Le roi suspendu. Les clubs veulent la déchéance : la Province ne la veuf pas, ni l'Assemblée. Rôle de Barnave. Rupture aux Jacobins : le schisme des Feuillants Le 17 juillet au Champ-de-Mars. La manifestation : la loi martiale ; La Fayette et Bailly font tirer. L'Assemblée est trop lasse pour réagir.Les mesures sages qu'a prises l'Assemblée ont fait croire même au petit peuple qu'on pouvait se passer de roi, et de toutes les places j'ai entendu crier : Nous n'avons plus besoin de roi. C'est un correspondant du prince de Salm qui, le 24 juin, écrit en ces termes. De fait, une vague de républicanisme sembla près d'emporter incontinent la Constitution et le trône des Bourbons. Il n'était pas besoin de renverser le roi : Il s'est détrôné, écrit dès le 22 juin un évêque constitutionnel, Suzor. Encore ce prêtre croyait-il à un enlèvement. Enlevé ou en fuite, Louis XVI était tombé au dernier degré du mépris. Mannequin royal à mettre sous séquestre, écrit Mme Roland : Louis le Faux, gros cochon, crie-t-on dans les faubourgs. Ce qui était plus grave, c'est que ce mépris avilissant perçait dans les discours, même de ceux qui allaient, à l'Assemblée, défendre la monarchie ; il n'est pas jusqu'au journal de Gouverneur Morris, si hostile à la Révolution, où l'on ne retrouve un échos de propos infamants : Nature basse et cruelle, écrit-il..., brutal et hargneux ; et, pour conclure : Il n'est pas étonnant qu'un pareil animal soit détrôné. Et c'est un ami de la Cour qui écrit. Le roi en fuite est odieux ; le roi enlevé est méprisable ; le roi pris, en tous cas, prête à rire ; on tient pour avili l'homme qui est rentré à Paris portant sur la face la trace des crachats de la province. La Nation, par contre, s'était sentie grandie et la Révolution plus assurée, tant avait été général le coup électrique, — comme l'écrit un député —, qui avait mis tout le monde debout, de l'Hôtel de Ville de Paris aux petites communes d'Argonne. Par ailleurs, l'ordre n'avait pas été troublé. On en concluait : Il peut y avoir une nation sans roi, mais non pas un roi sans nation. ***La Constituante, un instant, parut le penser. Louis XVI restait provisoirement suspendu ; l'Assemblée gardait le sceau de l'État. La Droite elle-même était gênée dans ses protestations. Une partie de la Gauche cependant ne sembla pas disposée à pousser plus loin ses avantages. Par une fiction dont personne n'était dupe, il fut convenu que le roi avait été enlevé. Bouillé s'était, aussi bien, par une lettre publique, déclaré l'auteur de l'enlèvement et s'était émigré. L'Assemblée le chargea d'anathèmes. Pas une proposition ne se formula, ayant pour objet la déchéance de Louis. En revanche, telle proposition courait les clubs. Dès le 21, les Cordeliers la mirent à l'ordre du jour : ils sollicitèrent les Jacobins d'en délibérer. Brissot et Condorcet commencèrent une campagne contre l'automate royal. Pétion était assez tenté de les suivre, encore qu'ébranlé par l'illusion flatteuse et un peu grotesque qu'il avait, dans la voiture de retour, inspiré un sentiment tendre à la sœur du roi, Madame Elisabeth. Mais Robespierre, circonspect, à son ordinaire, se prononçait contre toute tentative de seconde révolution. Nous aurons l'occasion de montrer combien ce rhéteur redouta toujours l'action directe. Cet avocat avait toujours peur d'être dépassé par les hommes à poigne, les oseurs, comme ce Danton qui, à cette heure, menait les Cordeliers. Marat eût écarté le roi, mais pour nommer un tribun militaire. — L'Ami du Peuple sera toujours un césarien. — Il parut bientôt à une Madame Roland que le moment heureux pour la liberté s'échappait sans qu'on en profitât. La Province d'ailleurs, qui venait de se montrer patriote, restait royaliste. Dans un club d'Angers, il est vrai, un obscur tribun, Cordier, attaqua l'inviolabilité du Roi aussi absurde que l'infaillibilité du pape, et prévoyant — la chose est singulière — une guerre de géants, demanda qu'on se choisît un Empereur. Un club de Montpellier inspiré par Cambon adressa aux autres sociétés un appel à l'Assemblée. Faites de la France une république ! Mais elles ne suivirent pas. Cependant, à Paris, les républicains ne désespéraient pas de déterminer un mouvement. Une pluie de pamphlets antiroyalistes tombait sur la ville. Le Manège néanmoins résistait. D'ailleurs Gorsas, journaliste jacobin, sans connaître les idées de l'humble Cordier, d'Angers, écrivait : Mieux vaut un roi soliveau qu'une grue républicaine. On craignait déjà le tribun militaire de Marat. Condorcet ayant prôné la République, un autre pontife se prononça contre : Sieyès laissa tomber un oracle : il était favorable au régime monarchique qui finit en pointe, tandis que le gouvernement républicain finit en plate-forme ; le triangle monarchique est bien plus propre, prononça-t-il, que la plate-forme républicaine à cette division des pouvoirs qui est le véritable boulevard de la liberté. Devant un oracle aussi décisif, toute hésitation devait cesser. Barnave emporta le reste. Il était maintenant tout dévoué à la famille royale. Mirabeau avait deviné dans cette nature extrême, emportée, généreuse et vaniteuse, un tribun ralliable. L'infortune royale, vue de près entre Meaux et Paris, l'avait ému de pitié : il se sentait désormais un loyalisme attendri. Sans se vanter de tels sentiments, il combattit l'idée républicaine avec énergie. Il enleva les décrets du 15 et 16 juillet qui, innocentant le roi, le rétablissaient dans ses droits en principe, car il resterait suspendu jusqu'à la promulgation de la Constitution. Pour satisfaire les républicains, on parla d'imposer au marmot royal un gouverneur qui serait Condorcet. Les Jacobins semblaient, par contre, déterminés en majorité à marcher. La pétition y avait été portée. Un schisme s'était alors déclaré : les Lameth, Sieyès, Barnave avaient, en protestant bruyamment, quitté le club pour fonder, au couvent des Feuillants, une société rivale, secouant la poussière de leurs semelles sur ce mauvais lieu, comme écrit Rabaut, où l'on parlait d'établir je ne sais quelle république. Les Jacobins, délestés de leurs modérés, avaient décidé de soutenir la pétition. Elle serait solennellement portée sur l'autel de la patrie, au Champ-de-Mars, le surlendemain 17. La Fayette était résolu, lui, à s'opposer par la force à la manifestation. Les nouveaux feuillants n'étaient pas gens à le retenir. L'infernal département de Paris, comme dit Fournier l'Américain, était pour eux et prêt à s'entendre avec les deux conjurés Bailly et La Fayette pour une machination nationicide. Plus simplement, la garde nationale était appelée sous les armes : Bailly se prépara à aller jusqu'à la proclamation de la loi martiale. Le 17 au matin, des groupes se rendirent à l'autel de la patrie sous lequel ils trouvèrent deux individus dont on dit tout de suite qu'ils le voulaient miner. Horreur ! La foule avait ses nerfs : on frappa ces misérables, on les pendit ! La nouvelle se répand dans Paris, dénaturée par les deux partis. Ces deux vagabonds deviennent, pour les uns des ennemis de la patrie qui voulaient faire sauter les pétitionnaires, pour les autres de paisibles citoyens odieusement massacrés. Un fait était certain : ces pauvres diables avaient été mis à mort révolutionnairement. La foule grossissant, La Fayette marcha sur le Champ-de-Mars avec quelques bataillons. La foule les nargua : la populace était, depuis deux ans, habituée à voir les fusils s'abaisser devant elle. Mais la bourgeoisie était, avec raison, alarmée ; les gardes nationaux en avaient assez, fort mécontents d'être sous les armes par une chaude journée de dimanche ; La Fayette avait entraîné Bailly qui, aussi bien, devait être là. Celui-ci fit déployer le drapeau rouge, enseigne de la loi martiale. Une volée de pierres accueillit général, maire, garde et drapeau. La garde, cependant, fit en l'air sa première décharge : un énergumène répondit à ce geste relativement pacifique en tirant sur La Fayette ; les soldats énervés, à l'instant, firent une décharge qui, dans la foule, creusa de gros trous. Ce fut alors une débandade éperdue : la cavalerie chargeait ; la foule, entraînée à l'audace par l'impunité, puis à l'instant désillusionnée cruellement, se dispersait en fort mauvais arroi : les curieux se sauvaient mourant de peur. Si, le 13 juillet 1789, Lambesc avait fait ce que fit, ce 17 juillet 1791, ce démocrate de La Fayette, jamais la Bastille n'eût été prise. Mme Roland toutefois exagère beaucoup en parlant de massacre. Cette petite tuerie suffisait cependant à creuser un abîme entre La Fayette, la bourgeoisie, l'Assemblée, la Municipalité d'une part, et de l'autre le peuple des émeutes, les partis avancés et les clubs d'extrême-gauche. Quelques jours, la Gauche elle-même — croyons-en les lettres d'un Lindet — admira la modération généreuse de La Fayette et se réjouit de l'échec des Brissot, Danton, Laclos et Condorcet. On prévoyait à l'extrême-gauche les proscriptions de Sylla. C'était faire beaucoup d'honneur à l'esprit de suite de l'Assemblée et à l'énergie de La Fayette. Ce Sylla poudré à frimas répugnait à tremper ses manchettes dans le sang. Robespierre s'était — par un sentiment de peur qui lui était assez naturel — terré quelques jours ; il sortit de sa cachette. Danton seul se dut émigrer comme un Bouillé. Une instruction ouverte fut traînée en longueur pour ne donner aucun résultat. Danton revint d'Angleterre — avec les palmes du martyre. L'Assemblée était trop lasse pour inaugurer un système de compression. Il lui eût fallu tout recommencer, réarmer l'autorité, dissoudre les clubs, rétablir l'armée dans sa force et réviser sérieusement la Constitution anarchique. Elle n'en avait plus la force. D'ailleurs, elle avait le pressentiment qu'eu dépit des fusillades, flétrissures et poursuites, les vaincus du 17 juillet étaient ses héritiers présomptifs. Robespierre ne venait-il pas d'être, par quelques milliers de votants parisiens, élu accusateur public par le département de Paris et son ami Pétion, président du tribunal ? Condorcet, désormais l'oracle du parti républicain, n'allait-il pas être nommé député de Paris ? Le bras de l'Assemblée retombait fatigué et découragé. Elle courait à sa fin, à bout de souffle. *****SOURCES. Œuvres déjà citées de Aulard (Jacobins, II), Thomas Lindet Roger, Biauzat, Morris, Dumont, Mme Roland (Lettres), Malouet, Mounier, Vaissière, Rabaut, Maupetit, Fournier l'Américain. — Lettre de l'évêque Suzor (Annales Rev., III). Mme Roland, Mémoires (éd. Perroud, 1905). Révolution de France n° 102. Sergent Marceau, Relation (Rev. Retr., Série II. 2.) OUVRAGES déjà cités de Cahen, Meynier, Arnaud. — Dard. Choderlos de Laclos, 1905. Robinet, Danton, 1885. |