JULES CÉSAR EN GAULE

 

TOME PREMIER

NOTICE SUR LES MOYENS MILITAIRES.

 

 

III. — ATTAQUE DES PLACES

MÉTHODE SUIVIE AU TEMPS DE JULES CÉSAR. - MOYENS EMPLOYES. DÉMONSTRATION DE DEUX SIÈGES DE PLACES EN GAULE.

 

§ I. — Méthode suivie à l'attaque des places du temps de Jules César.

 

César lui-même fait allusion à notre sujet dans la parole qu'il prête à Vercingétorix, touchant la prise d'Avaricum, et que nous prenons ici pour épigraphe ; à savoir, que les Romains l'ont emporté, non par le courage et en ligne de bataille, mais par un certain art et par la science de l'attaque des places, chose dont eux-mêmes (Gaulois) ne possédaient pas la connaissance[1]. Cet art particulier, qui donnait un si grand avantage aux Romains contre des Gaulois ignorants, quel était-il ? Nous devons tâcher de résoudre cette question.

Vauban nous a laissé un Traité de l'attaque et de la défense des places[2], à la manière de son temps et suivant sa méthode, qu'il présente comme tout à fait nouvelle.

Folard prétend qu'elle a été usitée chez les anciens, et, dans son Commentaire sur l’Histoire de Polybe[3], il a intercalé un Traité de l’attaque et de la défense des places chez les anciens, qui fait le pendant de celui de Vauban ; ce qui rend facile la comparaison de la méthode et des procédés d'exécution suivis aux deux époques.

Grâce donc aux renseignements techniques mis à notre disposition, dans ces deux traités sur la matière spéciale, nous espérons démontrer assez clairement, par des textes de César, en quoi consistait cet art particulier et cette science de l'attaque des places, qui lui donnèrent un si grand avantage dans la guerre de Gaule.

Le sujet comprend trois points : 1° le blocus ou l'investissement de la place à distance ; 2° l'approche ; 3° l'attaque des ouvrages de la place.

Le premier point ne peut soulever aucun doute. Les anciens faisaient l’investissement absolument comme Vauban. César nous en donnera un grand exemple dans le blocus d'Alésia ; nous y verrons les deux lignes fermées, la contrevallation du côté de la place, la circonvallation du côté des secours extérieurs, les quartiers ou les camps. César dit circumvallare : Vauban dit circonvaller. Le blocus d'Alésia se réduit à cela. Nous n'avons donc pas à nous occuper ici du premier point.

L'attaque des ouvrages de la place se fait, de notre temps, par le moyen d'ouvrages établis en tête des tranchées d'approche, lesquels prennent avantage sur les ouvrages extérieurs de la place, ouvrages extérieurs où l'assiégeant parvient ainsi à se loger ; puis le corps de place est attaqué par le canon ou par la mine chargée de pondre, qui font brèche. Les anciens, avant César, ne paraissent pas, que nous sachions, avoir établi des ouvrages à l'extérieur du corps de place. Quand l’assiégeant était parvenu au corps de place, la brèche était faite ou par le bélier qui battait le mur pour le faire tomber en ruine, ou par la sape qui en démolissait le pied, où par la mine qui creusait le terrain sous ses fondations : dans ce dernier cas, l’on étayait d'abord les fondations successivement, pour mettre ensuite le feu à tous les étais d'un seul coup. Une autre manière d'entrer de vive force dans une place, et qui était très-fréquemment usitée chez les anciens, consistait à passer de plain-pied sur le mur au moyen de tours mobiles, dont nous allons parler ci-après, en traitant de l'approche des places.

Tout cela est incontestable et généralement admis.

Le seul point du sujet où il puisse s'élever du doute, c'est sur la question de savoir si, oui ou non, les anciens procédaient comme les modernes dans l'approche des places, à partir du camp ou des lignes d'investissement. Posons bien la question.

Le problème qui se présente dans l'attaque d'une place est de s'avancer, depuis le camp jusqu'au rempart, en se tenant toujours à couvert du tir de la place. La méthode consiste à obtenir ce résultat sans autre moyen que ce qu’on trouve partout, la terre, le bois sur pied, la broussaille. Évidemment le procédé le plus simple, le plus naturel, le plus sûr en de telles conditions, c'est de s'enfoncer dans le sol, de s'y abriter comme l’on pourra, et de cheminer ainsi jusqu'au mur de la place. Tel est aussi évidemment le fond du procédé moderne, du procédé savant. Les anciens ont-ils suivi ce même procédé ? Là est la question que nous devons résoudre ici, la question fondamentale.

Quelle que puisse être la solution, la gloire de Vauban demeure intacte : à la manière dont il a employé sa méthode, l’on doit reconnaître qu'il a pu l'inventer.

Mais, au point de vue de l'histoire, il est intéressant de savoir d'une manière positive à quelle époque remonte l’invention du procédé ; et pour nous, qui cherchons à connaître les moyens militaires que César eut à sa disposition contre nos aïeux, il importe beaucoup de savoir si, dans l'attaque des places, il usait d'une méthode comparable à celle de Vauban.

Au sujet de l'invention, Vauban présente les choses presque dans le même style que César, d'une manière sommaire. Il ne dit nulle part que la méthode tout entière soit de son invention propre, mais il parle à peu près comme s'il en était ainsi. Dans le public, de nos jours, l’on l'admet assez généralement, ce nous semble ; du moins pour notre part nous l'avons cru longtemps. Citons le passage le plus positif que nous ayons trouvé dans Vauban au sujet de l’invention des lignes ou tranchées. La première fois, dit-il, que ces sortes de lignes ou places d'armes[4] ont été pratiquées, ce fut au siège de Maëstricht, fait en 1673 par le roi en personne. J'en conduisis les attaques. Cette redoutable place fut prise en treize jours de tranchée ouverte. Depuis ce temps, elles ont été employées dans tous les autres sièges que les Français ont faits, mais arec plus ou moins d'exactitude. Le siège d'Ath, fait en 1697, est celui où elles ont été exécutées avec le plus de précision ; et le peu de temps et de monde que ce siège coûta en a justifié la bonté[5].

Folard prétend que les tranchées ont été pratiquées par les anciens à l'attaque des places ; qu'ils en établissaient, comme nous aujourd'hui, parallèlement au mur et en les couvrant de même du côté de l'assiégé ; que, par devant cette parallèle, ils en établissaient une autre, où ils installaient leurs batteries de machines — comme sont placées nos batteries de canons à ricochet en avant de nos places d'armes — pour chasser l'ennemi de ses ouvrages de défense, l'écarter du mur. Mais Folard n'indique point, dans la description des travaux de siège par les auteurs anciens, quel est précisément le mot qui désigne les tranchées ; il n'y démontre point non plus les traits caractéristiques de la tranchée proprement dite, la tranchée d’approche de la place. Folard était un militaire et, par Conséquent, tin auteur dont l’autorité ne saurait être récusée en pareille matière ; toutefois, il nous paraît en avoir un peu abusé pour trancher les difficultés. Il nous parait avoir trop souvent confondu sa propre opinion, peut-être exagérée et trop affirmative, avec les indications qui se trouvent dans les passages des auteurs sur lesquels il s'appuie.

Quant à nous, c'est principalement sur des textes de César, de Salluste, de Lucain, non encore invoqués à ce point de vue, que nous comptons fonder notre opinion : laquelle, tout en se rapprochant de celle de Folard, sera notablement différente, plus précise et, nous osons l’espérer, mieux établie.

Voici d'abord un passage de Polybe, concernant le siège d'Égine[6] par Philippe, un siècle et demi avant la guerre de Gaule. Nous citons, comme Folard, la version de dom Thuillier :

Le dessein pris de faire l'attaque d'Égine par les deux tours, Philippe fit mettre devant chacune une tortue et un bélier. D'un bélier à l'autre, vis-à-vis l'entre-deux des tours, l’on conduisît une galerie parallèle à la muraille. A voir cet ouvrage, l’on l'eût pris lui-même pour une muraille ; car les claies qu’on avait élevées sur les tortues formaient, par la manière dont elles étaient disposées, un édifice tout semblable à une tour ; et sur la galerie, qui joignait les deux tours, on avait dressé d'autres claies où l’on avait pratiqué des créneaux. Au pied des tours étaient les travailleurs, qui, avec des terres, aplanissaient les inégalités du chemin : là étaient aussi ceux qui servaient le bélier. Au second étage, outre les catapultes, l’on avait porté de grands vaisseaux et les autres munitions nécessaires contre tout embrasement. Enfin, dans le troisième, qui était d'égale hauteur avec les tours de la ville, étaient nombre de soldats pour tenir tête à ceux qui auraient voulu s'opposer à l'effort du bélier. Depuis la galerie, qui était entre les deux tours, jusqu'au mur, qui joignait celles de la ville, on creusa deux tranchées où l’on dressa trois batteries de balistes, dont une jetait des pierres de trente mines[7]. Et, pour mettre à l'abri des traits des assiégés, tant ceux qui venaient de l'armée aux travaux, que ceux qui retournaient des travaux à l'armée, l’on conduisit des tranchées blindées, depuis le camp jusqu'aux tortues. En peu de jours, tous ces ouvrages furent entièrement finis, parce que le pays en fournissait abondamment les matériaux[8].

Voilà donc, à l'attaque d'une place chez les anciens, une parallèle ou place d'armes crénelée, avec deux batteries de machines établies par devant, et à ses deux extrémités deux tours munies de béliers, qu’on avance pour battre en brèche le mur de la place.

D'autres textes du même auteur ne seraient pas à négliger[9] Il nous montre Annibal menant deux parallèles devant la citadelle de Tarente, et y établissant des machines. Dans l'Histoire de Tite-Live, nous voyons Annibal grièvement blessé d'une flèche devant Sagonte, au pied même du mur, faute d'avoir pris assez de précautions, dum murum incautius subit[10], probablement dans une visite des travaux.

Mais venons sans retard aux détails précis, à la guerre de Gaule et aux textes de César.

 

§ II. — Moyens employés à l'attaque des places du temps de Jules César indications techniques et renseignements historiques.

 

En général, quand César ou Salluste veulent décrire le siège d'une place, les termes spéciaux qu'ils emploient sont vineas agere, pousser les vignes ; puis, aggerem jacere, agere, struere, jeter, pousser, établir les matériaux accumulés, ce que nous traduisons par l'expression, pousser la jetée ; enfin, turres ambulatorias instituere, agere, construire, pousser les tours mobiles.

Ainsi, vineœ, agger, turres, ou, en français, VIGNES, JETÉE, TOURS MOBILES, voilà les trois éléments principaux de tout siège du temps de César. Le premier moyen, celui des vignes j parait être le nœud de l’intelligence des sièges décrits par les auteurs anciens, et tous les commentateurs sont en désaccord ou indécis sur la question de savoir en quoi consistait ce moyen ; réservons-le. On est généralement d'accord touchant les deux autres : commençons par là et par quelques accessoires dont il n'est pas très-difficile de se rendre compte.

Agger, la JETÉE, dit Végèce, est élevée avec de la terre et des bois de toute sorte, en face du mur, pour y lancer des traits[11]. Le mot indique une accumulation de matériaux, de quelque nature qu'ils soient. La forme était celle d'une jetée, d'une chaussée, d'un viaduc en remblai. Souvent l'assiégé j mettait le feu ; ainsi, la jetée était bien en partie composée de bois. Elle était parfois très-élevée ; l’on la nivelait par-dessus avec soin, pour faire avancer par cette voie les tours mobiles. La jetée d'un siège ressemblait donc à une de nos chaussées de chemins de fer. On l'exécutait en établissant par couches des bois et des terres, depuis le voisinage du camp jusqu'au mur de la place, en comblant le fossé.

Turres ambulatoriœ, les TOURS MOBILES, ou simplement les tours, construites pour s’approcher du mur, le dominer, et alors faire passer les soldats sur le mur, étaient avancées au moyen de roues ou de rouleaux sur la jetée consolidée et nivelée avec soin. Ces tours, construites en bois de charpente, étalent fort élevées et à nombreux étages. Leur forme était ordinairement celle d'une pyramide régulière à axe vertical, à base carrée, tronquée en haut parallèlement à la base. Les nombreux étages étaient munis de parapets ou d'abris quelconques (plutei), aux trois faces que l'assiégé pouvait voir. Ces tours étaient armées de machines et garnies de soldats. Elles présentaient, par devant, à hauteur convenable, un pont-levis relevé, et susceptible d'être abaissé sur le mur de la place. Au rez-de-chaussée pouvait être suspendu horizontalement le bélier, énorme poutre oscillant en long, destinée à battre le mur de sa tête armée de métal ; mais ordinairement, c'était sous la tortue que l’on manœuvrait le bélier.

Testudo, la tortue, dit Végèce, est une charpente recouverte de planches, ressemblant à une vraie tortue, et garnie de cuirs frais, d'étoffes grossières, de couvertures en laine, pour la garantir du feu. Elle porte à l'intérieur une poutre, au bout de laquelle l’on adapte un grappin pour arracher les pierres du mur : et alors l’on l'appelle falx (faucille) ; ou bien l’on y adapte une armature de fer : et alors l’on l'appelle aries (bélier), soit parce que la poutre présente ainsi un front très-dur, soit parce que, à la manière des béliers, elle recule pour mieux frapper[12].

Musculus (petit rat), le muscule, dit le même auteur, est une petite machine sous le couvert de laquelle les soldats, si le fossé de la place est vaseux, non-seulement, y portent des pierres, du bois, de la terre, pour le remplir, mais encore consolident le tout, de manière que les tours mobiles puissent être jointes au mur[13]. C'est sous le muscule, d'après César lui-même, que l'assiégeant attaquait à la sape la base du rempart et des tours de la place : nous en verrons un exemple dans la description du siège de Marseille.

On appelle pluteus, dit Végèce, une claie recourbée en forme de niche (d'une statue), revêtue d'étoffe grossière ou de cuir frais, et installée sur trois roulettes, l'une au milieu, les deux autres aux extrémités (de la demi-circonférence de sa base), de manière qu’on peut la pousser où l’on veut, comme un chariot (tricycle). Les assiégeants s’avancent derrière ces machines vers le mur, et, ainsi couverts, ils chassent tous les défenseurs du rempart de la ville à coups de flèches, de frondes, de traits, afin de pouvoir plus facilement y monter par les échelles[14]. Il est clair que ce pluteus faisait l'office d'un parapet à l'usage d'un seul homme, comme ce que nous appelons aujourd'hui un mantelet ; si doue nous retrouvons dans César la même expression employée au pluriel, plutei, ce qu'il aura voulu indiquer pourra bien être un parapet quelconque à l'usage d'hommes nombreux, comme nous l'entendons par ce mot.

Crates, vimineœ crates : ces mots peuvent indiquer ou de simples fascines faites de menus bois, ou bien des objets plus façonnés faits de bois pliants, des claies, dans le sens le plus général. César se sert de ces mots-là en parlant des ouvrages de siège. Si, dans ce cas, l’on doit leur attribuer une signification spéciale, aucun auteur, que nous sachions, n'a décrit les objets qu'ils représentent. Juste Lipse indique bien deux passages d'Ammien Marcellin, où l’on retrouve ces mêmes expressions employées par l'auteur au sujet d'attaques de places ; mais, quand l’on examine les détails des faits rapportés par Ammien Marcellin, il n'est pas difficile de reconnaître qu'U s'agit là de ce même objet que nous venons de voir sous le nom de pluteus, dans Végèce (qui écrivait à la même époque), et que nous avons reconnu comme étant un mantelet. Voici les deux passages. Le premier se rapporte à l'attaque de la place de Bezabda, en Mésopotamie, par le roi Sapor : De sorte que, est-il dit, le plus grand nombre des Parthes recevaient des blessures, parce que les uns avaient des échelles à porter, et que les autres, poussant devant eux des mantelets de bois pliant, marchaient à l'aveugle[15]. Le second passage d'Ammien Marcellin se rapporte aux soldats de Julien, devant Aquilée : ils attaquent la place de la même manière, mais avec plus de précautions. Les assiégeants donc, est-il dit, portant par devant eux des mantelets et des claies très-serrées, avançaient peu à peu et avec précaution, pour tâcher, au moyen de toute sorte d'instruments de fer, d'entamer la base des murailles ; le plus grand nombre portaient des échelles faites à la mesure des remparts[16]..... Le mot crates indique donc, en langage militaire, ou de simples fascines, ou des claies usitées dans les tentatives d'escalade, ou des claies de forme quelconque[17].

La tortue précédait la tour sur la jetée, pour aplanir la voie : nous en aurons le spectacle dans un récit de César. Nous verrons en même temps par où arrivaient les matériaux de la jetée.

Mais tout ce travail de la jetée s'exécutait-il à découvert, sous le tir des machines de la place ? N'était-il protégé que par la tour ? Evidemment la tour elle-même ne pouvait être avancée à l'extrémité de la jetée qu'après que celle-ci avait été exécutée, affermie, et la voie convenablement aplanie. Il reste donc bien encore plus d'un point obscur dans la question. Ce qui va nous éclairer ici et nous faire discerner nettement tous les travaux d'un siège, ce sont les vignes.

Pour plus de clarté dans ce que nous avons à dire touchant les VIGNES militaires à l'époque de César, nous allons d'abord procéder dogmatiquement, sauf ensuite à démontrer tout ce que nous aurons avancé, dans l'histoire de deux grands sièges que César a décrits et que nous présenterons comme exemples, à savoir le siège d'Avaricum (Bourges), et celui de Massilia (Marseille).

Plaçons-nous d'abord au point de vue historique, et considérons le rôle des vignes dans les divers auteurs qui en ont parlé. Consultons ces auteurs, en suivant l'ordre chronologique, à partir de César.

Dans les Commentaires dictés par Jules César lui-même, le mot vineœ, — vignes, — eu matière militaire, se peut toujours traduire en français par les mots tranchées, lignes, pris dans le sens que nous lei,r donnons de nos jours ; et la version qui en résulte offre dans tous les textes un sens très-naturel. Pour indiquer l’exécution de ces ouvrages militaires, César emploie toujours Y expression vineas agere ad[18]...., pousser la tranchée à ou vers telle place forte, telle position occupée par l'ennemi.

Hirtius — et nous l’acceptons ici comme étant l’unique auteur de tout le complément ajouté aux Commentaires propres de César —, Hirtius, disons-nous, emploie quelquefois le mot vineœ ; et alors c'est toujours dans le sens que lui donne César. Il indique de même l’exécution des lignes par l'expression vineas agere ad[19]...., sauf dans un cas, où, après s'être d'abord exprimé ainsi, un peu plus loin il dit : vineas proferre[20], porter en avant la tranchée. Mais, à ce même sujet de l'attaque des places ou des portions fortes, Hirtius emploie aussi un autre mot, et même plus fréquemment que le mot vinea, à savoir le mot brachium (bras, bras de rivière, canal). Il l'emploie absolument dans le même sens que le mot vinea, et alors, suivant notre thèse, il dit tantôt : mener une tranchée à tel point[21] ; tantôt : entourer de lignes telle ville[22] ; ailleurs : diriger de tel point à tel autre et fortifier une tranchée[23] ; ou bien : parfaire, pousser en avant jusqu’à tel point les tranchées[24], ou enfin : relier une redoute avec un camp par des lignes[25].

Salluste emploie aussi le mot vineœ et tous les autres mots spéciaux usités par César, au sujet de l'attaque des places, et il les emploie absolument de la même manière. C'est au point que, dans le récit de la guerre de Jugurtha, les détails spéciaux concernant le siège de Thala par Metellus[26], et les travaux exécutés par Marius[27] devant une place dont nous aurons l'occasion de parler, sembleraient dictés par César lui-même.

Tite-Live parle des vineœ à l'occasion du siège de Véies, en Etrurie, et le peu de détails qu'il donne s'accordent avec les textes de César : Lorsque déjà la jetée (agger), dit-il, avait été avancée vers la ville, et que seulement la tranchée (vineœ) n'avait pas encore été poussée jusqu'aux remparts, comme l’on mettait plus de soin à exécuter les ouvrages pendant le jour qu'à les garder pendant la nuit, tout à coup une porte s'ouvrit, une multitude immense d'hommes, armés principalement de torches, y jetèrent le feu ensemble ; et dans le court espace d'une heure, l'incendie dévora tout à la fois la jetée et la tranchée, ouvrages qui avaient coûté tant de jours à établir[28].

Lucain, dans son poème historique où il a fait le tableau du siège de Marseille, ne pouvait manquer d'y placer des vineœ. En effet, l’on les trouve là, et l’on y peut même apercevoir assez clairement que ce moyen militaire n'était autre qu'une véritable tranchée, comme nous l'entendons aujourd'hui. Le poète nous montre d'abord les tours mobiles qui s'avancent, battues par les machines de la place. Fuis vient une masse de soldats, formés en tortue — les boucliers levés au-dessus des têtes, et serrés avec ordre comme des écailles — ; déjà le tir des machines ne peut plus plonger sur eux, mais les assiégés roulent à bras nus des roches qui les écrasent et rompent la tortue.

Et déjà, dit Lucain, la tranchée (vinea) bordée de terre bien unie fait des progrès. Sous l'abri de son parapet, cachés et baissant la tête, (les soldats) se préparent le moyen d'aller, ou miner les remparts et les faire crouler à l'aide du fer, ou tâcher, à coups de bélier d'autant plus puissants que la masse est suspendue, de briser l’assemblage compacte du mur et de détacher quelqu'une des pierres qui supportent les autres. Mais les claies (du parapet) battues en dessus, t et par des matières enflammées, et par de lourds fragments (de roche), et par une grêle de gros traits, et par des pieux de chêne durcis au feu, s'affaissent. Et les soldats, après avoir en vain creusé leur ouvrage, accablés de fatigue, s'en retournent à leurs tentes.

Tunc adoperta levi procedit vinea terra.

Sub cujus pluteis et tecta fronte latentes,

Moliri nunc ima parant et vertere ferro

Mœnia ; nunc aries siupenso fortior ictu

Incussus, densi compagem solvere muri

Tentat, et impositis unum subducere saxis,

Sed super, et flammis, et magnæ fragmine malis,

Et sudibus crebris, et adusti roboris ictu

Percussæ cedunt crates. Frustraque labore

Exhausto, fessus, repetit tentoria miles.

Pharsale, III.

Le même poète, en décrivant la marche de César après le passage du Rubicon, s'exprime ainsi ail sujet de l'attaque de la place de Corfinium défendue par Domitius : Déjà César élève les tours, ces masses énormes qu’on va mouvoir : déjà la tranchée (vinea) a rampé à couvert jusqu'au sein des murailles.

Et jam moturas ingentia pondera turres

Erigit : et mediis subrepsit vinea muris,

Pharsale, II.

On trouve encore Tacite employant le mot vineœ dans son acception militaire, et toujours au même sens que César. Ce grand historien nous fournit, de plus, une appréciation de l’avantage qu'une armée romaine possédait dans ses machines, et dans la méthode usitée à l’attaque des places.

Pendant la guerre civile suscitée par Vespasien pour arracher l'empire à Vitellius, le sénateur Antonius Primus (Toulousain d'origine), qui commandait les Flaviens dans le nord de l’Italie, venait de remporter une victoire sur les Vitelliens, près de Crémone. Or, comme c'était la règle militaire que, dans une ville prise d'assaut, tout le butin (choses et personnes) appartînt au soldat qui s’en saisissait, les soldats d'Antonius Primus lui demandaient avec emportement d'aller, le soir même, assaillir Crémone, cette riche colonie romaine. Le général leur rappelle que si la bravoure convient au soldat, la prudence est un devoir du chef. Il leur déclare que : Les portes fussent-elles ouvertes, il n'entrerait dans la ville ni avant d'avoir pu la reconnaître, ni sans qu'il fit jour. Iront-ils entreprendre, leur dit-il, l’attaque d'une place forte sans qu’on puisse rien voir, ni par quel point il convient d'attaquer, ni quelle est la hauteur des remparts ? Sans qu’on puisse apprécier s'il convient d'avancer avec des machines et des traits, ou bien au moyen d'ouvrages et de tranchées (vineis) ? Peu après, s'adressant en particulier à quelques soldats, il leur demande s'ils ont apporté avec eux des cognées, des dolabres et tout ce qu'il faut pour attaquer une place de vive force ? Sur leur signe de tête négatif : Où sont donc, dit-il, les mains capables d'ouvrir et de saper des murailles avec des épées et des javelots ? Et s'il est nécessaire d'établir une jetée (aggerem), nécessaire de se mettre à couvert par des parapets (pluteis) et des claies (cratibus), irons-nous, comme une foule imprévoyante, rester là impuissants, réduits à admirer la hauteur des tours et la force des défenses des autres ? Mieux vaut donc retarder d'une nuit, amener les batteries (tormentis) et le matériel nécessaire, porter avec nous la force et la victoire[29].

Tacite parle encore des vineœ, au sujet du siège de Jérusalem par Titus. Après avoir signalé les qualités militaires du peuple juif, la force naturelle de la position de Jérusalem, la perfection de ses remparts, tracés en ligne brisée de manière à être partout flanqués, la force du temple lui-même, les approvisionnements de la place pour un long siège, l'auteur ajoute : Contre une telle place et une telle nation, Titus César, voyant que les conditions locales ne permettaient point les attaques de vive force et par surprise, résolut d'attaquer au moyen des jetées et des tranchées[30].

Pendant les deux siècles et demi qui se sont écoulés depuis l'époque de Tacite jusqu'à celle de Végèce, le mot vineœ, dans son acception militaire, est tombé en désuétude, au témoignage de Végèce lui-même. Les anciens, dit-il, appelèrent vineœ ce que maintenant, parmi nos soldats comme parmi les barbares, l’on appelle causiœ[31]. La chose elle-même paraît être aussi tombée en désuétude à l'attaque des places fortes durant ce même laps de temps[32] ; du moins nous n'avons rien su trouver concernant les vineœ ou les causiœ dans Ammien Marcellin, auteur contemporain de Végèce et qui rapporte nombre d'attaques de places.

La vinea ou causia, dit Végèce, est une machine qui consiste dans un assemblage des bois les plus légers, présentant sept ou huit pieds de hauteur, sept ou huit de largeur et seize de longueur. Son toit est composé de planches et doublé de claies pour qu'il résiste mieux. Ses flancs sont aussi garnis de claies, pour parer les coups de pierres et de traits. En outre, pour qu’on ne puisse pas l'incendier en lançant du feu, elle est recouverte à l'extérieur de cuirs crus et frais, ou de couvertures de laine. Lorsqu'on a exécuté plusieurs de ces machines, on les réunit à la file, et, sous ce couvert, les assiégeants, en sûreté, pénètrent jusqu'aux fondations du rempart pour les saper[33].

On voit que cette vinea ou causia dont parle Végèce était une machine du même ordre que la tortue et le muscule. Cela ne peut donc résoudre les difficultés indiquées ci-dessus. D'un autre côté, plusieurs commentateurs de César ont fort bien vu qu’on ne peut non plus se rendre compte, par ce moyen, d'un fait du siège d'Avaricum, où César, ainsi que nous le verrons dans l'examen de ce siège, tint ses légions cachées dans l'intérieur des vignes militaires, intra vineas[34]. Intra vineas, dit César, non sub vineis, comme s'exprime ici Végèce : nuance de langage qui déjà indique une différence dans les objets dont parlent ces deux auteurs.

Salluste rapporte un fait du même genre dans la guerre de Marins contre Jugurtha. Voici comment il s'exprime : Dès que Marius fut informé de ce que le Ligurien avait fait[35], à l'instant même, bien qu'il eût eu toute la journée les Numides sur les bras, exhortant les soldats, et, de son côté, s'élançant hors de la tranchée (extra vineas egressus), il s'avance à l'assaut en formant la tortue, et en même temps il effraye de loin l’ennemi à coups de machines, d'arcs et de frondes[36]. Comment se figurer l’armée de Marius dans l'intérieur des vineœ ou causiœ décrites par Végèce ?

Ajoutons, dans la même pensée de critique, un texte de César, qui nous montre près de Dyrrachium Pompée établissant des vineœ par devant des retranchements de quinze pieds de hauteur, pour couvrir cette partie de son camp[37]. Comment comprendre l'utilité des vineœ de Végèce par devant ce retranchement de quinze pieds de hauteur ? Au contraire, des lignes fortes, semblables aux nôtres, y ont pu faire l'office d'un chemin couvert.

Et même un texte d'Hirtius dit que César, ayant à combattre dans Alexandrie la population de la ville, et cherchant à diviser les forces de l’ennemi afin de les combattre séparément, forma le projet de couper cette ville en deux parties, au moyen de travaux et de vineœ poussées tout au travers[38]. Comment séparer deux parties d'une ville, l’une de l’autre, par les vineœ de Végèce ? Au contraire, une tranchée est un moyen simple et parfait pour obtenir ce résultat.

Laissons donc de côté, pour un instant, ces vineœ décrites par Végèce quatre siècles après la guerre de Gaule.

Quant à Folard, bien qu'il soit un auteur militaire, et qu'il se soit attaché à poursuivre l’idée que déjà les anciens employaient les tranchées à l'attaque des places, il ne cite point Végèce, le seul auteur militaire ancien qui ait traité techniquement de l'attaque et de la défense des places. Parmi les autres auteurs latins, Folard s'appuie sur quelques-uns de ceux dont nous avons nous-même cité les textes plus haut ; il ne s'appuie pas positivement sur ces textes, mais sur le sens général de la version qu'en donnent les traducteurs, et sur le mot tranchée employé une fois dans la version de Perrot d'Ablancourt. Folard ne va donc pas jusqu'à dire précisément quel est le mot latin qui désigne la tranchée. Il dit, d'une part : Le mot agger signifie une tranchée toute semblable aux nôtres[39]... L’agger signifie la communication et les parallèles.... Il dit, d'autre part : Le mot vinea signifie tantôt une galerie creusée dans la terre et couverte de blindes, tantôt un fossé tout ouvert, semblable à nos parallèles.... Il faut entendre aussi par vinea une tortue ou galerie, porticus, composée d'une charpente légère qu’on avançait sur le bord du fossé, dans l'attaque des places où les machines n'étaient pas en grand nombre[40]... Mais il faut une grande expérience de la guerre et une grande intelligence de la milice des anciens, pour entendre la vinea selon le sens qu'il convient de lui donner..... Et l’on ne doit pas s'étonner si nos traducteurs tombent si souvent dans des fautes énormes[41].

Polybe a traité de la milice des Romains (c'est-à-dire du règlement de leurs armées) : nous recourons à cette partie de son histoire. Nous n'y trouvons absolument rien qui puisse nous aider, comme l'affirme Folard, à entendre en aucun sens ce que c'était que la vinea. Ainsi, que tirer de cette confusion de toutes choses faite par Folard, sinon, en vérité, une conclusion contraire à la sienne, à savoir que, pour interpréter la description de l’attaque des places qu’on trouve dans les auteurs latins, il n'est point indispensable d'avoir une grande expérience de la guerre moderne ; il n'est point nécessaire d'avoir une grande intelligence de la milice des anciens ; mais qu'il est indispensable d'avoir une certaine habitude de la langue latine, de rapprocher patiemment tous les textes qui fournissent des indications à ce sujet, et de tenir compte de tous ces textes à la fois ? Voilà ce qui paraît avoir manqué à Folard ; car il poursuivait une idée juste, il avait l'esprit vif, et il a beaucoup travaillé.

Ainsi, de ce premier aperçu historique, de tout l'ensemble des textes précédents, nous concluons :

1° Que les vineœ étaient un moyen militaire de premier ordre, parmi ceux qu'employaient les Romains à l'attaque des places ;

2° Que les vineœ étaient usitées chez ce peuple longtemps avant César, à l'époque où Camille était dictateur, avant la prise de Rome par les Gaulois ; et qu'elles paraissent être tombées en désuétude environ à l'époque du partage de l'empire ;

3° Que la machine décrite par Végèce, sous le nom de vineœ ou causiœ, est du même ordre que la tortue et le muscule des anciens ; qu'elle ne peut nullement être ce moyen principal employé par les Romains à l'attaque des places, et dont parlent César, Salluste, Tite-Live, Tacite, sous le nom de vineœ ;

4° Que Folard, tout en attirant avec juste raison l’attention des savants sur les procèdes suivis par les anciens à l’attaque des places, et sur leur similitude fondamentale avec les procédés suivis par les modernes, n'est point parvenu à débrouiller la question, à démontrer positivement par des textes ce qu'était l’agger des anciens, et ce qu'étaient leurs vineœ.

Il nous reste à démontrer que ces vineœ étaient des tranchées, des lignes fortes, ou simplement des lignes, comme l’on les appelle de nos jours en matière militaire ; et qu'elles étaient employées par les anciens, à l'attaque des places ou des positions fortes, dans les mêmes conditions d'exécution qu'aujourd'hui, du moins en ce qui est important et fondamental.

Commençons la démonstration par le nom même ; car nous ne pouvons le négliger, puisque, à côté des vignes (vineœ), se trouvent la tortue, le bélier, le petit rat, le hérisson, etc., testudo, aries, musculus, ericius, tous noms significatifs, indiquant divers objets connus, avec chacun desquels le moyen militaire qui porte le même nom offre quelque ressemblance.

Vineœ, ce sont des vignes. Le moyen militaire qui porte ce même nom exige — à ne consulter que les vers de Lucain cités plus haut — qu’on remue de la terre péniblement ; le plus grand travail des vignes qui nous donnent le vin, c'est la tranchée qu’on pratique pour les planter, ou, comme l’on dit, pour faire des vignes, pour provigner : expressions analogues aux expressions latines vineas agere, vineas proferre. Ce nom latin vineœ, en français vignes, s'accorde donc parfaitement avec l'idée que le moyen militaire auquel l’on l'a l'appliqué est une tranchée.

Prenons le mot employé du temps de Végèce, et les variantes de la leçon des manuscrits : ce sont causiœ, cautiœ, caudœ, catti.... Tous ces mots-là (et avec eux beaucoup de nos mots français) proviennent d'un même radical, de cavum, qui signifie un trou, un trou où l’on peut se cacher, se mettre à l'abri d'un péril : creuser, faire un trou, cavare ; aller dans son trou, se tenir dans son trou, prendre garde, prendre des précautions, cavere ; précaution, caution, précautionné, cauteleux, cautum, cautio, cautor, cautus..., tous ces mots viennent de cavum. De ce radical cavum, si l’on ôte la terminaison, il reste cav, ou cau ; cau est la première syllabe des trois premiers mots ci-dessus ; ils indiquent donc un trou dans le sol, une tranchée. Cattus, c'est un chat ; mais ce mot n'est que le surnom du chat, qui s'appelle felis : pour le nommer l’on dit felis cattus. Le chat est l'animal de la cave : c'est l'animal de précaution par excellence, cautus, ou catus. Le surnom du chat vient donc, aussi bien que les autres mots ci-dessus, du radical cavum, qui implique deux idées, à savoir : l'idée d'une cavité dan ? le sol, ou d'une tranchée, et l'idée de précautions à prendre, comme en prennent les chats. Or, s’il est, dans l’attaque des places par voie de tranchées un rôle militaire qui puisse rappeler dans la pensée les précautions et les mouvements du chat, c'est assurément le rôle des sapeurs qui mènent une tête de sape, surtout celui du premier, qui travaille avec tant de précautions, le corps baissé derrière son mantelet.

Ceci nous conduit donc à voir dans la causia décrite par Végèce un mantelet de tête de tranchée. Il était fait du bois le plus léger, e lignis levioribus, dit Végèce, ce qui s'accorde avec cette destination ; car il faut le porter en avant à chaque instant.

Ainsi, nous pouvons écarter l'acception du mot vinea dans le sens de Végèce : ce qu'il appelle vinea ou causia, nous pouvons l'appeler en français une cache, voir un mantelet de sape, et résoudre ainsi une grave difficulté de notre sujet, en mettant Végèce d'accord avec tous les autres auteurs latins et avec notre thèse[42].

Cette difficulté était, en effet, très-grave : d'une part, tous ces auteurs, César en tête, quand ils décrivent l'attaque des places, font jouer un rôle de premier ordre aux vineœ, que nous cherchons à connaître. D'autre part, Végèce décrit, sous ce même nom, un objet, un moyen, qui parait assez faible quand l’on le considère avec réflexion, et il nous dit : Voilà ce que les anciens appelaient vineœ. Comment concilier ces auteurs graves avec Végèce, le seul auteur qui ait parlé techniquement du sujet ? Tous les commentateurs sont venus se heurter à cette difficulté et s'y arrêter. Comment comprendre, ont-ils dit, que dans ces vineœ décrites par Végèce l’on ait pu cacher des légions romaines, ainsi que le rapporte César, ainsi que le rapporte Salluste ? Et nous avons vu encore beaucoup d'autres textes, dont il n'était guère plus facile de se rendre compte.

Pour concilier ainsi Végèce avec tous les autres auteurs latins, au sujet du rôle de premier ordre qu'ont joué les vineœ dans l'attaque des places, chez les anciens, il suffit d'admettre que, dans Végèce, le nom de la partie soit donné au tout, comme cela est fréquent. Car nous disons chaque jour : une voile, pour indiquer un navire ; ou bien, mettre à la voile, lever l’ancre, pour dire que le navire part. César s'exprime de même : pour dire qu'un navire est dirigé à tel point, il dit que les voiles y sont dirigées[43]. En admettant cette manière de parler, l'expression latine, vineas agere, pousser les vineœ, signifierait, au sens de Végèce, pousser la tête des vineœ, et, au sens des autres auteurs, pousser les vineœ, ce qui revient au même fait indiqué de deux manières. Du reste, ces deux manières équivalentes d'exprimer le même fait militaire se retrouvent au même sujet dans notre langage commun ; nous disons indifféremment : pousser la sape (la tête de tranchée), ou pousser la tranchée, ce qui indique le même fait. Cette simple remarque nous paraît devoir suffire, avec un peu de réflexion, pour qu’on nous accorde enfin qu'il ne reste plus maintenant devant nous que le fond même de la question à éclairer par des textes positifs

Terminons d'abord la définition des mots techniques, au sens que nous leur donnerons dans la version du texte de César.

Pour nous, le mot vineœ, dans l’acception militaire, signifie toujours et uniquement des tranchées, en général, qu'elles soient poussées obliquement et en ligne brisée, pour avancer du camp vers la place ; ou bien qu'elles soient, d'un point des précédentes, poussées parallèlement au rempart — comme celles qu’on appelle aujourd'hui des places d'armes —, pour y établir des batteries, y disposer des archers, des troupes de garde, etc. Ainsi nous emploierons le mot français correspondant, vignes, dans l'acception militaire de notre mot lignes.

Le mot porticus, dans le langage ordinaire, indiquait les places les plus élevées du cirque, les places de derrière, c'est-à-dire le haut de l'ensemble des gradins. Si nous imaginons une grande tranchée circulaire, établie autour d'une tour, l'ensemble de cette tranchée offrira l'aspect d'un cirque : où le revers de la tranchée représentera les gradins, et où le parapet représentera les places de derrière, le haut de ces gradins, c'est-à-dire le porticus. L'identité du nom et la ressemblance des choses nous montrent donc, dans le porticus militaire indiqué par César, le parapet de la tranchée : nous prendrons ce mot dans ce sens.

Nous devons rappeler ici que le mot crates n'a pu être déterminé avec exactitude. Il représente toujours des objets faits de bois pliant, viminea ; mais dont la forme peut être ou celle d'une fascine, ou celle d'une claie ordinaire, ou celle d'un gabion : sous cette réserve, nous traduirons le mot crates par nos mots fascines ou claies.

 

§ III. — Démonstration de deux sièges de places faits par Jules César en Gaule.

 

Examinons, au préalable, l'emploi des vignes dans un cas très-simple que César nous fait connaître.

Le procédé des vignes fut encore employé par les Romains, en Gaule, pour approcher d'une position forte occupée par l’ennemi, pour tenter sous ses yeux de franchir un passage difficile.

Labienus eut recours à ce moyen près de Lutèce, sur la rive gauche de la Seine, pour franchir, en face des Gaulois, un ruisseau marécageux qui venait de loin se jeter dans le fleuve. Il s'agit ici, très-probablement, de la Bièvre, à l'endroit où ce ruisseau coule au pied de la montagne Sainte-Geneviève, laquelle aurait été alors occupée par le vieux et héroïque chef gaulois Camulogène. C'est l'endroit du cours de la Bièvre que recouvre aujourd'hui la gare du chemin de fer d'Orléans. Cela intéresse les Parisiens : présentons le récit de César. D’Agendicum (Sens), Labienus, à la tête de quatre légions, se dirige sur Lutèce, ville des Parisiens, située dans une île de la Seine. Les ennemis, informés de sa marche, se rassemblent en grand nombre des cités voisines. Le commandement général est déféré à Camulogène. Celui-ci, après avoir bien reconnu qu'un ruisseau marécageux, provenant de fort loin et se jetant dans la Seine y présentait partout beaucoup de difficulté au passage, établit ses troupes sur ce point et résolut d'empêcher les Romains de passer. Labienus se mit d'abord à pousser les vignes, à combler le marais de fascines et de toute sorte de remblais, et à tâcher d'établir un chemin. Mais ensuite, s'étant aperçu que cela présentait trop de difficulté, il décampe en silence, à la troisième veille (minuit)[44], par la même route qu'il avait suivie en venant, et parvient devant Melodunum (Melun), ville des Sénonais, située dans une île de la Seine, comme Lutèce. Là, trouvant des barques, il passe la rivière avec quelques soldats, surprend la ville dégarnie de ses défenseurs, s'en empare sans résistance, rétablit le pont, fait passer son armée, et descend vers Lutèce le long du fleuve.

Ainsi, dans cette occasion, la méthode des vignes militaires a échoué devant un petit marais. C'est là, disons-le en passant, une preuve de plus pour démontrer l'importance du rôle stratégique qu'ont joué les marécages dans la guerre de Gaule.

Mais remarquons surtout la similitude fondamentale que ce fait constate entre les vignes militaires des anciens et nos propres lignes militaires, auxquelles pareillement les marais présentent de si grandes difficultés. Cette similitude dans les conditions mêmes du terrain qui s'opposent à l'emploi de la méthode suivie aux deux époques, à l'attaque des positions fortes, est bien plus importante que les ressemblances dans les petits détails du procédé. C'est la similitude fondamentale, celle-là seule, qui offre un grand intérêt historique.

C'est elle aussi qui nous donne l'assurance qu'ici nous ne nous engageons point dans une voie d'erreur. En effet, si nous voyons constamment César, quand il veut attaquer une place, en faire l'investissement tout comme Vauban (et nous en verrons un mémorable exemple décrit en détail) ; puis reconnaître la place avec le plus grand soin, déterminer le point où il se propose de diriger l'attaque et faire ses préparatifs ; si ces préparatifs exigent énormément de bois de toute sorte à couper dans les environs, beaucoup de fascines ou de claies spéciales, beaucoup de menu bois ; si nous voyons César, muni de ces matériaux, entreprendre les ouvrages, les pousser peu à peu vers la place, en y faisant travailler jour et nuit, en y établissant de fortes gardes, en s'y tenant de sa personne pour animer les travailleurs et indiquer lui-même la direction à donner aux ouvrages ; si l’ennemi fait des sorties pour ruiner les ouvrages, les incendier ; si dès que ces ouvrages sont parvenus au rempart la défense ne peut plus persister ; comment ne pas reconnaître, à tous ces signes généraux, l'identité de la méthode d'attaque des places usitée par César et par Vauban ? Or, dans César, dans Salluste, l’on ne trouvera pas un seul mot, croyons-nous, qui soit en désaccord avec ce tableau général, et un tel ensemble est tout ce qu’on peut espérer de rencontrer dans les documents historiques. Car, assurément, un récit historique ne pouvait expliquer en détail ce que tous les soldats, tous les Romains connaissaient. De même, aujourd'hui, dans l'histoire d'un siège, assurément aucun écrivain ne songerait à décrire les tranchées exécutées à l'attaque de la place. Mais il est naturel, au sujet des difficultés que présente durant l'hiver un siège où l’on exécute des tranchées, que le narrateur parle de la boue dans laquelle les soldats sont obligés de travailler, du froid qui est si pénible à endurer dans de telles conditions ; et nous trouverons tout cela mentionné dans un récit de César.

On a vu d'ailleurs précédemment que le mot vineœ, en langage militaire, dans tous les auteurs où nous avons su le trouver (sauf dans Végèce), supporte l'épreuve d'être traduit par nos mots français tranchées ou lignes, pris dans la même acception spéciale, et que la version des textes qui en résulte offre un sens très-naturel.

Or, si l’on veut entendre par ce même mot, vineœ, la machine que Végèce a nommée ainsi et qu'il a décrite : comment alors se rendre compte, dans le cas où s'est trouvé Labienus près de Lutèce, de la difficulté insurmontable qu'un simple marais aurait présentée à l'emploi d'une telle machine ? Car il est assez clair que, sous cet abri, il n'aurait été guère plus difficile de s'avancer à travers le marais, en le comblant peu à peu devant soi, que de s'avancer sur terre ferme. Tandis que, pour ouvrir une tranchée, un simple marécage peut tout naturellement être un obstacle insurmontable.

Ainsi, déjà nous pourrions considérer tout ce que les auteurs anciens disent en général des vignes militaires, comme s'appliquant naturellement à des lignes militaires semblables aux nôtres.

Mais, de plus, nous avons cette bonne fortune que des accidents survenus en Gaule, dans des sièges importants décrits par César, vont nous montrer avec évidence, grâce au choix toujours si parfait des expressions qu'il emploie, beaucoup de détails concernant la direction, les dimensions ou d'autres éléments descriptifs des vignes militaires exécutées à ces sièges ; de sorte qu'il sera très-facile d'y reconnaître nos propres lignes militaires du temps présent.

Maintenant représentons-nous d'avance le tableau général du siège d'une ville, en appelant chaque chose par son nom ancien, afin qu'ensuite nous puissions clairement discerner tous les détails du récit de César. Indiquons d'abord les grands traits caractéristiques du tableau.

La jetée est poussée tout droit, du camp au rempart : c'est le moyen principal, la base de l'attaque. Dans le siège que nous considérons, la tête de la jetée est déjà fort engagée sous le tir de la place ; dès qu'elle sera parvenue au rempart, la ville sera prise infailliblement, chacun le sait — car les forces de l'assiégeant sont beaucoup plus grandes que celles de l'assiégé[45], et les conditions du combat seront à peu près égales — ; les assiégés concentrent leurs efforts sur la tête de la jetée ; la lutte y a lieu jour et nuit, par devant, par-dessus, par-dessous, à coups de pierres, de traits, de matières enflammées ; l’on fait des sorties, l’on creuse des mines pour l'incendier : les assiégeants s'exposent à tout pour la garantir : car tout dépend de là, pour les uns comme pour les autres.

Les vignes, moyen indispensable à l'exécution de la jetée, cheminent aux deux flancs en ligne brisée, et la dépassent de beaucoup en avant, pour protéger et prolonger ce grand ouvrage.

La tortue est sur la jetée, dont elle façonne la tête ; dont elle nivelle la voie pour la tour qui la suit.

La tour s'avance peu à peu, en protégeant tout par le tir de ses batteries et en balayant le rempart que la tortue va bientôt pouvoir ou battre en brèche au moyen du bélier suspendu à la voûte de sa carapace, ou démolir par le haut au moyen de son grappin.

Le muscule est caché dans les vignes ; il en sortira par quelque coin, au moment propice, pour se glisser au pied du rempart, y faire son trou, et en miner la base.

Les caches de Végèce sont poussées en tête des vignes, en tête de sape ; les chats y fouillent sans cesse la terre pour avancer vers la proie.

Telle est l'idée générale, la première idée qu’on peut se faire de l'attaque d'une place chez les anciens : opération militaire entreprise par une très-grande armée contre une autre relativement très-petite, mais qui a pour elle l'avantage de la position ; avantage de l'assiégé que les ouvrages de l'assiégeant ont pour but de faire cesser.

Examinons avec plus d'attention les deux moyens principaux, la jetée et les vignes, afin que, s'il se présente dans le récit de César quelque objection à notre thèse, elle ne puisse demeurer inaperçue.

La reconnaissance de la place ayant été faite avec soin, — César n'y manque jamais (perspecto urbis situ, dit-il), — le point d'attaque étant déterminé, l’on choisissait vis-à-vis de ce point le lieu le plus convenable pour y construire la tour et y commencer la jetée.

De ce lieu l’on dirigeait la jetée droit au point d'attaque, et autant que possible au niveau de la crête du rempart. Si la crête du rempart se trouvait très-élevée, par rapport au point d'origine de la jetée, le plan supérieur de la jetée eût été trop incliné pour qu’on eût pu faire avancer la tour. Dans ce cas difficile[46], la hauteur de la jetée pouvait être réduite et celle de la tour augmentée en compensation ; alors, tant que la somme des hauteurs propres de la jetée et de la tour pouvait parvenir à dominer sur la position de l’ennemi, le moyen était praticable, surtout en s'aidant du bélier et du grappin pour faire brèche. La jetée était formée de bois de toute sorte et de matériaux terreux. Devant Massilia, la jetée ayant été incendiée et le bois manquant, les légions eurent recours à l'argile moulée en briques, qu'ils firent simplement sécher.

Les vignes militaires des anciens étaient beaucoup plus grandes que les tranchées usitées pour planter la vigne à raisin, peut-être même plus grandes en largeur et en profondeur que les lignes militaires usitées de nos jours. Ces vignes des anciens étaient établies, configurées comme nos propres lignes et poussées de même. Elles présentaient des branches obliques y pour avancer vers la place sans se découvrir ; elles présentaient des branches parallèles, pour couvrir sur les côtés ou flanquer et la jetée, et tout l'ensemble des ouvrages. Non-seulement les vignes couvraient la jetée sur ses deux flancs, mais encore par devant, en prenant toujours l’avance, de proche en proche : de sorte que l’on était toujours à couvert pour prolonger la tête de la jetée. Il nous sera fortuitement démontré, par César lui-même, que les bois nécessaires à la jetée y arrivaient par la voie des vignes : peut-être aussi y arrivaient-ils par la jetée elle-même, à travers le pied de la tour et la tortue. Les matériaux terreux étaient fournis sans doute par le déblai énorme de ces mêmes vignes.

 

Siège d’Avaricum[47].

César (est-il dit dans les Commentaires) se dirige sur Avaricum, la place la plus considérable et la plus forte du pays des Bituriges....

Vercingétorix, après une telle suite de revers éprouvés par les siens, à Vellaunodunum (Château-Landon), à Genabum (Orléans), à Noviodunum (Nouan-le-Fuzelier), assemble le conseil, fait comprendre qu'il faut conduire la guerre d'une tout autre manière qu’on ne Ta fait jusqu'à ce moment, et tendre par tous les moyens à ce but unique : couper tes vivres et le fourrage aux Romains....

Tous ayant approuvé cet avis, en un seul jour plus de vingt villes des Bituriges sont brûlées. On fait la même chose dans les autres pays. De toutes parts on ne voit qu'incendies : ce spectacle causait une affliction profonde et universelle, mais on s'en consolait par l'espoir d'une victoire presque certaine, qui indemniserait promptement de tous les sacrifices. On délibère dans l'assemblée générale s'il convient de brûler ou de défendre Avaricum. Les Bituriges se jettent aux pieds des autres Gaulois : Qu'on ne les force pas à brûler de leurs mains la plus belle ville de presque toute la Gaule, le soutien et l'ornement de leur pays; ils la défendront facilement, disent-ils, vu sa position naturelle; car presque de toutes parts entourée d'une rivière et d'un marais, elle n'a qu'une avenue très étroite. Ils obtiennent leur demande ; Vercingétorix, qui l'avait d'abord combattue, cède enfin à leurs prières et à la pitié générale. La défense de la place est confiée à des hommes choisis à cet effet.

Vercingétorix suit César à petites journées, et choisit pour son camp un lieu défendu par des marais et des bois, à seize mille pas d'Avaricum. Là, des éclaireurs fidèles l'instruisaient à toute heure de ce qui se faisait devant Avaricum, et il donnait ses ordres en conséquence. Il surveillait ceux des Romains qui allaient faille pâturer, ceux qui allaient au blé, et, lorsqu'ils se trouvaient dispersés au loin, ce qui arrivait nécessairement, il les attaquait et leur faisait éprouver de grandes pertes, malgré toute la prudence qu'y pouvaient apporter les Romains, comme de changer d'heures et de chemins.

César, après avoir établi son camp devant cet endroit de la place, que la rivière et le marais ne couvraient point, et où l’on pouvait s'avancer, comme nous l’avons dit plus haut, dans un espace étroit, fit commencer à préparer la jetée, à pousser les vignes, à établir deux tours ; car la nature du lieu ne permettait pas l’investissement de la place. Au sujet du blé, il lui fallut sans cesse presser les Boïens[48] et les Eduens. Ces derniers, n'y mettant aucun empressement, ne lui venaient pas beaucoup en aide ; les autres, n'ayant pas de grandes ressources, attendu l'exiguïté et la faiblesse de leur cité, furent bien vite au bout de leurs moyens. L'armée eut donc à souffrir d'une détresse extrême de blé par suite des faibles ressources des Boïens, de la négligence des Eduens, et de l'incendie des habitations du pays ; au point que, pendant plusieurs jours les soldats, manquèrent de blé, et, pour apaiser leur faim, eurent recours aux troupeaux, qu'ils allaient chercher dans les habitations rurales lointaines. Néanmoins, jamais l’on ne les entendit prononcer aucune parole indigne de la majesté du peuple romain et de leurs victoires précédentes. Bien plus, lorsque César appelait aux ouvrages chaque légion à son tour, et disait aux soldats que, à la disette leur était trop cruelle à supporter, il abandonnerait l'attaque de la place, tous lui demandaient de n'en rien faire....

Comme déjà les tours approchaient du rempart, César apprit, par des hommes du pays tombés entre ses mains, que Vercingétorix avait changé de position pour se rapprocher d'Avaricum, et que, de sa personne, avec sa cavalerie, il était allé se placer en embuscade à l'endroit où il pensait que les Romains viendraient faire pâturer le lendemain. Informé de cette disposition des ennemis, César partit au milieu de la nuit, en silence, et arriva le matin à leur camp[49].... César, après avoir calmé l'indignation des soldats, les ramena du même jour au camp, et se mit à donner tous ses soins aux choses qui concernaient l'attaque de la place.

Vercingétorix, à son retour auprès des siens, fut accusé de trahison, au sujet de ce qu'il avait déplacé son armée pour la rapprocher des Romains ; de ce qu'il s'était éloigné avec toute la cavalerie ; de ce qu'il avait laissé tant de troupes d'infanterie sans chef ; de ce que, lui s'éloignant, les Romains étaient survenus tellement à propos et à l’instant même : tout cela n'ayant pu arriver par hasard, ni sans quelque entente avec l'ennemi....

Toute la multitude des Gaulois, heurtant les armes à leur manière, et comme ils ont la coutume de faire en faveur de quelqu'un dont ils approuvent le discours, s'écrie que Vercingétorix est un grand chef, qu’on ne doit pas douter de sa fidélité, qu’on ne saurait s'entendre mieux que lui à diriger la guerre. Ils arrêtent que dix mille hommes d’élite, tirés de toutes les troupes, seront envoyés en renfort dans la place....

Lacune dans les Commentaires.

Le courage sans égal des Romains se heurtait à toutes sortes d'inventions des Gaulois ; car c'est la race la plus industrieuse et la plus adroite à imiter et à exécuter tout ce qu'elle voit faire. En effet, ils empêchaient de faire usage des grappins, qu'ils saisissaient f au moyen de nœuds coulants, et alors ils les empêchaient de mordre au mur et les amenaient à eux avec des machines. Ils creusaient des mines, et venaient arracher par-dessous les matériaux de la jetée : ils savaient d'autant mieux employer ce moyen qu'il y a chez eux de grandes exploitations de fer, où l’on connaît et pratique toutes sortes de mines. Quant au rempart, ils y avaient élevé sur toute son étendue des étages de tours de bois qu'ils avaient recouvertes de cuirs frais. En outre, dans des sorties fréquentes, exécutées de jour et de nuit, ils venaient mettre le feu à la jetée ou attaquer les soldats occupés aux travaux. Et aussi, plus les tours des Romains s'élevaient par l'exhaussement quotidien de la jetée, plus ils augmentaient la hauteur des leurs, en ajoutant des allonges aux poutres verticales[50]. Et encore, au moyen de pièces de bois taillées en pointe et durcies au feu, et en jetant de la poix bouillante et des blocs de pierre d’un poids énorme, ils arrêtaient l'exécution des galeries de mine à ciel ouvert, et empêchaient d'avancer vers le rempart.

Or tous les murs gaulois sont faits à peu près de la manière suivante. Sur toute la ligne où doit être élevé le mur des poutres sont couchées sur le sol perpendiculairement à cette ligne, et à des intervalles égaux de deux pieds de distance entre elles. On les assujettit en place fortement du côté de l'intérieur, et l’on les garnit de beaucoup de remblai. Mais, sur le front du mur, l’on remplit les intervalles dont nous avons parlé avec de grosses pierres (de taille). Quand tout cela est en place et bien ajusté ensemble, une seconde assise est établie par-dessus, en conservant ces mêmes intervalles et sans que les poutres se touchent (d'une assise à l'autre), mais de manière que les poutres (supérieures), placées à la même distance, portent juste chacune sur chaque pierre de taille intermédiaire (en dessous). Ainsi de suite, tout l'ouvrage est entremêlé de la même manière, jusqu'à ce que le mur ait atteint la hauteur voulue[51]. Un tel ouvrage non-seulement n'est point difforme dans l’aspect et le mélange qu'il présente : les poutres et les pierres alternant par rangées régulières en lignes droites ; mais encore il est éminemment convenable dans l'application à la défense des villes, attendu que tout à la fois la pierre garantit du feu et le bois garantit du bélier : car l’on ne saurait ni rompre ni arracher ce système de poutres de quarante pieds, qui sont presque toutes arrêtées solidement du côté de l'intérieur.

Tous ces obstacles entravaient l'attaque de la place, les soldats, toujours dans la boue, au froid, sous des pluies continuelles n'avançaient que bien lentement ; néanmoins, par un travail sans relâche, ils surmontèrent toutes ces difficultés, et en vingt-cinq jours, ils élevèrent une jetée de trois cent soixante pieds (104 mètres) de largeur, et de quatre-vingts pieds (23 mètres) de hauteur. Comme cette jetée arrivait presque à toucher le rempart, et que César, selon son habitude, veillait dans les ouvrages, encourageant tes soldats, afin que les travaux ne fussent pas interrompus un seul instant, un peu avant la troisième veille (minuit), l’on s'aperçut que la jetée fumait : les ennemis y avaient mis le feu en-dessous par une mine. En même temps une clameur partait de tout le rempart, et ils s'élançaient par deux portes sur les deux flancs des tours. Les uns, du haut du mur, lançaient de loin sur la jetée, des torches enflammées et du bois sec ; les autres versaient de la poix fondue et toutes les matières de même nature qui peuvent servir à activer le feu ; de sorte que l’on ne savait guère quel parti prendre, où il était le plus urgent de courir, à quoi il fallait porter du secours. Toutefois, comme César avait réglé le service de telle manière que toujours deux légions veillassent devant le camp, et qu’il y eut beaucoup de soldats à tour de rôle dans les travaux, il arriva promptement que les uns firent tête à la sortie, que les autres ramenèrent les tours en arrière et coupèrent la jetée, en même temps que toute la foule accourait du camp pour éteindre le feu.

Déjà le combat avait duré de tous les côtés pendant le reste de la nuit, que toujours les ennemis reprenaient l’espoir de vaincre, d'autant plus qu'ils voyaient les parapets des tours consumés et qu'ils s'apercevaient bien de la difficulté d'aller à découvert y porter du secours ; toujours, de leur côté, des troupes fraîches venaient relever celles qui étaient fatiguées, tous étant bien persuadés qu'il s'agissait en cet instant du sort de toute la Gaule : il se passa alors sous nos yeux un fait qui nous parut digne de mémoire et que nous ne croyons pas devoir passer sous silence. Devant une porte de la place était un Gaulois à qui l’on faisait passer de main en main des masses de suif et de poix qu'il lançait lui-même dans le feu en face d'une des tours. Un scorpion le perce au flanc droit, et il tombe mort ; un de ceux qui étaient le plus près, fait le pas par-dessus son corps, et le remplace au même service. A celui-ci, tué de la même manière que l'autre d'un t coup de scorpion, il en succède un troisième ; à ce troisième un quatrième ; et jamais cette place ne fut laissée vide par les défenseurs jusqu'à ce qu’on eut éteint l’incendie de la jetée, repoussé les ennemis de toutes parts, et qu'enfin le combat dut se terminer.

Le lendemain, les Gaulois, voyant qu'ils avaient c tenté tous les moyens sans aucun succès, prirent la t résolution d'abandonner la place, conformément aux instances et aux ordres de Vercingétorix. Ils comptaient pouvoir exécuter ce projet à la faveur de la nuit sans éprouver de grandes pertes, se fondant sur ce que le camp de Vercingétorix n'était pas bien éloigné de la place, et sur ce que le marais, qui se prolongeait fort loin entre eux et les Romains, retarderait ceux-ci dans la poursuite. Déjà ils se préparaient à exécuter leur projet pendant la nuit, quand tout à coup les mères de famille sortant des maisons accoururent et se jetèrent en larmes aux pieds de leurs maris, leur demandant avec toutes sortes de supplications de ne pas les abandonner à la cruauté des ennemis, elles et les enfants, fruit de leur union, qui ne pouvaient, à cause de la faiblesse naturelle de leur âge, les suivre dans la fuite. Voyant que les hommes persistaient dans leur dessein, car d*ordinaire dans un danger extrême la crainte est impitoyable, les femmes se mirent à signaler la fuite aux Romains par des cris et des gestes. Les Gaulois alarmés, craignant que la cavalerie romaine n'allât se poster sur leur chemin, renoncèrent à leur projet.

Le lendemain, après que César eut fait pousser en avant la tour, et qu'il eut indiqué la direction à donner aux ouvrages, conformément à son plan, une grande pluie étant survenue, il pensa que ce mauvais temps pouvait ne pas lui être inutile pour quelque entreprise, attendu qu'il remarquait çà et là sur le rempart que la garde était faite avec un peu moins de précaution. Il commanda aux siens d'apporter aussi de leur coté moins d'activité dans les travaux, et leur montra ce qu'il s'agissait d'exécuter. Exhortant alors les légions cachées dans l'intérieur des vignes en tenue de combat à saisir enfin la victoire, qu'ils méritaient bien de remporter après tant de travaux, il proposa des prix pour ceux qui monteraient les premiers sur le rempart, et donna le signal aux soldats. Ceux-ci subitement de tous côtés s’élancèrent et occupèrent rapidement tout le rempart.

Les ennemis, qui ne s'attendaient à rien de semblable, effrayés, chassés du rempart et des tours, se formèrent en coin, sur la place publique et sur les autres lieux découverts, dans l’intention de combattre ainsi quand l’on viendrait à eux. Dès qu'ils virent que pas un seul des Romains ne descendait sur le terrain, mais que de tous les côtés sur le rempart ils se répandaient à l'entour d'eux, alors, craignant de se voir fermer toute issue, ils jetèrent leurs armes et gagnèrent sans s'arrêter les quartiers les plus reculés de la ville. Là, une partie de ces Gaulois s'obstruant à eux-mêmes l'issue étroite des portes, furent tués par les légionnaires ; les autres qui avaient déjà franchi les portes furent tués par les cavaliers ; pas un soldat ne se préoccupa du butin. C'est ainsi que, poussés par le ressentiment des meurtres de Genabum et du labeur des ouvrages, les Romains n'épargnèrent I ni les vieillards, ni les femmes, ni les enfants. — Non œtate confectis, non mulieribus, non infantibus pepercerunt. — Finalement, de tout ce monde, qui était d’environ quarante mille hommes, à peine huit cents, qui s'étaient élancés hors de la ville dès qu'ils avaient entendu les premiers cris, parvinrent sains et saufs auprès de Vercingétorix[52].

Le chef gaulois accueillit ces fugitifs dans son camp, à une heure avancée de la nuit, en silence, de crainte que, si l’on les voyait arriver tous à la fois, le sentiment de compassion ne fît naître quelque émotion parmi la multitude. Dans cette pensée, il eut soin d'envoyer ses amis et les chefs des cités se placer à divers points de la route, pour diviser par groupes ceux qui arrivaient et les faire conduire auprès des leurs, aux places attribuées à chaque cité dès rétablissement du camp.

Le lendemain, convoquant le conseil, il consola les siens et les exhorta à ne point se laisser abattre, ni troubler par ce malheur, leur faisant considérer que les Romains avaient obtenu la victoire, non par le courage et en ligne de batailles mais grâce à un certain art et à la science de l’attaque des places, chose dont eux-mêmes (Gaulois) n'avaient aucune expérience[53] ; que, de son côté, il n'avait jamais été d'avis qu’on défendit Avaricum, et qu'ils lui en devaient eux-mêmes le témoignage ; mais que l'imprudence des Bituriges et le trop de condescendance des autres cités avaient amené ce funeste résultat ; que néanmoins il comptait le réparer promptement par déplus grands avantages ; qu'en effet, il allait mettre tous ses soins à faire entrer dans l'union les cités qui restaient encore séparées de tous les autres Gaulois, et à constituer un seul gouvernement pour toute la Gaule, union à laquelle même l'univers entier ne puisse faire la loi ; et qu’il regardait ce résultat comme déjà presque obtenu.

Saluons d'abord, dans ces dernières lignes, la première apparition de notre UNITÉ NATIONALE.

C'était l'application à toute la race gauloise du principe de solidarité, et l'appréciation de la force nationale qui en devait résulter contre l'étranger : politique juste, noble et grande, au moyen de laquelle Vercingétorix fut sur le point de sauver la Gaule. Nous verrons plus tard ce qui fit échouer cette politique nationale[54].

Nous ne voulons pas insister sur la ressemblance générale du tableau de ce siège avec celui d'un de nos sièges modernes : nous nous contenterons de rappeler l'attention sur quelques traits caractéristiques.

Cette description du siège d’Avaricum montre que César, dans la guerre de Gaule, procédait à l'attaque des places par la voie de tranchées semblables aux nôtres ; il n'y a pas à en douter ; l'expression employée à ce sujet par César lui-même est formelle : En s'avançant vers le rempart, dit-il, par des galeries de mine à ciel ouvert. — Apertos cuniculos morabantur mœnibusque appropinquare prohibebant.

Nous voyons à Avaricum les légions sous les armes se tenir cachées dans les tranchées ; et puis, subitement, s’élancer de tous les points de ces tranchées, et occuper rapidement tout le rempart. Or César avait avec lui dix légions : l’expression qu'il emploie ici est générale ; ne dût-on l'appliquer qu,à trois ou quatre légions seulement, ce seraient dix-huit ou vingt-quatre mille hommes sous les armes, se tenant cachés dans les travaux de César. Quel gigantesque système de travaux ce récit nous démontre avoir été établi devant Avaricum ! Pour que de telles masses de troupes aient pu s'approcher ainsi du mur de la place par la voie des tranchées, et s'y tenir cachées jusqu'au moment du signal, sans que les sentinelles du rempart les aient aperçues, il faut nécessairement : 1° que ces tranchées aient été creusées dans le sol depuis le camp jusqu'au mur de la place ; 2° qu'elles aient suivi, dans leur détail, une direction sinueuse en ligne brisée, sans que jamais du rempart un homme Bit pu apercevoir ceux qui y cheminaient, c'est-à-dire, pour employer le mot spécial, sans que jamais, du mur gaulois, les vignes militaires de César aient pu être enfilées. Or ce sont là les deux caractères principaux de nos tranchées militaires actuelles.

Les Gaulois, de leur côté, se trouvaient à couvert par un mur très-solide ; mais ce mur parait avoir été fort peu élevé, puisque les soldats romains y sont montés de tous côtés et Tout couvert en quelques instants, ex omnibus partibus evolaverunt, murumque celeriter complerunt. Les Gaulois, il est vrai, augmentèrent la hauteur de cette fortification en établissant par-dessus leur mur un retranchement en charpente, un échafaudage semblable aux tours de bois ; ils augmentèrent encore la hauteur de ces tours de bois au moyen de poutres d'allonge verticales. Mais tous ces échafaudages pouvaient évidemment être traversés sans grand effort par des soldats romains, accompagnés d'ouvriers légionnaires ; et il ne semble pas possible de s'expliquer autrement l'invasion générale si rapide de tout le mur de la place : fait important que César, suivant son habitude, laisse dans l'obscurité, amie du merveilleux.

Il nous montre les Gaulois faisant des sorties pour incendier la jetée, attaquant les travailleurs dans les ouvrages, ruinant les tranchées au moyen de pieux dont la pointe a été durcie au feu, y jetant de la poix bouillante, des blocs de pierre, et arrêtant ainsi les travaux d'approche de la place : tout cela ne ressemble-t-il pas (sauf l’emploi des armes à feu) à une attaque de nos tranchées modernes ?

Nous voyons nos aïeux pratiquant des galeries de mine pour aller sous terre fouiller dans la jetée, y organiser l'incendie ; nous les voyons faisant des sorties nombreuses avec la fureur du désespoir, montrant un courage héroïque. Mais comment exécuter de puissantes sorties sans armes de main comparables à celles de l'assiégeant ? Comment résister à une telle attaque au moyen seulement du feu et des outils qui servent ou à bâtir des maisons, ou à cultiver le sol, ou à fouiller le sein de la terre pour en extraire du minerai ?

On peut donc dire en résumé que Jules César a attaqué la place comme un Vauban ; mais il n'est pas non plus difficile de reconnaître que Vercingétorix a fait, pour en retarder la prise, pour sauver ses défenseurs et sa population, tout ce qu'un Vauban eût pu conseiller.

Et, en cela, le chef des Gaulois, bien qu'il ait rencontré encore des difficultés d'un autre ordre — dans l'insubordination et la méfiance de ses troupes, dans le cri de la nature chez les femmes gauloises —, paraît avoir réussi mieux peut-être que ne le dit César, car voici un texte qu’on trouve dans Eutrope, parlant d'après Suétone : Laquelle place, après un long siège, après beaucoup de défaites éprouvées par les Romains, fut enfin prise un jour de pluie et détruite... On dit qu'il s'y trouvait quarante mille personnes, dont à peine quatre-vingts s'échappèrent et parvinrent à gagner le camp des Gaulois établi dans le voisinage[55].

 

Siège de Massilia[56].

Pour compléter l'étude de l'attaque des places de la Gaule par César, considérons maintenant ses légions, non plus à l'attaque d'une ville faible, n'ayant à leur opposer qu'un simple mur peu élevé, l'intelligence native et l'intrépidité de ses défenseurs ; mais bien à l'attaque d'une puissante place, Massilia la phocéenne, où la force des remparts et les puissantes machines, toute la science, tout l'art, tout le génie militaire de la Grèce se trouvent réunis. Les Ioniens émigrés de la côte d'Asie, après être venus choisir la meilleure place au bord de la mer des Gaules, eurent aussi un jour à se défendre, eux et leurs trésors, contre les légions de César. César lui-même a décrit le siège de Massilia, et cette nouvelle description d'un siège, par un tel auteur, ne peut manquer de jeter encore plus de lumière sur divers points de la méthode suivie à cette époque dans l'attaque des places.

Le lieutenant C. Trebonius, qui avait été laissé pour faire le siège de Massilia (dit-il), commença à pousser la jetée, les vignes et les tours vers la place, de deux points à la fois. De l'un, il était tout proche du port et des établissements de la marine ; de l'autre, il poussait l'attaque à l'endroit de la place où l’on se présente en arrivant par terre [de Gaule et d'Espagne], proche de cette partie de la mer qui mène à l'embouchure du Rhône[57]. Car Massilia est baignée par la mer sur presque trois côtes de la place. C'est par le quatrième côté restant qu'elle communique avec la terre. Et encore dans cet espace, l'endroit qui correspond à la citadelle, fortifié par la nature du lieu et par une grande dépression du terrain, eût exigé une attaque longue et difficile. Pour parvenir à exécuter ces ouvrages, C. Trebonius requiert de toute la Province une multitude d'hommes et de bêtes de charge ; il fait amener toutes les sortes de bois menus et gros qui lui sont nécessaires. Quand il se trouve approvisionné de ces matériaux, il établit une jetée de quatre-vingts pieds (23 mètres) de hauteur.

Mais tels étaient d'ancienne date dans la place les approvisionnements de tout genre pour la guerre, telle était la multitude des armes de batterie, qu'aucunes vignes garnies de menus bois[58] ne pouvaient résister à leurs coups. En effet, des solives de douze pieds (3m,48), années d'une pointe en fer et lancées par les plus grandes balistes, traversaient quatre rangées de claies et se plantaient encore dans la terre. C'est pourquoi on recouvrait le parapet[59] avec des bois d'un pied d'épaisseur, joints ensemble ; et derrière cet abri les matériaux de la jetée étaient portés en avant à bras d'hommes. En tête (de la jetée) cheminait une tortue de soixante pieds (17m,40), pour niveler le terrain ; elle était faite aussi des plus forts bois, et recouverte de tout ce qui pouvait la garantir c du feu et des pierres lancés par les assiégés. Mais la grandeur des ouvrages à exécuter, la hauteur du rempart et des tours, la multitude des machines de guerre, faisaient que tout traînait en longueur. De plus, les Albici[60] qui étaient dans la place exécutaient de fréquentes sorties et portaient le feu à la jetée et aux tours. Nos soldats les repoussaient facilement, et les rejetaient dans la place, non sans leur avoir à ces occasions fait éprouver de grandes pertes....

Dans ces fréquentes sorties de l'ennemi, les légionnaires qui exécutaient les ouvrages à l'attaque de droite, remarquèrent qu'il pourrait leur être d'un grand secours de construire tout près du mur une tour en briques, pour leur servir de redoute et de refuge. N'ayant d'abord en vue que les sorties subites, ils firent cette tour peu élevée et peu grande. Ils s'y retiraient ; ils y tenaient ferme au cas où il leur avait fallu reculer devant des forces supérieures ; ils s'élançaient de là pour repousser et poursuivre l'ennemi. Les dimensions de la tour étaient de trente pieds (8m,70) en tous sens, mais l'épaisseur des murs était de cinq pieds (1m,43). Par la suite toutefois, l'expérience étant le grand maître pour le perfectionnement de toutes choses, l’on fut amené à penser que cette tour en briques pourrait être d'une grande utilité si l’on relevait à la hauteur d'une tour ordinaire. On y parvint de la manière suivante.

Quand l’on eut élevé la tour à la hauteur convenable pour recevoir un plancher, les soldats établirent ce plancher sur les parois, de manière que les extrémités des poutres restassent couvertes par une petite épaisseur de la maçonnerie, afin de ne laisser aucun point saillant qui pût donner prise au feu de l'ennemi. Au-dessus de cet étage, ils continuèrent d'élever la construction en briques, autant que l'abri du parapet et des vignes le permit. A cette limite, ils placèrent deux poutres transversalement, non loin des extrémités des parois (non loin des angles de la construction), pour supporter la charpente destinée à couvrir la tour ; puis, en travers,sur ces poutres ils placèrent directement les solives (du toit), qu'ils fixèrent en place avec des chevilles[61]. Ils laissèrent à ces solives un petit excédant de longueur qui faisait saillie en dehors de la construction, pour avoir moyen de suspendre extérieurement un abri, afin de parer les coups et d'en renvoyer, pendant qu'à l'intérieur les murs seraient élevés sous cette charpente ; et ils recouvrirent de briques et de terre grasse le plancher placé en dessus, pour le garantir du feu des ennemis ; et par dessus le tout ils étendirent des couvertures, afin que ni les traits lancés par les machines ne pussent briser le plancher, ni les blocs de pierre lancés par les catapultes enlever le briquetage. Ils firent avec des câbles trois stores[62] de la longueur des parois de la tour, d'une largeur de quatre pieds (1m,16) ; et, des trois côtés de la tour que l'ennemi pouvait voir, ils fixèrent ces stores aux extrémités proéminentes des solives, pour les laisser pendre par-devant eux et à l'entour. L'expérience faite sur d'autres points leur avait appris que ce genre d'abri, celui-là seul, était à l'épreuve de tous les traits, même de ceux des machines. Dès que la partie de la tour qui se trouvait terminée fut ainsi couverte et à l'épreuve de tous les coups des ennemis, ils transportèrent les abris (des vignes) à d'autres points des ouvrages ; et prenant appui sur la travée du premier étage, ils commencèrent à soutenir le toit de la tour et à le soulever tout d'une pièce, à plusieurs reprises, tant que la hauteur des stores le comportait, s'arrêtant au point juste. Cachés et en sûreté sous ces abris, ils élevaient plus haut les parois de briques ; puis, s'y reprenant de la même manière, ils se donnaient de nouveau l'espace nécessaire pour bâtir. Lorsqu'il paraissait à propos de placer un nouveau plancher, ils en établissaient encore les bois comme pour le premier, de manière que les extrémités fussent recouvertes en dehors par les briques ; et, de cette travée, ils élevaient de nouveau le plancher du haut et les stores. C'est ainsi que sans crainte, sans recevoir aucune blessure, ni courir aucun danger, ils élevèrent la tour jusqu'à la hauteur de six étages ; et tout en construisant, ils laissèrent aux points qui parurent convenables des ouvertures pour le tir des machines.

Quand les soldats crurent pouvoir compter sur cette tour pour défendre les ouvrages exécutés dans ses environs, ils entreprirent de faire, avec des bois de deux pieds (0m,58) d'épaisseur, un muscule de soixante pieds (17m,40) de longueur, pour le pousser delà tour de briques auprès d'une certaine tour des ennemis et du rempart. Voici quelle était la configuration de ce muscule. On place d'abord sur le sol deux poutres d'égale longueur, à quatre pieds (1m,16) de distance entre elles, et l’on y encastre des colonnettes de cinq pieds (1m,45) de hauteur. On réunit ces colonnettes entre elles (d'une poutre à l'autre) par des chevrons inclinés en pente douce (comme aux deux versants d'un toit), de manière à pouvoir y placer des poutres pour couvrir le muscule. Là-dessus l’on pose des poutres de deux pieds d'épaisseur, et l’on les relie avec des lames de fer et des clous. Au bord du toit du muscule et aux extrémités des poutres, l’on cloue des règles carrées de quatre doigts d'épaisseur, pour retenir les briques qu’on doit ranger sur le muscule. Ainsi configuré à crête et régulièrement établi, dès que les poutres se trouvent placées sur les chevrons, le muscule est recouvert de briques et de terre grasse pour le garantir du feu, qu’on pourrait y jeter du mur ; par-dessus les briques, l’on étend des cuirs frais, pour que de l'eau lancée au moyen de tuyaux ne puisse délayer les briques[63] ; et ces cuirs eux-mêmes, pour les garantir à leur tour du dégât qu'y pourraient produire le feu et les pierres, sont recouverts avec soin de couvertures en laine.

Les soldats exécutent complètement cet ouvrage tout entier, sous le couvert des vignes, au pied même de la tour (de briques) ; et tout à coup, les ennemis ne s'attendant à rien, au moyen d'apparaux de marine et de rouleaux placés sous le muscule, ils le poussent vers la tour des ennemis, pour le joindre à l'édifice.

Effrayés du danger, à l'instant les défenseurs de la place, munis de leviers, avancent les plus gros blocs de pierre qu'il leur est possible de mouvoir, les roulent et les précipitent du rempart sur le muscule. La force du bois résiste au coup ; et tout ce qui tombe glisse du faîte du muscule. Voyant cela, ils ont recours à un autre moyen : ils remplissent des barriques de copeaux de pin et de résine ; ils y mettent le feu et les font rouler du rempart sur le muscule. Elles tombent en tournant sur le muscule et de son toit de briques à terre ; l’on les écarte de l'ouvrage au moyen de longues perches et de fourches, sans se montrer au dehors. En même temps, sous le muscule, les soldats, munis de leviers, arrachent les pierres du pied de la tour des ennemis, celles qui touchent à ses fondations. De la tour de briques, nos soldats défendent le muscule à coups de traits et de machines ; ils écartent l'ennemi du rempart et de ses tours. Ils ne lui permettent plus de défendre le rempart. Dès qu’on eut arraché un certain nombre de pierres de cette tour qui était proche, tout à coup une partie de la tour s'écroula. La partie restée sur pied, ébranlée à la suite de l'autre, penchait en avant.

Alors les ennemis, tout émus de l'écroulement subît de leur tour, troublés par ce malheur inattendu, consternés delà colère des dieux, redoutant le pillage de leur ville, quittent les armes, ceignent leur front de bandelettes, et tous s'élancent au dehors par une porte, les bras tendus vers les lieutenants et vers l'armée. A ce nouvel aspect des choses, toute l'activité militaire s'arrête ; les soldats, abandonnant l'attaque, s'approchent dans le désir d'entendre et de connaître ce qui va être dit. Dès que les ennemis parviennent auprès de l'armée et des lieutenants, ils se jettent tous aux pieds des Romains, en suppliant qu’on attende l'arrivée de César, et en disant qu'ils voient bien que leur ville est prise, que les ouvrages sont achevés, que leur tour est sapée ; que, en conséquence, ils ne songent plus à se défendre ; que rien désormais ne saurait empêcher qu'à l'arrivée de César, s'ils ne font pas ce qu'il ordonnera, au moindre signe de lui, leur ville ne soit à l'instant livrée au pillage...

Les lieutenants y touchés de ces supplications, ramènent les soldats des travaux, cessent d'attaquer la place, laissent des gardes dans les ouvrages. On fait, par compassion, une espèce de trêve : l’on attend l'arrivée de César. Aucun trait n'est lancé, ni du rempart, ni par les assiégeants : tous ceux-ci se relâchent de soin et d'activité comme si l'affaire était terminée.

Quelques jours plus tard, comme les Romains s'abandonnaient à l'oisiveté et à l'insouciance, tout à coup, à l'heure de midi, alors que l'un s'était écarté, que l'autre, après un labeur de si longue durée, se livrait au repos dans les ouvrages mêmes, et que d'ailleurs toutes les armes se trouvaient remises aux dépôts et rangées à couvert, les Massiliens s'élancent des portes et courent mettre le feu dans les ouvrages, par un grand vent qui les seconde. Le vent porte le feu çà et là si vite, qu'en même temps la jetée, les parapets, la tortue, la tour (mobile) et les armes de batterie sont en flammes, et que tous, ces objets sont consumés avant qu’on ait pu reconnaître de quelle manière l’accident était survenu. Les soldats qui sont de garde, tout émus de ce désastre subit, saisissent des armes où ils en peuvent trouver. D'autres accourent du camp. On charge les ennemis ; mais les flèches et les traits lances par les machines du rempart empêchent de les poursuivre dans leur fuite. Ils se rallient sous le rempart ; et là ils incendient librement le muscule et la tour de briques. Ainsi périt en un seul instant l’œuvre de plusieurs mois, par la perfidie des ennemis et le déchaînement des éléments[64].

Résumons en deux mots le reste du récit de ce siège.

Le lendemain, par un temps semblable, les Massiliens tentèrent d'incendier de même la tour mobile et la jetée à l'attaque de gauche ; mais les Romains s'y tenaient sur leurs gardes, et la sortie fut repoussée.

Du côté des ouvrages incendiés, les légions manquant du bois nécessaire pour les rétablir, eurent encore recours aux briques d'argile desséchées, et exécutèrent par ce moyen une jetée d'un genre nouveau et inconnu jusque-là, dit César. Cet ouvrage exceptionnel, dont il est difficile de se bien rendre compte, faute d'explication suffisante dans le récit de César, parait avoir été exécuté pour remplacer tout à la fois les vignes et la jetée ordinaires. Il consistait en deux murs parallèles de six pieds d'épaisseur, recouverts d'un pont chargé de fascines et de terre grasse. Cela constituait, l’on le voit, une galerie d'approche blindée. On y laissa, en divers points, des ouvertures latérales, afin que les soldats pussent se porter au dehors, en cas d'attaque. Si, dans ce nouvel ouvrage, l’on mit à profit ce qu'il restait des vignes précédemment exécutées, il dut être assez facile de parvenir de la même manière jusque sous le rempart, et là l’on put élever de même une nouvelle tour en briques. Quoi qu'il en soit, quand les Romains se furent ainsi approchés delà place, au point de pouvoir lancer à la main des javelots sur le rempart, les malheureux habitants, décimés d'ailleurs par la famine et la peste, se rendirent à César lui-même, qui revenait alors de son expédition d'Espagne contre Afranius et Petreius. Il enleva tout aux Massiliens, sauf ce qu'ils mettaient au-dessus de tout, la liberté, dit Florus[65].

Ce siège de Marseille nous fait connaître plusieurs détails des moyens employés par les légions de César à l'attaque des places : les uns que nous n'avions point aperçus devant Avaricum, sont importants à constater ici ; les autres que nous connaissions déjà, s'y présentent sous un nouveau jour qui nous permettra de les mieux distinguer.

Nous voyons d'abord que les vignes de l'assiégeant présentaient, du côté de la place, un rebord saillant, exposé à être percé transversalement par le tir du rempart, et dans la composition duquel entraient des menus bois, des fascines, des claies, contextœ viminibus vineœ ; c’est-à-dire que les vignes militaires des anciens étaient bordées d’un parapet comme nos lignes modernes, et que, pour établir ce parapet, l’on employait jadis les mêmes matériaux qu'aujourd'hui.

En outre, devant Massilia, au parapet des vignes, quatre rangées de claies étaient traversées à la fois par les énormes traits que lançaient les machines du rempart ; donc (et Folard l’a fait remarquer avant nous[66]), ces rangées de claies étaient parallèles au rempart ; donc les vignes elles-mêmes présentaient des branches parallèles ou des places d'armes, comme nos lignes modernes.

On recouvrit le parapet de fortes pièces de bois qui pussent résister au tir de la place, et par ici l’on portait en avant, à bras d'hommes, les matériaux de la jetée ; les bois nécessaires pour prolonger la jetée arrivaient donc en tête par la voie des vignes ; et il ne paraît pas qu'ils fussent toujours portés en avant à bras d’hommes, puisque César signale ce détail dans le récit.

Dans ces mêmes vignes et près du rempart, l’on établit avec des briques un réduit, une redoute, qui ressemblait beaucoup à celles qu’on voit dans les places d'armes de Vauban[67].

Cette redoute des légionnaires fut élevée dans les vignes mêmes et probablement dans une place d'armes : sa base carrée était de trente pieds en tous sens ; donc la largeur de la place d'armes était au moins de trente pieds (8 met. 70) en cet endroit. Pense-t-on qu'elle fût moindre ailleurs ? Considérons la profondeur : elle dut être proportionnée à la largeur commune et être égale partout : le récit nous permet de la déterminer approximativement. En effet, pour transformer la redoute de briques en une haute tour, l’on éleva la construction d'abord d'un étage de plain-pied, lequel (avec sa travée et le plancher sur tête) fait au moins environ 2 met. 40 de hauteur ; puis l’on éleva encore la construction d'une portion d'étage, qui fait bien (avec l'épaisseur du toit mobile de la tour et son blindage en dessus) 1 met. 60 de hauteur à ajouter : voilà donc en somme 4 mètres. Or, tout cela fut exécuté dans la profondeur des vignes, et à couvert pour l'œil des assiégés, quantum tectum plutei ac vinearum passum est. Mais, de plus, la tour de briques était très-rapprochée du rempart, puisque les assiégés eussent pu, dit César, y lancer de l'eau ; donc leurs regards plongeaient assez bas par derrière la crête du parapet et à une distance horizontale de 8 met. 70, où se trouvait le bord postérieur du toit de la tour de briques. Admettons que la hauteur du parapet au-dessus du sol ait suffi pour masquer toute la face supérieure du toit, nous arrivons à reconnaître ainsi que la profondeur commune de cette place d'armes était d'environ 4 mètres ; ce qui ne peut être motivé que par une largeur commune d'environ 8 met. 70 ou trente pieds. On put donc facilement y établir la tour de briques, ainsi que César le rapporte.

D'ailleurs, la construction même du muscule, auprès et devant la tour de briques, nous montre qu’on pouvait amener par la voie des vignes d'approche, jusqu'au pied du rempart, de grandes pièces de bois, même des poutres de soixante pieds (17 met. 40), et de deux pieds (0 m. 58) d'épaisseur. Or, comment transporter ainsi de pareilles pièces de bois autrement que sur de gros chars ? Voilà donc des tranchées où l’on pouvait circuler comme sur les grandes routes.

Ce même muscule fut construit sans qu’on pût l'apercevoir du rempart ; hoc opus omne tectum vineis ad ipsam turrim perficiunt, subitoque inopinantibus hostibus : donc les vignes étaient poussées au rempart obliquement et sans que l'œil des assiégés pût y plonger d'enfilade, comme sont poussées aujourd'hui nos tranchées.

Du reste, d'autre part, l'énorme déblai qui devait résulter de l’exécution de telles vignes était nécessaire pour constituer partiellement le volume encore plus énorme de la jetée, laquelle présentait 23 mètres de hauteur.

Ainsi, l’on le voit, tout se tient et tout s'accorde dans le récit de César pour nous montrer devant Massilia, comme devant Avaricum, un immense système de lignes semblables aux nôtres, et présentant de même des branches parallèles au rempart, ou des places d'armes, et des branches obliques, ou des tranchées proprement dites.

L'incendie des ouvrages de l’attaque de droite nous montre tous les objets construits entièrement en bois, ou du moins en proportion telle que le feu pût y prendre et les détruire par un grand vent. Cette catégorie d'objets comprenait la jetée, les parapets des vignes, la tortue, la tour mobile, les machines de batterie, le muscule et la tour de briques.

On voit que les vignes elles-mêmes n'y sont point comprises ; donc il ne peut être question, dans le récit de César, des vineœ ou causiœ décrites par Végèce, lesquelles étaient construites en bois. On voit au contraire, par ce même texte, que les vignes des légionnaires étaient bien semblables à nos propres lignes militaires, où, en effet, les parapets seuls sont susceptibles d'être détruits par le feu.

Il n'est pas non plus fait mention nominativement du porticus, qui présentait beaucoup de bois, et dut aussi être consumé : cela confirme l'acception dans laquelle nous avons pris ce mot, acception qui fait rentrer l'objet dans les parapets, dont la destruction est mentionnée par César.

Les troupes qui exécutèrent une sortie pour aller incendier les ouvrages des Romains, leur coup fait, se réfugièrent sous le rempart, et le tir des machines de la place arrêta à distance les légionnaires qui les poursuivaient. Or Vauban avertit, pose en maxime de siège que, en pareille occasion, l’on ne doit jamais oublier de bien prendre garde au tir de la place, attendu que l’assiégé a prévu rapproche de ceux qui repoussent sa sortie, qu'il les voit arriver sous son tir et qu'il se tient tout prêt. Voilà donc encore une ressemblance de plus dans l'attaque des places aux deux époques que nous considérons.

Ainsi, en résumé et pour conclure, nous pensons avoir démontré que, dans l’attaque des places en Gaule, les légions de Jules César procédaient en suivant une méthode qui ne différait point de la méthode savante qu’on suit de nos jours, du moins en ce qui est essentiel, en ce qui rend inévitable la prise d'une place, dans les conditions ordinaires, et permet d'en prévoir la date, par le calcul du temps nécessaire pour l'exécution des ouvrages réguliers que le siège de cette place exige. Nous voyons bien que notre ville est prise, ont dit les malheureux habitants de Massilia, que les ouvrages sont achevés, que notre tour est sapée (la brèche faite) : en conséquence, nous ne songeons plus à nous défendre. — Captam suam urbem videre, opera perfecta, turrim subrutam : itaque a defensione desistere.

Voici, pour terminer ce qui concerne l'attaque des places et positions fortes, le tableau des moyens semblables ou équivalents chez les anciens et chez les modernes.

Vinæ

 

vignes

 

lignes

Agger

 

jetée

 

cavaliers de tranchée

Turres ambulatoriæ

 

tours mobiles

 

batteries à ricochet

Testudo

aries

tortue

bélier

batteries de brèche

flax

grappin

Musculus

 

muscule

 

Cuniculus

 

galerie de mine

 

mine

Nous verrons à Alésia César se retrancher dans ses lignes d'une manière formidable. Jamais aucuns soldats du monde, à aucune époque, n'ont creusé et remué la terre, n’ont taillé le bois, à l’égal des soldats de César : ce fut là son grand moyen, sa grande force. De cette manière il fit la guerre, non en faisant tuer beaucoup de ses soldats, mais en les faisant tous beaucoup travailler, et parvint sans grand danger à tuer beaucoup d'ennemis. Et assurément, à l'époque moderne, il n'y eut dans la pensée de Vauban aucune de ces idées simples et droites, d'où résulta sa puissance comme preneur de places fortes, qui n'ait déjà été formulée dans la pensée de Jules César.

Quant aux moyens de guerre maritime, nous devons rappeler que les légions étaient capables de construire elles-mêmes des vaisseaux, de les réparer au besoin avec leurs seules ressources d'outillage, et de les manœuvrer à la mer.

Les légions sur mer montaient des bâtiments faisant route à la voile, mais pouvant aussi, dans le calme ou dans un combat, manœuvrer à la rame et évoluer ainsi rapidement. Ces bâtiments étaient très-longs ; c'était là leur caractère distinctif, et l’on les appelait simplement vaisseaux longs, naves longœ. Ils étaient pontés, naves constratœ ; ils étaient munis d'armes de batterie, de grappins et autres moyens de combat et d'abordage. Quelques-uns présentaient jusqu,à cinq rangs de rames ; mais l’on ne sait pas bien aujourd'hui comment ces rames étaient installées et de quelle manière les rameurs pouvaient les manœuvrer. Les bâtiments à trois rangs de rames, naves trirèmes, paraissent avoir été les meilleurs pour le combat, ceux qui réunissaient le plus utilement ces deux conditions importantes : d'être déjà par leurs proportions d'une puissance considérable, et de rester encore par rapport aux forces de l'homme très-maniables à la mer. Les navires de guerre les plus redoutables étaient ceux qu’on appelait naves rostratœ, naves œratœ, parce qu'ils présentaient à l'avant un bec ou éperon d'airain, pour éventrer et couler bas les navires ennemis en les perçant de cet éperon par le travers, absolument comme l’on commence à procéder de nos jours. Et, en effet, pendant que se poursuivait, ainsi que nous l'avons vu, le siège de la ville riche et savante du golfe de Gaule, l’on se battit plusieurs fois sur mer, et un spectateur qui eût été alors placé au sommet du mont voisin dont le pied constitue le cap de la Croisette, eût pu apercevoir au large les vaisseaux de cette malheureuse ville, hélas ! trop riche, sombrant sous l'éperon des longs vaisseaux de D. Brutus ; tout comme, de nouveau et de nos jours, l’on a vu sombrer des vaisseaux américains sous l'éperon du Monitor.

Nous pouvons maintenant apprécier du point de vue historique, et avec impartialité que l'histoire doit à chaque peuple, quelle fut au vrai la position de nos aïeux dans la guerre de Gaule. Il suffit pour cela de jeter un coup d'œil sur l'ensemble des moyens de guerre, avec lesquels César vint envahir leur pays. César vint en Gaule avec une armée composée de légions, dont chacune était munie des armes de main offensives et défensives que nous connaissons ; dont chacune était parfaitement organisée, accompagnée de sa cavalerie cuirassée, de ses armes de batterie, de sa compagnie d'ouvriers, avec les outils et les équipages, de manière à constituer, suivant l'expression de Végèce, une cité armée et mobile, et toujours prête à se mouvoir immédiatement — comme nous en serons témoins au début de la guerre de Gaule —, et toujours prête à attaquer les cités entourées de murailles par des moyens irrésistibles, et même à courir les mers sur des navires armés d'un éperon.

Quelle puissance dans une légion ! quelle armée dans dix légions et Jules César à leur tête ! Qui pourra lui résister ? Nous verrons par qui et comment toute cette puissance a été paralysée en Gaule. Et néanmoins César triomphera de la Gaule ; mais il aura appelé à son aide d’autres moyens, ses moyens politiques.

Ce qui nous conduit à jeter encore, au préalable, un coup d'œil sur le commencement de la guerre de nos aïeux avec les Romains, où nous verrons les moyens politiques employés par ceux-ci contre les Gaulois d'Italie.

 

 

 



[1] De bello Gallico, VII, XXIX.

[2] La Haye, 1737, Pierre de Houdt.

[3] Ouvrage cité, p. 154, note 1.

[4] Il faut se rappeler ici que le nom de places d'armes, dans le langage technique, s'applique particulièrement aux lignes ou tranchées menées parallèlement au mur de la place, dites communément parallèles de Vauban ; et qu'alors aussi, en particulier, l’on entend par le mot simple tranchée la série de tronçons obliques qui constituent la tranchée d'approche, et par lesquels l’on chemine, en ligne brisée, d'une première parallèle à une seconde, puis à une troisième, et de même jusqu'à la place. Rigoureusement donc Vauban ne parle ici que des parallèles.

[5] Ouvrage cité, p. 51.

[6] Ville d'une île du même nom située dans le golfe d'Athènes.

[7] Qui équivalaient au demi-talent d'Athènes, ou à treize kilogrammes, d'après le poids du talent que nous avons rappelé plut haut.

[8] Ouvrage cité, t. V, p. 88. (Polybe, IX, VIII.)

[9] Notamment la description du siège de Lilybée (Marsala), place maritime occupée par les Carthaginois et assiégée par les Romains. Les ouvrages de l'assiégeant y furent incendiés par l'assiégé un jour de grand vent, comme nous le verrons faire encore au siège de Marseille La description du siège de Lilybée est une admirable page d'histoire, mais elle ne fournit que des aperçus concordants avec notre thèse, non des éléments de détermination précis, démonstratifs ; nous ne la citons donc pas.

[10] Tite-Live, Hist., XXI, VII.

[11] Végèce, IV, XV.

[12] Végèce, IV, XIV.

[13] Végèce, IV, XVI.

[14] Végèce, IV, XV.

[15] Ammien Marcellin, XX, VII.

[16] Ammien Marcellin, XXI, XII.

[17] A défaut d'auteurs militaires qui nous fassent connaître les diverses formes de crates usitées du temps de César, nous pouvons nous adresser aux poètes, et chercher ce mot parmi les expressions qu*ils ont employées pour appeler dans l'esprit du lecteur l'image des objets, comme c'est leur habitude. On peut dire que les images présentées par les grands poètes sont toujours conformes à l'objet qui s'y rapporte. Or Virgile, pour offrir l'image de la poitrine d'un ennemi, que son héros traverse d'un coup d'épée, emploie l'expression suivante : A travers les crates de la poitrine. (Æn., XII.)

Ovide emploie la même image : crates spinæ, crates laterum.

Virgile dit que les abeilles, quand elles viennent à perdre leur reine, détruisent elles-mêmes leur ouvrage de miel et rompent les crates des rayons. (G., IV.)

Ainsi des claies de la forme du squelette de la poitrine de l'homme (du thorax, disent les anatomistes), ou de la forme des alvéoles d'un rayon de miel, étaient connues de tous à Rome, du temps de César. C'est l'image de nos gabions. Où trouver, en effet, une image plus fidèle du système des alvéoles d'un rayon de miel que dans une réunion de petits gabions pleins de miel ?

[18] De bell. Gall., II, XII. — Ibid., III, XXI. — Ibid., VII, XVII, LVIII. — De bell. Civ., I, XXXVI. — Ibid., II, I.

[19] De bell. Gall., VIII, XLI. — De bell. Alex., I. — De bell. Hisp., VII.

[20] De bell. Gall., VIII, XLI.

[21] De bell. Afr., XLIX, LI ; De bell. Hisp., V, XXXIII, XXXIV.

[22] De bell. Hisp., VI.

[23] De bell. Afr., XXXVIII, LI.

[24] De bell. Afr., LVI.

[25] De bell. Alex., XXX.

[26] Salluste, Jug., LXXVI.

[27] Salluste, Jug., XCII.

[28] Tite-Live, Hist., V, VII.

[29] Tacite, Hist., III.

[30] Tacite, Hist., V.

[31] Vineas dixerunt veteres, quas nunc militari barbaricoque utu causia, vocant. (Variantes dans la leçon : causias, cautias, caucias, cattos.)

[32] Cela ne doit pas nous étonner, si nous considérons quel désordre militaire était survenu dans l'empire romain.

[33] Végèce, IV, XV.

[34] En effet, un wagon, dénué de toute cloison transversale, nous représenterait très-approximativement la forme et les dimensions d'une de ces vineœ dont parle Végèce. Or, à trente soldats armés par chaque vinea, il eût fallu environ quatre cents de ces machines pour cacher deux légions seulement. En eût-on pu faire un si grand nombre au siège d'Avaricum ? Quand l’on les eût approchées du mur, les légions j eussent-elles été bien cachées ? L'ennemi eût-il pu croire qu'il n'y avait rien là-dessous ?

[35] Marius assiégeait, en Numidie, un fort situé sur un rocher escarpé qui s'élevait au milieu d'une plaine. Ce lieu ne permettait d'employer ni la jetée, ni les tours mobiles ; le consul fît ouvrir la tranchée pour tenter de parvenir ainsi, par le versant du petit mont, jusqu'au mur du fort. Les Numides, sortant du fort jour et nuit, venaient attaquer les travailleurs, jeter du feu, des pierres dans la tranchée, la bouleverser : l’on n'avançait pas ; l’on perdait nombre d'hommes des plus braves. Ce fut dans cet embarras que Marins eut recours à un stratagème proposé par un soldat ligurien ; il mit sous ses ordres quatre centurions et cinq trompettes, pour grimper au sommet du rocher, par derrière, et jeter l'alarme dans le fort, au moment où lui-même, de son côté, donnerait l’assaut. Dans le passage que nous citons, Marius vient d'être informé que le Ligurien est parvenu avec ses hommes au sommet du rocher. (Salluste, Jug., XCII, XCIV.)

[36] Salluste, Jug., XCIV.

[37] De bell. Civ., III, LIV.

[38] De bell. Alex., I.

[39] Ainsi Folard, préoccupé de l'idée de tranchées, en voit même dans l'agger, bien que Végèce dise ci-dessus : l'agger est élevé (extollitur) avec de la terre et des bois de toute sorte ; bien que, de fait, César en ait élevé à quarante, à soixante, à quatre-vingts pieds (vingt-trois mètres) de hauteur (De bell. Gall., VIII, XLI).

[40] Folard tombe ici évidemment dans une erreur de fait touchant les occasions dans lesquelles l’on employait le porticus ; car le seul siège au sujet duquel il soit parlé de l'emploi du porticus est celui de Marseille ; et précisément. César lui-même va nous dire que, dans la place de Marseille, les machines étaient en très-grand nombre et d'une puissance extrême.

[41] Traité de l'attaque et de la défense des places des anciens, art. IX.

[42] Dans le langage ordinaire, ce même mot, causia, a été employé par Plaute pour désigner un bonnet ou chapeau de pécheur (Dictionnaire de MM. L. Quicherat et A. Daveluy). C'était pareillement dans la langue grecque le nom d'un large chapeau, en usage chez les Macédoniens (Dictionnaire de M. Alexandre).

[43] De bell. Civ., II, XXV.

[44] VII, LVIII. Rapprocher de ceci un passage de la guerre d'Espagne. (De bell. Hisp., V.)

[45] Vauban admet, comme règle générale, que les forces de l'assiégeant doivent être dans la proportion de six ou sept fois les forces de l'assiégé. Nous ignorons quelle était, en pareil cas, la règle de conduite des anciens.

[46] Ce fut le cas à Uxellodunum, pour parvenir à faire battre par les machines les abords de l'eau nécessaire aux malheureux assiégés. (De bell. Gall., VIII, XLI.)

[47] Aujourd'hui Bourges, en Berri. —Voir les Commentaires, liv. VII, XIII-XXIX.

[48] Les Boïens, Boii : peuple aborigène de la Gaule et dont l’on ne connaît pas bien le territoire primitif, mais qui a joué un râle historique important. Il fît partie des premières émigrations gauloises en Italie, où il s'établit sur la rive droite du Pô, dans la région de Bologne. Vaincu par les Romains (comme nous l'allons voir ci-après), il repassa les Alpes au nord, pour aller s'établir sur le Danube, sur le Rhin, dans la Norique ; d'où il rentra en Gaule en se joignant à l'émigration des Helvètes, succomba avec eux ; et alors, avec le consentement de César, à la demande des Éduens, ce qu'il restait de ce peuple aventureux et brave fut placé chez les Éduens, dans le Bourbonnais, nom de province qui conserve la marque de celui des Boïens.

[49] Les détails de cette petite expédition, qui ne jettent aucune lumière sur le siège d'Avaricum, ont été reportés plus loin, où ils servent à éclairer une discussion importante. Il nous suffit ici de savoir que l'expédition échoua, au grand mécontentement des soldats de César.

[50] Ce passage a bien embarrassé tous les commentateurs, comme l’on peut le voir dans plusieurs notes : ils ont même proposé de changer la leçon. Voici le texte de César : Et nostrarum turrium altitudinem, quantum has quotidianus agger expresserat, commissit suarum turrium malis, adæquabant. Nous croyons qu’on peut conserver la leçon et que notre version est rigoureuse. Quant au fait qu'elle indique, c'est ce que nous voyons exécuter aujourd'hui partout dans Paris, aux échafaudages des maisons en construction, et sur plus d'un point sans doute, par les descendants de ces vaillants Bituriges.

[51] Sic deinceps omne opus contexitur. Ainsi de suite tout l'ouvrage est entremêlé. Le sens de ce verbe contexitur est important à constater. César va l'employer de nouveau dans le récit du siège de Marseille, au sujet du porticus, qu’il ne décrit point et que nous avons intérêt à connaître. Ici il l'applique à un outrage connu par sa descriptien même, et le sens du mot ne peut être douteux. Voilà un rempart entremêlé de pièces de bois, c'est-à-dire en latin contextus materia murus. De même donc, si une certaine partie des vignes militaires était composée de terre et de menus bois entremêlés, on pouvait dire aussi bien de cet autre ouvrage : contextæ viminibus vinea. C'est l'expression que César emploie au sujet de cette partie des vignes militaires qui était, comme nous le verrons, la plus exposée au tir du rempart, et qu'il désigne sous le nom de porticus. On le voit, le sens de ce verbe et celui de ce nom s'accordent pour nous montrer dans le porticus de César un parapet de tranchée de la même nature que celui des tranché et modernes.

[52] César dit, au commencement de ce septième livre, qu'une conspiration contre les Romains avait été ourdie, au milieu des bois, par les princes de la Gaule, et que les Carnutes s'étaient chargés de prendre l'initiative de l'insurrection. Cela fût-il vrai, qu'ici César évidemment ne peut s'appuyer que sur le témoignage d'un délateur. Il ajoute : Au jour fixé, à un signal donné, des Carnutes, conduits par deux hommes qui n'avaient rien à perdre, Cotuatus et Conetodunus, accourent à Genabum ; ils mettent à mort des citoyens romains qui s'y étaient arrêtés pour affaires de commerce, entre autres C. Furius Cotta, chevalier romain distingué, chargé par César de pourvoir à l'approvisionnement de blé, et ils pillent leurs biens (VII, III.) Tels furent, au dire de César, les meurtres de Genabum qui lui servent ici à pallier les massacres d'Avaricum. Déjà cependant pour ces mêmes meurtres exécutés par des conjurés de l'extérieur accourus à Genabum, César a pillé, brûlé cette ville, et livré la population captive à ses soldats, pour en disposer comme ils l'ont voulu (præda). N'était-ce pas assez de vengeance ? Fallait-il encore que les Bituriges expiassent ces mêmes meurtres dont s'étaient rendus coupables quelques Carnutes, et les expiassent d'une manière aussi cruelle ? Voilà un premier aperçu de cette bonté de César, tant célébrée, et de la valeur des motifs qu'il présente pour couvrir le jeu réel des moyens de son ambition.

[53] Le texte de ce passage nous sert d'épigraphe ci-dessus.

[54] Remarquons la similitude complète de cette appréciation militaire de la nation gauloise, que César prête à Vercingétorix, avec l'appréciation militaire de la nation française par le grand Frédéric, dont l’on se rappelle la parole célèbre : Si j'avais l'honneur d'être roi de France, je voudrais qu'il ne se pût pas tirer un seul coup de canon en Europe sans ma permission. On voit donc que, longtemps avant le vainqueur de Rosbach, déjà le vainqueur d'Avaricum avait porté sur la vaillance de la race gauloise le même jugement, où du reste la flatterie ne fait qu'aviver la vérité.

Enfin, par une coïncidence bien singulière, c'est au siège à Avaricum qu'apparaît dans l'histoire notre centralisation politique, et c'est auprès de la même ville que se trouve la pyramide qui marque le centre du territoire national.

[55] Eutrope, De gestis Rom., lib. VI, Bellum Gallicum. Le nombre des Gaulois qui s'échappèrent, si l’on l'écrit en toutes lettres, serait octoginta ; César dit octinginti ; une erreur de copiste a pu, l’on le voit, se glisser ici, et expliquerait la différence des textes à l'égard de ce nombre.

[56] Marseille. —Voir les Commentaires sur la guerre Civile, livre II, chap. I, II, VIII, IX, X, XI, XII, XIII, XIV, XV, XXII.

[57] Duabus ex partibus aggerem, vineas turesque ad oppidum agere instituit. Una erat proxima portui navalibusque : altera, ad partem qua est aditus [ex Gallia atque Hispania ad id mare quod adigit] ad ostium Rhodani. On peut voir dans les notes des commentateurs que ce texte les a tous embarrassés, à tel point qu'ils proposent de changer la leçon. On peut, ce nous semble, la conserver, même en admettant une incise, comme dans nombre d'éditions estimées, mais en restreignant l'incise, comme l’on le voit ci-dessus dans notre version comparée au latin. Du reste, le sens de notre version s'accorde avec le terrain dont parle César.

[58] Contextæ viminibus vineas. — Virgile dit (Æn., VI) : Littora prætexunt puppes. Les navires bordent le rivage. Ainsi, l'expression prætexta puppibus littora, indiquerait un rivage bordé de navires ; de même que l'expression prætexta purpura tunica, indique une tunique bordée de pourpre. Mais, dans ces deux cas, la bordure est à l'extérieur (præ) de l'objet bordé (tunica) ; si elle fût entrée dans la composition même de l'objet, nul doute qu'il eût fallu dire contexta. C'est ainsi que, précédemment, au sujet de ce mur gaulois dans la composition duquel il entrait de grandes pièces de bois, César s'est servi de l'expression contexitur, que nous rendons par nos mots français entremêlé ou garni. Voici un autre exemple César, près d'Ilerda, voulant passer le Sycoris grossi par des pluies, fit construire par ses légionnaires des barques d'une espèce remarquable : On faisait d'abord, dit-il, la quille et la membrure avec des bois légers ; et pour achever le corps des barques, l’on faisait le bordage avec des bois menus, qu’on recouvrait de cuirs. (De bell. Civ., I, LIV.)

[59] Porticus integebatur. — Nous avons exposé ci-dessus les raisons qui nous font admettre que le mot porticus indique un parapet de tranchée. Toutefois, à bien considérer l'ensemble du texte (que nous donnons ci-après), il ne nous paraît pas absolument démontré que ce mot, dans la pensée de l'auteur, doive être appliqué au même objet que l'expression contexta viminibus vinea. Dans le cas où ce doute serait fondé, le mot porticus indiquerait-il un mantelet de tête de sape, l'objet appelé vinea ou causia par Végèce ? Du reste, ceci ne parait être que d'un intérêt secondaire.

[60] Peuple client de la cité de Massilia et qui était probablement le même que les Albienses ou les Albiæci de Strabon, dont il est fait mention ci-dessus dans notre notice géographique. On pense généralement que ces Albici occupaient la partie la moins élevée du département des Basses-Alpes, la région de Riez.

[61] Chevilles : c'est le sens que nous croyons devoir donner ici au mot axibus.

[62] Storeas : mot usuel aujourd'hui parmi nous, au même sens qu'en latin, et provenant d'un mot grec qui signifie étendre, étaler.

[63] On voit ici que ces briquettes étaient simplement desséchées, non point cuites comme les briques ordinaires.

[64] Ce fut probablement un jour de mistral que choisirent les habitants de la vieille Marseille, pour l'exécution de ce coup de main.

[65] Florus, IV, II.

[66] Ouvrage cité page 167.

[67] Ouvrage cité page 29.