L'Assemblée veut réviser la Constitution et ne le peut. Barnave trop tard éclairé. L'Assemblée s'abandonne : le vote de non-réégibilité. Avignon réuni. Entrevue de Pillnitz : les princes allemands croient faire un geste dilatoire : les émigrés en font un geste menaçant. Le manifeste de Coblentz. Le roi accepte et promulgue la Constitution. La fête de la Constitution. La Constituante a cru clore la Révolution et la laisse ouverte.Des 83 coins de la France, écrit le 11 août la jacobine citoyenne Jullien, on crie : Une nouvelle législature ! La France était lasse de l'Assemblée : elle ne pouvait l'être autant de l'Assemblée que celle-ci l'était d'elle-même. Tous aspiraient à s'en aller, les uns réellement à bout de forces physiques, les autres au dernier terme du désabusement. Le changement qui s'est fait dans la manière des chefs démocrates, écrit un ambassadeur le 4 septembre, est prodigieux : ils paraissent maintenant convaincus de l'impossibilité de faire aller la Constitution. De fait, ils essayaient de la redresser en la révisant. Mirabeau avait in extremis arraché cette résolution à l'Assemblée. Et maintenant Barnave, qui l'avait combattue, s'en armait. J'ai dit le sentiment qu'il avait rapporté du terrible voyage de Champagne. Ce sentiment jouait son rôle ; en fait, le jeune député achevait une évolution qui était fatale : Mirabeau l'avait prédite. Barnave, un jour, dit à Malouet : J'ai beaucoup vieilli depuis quelques mois. Comme Mounier en 1789, comme Mirabeau en 1790, Barnave, en 1791, s'aperçoit qu'il n'a procédé qu'à des destructions et aspire à restaurer. Nous verrons Vergniaud et Brissot en 1792, Danton et Desmoulins en 1794 vieillir ainsi en quelques mois — toujours trop tard. Ce Barnave était un cœur immodéré dans une enveloppe de glace : il avait, dit un contemporain, toutes les grâces de la jeunesse sans en avoir le feu ou plutôt sans en avoir la flamme, car il brûlait en dedans. Maintenant il brûlait de réparer. La reine comptait sur lui ; les clubs criaient sa trahison : Barnave allait à droite, se Maurysisait. Il pensait entraîner ses amis : Lameth, Le Chapelier, Du Port — l'ancien triumvirat jacobin qui venait de déserter le célèbre club. De fait, ils voulaient bien réagir, mais ils avaient peur de ne pas rester les maîtres de la réaction déchaînée. Comment, disaient Le Chapelier à Malouet, rendre à l'autorité royale l'énergie dont elle a besoin, si nous avons à craindre qu'on ne la tourne contre nous ? Ils avaient peur d'être dévorés par les clubs au profit de leurs ennemis des Tuileries. A l'Assemblée même, la Droite repoussa leurs avances. Wimpfen, qui avait porté aux Noirs — la Droite — les propositions de la nouvelle gauche, dit en partant : Vous voulez tout perdre et malheureusement vous perdez tout. On raillait, au côté droit, ces gens qui, disait Rivarol, après avoir été incendiaires viennent s'offrir pour être pompiers. Il eût fallu, au contraire, accepter l'offre de ces incendiaires : pas de meilleurs pompiers, parce qu'ils savent où le feu a été mis. Le résultat de ce désaccord fut que la Gauche n'osa réviser sérieusement. Il faut la haine de Mme Jullien contre ce nouveau parti contre-révolutionnaire, pour affirmer, le 25 août, que tous les fleurons de la couronne ont été ramassés et rattachés avec art — par ces réviseurs, écrit violemment Barbaroux, qui déshonorent la Constituante. En fait, lorsque Malouet proposa de fortifier l'autorité, un Biauzat, qui siège à côté de Le Chapelier, crie : Ceci n'est rien moins qu'une contre-révolution. Et Le Chapelier, qui a poussé Malouet à la tribune, prend si peur, que c'est lui qui propose de lui retirer la parole. On se contenta de réviser la loi électorale sans qu'on aperçoive clairement en quoi telle révision pouvait empêcher les violents de se faire élire. Par contre, l'Assemblée, pour fermer la bouche aux républicains qui menaçaient, décida que la Constitution ne pourrait être révisée sous aucun prétexte avant dix ans par une Convention — en 1801 par conséquent. Rétrospectivement cette décision fait sourire. Où était en 1801, la Constitution de 1791 ? Trois Constitutions l'avaient déjà remplacée tour à tour : et parmi les votants de 1791 qui, plus heureux que Barnave et Le Chapelier, avaient échappé à l'échafaud, beaucoup étaient alors les fonctionnaires du pouvoir consulaire. ***Par une température torride, l'Assemblée fatiguée expédiait sa besogne. Elle était impopulaire et en avait conscience. La moisson avait été mauvaise : récolte d'un quart moindre en gerbes que celle de 1790, écrit un campagnard en juillet 1791. Les ouvriers, renvoyés des ateliers nationaux, envoyaient au diable les députés. On accablait de lazzi ces gens qui gâchaient leur propre ouvrage. Eux-mêmes se raillaient. Ma foi, disait l'un d'eux à un collègue, cela est aussi bête que le décret que nous avons rendu hier. — Pourquoi dater, Monsieur ? répondait l'autre. Le public pensait de même. Mille témoignages nous sont fournis de l'écrasante défaveur. qui accablait l'Assemblée défaillante. C'est probablement la conscience de cette impopularité — à certains égards injuste — qui poussa la Constituante à la suprême sottise. Beaucoup crurent faire un beau geste en décidant qu'aucun Constituant ne pourrait être réélu député à la Législative. Suprême sottise, ai-je dit : par elle, ces hommes consommaient la perte de leur œuvre même. De ces idéologues le contact des affaires commençait à faire — les velléités de révision en font foi — des parlementaires plus avertis. Rentrés dans la Législative, ils eussent peut-être apporté quelque tempérament aux lois votées par eux et appliqué, en tous cas, la Constitution dans l'esprit où, finalement, ils l'avaient votée. La Droite une fois de plus — ne comprit pas : elle poussa à la mesure, dans le désir — puéril — de rejeter au néant une Assemblée qui l'avait mortifiée. Nous avons l'aveu de Malouet : Il ne nous restait plus qu'une grande faute à faire et nous n'y manquâmes point. Mais Malouet avoue une tête épuisée. De Rabaut à Biauzat, nous trouvons le même aveu dans vingt journaux et lettres : le geste fut surtout de lassitude et d'abdication. On écartait, d'autre part, les discussions gênantes. La Constitution Civile faisait partout fiasco ; on ajourna tout débat à ce sujet. Les émigrés faisaient rage — nous le verrons — à Coblentz ; on renonça à prendre des mesures : impossible de fixer les opinions, écrit un député. L'Empereur et le roi de Prusse se rencontraient à Pillnitz, la Constituante, hier si chatouilleuse, ignora Pillnitz. C'était la politique de l'autruche. L'armée achevait de se mutiner : l'Assemblée ne prit que des mesures ridicules, écrit, le 29 août, un des spectateurs des tribunes. La question d'Avignon s'était — in extremis et pour la quatrième fois — posée, l'Assemblée la résolut, au contraire, pour s'en débarrasser, d'une façon radicale. En vain l'agent secret de Rome, Salamon, avait couru chez Barnave — Moi chez Barnave ! », écrit-il —, le décret qui annexait le Comtat fut voté le 12 septembre. Maury formula une protestation dont le style médiocre prouve que le rude champion, lui aussi, défaillait. ***Ce dernier vote était cependant grave. Il donnait à l'Europe un prétexte. L'Empereur semblait, à la vérité, peu disposé à le saisir. Certes il se rapprochait de Berlin ; la Prusse et l'Autriche semblaient résolues à marcher enfin d'accord. De Vienne, Kaunitz avait, en outre, invité les gouvernements à s'entendre pour une commune action. Mais, au fond, Léopold cherchait simplement à embarrasser les cabinets. La plupart, pour diverses raisons, firent, ainsi qu'il s'y attendait, des réponses dilatoires. Catherine, tout en louant les Allemands d'agir, prétexta de la saison trop avancée pour garder ses troupes en vue de l'exécution qu'elle projetait à Varsovie. La Prusse elle-même, toujours réaliste, entendait qu'avant de prêter ses troupes à l'Autriche, celle-ci, véhémentement soupçonnée de se vouloir arrondir sur les marches de France, offrît de solides garanties : on lui devait promettre d'avance et même donner incontinent des compensations. Tout cela sauva la France — pour six mois encore. Les émigrés cependant étaient déçus et furieux. Le comte de Provence, sorti de France le 21 juin, tenait à Bruxelles une cour ; car il s'était proclamé régent. Le roi de Suède, Gustave III, venu à Aix-la-Chapelle, avait exalté l'esprit de ces pauvres gens. On forgeait des plans d'invasion sans se préoccuper des dispositions réelles des puissances : et après l'invasion, on pendait hypothétiquement tout le monde, de La Fayette à Barnave. Bouillé, brave soldat qu'égarait la colère, s'offrait à conduire les armées jusqu'à Paris : il l'avait d'ailleurs déclaré dans une lettre folle à l'Assemblée qui, si celle-ci n'avait pas été en réaction, eût suffi à faire crouler le trône. Le comte d'Artois — en dépit des supplications de Louis XVI — s'agitait et brouillonnait. Il obtint de la lassitude de l'Empereur une autorisation — dont on fit une invitation — à se rendre au château de Pillnitz, où s'allaient rencontrer les souverains allemands. Ceux-ci comptaient — loin d'y décider la guerre — chercher un moyen de l'ajourner. Et lorsque, le 25 août, ils se furent abouchés, ils tombèrent d'accord sur la nécessité de reculer l'exécution. Là-dessus, le 26, tout l'état-major émigré arriva : Bouillé, Calonne, Polignac, Condé, Artois. Celui-ci exigeait une déclaration en dix articles, l'un d'eux prévoyant pour Paris l'extermination et pour les fauteurs de la Révolution les derniers supplices. Les souverains — précisément parce qu'ils venaient d'ajourner toute décision — ne voulurent point laisser partir les mains vides ces insupportables émigrés. Ils rédigèrent une déclaration, à dessein très équivoque, où l'Empereur subordonnait au concours de l'Europe entière toute intervention. Alors et en ce cas..., disait la déclaration, et Léopold, une lettre en fait foi, affirmait que cette formule dilatoire rendait le geste inoffensif. Mais alors les émigrés transformèrent ce demi-échec en
succès éclatant. Tandis que Léopold, d'accord avec Frédéric-Guillaume,
conseillait à Louis XVI d'accepter loyalement la Constitution, l'émigration
lançait vers Paris le document de Pillnitz avec le commentaire le plus
révoltant. Ce commentaire fut le manifeste de Coblentz. Rivarol, fort
royaliste cependant, écrivait à Louis XVI que telle manifestation suffisait à
rallier tous les cœurs et tous les esprits au corps
législatif. Le document vouait Louis XVI au sort qui effectivement
l'attendait : les frères du roi, prévenus par tous, s'obstinaient à le perdre
: Caïn s'écriait la reine, à la vue des
signatures de Provence et d'Artois. La tribune du Manège, cependant, resta muette. L'Assemblée s'en allait. L'arme fut mise de côté pour servir en temps utile. Du reste, on vit en ces incidents une chose surtout : c'est qu'en dernière analyse, on n'était pas encore attaqué, mais simplement menacé. Si tous ces gens-là passent encore un mois sans nous attaquer, avait écrit Mme Jullien, en août, point de guerre avant le printemps. ***L'Assemblée se sépara le 25 septembre, la Constitution une fois acceptée par Louis XVI et dûment promulguée. Thouret l'avait portée au roi le 4 septembre. Le 13, le roi avait annoncé, par une lettre très digne, qu'il l'acceptait ; il ajoutait : Je manquerais cependant à la vérité si je disais que j'ai aperçu dans les moyens d'exécution et d'administration toute l'énergie qui serait nécessaire pour imprimer le mouvement et conserver l'unité dans toutes les parties d'un si vaste empire ; mais puisque les opinions sont aujourd'hui divisées sur ces objets, je consens que l'expérience seule en demeure juge. Puis il consentit à venir à l'Assemblée lire une déclaration d'acceptation le 14. Si l'Assemblée fit au roi un accueil, par certains détails, mortifiant, le peuple ne le remarqua pas. Louis avait accepté la Constitution : on allait être tranquille ; c'était un brave homme. Marie-Antoinette elle-même qui avait gentiment souri aux députés, connut un instant de popularité, ce qui, lui écrivait dès le 16 son ami le comte de La Marck, est un exemple du pouvoir que la reine pourrait exercer, si elle savait prendre sur elle et cajoler ce peuple mobile et frivole. Tout était à la joie : l'Assemblée avait voté l'amnistie, amnistie pour les émigrés qu'on engageait à rentrer, amnistie pour les fauteurs de troubles frappés dans les derniers mois. Le 17 septembre, Paris fut en fête ; amis et ennemis de la Révolution — de Morris à Biauzat — peignent en traits radieux cette fête sans lendemain. Au milieu des illuminations, le roi circula dans les Tuileries, en sortit, alla jusqu'à Chaillot, constamment applaudi, écrit, le 20, un député de gauche : on chantait des couplets en son honneur ; l'Opéra-Comique reprit Richard Cœur de Lion ; le chanteur Clairval crut devoir chanter : O Louis, ô mon roi ! Tes amis t'environnent, Notre amour t'environne. Et le soir du 18, tous les théâtres firent applaudir des pièces royalistes : Gaston et Bayard, le Siège de Calais, Henri IV à Paris, la Partie de Chasse d'Henri IV. Pas l'ombre d'un Brutus ni d'un Scévola. Dans les rues on chantait : Not' bon Roi A tout fait Et not' bonne Reine Qu'aile eut de la peine ! Enfin les v'la Hors d'embarras. Ce fut le couplet qui, le 25, courut Paris. Ce jour-là une nouvelle fête mit les lampions aux fenêtres. Paris, pavoisé de tricolore, célébrait la fin de la Révolution. A 5 heures, écrit un témoin, au milieu des Champs-Élysées, on a élevé un ballon. Il était surmonté d'un aigle qui, les ailes éployées, semblait emporter dans son vol rapide le globe sphérique, emblème de notre Constitution, et l'élever jusqu'aux nues... Au-dessous une petite nacelle dans laquelle deux intrépides ont été visiter les places éthérées où se forment les orages. Le symbole était, de fait, complet : la Constitution était dans les nues ; arrivé dans les places éthérées où se forment les orages, le pauvre globe devait s'y déchirer. L'aigle seul continuera à planer, attendant son heure, au-dessus de la France ravagée par l'orage. ***Ce jour était celui de la clôture de la législature. Louis XVI, derechef, se rendit à l'Assemblée. Et cette fois il y fut traité en roi. On l'acclama longuement. Et, le roi parti, le président déclara les séances terminées. Applaudissements de toute la France, écrit peu gracieusement un membre impatient de la nouvelle Législative. Les députés partaient, nous le savons, excédés. Enfin nous voilà libre ! Nous avons dételé ! écrit Lindet. Ils se donnaient cependant quelques témoignages de satisfaction — Il faut lire les lettres de Roger, de Rabaut, de Biauzat — : ils tenaient la Révolution pour close. Le roi l'avait écrit : Le terme de la Révolution est arrivé ; que la nation reprenne son heureux caractère. En lisant trente lettres écrites par les uns et les autres, du Pr août au 1er octobre, on voit que c'était l'opinion générale. De bons châtelains qui, depuis juillet 1789, se sont vu constamment menacés, respirent ; Fougeret se décide à faire battre ses matelas, et la princesse de Lamballe, émigrée, rentre en France, toute joyeuse — un an jour pour jour avant l'heure où sa tête sera, au bout d'une pique, portée à Marie-Antoinette prisonnière. N'importe ! dans les lettres d'un Roger, d'un Rabaut, si optimistes, il y a un doute cruel : Si nos successeurs maintiennent la Constitution, ils seront nos sauveurs ! S'ils veulent en faire une autre, nous sommes perdus. Les successeurs, c'étaient ces députés fraîchement élus, tous trop jeunes, tous trop nouveau venus pour ne pas désirer faire quelque chose de nouveau. De fait, l'ouvrier désertant son ouvrage, la Constitution était livrée à des hommes, qui allaient secouer fortement l'édifice et s'écraser sous ses ruines, écrira un de ces hommes nouveaux lui-même. D'autres viendront ensuite, les Conventionnels, qui achèveront l'œuvre de destruction. Les Constituants s'en indigneront : le Conventionnel aura raison qui, à l'un d'eux, démontrera que loin de détruire l'œuvre da la Constituante, la Convention l'a consommée : Vous nous aviez confié un cadavre ; nous l'avons enterré. Dans les ruines du vieil édifice monarchique, l'Assemblée — bien intentionnée, généreuse, patriote, amie de la liberté, dévouée à la monarchie — avait élevé un édifice dont j'ai dit qu'il était si branlant que, près à s'écrouler, dès le premier jour, il devait fatalement écraser de ses ruines la liberté et la monarchie. Or l'orage menaçait : Du bout de l'horizon avance avec furie le plus terrible des enfants, écrit-on le 31 août 1791. Point n'est besoin d'un bien grand ouragan pour balayer le monument politique élevé entre 1789 et 1791. Certes de grands principes avaient été posés qui serviront parfois de bases à l'œuvre de réédification menée à bien — entre 1799 et 1801 — par le consul Bonaparte et son conseil d'État. Mais sur ces bases qui, au surplus, n'étaient pas toutes solides, l'Assemblée n'avait su bâtir que des murs fragiles derrière une somptueuse façade qui, à peine crépite, s'effritait. *****SOURCES. Œuvres déjà citées de Roger, Morris, Rabaut, Biauzat, Barnave, Roland (Lettres. Mémoires), Lameth, Malouet, Vaissière, Salamon (Lettres, Mémoires), Esterhazy, Thomas Lindet, Mallet du Pan, Mirabeau, Mme Jullien, Guilhermy, Lacretelle, baron de Staël. — Hua, Souvenirs, 1871. Brissot, Mémoires, 1830. Barbaroux, Mémoires (éd. Dauban), 1886. OUVRAGES déjà cités de Charavay, Esmein, Meynier, Tiersot. — Du Bled, Les Causeurs de la Révolution, 1885. |