Les Marseillais arrivent : la Marseillaise. Les Émigrés et l'Europe. Le Manifeste de Brunswick. La soirée du 9 août. Le coup d'Etat de Danton à l'Hôtel de Ville : la Commune insurrectionnelle. La mort de Mandat. La résistance disloquée. Le roi à l'Assemblée. Le conflit entre les émeutiers et les Suisses. Le massacre du 10 août. L'Assemblée suspend le roi et le livre à la Commune.Le 29 juillet, Robespierre réclama formellement, aux Jacobins, la suspension du roi et une Convention Nationale. Ce fut le mot d'ordre lancé aux sections de Paris. Celles-ci, qui, depuis quelques semaines, se laissaient envahir fort illégalement par le bas peuple, étaient — en majorité — conduites par les conspirateurs : celle du Théâtre-Français — Odéon actuel — était même le foyer de la conspiration : Danton, Desmoulins, Fabre d'Églantine, Chaumette, Marat, Manuel, Fournier l'Américain et Fréron y opéraient. C'était cependant celle de la Fontaine de Grenelle qui, le 20, avait proposé la déchéance aux autres sections. Celles-ci, en majorité, semblèrent accueillir la proposition : mais leurs assemblées n'étaient plus que des réunions publiques sans aucun caractère légal. Et, d'autre part, on n'était pas sûr que ces hurleurs s'allassent volontiers faire casser la tête. On attendait donc le renfort de Marseille. Il arriva le 29 juillet : Barbaroux avait demandé au vieux Mouraille, le maire jacobin de Marseille, 600 hommes qui sussent mourir. Depuis Marseille jusqu'à Paris, ils avaient prouvé qu'ils savaient chanter. Ils s'avançaient en effet, depuis des semaines, à travers la France, le teint enflammé et les yeux scintillants, hurlant l'Hymne à l'armée du Rhin, composée quelques semaines auparavant par le jeune officier Rouget de Lisle à Strasbourg, mais qui semblait si bien sortir de leurs entrailles qu'on le baptisa : la Marseillaise. Le Midi excelle ainsi à s'approprier les produits du Nord. Le 29 donc, ils étaient à Charenton où certains contemporains les eussent volontiers internés ; Barbaroux vola les retrouver : Autant de Scévolas ! Le 30, ils pénétrèrent à Paris et, dès le soir, tuèrent un officier de la garde nationale, blessèrent des soldats et jetèrent le trouble partout. Cette arrivée effrayante produisit une réaction. Lorsque, le 31, la section Mauconseil, qui prenait l'accent marseillais, déclara — tout simplement — le roi déchu, elle ne fut pas suivie. Le 4 août, elle allait l'être : c'est que, le 3 août au matin, Paris avait eu connaissance du fol manifeste de Brunswick. ***Depuis les honteuses débandades du printemps, l'Europe tenait, nous le savons, la France pour proie sûre. La promenade de Paris serait aisée. On se partageait d'avance les dépouilles. L'Europe devenait même cynique : Le rétablissement de l'ordre, écrivait le ministre autrichien Cobenzl, ne devra plus être considéré comme le but le plus puissant des opérations de nos armées. La prolongation du désordre et de la guerre civile devra même être regardée comme favorable à notre cause et le retour à la paix, moyennant le règlement d'une constitution française quelconque, sera un bien que la France devra acheter par le sacrifice des provinces que nous aurons conquises. Il fallait donc laisser la France se déchirer encore : c'était le prétexte au retard. En réalité, Prusse et Autriche ne pouvaient se décider à laisser à la Russie les mains libres et, enfin, les deux alliées elles-mêmes se tenaient en une terrible méfiance : on marchait vers la Lorraine en se regardant d'un œil torve. Telle situation va expliquer le miraculeux événement de Valmy. La France n'était menacée que par une coalition incomplète, incertaine, troublée par d'inguérissables méfiances et par ailleurs dangereusement infatuée. Les émigrés étaient plus infatués encore : ils jouaient les mouches du coche, le coche à leurs sens étant ensablé. Ils caressaient un plan chimérique : la France étant simplement sous la terreur de quelques bandits, il fallait opposer terreur à terreur. Un manifeste qui terrifierait le pays le jetterait tout entier aux pieds du roi. Il suffirait alors à la légion de Condé d'entrer, le drapeau blanc déployé, pour que tout fût promptement terminé. Il y avait jusque dans ces projets d'invasion en France un reste y patriotiques : si la France revenait à résipiscence, on couperait ainsi l'herbe sous le pied aux étrangers : on leur enlèverait tout prétexte à se payer sur la bête, puisque la bête se soumettrait. Ces fous investissaient Brunswick, généralissime indécis, timoré, qui cependant signa — en haussant les épaules — un manifeste préparé par un M. de Linon. On en connaît les termes : la France était traitée en rebelle qui devait, pour éviter une exécution militaire, se jeter repentante aux pieds de son roi, Paris menacé de subversion totale si l'on touchait à la famille royale, les membres de l'Assemblée et les administrateurs tenus pour responsables, et destinés aux pires châtiments les habitants qui oseraient se défendre. Pas de distinctions d'ailleurs entre les rebelles : quiconque, depuis le 5 mai 1789, s'est rebellé, est menacé. Morris résumait ironiquement le manifeste dans son esprit et ses conséquences : Soyez tous contre moi, car je suis contre vous tous, et faites bonne résistance, car vous n'avez plus d'espoir. Cette déplorable gasconnade, comme écrit Frénilly, Mathieu Dumas la juge en termes plus sévères, mais exacts : Véritable fratricide des princes français contre le roi et sa famille. ***Nous sommes sauvés ! s'écrie
le républicain Condorcet. C'était la chute du trône. Le 3, Pétion parut à
l'Assemblée, porteur, disait-il, d'une adresse des sections réclamant la
déchéance. Vergniaud, qu'effrayait la situation, fit ajourner la discussion —
c'était la pire solution — et quand, le 4, la section de Mauconseil eût de
nouveau proclamé qu'elle ne reconnaissait plus Louis
XVI comme roi des Français, l'Assemblée cassa bien la délibération considérant que la souveraineté appartient au peuple et
non à une section, mais la majorité entoura le décret de telles
flagorneries à l'adresse de la section, qu'on sent les députés transis de
peur. Un Anglais, John Moore — dont les notes sont bien intéressantes pour
ces journées d'août —, voit tourbillonner follement l'Assemblée : le 6 août,
dans la même séance, elle accordera la mention honorable à une adresse du
Conseil général de la Meuse qui demande la punition de ceux qui pétitionnent
pour la déchéance, puis les honneurs de la séance en faveur des
pétitionnaires qui la viennent réclamer. Moore voit les tribunes insulter les
députés, les railler et les menacer : Je pus me
convaincre que les gens des tribunes étaient plus disposés à jeter les
députés dehors que ceux-ci ne l'étaient à les expulser. Cependant
l'Assemblée livrait le roi : elle avait décidé d'envoyer à l'armée du Nord
les quelques bataillons suisses casernés dans la banlieue et seul recours du
roi en cas d'émeute. L'Assemblée Nationale me semble trop faible pour seconder le vœu du peuple et le peuple me semble trop fort pour se laisser dompter par elle, écrit, cependant, le 8, Mme Jullien. Il pleuvra du sang, ajoute-t-elle. Les Marseillais — à cet effet — avaient, le 4, extorqué 5.000 cartouches aux administrateurs municipaux : le commandant de la garde nationale, Galliot de Mandat étant loyaliste, Santerre promettait, d'autre part, de débaucher ses troupes. Les députés savaient bien qu'une émeute allait éclater : eux qui étaient si portés à se déclarer en permanence, ne voulurent pas être là à l'heure du grand péril. Le 9 août, à 7 heures du soir, ils se dispersèrent. Brissot pensait que, puisqu'aussi bien Louis XVI s'obstinait à ne pas reprendre les bons ministres, la nécessité exigeait qu'on laissât dormir la loi. ***La soirée du 9 était étouffante. Tout Paris était dehors. Le bruit courait : C'est pour ce soir ! Soudain, à 11 heures trois quarts, la grosse cloche des Cordeliers se mit à tinter lugubrement : celles de six églises lui répondirent en quelques minutes. C'était le tocsin. Paris sentit passer un souffle de fièvre. Ça y est : ça ira ! C'était Danton, substitut du procureur général, en personne, qui avait donné le signal aux sonneurs des Cordeliers. De 8 à 9 heures, les sections s'étaient réunies tumultueusement ; le but était d'élire des commissaires qui iraient intimider et au besoin remplacer à l'Hôtel de Ville le Conseil général de la Commune, composé de royalistes constitutionnels. Le coup d'État à l'Hôtel de Ville devait, de toute nécessité, précéder le coup de force contre les Tuileries : maitre de l'Hôtel de Ville, on casserait Mandat, on prendrait la garde nationale en main et, contre le Château sans défense, on jetterait alors seulement les faubourgs et Marseille. A 11 heures, les commissaires élus couraient déjà à l'Hôtel de Ville. Le Conseil général y était réuni. Il avait mandé Pétion et, celui-ci tardant, avait donné ordre à Mandat de faire battre la générale. Mandat avait aussitôt pris ses dispositions, puis s'était rendu au Château, où Pétion se décida, de fort mauvaise grâce, à le suivre. Cependant, Danton entrait à l'Hôtel de Ville où il trouva les 82 meneurs des sections qui y faisaient rage. Ces commissaires se disaient la nouvelle Commune : le Conseil général, continuant à siéger, les avait laissé s'installer dans une salle voisine et, par cette concession, s'était perdu. Avant une heure, la commune insurrectionnelle aura éliminé la commune légale. ***Au Château, on organisait la résistance. Mandat n'était pas très sûr de sa garde nationale, mais il lui donna ses ordres de façon si résolue qu'ils parurent la raffermir. D'autre part, il avait fait appeler aux Tuileries ce qui restait de Suisses casernés à Rueil et Courbevoie et la gendarmerie, ce qui portait le nombre des soldats réguliers à 1.800 environ. Il est vrai que le voisinage de ces séides du tyran faisaient un peu loucher les canonniers de garde nationale, bons quatre-vingt-neuvistes. Bon quatre-vingt-neuviste aussi, le procureur syndic du département Rœderer qui survint à 11 heures. Cet ex-Constituant va jouer un rôle fort dissolvant : hier Jacobin, aujourd'hui vaguement modéré, demain sénateur de l'Empire, après-demain pair de Louis-Philippe, ce Lorrain, courtois, capable, insinuant, ennemi des solutions extrêmes, était l'homme le plus propre à déconcerter les énergies. Enfin Pétion arriva avec son éternel sourire, mais quoique Louis XVI lui eût fait bon accueil, il prétexta des propos malsonnants des soldats à son endroit pour se laisser entraîner- au Manège où se réunissaient quelques députés et d'où il gagna, non l'Hôtel de Ville comme il l'eût dû, mais ses appartements de la mairie ; l'émeute allait l'y consigner, enchaîné avec des rubans, comme avait prévu Barbaroux. Le jour se levait à cette heure : Madame Élisabeth souleva une jalousie : Ma sœur, dit-elle à la reine, venez donc voir se lever l'aurore. Marie-Antoinette regarda sur le ciel rose d'une belle matinée d'été se lever le dernier soleil de la monarchie. Louis XVI déclara qu'il allait dormir : à cette heure-là, Danton s'emparait de l'Hôtel de Ville. Le tribun des Cordeliers y faisait rage ; l'absence de Pétion lui faisait un beau jeu. Le Conseil général se laissait à la longue impressionner : Mandat, lui disait-on, était un traître ; un poste placé par lui pour couper les insurgés des deux rives les uns des autres au Pont Neuf, exaspérait les meneurs en déconcertant tout mouvement ; on criait que le traître préparait le massacre du peuple de connivence avec la Cour. Le Conseil général, sans savoir trop ce qu'il voulait, fit signifier à Mandat, alors aux Tuileries, l'ordre de venir à l'Hôtel de Ville. Celui-ci hésita : les ministres le retenaient, Rœderer lui conseilla d'obéir : que pouvait-il craindre du Conseil général composé de braves gens loyalistes et honnêtes ? Il ignorait la formation de la Commune insurrectionnelle : il partit sans escorte ; à la Maison commune, il fut entouré, insulté, déclaré déchu de son commandement et finalement abattu au moment où il sortait. En révoquant Mandat, la nouvelle Commune avait franchi le Rubicon : elle fit savoir au Conseil général que, représentant seule la population, elle avait arrêté que le Conseil général serait suspendu. C'était d'une inconcevable audace ; le Conseil protesta : l'assemblée des commissaires n'avait aucun pouvoir légal. Lorsque le peuple se met en état d'insurrection, leur fut-il répondu, il retire tous les pouvoirs pour les reprendre. Il faut retenir cette parole et l'inscrire au fronton de cette histoire : une poignée de meneurs peut ainsi faire la loi à un peuple de 30 millions d'hommes. Mais que dire de la pusillanimité du Conseil général qui, tout en protestant, lève sa séance et cède la place ? La Commune s'y installe, maîtresse de Paris. ***Le plan s'exécutait avec une merveilleuse précision. Mandat abattu et avec lui la défense désorganisée, les bandes commençaient à cerner les Tuileries. L'une d'elles avait braqué des canons sur le Château, du Pont Royal et de la terrasse des Feuillants. On alla arracher Louis XVI à son sommeil. La garde nationale montrait des dispositions inquiétantes. Le roi descendit au Carrousel pour la passer en revue : il avait les yeux rouges, la frisure aplatie et tout un côté dépoudré. Il marchait lourdement : il ne trouva pas le mot qui électrise, répétant simplement devant chaque compagnie : J'aime la garde nationale ! Frénilly écrit : Je le vois encore passant devant notre front, muet, soucieux, se dandinant, semblant nous dire : Tout est perdu. Et des canonniers débandés se mirent à le suivre, en criant : A bas le Roi ! A bas le gros c.... Louis ne répondait pas : il rentra à 7 heures et demie aux Tuileries, essoufflé. Derrière lui, les querelles se déchaînaient dans les rangs. Les canonniers déclaraient hautement qu'ils ne tireraient pas sur leurs frères : sur ces entrefaites, les émeutiers, frappant aux portes et escaladant le mur, les provoquèrent à la défection. Rœderer, lui aussi, était descendu ; puis, remonté dans
les appartements, il prêcha la capitulation. Des députés — presque tous de la
Gauche — s'étaient réunis au Manège : pourquoi le roi n'irait-il pas se
réfugier parmi eux ? Vous croyez ? dit le
roi. — Oui, Sire. Votre Majesté n'a pas d'autre
parti à prendre. La reine ne voulait pas : Mais
nous avons des forces ! Quoi, nous
sommes seuls ! Personne ne peut agir ! — Oui,
Madame, seuls : l'action est inutile, la résistance impossible, tout dans
Paris marche. — Rœderer exagérait beaucoup. — Il reprit : Sire, le temps presse. Le roi se tourna vers la
reine. Marchons ! dit-il. Les souverains
marchaient à l'échafaud. Rœderer, prit la tête, suivi des ministres, des
gardes nationaux, puis du roi avec la famille. Le dauphin faisait voler des
feuilles qui, en cet été exceptionnellement chaud, jonchaient déjà les allées
: Elles tombent de bonne heure cette année,
remarqua Louis XVI : il ne devait plus revoir les jeunes feuilles aux arbres
des Tuileries. L'Assemblée très émue — fort peu nombreuse d'ailleurs — attendait le roi. Il monta à la gauche du président qui était Vergniaud. La destinée cruelle devait asseoir le Bordelais au fauteuil de la Convention le jour où serait proclamée la condamnation à mort du roi ; elle l'installait déjà au bureau de la Législative, à l'heure où la Législative accueillait le roi — pour le livrer. On ne s'en fût pas douté au ton qu'il prit : Sire, vous pouvez compter sur la fermeté de l'Assemblée Nationale ; ses membres ont juré de mourir en soutenant les droits du peuple et les autorités constituées. Phrase de tribun : l'homme du verbe va se faire le pourvoyeur du geôlier — en attendant le bourreau. On ne savait où piner ces princes encombrants : on les entassa, le roi, la reine, les enfants, Madame Élisabeth et quelques serviteurs, dans la loge du logographe — le sténographe de l'Assemblée — ils y étouffèrent une journée. Moore admira l'air constamment digne de Marie-Antoinette : mais l'Allemand Bollmann écrit que le roi lui parut abasourdi et sans force. Tout à l'heure, un petit officier Corse qui, de la terrasse des Tuileries, voyant Louis s'en aller sans résistance, avait dit simplement : Che coglione ! Pensivement, le capitaine Napoleone de Buonaparte regardait crouler le trône et la populace envahir les Tuileries. ***Elle les avait investies à 8 heures du matin. Les Suisses s'étant retirés à l'intérieur sur l'ordre du Roi, la garde nationale seule défendait les cours : les fameux Marseillais la sommaient de les livrer. On attendait pour l'assaut les gens du faubourg Saint-Antoine, le faubourg de gloire que devait amener Santerre. Mais celui-ci, atteint en route par l'avis de sa promotion au commandement général de la garde nationale, avait couru à l'Hôtel de Ville pour lancer de là ses ordres. Ils étaient inutiles : les canonniers des Tuileries avaient livré les portes et les gendarmes eux-mêmes avaient fait défection. Bientôt les canons étaient braqués sur le Château lui-même. Les Suisses étaient fort excités : allaient-ils laisser cette canaille pénétrer sans résistance et peut-être les égorger ? Rendez-vous à la Nation ! leur criait Westermann, en allemand. Nous nous croirions déshonorés, répondirent ces braves gens. Deux Suisses qui, un instant, s'étaient détachés pour parlementer, essuyèrent le feu des insurgés ; aussitôt les fusils de leurs camarades partirent : ils tiraient presque à bout portant, les insurgés étant sur les marches. Le commandant Marseillais tomba : une centaine de blessés et de morts jonchaient le pavé de la cour. Les assaillants affolés fuyaient de toute part — ce qui prouve à quel point Louis XVI s'était laissé trompé par Rœderer. Alors les Suisses, enjambant les cadavres, s'emparèrent des pièces de canon, reprirent a porte royale et, traversant le Carrousel, allèrent même Hitler les canons qui s'y trouvaient. Les fuyards se heurtèrent à la colonne arrivant — enfin ! — du faubourg Saint-Antoine. On reprit courage et l'assaut recommença : les Suisses le pouvaient difficilement repousser : ils n'avaient presque plus de munitions ; ils furent rejetés derechef sur le Château en laissant sur le pavé nombre d'entre eux. La fusillade avait été entendue de la salle où se traînait [a délibération de l'Assemblée. On vint annoncer le massacre du peuple, mais aussi que le Château allait être forcé. L'Assemblée eut un geste sublime : par décret, elle déclara sous la sauvegarde du peuple de Paris la sécurité des personnes et des propriétés. Puis elle députa vingt de ses membres aux Tuileries et douze autres à l'Hôtel de Ville, où ils conféreraient avec tous ceux entre les mains desquels pourra résider dans ce moment-ci, soit légalement, soit illégalement, une autorité quelconque et la confiance au moins apparente du peuple. Dans cette tragédie, c'était presque de l'humour. Sur les instances des députés, le roi signa un billet ordonnant aux Suisses de cesser le feu et de se rendre à l'Assemblée. Ils obéirent. Un instant après, ils étaient traqués, cernés, massacrés. Ils le furent partout, dans le Château et dans le jardin ; d'autres, acheminés vers l'Hôtel de Ville, y furent jugés sommairement par un des membres de la Commune et abattus, puis dépecés. Dans les cours du Château, on mit le feu aux monceaux de cadavres. Pareille fureur s'expliquait mal : 400 personnes à peine avaient été tuées du côté des assaillants — 316, dit M. Sagnac — dont 100 Marseillais. Ces Suisses cependant ne furent pas les seules victimes. Tandis que de braves gens empêchaient les bandits de saccager les Tuileries, laissant simplement briser les glaces où Antoinette avait trop longtemps étudié l'air hypocrite qu'elle montrait en public, on se livrait ailleurs à des jeux moins innocents : Therwagne de Marcourt faisait massacrer le journaliste Suleau qui l'avait naguères persiflée ; mais on égorgeait dans le palais jusqu'à des cuisiniers : des gentilshommes, des gardes du corps, le sous-gouverneur du dauphin, d'Hallonville tombèrent, et, entre bien d'autres, l'infortuné Clermont-Tonnerre, un de ces nobles généreux qui avaient, aux États généraux, défendu l'un des premiers, la cause de la démocratie. Il n'y a que le premier sang qui coûte : la bête humaine se déchaînait. Le soir, Dumas voyait avec horreur de très jeunes gens jouant avec des têtes, et Frénilly entendait un honnête artisan lui dire : Ah ! Monsieur, la Providence m'a bien servi, j'ai tué trois Suisses. Le 10 août fut vraiment la première journée de la Terreur : M. Sagnac estime à 800 le nombre des gens massacrés. ***Pendant qu'on massacrait, Louis XVI passait à l'Assemblée des heures douloureuses. Elle était, je l'ai dit, fort incomplète ; les députés de la Droite et du Centre, fort alarmés, n'avaient pas osé venir ; certains représentants n'étaient pas prévenus — Condorcet retiré à Auteuil, n'arriva que le soir — : on comptait à peine 290 députés sur 750 dans la salle, presque tous appartenant à la Gauche, aux ordres des tribunes, écrit-on le lendemain, et d'ailleurs terrorisés. L'Assemblée avait, nous le savons, député à la Commune insurrectionnelle : mais ses députés s'étaient croisés avec ceux de l'Hôtel de Ville. Les nouveaux magistrats du peuple — ainsi s'intitulaient ces intrus — parurent devant les Législateurs tremblants ; ils leur voulaient signifier leur arrêt de mort, car ils réclamèrent la convocation d'une Convention. Guadet avait remplacé, vers 10 heures, Vergniaud au fauteuil : il accueillit ces usurpateurs avec des éloges, pensant ainsi les évincer. L'Assemblée, dit-il, applaudit à votre zèle... et il les pria de retourner à leur poste. Mais les orateurs populaires envahissaient la tribune : Apprenez, s'écriait l'un deux, que le feu est aux Tuileries et que nous ne l'arrêterons qu'après que la vengeance du peuple sera satisfaite. La vengeance du peuple, c'était la déchéance du roi. Tout ce que put faire l'Assemblée, ce fut de repousser la déchéance, mais en votant la suspension jusqu'à ce que la Convention Nationale eût, prononcé. Le débat avait rempli la journée : la famille royale assista, dans une atmosphère insoutenable, à la chute de la monarchie. A 10 heures du soir, elle fut menée aux Feuillants où elle passa une nuit médiocre sur des lits improvisés, et, le lendemain matin, elle fut ramenée à la loge du logographe. C'était le vestibule du Temple. L'Assemblée ayant en effet décidé que Louis serait interné au Luxembourg, puis au ministère de la justice, place Vendôme — une section était venue démontrer que du Luxembourg la famille se pourrait enfuir par les Catacombes —, la Commune vint protester : elle seule devait disposer du roi ; l'Assemblée, qu'invectivaient violemment les tribunes, céda encore : elle livra aux insurgés de l'Hôtel de Ville celui qui était venu chercher asile dans son sein ; le 12 août, Louis XVI et sa famille étaient confiés à la Commune qui les internait au Temple. Et tandis que l'Assemblée confiait le roi à Chaumette, elle allait confier le pouvoir à Danton. Louis XVI n'était pas le seul vaincu de la journée : les Girondins, débordés et réduits à merci, en livrant ainsi tout, se livraient eux-mêmes. *****SOURCES. Œuvres déjà citées de Sergent Marceau, Malouet, Carnot. Le Coz, Barère, Dumas, Barbaroux, John Moore. Mme Jullien, Azéma, Thiébault, Rœderer, Fournier l'Américain, Choudieu, Mme de Tourzel, Pontécoulant, Vaissière, Aulard (Jacobins, IV) — Malliaud (député), Lettres (Rev. Rev., I). Roux, Lettre publiée par Maricourt (Rev. hebdomadaire, 1908). Marlinécourt (député), Lettre (Journal des Débats, 23 mars 1905). Chaumette, Papiers (éd. Braesch), 1906. Dejoly, Relation du 10 août (dans Montjoye, Vie de Marie-Antoinette, 1897). Gibelin, Documents sur le 10 août par Amiel, 1866. Princesse de Tarente, Souvenirs, 1901. Peltier, Dernier tableau de Paris, 1794. OUVRAGES déjà cités de Sagnac. Claretie (Desmoulins), Mortimer-Ternaux, Robinet, Hamel — Talmeyr, La vérité sur le 10 août (Gaulois, 11 août 1908). |