DÉFAUT D'UNION ENTRE LES CITÉS GAULOISES. GUERRES PARTICULIÈRES : DEFAITES SUCCESSIVES.
Consuls : Cn. Pompée le Grand, II, et M. Licinius Crassus, II.§ I. — Extermination des Usipètes et des Tenchtères. L'hiver
suivant, sous le consulat de Cn. Pompée et de M. Crassus, les Usipètes
et les Tenchtères, peuples germains[1], passèrent le Rhin en très-grand
nombre, non loin de l'endroit où ce fleuve se jette dans la mer. Ils
émigraient pour se soustraire aux invasions des Suèves[2], nation germaine la plus puissante et
la plus guerrière de toutes. Dans la région où ils vinrent
passer le Rhin, ses deux rives étaient alors occupées par les Ménapiens. Les
Usipètes et les Tenchtères surprirent d’abord ceux de la rive droite, en
massacrèrent un grand nombre, s'emparèrent de leurs barques, passèrent le
fleuve, et, surprenant de même les Ménapiens cisrhénans, prirent possession
de leur pays. César fut informé de cet événement en Italie. Craignant que ces
Germains ne fissent alliance avec les Gaulois et ne vinssent lui disputer la
possession de Il n'en était
plus éloigné que de quelques journées de marche, lorsqu'il reçut une
députation qui venait lui proposer de leur part : — d’être pour les Romains d’utiles amis,
à la condition que les Romains leur attribueraient un territoire, ou qu'ils
les laisseraient en possession de celui dont ils s'étaient rendus maîtres. César répondit : — qu’il n'y avait en Gaule aucun
territoire vacant à donner :, surtout à une si grande multitude ; mais qu’il leur serait permis, s'ils le voulaient, daller s'établir
au-delà du Rhin, sur le territoire des Ubiens[5] : peuple dont une députation se trouvait
actuellement auprès de lui, se plaignant des vexations des Suèves et lui
demandant du secours. Il ajouta qu’il se faisait fort d’obtenir à cet égard
le consentement des Ubiens. Les émigrants
demandèrent trois jours pour délibérer sur cette proposition, et
prièrent César de consentir, en attendant, à ne pas s'avancer davantage.
César n'y consentit point : — car il savait (dit-il lui-même)
qu'une grande partie de leur cavalerie avait traversé La cavalerie germaine, de retour après ce désastre, fit alliance avec les Sicambres[8] et se fixa dans le voisinage des Ubiens[9]. S II. — Première expédition de César en Germanie. Ensuite César passa le Rhin avec l'armée, sur un pont qui fut établi par les légionnaires dans l'espace de dix jours[10] ; il y laissa une forte garde, et se dirigea chez les Sicambres. Ceux-ci, accompagnés des Usipètes et des Tenchtères, se retirèrent dans les bois avec tout ce qu'ils possédaient. César, après avoir incendié leurs habitations et ravagé leur territoire, se rendit chez les Ubiens, auxquels il promit sa protection si les Suèves les attaquaient. Les Suèves, après avoir caché au fond des forêts leurs familles et leurs biens, avaient rassemblé sur un point de leur territoire tous les hommes en état de porter les armes, et ils y attendaient les Romains, avec la ferme résolution d'accepter la bataille. César, qui en fut instruit, jugea à propos de ne pas pousser plus avant, repassa le Rhin dix-huit jours après l'avoir franchi, et fit couper le pont. § III. — Première expédition de César en Bretagne. L'été
touchait presque à sa fin ; cependant César résolut de passer en Bretagne,
ne dût-il y faire cette année-là qu'une simple reconnaissance de l'île, se
renseigner sur les hommes qui l'habitaient et se rendre compte par lui même
des lieux, des ports, et des moyens d'y parvenir : toutes questions presque
inconnues aux Gaulois. Car les marchands seuls osaient aborder dans
cette île, et encore n'en visitaient-ils que le littoral de la région qui
fait face à La nouvelle de ces préparatifs ayant été portée dans l'île par les marchands, des députés de plusieurs cités bretonnes vinrent lui promettre de donner des otages et de reconnaître l'autorité du peuple romain. César les renvoya chez eux en leur faisant de généreuses promesses, et leur adjoignit Commius, gaulois qu'il avait lui-même fait roi des Atrébates après leur défaite, qu'il appréciait comme un homme de courage et de ressources, auquel il croyait pouvoir se fier, dit-il[11], et qui jouissait d'une grande influence dans ses contrées. Il lui donna la mission de visiter beaucoup de cités de l'île et de les engager à prendre parti pour le peuple romain, en leur annonçant sa prochaine arrivée. Volusenus revint cinq jours après son départ rendre compte à César de l'inspection de la côte, qu'il avait faite seulement à distance : n'ayant osé y aborder ni se fier aux barbares. Pendant les préparatifs de cette expédition de Bretagne, les Morins, effrayés de la présence d'un tel hôte au milieu d'eux, s'étaient empressés de venir lui faire leur soumission. Et César, trop heureux de ne point les avoir pour ennemis au moment où il allait tenter cette aventure, après avoir exigé d'eux la remise d'un grand nombre d'otages, avait bien voulu les recevoir en grâce. Ayant ensuite requis et rassemblé
quatre-vingts vaisseaux de charge, qu'il jugea suffisants pour le transport
de deux légions, il répartit tout ce qu'il avait de vaisseaux longs sous les
ordres du questeur, des lieutenants et des préfets. Dix-huit autres navires
de chaire, retenus par les vents, à huit milles de distance[12], furent destinés au transport de la cavalerie. Il envoya
le reste de l'armée, sous les ordres des lieutenants Q. Titurius Sabinus et
L. Arunculeius Cotta, chez les Ménapiens et chez ceux d'entre les Morins qui
ne lui avaient point encore envoyé de députation. Il laissa à la garde du port
le lieutenant P. Sulpicius Rufus, avec des forces suffisantes. Après toutes
ces précautions prises, César, profitant d'un temps favorable, leva l'ancre
un peu avant la troisième veille (un
peu avant minuit), en donnant l'ordre à la
cavalerie d'aller s'embarquer dans le port situé plus loin, et de le suivre
sans retard. De sou côté, il atteignit le rivage de Bretagne avec ses premiers
vaisseaux vers la quatrième heure du jour (dix
heures du matin). Cette première expédition de Bretagne ne dura que très-peu
de jours et se réduisit, pour ainsi dire, à une reconnaissance du littoral
qui fait face à § IV. — Incursion de T. Labienus chez les Morins, et dévastation du pays des Ménapiens par Q. Titurius Sabinus et L. Arunculeius Cotta. Le lendemain de son retour sur le continent. César détacha, sous le commandement du lieutenant T. Labienus, les deux légions qu'il avait ramenées de Bretagne, et les envoya à la poursuite des Morins, qui s'étaient révoltés, et qui, ne pouvant trouver un refuge dans leurs marais, desséchés alors par des chaleurs inaccoutumées, ne tardèrent pas à tomber presque tous en son pouvoir. Quant à l'attaque dirigée par les
lieutenants Q. Titurius Sabinus et L. Cotta contre les Ménapiens, elle
n'aboutit pas à un résultat aussi avantageux pour les Romains. Les Ménapiens,
s'étant retirés dans d'épaisses forêts, y demeurèrent inaccessibles ; et les
légions employées à cette expédition durent se borner à ravager les champs, à
couper les blés et à incendier les habitations. Après quoi elles rejoignirent
César, qui distribua l'armée en quartiers d'hiver chez les Belges. Ces faits accomplis, César en adressa le récit à Rome, où des actions de grâces durant vingt jours furent décrétées par le Sénat. |
[1]
Les Tenchtères
étaient sur la rive droite du Rhin, vers son confluent avec
[2] Peuple dont le nom a persisté dans celui de Souabe, Suevia.
[3] Pays de Liège avec le territoire qui s’étend à l'est jusqu'au Rhin.
[4] Le Condros, au sud de Liège.
[5] Territoire de Cologne. — Tacite, Annal., XII, XXIII.
[6]
Quelques savants placent ces Ambivarètes
ou Ambivarites, dans
le pays d'Anvers, à raison de l’analogie des noms. Mais d'autres savants,
considérant cette région comme trop peu fertile et trop éloignée de
Quoi qu'il soit, ou ne doit pas confondre le peuple dont César parle ici avec un autre peuple du même nom, ou d'un nom analogue, les Ambivarètes, qui faisait partie de la clientèle des Éduens et dont il sera parlé au septième livre des Commentaires.
[7]
L'horrible carnage de cette population émigrante rappelle celui de l'émigration
des Helvètes attaquée à l'improviste au bord de
[8]
D'Anville place les Sicambres
ou Sigambres, sur la
rive droite du Rhin, à la hauteur de Düsseldorf. Dewetz les place un peu plus
au sud, entre
[9] Du côté du nord, entre Wesel et Lippstadt, croit-on.
[10] Probablement au voisinage de Bonn, comme on le verra plus loin.
[11]
Quem sibi fidelem arbitrabatur.
— Ce qui veut dire seulement que César avait beaucoup fait pour gagner Commius
et l'amener à trahir
[12] Probablement dans le port de Boulogne (Gessoriacum), pendant que César, avec le gros de la flotte, se serait trouvé dans le port de Witsan, ou Wissant, qui est aujourd'hui obstrué par des sables.
[13] Signalons ici dans le texte un détail qui nous intéresse beaucoup au point de vue de l'effectif des légions que César avait en Gaule. A ce retour de Bretagne, deux vaisseaux de charge furent séparés du reste de la flotte et forcés d'aborder un peu plus bas. Il s'y trouvait, dit César, trois cents soldats, ce qui fait 150 soldats sur chacun de ces deux vaisseaux de charge. Or, nous avons vu que César avait réparti les deux légions sur 80 vaisseaux de charge ; ce qui, à 150 soldats par vaisseau, porterait l'effectif total des deux légions à 80 fois 150 ou 12.000 légionnaires ; c'est-à-dire à six mille hommes par légion, sans compter la cavalerie, les équipages, etc. C'est là, on le voit, une confirmation irrécusable de ce que nous avons dit dans nos préliminaires sur ce sujet important.