La fuite. Drouet galope. Varennes. La famille arrêtée. Paris affolé : La Fayette prend la direction. Romeuf à Varennes. L'agonie de la Monarchie chez Sauce. Affreux retour. La rentrée à Paris.Le 21 juin, à 7 heures du matin, le valet de chambre Lemoine, pénétrant dans la chambre de Louis XVI, trouva le lit vide. Il donna l'alarme ; on courut chez la reine, chez les enfants : personne. Une heure après, le tocsin sonnait dans Paris affolé. Trompant l'étroite surveillance qui l'entourait, le roi, qui venait d'avoir un long entretien avec La Fayette, avait, déguisé en domestique, pu sortir du château et, dans une énorme berline, avait quitté Paris avec tous les siens. Il avait pris la route de l'Argonne, comptant gagner Montmédy. Bouillé devait, de Metz, rejoindre — aussitôt l'Argonne franchi — la famille royale avec son corps d'armée. Dans la journée du 21, la baronne de Korff — la reine — voyageant avec sa famille et son intendant — le roi — roule librement sur les routes blanches de Champagne sous un terrible soleil. Châlons franchi, la famille royale se tient pour sauvée : elle s'attend à trouver, dès Sainte-Menehould, les dragons de Damas, envoyés par Bouillé. A Sainte-Menehould, les dragons de Damas étaient bien
arrivés : mais ils étaient animés du même esprit d'indiscipline que le reste
de l'armée. Leur présence ne fut pas utile, plutôt nuisible, car elle attira
l'attention sur cette berline d'ailleurs monumentale. Le maure de poste
Drouet ne crut pas cependant devoir faire autre chose que de recommander aux
postillons de ne pas crever les chevaux ;
mais la berline partie, le fils Drouet et un Guillaume dit La Hure
s'offrirent à aller arrêter à Clermont ces -voyageurs suspects ; un instant
après, ils se jetaient dans les chemins de traverse sous les bois d'Argonne ;
ils devaient arriver avant le roi à Varennes. A Clermont où le roi était arrivé à la nuit, il avait bien trouvé le comte de Damas, mais sans les dragons : ceux-ci avaient paru si peu sûrs, que leurs chefs n'avaient osé les maintenir en selle. Ce fut donc sans escorte que, quelques instants après, la berline repartait pour Montmédy par la route qui passe à Varennes. Derrière elle, Clermont s'ameute, désarme — facilement — les dragons et fait sonner le tocsin. Cependant, Drouet et Guillaume galopent. Que de fois, parcourant ces bois qui me sont familiers, j'ai cru entendre ce galop. Ce jeune Drouet, il porte le destin en croupe, comment n'arriverait-il pas ? D'ailleurs, pendant que l'ancien dragon crève son cheval, le lourd carrosse roule lentement dans la nuit chaude. La berline avait sur les cavaliers une avance d'une demi-heure : elle la perdit dans la ville basse de Varennes : Drouet fila droit sur la partie de ville où il fallait que passassent les voyageurs pour gagner Montmédy. Il jette l'alarme, fait saisir un chariot, le met à travers du pont de l'Aire, qu'il faut franchir, et fait prévenir le père Sauce, procureur de la commune, qui accourt. On sait le reste : la voiture arrêtée par la barricade et qui fiévreusement parlemente, les hésitations de Sauce qui constate la validité des passeports et ne cède que devant les objurgations de Drouet. Le roi impatienté crie : Allons, postillons, en route ! Mais dans la foule les fusils s'arment : Pas un pas, ou nous faisons feu ! Louis découragé accepte l'hospitalité de Sauce, espérant qu'avant peu, paraîtront les soldats de Bouillé. Les hussards arrivent : on les débauche, on les ébranle. Ils ne sont plus une ressource ; ils sont presque un danger. Reconnu par un Varennois, Louis XVI avoua, et par un mouvement où se trahit cette nature étrange, il ouvrit les bras, embrassa celui qui venait de le reconnaître, embrassa Sauce, embrassa tout le conseil de la Commune ; il eût embrassé Drouet. Espérait-il désarmer ces gens ? Sauce eût-il cédé, que la foule, maintenant ameutée autour de son épicerie, n'eût pas permis le départ. Le roi partira, mais pour Paris, et on se barricade contre Bouillé qui, à cette heure, devient une sorte de loup-garou de la Révolution. A Paris ! crie-t-on. A Paris ou nous le fusillons dans sa voiture ! Louis atermoyait : Sauce était embarrassé ; il envoya un exprès à Paris. Cet exprès rencontra les gens lancés par l'Assemblée sur la trace du roi. ***La fuite, on le sait, avait été connue à Paris le 21, à 7 heures du matin. A 8 heures, Paris, dans un remous énorme, déferlait, autour des Tuileries. La foule, en quelques heures, passa — le général Thiébault insiste sur ce trait —par tous les sentiments : stupeur, terreur, indignation, fureur ; puis, le gamin de Paris reprenant le dessus, ce fut une gouailleuse ironie. La Fayette était compromis : on le disait dupe ou complice en cette aventure. Il fit. front avec beaucoup de sang-froid, sortit au milieu de la foule ameutée, gagna le Château, rejoint en chemin par le maire Bailly, tout tremblant, et par le président de l'Assemblée, Alexandre de Beauharnais. Qui oserait cependant signer l'ordre de ramener le roi mort ou vif ? La Fayette prit la plume et signa : dix aides de camp partirent dans toutes les directions. La foule cependant, avait envahi les Tuileries : une marchande de cerises trônait avec son éventaire sur le lit de la reine : au facteur effaré cherchant à qui remettre les lettres, des titis criaient : Partis sans laisser d'adresse ! Paris déjà s'amusait. Logis à louer, affichait-on à la porte du château. Au fond, on riait, un peu pour ne point pleurer ; on était énervé extraordinairement ; les Autrichiens eussent paru aux barrières, qu'on n'en eût point été surpris. L'Assemblée, elle, ne s'amusait pas. Elle s'était, à 9 heures, réunie sous la présidence de Beauharnais : ce jour-là, le beau danseur se tailla un rôle : La Fayette saisissant le gouvernail à l'Hôtel de Ville, Beauharnais le prit au Manège. Un instant ce médiocre, aristocrate d'extrême-gauche parut un chef : le peuple appelait en riant le Dauphin le petit Eugène que le beau danseur avait eu de la créole Joséphine de la Pagerie. J'imagine, dit Beauharnais, que l'Assemblée Nationale, dans une conjoncture aussi imprévue et aussi importante, croira utile pour la tranquillité du royaume, pour le maintien de la Constitution, de donner les ordres les plus prompts pour que, dans toutes les parties du royaume, on soit au plus tôt instruit de cette nouvelle alarme. L'Assemblée se déclara en permanence : elle ne devait lever la séance que le 25 au soir. Mais elle était sans ordre du jour. On décida enfin que le ministre de l'intérieur expédierait les courriers dans les départements avec ordre d'arrêter toute personne sortant du royaume. Le décret avait été voté à l'unanimité : la Droite elle-même, consternée ou intimidée, s'y associa : pour le reste, toutes les querelles de la Gauche avaient cessé ; l'Assemblée faisait bloc. Déjà Romeuf — un des aides de camp de La Fayette à qui l'ordre d'arrestation avait été confirmé par l'Assemblée — courait ventre à terre sur les routes de Champagne. A minuit, lui et son collègue Bayon qu'il avait rejoint, étaient au pied de l'Argonne. Ils en franchissent les pentes, traversent des villages en effervescence où sonne le tocsin et s'allument des feux, dévalent du col des Islettes sur Clermont, y tombent à 5 heures du matin dans une foule ameutée, y apprennent l'événement de Varennes, courent à Varennes et trouvent le roi chez Sauce. Ils lui présentèrent avec un respect attristé le décret de l'Assemblée : Il n'y a plus de roi de France, dit assez aigrement Louis XVI. Il ne croyait pas dire si vrai : la Monarchie était morte à Varennes ; Paris ne fera que l'enterrer en un an. ***C'est à l'agonie de la Monarchie que nous font en effet assister les scènes de Varennes ; puis ce fut le retour, vrai chemin du Calvaire : la berline, portée, tant elle est serrée, par cette foule, qui, grossie de la lie des villes traversées, devient à chaque étape plus outrageante : les hôtes de la berline insultés ignominieusement et accueillis par des risées, la monotone protestation du roi : Je ne voulais pas sortir du royaume, la reine accablée sous les plus ordurières épithètes, voyage sans repos, presque sans relai sous la chaleur la plus accablante, la poussière blanche des routes champenoises et la haine narquoise des six à sept mille paysans qui escortent. A Châlons, l'accueil est dans le même ton : les Bourbons essuient les pires propos : Capet est assez gras pour ce qu'on veut en faire, crient des énergumènes au milieu des rires : ils se chargent de confectionner des cocardes avec les boyaux de Louis et d'Antoinette et des ceintures avec leurs peaux. On réclame leurs cœurs et leurs foies pour les cuire et les manger. De Châlons à Épernay, la berline chemina dans un ouragan d'injures : à Chouilly des paysans virent avec horreur des misérables cracher à la figure du roi qui restait impassible, la reine et Madame Elisabeth pleurant d'indignation. Lorsqu'on ne les injuriait pas, des pédants venaient leur faire la leçon : à l'arrivée à Epernay, Louis s'épongeant au milieu des magistrats, l'un d'eux lui dit sentencieusement : Voilà ce qu'on gagne à voyager. De toutes les façons, le prestige royal tombait en lambeaux. Entre Épernay et Château-Thierry, le Roi rencontra trois députés que l'Assemblée avaient délégués : La Tour-Maubourg, Barnave et Pétion. Paris n'avait appris que le 24 l'arrestation du roi. L'énervement avait été grandissant durant ces deux jours d'angoisse. La foule cachait ou corrigeait par la gouaillerie son anxiété : elle prenait en apparence son parti de n'avoir plus de roi. Il a été perdu un roi et une reine, criait-on dans les rues... Récompense honnête à qui ne les retrouvera pas. Desmoulins plaisantait cruellement le décampativos des Capètes et Capets. L'Assemblée en permanence entendait jouer au Sénat Romain : impavidum ferient ruinæ, et affectait de discuter les articles du nouveau Code pénal. Les lettres des Constituants Roger, Biauzat, Lindet trahissent cependant de mortelles inquiétudes. Dieu nous soit en aide, écrit Biauzat le 21. Dieu nous sera en aide, écrit-il le 22. L'union qui, instantanément, s'est, écrit-on, rétablie entre les révolutionnaires, tant que quatre-vingt-neuvistes que Jacobites, enchante les députés. Mais les angoisses augmentent dans la journée du 20 qui se passe sans nouvelles. A 9 heures et demie du soir, les députés sont tirés de leur léthargie par des cris venus du dehors : Le Roi est pris ! Un instant après, Beauharnais lisait la lettre que deux courriers, blancs de poussière, apportaient de Varennes. On nomma incontinent trois membres pour aller chercher le Roi, le ramener, peut-être le protéger : à 4 heures du matin, Pétion, Barnave et Latour-Maubourg roulaient déjà vers Épernay. Ils rencontrèrent le roi au hameau de la Cave et reprirent avec lui le chemin de Paris, les trois députés et la famille entassés dans le carrosse en une offusquante intimité. A 3 heures de l'après-midi — sous un soleil brûlant et par 32° — on était à Pantin. La barrière franchie, il n'y eut plus d'injures, mais le silence plus écrasant encore de la foule pressée. C'était le mot d'ordre. Pas un chapeau ne se leva. Le roi restait impassible : Notre pauvre reine, écrit un ami, baissait la tête presque sur ses genoux. Une haie de gardes nationaux tenait l'arme basse comme aux enterrements. Le Constituant Roger nous fait, dans sa lettre du 26, un tableau saisissant de ce spectacle sans précédent. Lorsque Louis descendit de voiture devant les Tuileries, il franchit, sans dire un mot, les degrés du perron : la reine souleva des murmures. A 7 heures du soir, la grille du péristyle se refermait sur eux. L'Assemblée leva sa séance de quatre jours. La Fayette se rendit aux Tuileries ; il demandait des ordres : Il me semble, dit en riant Louis XVI, que je suis plus à vos ordres que vous n'êtes aux miens. Le roi avait appris que, dans l'après-midi, l'Assemblée avait décidé que, suspendu, il serait prisonnier sous bonne garde aux Tuileries. Le rire de Louis XVI fait un peu mal. Il continuait à sourire, lorsque, le lendemain, 26, des députés le vinrent interroger comme un prévenu. Il fut très bonhomme. La reine, elle, les reçut avec une froide politesse : les faisant asseoir dans les fauteuils, elle affecta de rester sur une chaise. Elle avait vieilli de vingt ans : lorsqu'elle avait enlevé son bonnet de nuit, le matin, devant sa femme de chambre, celle-ci avait vu que les cheveux étaient devenus tout blancs comme ceux d'une femme de soixante-dix ans. Les Tuileries, entourées de gardes nationaux, allaient des semaines, rester closes. Le roi était sauf : le trône était perdu. *****SOURCES. Œuvres déjà citées de Biauzat, Malouet, Lindet, Morris, Vaissière, Bouillé, Mme Roland, Mme Campan. Mme de Tourzel. — Lettres du constituant Roger (Rev. Fr., 1902). Bimbenet, Relation, 1881. Mémoires du général Radet, 1892. OUVRAGES. Lenôtre, Le Drame de Varennes, 1905. Charavay, La Fayette, 1898, Klinckowstrom. Le Comte de Fersen et la Cour de France, 1878. |