DÉFAUT D'UNION ENTRE LES CITÉS GAULOISES. GUERRES PARTICULIÈRES : DEFAITES SUCCESSIVES.
Consuls : Cornélius Lentulus et Q. Cæcilius Metellus.§ I. — Ligue défensive des Belges : César vient les attaquer ; Divitiac dissout la ligue : conséquences funestes. De proche en proche, le bruit de ces événements s'était
répandu au loin, et Il était alors en Italie ; il y
leva en toute hâte deux nouvelles légions qu il envoya au plus tôt en Gaule,
et le moment venu d'entrer de nouveau en campagne, le voila lui-même à la
tête de plus de huit légions sur les frontières de Les Rhèmes[1], peuple belge, limitrophe de D'un autre côté, l’habile Romain
était parvenu à nouer des intelligences avec les Trévires[2], qui avaient un renom particulier de bravoure parmi tous
les Belges, et il avait obtenu d'eux qu'ils missent à sa disposition un corps
de cavalerie. Ce n'est pas tout encore : il faut que Après quoi, ayant appris par ses éclaireurs et par les Rhèmes que l'armée belge en masse s'avance vers lui et n'est déjà plus qu'à une petite distance, il se hâte de passer l'Aisne (Axona), rivière qui coule à la frontière des Rhèmes, et il établit son camp sur l'autre rive, de telle manière qu'il soit flanqué d'un côté par ce cours d'eau, et que les Rhèmes et les autres cités puissent sans aucun danger lui apporter des vivres par derrière. Les Belges, irrités de la
défection des Rhèmes, avaient tenté d'enlever une de leurs places fortes, située
à huit milles de là, Bibrax[4], et lui avaient donné l'assaut pendant toute une journée
avec une telle vigueur que la place n'avait pu que très-difficilement
résister. César, informé de l'attaque de Bibrax, y envoie la nuit suivante un
renfort d'archers crétois et numides et de frondeurs baléares. Les Belges,
perdant alors l’espoir de s'en emparer, s'avancent contre lui avec toutes
leurs forces, et viennent prendre position à deux mille pas de son camp, dont
ils ne sont plus séparés que par un marais de peu d'étendue. Fendant quelque
temps on s'observe de part et d'autre, on se borne à se tâter par des
escarmouches de cavalerie. Fuis César couvre ses flancs de retranchements
formidables, et présente la bataille sur un terrain où il a de son côté tous
les avantages. Les Belges la refusent, avec juste raison, et se portent à des
gués du voisinage pour tenter de passer l'Aisne et de couper les communications
des Romains avec les Rhèmes, qui leur sont d'un si grand secours. Aussitôt
César se porte à la hâte par l'autre rive (rive
gauche) sur les mêmes points, avec toute la
cavalerie et les troupes légères, pour s'opposer au passage. Le combat devient
acharné et les Belges montrent un grand courage, mais c'est en pure perte
qu'ils font le sacrifice d’un grand nombre d'hommes intrépides. Les uns, en
s'efforçant de passer la rivière sur les cadavres des leurs, tombent à leur
tour ; les autres, après avoir réussi à la passer, se trouvent entourés par
la cavalerie de César qui les taille en pièces. A l’insuccès de cette tentative vient s'ajouter la fatale nouvelle que Divitiac est en marche avec l’armée éduenne, et que déjà il touche aux frontières des Bellovaques. Aussitôt le contingent bellovaque prend l'alarme, et veut courir au secours de sa cité en danger. Alors les Belges assemblent leur conseil, et on y décide que le mieux à faire est que chaque contingent regagne sa cité, sauf à tous de voler au secours de ceux qui seraient les premiers attaqués. Voilà donc la ligue défensive des Belges dissoute par l'action de Divitiac ! Voilà ces malheureuses cités de nouveau isolées en présence de l'ennemi commun ! Car comment croire qu'elles aient réellement compté avoir le temps nécessaire pour revenir toutes ensemble au secours de celle qu'un tel ennemi va attaquer ? Rien, en réalité, ne pouvait mieux servir les intérêts de César que cette résolution des Belges. Tout d'abord vivement poursuivis dans leur retraite, ils essuient des pertes énormes : d'autant plus que leur arrière-garde entreprend courageusement de tenir ferme contre la cavalerie romaine et trois légions envoyées à la poursuite, sous le commandement de Labienus[5]. Le lendemain César se porte a
marches forcées sur le territoire des Suessons[6], voisins des Rhèmes ; il arrive devant leur place de Noviodunum[7] avant le contingent de cette cité qui faisait partie de l’armée
belge, et immédiatement il y fait donner Tassant, comptant trouver la place
dépourvue de défenseurs. Mais les quelques troupes qui y étaient restées
suffisent pour la défendre, grâce à la largeur des fossés, à la hauteur des
murs, et il faut que César entreprenne un siège en règle. Sur ces
entrefaites, le nombreux contingent des Suessons arrive, et pendant la nuit
se jette dans la place. A l'extérieur on pousse les vignes[8] vers le rempart sans perdre un instant, on établit la jetée,
on construit les tours... A la vue de
ces gigantesques travaux poussés par les Romains avec tant de célérité, les
Gaulois, qui jamais jusque-là n'avaient été témoins ou n'avaient entendu
parler de rien de pareil, se troublent et se rendent à discrétion[9]. César veut bien toutefois, à la prière des Rhèmes, à qui
il n'a rien à refuser après les services qu'ils lui ont rendus[10], faire grâce de la vie aux Suessons, en se contentant de
leur enlever toutes leurs armes et d'emmener avec lui comme otages les
principaux habitants de leur cité avec les deux fils de Galba, leur roi. Puis César conduit l'armée chez
les Bellovaques, qui s'étaient retirés dans leur place de Bratuspantium[11]. A environ cinq milles de cette place, il rencontre tous
les vieillards qui venaient mettre la cité à sa merci, en protestant qu'ils
ne voulaient pas faire la guerre aux Romains. Divitiac est là et parle pour
eux. Il dit à César — que les Bellovaques
occupent une grande place dans l'amitié de la cité éduenne ; que si, dans
cette circonstance, ils ont eu le tort de manquer aux Eduens et de prendre
les armes contre le peuple romain, les seuls coupables, en réalité, sont
quelques-uns de leurs chefs, qui leur avaient fait croire que les Eduens,
réduits en esclavage par César, avaient à souffrir des indignités et des
injures de toutes sortes ; mais que les auteurs de cette pernicieuse méprise,
se faisant justice à eux-mêmes, se sont exilés en Bretagne (Angleterre). Il lui
demande de vouloir bien considérer que ce ne sont pas seulement les
Bellovaques. mais encore avec eux les Eduens, qui le supplient de se montrer
doux et clément ; et que, s'il acquiesce à cette prière, les Éduens lui en
sauront d'autant plus de gré qu'il en résultera pour eux auprès de tous les
Belges un accroissement de crédit d'une utilité extrême, en cas de guerre.
— Voilà ce qui est dit dans les Commentaires (II, XIV). De pareilles raisons ne permettaient pas
d'hésiter. César en est touché et consent à accepter la soumission des Bellovaques,
et à leur laisser la vie sauve, mais en leur expliquant bien qu'il ne le fait
que par considération pour Divitiac et pour les Éduens. Du reste, il leur
enlève toutes leurs armes et choisit parmi eux six cents otages. Cela fait, il passe chez les Ambiens[12], qui aussitôt se rendent à lui avec tout ce qu'ils possèdent, sans conditions et sans coup férir. § II. — Désastre héroïque des Nerviens, des Véromanduens et des Atrébates. Puis César entre sur le
territoire des Nerviens[13], qu'il trouve résolus à se défendre jusqu'à la dernière
extrémité. Réunis à leurs voisins, les Atrébates[14] et les Véromanduens[15], ils attendaient encore les Aduatiques[16], qui étaient en marche pour se joindre à eux ; et après
avoir mis en sûreté, au milieu de marais impénétrables à une armée, toute la
population incapable de porter les armes, ils s'étaient massés derrière L'armée romaine se montre sur une colline pareille de la rive opposée[17] ; les six premières légions y arrivent en tenue de combat, conduites par César lui-même, qui les range en face des Gaulois, deux légions à chaque aile et deux au centre. Puis il fait établir le camp, sous la protection de la cavalerie et des troupes légères, qui descendent au pied de la colline et passent la rivière en escarmouchant. Tout à coup les Gaulois, qui se
sont aussi rangés en trois corps sous le couvert des bois de l'autre rive,
s'élancent de là comme un ouragan, renversent ou repoussent dans la rivière
tout ce qu'ils rencontrent, la franchissent à leur tour et viennent assaillir
les légions sur la colline. César, de la gauche, où il laisse Labienus aux
prises avec les Atrébates, court au centre, qu'il trouve complètement engagé
avec les Véromanduens et combattant dans un grand désordre : chaque soldat
qui accourait des travaux s'étant placé sous la première enseigne qu'il avait
pu apercevoir. Mais bientôt la discipline et l'habitude des combats
permettent de se reconnaître. A l'aile gauche, Labienus repousse les
Àtrébates, les force, le glaive dans les reins, à repasser la rivière, les
suit au-delà, les refoule plus loin et s'empare du camp gaulois. Au centre,
les Véromanduens sont repoussés jusqu'à la rivière, où le combat se prolonge. Mais les deux légions de l'aile droite, qui se trouvent aux prises avec les Nerviens commandés par leur chef, Boduognat, sont gravement en péril et déjà très-affaiblies. Dans l'une de ces légions, la douzième, outre la perte d'un grand nombre de soldats, tous les centurions et le porte-enseigne de la quatrième cohorte sont tués, et l'enseigne est enlevée ; presque tous les centurions des autres cohortes sont tués ou blessés. Aucun effort ne peut faire reculer les Nerviens ; ce flot d'hommes héroïques monte par-dessus les cadavres dont il couvre le sol, il déborde sur les flancs des légions, il s'élance par derrière celles du centre, il envahit le camp, d'où s'enfuient dans toutes les directions, avec les valets de l'armée, les troupes légères et la cavalerie romaine. Et encore, à l'aspect de ce bouleversement général, les cavaliers trévires, auxiliaires des Romains, croyant que tout est perdu, retournent dans leur cité annoncer au plus tôt ce grand événement. Mais César, qui parvient à son aile droite ainsi accablée et voit les légionnaires faiblir, saisit le bouclier de l'un d'eux, s'avance au premier rang, appelle les centurions par leurs noms, encourage les soldats et dirige lui-même la charge au gladius. De son côté, Labienus, du haut de la colline opposée et d'un coup d'œil sûr, a apprécié le péril ; il renvoie à César en toute hâte la dixième légion, qui arrive bien à propos et lui donne enfin la victoire sur des monceaux de cadavres[18]. Dans cette fatale journée, la race et le nom des Nerviens s'éteignent et périssent presque entièrement. De 60.000 qu'ils étaient en armes la veille, il en restait à peine 500 qui fussent en état de combattre ; et de 600 sénateurs, 3 seulement étaient encore en vie. § III. — Défaite et extermination des Aduatiques. En ce moment-là même, les
Aduatiques venaient en hâte se joindre aux Nerviens. A la nouvelle du
désastre, ils rebroussent chemin, rentrent chez eux, et abandonnent aussitôt
leurs diverses places fortes pour se réfugier, avec tous leurs biens, dans un
seul oppidum, que la nature même avait rendu extraordinairement fort[19]. Sans perdre de temps, César les suit et les y assiège.
Tout d'abord les assiégés inquiètent les travailleurs par de fréquentes
sorties et de petits combats ; mais bientôt la place se trouve entourée d'une
contrevallation de douze pieds de haut et de nombreuses redoutes, ce qui met
un terme aux sorties. Cependant les vignes avancent, la jetée
s'élève, une tour se construit, sans que les Aduatiques paraissent s'en
émouvoir. Mais, quand ils voient que la tour se meut et approche du rempart,
de même que les assiégés de Noviodunum, ils sont saisis de terreur,
persuadés que les hommes qui font de pareilles choses sont des protégés des
dieux, et ils s'empressent d'envoyer une députation à César pour traiter de
la paix, et lui dire qu'ils se remettent entre ses mains, eux et tout ce
qu'ils possèdent, en le suppliant seulement de leur laisser leurs armes, qui leur
sont indispensables pour se faire respecter de leurs voisins. A quoi César
répond que : le bélier ayant touché le rempart, il n’y a plus de
conditions à poser, sans que, avant tout, ils lui aient livré leurs
armes. Immédiatement ils lui en livrent environ les deux tiers, et avec le
reste qu'ils cachent, la nuit venue, ils tentent de s'ouvrir un passage dans
la contrevallation. Mais les Romains étaient sur leurs gardes, et, après
avoir tué aux assaillants environ quatre mille hommes, ils refoulent les autres
dans la place. Le lendemain César les fait tous vendre à l'encan, comme butin
de guerre. Ils étaient, d'après le dire des acheteurs, au nombre de 53.000
têtes[20]. Ainsi échoua la ligue défensive des Belges, autant par la politique captieuse de César et par la connivence de quelques Gaulois, particulièrement du druide Divitiac, que par la supériorité incomparable de l'armement des légions. Il ne restait plus à conquérir de ce côté-là que les
dernières contrées de § IV. — Expédition de Publius Crassus en Armorique. Déjà sans doute César avait réussi à se ménager des
ententes politiques parmi les cités de l'ouest et du centre de Au moment où l'on vendait à
l'encan les Aduatiques, son lieutenant Crassus, qu'il avait envoyé avec une
légion dans l’Armorique, l’informe qu’il vient de recevoir la soumission de
toutes les cités de cette partie de Puis César part pour l'Italie, où
il va dans Ces événements, annoncés à Rome par des lettres de César, y firent décréter quinze jours d’actions de grâces aux dieux : honneur qui n'avait été fait jusqu'alors à personne. |
[1] Peuple du pays de Reims, ancienne province de Champagne.
[2] Peuple du pays de Trêves.
[3] Peuple du pays de Beauvais.
[4]
Place dont la position n'est pas encore déterminée avec certitude, et qui était
située approximativement, comme on le voit ici, au nord de Reims (Durocortorum), sur la rive droite et à huit
milles romains (environ
[5] L'examen attentif du récit de César à ce sujet montre clairement, une fois de plus, que, faute d'armes comparables, le courage des Gaulois dans les combats ne servait guère qu'à les faire tuer plus facilement par les Romains. — De manière que les nôtres, sans courir aucun danger, dit ici César, tuèrent un aussi grand nombre de Gaulois qu'il fut possible dans l'espace de la journée. (II, XI.)
[6] Peuple du pays de Soissons, du Soissonnais.
[7] Noviodunum, probablement Soissons.
[8] C'est-à-dire on pousse la tranchée, etc. (Voir à ce sujet ce qui concerne l'attaque des places au temps de César, dans notre volume précédent.)
[9] Ceci montre clairement quel immense avantage la connaissance de l'art des sièges donna à César dans la guerre de Gaule.
[10] Ce fut probablement à cette époque que César fit passer sous le patronage des Rhèmes les cités précédemment clientes des Séquanes et les cités irréconciliablement hostiles aux Éduens. De Bello gallico, VI, XI.
[11] Probablement Beauvais. Ville qui fut appelée ensuite Cæsaromagus, avant qu'on lui eût donné son nom actuel, qui rappelle la cité gauloise.
[12] Peuple du pays d'Amiens.
[13]
Les Nerviens occupaient, croit-on, le Cambrésis, le Hainault, le pays compris
entre
[14] Peuple du pays d'Arras, de l'Artois.
[15] Peuple du Vermandois.
[16] Peuple de la province de Namur.
[17]
Il est très-probable que ces deux collines opposées sur les deux rives de
[18] On voit ici un exemple remarquable de la puissance du gladius, et il est facile de reconnaître, dans le récit même de César, qu'il lui dut le salut de son armée.
[19] On se rappelle que le mot oppidum, accepté aujourd'hui dans notre langage scientifique, signifie dans les Commentaires une place forte, ou simplement un refuge, une position naturellement forte, quelle que soit d'ailleurs la nature du lieu ou la cause naturelle de sa force.
[20] Voilà encore un mémorable exemple de l'avantage que donna à César la connaissance de l'art des sièges : on peut dire qu'elle lui fournit ici le moyen d'exterminer les Aduatiques, sans éprouver de son côté aucune perte.
[21] Pays Chartrain et Orléanais.
[22] Anjou.
[23] Touraine.