seconde raison pour aller passer l’Allier si loin et si bas, au lieu de le passer immédiatement et tout près de Gergovia, c'est le danger de passer une rivière sous les yeux de l'ennemi ; sur quoi tous les hommes de guerre sont unanimes. De là pour César la nécessité d'aller passer l'Allier très-loin au nord, afin de gagner de l'avance par une marche rapide et longue f et de passer cette rivière (comme il passa le Génuse) avant que l'ennemi pût arriver au point de passage. Mais, après le passage de l'Allier, tout change d'aspect :
César perd la cavalerie éduenne et sans doute aussi les dix mille hommes
d'infanterie éduenne qui combattaient dans son armée ; une insurrection
formidable éclate au nord et au nord-est. Que va-t-il faire ? Il se trouve
entre l'Allier et Examinons le récit. Il est dit que César parvint sur Les Gaulois s'attendaient à ce que César passât César, après le passage de Enfin César dit que, après avoir rassasié son armée, il se mit en route dans la direction du pays des Sénons : iter in Senones facere instituit. Donc, antérieurement, César avait marché dans une autre direction que celle du pays des Sénons (Sens), c'est-à-dire dans une autre direction que celle du nord ; donc il avait marché dans la direction de l’est ou du sud-est. Ces deux directions successives montrent que César tourna
l'insurrection par la droite, en se dirigeant d'abord à l’est ou au sud-est,
jusque dans la vallée de Ainsi il paraît bien démontré par cet ensemble d'éléments
divers, tous concordants sans exception, que d'abord, en partant de Gergovia,
César marcha droit au nord et rapidement pour aller passer l'Allier entre
Vichy et Moulins ; qu'arrivé là, ses auxiliaires éduens l'abandonnant, et,
une insurrection ardente éclatant au nord, il se jeta à l'écart
très-précipitamment dans la direction de l'est ou du sud-est, passa Dans cette marche rapide à l'est ou au sud-est, César a
continué de se rendre chez les Éduens ; la partie de la vallée de Il est également satisfait à l'esprit du récit de César,
puisque cette direction était la seule à prendre, pour ne pas être entouré
par l'insurrection générale des cités, et en même temps pour faire sa
jonction avec Labienus. Et d'ailleurs, si l'on ne pouvait passer Enfin remarquons les mots repleto exercitu, l'armée ayant été rassasiée, s'étant gorgée d'aliments, comme font les gens affamés. L'armée de César avait donc bien souffert de la faim depuis Gergovia. Ce qui s'accorde encore avec tous les autres signes d'une déroute. Quelle traînée d'éléments lumineux la vérité a semés dans ce récit ! Un dernier mot : si quelqu'un doute encore qu'ici l'on
doive ajouter foi à ce témoignage d'Eutrope parlant d'après Suétone, victus aufugit ; que le grand César et ses
légions si bien armées, si bien disciplinées, aient réellement fui au loin devant Vercingétorix et
ses Gaulois, depuis Gergovia jusque dans la vallée de La cavalerie de César, craignant
d'être coupée, fuyait la première. L'aile droite..... de ce côté là, revenait sur ses pas par où elle s'était
élancée, et le plus grand nombre des soldats, pour ne pas s'exposer à être
étouffés par la foule des fuyards dans un passage étroit, se précipitaient du
haut de retranchements de dix pieds. Les premiers étant restés écrasés sur la
place, les autres cherchaient leur salut en passant par-dessus leurs corps. A
l'aile gauche, les soldats..... tâchaient de
se retirer du côté par où ils étaient venus. Ce n'était que tumulte, effroi
et déroute partout : à ce point que, César commandant de faire halte et
saisissant de ses propres mains les enseignes des fuyards, les uns, laissant
leurs chevaux, n'en couraient pas moins vite ; les autres, dans leur terreur,
abandonnaient même les enseignes ; et que personne absolument ne s'arrêtait.....
Une grande partie des hommes qui périrent là furent
écrasés dans les fossés, dans les retranchements, et sur les bords du cours
d'eau, au milieu de la terreur et de la fuite des leurs, et périrent sans
avoir reçu aucune blessure. Trente-deux étendards de l'armée furent perdus[20]..... Voilà, certes, une fuite bien caractérisée et bien complète,
une déroute à outrance, s’il en fut jamais. Nous allons voir dans les
dernières paroles de la harangue que César adressa alors à ses légions pour
raffermir leur moral ébranlé, quel souvenir la scène qu'il vient de décrire
lui rappela dans la pensée. Il termina en disant : Que
tout le monde devait prendre à tâche de réparer par son courage l'échec
éprouvé ; que, si on le faisait, il ferait lui-même tourner le mal en bien, comme
il était arrivé près de Gergovia, et que ceux qui précédemment n’avaient
pas osé se défendre s'offriraient d'eux-mêmes pour attaquer[21]. Ce texte nous permet-il de dire : habemus confitentem ? C'est à la suite de cette même déroute, survenue auprès de
Dyrrachium, que César décampa dans la direction d'Apollonie (sans bruit, dit Eutrope, tacito agmine), et marcha si prestement que Pompée (bien qu'il ne perdît pas de temps non plus, disent
les Commentaires), ne put l'atteindre qu'au passage du Génuse :
de même que Litavic atteignit ce même Jules César au passage de l’Allier,
ainsi que nous l'avons vu. En sorte que, dans l'aspect général des deux
épisodes, il y a similitude complète ; toutefois à cette nuance près que le
mouvement des légions aurait été, d'une part, une retraite
accélérée sur Apollonie, d'autre part, une retraite précipitée, une véritable fuite vers le haut du cours de En résumé, les mouvements de
César, à partir de Gergovia jusqu'à sa jonction avec Labienus, se
composent, selon nous, de trois mouvements partiels et très-distincts, qui
sont : 1° depuis Gergovia jusqu’au passage de l’Allier
: marche accélérée dans la direction du nord, pour gagner le temps
de rétablir un pont (non loin de Varenne),
dans la région de Lapalisse ; 2° de là, marche
très-précipitée dans la direction du sud-est (disons de Roanne), jusqu'au-delà de Mais prouvons d'abord ce que nous venons d'avancer et
qu'il importe d'établir avec certitude, à savoir que, avant de marcher dans
la direction du pays des Sénons pour opérer sa jonction avec Labienus, César fil un long séjour dans ce pays abondant et
tranquille où il parvint après avoir passé S IV. — Expédition de Labienus contre les Sénons et les Parisiens. - Bataille près de Lutèce : Labienus, quoique victorieux, fait retraite au sud ; jonction des deux corps d’armée des Romains. Au moment où César quittait l'assemblée des Éduens à Decetia (Decize) pour aller attaquer l'oppidum de Gergovia chez les Arvernes, il avait envoyé Labienus en expédition dans le pays des Sénons et des Parisiens, avec quatre légions, à savoir : deux légions qui furent remises à ce lieutenant à Decetia même, et deux autres qu'il dut prendre avec lui en passant à Agendicum (Sens), où elles gardaient les bagages de toute l'armée. Nous avons déjà eu l'occasion de dire, dans notre
précédent volume, que Labienus, parti d'Agendicum avec ces quatre légions,
arriva dans le pays des Parisiens par la rive gauche de Si nous tâchons ainsi de bien préciser les choses, c'est
que, dans l’Histoire de Jules César par Napoléon III, qui a paru
depuis[23], on a adopté, au
sujet de cette expédition de Labienus (t. II,
p. 245 et suiv.), une opinion tout à fait différente de la nôtre, soit
relativement aux lieux dont il s'agit — ainsi Camulogène aurait pris position,
non derrière Citons d'abord les textes. Le cours d'eau marécageux
derrière lequel Camulogène avait pris position avec son année, et qui força
Labienus à rebrousser chemin du côté de Melun pour y passer L’Essonne et Labienus, de son côté, s'achemine de Melun vers Lutèce par la rive droite du fleure : sans doute pour aller attaquer la place par cette rive droite, où il n'y a ni cours d'eau marécageux, ni montagne, et où les légions pourront combattre de plain-pied avec tous les avantages de leurs armes. Voici comment César rapporte cette marche de Labienus : — Labienus part de son camp en silence à la troisième veillé (à minuit), et, prenant le même chemin qu'il avait suivi en venant, il parvient à Melun... Il s'empare de cet oppidum sans résistance. Ayant rétabli le pont, que les ennemis avaient coupé les jours précédents, il y fait passer son armée, et commence à s'acheminer vers Lutèce en suivant le cours du fleuve. Les ennemis... (VII, LVIII.) — Jusqu'ici donc, tout est très,clair dans le récit, sauf que la désignation du cours d'eau marécageux dont il s'agit plus haut n'est point assez explicite ; et la situation respective des armées est bien telle que nous l'avons indiquée. Remarquons avec le plus grand soin que, dans cet état de
choses, il est absolument incontestable que Labienus
a l’offensive, tandis que les Gaulois se tiennent sur la défensive,
et tâchent de couvrir Lutèce. Mais, à l'instant même, tout va subitement
changer d'aspect : les Gaulois vont prendre l’offensive,
comme il est facile de le constater. En effet, César ajoute — et c'est le nœud de son récit, où
le lecteur sans défiance peut se laisser surprendre — : Les ennemis, informés de la chose (de la marche de Labienus vers Lutèce) par ceux qui s'étaient enfuis de Melun, ordonnent d’incendier
Lutèce et de couper les ponts de cet oppidum ; eux-mêmes, partant du marais
qui est sur les rives de Voilà bien des choses dans ce peu de lignes. Quand César passe si vite dans son récit, cela peut faire soupçonner à bon droit (comme dans un cas précédent) qu'il y a là beaucoup à regarder et à dire. Nous allons donc examiner ce texte-ci avec beaucoup d'attention. Il s'y trouve un mot — jubent
— qui jette la lumière sur tout son ensemble. Les
ennemis, informés de la chose (de
la marche de Labienus vers Lutèce), ordonnent
— jubent, — dit César, d'incendier Lutèce et de couper les ponts de cet oppidum.
Or le verbe jubent, employé seul,
implique strictement la présence simultanée en un même lieu, et de ceux qui
ordonnent, et de ceux qui obéissent[24]. Ainsi, d'après
ce texte, lorsque Camulogène ordonnait d'incendier Lutèce et de couper les
ponts de cet oppidum, il était réellement campé
derrière le marécage de Mais ces déterminations prennent une importance capitale par la lumière qu'elles vont jeter ci-après sur tous les événements de l'expédition de Labienus contre les Sénons et les Parisiens. Dans l’Histoire de Jules César, on s'est rendu compte très-différemment, soit du sens du texte que nous venons de citer, soit des lieux désignés dans ce texte ; et nous ne pouvons nous dispenser de présenter, à ce sujet, quelques observations fort brèves. Voici ce qu'on lit dans cet ouvrage (t. II, p. 247) : Peu de jours auparavant, les
habitants (de Melun) avaient coupé le pont qui unissait l'île à la rive droite
; Labienus le rétablit, le fit passer à ses troupes et se dirigea vers Lutèce,
où il arriva avant Camulogène. Il prit position vers l'endroit où est
aujourd'hui Saint-Germain-l’Auxerrois. Camulogène, averti par ceux qui
s'étaient enfuis de Melun, quitte sa position sur l’Essonne, retourne à
Lutèce, ordonne de l’incendier et de couper les ponts, puis vient camper sur
la rive gauche de Pour critiquer à fond ce passage de l’Histoire de Jules César, nous aurions besoin de savoir comment on s'est rendu compte grammaticalement du texte qui s'y rapporte. Mais qu'il nous soit seulement permis de demander où l’on
a pu voir que Labienus arriva à Lutèce avant Camulogène
? Évidemment c'est là une assertion tout à fait gratuite et une liberté
grande, que, pour notre part, nous n'eussions point osé nous permettre avec
l’auteur des Commentaires. De plus, nous allons être informé ci-après
que Labienus, dans sa marche de Melun vers Lutèce, était accompagné d'une
flottille de très-grandes barques (naves). Comment donc, s'il eût pris
l’avance sur Camulogène, tant de grandes barques eussent-elles pu passer à
l'embouchure de l'Essonne, sans que Camulogène et tous ses Gaulois les
eussent aperçues de leur position, qui dominait le cours de Tout cela ne s'accorde donc guère avec le texte des Commentaires de César. Et l'on nous permettra, sans doute, de nous borner à ces observations, pour en revenir à l'examen de ce texte même. A en croire César, les Parisiens auraient incendié leur ville
et coupé les ponts de leur île parce que des
fugitifs de Melun seraient venus les informer de la marche de Labienus vers
Lutèce par la rive droite de Et, du reste, comment croire que Camulogène, ce vieux guerrier, élevé à l’honneur du commandement de l'armée gauloise à cause de sa science sans égale des choses de la guerre, — propter singularem scientiam rei militaris, — n'ait eu précédemment aucun souci de savoir où Labienus allait quand il rebroussa chemin devant lui ; s'il se dirigeait sur Melun, ou s'il allait faire un détour à droite pour revenir ensuite sur Lutèce par la route de Genabum ? Et, par conséquent, peut-on croire qu'il ait fallu que des fugitifs de Melun vinssent lui apprendre ce que Labienus avait fait ? César dit bien que Labienus était sorti de son camp en silence, à minuit ; mais, dans le silence général de la nuit, le départ de vingt-quatre mille hommes avait-il pu s'effectuer sans qu'on l'entendît d'une position certainement très-voisine ? Et, ne l'eût-on nullement entendu de la position de Camulogène, que trois ou quatre heures plus tard (dès l'aube du jour en plein été), on eût vu la place vide, et que les cavaliers gaulois n’eussent pas eu longtemps à courir avant de revoir l’armée ennemie, pour en rapporter des nouvelles au vieux chef : lequel, dès lors, ne pouvait manquer de la faire suivre de très-près et surveiller avec soin de toutes parts. Pourquoi enfin Camulogène aurait-il conduit l'armée
gauloise en face du camp de Labienus, sur la rive opposée de Mais cet incendie de Lutèce par les Parisiens eux-mêmes,
en nous rappelant tant d'autres incendies de villes de Voilà pourquoi ils vont prendre position en face du camp de Labienus, — contra Labieni castra considunt : — bien résolus à lui couper la retraite, quel que puisse être pour eux le péril d'une telle entreprise. Ce fut là, certes, un acte courageux et patriotique de la part des ancêtres des Parisiens. Honneur à eux ! Ainsi, on voit assez clairement que César, pour cacher au
lecteur des Commentaires les conséquences alarmantes de sa défaite de
Gergovia et de sa fuite au-delà de Déjà l’on entendait dire que
César s'était retiré de devant Gergovia ; déjà couraient des rumeurs de la
défection des Éduens et d'un nouveau mouvement de toute C'est pourquoi, vers la fin du
jour, il assemble le conseil, et, après une exhortation à exécuter
ponctuellement et avec activité les ordres qu'il va donner, il désigne pour
commander chacune des barques qu'il a amenées de Melun autant de chevaliers
romains ; et dès la fin de la première veille (dès neuf heures du soir), il leur
donne l’ordre de suivre en silence le cours du fleuve jusqu'à la distance de
quatre mille pas ( Lorsqu'on y fut arrivé, les sentinelles
des ennemis placées là, comme ils en avaient placé tout le long du fleuve, ne
se doutant de rien, attendu qu'un violent orage s'était subitement élevé,
sont massacrées par nos éclaireurs ; et bien vite l’armée avec la cavalerie
sont transportées sur l'autre rive, par les soins des chevaliers romains que
Labienus avait chargés de cette opération. A l’approche du jour, on vient
presque en même temps annoncer aux ennemis que, contre l’habitude des
Romains, il se fait dans leur camp beaucoup de tumulte, et que des troupes en
grand nombre remontent le long du fleuve, et qu'on entend aussi de ce côté-là
un bruit de rames ; et qu'en même temps, à une petite distance en aval, des
troupes passent le fleuve sur des barques. A cette nouvelle, croyant que les
légions traversent Au point du jour, le passage des nôtres était complètement effectué, et l'on apercevait les ennemis arrivant en ordre de bataille. Labienus, après avoir encouragé les soldats... donne le signal du combat... Cette bataille terminée, Labienus revient à Agendicum (Sens) où avaient été laissés les bagages de toute l’armée ; de là, avec toutes ses troupes, il parvient auprès de César. — LIX-LII. En pesant avec soin les expressions employées ici par
César, et en appréciant avec attention les faits qu'il raconte, faits qui
doivent ici, comme toujours, l'emporter sur les paroles, il est aisé de
reconnaître la liaison naturelle qui existe entre les événements qui viennent
d'avoir lieu du côté de Gergovia sur les rives de l'Allier et de Évidemment, à la nouvelle des événements de Gergovia, les Parisiens, qui avaient été des premiers à s'entendre avec Vercingétorix, lui tiennent parole et prennent immédiatement l'offensive, en mettant à exécution la tactique adoptée contre l’ennemi commun. Ils incendient donc Lutèce de leurs propres mains, et détruisent ainsi tous les vivres, toutes les ressources que Labienus eût pu y trouver. Puis Camulogène, avec les troupes, abandonnant ce monceau de cendres fumantes, part de la montagne Sainte-Geneviève et va prendre position en face du camp de Labienus, dans la courageuse intention de lui disputer le passage du fleuve et de lui barrer la retraite au sud ; pendant que les Bellovaques, de leur côté, courent aux armes pour venir harceler Labienus sur ses derrières et aussi lui couper les vivres. Voilà dans quelle situation périlleuse le contrecoup des revers de César du côté de Gergovia avait jeté son lieutenant Labienus du côté de Lutèce ! voilà ce que l’orgueil militaire de l’illustre guerrier avait intérêt à cacher par l'anachronisme signalé plus haut et au moyen duquel il rattache la prise d'armes des Parisiens et des Sénons à un motif sans valeur, au cri d'alarme de quelques fuyards échappés de Melun devant Labienus. Labienus, dans la ruse de guerre qu'il a employée pour
passer plus facilement Cherchons d'abord sur quel point du cours de Nous ne reviendrons pas sur les péripéties de cette
bataille gagnée par Labienus, où toute l’aile
droite de l’armée parisienne se fit tuer sur place avec le noble guerrier qui
la commandait, sans qu'un seul homme songeât à lâcher pied, dit
César lui-même. Fait mémorable, acte héroïque tel que les annales militaires
de notre race n’en présentent point de plus beau ! Nous avons déjà eu
l'occasion d'en parler, pour constater la supériorité incomparable des armes
de main des légionnaires relativement à celles des Gaulois[28]. On peut donc
dire que, dans celle occasion, la victoire a mis en lumière à la fois et la
puissance des armes qui étaient dans les mains des vainqueurs, et l'énergie
du courage qui était dans le cœur des vaincus. L'avantage des armes peut se
perdre ; le courage se perpétue dans le sang des peuples. A qui donc revient
la gloire de cette bataille ? Les Romains, à la vérité, ont pu joindre au
butin de Genabum et d'Avaricum les dépouilles sanglantes de ces anciens
Parisiens, morts pour l’indépendance de Cette expédition de Labienus doit donc être rattachée aux
autres événements de la septième campagne de Gaule de la manière suivante.
César, après avoir tiré vengeance des Carnutes à Genabum, des Bituriges à
Avaricum, et avoir, autant que possible, consolidé à Decetia les liens de son
alliance avec les Éduens, voyant qu’il restait encore deux foyers principaux
où le souffle de la liberté ranimait le feu de la guerre, résolut d'en finir
des deux côtés à la fois. Il partit donc de Decetia avec six légions
accompagnées de cavalerie éduenne et se porta au sud contre les Arvernes et
leurs clients, réunis sous le commandement de Vercingétorix ; et il envoya au
nord Labienus avec quatre légions contre les Sénons et les Parisiens, réunis
sous le commandement de Camulogène. On a vu précédemment ce qui advint à
César. On vient de voir que Labienus en ressentit le contrecoup, et que, à un
certain moment, il se trouva sur la rive droite de On savait tout cela à Rome quand César dictait ses Commentaires. La comparaison des deux guerriers romains dans ces deux situations semblables s'offrait à la pensée de tous ; elle était délicate pour la renommée de l'illustre écrivain militaire : de là, peut-être, l'expression fugam parare, qu'on rencontre dans son récit de l'expédition de Labienus contre les Parisiens, après qu'il eût été obligé de le prononcer au sujet de sa propre expédition contre les Arvernes. En effet, prononcer le mot de fuite au sujet des mouvements de Labienus, qui évidemment n'avait point fui, n'était-ce pas induire de nouveau le lecteur des Commentaires à croire qu'on avait bien pu commettre la même erreur à l'égard de César ? Et ce mot utile que le narrateur ne pouvait prononcer de lui-même, il le met dans la bouche de l'ennemi. Procédé remarquable auquel César a eu recours plus d'une fois dans les circonstances délicates, et que nous aurons à apprécier dans une autre occasion tout à fait semblable, et beaucoup plus importante. Remarquons encore que César ici ne blâme nullement Labienus d'avoir, sur les affirmations des Gaulois relatives au changement survenu tout à coup dans l'état des choses, pris le parti de faire retraite du pays de Lutèce. Ainsi il ne le blâme point d'avoir accordé aux paroles de l’ennemi cette même confiance aveugle qu'il a si amèrement blâmée dans Titurius Sabinus, au sujet du désastre éprouvé par cet autre lieutenant, pour avoir, sur des affirmations semblables d'Ambiorix, pris le parti de faire retraite d'Aduatuca. César serait donc ici en contradiction avec lui-même, ou bien il aurait jugé la conduite de ses lieutenants d'après le résultat, non d'après les règles de la prudence militaire. Mais peut-être ne nous dit-il pas toute la vérité. En effet, comment admettre qu'un homme de guerre tel que Labienus, qui fut presque un émule de César, ait agi dans des circonstances si graves avec tant de légèreté ? On doit donc plutôt présumer que César lui-même aura, par quelqu'un de ces moyens occultes dont il disposait, informé Labienus des événements survenus dans le pays des Arvernes, et de ce qu'il avait à faire en de telles conjonctures. Nous avons vu d'ailleurs, dans la
maturité des blés sur pied, dont César rassasia son armée après
avoir passé La première, c'est la concordance parfaite de la nouvelle
apportée à Lutèce, ou de l'écho des événements de Gergovia, avec
l'appréciation que nous avons faite nous-même de ces événements. En effet.
César, selon nous, s'étant d'abord jeté à l'est du cours supérieur de Mais surtout pesons bien cette expression du récit de
César : Alors Labienus, en présence d'un tel
changement dans l'état des choses, — tanta
rerum commutatione — ne songe plus qu'à
ramener son armée saine et sauve à Agendicum. Ce changement si grand
dans l’état des choses nous paraît impliquer presque nécessairement que
César, toujours vainqueur, vient d'être vaincu ; que César, toujours si
prompt à attaquer l'ennemi et à le poursuivre, Tient de prendre la fuite. Du
reste, si l’on n'admet pas cela, comment comprendre que Labienus vainqueur ne
songe plus qu'à faire retraite du côté du sud ? La seconde chose à remarquer, c'est l'insistance avec
laquelle César, ici encore, pour la troisième fois, tend à induire en erreur
le lecteur des Commentaires, au sujet des conditions géographiques dans
lesquelles il s'est trouvé entre La troisième chose à remarquer, c'est que César emploie
deux expressions, notablement différentes, pour indiquer les deux marches
successives par lesquelles Labienus fit retraite, depuis le voisinage de
Lutèce jusqu'au point où s'opéra la jonction des deux corps d'armée. César se
sert d'abord du mot revertitur, pour
indiquer la marche de son lieutenant depuis près de Paris jusqu'à Sens : — Labienus revertitur Agendicum ; — ensuite, il
emploie le mot pervenit, pour indiquer
la continuation de sa marche depuis Sens jusqu'au lieu où se fît la jonction
des deux corps d'armée : — Inde, adCæsarem pervertit.
— Or, d'un côté, le mot revertitur
indique simplement une marche en sens inverse d'une marche précédente, sans
impliquer aucune idée de grande distance franchie ; de l'autre côté, le mot
pervertit implique l'idée d'une marche difficile, et comme ici la route est
facile, la difficulté ne peut provenir que de la grande distance. Par
conséquent, la différence de ces deux expressions nous parait impliquer dans
la pensée de César — qui employait toujours le mot propre, et qui connaissait
parfaitement la géographie de L'expression ad Cæsarem pervenit
n'implique point du tout que César lui-même fût en marche au moment où
Labienus le rejoignit. Peut-on en conclure que César a fait séjour deux fois
depuis son passage de Il nous reste la ressource de rapprocher ici toutes les indications, plus ou moins vagues, d'où l'on peut induire approximativement entre quelles limites, sur le terrain, dut s'opérer cette jonction des deux corps d'armée. Nous Tenons dé voir un premier élément géographique qui la placerait au sud de Sens, et à une distance de cette ville plus grande que celle de Sens à Lutèce. Voici un second élément géographique à l'appui de cette
première approximation. Nous avons vu que César s'est jeté à l’est du cours supérieur de Par conséquent, on le voit, tout s'accorde, et dans les Commentaires et sur le terrain, pour que la jonction de César et de Labienus ait eu lieu dans la région où l'on voit aujourd'hui Beaune, Dijon et Saint-Jean-de-Losne, c'est-à-dire au sud et notablement loin d’Alise-Sainte-Reine sur le mont Auxois. Ainsi déjà, de cet itinéraire que nous venons d'indiquer à
grands traits et avec des points de repère depuis Gergovia jusqu'au lieu de
ralliement de toute l'armée romaine, en nous fondant sur la discussion des Commentaires
et sur les conditions géographiques de En effets l'opinion que nous critiquons, et qui vient de
recevoir un nouvel appui dans l’Histoire de Jules César — peut-être
même aussi, jusqu'à un certain point, l'opinion qui place Alésia à Alaise en
Franche-Comté —, exigerait que César, de sa
position près de Lapalisse, eût passé Contentons-nous de signaler ces objections sans revenir sur les considérations que nous avons déjà très-longuement exposées plus haut, et suivons le récit de César, où nous trouverons des preuves plus directes à l'appui de notre propre opinion sur ce point important. |
[1] Nous n'avons pas besoin de faire remarquer que c'est ici César qui parle. Nous avons cru devoir conserver au récit tout son caractère césarien, comme nous continuerons de le faire dans la suite de ce travail, non-seulement parce qu'il est bon à tous égards d'y laisser cette marque personnelle, mais encore parce que, en l'effaçant, nous eussions craint de toucher au sens exact des expressions de l'illustre auteur.
[2] On voit ici que le Sénat de Rome avait eu soin de se ménager, à l'extrémité sud-ouest de la chaîne des monts Cévennes, aussi bien qu'à son extrémité nord-est, l'amitié d'un prince, qui pût, à l'occasion, appeler les légions protectrices de ce côté-là, comme elles ont été appelées de l'autre côté par ses amis les princes éduens. Mais hâtons-nous de faire remarquer que le Sénat a mal réussi chez les Nitiobriges, puisque, tout au contraire, au premier appel de Vercingétorix par l'entremise de Lucter, voilà leur cavalerie qui accourt auprès de lui, avec celle de leurs voisins, les Gaulois d'Aquitaine, à leur grand honneur à tous.
[3] Atque ea pars, quæ minus sibi confideret, auxilla a Vercingetorige arcesseret, huic rei prævertendum existimavit... (præveriendum, prævertere : détourner par devant, déblayer la voie à la chose). On voit l'euphémisme de ce langage politique : moins de confiance.
[4] Hoc decreto interposito, cohortatus Æduos ut controverslarum ac dissensionum obliviscerentur, atque omnibus omissis rebus, huic bello servirent, eaque quæ meruissent præmia ab se, devicta Gallia, exspectarent. — Cette promesse de César est très-importante à remarquer. C'est un texte capital, qui résume toute la politique de César en Gaule, et qui nous fournira plus tard l’explication naturelle de certaines faveurs très-considérables et tout à fait exceptionnelles dont furent comblés, après la guerre, certains princes éduens.
[5] Place forte des Arvernes, qui était située au sommet du mont Gergoi actuel, à cinq kilomètres sud-sud-est de Clermont-Ferrand (ville appelée jadis Nemossus, puis Augusto-Nemetum, sous le règne d'Auguste).
[6] Voilà, dans tout ce passage de César, un singulier mélange de l'amour de l'argent avec l'amour de la liberté. Ces deux passions cependant ne vont guère de compagnie ; elles seraient plutôt exclusives l'une de l'autre. De généreux princes peuvent bien donner ou exposer leur vie pour la liberté de la patrie ; mais, pour un surcroît d'argent, est-ce probable ? Autant il est commun dans l'histoire que l'argent ait été un moyen de parvenir à l'asservissement des peuples (et les Romains et César en fournissent de nombreux exemples), autant il est inouï que l'argent ait été un moyen de susciter des défenseurs de leur liberté. La liberté fait honneur à qui la sert, mais elle exige du dévouement : c'est une noble et généreuse passion : celle des grandes âmes et des grands peuples.
[7] Atque hos latrones interficiamus ! — César emploie toujours le mot propre, et, quand un mot suffît pour indiquer complètement ce qu'il veut dire, il n'en met pas deux. D'où nous concluons que César, pour faire connaître lui-même l'opinion des Gaulois à l'égard des Romains, n'a point trouvé d'expression plus exacte que celle de brigands. Voilà l'histoire romaine écrite en un seul mot de la main de César. Du reste, les preuves ne manquent pas à l’appui. On peut choisir, sans sortir de notre sujet, jusqu'à démonstration complète.
[8] On voit par ce passage que César aimait tout particulièrement les Éduens ! C’est ainsi que le fabuliste, qui peint si heureusement les politiques, met en scène leur tendresse intéressée :
Que seul entre les tiens par amour singulière,
Je t'ai toujours choyée, l'aimant comme mes yeux...
Appien avait donc bien raison de dire que César était terriblement habile dans l'art de l'hypocrisie.
[9] Cet événement dramatique ayant eu lieu, d'après le texte, sur la route qui mène du pays des Éduens à Gergovia, et à plus de vingt-cinq milles de Gergovia, ce dut être sur les rives de l'Allier, non loin de Randan, et à environ quarante kilomètres du mont Gergoi, où était situé le célèbre oppidum des Arvernes.
[10] César lui-même nous en fournit ailleurs la preuve la plus claire. Voici, en effet, ce qu'il dit et que nous avons fait remarquer précédemment (au sujet d'une ruse employée par Labienus pour attirer les Trévires dans une position périlleuse) : — Et pour mieux faire croire aux ennemis qu'il les redoute, il ordonne de décamper avec plus de bruit et de tumulte que n'en comporte l'habitude du peuple romain. Par ce moyen il rend son départ semblable à une fuite. (De Bell. Gall., VI, VI.)
[11] Voir De bell. Gall., V, XLVIII ; — III, XVIII ; — VI, VI.
[12] De bell. civ., III, LXXIX, LXXV, LXXVII.
[13]
Qu'on veuille bien nous permettre de placer ici une observation. — A partir de
ce point des Commentaires où nous en sommes, jusqu'à la fin du septième
livre, nous avons été obligé de nous séparer complètement de toutes les
opinions admises jusqu'à présent, dans l'appréciation et l'application locale
de ces péripéties de notre histoire ancienne, où nous tentons de porter la
lumière. Ainsi désormais, nous allons exposer, touchant la guerre de Vercingétorix,
une opinion totalement nouvelle ; et nous osons espérer que le lecteur attentif
partagera notre conviction à cet égard, s'il reconnaît comme nous qu'elle est
fondée sur tout l'ensemble des documents qui nous sont parvenus : c'est-à-dire
sur une concordance complète soit avec les divers textes des Commentaires
(que nous aurons soin de citer), soit avec divers points de repère qui y sont
indiqués çà et là, soit avec ce qu'ont dit au même sujet d'autres auteurs
anciens, soit enfin avec la géographie physique du territoire de
[14] VII, LIV.
[15] Les Commentaires présentent deux lacunes totales, où le texte même est interrompu. L'une, dans le récit de la guerre civile près de Dyrrachium, correspond d'après d'autres auteurs anciens à un événement où César, trahi par un homme qui paraissait trahir Pompée, au lieu de surprendre l'ennemi, fut lui-même surpris, courut de sa personne un très-grand danger, et perdit bon nombre des siens. L'autre lacune totale correspond au siège d'Avaricum (Bourges), durant lequel Vercingétorix, campé dans le voisinage, harcelait de près les Romains, leur coupait les vivres, et paraîtrait les avoir réduits à la famine. En effet, on peut en juger par ce qu'ils ont souffert de la faim près de Dyrrachium, où ils étaient réduits à manger de l'herbe appelée chara ; au sujet de quoi César fait la réflexion suivante : Que ses soldats avaient souffert bien davantage encore à Avaricum, où ils eurent à subir la plus grande famine qu'ils aient jamais endurée. (De Bel. civ., III, XLVII.)
César éprouva aussi à Avaricum plusieurs échecs graves qui sont très-légèrement indiqués dans les Commentaires, mais qu'Eutrope signale, d'après Suétone, en ces termes : — Quod oppidum diu oppugnatum tandem, post multas Romanorum clades, pluvio die, quum hostilium machinarum amenta nervique languerent, applicitis turribus, captum atque deletum est. — On voit que cette famine et ces échecs graves coïncident juste avec la fureur inouïe des Romains qui massacrèrent tous les habitants d'Avaricum.
De ces remarques rapprochées du texte que nous examinons, on est autorisé à conclure : que César a omis des indications importantes dans le récit des événements où il n'avait pas joué le beau rôle ; et qu'il a fait cet honneur à ses adversaires au moins trois fois, une fois à Pompée et deux fois à Vercingétorix.
[16] De bell. Gall., V, VII.
[17] Dion Cassius, Histoire romaine, ch. XXXVIII.
[18] Florus, II, VI. Enéide, VI.
[19] En effet, César établit plusieurs nuances dans l'imprévu. Il survient un événement auquel personne ne pouvait songer, César passe les Cévennes couvertes de six pieds de neige et surprend, de l'autre côté de ces monts, les Arvernes qui ne s'attendaient à rien : voici l'expression qu'il emploie : — Quibus oppressis inopinantibus (VIII). — Des dangers auxquels Galba s'attendait pendant son hivernage, à Octodurus, surviennent plus grands qu'il ne l'avait prévu : César dit : Quum tantum repentini periculi præter opinionem accidisset (III, III). — César arrive chez les Belges plus tôt que ceux-ci ne s'y attendaient ; il est dit : Eo quum de improvisa celeriusque omnium opinione venisset (II, III). — Les Vénètes comptaient que, vu les difficultés de leur pays et le manque de blé, l'armée romaine ne pourrait demeurer longtemps chez eux, et que, alors même que tout viendrait démentir cette prévision, ils seraient encore, par leur flotte, les maîtres de la mer ; l'expression est : Ac jam ut omnia contra opinionem acciderent, tamen se plurimum navibus posse (III, IX). Ainsi, vis-à-vis des expressions plus faibles, inopinantibus, præter opinionem, celerius opinione, on voit que la dernière citée ici, contra omnium opinionem, correspond précisément à cette idée générale, tout le monde s'attend à une chose, c'est le contraire qui arrive.
[20] De bell. Civ., III, LXIX, LXXI.
[21] De bell. Civ., III, LXXIII.
[22] Tel est bien le sens de cette expression dans les Commentaires, à en juger par plusieurs autres passages, notamment : De bell. Gall., I, XVI, LV ; — De bell. Civ., III, LXXXI.
[23] Histoire de Jules César, Paris, Imprimerie impériale, t. II, 1866.
[24] Quand celui qui ordonne est éloigné de celui qui doit obéir, César ne manque pas d'employer conjointement au verbe jubere un autre verbe, par exemple, mittere, qui indique la transmission de l'ordre à distance. Ainsi, au sujet des ordres qu'il donna, de Samarobriva, à Crassus et à Fabius, qui étaient éloignés de cette ville, il s'exprime ainsi : Nuntium in Bellovacos ad M. Crassum quæstorem mittit... jubet media nocte legionem proficisci... alterum ad C. Fabium legatum mittit, ut in Atrebatium fines legionem adducat. (V, XLV).
[25] Peuple du pays de Beauvais.
[26] Quinque ejusdem legionis reliquas. — On voit ici d'une manière certaine que dans l'armée de César une légion était composée de dix cohortes.
[27]
Fugam parare. — Dans l'Histoire de
Jules César il est dit (t. II, p. 249, en note) : Nous
n'avons pas reproduit ces mots fugam parare, parce que ce passage nous a
toujours paru inintelligible. Comment, en effet, les Gaulois, en voyant les
Romains prêts à passer
De notre côté, nous nous croyons obligé à reproduire cette même expression du récit de César, et elle nous parait très-claire à comprendre et très-naturellement placée là.
En effet, il est bien vrai que d'ordinaire le mot fugam, fuite, est employé pour indiquer l'action de courir sous l'impulsion de la terreur, et que ce n'est point le fait actuel des légions. Mais ici, où ce mot est placé dans la bouche d'un ennemi des Romains et accompagné du verbe parare, se disposer à, se préparer à, évidemment il ne présente plus qu'un sens hostile et très-atténué ; et il n'indique plus que l'action de sortir à la hâte d'une situation devenue tout à coup très-périlleuse, ce qui est ici le fait incontestable d'après le texte même des Commentaires. Or, en exagérant ainsi la vérité et en prêtant ici à l'ennemi cette pensée que les légions se disposent à s'enfuir, au lieu de dire simplement qu'elles se disposent à faire retraite du pays des Parisiens, César a pu avoir ses motifs : ne fût-ce que de faire accroire au lecteur, à la plus grande gloire des Romains, que Labienus, par sa ruse de guerre, avait réussi à tromper l’œil vigilant du vieux chef Camulogène. Mais l'examen attentif du récit de César, avec un peu de réflexion, va bientôt nous laisser apercevoir que ce mot fugam pourrait avoir été placé là dans l'intérêt politique du narrateur lui-même.
[28] Voir dans notre précédent volume, où cette importante question a été traitée avec les développements convenables. Nos conclusions à ce sujet ont été, après la publication de ce volume en 1865, régulièrement confirmées par les terribles avantages résultant des armes perfectionnées de notre temps.
[29] M. ROSSIGNOL, Examen critique de la traduction d'un texte fondamental..., Dijon, 1857, p. 12.