LA RÉVOLUTION

TROISIÈME PARTIE. — LA CONVENTION NATIONALE

 

CHAPITRE XXV. — LA MORT DU ROI.

Décembre 1792-janvier 1793

 

 

Le procès du roi et la lutte entre les deux partis. Le procès. La question de l'appel au peuple. La pression. Les scrutins. Le vote du 17 janvier. Louis XVI à l'échafaud. Les conséquences du 21 janvier.

 

Les Girondins désiraient-ils sauver le roi ? Oui, dit Guadet. Non, dit Biré. Ils ont tort et raison tous les deux, parce que tous les deux supposent l'existence d'un groupe girondin homogène. Or c'est précisément le procès du roi qui nous montre la Gironde divisée : sur les 36 proscrits de juin 1793, l'état-major du parti, 6 seulement auront voté la mort purement et simplement, 10 sous condition suspensive, 12 la détention. Encore sont-ce les chiffres du terrible scrutin des 16 et 17 janvier. De novembre à janvier, la pression des événements aura agi sur des volontés vacillantes.

Il résulte en effet d'une étude approfondie de l'événement, qu'en novembre 1792, l'état-major girondin désirait sauver le Roi. Mais ils allaient à cette bataille, comme à la précédente, sans discipline et sans idée ferme, compromis par les déclarations antérieures de certains de leurs leaders et ébranlés par la crainte de paraître moins bons républicains que leurs adversaires.

La Montagne, par contre, voulait la mort du roi, moins par férocité que par calcul. Robespierre savait que l'événement diviserait ses adversaires ; cela lui eût suffit pour pousser aux mesures extrêmes. En outre, le geste amènerait le règne des violents en rendant la situation inexpiable. Le 20 janvier, la mort votée, Le Bas écrira à son père : Les chemins sont rompus derrière nous ; il faut aller bon gré mal gré, et c'est à présent qu'on peut dire : Vivre libre ou mourir ! Dès novembre, une minorité audacieuse voulait rompre les chemins. Les Girondins s'y rompraient ensuite les membres.

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Le dessein des Montagnards est si arrêté que, dès l'abord, ils ne voulaient pas de procès ; Robespierre et Saint-Just demandaient une exécution par décret. La Convention n'était pas un tribunal, ne pouvait l'être : César fut immolé en plein Sénat sans autre formalité que vingt-deux coups de poignard, dit Saint-Just. C'était l'assassinat d'Etat qu'on préconisait : il ne devait entrer dans les mœurs que quelques mois après — la mort des Girondins, de Danton et de Robespierre ne sera pas autre chose —. La Gironde crut avoir remporté un grand succès en obtenant qu'on jugerait Louis. Ils se crurent humains pour avoir donné tort aux tortionnaires et, par horreur du régicide d'État, ils s'acheminèrent au régicide de majorité. L'un ne se défend pas plus que l'autre : la moitié plus un des membres d'une Assemblée, qu'aucun mandat n'investissait du droit de juger, allait s'arroger d'armer le bras du bourreau.

Les juges — fort illégalement constitués — allaient en outre évoquer un procès qui, de par la loi, ne pouvait être soumis à aucun tribunal, même légal : la Constitution de 1791 avait établi l'irresponsabilité du Monarque. Louis XVI s'y fia. Par un dernier scrupule, il ne voulut point donner aux violents, en refusant de comparaître, l'occasion de fomenter une émeute sanglante contre le Temple et ses prisonniers. Il se prêta à cette comédie de justice, peut-être avec l'idée qu'on n'irait pas jusqu'au meurtre.

Barbaroux ayant, le II décembre, lu à l'Assemblée l'acte énonciatif préparé par Lindet, le roi fut appelé à se venir expliquer sur les trente-trois questions qui y étaient posées. Cambacérès fut chargé de l'aller quérir au Temple. Le futur archichancelier n'en était pas encore au protocole compliqué dont plus tard il se devait entourer — En public, appelez-moi Votre Altesse, dira un jour le prince Cambacérès à ses familiers ; entre nous Monseigneur suffit — : Louis Capet, je viens... Ce pédantisme démagogique agaça Louis XVI : Je ne m'appelle pas Capet, dit-il, mais il consentit à suivre le citoyen Cambacérès, future Altesse.

Barère présidait l'Assemblée, homme affable, dit Choudieu. De fait, il était de l'espèce féline, et son attitude fit illusion au roi. Barère recommanda qu'on fût convenable : Que votre attitude soit conforme à vos nouvelles fonctions !

On rend mal compte d'un interrogatoire : il faudrait lire celui de Louis. Le roi y fut parfait, simple avec beaucoup de dignité. Assis dans son fauteuil, il répondait à tout avec une aisance extrême, tantôt se couvrant de la Constitution qu'on lu avait, en 1791, imposée, et tantôt niant que les faits eussent la portée que, rétrospectivement, on leur donnait.

L'Assemblée fut impressionnée, et cette impression fut si visible, que Lanjuinais alla jusqu'à demander qu'on abandonnât le procès. La Montagne exaspérée accusa violemment tout le côté droit de vouloir sauver le tyran. Elle intimida : tout ce que la Droite osa demander et put obtenir, ce fut que Louis se pourrait faire défendre par des avocats. Le roi désigna Target et Tronchet : Target se récusa. Tel était le revirement (passager), que les poissardes, écrit-on le 19, portèrent des verges à Target et des fleurs à Tronchet : le vieux Malesherbes qui, si longtemps sous l'ancien Régime, avait favorisé la pensée libre, se dévoua et, se constituant avocat, amena avec lui le jeune et éloquent Desèze.

C'est celui-ci qui plaida à fond : il fut habile et émouvant, exaltant tantôt la bonté du roi qui toujours avait aimé la justice et pratiqué la vertu, et tantôt invoquant l'inviolabilité du monarque que couvrait formellement la Constitution. A lire le plaidoyer, il se faut incliner : la Convention-tribunal ne pouvait qu'acquitter. Mais Robespierre avait dit le mot : Vous n'êtes point des juges, vous n'êtes et ne pouvez être que des hommes d'État. La voix grave de Desèze cependant traverse le siècle : Je n'achève pas : je m'arrête devant l'Histoire ; songez qu'elle jugera votre jugement et que le sien sera celui des siècles. Qu'on lise — après cela — le jugement que porte cent ans après Albert Sorel, si peu suspect d'esprit contre-révolutionnaire[1] : l'intègre historien répond, d'une façon terrible pour la Convention, à l'appel solennel de l'avocat à l'Histoire.

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L'Assemblée était partagée. Une pression formidable s'exerçait sur les hésitants. Mme Roland, hier si mal disposée pour les souverains, s'en montre indignée : Presque tous nos députés, écrit-elle le 25 décembre, ne marchent plus qu'armés jusqu'aux dents : mille gens les conjurent de ne coucher ailleurs qu'à l'hôtel. La charmante liberté que celle de Paris ! La Commune, en effet, faisait jouer tous les ressorts.

Le 27, Salle, de la Gironde, s'était timidement plaint de la pression qu'on exerçait et en avait pris texte pour lancer l'idée d'un appel au peuple. Robespierre, fort inquiet, la combattit avec passion : évidemment il ne croyait pas que la province ratifierait une sentence capitale : La vertu, avoua-t-il, fut toujours une minorité sur la terre. Saint-Just fit un aveu plus grave : L'appel au peuple... n'est-ce pas rappeler la Monarchie ? L'idée cependant sembla faire son chemin : Vergniaud la défendit. On peut jouer à croix ou pile, écrit le 8 janvier Mme Jullien que renseigne son mari, devenu député.

On pense si, du 8 au 15 janvier, où l'on devait ouvrir la série des scrutins, la pression s'exerça. Un régicide, La Revel-hère déclarera : Il faut l'avouer, dans le moment, il y avait plus de courage à absoudre qu'à condamner. Les clubs, les sections, la Commune se déchaînaient. Barère avait fait décider que les scrutins se feraient par appel nominal à la tribune : les tribunes noteraient les purs et les impurs. Buzot, Gensonné, Kersaint vinrent se plaindre des manœuvres que pratiquait la Commune : les assassins de septembre remplissaient les Tuileries. Un délégué du département de la Loire-Inférieure, Sotin, écrit le 8, que l'Assemblée allait voter sous les poignards : il savait les députés de son département disposés à voter contre la mort, mais les voyait extrêmement inquiets : et de fait trois d'entre eux — dont Fouché, décidé la veille à sauver le Roi — vont voter la mort.

Un effet moral s'ajouta à cette pression : le 15 janvier, la question de culpabilité fut posée. A l'unanimité des votants, l'Assemblée admit la culpabilité. En mon particulier, j'en fus affligé, écrit misérablement un des votants. Cette unanimité n'en était pas moins impressionnante. La Droite a cru, en s'y associant, se donner le droit d'imposer l'appel au peuple ; on en discute : Ce sera la guerre civile, dit Barère. On se croyait cependant, à droite, sûr du succès. Et quel succès pour ces Girondins ! Ils créeront ainsi un précédent, l'appel à la province contre Paris. Mais déjà la pression faisait plier les hésitants : Fouché, qui hier siégeait à droite, vote contre ; que d'autres modérés que la peur prend aux entrailles ! En vain, dans ce seul scrutin, l'état-major girondin fait bloc : la ratification populaire est repoussée par 424 voix contre 283. Cela est très grave.

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Restait la question de la peine. Le scrutin s'ouvrit le 1G janvier, à 8 heures du soir. Vingt-quatre heures durant, les 721 députés présents allaient, l'un après l'autre ; monter à la tribune et se prononcer à haute voix. L'appel par départements commençant à la lettre G, on en conçut de l'espoir, parce que, dès l'abord ou à peu près, la Gironde — douze députés qu'on tenait pour résolus à l'indulgence — allait se prononcer. S'il faut en croire Harmand (de la Meuse), Vergniaud lui aurait dit, la veille au soir : Je resterais seul de mon opinion que je ne voterais pas la mort. Il présidait et, du haut du fauteuil ; vota la mort. Huit des députés de Bordeaux votèrent comme lui. Dès lors les hésitants lâchèrent pied. Le 17, à 10 heures du matin, un Montagnard écrit de son banc : La peine de mort parait devoir l'emporter.

Ce jour là, à 8 heures du soir, le scrutin était clos. Vergniaud dut proclamer le résultat qui, encore qu'il y eût, par faiblesse, participé, frappait de mort son parti autant que le roi : Votants 721 ; majorité 371. Pour la mort 387 voix, contre la mort ou pour la mort conditionnelle 334.

In extremis, le 18, les Girondins soulevèrent la question de sursis. Il était trop tard. Les suiveurs de majorité étaient maintenant solidement attachés au char de la Montagne victorieuse. Robespierre, Couthon, Tallien, Barère prononcèrent des rappels menaçants : De Bry qui, la veille, avait développé, dans un tract, un opinion favorable au sursis, vota contre. On avait espéré dans la magnanimité de Danton. Quand il se prononça contre, la Droite fit un Ho ! de déception, mais ce fut par d'autres exclamations qu'elle accueillit le duc d'Orléans. La veille, il avait voté la mort du roi : lorsque, la sueur au front, il vint, sur le sursis, murmurer : Non, la Droite, implacablement, cria : On n'a pas entendu ! Le prince Egalité répéta : Non ! Rien ne manquait donc à cette tragédie shakespearienne, rien, même cette espèce de fratricide.

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Louis XVI avait demandé trois jours pour se préparer à la mort. Ces trois jours, où il se montra d'une vaillance si sereine, grandissent de cent coudées le malheureux prince.

Il fut exécuté le 21 janvier au milieu d'une ville littéralement consternée. Peut-être craignait-on pire, puisqu'au témoignage de deux Marseillais fort hostiles au roi, on avait mis littéralement Paris en état de siège. Un grand carrosse vert fortement escorté amena le roi déchu sur la place ci-devant Louis XV. Là où s'élevait naguères la statue du mauvais roi — Après moi le déluge ! —, le bon roi de 1789 allait mourir. Il monta d'un pas très ferme les degrés de l'échafaud : il était là plus grand que sur le trône. L'exécuteur était Samson ; il a écrit le lendemain un récit curieux de l'exécution : Il a lui-même aidé à ôter son habit. Il fit difficulté lorsqu'il c'est (sic) agi de lui lier les mains qu'il donna lui-même lorsque la personne qu'il l'accompagnait (le confesseur) lui eût dit que c'était un dernier sacrifice... Il monta sur l'échafaud et voulut foncer sur le devant comme pour parler. Mais on lui représenta que la chose était impossible encore. Il se laissa alors conduire à l'endroit où on l'attacha et où il s'est écrié très haut : Peuple, je meurs innocent ! Ensuite, se retournant vers moi, il nous dit : Messieurs, je suis innocent de ce dont on m'accuse. Je souhaite que mon sang puisse cimenter le bonheur des Français... Il y eut, à en croire Santerre cette fois, une bousculade ; le bourreau semblant hésiter, Santerre, qui faisait battre aux champs, pressa l'exécution. On n'entendit alors qu'un cri affreux que le couteau étouffa. Le bourreau, fort impressionné, ajoutait : Pour rendre hommage à la vérité, il a soutenu tout cela avec un sang-froid et une fermeté qui nous a étonnés. Je reste convaincu qu'il avait puisé cette fermeté dans les principes de la religion. Un Meusien, fort patriote, écrit à son département : Il est mort avec fermeté. Il y eut quelques cris de : Vive la Nation ! Mais la population en masse gardait un morne silence — où Mme Jullien voulut voir la majesté romaine.

En réalité, une terrible émotion étreignait tous les cœurs ceux des votants plus que tous autres. Eux restaient accablés : Semaine fatiguante, écrit un Montagnard. De cette semaine fatiguante, pleine de destinées, les uns vont, avant deux ans, mourir, de Vergniaud à Robespierre ; les autres en garderont une sorte d'aliénation mentale — au sens propre du mot — qui fera dévier leur vie. Tout est changé pour eux ; ils ne vont plus voir la vie qu'à travers la guillotine de Louis XVI.

La Révolution aussi en change de caractère. Les chemins rompus, il va falloir bon gré mal gré marcher, écrit un Conventionnel. Oui, mais avec quelle sombre frénésie ! Certes cette frénésie, qui les contraindra à la Terreur, les mènera aussi à une prodigieuse victoire sur les tyrans de l'Europe : car, pour avoir condamné un roi, ils seront obligés de réduire tous les rois de la terre. Et tous — exposés à la mort s'ils échouent — serreront les coudes, constituant cette oligarchie du régicide, rassurée seulement le jour où un bien autre tyran, Bonaparte, sera venu fonder ce gouvernement fort qui promettra de les garer des représailles.

Mais, lorsque se levait, en 1789, l'aube d'une Révolution, celle-ci avait-elle pour but, à la vérité, la guerre éternelle, la terreur nécessaire, la formation d'une oligarchie et la dictature d'un homme ? Et c'est à tout cela que le vote du 17 janvier conduit la Révolution de la Liberté.

 

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SOURCES. Œuvres déjà citées da Aulard (Actes, I, Jacobins, V), Vaissière (Lettres d'aristocrates), Le Bas (dans Stéfane Pol), Dubreuilh, Mme Jullien, Choudieu, Barère, Fockedey, Couthon, Morris, Garat, Larévellière-Lépeaux. — Lettres de Minvielle et Ricord aux administrateurs des Bouches-du-Rhône (Rev. Retr., XVI et XVII). Lettre de Migevant au Directoire de la Meuse, 24 janvier 1793 (Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc, 1909). Harmand de la Meuse, Anecdotes, 1820.

OUVRAGES déjà cités de Guadet, Robinet, Biré, Pingaud, Cahen, Meynier, Madelin, Vaissière (de), La mort du Roi, 1910 — Autour du Procès de Louis XVI (Etudes religieuses, 1906). — Mellinet, Histoire de Nantes, V, 1825.

 

 

 



[1] L'Europe et la Révolution, III, 270.