17 juillet-15 septembre. Une dépêche du général en chef au général Pétain du 9 juillet caractérisait l'attitude qui devait et allait prendre l'armée de Verdun. Joffre était d'accord avec le général commandant le groupe des armées du Centre et le général commandant la 2e armée sur l'impérieuse nécessité de reconquérir sur l'une et l'autre rive de la Meuse une série de points d'appui dont la possession était indispensable pour asseoir sur des bases particulièrement solides le système de nos lignes de résistance. Mais les nécessités et les premiers résultats des opérations entreprises sur la Somme avaient déjà conduit le général eu chef à prélever des forces sur le groupe d'armées et l'amèneraient peut-être à y opérer de nouveaux prélèvements. L'armée de Verdun ne devait donc compter que sur des moyens mesurés pour accomplir le programme d'opérations offensives qui s'imposait : Dans ces conditions.... ajoutait Joffre, il est indispensable d'échelonner dans le temps et d'après leur ordre d'urgence les attaques que vous méditez. La bataille de la Somme, après de brillants débuts, commençait, elle aussi, à tourner en lutte d'usure : les Allemands, après le 15 juillet, y précipitaient leurs gros. L'armée de Verdun, relativement soulagée, pouvait, en prenant une attitude offensive, retenir sur son front une partie de leurs forces. Le général Nivelle acceptait cette mission avec joie : nous savons quel était son tempérament, et après l'avoir attendue avec impatience au milieu des vicissitudes d'une bataille acharnée, il voyait arriver avec joie l'heure où l'initiative repasserait enfin entre ses mains. On commencerait petitement. Il fallait reprendre Fleury après l'avoir dégagé, reporter notre ligne où elle était avant l'attaque du 23 juin. Après quoi l'on verrait à le ramener aux forts, à délivrer ces captifs. Le secteur où semblait maintenant se concentrer l'action — car l'énorme bataille de Verdun tournait à devenir une simple bataille de Thiaumont-Fleury — était en bonnes mains. Le général Mangin, placé à la tête du 11e corps, était venu prendre le commandement de toute cette partie du champ de bataille. Il s'était juré de ne pas la quitter sans avoir remis la main sur Douaumont. Mais auparavant fallait-il rejeter le Boche de Fleury. Les troupes étaient disposées à y
aller : après avoir traversé, dans la seconde quinzaine de juin. une
crise de sombre tristesse, nos hommes reprenaient. sinon leur joyeuse belle
humeur, du moins une foi magnifique en l'avenir. Vous
me demandez si cela est vrai que les Boches ont pris Verdun, écrit
l'un d'eux aux siens. Mais non jamais ils ne le
prendront. Maintenant c'est trop tard. Cette foi se fortifiait d'une
terrible haine de l'ennemi. Sois certaine qu'ils
garderont un très mauvais souvenir de Verdun. Car l'on est sans
pitié pour eux lorsqu'ils vous attaquent avec des liquides enflammés.
Enfin l'orgueil d'avoir été de Verdun
consolait parfois des atroces souffrances. Le séjour
là-haut est horrible, mais on en est pas moins fiers pour autant et l'on peut
élever la tête d'avoir fait son devoir. Un brave territorial écrit : Ils croyaient nous effrayer. Ils ne nous ont pas fait peur...
Ils nous ont appris à connaitre le régiment et,
par ailleurs, un sous-officier écrivait que les jeunes bleuets aspiraient à goûter du Boche. La seule idée que l'on allait
reprendre l'offensive faisait courir une confusion de joie et d'orgueil : Nous allons essayer de reprendre Fleury et Douaumont et si
Fleury est repris, tu pourras dire que ton fils y participait. Et un
autre : Le bruit court que nous prendrons position
vers Fleury. C'est un poste d'honneur, de périls et de danger ; néanmoins
je suis prêt à vendre chèrement ma vie. Après l'affaire du 12,
tous avaient conclu comme ce revenant du combat qui écrit : A Verdun, on oppose aux Boches une résistance vraiment
digne de soldats français... Tous leurs
efforts se brisent comme les vagues contre les falaises. Ils n'auront pas
Verdun. Une attaque sur Fleury les 15 et 16 cependant avait été vaine : l'Allemand s'était cramponné. Le général Mangin avait alors adopté la tactique à laquelle l'impossibilité de monter encore une opération d'ensemble réduisait Nivelle : on chercherait par une poussée continue et des offensives partielles é atteindre la ligne que nous occupions avant le 23 juin. Dans la nuit du 17 au 18 juillet, un sous-lieutenant, qui,
dans le civil, était employé de banque se
glissait avec quelques hommes vers la chapelle Sainte-Fine
et en reprenait possession. Ce geste modeste fut le premier d'une série de
reprises qui allaient bientôt se magnifier. Le reflux commentait. Du 29 juillet au 5 août, malgré deux violentes contre-attaques allemandes, le 1er et le 5 août, nous réussissons à réduire le saillant des Vignes au sud de Thiaumont et à nous établir aux abords immédiats de Fleury. Nous avions pénétré, le 3, dans le village d'où nous avions été de nouveau rejetés. Mais le général Mangin dénombrait 3.000 prisonniers. C'était un commencement et qui encourageait grandement nos hommes : C'est ma division, écrit fièrement l'un d'eux, qui a fait, du 13 juillet au 1er août, les progrès mentionnés au communiqué devant Fleury... Nous avions devant nous le 48e Poméranien et le 11e Bavarois... On leur avait promis la paix à Verdun pour le 14 juillet. Mais ils avaient compté sans la 37e division marocaine. On leur a montré qu'on était toujours un peu là. Ils étaient tous toujours un peu là, car le 15 août, le régiment d'infanterie coloniale du Maroc reprenait Fleury d'un beau coup de main, tandis qu'une partie du bois de Vaux-Chapitre était enlevée. Notre ligne était reportée aux points que nous tenions avant le 23 juin. Déjà nos hommes triomphaient bruyamment de ces premiers succès qui, jusqu'au 26 août, se poursuivaient. Ces cochons-là, écrit un homme, croyaient qu'ils allaient rentrer chez nous comme chez le bistro et déjà les quolibets se mettaient à pleuvoir — comme naguère sur la déconfiture, la mésaventure des Boches leur affaire s bel et bien loupée s. L'ennemi ne semblait plus disposé à bouger : depuis la reprise de Fleury, il se terrait. Des canonnades assez vives seulement s'échangeaient : du fait des Allemands, la bataille de Verdun s'affaissait. Le Monde le comprit : c'était fini l'Allemand avait échoué devant Verdun. La victoire défensive — en attendant la grande contre-offensive prochaine — était acquise et un concert d'admiration, que, cette fois, ne troublait plus l'inquiétude, s'élevait de toutes les parties de la Terre. On voulut consacrer cette heure magnifique. Le gouvernement ayant conféré à Verdun la Légion d'honneur, les souverains alliés entendirent s'associer à l'hommage. Le président Poincaré, escorté des représentants du gouvernement de la République et de toutes les puissances, vint apporter à Verdun mime cette magnifique manne d'honneur. La ville était encore bombardée à merci ; c'était la sauvage el puérile vengeance du vaincu furieux. L'apothéose eut lieu dans une des casemates. J'eus le privilège d'y assister et peut-être, plutôt que de résumer mes impressions, faut-il les laisser parler quand, toutes chaudes, elles s'exprimaient quatre jours après : Devant l'écoule de la citadelle,
porte basse qu'on a ornée pour la circonstance des vieux canons de 1870, une
compagnie de chasseurs est là pour rendre les honneurs. Ah ! ce ne sont point
les soldats flambants et astiqués de nos cérémonies de la paix armée ;
mais c'est bien plus beau : ces uniformes lavés par les pluies et pâlis par
les soleils, noircis par la poudre et blanchis par la poussière, ces casques
tachés et bossués sur ces faces hâtées, ces cuirs fauves que le sang a
éclaboussés, ces croix de guerre au ruban terni, ces mines presque farouches,
quelle épopée ils évoquent ! Songez que ces deux cents hommes représentent
ici l'armée de Verdun, aujourd'hui aussi célèbre de par le monde que la
Grande Armée. line seule coquetterie qui marque le gala : les
clairons ont leurs draperies bleues au cor de chasse jaune que notre Detaille
a dessinées. Et le drapeau flotte au vent. Sous la porte Neuve mutilée, un général apparait : c'est le héros de la bataille actuelle, le petit Africain au teint jauni, l'un de ceux qu'on vit à Fachoda et qu'on revit à Fez et lui, en ce moment, à Verdun, tient le secteur en bataille, au nord-est de la place. Batteries, clairons. Puis une autre apparition, prestigieuse. Un tout autre type d'homme, grand, droit, superbe, la figure pâle, la moustache de vermeil où maintenant l'argent apparait, les yeux bleus clairs et froids, mais où passe, en franchissant ce seuil de la ville sauvée, un éclair de légitime orgueil. Et malgré la discipline, le long des rangs, un murmure court : Pétain' Les députés et sénateurs de la Meuse, représentants du sol, s'avancent d'un élan vers le Chef. Une voiture franchit la porte : le généralissime en descend, toujours plein d'une bonhomie souriante, accompagné de l'autre vainqueur, ce colonel d'avant-hier qui, par ses batteries, permit à nos troupes cette inoubliable joie : l'entrée à Mulhouse, et qui, succédant à Pétain, a repris la suite de la victoire : Nivelle. Enfin, voici le Président, grave, pénétré de la mission qu'il vient remplir et derrière lui avec les ministres, un général russe. un gênerai anglais, un général italien, un major belge, un général serbe, un général monténégrin — qui tous sont porteurs d'une des hautes décorations de leur pays. Le cortège restreint — mais
combien intéressant ! s'engage sous la vente sombre de l'écoute. Et dans
la casemate où, tandis que la Marseillaise éclate, chacun a pris rapidement
sa place, le Président, de sa voix claire, incisive, frémissante, dit ce qui
l'amène et avec lui les représentants des armées alliées : on a lu son
discours à la gloire de la cité martyre et de l'armée héroïque. Verdun ! Le
nom de la vieille cité court aujourd'hui le Monde, auréolé d'une gloire
immortelle. La bataille gigantesque, où se sont affrontées. corps par corps,
les deux Nations, la bataille qui, au dire du Kronprinz, devait en quelques
jours livrer à son père avec la ville violée, la France abattue, la bataille
qui, des Côtes de Meuse aux pentes de l'Argonne, a coûté tant d'efforts sanglants
aux deux partis et finalement rompu la force allemande, nous a valu plus de
prestige que la Marne elle-même. Souffrances atroces supportées, actes
d'héroïsme inouïs, la terre soulevée contre l'Allemand, le sang qui a coulé à
flots, les effroyables réponses de notre artillerie à l'attaque ennemie, les
assauts supportés par notre infanterie, puis donnés à son tour par elle, tout
criait ici : Messieurs, voici les murs où
se sont brisées les suprêmes espérances de l'Allemagne impériale...
a dit le Président. Mais ces murs mêmes éclataient
sous la poussée de notre émotion. Nous voyions, bien au delà de Malancourt
aux Eparges. le champ de bataille, le corps qui, les trois premiers jours, se
fait écraser pour donner aux autres le temps d'arriver, ceux-ci accourant et,
gelés, bleus de froid, empoignant les fusils et arrêtant l'ennemi, les
collines se garnissant d'artillerie, la lutte sanglante sur les croupes de
Vaux et de Douaumont, le terrible bois des Corbeaux oui la neige était
devenue rouge, le Mort-Homme et la cote 304 fumant ainsi que des volcans, puis les combattants du printemps ne
cédant que pied par pied le terrain sur la rive droite et, en reculant de
mois en mois l'échéance, faisant échouer l'entreprise, puis l'arrêt soudain
de l'ennemi : Pas plus loin ! et les poitrines humaines faisant un rempart
infrangible, puis l'inaction imposée à l'ennemi sur la rive gauche, la
reprise, sous le ciel brûlant, de la lutte par nous cette fois sur la rive
droite — et les soldats tombant en criant : Ils n'ont pas passé. Au centre, la ville payait de sa vie la déception allemande : soixante mille obus l'écrasant — un jour, 750 du matin au soir. Et c'est cette ville écrasée qui. debout, domine l'Univers. Et lentement le Président faisait maintenant en quelque sorte l'appel des puissances qui, représentées par de vaillants soldats, apportaient à Verdun médailles et croix. C'était d'une grandeur admirable. Et dans mon petit coin je revoyais mes vingt-cinq mois de Verdun — et fièrement, pour mes vieux camarades d'avant la grande bataille autant que pour mes chers camarades de la terrible mêlée, je contemplais cette apothéose et les y associais. On sortait : le général Nivelle venait de recevoir la plaque de la Légion d'honneur ; et lorsqu'il apparut sur le seuil de l'écoute, le général Pétain qui l'attendait, d'un mouvement spontané, se jeta dans ses bras. Le protocole n'avait pas réglé cette accolade-là A voir ces deux beaux soldats de Verdun s'embrasser, on sentait le cœur battre plus fort qu'à l'ordinaire. La victoire fut le fruit, autant que la surhumaine vaillance des soldats, de cette constante communion des chefs dans l'amour de la France. Et comme il fallait répondre à cette cérémonie qui fermait la bataille — provisoirement — car nous l'avons reprise —, le Kronprinz, huit jours après, adressait à ses troupes cet ordre du jour embarrassé, piteux, lamentable où il s'en remettait à l'avenir du soin de fixer si les efforts faits n'avaient pas été vains. Ils l'ont été, puisque, Verdun sauvé, l'Allemagne est actuellement assaillie par l'ennemi qu'elle avait cru y briser pour jamais. |