FOUCHÉ (1759-1820)

TROISIÈME PARTIE. — LE DUC D'OTRANTE

 

CHAPITRE XXVI. — LA COMMISSION DE GOUVERNEMENT.

 

 

La Commission : Fouché enlève par un tour de passe-passe la présidence à Carnot. — Attitude de Carnot. Première séance de la Commission ; elle s'érige en pouvoir exécutif. Manuel empêche la proclamation de Napoléon Il. Fouché s'abouche avec les agents royalistes. Irritation de la Commission : scène violente entre Carnot et Fouché. — Premières difficultés. — Le duc d'Otrante cède en apparence. — Il force l'Empereur à quitter l'Élysée. — Fouché devient réellement le chef du pouvoir exécutif. — Mesures que prend la Commission — Fouché éloigne La Fayette. — Impatience des royalistes. — Fouché pousse Davout à réclamer la restauration de Louis XVIII sous conditions ; échec fortuit de la proposition. — La Chambre commence à s'insurger ; agitation des jacobins ; Fouché les rassure et les joue. — Il ne dupe pas moins les royalistes. État de siège. — Nouvelle tentative de Davout ; soulèvement général. Mission de Macirone, agent de Fouché, près de Wellington. — Faveur dont jouit Fouché à la cour de Louis XVIII, à Gand, puis à Cambrai. Attitude de Wellington. — Fouché fait entreprendre Davout par Vitrolles. Le maréchal renouvelle sa proposition, puis l'abandonne et offre de combattre ; le duc d'Otrante provoque un conseil de guerre qui décourage toute résistance. — Dispositions féroces du maréchal Blücher vis-à-vis de Paris. Bataille imminente et désastre certain. — Le duc d'Otrante décidé a prévenir tout engagement. Nomination de nouveaux plénipotentiaires. La convention de l'aria. — Fouché contient l'armée exaspérée ; il désarme les partis et empêche sont conflit. — Agonie de la Commission. — Nouvelle mission de Macirone près de Wellington. Entrevue à Neuilly du duc d'Otrante avec les hommes d'État de la coalition ; attitude intransigeante de Fouché qui déconcerte les espérances de ses interlocuteurs. — Fouché rentre à Paris et provoque des manifestations libérales. — Immense popularité de Fouché dans l'entourage du roi ; il est déclaré nécessaire ; concert le louangea. Appui des intransigeants du faubourg Saint-Germain ; le comte l'Artois conseille d'avoir recours à Fouché ; Louis XVIII cède. — Le mot du roi à Talleyrand. — Entrevue à Neuilly de Fouché, de Talleyrand et de Wellington. — Le duc d'Otrante accepte le ministère et promet une rentrée tranquille au roi. — Entrevue de Louis XVIII et de Fouché. — La Commission se dissout. — Double lettre qui provoque contre Fouché les réclamations des deux partis. Attitude inouïe du nouveau ministre. — Fouché fait fermer les barrières et part pour Saint-Denis. Fouché prête serment. — Un mot de Chateaubriand. — Il ne doit pas être dehors.

 

La Commission élue par les Chambres dans la journée du 22, juin se composait, nous l'avons vu, de Carnot, de Caulaincourt, duc de Vicence, du général Grenier, de l'ex-sénateur Quinette et du duc d'Otrante. Cette composition n'était pus sans causer quelque appréhension à celui-ci. Il avait cependant, à la Chambre haute, soutenu la candidature du duc de Vicence et de Quinette qu'il estimait peu dangereux[1] ; il n'en était pas moins vrai que Caulaincourt n'avait accepté cette charge que sur les instances de l'Empereur qu'il semblait devoir représenter[2], et que Quinette, ancien conventionnel régicide. devait être fort hostile à toute négociation avec les Bourbons. Le général Grenier passait pour attaché aux Bonaparte. Mai, Carnot surtout semblait à craindre : d'une intégrité respectable, en garde depuis trois mois plus que personne contre les intrigues de Fouché, il était tout à la fois dévoué a la Révolution dont son nom évoquait les plus glorieux souvenirs et à l'Empereur qu'il ne cessait de voir. Ancien membre de la Convention, du Comité de salut public et du Directoire, ancien ministre du Consulat et des Cent-Jours, il était la seule personnalité qui pût être opposée à Fouché, et le vote de la Chambre, où il avait recueilli trente et une voix de plus que le duc d'Otrante, lui donnait une nouvelle force morale qu'il pouvait être tenté de faire valoir, pour prendre la tête du gouvernement. Comment Fouché, simple membre de la Commission, pourrait-il la mener où il l'entendait ? Or le ministre de l'Intérieur semblait bien croire, dès l'abord, que la majorité obtenue par lui au Palais-Bourbon lui assurait d'office la présidence de la Commission. Fouché naturellement ne l'entendait pas ainsi : il ambitionnait, sinon la direction morale de ses collègues, du moins un titre qui pût faire de lui, aux yeux de tous, le chef du pouvoir exécutif. La question ne s'était pas posée lors d'une première et très courte réunion au pied levé où les commissaires avaient décidé d'envoyer le comte Otto comme plénipotentiaire à Londres[3]. Mais l'émotion de Fouché dut être grande quand dans la journée du 22 il reçut une véritable circulaire dans laquelle Carnot, s'attribuant la présidence de droit, convoquait ses quatre collègues à son ministère de l'Intérieur[4]. Sans lui adresser même de réponse et affectant de n'avoir pas été atteint par sa lettre, le duc d'Otrante, sautant sur sa plume, adressa de son côté une circulaire toute pareille, pour engager les quatre commissaires à se rendre le lendemain à huit heures du matin aux Tuileries pour se constituer[5].

Comme toujours, Carnot céda ; il se rendit aux Tuileries, y trouva le duc d'Otrante installé, ainsi que ses collègues. Qu'appelez-vous nous constituer ? demanda tout d'abord le ministre de l'Intérieur. — Mais, répondit Fouché, élire notre président et notre secrétaire. Et pour couvrir ce que cette proposition avait de froissant pour les prétentions de Carnot, et peut-être dans le secret espoir de provoquer la réponse qui suivit, il ajouta très vite : Je vous donne ma voix pour la présidence. — Je vous donne la mienne, répondit forcément Carnot avec une politesse qui devenait ici une irrémédiable faiblesse. Les autres suivirent. De fait, l'estime qu'ils avaient pour la capacité du duc l'emportait sur le mépris qu'ils pouvaient concevoir pour sa flagrante immoralité politique. Crurent-ils en outre que, réellement, Carnot se trouvait favorable à la candidature de Fouché' ? (Moi qu'il eu soit, comme s'il s'agissait d'une chose résolue ou naturelle, Grenier parla immédiatement d'installer le duc d'Otrante au fauteuil ; Caulaincourt et Quinette approuvèrent du geste, et, sans se faire prier, l'habile homme prit la présidence : pour ne pas rester en retard de politesse avec Carnot, il appuya incontinent la candidature du frère de son collègue, le général Carnot-Feulins, au portefeuille de l'Intérieur[6].

Carnot cependant ne put s'y tromper : il avait été joué. Chez cet homme assez rude, mais d'une noblesse et d'une droiture incomparables, aucune basse envie ne prévalait, aucune rancune d'avoir été si prestement écarté, si impudemment dupé, mais une défiance tous les jours grandissante contre le président de la Commission. Il affecta dès lors d'opposer aux sorties familières et cyniques, aux déclarations et aux intrigues du duc d'Otrante, à ses flagorneries et à ses vantardises, une gravité froide et sèche qui, après tout, pouvait gêner Fouché, nullement l'entraver sérieusement ; il essaya, pour diminuer le rôle du président, de restreindre celui de la Commission, simple émanation des Chambres, faisait-il observer, et non gouvernement exécutif[7]. Le duc d'Otrante en levait les épaules.

Au surplus, dès cette première séance, la Commission sembla au contraire disposée à assumer, sous l'action de son président, le rôle que Carnot voulait lui refuser. On nomma des ministres : Bignon, Carnot-Feulins et Pelet de la Lozère, un adjoint au secrétaire d'État, secrétaire du gouvernement, le comte Berlier, un commandant ii la première division militaire, le comte Andréossy, et à la garde impériale le général Drouot ; le prince d'Essling fut appelé au commandement général de la garde nationale, dont Fouché écartait ainsi La Fayette[8].

La Commission eut une seconde séance, le jour même, à neuf heures du soir, toujours aux Tuileries ; elle fit encore quelques nominations dans le haut personnel militaire et, avant ainsi affirmé son caractère exécutif, leva la séance[9].

C'est ce jour-là que Manuel lui avait en quelque sorte assuré ce caractère, en faisant échouer, au Palais-Bourbon, la proclamation solennelle de Napoléon II ; Fouché, s'appuyant sur ce fait, avait substitué à la proclamation du comte Berlier, jugée trop favorable à la dynastie, un autre factum rédigé par lui Fouché, on Napoléon II n'était pas nominé.

À la Chambre, cependant, on commençait à être éclairé sur le rôle que Fouché se préparait à jouer[10]. Le général La Fayette, aussi joué que Regnaud et Carnot, écrivait amèrement que le choix de Fouché plaisait fort aux royalistes[11], et le fait est qu'à peine installé aux Tuileries, Fouché, que l'avant-veille on avait cru dévoué à Napoléon II, et la veille au duc d'Orléans[12], venait de s'aboucher avec les agents de Louis XVIII.

Le premier acte du drame avait été l'abdication de l'Empereur, obtenue par Fouché sous couleur d'assurer le trône à son fils avec le concours de ministres bonapartistes ; le deuxième, l'introduction du duc d'Otrante, comme représentant des adversaires des Bourbons, aux Tuileries, dont on écartait cependant l'ombre même du petit empereur. Le troisième commençait ; l'ancien conventionnel régicide, l'ancien ministre des deux Empires, le mandataire des Barère et des Cambon s'abouchait, le 24, avec le représentant attitré des frères de Louis XVI, le baron de Vitrolles. Dès le 22, du reste, il avait reçu Pasquier, auquel il n'avait pas dissimulé son intention d'acheminer la nation vers les Bourbons ; il l'avait encore revu le 23, en compagnie de Molé, devenu partisan des Bourbons ; enfin il restait en relations quotidiennes avec le futur chancelier par l'intermédiaire de son secrétaire Fabri[13]. C'était s'assurer, par Pasquier et Molé, des amis dans la classe des bourboniens libéraux ; mais il avait songé aussi aux ultras et s'était tourné vers Vitrolles.

Le baron était, ou s'en souvient, sous sa main, à l'Abbaye-aux-Bois dès le 23, l'agent royaliste avait appris la chute du tyran, l'élévation an pouvoir du duc d'Otrante et sa propre mise en liberté, constatant ainsi, d'une façon fort heureuse pour le duc d'Otrante, que la seule rancune du despote l'avait maintenu sous les verrons. Il sortait donc plein de reconnaissance pour l'ancien ministre de la Police, quand il en reçut un message ; on lui mandait de se présenter à sept heures du matin, le 24, à l'hôtel du duc d'Otrante. Il s'y rendit et y conféra longuement avec Fouché : Vous allez trouver le roi, lui déclara celui-ci, vous lui direz que nous travaillons pour son service, et lors même que nous n'irions pas tout droit, nous finirons bien par arriver à lui. Dans ce moment, il nous faut traverser Napoléon II, probablement après, le duc d'Orléans, mais enfin nous irons à lui. Vitrolles se récria sur ces atermoiements : Je ne vous dis pas, riposta Fouché, que c'est précisément ce que je voudrais, mais c'est ce que je prévois qui arrivera. J'ai déjà déjoué en quelque sorte la souveraineté de Napoléon II... On discuta : Fouché eût préféré voir le baron se rendre près de Louis XVIII pour l'assurer d'ores et déjà du dévouement et de la fidélité éventuelle du duc d'Otrante. Vitrolles préférait rester à Paris ; il en obtint l'autorisation. C'était donner un chef aux royalistes, organiser une sorte de gouvernement bourbonien avant la lettre ; mais, tout bien réfléchi, il était assez commode au duc d'Otrante de négocier avec ce groupe, ainsi livré aux influences qui lui étaient personnellement favorables[14].

C'est probablement ce jour-là même que le duc d'Otrante eut avec Carnot la scène dont Bei-lier nous a laissé le récit. La Commission avait été convoquée pour onze heures : réunie à cette heure aux Tuileries, elle attendit vainement son président, avec d'autant plus de mauvaise humeur que le baron de Vitrolles avait été vu entrant chez le duc d'Otrante. Choqués du sans-gêne de leur collègue et du motif de son retard, les commissaires le firent chercher, et, lorsqu'il survint, une altercation assez violente se produisit. Carnot se plaignit vivement du retard : Nous avons appris, dit-il rudement, que c'est pour conférer avec les agents de Louis XVIII que vous désertez votre poste. Le duc d'Otrante avait bravé de plus déconcertantes sorties ; il parut surpris plus que décontenancé : Le baron de Vitrolles n'était nullement un agent du roi, répondit-il avec calme ; ses conférences avec lui avaient seulement pour objet de procurer au pays et surtout aux patriotes des conditions, dans le cas probable et vraiment prochain où il faudrait entrer en arrangement avec les puissances étrangères appuyant les Bourbons. Le mot était lâché : Et de qui tenez-vous une pareille mission ? riposta Carnot. Croyez-vous constituer à vous seul la Commission de gouvernement ? Etes-vous si pressé de livrer la France aux Bourbons, et le leur avez-vous promis ?Et vous, répliqua aigrement Fouché, croyez-vous servir le pays par une velléité de résistance vaine ?[15] Le duc de Vicence, qui semblait reconquis à Fouché, et l'ex-conventionnel Quinette intervinrent alors[16]. On décida que Vitrolles serait derechef arrêté, et l'ordre en fut donné au préfet de police[17]. Le duc d'Otrante sembla se désintéresser de cette décision ; il se contenta de faire prévenir sous main l'agent du roi par Fabri et en fut quitte pour continuer, clandestinement, des relations trop ouvertement entamées[18]. Il n'est pas jusqu'à cette résistance de la Commission qui ne le servit. Sans doute, disait-il volontiers à Vitrolles, lui, Fouché, eût préféré ne pas attendre la loi de l'étranger pour proclamer Louis XVIII, mais il n'y pouvait rien tout seul ; il fallait amener peu à peu tout le monde à une telle détermination, s'aider des événements qui la faciliteraient : on perdrait tout, si l'on voulait l'emporter d'assaut : car Napoléon était encore â l'Élysée ; lui se trouvait en minorité dans la Commission, le duc de Vicence étant seul avec lui : dans les Chambres, il se heurterait, pour le montent, à une invincible opposition. Il fallait attendre, combiner, biaiser. Le baron de Vitrolles restait en admiration devant la facilité avec laquelle le souple politicien se jouait dans cette situation sans précédent. Ce joueur de grandes parties, écrivait-il plus tard, en trouvait une digne de lui par son importance, ses dangers et l'importance de l'enjeu[19].

L'Empereur à l'Élysée le gênait avant tout : le sachant défiant et soupçonneux, il l'assiégeait d'avis, d'avertissements menaçants ; on complotait contre sa liberté et sa vie ; dans la nuit du 23, le duc d'Otrante renforçait à grand tapage la garde du palais, se vantant d'avoir sauvé sou ancien souverain, si ingrat cependant[20]. C'était d'une belle allie. L'Empereur comprit ou fut dupe, s'en alla, se retira à la Malmaison : Fouché respira, il était seul souverain à Paris, entre cet empereur déchu à la Malmaison et ce roi déclin à Cambrai.

De fait, il agissait bien en chef d'État, revêtant de sa seule signature la proclamation de la Commission au peuple français ; elle était, du reste, de lui. Il y louait l'abnégation de l'Empereur, rassurait les patriotes, prêchait l'union[21]. Mais le plus plaisant était que la signature se retrouvait, seule encore, au bas d'un projet de loi, issu sans doute de la violente discussion qui, la veille, avait éclaté au sein de la Commission, permettant à celle-ci de mettre eu surveillance et même d'arrêter pendant trois mois toutes personnes prévenues de correspondance avec les ennemis, coupables de provoquer ou de favoriser les troubles, d'avoir arboré d'autres couleurs que celles de la nation, d'avoir publié de fausses nouvelles et provoqué la désertion[22] ; il était clone loisible au baron de Vitrolles, coupable à peu près de tous ces délits, de lire ces intéressantes propositions au Moniteur, sous la signature du duc d'Otrante, en se rendant aux rendez-vous clandestins que celui-ci lui assignait.

Il était bien en effet ou paraissait chef d'État, l'homme dont la seule signature apparaissait au bas des actes de cette Commission, qui, en quinze jours, remplit le Moniteur de ses décisions, nominations et proclamations. Elle semblait avoir, dès le 24, organisé la résistance ; on avisait aux subsistances ; le prince d'Eckmühl était chargé d'organiser la défense de Paris pendant que le maréchal Jourdan était porté au commandement de l'armée du Rhin ; une nouvelle classe était appelée sous les drapeaux[23]. Le lendemain 22, les mesures de défense continuèrent. On décidait que des commissaires seraient envoyés près les armées et les préfets, pour opérer le ralliement des troupes ; que les militaires absents rejoindraient le corps le plus voisin ou l'armée de Paris. La Commission, qui maintenant se réunissait régulièrement deux fois par jour, autorisait Davout à organiser la défense de Paris par tous les moyens, à prendre dans la caisse du ministère de la Guerre la somme de 50.000 francs nécessaire aux travaux, à établir des postes télégraphiques ; on décidait de payer les arriérés de solde à la troupe[24]. Or, à la même heure, s'il faut en croire un contemporain fort hostile, il est vrai, à Fouché, celui-ci pressait les alliés d'arriver : Arrivez, ne fût-ce qu'avec les têtes de colonnes, aurait-il écrit à Wellington, arrivez. Le gouvernement provisoire vous garantit que vous n'aurez aucun combat à soutenir. Rien en réalité n'est moins certain qu'une pareille démarche[25].

L'influence du duc d'Otrante grandissait cependant dans la Commission ; il était le seul qui y voulut quelque chose, et il s'acheminait vers son but avec prudence, mais résolution. C'est ainsi qu'il avait fait décider, il s'en vantait devant Vitrolles, que les actes de la Commission seraient rendus au nom du peuple français, écartant délibérément Napoléon II qui, jusque-là, restait pour les Chambres le souverain légal[26]. C'est lui aussi qui faisait donner un surveillant à l'Empereur retiré à la Malmaison et se faisait charger le 26 juin par ses collègues de signifier aux princes de la famille impériale que leur éloignement devenait nécessaire à la tranquillité de l'État et à leur sécurité personnelle[27].

Ce jour-la, le duc d'Otrante adressait aux Chambres une note dans laquelle il vantait l'infatigable activité de la Commission et son patriotisme, rassurait sur l'organisation de la défense et ajoutait que la Commission n'exagérerait ni ne dissimulerait les dangers, et, quels qu'ils fussent, resterait fidèle à la patrie[28]. Le lendemain, dans une nouvelle lettre aux Chambres, Fouché affirmait que la Commission défendrait jusqu'à la dernière extrémité l'indépendance de la nation, l'inviolabilité des Chambres, la liberté et la sûreté des citoyens[29].

Il sentait le besoin de tranquilliser le Parlement, où grondait contre lui une sourde et violente irritation ; en vain il occupait les représentants à discuter une Constitution qu'il savait mieux que personne devoir être mort-née ; la Chambre inquiète flottait entre des opinions et des résolutions opposées, mais laissait entendre des paroles de défiance et de colère.

On avait cependant éloigné quelques fortes têtes : La Fayette, Sébastiani, d'Argenson, Pontécoulant, de la Forest et B. Constant étaient partis, le 23, pour le camp de la Coalition, chargés de stipuler l'intégrité du territoire, l'indépendance de la nation, la souveraineté de Napoléon II, etc. ; les plénipotentiaires devaient, avant de se rendre près des souverains, obtenir des généraux alliés un armistice préalable, nécessaire aux négociations. On n'avait, le 26, aucune nouvelle de ces ambassadeurs.

Aussi bien, Fouché restait sceptique sur le résultat de leur mission et peu désireux peut-être de le voir atteint, car il entendait, suivant l'expression de Pasquier, alors son confident, que rien ne se terminât autrement que par lui[30]. Pourquoi les souverains céderaient-ils à La Fayette et à Constant après Waterloo ce que lui Fouché n'avait pu obtenir avant : la restitution de Napoléon II à son bon peuple ? A Paris, le parti royaliste commençait à s'agiter ; le baron de Vitrolles, sur la prière du duc d'Otrante, essayait d'apaiser les impatiences, mais il avait à lutter contre un groupe entreprenant, qui se fût volontiers passé de Fouché pour proclamer le roi et voulait provoquer un mouvement populaire ; le duc d'Otrante en devait frémir, car c'était échouer au port, que de voir se produire ce conflit, depuis quatre mois redouté et écarté, et qui amènerait ou le triomphe des partisans du roi, sans son concours, on leur écrasement sous sa responsabilité[31]. N'osant, d'autre part, proposer franchement à la Commission de se rallier aux Bourbons, il semblait maintenant suspendu entre mille projets ; il parlait d'arrêter les alliés, voulant les indemniser de leurs frais de guerre, et peut-être songeait-il alors à se résigner à Napoléon II. Mais il avait un autre plan, avant soudain conçu et donné aux royalistes l'idée de conquérir Davout, qui viendrait proposer à la Commission ce que le duc d'Otrante hésitait à lui imposer. Le maréchal, sondé et gagné par le duc de Reggio sur le conseil de Fouché, parut se prêter à la combinaison, le fit savoir au duc d'Otrante, qui, pour donner plus de solennité au coup de théâtre et entraîner la majorité de la Commission, convoqua, pour le 27, les présidents des deux Chambres à se joindre au gouvernement ; il fit alors introduire dans la Commission ainsi grossie le ministre de la Guerre[32]. Celui-ci donna d'abord, sur la marche des alliés, des nouvelles peu rassurantes et, brusquement, conclut qu'il n'y avait pas un instant à perdre pour envoyer à Louis VIII des plénipotentiaires qui lui demanderaient d'entrer à Paris sans garde étrangère, de garder les couleurs nationales, de garantir la sûreté des personnes et des propriétés, de maintenir les Chambres, d'assurer aux fonctionnaires publics la conservation de leurs places et à l'armée le maintien de ses grades, enfin de reconnaître la Légion d'honneur comme premier ordre de l'État. Le maréchal, toujours loyal, ne fit pas, du reste, mystère de son entrevue avec le duc de Reggio, ajoutant que celui-ci s'était chargé de transmettre aux royalistes ces conditions honorables. La loyauté même du prince d'Eckmühl fit impression ; peut-être allait-il enlever l'adhésion de la Commission a une proposition si hardie que Fouché n'osait la soutenir de peur de la faire échouer ; le duc d'Otrante cependant engageait déjà les deux présidents à y préparer les Chambres, lorsqu'un incident se produisit, qui vint tout faire échouer. Bignon venait de recevoir le premier rapport des plénipotentiaires en route pour rejoindre à Haguenau les souverains alliés ; ils avaient vu à Saint-Quentin les officiers prussiens qui leur avaient assuré que l'abdication de Napoléon Ier contenterait certainement les alliés, ceux-ci ne faisant nullement du rétablissement des Bourbons la condition sine qua non de la paix, ni la conséquence nécessaire de la guerre. C'étaient ces on dit dont La Fayette et ses collègues, prompts à l'espérance, ou peut-être dans le secret espoir de gêner Fouché, avaient fait l'objet d'un rapport, en en exagérant l'importance et sans en examiner l'origine fort suspecte.

Quoi qu'il en fit, ces nouvelles donnaient à la situation une face nouvelle et avaient pour premiers effets de faire échouer la combinaison qui faisait tirer à Davout les marrons du feu pour le grand profit du duc d'Otrante. Celui-ci dut, de fort méchante humeur, révoquer la mission dont il venait de charger les présidents des Chambres et songer à de nouvelles négociations en vue d'un simple armistice. Cinq nouveaux plénipotentiaires furent chargés de se rendre au camp de Wellington, porteurs d'une lettre du duc d'Otrante pour le généralissime anglais[33].

Il y avait eu là une fausse manœuvre qui devait rendre Fouché fort soucieux. Le duc d'Otrante avait quelque peu démasqué ses batteries, encore qu'il les eût fait servir par Davout, et le bruit ne tarda pas à se répandre que le chef du pouvoir exécutif envisageait sans répugnance le rappel des Bourbons. La Chambre, qui se sentait dupe de Fouché depuis huit jours, s'en montra fort émue, ne voulant pas être complice, et l'agitation fut notamment très forte dans ce que nous pouvons appeler l'extrême gauche de l'Assemblée, où d'anciens montagnards fraternisaient maintenant avec des bonapartistes convaincus, dans une haine et une crainte communes des Bourbons. L'exaspération des représentants fut telle qu'ils firent le 27, près de Carnot, une démarche menaçante, s'affirmant prêts à déposer dès le soir même une demande de mise en accusation contre Fouché, celui-ci porter sa tête sur l'échafaud. Point de tête, messieurs, aurait répondu l'ancien collègue de Robespierre ; s'il en tombe une seule, il en tombera mille, et nul ne pourra l'empêcher[34]. Félix Desportes, ex-conventionnel qui, personnellement, détestait Fouché, et le républicain Durbach se rendirent alors chez le président de la Commission, auquel ils firent une scène violente, l'accusant de trahir la confiance des Chambres ; celle des patriotes et des amis de la Révolution au profit des Bourbons. Le duc d'Otrante eut l'audace de leur tendre sa lettre à Wellington. Cette lettre était fort ambiguë ; mais les deux hommes se croyaient si certains de la trahison formelle et complète de l'ancien conventionnel que cette missive, qui eu d'autres temps eût assurément excité leur défiance, parut les rassurer, les calmer et les satisfaire. Ils en restèrent même si frappés que, pour ne pas avoir, aux yeux de leurs collègues, l'apparence d'avoir été joués par des paroles spécieuses, ils demandaient au duc d'Otrante de leur laisser copie de cette lettre, pour la communiquer à l'Assemblée qui en serait tranquillisée, étrange requête qui dut arracher un sourire à l'auteur de la lettre. La lecture qui en fut faite produisit cependant dans les couloirs du Palais-Bourbon le même effet paradoxal, et, pendant vingt-quatre heures, le duc d'Otrante, qui, la veille était attaqué, vilipendé et accusé de trahison, ne semblait plus à tous qu'un pilote habile, menant, à travers mille écueils, un esquif qui menaçait de faire eau de toute part[35]. Le Palais-Bourbon devait souvent revoir ensuite ces revirements soudains et ces voltes-faces imprévues. Pour achever de se rassurer, les députés se répétaient le mot, fort naïf, du général Grenier : S'il vous trahit, je lui brillerai la cervelle. On comptait sur la vigilance de ce brave soldat[36].

Or, le même jour, Pasquier et Vitrolles, sortant de chez Fouché, affirmaient au maréchal Macdonald que le duc d'Otrante était dans les intérêts du roi, qu'il tenait de Louis XVIII lui-même de pleins pouvoirs, et que le chef du pouvoir exécutif ne faisait rien sans les consulter ou les prévenir. Cette communication avait pour but de paralyser et de prévenir tout mouvement royaliste prématuré... pour Fouché[37].

Persuader à la Chambre, par les républicains Durbach et Desportes, qu'il était bien le défenseur de la Révolution et de Napoléon II en face des alliés, aux royalistes, sur la foi de Pasquier et de Vitrolles. qu'il était le représentant secret de Louis XVIII dans le camp de la Révolution, c'était mystifier les deux partis, mais c'était écarter ainsi, pour quelques heures, de sa route les obstacles qui l'encombraient.

Il avait, en effet, besoin de concentrer toute son attention sur les événements qui se déroulaient sous les murs de Paris. Une partie des troupes de Grouchy sous les ordres de Vandamme, refoulé jusque-là, venait d'y apparaître, suivie de près par les alliés, et il semblait qu'une grande bataille fût imminente. Dès le 28, la Commission adressait à la Chambre déclarations sur rapports, tous assez pessimistes. Un message aux deux Chambres proposait de déclarer l'état de siège, qui fut en effet proclamé. Des mesures étaient prises pour la défense des abords de Paris et pour assurer la tranquillité et la sûreté intérieures[38].

Ce grand branle-bas n'était, dans l'esprit de Fouché, destiné qu'à abuser tout le monde ; il était résolu à tout plutôt qu'à laisser livrer bataille. Et, dans cette circonstance, comment lui en faire un crime ? L'humanité et le patriotisme étaient bien là d'accord avec ses calculs et ses intérêts personnels, puisque, le 28, le duc d'Otrante recevait une lettre de Davout où le valeureux soldat, le loyal patriote déclarait qu'il n'y avait pas un instant à perdre pour adopter les propositions qu'il avait faites la veille. Je le répète, disait le ministre de la Guerre, il faut proclamer Louis XVIII, lui demander de faire son entrée sans les troupes étrangères, qui ne devront jamais entrer dans Paris ; Louis XVIII doit régner avec la nation... J'ai surmonté mes préjugés, mes idées ; je n'ai été mit que par la plus impérieuse des nécessités et parce qu'il m'est prouvé qu'il n'y a que ce moyen qui puisse sauver notre malheureuse patrie[39]. Cette loyale déclaration aurait dit enchanter le duc d'Otrante ; il parut cependant peu empressé à l'accueillir ; il avait sans doute réfléchi, craignait que la proclamation de Louis XVIII ne rencontrât décidément encore dans les Chambres et A Paris une trop vive opposition ; à tout prendre, il préférait maintenant ne pas voir le maréchal assumer ce rôle de Monk qu'il se réservait, et il n'avait pu arracher à Vitrolles que des promesses vagues de reconnaissance qui lui imposaient de plus éclatants services. Ce qu'il retenait de la lettre du prince d'Eckmühl, c'était la nécessité de l'armistice. Il fallait le négocier sans tarder ; il faisait observer cependant au maréchal qu'il fallait savoir ce que voulait l'ennemi, une conduite mal calculée pouvant permettre à Louis XVIII d'éluder toute condition. Fouché autorisait donc Davout à négocier l'armistice seul, même en faisant tous les sacrifices compatibles avec les devoirs du gouvernement et la dignité de la France. Dès le 29, le duc d'Otrante insistait, faisait dire au maréchal qu'il était bien entendu que l'armistice serait purement militaire[40]. Au même instant, il repoussait, avec une violence assez rare chez lui, l'offre que l'Empereur déchu faisait à la Commission de se remettre en qualité de simple général à la tête des troupes ; il habit le départ de ce gênant voisin, qui fut, le jour même, annoncé aux Chambres par un message signé du duc d'Otrante[41].

La situation restait fort scabreuse ; elle le devenait même davantage à tout moment. La Commission continuait, tout en s'effaçant, à surveiller d'un mil défiant les démarches de son président : les deux régicides Carnot et Quinette étaient certainement d'accord avec les deux soldats Grenier et Caulaincourt, celui-ci par intermittence, pour tout préférer aux Bourbons[42] : derrière ces élus des deux Chambres, Fouché sentait le Parlement foncièrement hostile, comme eux, à une restauration de Louis XVIII, et derrière les Chambres elles-mêmes, une tourbe de fédérés patriotes fort excités, républicains, bonapartistes, anciens soldats, anciens émeutiers, clubistes réveillés, qui remplissaient Paris de menaces grossières et violentes contre les Bourbons et les traitres, parmi lesquels on commençait à ranger le chef du pouvoir exécutif[43]. Tandis que les royalistes supportaient malaisément les appels du duc d'Otrante à leur patience, craignant d'être finalement joués ; tandis que Vitrolles et Pasquier le pressaient au nom du parti, les représentants du jacobinisme et du bonapartisme s'unissaient de nouveau contre leur ancien coreligionnaire, l'obligeant à biaiser. Les menaces se multiplient : tantôt c'est le rude général Thiébault qui, accompagné d'un autre officier, vient, en le regardant dans le blanc des veux, lui demander quelle attitude il faut prendre ; l'ancien ministre esquive le piège par des réponses évasives qui exaspèrent les deux soldats[44] ; tantôt c'est, le matin même du 30, le républicain Durbach qui, escorté du général Solignac et d'un autre député, Dupont, vient relancer Fouché dans son cabinet de toilette, lui fait essuyer de vifs reproches, que le duc d'Otrante, le rasoir à la main, essaye en vain de réfuter, en alléguant sa fidélité : Car, dit-il, il n'a jamais trahi ni un ami, ni un principe[45]. Barère, au nom des anciens conventionnels, vient aussi le sonder, tout prêt à l'accabler de ses récriminations[46]. Les bonapartistes ne sont pas moins exaspérés : l'ancien ministre d'État Defermont s'emporte en sa présence jusqu'à lui reprocher de trafiquer ténébreusement du sang et de la liberté des Français[47]. A la Chambre, s'il faut en croire de Barante, il ne s'écoule pas un jour, du 27 juin au 3 juillet, où il ne court le risque d'être dénoncé à la tribune et cloué au pilori[48]. Il est accablé de besogne, de soucis, si occupé qu'il reçoit ses visiteurs, Vitrolles, Barère, Durbach, devant sa cuvette, en un déshabillé fort peu élégant.

A tous, du reste, il oppose un front calme, car c'était dans ces crises que cet homme, ordinairement souple, montrait aussi une fermeté singulière[49]. Gaillard, qui le suivait à toute heure, n'était pas le seul à l'admirer, bravant les cris de mort des fédérés, maintenant d'une main les royalistes trop pressés de vaincre, de l'autre les députés trop peu résignés à se laisser trahir[50] ; Pasquier, qui eut, en ces jours, l'occasion de le voir souvent et de près, partageait, en dépit de sa foncière antipathie, cette admiration pour cette impassibilité, ce sang-froid que rien ne démentait[51]. Peu désireux cependant de se laisser déborder et enlever, Fouché entendait se protéger, et fit, dès le 29, garder son hôtel par la garde nationale[52]. Ce jour-là même, il écrivait à la royaliste marquise de Custine : Vous n'avez rien à craindre, reposez-vous sur moi ; cependant je tiens seul tête à l'orage. Croyez que, dans ma position, je ne pense qu'à la patrie, et les fatigues que j'éprouve ne proviennent pas d'un obstacle dans les choses, mais dans les hommes auxquels je suis associé[53].

Il disait vrai : sa position était telle qu'il se trouvait forcé d'user de clandestinité dans ses relations avec les alliés. Pendant qu'il adressait à Wellington cette lettre, du reste fort ambiguë, qu'il laissait ou faisait lire aux naïfs opposants de gauche, il lui expédiait plus secrètement un autre message, qu'il confiait à un agent assez louche, le Romain Macirone, alors à son service. Cet ancien agent de Murat quittait Paris, le 29, cachant dans ses bas une lettre où Fouché, dit-on, suppliait le noble lord de se haler, ne répondant plus de Paris au comble de l'exaltation, si les troupes alliées laissaient seulement s'écouler trois jours avant le dénouement du drame. Macirone devait surtout sonder le général anglais et obtenir de lui l'aveu de ses projets, que le duc d'Otrante s'engageait à servir ; en tous les cas, sachant le vainqueur de Waterloo fort influent sur Louis XVIII, Fouché voulait le conquérir avant tons, dans l'idée, maintenant arrêtée, de s'imposer comme ministre au Roi Très-Chrétien[54]. Il estimait sans doute Vitrolles et Pasquier des parrains trop peu zélés ou insuffisants, regagnait Talleyrand par Moutrond et Wellington par tous les moyens.

Aussi bien, il savait qu'il pouvait, du côté du roi, tout ambitionner. Si quelque chose, en effet, justifiait les défiances des Carnot, des Desportes, des Durbach, des Solignac et autres, c'était l'extrême faveur dont, très réellement, le duc d'Otrante jouissait à la cour de Louis XVIII à la même heure. Le comte d'Artois, qui le patronnait dès 1814, n'était pas homme à lui garder rancune d'avoir accepté de l'usurpateur des fonctions qui lui avaient permis de sauver son très cher ami de Vitrolles ; l'entourage suivait. Vitrolles lui-même, qu'on avait connu plus hostile au duc d'Otrante, écrivait que Fouché était l'homme de la situation, seul capable de hâter, de faciliter le retour du roi[55]. La coterie modérée, groupée autour de Talleyrand, ne pouvait voir dans l'entrée de Fouché au ministère que la garantie la plus forte de cette restauration sans contre-révolution qu'ils désiraient et prônaient : à côté de Fouché, Talleyrand se sentait un saint[56]. Tandis que, de Paris, le duc d'Otrante cherchait l'appui du prince de Bénévent, à Gand l'ancien évêque d'Autun n'était pas loin, pour rentrer en grâce, de se parer du titre, jadis peu affiché, d'ami de Fouché. Le bruit général était que celui-ci, destiné à une influence considérable sur les alliés, imposerait à la France le gouvernement qui lui conviendrait[57].

Il est vrai que, pour le moment, la négociation tentée par La Fayette échouait, ce qui n'était pas pour déplaire à l'homme qui l'avait jeté dans ce guêpier : berné, ballotté, renvoyé d'Hérode à Pilate, du tsar au roi de Prusse, le général ne donnait plus signe de vie à Paris. L'autre ambassade s'était d'abord livrée avec Wellington à des discussions sans résultats ni conclusions pratiques ; puis, sur la nouvelle que Louis XVIII était rentré en France et avait lancé de Cambrai la célèbre proclamation destinée a rassurer la nation, le général anglais avait déclaré que le roi lui paraissait désormais la seule solution acceptable, ajoutant que si un autre prince était choisi, la France devrait alors fournir aux alliés de plus fortes garanties, sous forme de cessions de territoires et de places fortes ; il avait, d'ailleurs, promis de conseiller au roi le maintien des Chambres et le respect des personnes compromises ; en attendant, il avait refusé tout armistice. Wellington avait répété la même chose à l'agent du duc d'Otrante, Macirone ; ces déclarations avaient été aussitôt rapportées par ce dernier à Fouché, qui, probablement, les avait accueillies sans déplaisir ; car il ne désirait certainement pas un armistice. Le noble lord avait, du reste, chargé l'agent de telles paroles que Fouché devait personnellement se sentir pleinement rassuré sur l'avenir. Il l'était moins dans le présent, l'irritation croissant contre lui au sein des Chambres et de la Commission, où il ne maintenait son influence que par un sang-froid allant jusqu'à l'effronterie. Cette situation ne pouvait se prolonger longtemps. Il avait donc songé à avoir de nouveau recours au maréchal Davout : il le faisait travailler par Vitrolles afin qu'il donna suite aux idées qu'il avait émises au conseil du 27 et dans sa lettre du 28, et qu'il se fit le premier l'auteur d'une proposition de capitulation de Paris et de restauration bourbonienne. Vitrolles, devenu l'homme à tout faire de Fouché, s'était rendu au quartier général. Le malheur fut qu'il y rencontra des députés que la Chambre avait envoyés près de Davout, ce qui donna lieu à une scène des plus violentes : la Chambre, mise en défiance, avait paru pour faire échec au duc d'Otrante, plus disposée qu'auparavant à proclamer nettement Napoléon II. La Commission, de son côté, s'était émue de l'incident ; Carnot avait vainement interpellé Fouché sur hi liberté qu'on laissait à Vitrolles, en dépit des décisions formelles du gouvernement ; sur les relations de l'agent de Louis XVIII avec le chef de l'armée ; le duc d'Otrante avait aigrement répondu qu'il n'avait rien à dire au nom du maréchal, et que, quant à lui, on n'avait qu'à l'accuser devant les Chambres, et qu'il s'y défendrait. L'homme qui avait bravé Robespierre et Bonaparte ne pouvait se laisser intimider par Carnot, qui se tut, n'ayant, du reste, aucun parti à opposer à celui de Fouché et aucune sanction à proposer aux paroles qu'il venait de faire entendre[58].

Malheureusement, le chef du gouvernement trouvait sur un autre terrain, le terrain militaire, des adversaires plus résolus. L'idée, insensée jusqu'à en être criminelle, de défendre Paris, quitte, si on n'y prenait pas la revanche de Waterloo, à s'enterrer sous les ruines de la capitale, semblait faire de rapides progrès, depuis que les soldats d'Exelmans et de Vandamme avaient remporté quelques avantages entre Paris et Versailles sur la cavalerie prussienne. Davout lui-même, sans être ébranlé dans ses idées de citoyen éclairé, hésitait entre les épouvantables conséquences qui devaient, tôt ou tard, résulter d'une action, même heureuse, sous les murs de Paris, et les chances d'une victoire glorieuse. La pensée d'être, entre les mains de Fouché, l'instrument de la restauration le séduisait peu. et il était humilié, inquiet et irrité des avances mêmes que lui faisait le président de la Commission dans un but facile à prévoir. Il se trouvait dans ces dispositions, quand il reçut, le 1er juillet, de Fouché, puis de la Commission, une convocation à se rendre dans son sein, pour une importante délibération[59].

La Commission avait beaucoup travaillé, la veille : le duc d'Otrante, comme toujours, lui avait dicté deux résolutions qui cadraient avec sa politique, sous couleur de mesures de sûreté publique. À la réunion du matin, le 30, on avait décidé que l'on aviserait à ce que les distributions de subsistances pussent être faites aux troupes derrière les lignes, afin que le soldat ne fût pas obligé de venir les chercher à Paris, mesure de discipline qui, par la même occasion, débarrassait Fouché, dans la personne des officiers, d'adversaires redoutables et incommodes ; par contre, le duc d'Otrante obtenait qu'on mit à la disposition de Masséna 10.000 fusils destinés à la garde nationale, dans laquelle Fouché, nous le savons, avait une confiance si marquée que, la veille, il lui avait confié sa propre garde[60].

Le 30, au soir, les plénipotentiaires envoyés à Wellington étaient rentrés à Paris, et le duc d'Otrante avait écouté la relation de leur ambassade avec un intérêt quelque peu affecté, puisqu'il en connaissait secrètement le résultat par Macirone[61]. Le président, qui avait eu, grâce à ce fait, le loisir de dresser ses batteries, avait alors décidé qu'il y avait lieu de communiquer le refus d'armistice et autres graves nouvelles, dans une réunion solennelle analogue à celle du 27. Outre les cinq membres de la Commission, les ministres et les bureaux des Chambres, on y convoqua les maréchaux Soult, Lefebvre, Masséna, les généraux Évain, de Ponthon et Decaux, les lieutenants de Davout. Fouché se chargea d'exposer les faits accomplis depuis le 21 juin, se bornant à une question : L'armée irait-elle à la rencontre de l'ennemi et lui livrerait-elle bataille ? Un des secrétaires de la Chambre, Clément du Doubs, un des amis de Fouché, se tournant alors vers les maréchaux, les pria de se prononcer. Masséna prit la parole, tuais il parla d'une façon inintelligible et sans conclure ; les autres se turent. Par contre, les secrétaires des pairs, Forbin-Janson et Thibaudeau, qui commençait, dans sa haine des Bourbons, à se séparer de son vieil ami Fouché, se montrèrent disposés à la résistance. Thibaudeau provoqua meule Davout, qui, ne voulant pas être en retard de courage avec des parlementaires, trompa soudain l'attente de Fouché, en se prononçant pour la bataille : J'ai 73.000 hommes pleins de courage et de patriotisme. Je réponds de la victoire et de repousser les deux armées anglaise et allemande, si je ne suis pas tué dans les premières heures. Le conseil parut alors ébranlé, encore que désorienté. Carnot lui-même, si peu disposé à faire le jeu de Fouché, se montra effrayé de l'immense responsabilité qu'on allait encourir. On s'arrêta à un nouvel atermoiement. Davout réunirait un conseil de guerre et délibérerait avec ses lieutenants[62].

L'échec que Fouché venait de subir était donc réparable. Il suffisait de rédiger de telle façon le questionnaire qui allait être soumis aux généraux, que les réponses qu'on y ferait partissent s'imposer. Elles furent, en effet, aussi décourageantes que pouvait le souhaiter le duc d'Otrante. Ce fut donc sans surprise, mais avec joie, qu'il les reçut dans la nuit du 1er au 2 et les transmit au matin à ses collègues. Ceux-ci s'inclinèrent, joués une fois de plus par leur président, et, lui cédant désormais la direction absolue des événements, consentirent ù confier officiellement à deux de ses agents personnels, Macirone et Tromelin, la mission d'aller porter à Wellington et Blücher, avec les conditions de la Commission, les conseils secrets de son président[63].

Ces journées si remplies avaient été naturellement fort agitées. Fouché sentait, de toute part, grandir l'opposition, et la fièvre s'emparer de tous les groupes ; sa position ne serait plus tenable cinq jours après ; il était assiégé de sollicitations, de récriminations et de menaces. L'opposition de la Chambre s'était assez ouvertement manifestée contre le duc d'Otrante en faveur de Napoléon II[64]. D'autre part, les partisans d'une dynastie libérale, du duc d'Orléans et même du prince d'Orange, s'il faut en croire une lettre de Fouché, l'obsédaient de leurs sommations[65]. Les royalistes, enfin, lui donnaient grand souci ; le comité d'action royaliste commençait à manifester son impatience de la sujétion où le tenait Fouché par Vitrolles et Pasquier ; on criait à la duperie, on ne ménageait guère le régicide ; les soldats royalistes, Macdonald, Oudinot, l'avaient vu de trop près, conseillaient de ne pas se laisser jouer. Heureusement pour le duc d'Otrante, un troisième royaliste de marque, le bailli de Crussol, un des amis du comte d'Artois, s'était joint à Vitrolles pour soutenir la politique de Fouché ; ils obtinrent grand'peine un nouvel ajournement à la tentative de coup de main[66]. Le duc d'Otrante se montrait particulièrement inquiet et irrité de l'attitude impolitique du groupe, qui pouvait tout gâter en allant trop vite et, pour ne s'en tenir qu'a ses projets personnels, lui dérober l'honneur et le fruit d'une restauration. Il se plaignait amèrement à leur coreligionnaire, la marquise de Custine, de ces imbéciles qui blessaient l'opinion[67], et à Pasquier, de ces maladroits de Gand qui le voulaient presser, au risque de le culbuter[68]. Ce n'était pas tout : malgré les mesures prises, fédérés et soldats remplissaient les rues de leurs violentes réclamations, démagogie boute prête aux pires excès[69] ; ils présentaient, du moins, un avantage pour Fouché, en faisant peur aux Chambres el à la Commission. qui n'eussent osé leur sacrifier le duc d'Otrante, et surtout en montrant aux royalistes, dans la personne de celui-ci, le seul homme capable, après avoir imposé aux membres de la Commission, du Parlement et de l'état-major la restauration de Louis XVIII, d'assurer au roi une entrée sûre, digne et calme dans Paris, en ce moment si agité. Il exploitait, des lors, cette situation pour arracher enfin au roi des promesses. Entrainant Macdonald, un des chefs royalistes, dans les salons des Tuileries, il le faisait témoin des récriminations, des menaces contre quiconque accepterait la Monarchie, sans la cocarde tricolore du moins. Ce sont des fous, disait-il ; mais il n'en prenait pas moins prétexte de ces scènes, pour insister près du maréchal, un des conseillers écoutés du roi, et le prier d'obtenir de Louis XVIII les concessions nécessaires. La plus essentielle, qu'il n'avouait pas, était son entrée au conseil. Il fallait, disait-il très liant, le drapeau tricolore : mais il entendait bien que, cette fois encore, le pavillon couvrirait la marchandise[70].

Le malheur était que, si Paris se montrait hostile i toute restauration, les alliés n'étaient pas unanimes non plus à y subordonner la paix. Blücher marchait sur la capitale, infiniment moins désireux que Wellington d'éviter la bataille. Le Prussien, gallophobe enragé, se souciait bien de la restauration de Louis XVIII et de l'entrée d'un Fouché au conseil, du drapeau blanc ou du drapeau tricolore ; ces fadaises le touchaient peu. Il était l'ennemi de la France, ni plus ni moins, aspirant à la décapiter en brûlant Paris, a l'écraser, à la démembrer ; là était le grand péril pour la capitale, et aussi pour la politique d'atermoiement de Fouché. Paris était menacé de totale subversion, il faut le dire et le répéter, car c'est aussi là que réside le service rendu à la patrie par le duc d'Otrante et le maréchal Davout dans la journée du 3 juillet. Ils sauvèrent Paris et la France. Si Paris ne fut pas, après une sanglante bataille, livrée en ville conquise aux soldats prussiens et à leur chef, alors ivre de vengeance ; si, par surcroit, Strasbourg, Metz, Nancy et Belfort restèrent à la France, c'est incontestablement à la fermeté, au sang-froid, intéressé sans doute, mais précieux, du duc d'Otrante qu'un pareil résultat est dû. Le général Tromelin, envoyé par lui à Blücher, était revenu à Paris dans la soirée du 2, après un complet échec près du feld-maréchal. Celui-ci avait déclaré qu'il ne reconnaissait aucun pouvoir légal aux Chambres et à la Commission, et qu'il ne traiterait pas avec des autorités que la coalition ne voulait pas reconnaître. Les Prussiens s'étaient alors établis sur les hauteurs de Meudon et de Sèvres, pendant que les Anglais s'approchaient de Saint-Cloud. Davout avait répondu à ce mouvement en prenant une solide position : la bataille sembla dès lors imminente, presque inévitable. Comment en calculer les conséquences ? En admettant même l'hypothèse d'un succès de Davout sous les murs de Paris, qu'eût valu cette victoire à la Pyrrhus qui devait laisser son armée, alors sans réserves, affaiblie, incapable de prolonger, la lutte contre les troupes sans cesse grossissantes de la coalition, Autrichiens, Russes, Allemands, sans parler des réserves de Blücher et de Wellington ? Une défaite passagère n'eût eu comme résultat, chez les soldats de Blücher, que d'augmenter leur rage. Dès lors. on pouvait craindre pour Paris, tôt ou tard envahi, des catastrophes auprès desquelles eussent pâli les exploits des Cosaques et des kaiserlicks de 1814 ; les excès même de juillet et d'août commis en pleine paix et sous les yeux de Louis XVIII, devaient plus tard amplement justifier l'effroyable anxiété dans laquelle Paris fut plongé en ces journées du 2 et du 3 juillet. Les vaincus d'Iéna jetés sur Paris, c'étaient nos monuments détruits, nos maisons envahies. les musées pillés, les Parisiens traités sans doute comme l'avaient été, en 1814, les paysans de Lorraine et de Champagne. C'était aussi, comme conséquence, le démembrement du pays dont on eût ainsi tenu la tête, le plan de Mufling d'avril 1815 réalisé, la France tout au moins amputée de deux ou trois provinces. Enfin, dernière conséquence, c'étaient les Bourbons rétablis dans d'odieuses conditions, faisant table rase des institutions et des hommes de la Révolution et de l'Empire, des libertés, des garanties de la nation, de la dignité, de la grandeur de la patrie. Le duc d'Otrante en devait frémir personnellement ; mais son intérêt alarmé était bien ici d'accord avec celui de la France tout entière[71].

Il était donc résolu à tout pour éviter un pareil conflit, gros de si effroyables conséquences. Il fit, dès le 3, décider l'envoi de trois nouveaux plénipotentiaires aux avant-postes prussiens ; l'habile homme ne désespérait pas d'apprivoiser le terrible feld-maréchal. Bignon, le général Guillemot et le préfet de Bondy étaient porteurs de trois projets de capitulation, dont le plus onéreux, qu'on ne devait proposer qu'a toute extrémité, impliquait la remise de Paris aux alliés, la retraite de l'armée française au delà de la Loire et la protection de la capitale confiée à la garde nationale[72]. Pour se couvrir encore aux yeux de la nation, car Carnot et Grenier n'avaient signé qu'en frémissant ces humiliantes propositions, le duc d'Otrante ordonna aux négociateurs de passer aux avant-postes de Davout. Celui-ci, après un coup d'œil jeté sur les positions de l'ennemi, dut reconnaitre que le seul parti à prendre était de traiter à tout prix. Il avait raison, comme Fouché, encore que plus désintéressé dans ses motifs. Les négociateurs devaient éprouver eux-mêmes la surexcitation haineuse des Prussiens : encore que couverts de l'humanité des parlementaires, les trois hommes éminents qui s'en allaient vers le vainqueur furent maltraités par le général Ziethen aux avant-postes. Blücher cependant, que flattait une démarche faite près de lui sans l'intermédiaire de Wellington, accueillit avec plus d'égards les plénipotentiaires, mais n'agréa que le troisième projet, d'accord avec le généralissime anglais survenu au cours de la discussion. Les débats ne portèrent donc que sur les points secondaires : les alliés consentaient à laisser Paris entre les tanins de la garde nationale et affectaient de se désintéresser de la question politique, ce que le duc d'Otrante désirait avant tout. En outre, on stipula d'une façon qui paraissait définitive le respect des propriétés et des personnes, excepté ce qui avait rapport à la guerre, terme ambigu qu'on affecta chez les négociateurs français de ne croire appliqué qu'au matériel de guerre. Le duc d'Otrante avait cru devoir insister sur ce point spécial : l'article 12, qui stipulait qu'aucun individu ne serait recherché ni inquiété en rien relativement aux fonctions qu'il occupait ou aurait occupé, à sa conduite et à ses opinions politiques, semblait évidemment capital au chef du gouvernement. A lui seul, l'article 12 devait faire accepter toute la capitulation à la Commission, aux Chambres et à l'état-major ; à toute cette masse d'anciens membres de la Convention, d'anciens fonctionnaires el, généraux de Bonaparte, sur lesquels pesaient tant de souvenirs compromettants aux yeux des Bourbons ; l'article semblait mettre ainsi ce monde de la Révolution et de l'Empire sous la protection des alliés, engagés, au sens de Fouché, par leur parfile. a contenir les haines, les rancunes, les vengeances de la dynastie sous peu restaurée.

Cette capitulation, après tout, était triste, mais acceptable. Portée devant les Chambres sous le nom de convention — le duc d'Otrante excellait à ces petites, mais utiles, habiletés de mots —, défendue par lui, elle fut accueillie sans défaveur et approuvée sans difficultés[73]. L'armée devait être sur-le-champ éloignée, les alliés entreraient pacifiquement à Paris le 6. L'exaspération de la population et de l'armée parut extrême ; le duc d'Otrante fut qualifié de traitre, car il eu faut un aux fureurs de la rue[74]. Par contre, la bourgeoisie libérale et l'aristocratie royaliste. les négociants et les hommes de loi, beaucoup de fonctionnaires et de parlementaires n'étaient pas loin de le proclamer leur sauveur, car on avait eu très peur ; cette reconnaissance devait éclater aux élections d'août, faire de Fouché un député de Paris. Le duc d'Otrante surveillait, du reste, l'armée et la rue le 3, au soir, il taisait entourer étroitement le gouverneur de Vincennes, accusé de préparer un mouvement, et, le 4 au matin, faisait charger Davout de prendre des mesures pour empêcher toute manifestation ; il essayait de gagner la troupe par des distributions d'argent, la Commission disposant maintenant d'une somme de deux millions, empruntés aux banquiers Perrégaux et Laffitte, clients de Fouché[75] ; en même temps, on accablait de félicitations au Moniteur l'armée, les fédérés, la garde nationale[76]. Cette dernière devenait, d'ailleurs, l'objet des soins empressés de la Commission ; son commandant, Masséna, était invité à prendre toutes les mesures que réclamait la tranquillité de la capitale, et le duc d'Otrante, plein de confiance en cette vieille amie, lui laissait la garde des Tuileries, en la faisant renforcer, pour plus de sûreté, de cinquante gendarmes[77].

Il essayait également de désarmer tous les partis. Les bonapartistes accusaient couramment Fouché d'avoir voulu livrer Napoléon aux alliés ; le 4, la Commission répondait à cette accusation sans fondements en pressant l'Empereur de s'embarquer pour prévenir tout coup de main à ses dépens[78]. Le souverain déchu allait en effet s'éloigner vers l'exil, en jetant à Fouché l'anathème suprême : J'aurais dû le faire pendre, je laisse ce soin aux Bourbons[79]. Mais le duc d'Otrante, oublieux de l'injure, faisait, pendant ce temps, restituer à Caroline Bonaparte et à Murat leurs biens confisqués, manifestation de sympathie à une branche de la famille impériale, dont d'autres membres, Jérôme, Elisa, restaient les amis de Fouché[80]. Celui-ci ne ménageait pas moins les royalistes, car, le 5, des partisans de Louis XVIII ayant essayé de soulever le peuple, et ayant été arrêtés par la garde nationale et traînés à la préfecture de police, avaient été relaxés, quelques heures après, par ordre supérieur[81].

Le duc d'Otrante agissait seul en tout cela. La Commission agonisait : son chef estimait qu'elle ne pouvait survivre à l'entrée des alliés dans Paris. Elle était désemparée, attaquée de toute part ; Fouché en prenait la défense, la justifiait, en vantait les services et les efforts impuissants dans un message aux Chambres[82]. Dans une proclamation aux Français, le duc d'Otrante parlait plus haut encore. Dans les circonstances difficiles où les rênes de l'État nous ont été confiées, écrivait-il, il n'était pas en notre pouvoir de maitriser le cours des événements et d'écarter tous les dangers ; mais nous devions défendre les intérêts du peuple et de l'armée, également compromis dans la cause d'un prince abandonné par la fortune et la volonté nationale. Et rendant compte du mandat qu'on lui avait confié, le chef du gouvernement déclarait avoir sauvé Paris et l'armée, pacifié l'Ouest et constamment marché d'accord avec la représentation nationale. Nous recevrons enfin, ajoutait-il, les garanties qui doivent prévenir les triomphes alternatifs et passagers des factions qui nous agitent depuis vingt-cinq ans, et confondre sous une protection commune tous les partis qu'elle a fait naître et tous ceux qu'elle a combattus[83]. Ces phrases soulevèrent un vif incident à la Chambre des pairs, où Thibaudeau demanda des explications qui ne lui furent pas données[84]. Le duc d'Otrante sembla peu se préoccuper des critiques de son vieil ami, aussi peu que des reproches de La Fayette, revenu un jour trop tard de cette fameuse mission à laquelle Fouché avait dû de pouvoir écarter de la scène politique cette gênante personnalité.

Le président de la Commission ne semblait pas non plus disposé à s'offrir en butte aux récriminations de ses collègues ; il ne paraissait plus aux Tuileries[85], où Carnot présidait une commission sans rime ni raison d'être, promettant vaguement aux Chambres de veiller et de maintenir l'ordre[86]. Mais le Moniteur du 7 contenait déjà, à côté de cette lettre de Carnot, deux proclamations de Louis XVIII[87]. Le journal officiel était entre les mains de Fouché. C'est qu'il cette date du 7, celui-ci se trouvait bien être encore le collègue de Carnot et de Caulaincourt dans la Commission de gouvernement, primitivement destinée à préparer le retour de Napoléon II : mais l'ancien conventionnel avait un autre titre : il était, depuis la veille, le ministre secrétaire d'État du Roi Très-Chrétien.

Il l'était devenu à la suite de négociations fort remarquablement conduites. Pendant que le duc d'Otrante s'occupait de régler par la capitulation du 's le sort de Paris et d'assurer la fin des hostilités, il entamait et poursuivait d'autres négociations relatives au futur gouvernement. Dès le 4, l'actif agent Macirone avait quitté Paris derechef pour aller trouver Wellington, porteur du verbe de Fouché ; il avait rencontré à Gonesse le général anglais, en compagnie de divers ministres alliés et de Talleyrand. Le noble lord avait déclaré à l'agent secret que le gouvernement de Louis XVIII était décidément le seul possible, le seul acceptable ; il fallait réinstaller le roi aux Tuileries, Talleyrand se portant, du reste, garant que Louis XVIII n'y apparaîtrait qu'avec les meilleures intentions. L'agent de Fouché fut chargé de convier son patron à une conférence qui pourrait avoir lieu le lendemain à Neuilly ; Wellington s'y entendrait mieux que par intermédiaires avec le duc d'Otrante, à qui on tiendrait compte assurément des services qu'il avait rendus[88]. Fouché ne pouvait hésiter, mais c'était là une démarche d'une extrême hardiesse qui, surprise et dénoncée, pouvait encore, dans l'état des esprits à Paris, tourner fort mal pour lui. Il ne trouva donc rien de mieux que de se faire investir d'une mission officielle ; ayant mis, le 5 au matin, la malheureuse commission en face de la situation politique, il s'était fait donner par ses collègues l'autorisation de se rendre à Neuilly pour négocier avec les Bourbons, par l'entremise de Wellington, les conditions de leur retour[89]. Pour se couvrir encore, il s'était fait adjoindre un jeune homme d'État bien vu des libéraux, Molé, et un membre de la Chambre, qui fut naturellement Manuel. Fouché avait rencontré à Neuilly, outre Wellington, Talleyrand et Pozzo di Borgo, persuadés tous qu'ils auraient, avec une promesse vague et quelques Flatteries, bon marché d'un homme d'État qu'ils croyaient fort désemparé. Ils en avaient dû déchanter, Fouché ayant trouvé habile de le prendre de haut ; il avait exagéré l'extrême difficulté, reconnue de tous, qu'auraient les Bourbons à rentrer à Paris, et longuement disserté sur ce point ; l'armée se retirait, mais non sans peine, exaspérée, prête au premier signal à revenir sur ses pas ; la population de Paris était humiliée, irritée, mal disposée pour l'ancienne dynastie ; la garde nationale elle-même ne se prêterait pas volontiers à ce qu'on attendait d'elle, et les chambres étaient forcément hostiles. Le duc d'Otrante se montrait soucieux au delà de toute mesure : il se gendarma même, parut froissé qu'on eût compté sur lui pour livrer Bonaparte, ce qu'avait insinué Wellington. En ce qui concernait Louis XVIII, le duc d'Otrante assurait que le roi ne pouvait entrer à Paris, s'il ne couvrait, par une déclaration nouvelle, toutes les personnes compromises, s'il n'accordait les couleurs nationales, faute de quoi il faudrait certainement la force des baïonnettes pour l'installer aux Tuileries. Du ministère, pas un mot. La discussion dura jusqu'à quatre heures du matin. Au dire de Wellington, Fouché ne se retira qu'à l'aube, promettant de s'assurer dans la matinée de ce qu'on pourrait faire, en faveur de Louis XVIII, dans les Chambres. et de revenir dîner chez le noble lord avec le prince de Talleyrand. A croire Pozzo di Borgo, la raideur de Louché, son exactitude à transmettre, comme des conditions sine qua non .les desiderata de la Chambre, de la Commission, des libéraux tenaient à la présence de Manuel et de Molé. En réalité, il y avait d'autres motifs à cette attitude d'une rigidité, certes, bien inattendue des ministres de la coalition comme des amis de Louis XVIII, car si le duc d'Otrante laissait les uns et les autres fort déçus et très mécontents, il ne leur avait pas moins démontré qu'il fallait à tout prix le conquérir, mais qu'on ne l'achèterait pas avec de vagues promesses et de bonnes paroles[90].

Rentré à Paris le 6, au matin, Fouché rendit compte à ses collègues de ce qui s'était passé, en bon citoyen qui a su allier la fermeté du patriote à la conscience de l'homme d'État intègre. Devant les résistances des amis du roi, la majorité de la Commission parut alors disposée à une résolution désespérée ; Quinette, Grenier et Carnot demandèrent que le gouvernement se retirât avec l'armée, les Chambres, et transportât au delà de la Loire le siège de la résistance. Mais ce voyage en Touraine plaisait très peu au duc d'Otrante, qui, soutenu par Caulaincourt, lit décider qu'on donnerait suite aux négociations[91]. Seulement, pour prouver aux hommes d'État de Neuilly les difficultés de la situation, il fit voter par la garde nationale, sur laquelle, on le sait, son influence était grande, le maintien de la cocarde, tricolore, et acclamer de nouveau par les Chambres les principes de 1789, sous la forme d'une solennelle proclamation[92].

Pendant que le rusé politicien travaillait, dans Paris, à créer des difficultés, pour se faire donner par les amis du roi mission de les vaincre, Fouché devenait, de jour en jour, plus populaire dans l'entourage de Louis XVIII ou passait pour plus nécessaire. Sa fermeté chez Wellington avait déplu, mais impressionné ; ni Talleyrand ni Wellington n'entendaient faire rentrer le roi aux Tuileries à coups de canon. A Arnouville, où Louis XVIII venait d'arriver, on se montrait, en général, disposé à passer par toutes les exigences personnelles de Fouché. Nous avons vu à quel point, quelques semaines avant, le ministre de Bonaparte était prisé autour du roi à Gand. Wellington l'appuyait maintenant de toutes ses forces, séduit par ses conceptions, et l'opinion du vainqueur de Waterloo pesait singulièrement plus dans la balance que l'antipathie de Pozzo di Borgo contre Fouché[93]. Wellington conseillait de gagner le duc d'Otrante, entretenait déjà Talleyrand, le 4, du portefeuille qu'il uni fallait confier. Il n'y avait que la protection de cet homme qui put faire rentrer le roi à Paris sans l'appui des alliés, écrivait le général anglais à Dumouriez, et le noble lord se repentait si peu, quelques mois plus tard, de cet avis, qu'il ajoutait que c'était à ce conseil que le roi devait sa restauration tranquille et digne[94]. Il rappelait, du reste, à son correspondant combien ce conseil avait rencontré peu d'opposition, dans les premiers jours de juillet, et à quel point les conseillers du roi avaient paru facilement persuadés que la nomination de Fouché était nécessaire à ce moment[95].

Le fait est que, antérieurement même aux conférences de Neuilly, le nom du duc d'Otrante avait été murmuré, colporté et enfin prononcé devant le roi ; l'ancien ministre devait rallier, disait-on, à Louis XVIII un groupe important et faciliter la restauration[96]. A Gand, déjà, les gens qui, comme Chateaubriand et Beugnot, se montraient foncièrement hostiles à Fouché, n'osaient plus parler[97] ; le duc d'Otrante y avait des amis personnels : son ancien voisin, de Jaucourt, son élève de l'Oratoire, de Saint-Cricq, sans parler de Mme de Vitrolles et des amis du comte d'Artois. Au moment où la petite cour avait franchi la frontière, se grossissant tous les jours des nouveaux venus, restés en France pendant les Cent-Jours, l'opinion s'était prononcée nettement pour le duc d'Otrante. Chacun citait un service rendu, une grâce obtenue, une vie sauvée, tout le faubourg protégé contre les colères de l'ogre de Corse. On vit un étrange concert ; tout s'en mêla, écrivait Chateaubriand, la religion comme l'impiété, la vertu comme le vice, le royaliste comme le révolutionnaire, l'étranger comme le Français ; je n'ai jamais vu un vertige plus étrange. On criait de toute part que, sans le ministre proposé, il n'y avait ni sûreté pour le roi, ni salut pour la France[98]. L'un rappelait sa politique vis-à-vis de la Vendée, préservée par sa prudente intervention d'un inévitable écrasement. Les amis des Maladie, Flavigny et autres gentilshommes, employés naguère à celte grande œuvre, ceux de Suzannet et d'Autichamp, désireux d'excuser la trêve de mai 1815, avaient tous intérêt à représenter le duc d'Otrante comme ayant, en ces circonstances, servi la cause du roi ; d'autres, les amis de Dambray, Séguier, Pasquier, d'André, Lévis, Vitrolles, vantaient la clémence dont le ministre avait, contre le gré de l'usurpateur, usé vis-à-vis de ces bons serviteurs du roi. Quelques nouveaux venus avaient des motifs moins avouables de ménager Douché ; celui-ci, s'il faut en croire Gaillard, aurait pu, à l'occasion, exercer sur certains d'entre eux ce que nous appellerions un véritable chantage, ayant entre les mains des preuves de leur trahison d'intention ou de fait vis-à-vis de ce roi, qu'ils accouraient saluer, après avoir offert, trois mois avant, leurs services à Bonaparte. Pasquier n'était pas le seul dans ce mauvais cas[99].

Ce ne fut cependant qu'à Arnouville et Saint-Denis qu'on vit éclater l'étrange et monstrueuse popularité de l'ancien proconsul au sein du parti contre-révolutionnaire ; quelques jours encore avant l'arrivée à Arnouville, Clarke déclarait à Rochechouart qu'il espérait voir le roi repousser un tel ministre[100] ; Gaillard lui-mente semble croire qu'a Cambrai Louis XVIII ne songeait pas à appeler dans ses conseils l'ex-conventionnel[101]. Aussi bien, le duc d'Otrante n'avait pas encore fait à ses confidents l'aven de cette étrange prétention ; Gaillard, Vitrolles et Pasquier, mêlés aux négociations de juin et juillet 1815, sont d'accord sur cc point : Fouché les trompa, connue c'était son habitude, en affichant cette grande lassitude des affaires dont il avait si souvent joué depuis vingt ans. A l'entendre, il n'attendait rien du roi que l'oubli et le pardon. Vitrolles et Pasquier[102] assurent qu'ils y furent pris, lièrent partie avec l'ancien proconsul, sans songer une minute que la reconnaissance du roi pût jamais aller jusqu'a appeler Fouché au ministère. A en croire même Gaillard, le duc d'Otrante se laissait prier[103] ; le faubourg Saint-Germain le venait supplier d'accepter, le cas échéant, le ministère ; il passait au rang d'homme providentiel[104].

 A Arnouville, puis Saint-Denis, le parti faisait rage. Tout le faubourg ne jurait que par M. Fouché, disait Talleyrand à Pasquier[105] ; tout ce qui est parvenu de lettres et d'émissaires au roi et aux princes depuis quinze jours n'a parlé que de lui et des grands services qu'il rendait à la cause royale. Pasquier en restait abasourdi, Vitrolles aussi, constatant qu'il n'y avait qu'un cri pour appeler Fouché au ministère[106]. Les gens hostiles comme les favorables, Chateaubriand comme Wellington, Beugnot comme Barante, Guizot, Pasquier, Rochechouart. Pozzo di Borgo, Vitrolles, Gaillard, tous plus ou moins mêlés à ces curieux incidents, sont unanimes sur ce singulier engouement. Les dames s'en mêlaient ; Mme de Custine restait dans la coulisse — elle essaya en vain de gagner Chateaubriand —, mais la princesse de Vaudémont agissait[107] ; puis on vit arriver la duchesse de Duras et bientôt la comtesse de Narbonne, douairières impeccables, qui voulaient Fouché au quai Voltaire et devant lesquelles Louis XVIII devait capituler[108]. Mais le grand étonnement pour tous fut de voir se prononcer nettement, hautement, avec exaltation, en faveur du régicide, le bailli de Crussol, qui, naguère encore, représentait près du comte d'Artois les rancunes, les préjugés et les haines les plus tenaces contre la Révolution. Le vieux gentilhomme accourut de Paris pour demander au roi d'appeler au ministère l'ancien conventionnel[109], et comme Beugnot, fort hostile à cette étrange candidature, lui exprimait son douloureux étonnement : Que voulez-vous, répondit l'ancien garde du corps, Fouché nous a tous préservés depuis le départ du roi ; c'est à lui seul qu'on doit que Vitrolles n'ait pas été fusillé, et, au fond, quels sont en France les ennemis de la famille royale ? les jacobins ; eh bien ! il les tient dans sa main, et, dès qu'il sera au roi, nous dormirons sur nos cieux oreilles. Mon cher Beugnot, nous sommes vieux dans le faubourg Saint-Germain, nous avons tous souffert, il nous faut du repos. Le digne homme qui, étrange ironie, devait mourir quelques jours après, résumait bien la situation. D'autres que lui, du reste, et de grand poids, affirmaient la nécessité absolue de prendre cet homme providentiel. Macdonald, qui avait jadis honni Fouché ; Hyde de Neuville, qui avait souvent été sa victime, vinrent, eux aussi, déclarer que le roi ne franchirait pas les barrières de Paris avant d'avoir nommé Fouché. Le comte d'Artois, enfin, fit une démarche en faveur du régicide près du roi sou frère. Naturellement, le parti constitutionnel, moins entiché de l'homme, se résignait facilement à recevoir des mains de la coterie ultra ce singulier présent. Que voulaient ces modérés ? des concessions aux principes de 1789, des sacrifices à la Révolution, des garanties pour les hommes qui s'y étaient compromis, l'assurance qu'il n'y aurait ni réaction ni contre-révolution ; l'entrée de Fouché au conseil valait, semblait-il, à tous égards le plus éclatant des engagements ; le baron Louis, qui avait beaucoup connu le duc d'Otrante sous l'Empire ; Parquier, qui en avait un peu peur ; Talleyrand, qui s'en voulait servir, l'appuyèrent[110].

Entre tant d'influences, le roi ne pouvait pas longtemps hésiter, surtout lorsque, après les conférences de Neuilly, Wellington fut venu jeter dans la balance l'épée de Waterloo[111]. Au surplus, si Louis XVIII hésitait, c'était assurément plus sur l'opportunité du choix que sur l'immoralité du fait. C'était un esprit sceptique, assez froid, chez qui le sentiment de famille joua constamment un fort petit rôle. L'attendrissement mélodramatique de Chateaubriand l'aveuglait, lorsqu'il prenait en pitié l'infortuné monarque entraîné à ce choix[112] ; le loyalisme de Beugnot ne l'abusait pas moins, lorsqu'il voyait des larmes dans les yeux du roi, signant le lendemain la nomination du régicide[113]. Il dut accepter d'un cœur léger la nécessité de prendre pour ministre l'homme du 21 janvier, quand cette nécessité lui eut été démontrée. Le Parisien bien informé qu'était Véron le pensait, comme le grave Guizot[114]. Puisque Wellington, parlant au nom de l'Europe, Crussol, interprète. avec les douairières, des sentiments du faubourg, le comte d'Artois, chef de la famille, Talleyrand, représentant la politique, voulaient tous l'homme au ministère, le frère de Louis XVI s'y résignait sans combat. La première conférence de Neuilly avait démontré que Fouché seul pouvait agir efficacement et que, dans tous les cas, sa soudaine hostilité suffirait à tout compromettre.

Louis XVIII était donc décidé, lorsque, le 6 au soir, le prince de Talleyrand quitta Arnouville pour Neuilly, on Wellington l'avait convié à diner avec le duc d'Otrante. En présence de Vitrolles, le prince prit congé du roi. Faites tout ce que vous croirez utile à mon service, lui dit celui-ci ; seulement ménagez-moi. C'est mon p...[115] Ce dernier propos prouve que le Roi Très-Chrétien savait parler en roi très gaulois et, ce qui est plus intéressant, ne semblait pas éprouver, devant cette décision, cette immense tristesse que lui 'frétait quelques jours après le loyalisme ingénu du comte Beugnot.

Il va sans dire que Talleyrand trouva Fouché fidèle au rendez-vous. Le duc d'Otrante, toujours désireux de faire valoir ses services en noircissant la situation, fit connaître la résolution prise le jour même par la garde nationale, la déclaration solennelle de la Chambre, les résistances de la Commission, la surexcitation de Paris. Il ajouta que le retour de La Fayette augmentait lés difficultés ; ses compagnons d'ambassade et lui affirmaient que les puissances alliées semblaient n'attacher aucun intérêt spécial à la restauration de Louis XVIII ; le duc d'Otrante s'était muni de leur rapport et en donna lecture. Wellington en contestait la véracité et en discutait les conclusions, quand survinrent Talleyrand, Pozzo di Borgo et lord Stuart. Le débat se poursuivit à table, et, après le dîner, Castlereagh étant par surcroît venu se joindre aux autres ministres, Fouché reconnut que La Fayette et ses collègues avaient pu se tromper, mais affirma que leur témoignage n'en impressionnait pas moins le gouvernement de Paris, ce qui, joint à tant d'autres circonstances, rendait la situation mauvaise pour Louis XVIII. Il ne tira pas la morale de la fable : c'est qu'il fallait pour menue fin ii cette situation et tout mener à bien un homme ferme, habile, influent et plein d'une bonne volonté qui ne saurait se paver un trop haut prix. Cette conclusion s'imposait, car, incontinent, Talleyrand se décida à faire a son ancien collègue une offre ferme. Laissant de côté les questions d'ordre sentimental, Déclaration des droits de l'homme, couleurs nationales et autres fadaises, il lui proposa l'amnistie pleine et entière pour ses amis, et pour lui le portefeuille de la Police dans le ministère en voie de formation. Le duc d'Otrante ne joua pas la comédie des scrupules, des hésitations et des dédains ; il lie demanda pas, suivant hi formule des crises ministérielles, le temps de réfléchir et de consulter ses amis, car il y avait longtemps qu'il y réfléchissait, et, quant à ses amis, en ayant dans trois ou quatre camps politiques, il n'avait pas le loisir de les sonder. Il accepta sans cérémonie. Sur-le-champ n'élue, habitué qu'il était a être l'homme prépondérant partout, il saisit une plume et écrivit, avec le programme qu'il imposait au cabinet, une lettre que la Commission serait censée avoir écrite au roi, pour se déclarer dissoute, et sur laquelle nous reviendrons[116].

A neuf heures du soir, tout étant convenu, le nouveau ministre de la Monarchie Très-Chrétienne monta dans la voiture du prince de Talleyrand et se rendit avec lui à Arnouville. Leur arrivée produisit une très vive impression, à laquelle se mêlait chez les uns un réel sentiment d'indignation et de tristesse, chez les autres une singulière joie et comme un soulagement sans bornes. Le duc d'Otrante fut alors présenté au frère de Louis XVI. L'entrevue fut assez cordiale ; Fouché, un peu troublé, assure Pasquier, balbutia quelques remerciements et affecta une attitude modeste ; le roi parut avoir tout ignoré, oublié : le 2. 1. janvier, Lyon et le 20 mars. Après quelques mots échangés, Fouché reprit le chemin de Paris[117].

Il n'était pas sans appréhension sur l'accueil qu'allaient faire ses collègues de la Commission à ce gros événement. Il les convoqua le lendemain, leur avoua qu'il avait accepté le ministère pour sauver, assura-t-il, les hommes de la Révolution et de l'Empire, ce qui ne putt désarmer la colère indignée de Carnot. Devant la violente sortie de son collègue, Fouché, sentant la situation embarrassante, songeait à demander à la Commission de se dissoudre, quand un incident qu'il n'avait pas sans doute été sans prévoir, s'il ne l'avait pas provoqué, vint mettre lin à la position bizarre où il se trouvait. On vint annoncer que les troupes étrangères envahissaient les Tuileries et tentaient d'occuper le château lui-même. Fouché saisit la balle au bond sur sa proposition, la Commission décida qu'elle ne pouvait siéger plus longtemps. Ces gens n'étaient pas des sénateurs de la Rome antique, et leur chef livrait lui-même le Capitule au Brennus. La Commission, avant de se séparer, décida qu'il serait adressé un message au prince d'Essling et à la garde nationale, aux Chambres et aux ministres[118]. Ce message était ainsi conçu : Jusqu'ici nous avions dû croire que les intentions des souverains alliés n'étaient point unanimes sur le choix du prince qui doit régner sur la France. Nos plénipotentiaires nous ont donné la même assurance à leur retour. Cependant les ministres et généraux des puissances alliées ont déclaré hier, dans les conférences qu'ils ont eues avec le président de la Commission, que tous les souverains s'étaient engagés à replacer Louis XVIII sur le trône, et qu'il doit faire ce soir son entrée dans la capitale. Les troupes étrangères viennent d'occuper les Tuileries où siège le gouvernement. Dans cet état de choses, nous ne pouvons plus que faire des vœux pour la patrie, et, nos délibérations n'étant plus libres, nous croyons devoir nous séparer. Beaucoup de royalistes virent dans ce message, signé du seul duc d'Otrante, un acte d'étrange perfidie vis-à-vis des Bourbons ; Chateaubriand va jusqu'à prétendre que, dans cette pièce imprimée et répandue à profusion, on lisait des phrases fort graves qui plus tard en disparurent, notamment que les honnêtes gens forcés de s'éloigner devaient garder leurs bonnes intentions pour de meilleurs jours. Le seul fait de représenter la dynastie comme imposée par l'étranger était, d'ailleurs, chez un homme qui, la veille, venait d'en accepter un portefeuille, un acte d'indélicatesse, frisant la trahison il semblait vraiment qu'à peine au service des Bourbons, l'infatigable ourdisseur de tant de trames songeai à donner des gages ci des arguments à l'opposition du lendemain, des armes aux adversaires du régime[119].

Mais ce qui devait surtout soulever dans deux groupes fort différents une très vive indignation, ce fut la fameuse lettre du 7 janvier que le duc d'Otrante adressait à Louis XVIII, comme président de la Commission et parlant en son nom. Cette lettre mériterait d'être citée tout entière. Le retour de Votre Majesté, écrivait le président de la Commission, ne laisse plus aux membres du Gouvernement d'autres devoirs à remplir que celui de se séparer. Je demande, pour l'acquit de ma conscience personnelle, à lui exposer fidèlement l'opinion et les sentiments de la France. Et entourées de flatteries délicates à l'adresse du roi, c'étaient de dures vérités sur la première restauration, les entreprises de la cour, les prétentions de ceux qui avaient suivi le roi dans l'adversité, le mépris où l'on avait tenu les droits du peuple ; c'étaient aussi de sinistres prophéties, en cas de retour à de pareils errements. La France, comme la première fois, sera incertaine dans ses devoirs ; elle aura à hésiter entre son amour pour la patrie et son amour pour le prince, entre son penchant et ses lumières. Son obéissance n'aura d'autre base que sa confiance personnelle dans Votre Majesté ; et si cette confiance suffit pour maintenir le respect, ce n'est pas du moins ainsi que les dynasties s'affermissent et qu'on en écarte les dangers. Sire, Votre Majesté a reconnu que ceux qui entraînent le pouvoir au delà de ses limites sont peu propres à le soutenir, quand il est ébranlé ; que l'autorité se perd elle-même dans le combat continuel qui la force de rétrograder dans ses mesures ; que moins on laisse de droits a un peuple, plus sa juste défiance le porte a conserver ceux qu'on ne peut lui disputer, et que c'est toujours ainsi que l'amour s'affaiblit et que les révolutions se préparent... Sire, Votre Majesté ne peut attendre les événements fâcheux pour faire des concessions. C'est alors qu'elles seraient nuisibles a votre intérêt et peut-être même plus étendues qu'aujourd'hui ; aujourd'hui, les concessions rapprochent les esprits. pacifient et donnent de la force à l'autorité royale ; plus tard, les concessions prouveraient sa faiblesse, c'est le désordre qui les arracherait, les esprits resteraient aigris[120].

Cette lettre, signée de l'homme que le parti ultra venait d'imposer au roi, était d'une inconcevable hardiesse, mais d'une incontestable habileté. Couvrir la dissolution forcée et humiliante de la Commission d'un voile de soumission volontaire et loyale au nouveau gouvernement, c'était attribuer rétrospectivement à Fouché et à ses collègues cette autorité légitime que certains partisans de Louis XVIII leur avaient toujours contestée ; à un point de vue plus personnel, c'était aussi décharger l'auteur lui-même de la lettre, aux yeux des amis de Bonaparte et de la Révolution, d'une grave responsabilité, en laissant croire, car la lettre fut répandue, imprimée, lue et commentée, que des boulines comme Caulaincourt et Carnot s'étaient associés à cette démarche. Dicter, d'autre part, avec une pareille netteté, une pareille hauteur et comme au nom de la nation, des lois et une politique a la monarchie restaurée, lui donner des leçons et lui montrer les abîmes, c'était vraiment s'attribuer, au sein du nouveau gouvernement, une immense importance, s'y faire dès l'abord le champion des droits de la nation et le protecteur, vis-à-vis de la monarchie, d'un pays trop longtemps opprimé. Dénoncer les excès de la réaction de 1814, essayer de prévenir ceux de la contre-révolution que préparait le parti ultra, c'était se dégager nettement, brusquement, du patronage compromettant des Vitrolles et des Crusse Défendre enfin contre eux la Révolution et ses derniers restes, c'était affirmer une fois de plus que les circonstances et les hommes changeaient, mais que le ministre du roi légitime ne renierait jamais la Révolution et n'abandonnerait pas la nation. Tout cela était dit sur un style qui imposait ; Manuel, disait-on, y avait collaboré.

Les amis de Louis XVIII restèrent stupéfaits lorsque la lettre se répandit. De leur côté, les membres de la Commission ne voulurent pas se faire complices, même par leur silence, de cette grandiose palinodie. Dès le 8, ils adressaient à leur ancien président une lettre collective, protestant qu'ils ne l'avaient jamais autorisé à parler en leur nom. Ils priaient le duc d'Otrante d'insérer au Moniteur le seul message où les sentiments de la Commission étaient exprimés. Fouché protesta, car il n'aimait pas rompre, qu'il y avait la un pur malentendu, qu'il avait parlé en son propre nom, promit de faire insérer le message, s'en fit refuser l'insertion par Vitrolles, chargé, dès le 8, de la surveillance du Moniteur, et esquiva ainsi toute rectification[121].

Les ministres coalisés, de leur côté, s'étaient émus et du message et de hi lettre. Ils se considéraient et regardaient le roi comme joués par l'intrigant. Pozzo di Borgo entraina Castlereagh et Wellington chez Talleyrand, et y protesta contre ce qu'il appelait l'imposture la plus éhontée que Fouché lui-même eût encore inventée. Talleyrand n'était pas homme à se scandaliser de si peu. Il n'était pas l'ache que les Bourbons, qu'au fond il n'aimait guère, reçussent des leçons. Il répondit évasivement et parut en somme approuver ce que Pozzo di Borgo appelait dans son rapport du 8 à Nesselrode la conduite noire et criminelle du duc d'Otrante[122].

Il était, du reste, trop tard pour s'en venger. Plus que jamais, Fouché s'imposait. Il avait tout compliqué, compromettant les Bourbons dans le message, les accablant dans sa lettre ; mais il était déjà ministre, il eût fallu le révoquer. Des le 7, aussitôt après la dissolution de la Commission, le duc d'Otrante avait quitté les Tuileries et gagné Saint-Denis, on le roi avait passé la nuit. Avant de quitter Paris, il avait au préalable pris une précaution, car il était homme avisé ; n'oubliant jamais rien, il avait donné ordre à son vieil ami, le général Henry, de placer un piquet de gendarmerie à la porte de son hôtel de la rue Cérutti pour le préserver d'un coup de main des alliés... et peut-être de toute perquisition indiscrète[123].

A Saint-Denis, il avait été accueilli en triomphe, en vainqueur, en sauveur. Dans la journée, le roi avait signé l'ordonnance nommant le duc d'Otrante secrétaire d'État au ministère de la Police générale[124]. Beugnot, qui exerçait près du roi les fonctions de secrétaire d'État provisoire, reçut des mains de Talleyrand l'ordonnance manuscrite et l'alla porter au roi ; il était si confus, si furieux de cette mission, dit-il, qu'il réserva pour la dernière signature l'acte qui lui paraissait frapper d'infamie la rentrée du roi dans sa capitale. À l'en croire, Louis XVIII montra une vive émotion, hésita, murmura : Malheureux frère, si vous me voyez, vous m'avez pardonné ! et sur cette assurance, qui ne pouvait être contredite, signa, en versant un pleur, qui était bien la moindre concession qu'il pût faire à l'ombre de Louis XVII et à l'émotion de Beugnot lui-même[125].

Fouché n'avait donc plus qu'a piéter serment de fidélité. C'était bien le huitième. C'est alors qu'il apparut à Saint-Denis au milieu d'une curiosité sympathique ou railleuse, à laquelle fit seule exception le mélancolique René. L'auteur d'Atala vit M. de Talleyrand entrer dans l'antichambre du roi, sur le bras du duc d'Otrante, le vice appuyé sur le crime. Les deux hommes s'engagèrent ensemble dans le cabinet du roi, où, suivant l'expression même de Chateaubriand, le féal régicide, à genoux, mit les mains qui firent tomber la tête de Louis XVI entre les mains du frère du roi martyr, l'évêque apostat étant caution du serment... Quelle figure faisait le Roi Très-Chrétien entre ces deux défroqués ! , écrivait à cette époque le duc de Broglie, et la note comique se trouvait dans le propos de Pozzo di Borgo qui, en voyant Talleyrand et Fouché remonter en voiture, dit en souriant à ses voisins : Je voudrais bien entendre ce que disent ces agneaux[126].

Le duc d'Otrante avait entretenu le roi de la politique à suivre, lui avait parlé de sa lettre, avait essayé de le gagner à la modération, à la résistance à toute réaction, n'acceptant, déclara-t-il, le ministère que pour faire tête aux évènements. Il parla des préparatifs faits pour la réception du roi à Paris, s'exprima sur cette entrée en termes tels qu'on eut dit que Louis XVIII allait descendre dans la fosse aux lions ; mais il se porta garant de la sécurité du roi et de la bonne tenue de ce peuple si irrité.

Pour plus de sûreté, afin d'éviter, disait-il, tout conflit préalable, en empêchant les amis du roi d'accourir en masse de Saint-Denis à Paris, en réalité pour prévenir toute ovation organisée, il avait fait fermer les barrières de Paris : il ne les voulait ouvrir que quelques minutes avant l'arrivée du roi ; il voulait que l'entrée du roi fut calme, mais il lui importait encore plus qu'elle ne fut pas triomphale. Ordre était donc donné de ne laisser, sous aucun prétexte, pénétrer personne à Paris, ce soir-là. Lorsque, dans la nuit du 7 au 8, le duc d'Otrante, revenant de Saint-Denis, se présenta lui-même à la barrière, le garde national qui la gardait refusa d'abord de le laisser passer et ne se rendit qu'avec peine. C'est le duc d'Otrante ! criait le cocher. — Cela m'est égal, répondit le factionnaire : il ne doit pas être dehors[127].

Ce garde national, sans s'en douter, exprimait l'avis de tous les honnêtes gens et portait un jugement qui vaut encore. De toutes les trahisons qu'on a relevées au compte de Fouché, celle-lit réellement le frappait d'infamie ; il venait, suivant la forte expression de Chateaubriand, de déshonorer le crime de 93. C'en était fait : Fouché de Nantes, conventionnel régicide, proconsul jacobin, mitrailleur et révolutionnaire, ministre de Barras et de Bonaparte, était secrétaire d'État du Roi Très-Chrétien, frère de Louis XVI. Mais si la postérité doit se montrer sévère, sans injustice, pour l'homme sans scrupules et sans pudeur qui, ce jour-là, prostitua la Révolution aux pieds des Bourbons, que dira-t-elle de ce roi qui, frère de Louis XVI, descendant de Louis XIV et de saint Louis, déshonorait leur couronne et souillait les lis de France ? Paris vaut bien une messe, disait le Béarnais. En admettant que Fouché fût Paris, Paris valait-il un sacrilège ? Ce jour fut triste ; il vit deux banqueroutes, celle de la Révolution et celle de la Légitimité. C'est pourquoi, ce soir-là, on vit si sombres, à Paris, Carnot, dernier survivant fidèle de la Convention ; à Saint-Denis, Chateaubriand, zélateur de la Légitimité. Tous deux, le républicain et le royaliste, pleuraient sur la même ruine, celle des grands principes, et sur la fin d'une époque héroïque désormais close.

 

 

 



[1] PASQUIER, III, 254, dit que Fouché voulu faire élire à la Chambre Lambrecht et Macdonald, mais soutint chez les pairs Caulaincourt et Quinette.

[2] CAULAINCOURT, II, 243, prêtait à Napoléon ce propos : Si vous abandonnez la partie, si tous les honnêtes gens se retirent de la Commission, ce misérable Fouché vendra la France à l'étranger. Mais le plus singulier est que Caulaincourt fut, des quatre collègues de Fouché, celui qui se laissa le plus vite conquérir à ses idées. Après quelques jours, l'Empereur n'avait plus qu'un fidèle dans la Commission, c'était, chose curieuse, le républicain Carnot. Caulaincourt ne parut bientôt plus à l'Élysée ni plus tard à la Malmaison (Lettre du colonel Planat de la Faye, 26 juin 1826, Corr.).

[3] Procès-verbaux (inédits) de la Commission, 22 juin (Papiers confiés à Gaillard). Le comte BERLIER, secrétaire de la Commission, a laissé sur ces délibérations des Mémoires intéressants ; il avait entre les mains ces procès-verbaux, dont on trouve deux copies dans les Papiers laissés par Fouché à Gaillard.

[4] Carnot au duc d'Otrante, 22 juin (Papiers laissés à Gaillard).

[5] Le duc d'Otrante à ses collègues, 22 juin (Minute, Papiers confiés à Gaillard).

[6] GAILLARD, Mém. inédits. — CARNOT, II, 529.

[7] CARNOT, II, 513, 520, 529.

[8] Procès-verbaux (inédits) de la Commission, séance du 23 juin.

[9] Procès-verbaux (inédits) de la Commission, séance du 23 juin.

[10] Fouché le savait et confiait à Pasquier que la Chambre était la merci d'un mouvement d'éloquence ou d'une heure de lassitude (PASQUIER, III, 253).

[11] LA FAYETTE, 29 juin (Mém., V).

[12] FLEURY DE CHABOULON, III, 317, semble croire que dans les derniers jours de juin le duc d'Otrante travaillait encore pour le duc d'Orléans.

[13] PASQUIER, III, 253.

[14] VITROLLES, III, 40.

[15] CARNOT, II, 521-522.

[16] PASQUIER, III, 262.

[17] CARNOT, II, 522. BERLIER, Précis de sa vie. VITROLLES, III, 93.

[18] VITROLLES, III, 93, 95.

[19] VITROLLES, III, 47.

[20] PASQUIER, III, 265.

[21] Proclamation de la Commission de gouvernement, 24, juin, Moniteur du 25. Berlier, secrétaire, plus bonapartiste, avait rédigé une proclamation impliquant la reconnaissance de Napoléon II ; Fouché la fit écarter (DUVERGIER DE HAURANNE, I, 85).

[22] Séance de la Commission, 24 juin, et Moniteur du 25 juin.

[23] Séance de la Commission, 24 juin (Papiers confiés Gaillard), et Moniteur du 25 juin.

[24] Séances de la Commission du 25 juin.

[25] THIÉBAULT, Mém., V, 380.

[26] Séance de la Chambre du 25 juin, Moniteur du 26.

[27] Séance de la Commission.

[28] La Commission aux Chambres, 26 juin, Moniteur du 27.

[29] Le duc d'Otrante aux Chambres, 27 juin, Moniteur du 29.

[30] PASQUIER, III, 263.

[31] VITROLLES, III, 93. PASQUIER, III, 263.

[32] DE CHÉNIER, Davout.

[33] Séance de la Commission du 27 juin (procès-verbaux manuscrits). DE CHÉNIER, Davout.

[34] CARNOT, II, 522-523.

[35] BÉRENGER, Ma Biographie.

[36] Matériaux pour servir, etc., p. 363. — FLEURY DE CHABOULON, II, 340.

[37] MACDONALD, Souvenirs, 391.

[38] Séance du 28 (procès-verbaux manuscrits).

[39] Le maréchal prince d'Eckmühl au duc d'Otrante, 28 juin (manuscrite dans les papiers laissés à GAILLARD). DE CHÉNIER, Davout, 623.

[40] Le duc d'Otrante au maréchal prince d'Eckmühl, 28 juin, 29 juin (Matériaux, p. 354). DE CHÉNIER, Davout, 624.

[41] Le duc d'Otrante aux Chambres, 28 juin. Séance de la Commission du 28 (procès-verbaux manuscrits).

[42] CARNOT.

[43] Mémoires inédits de GAILLARD.

[44] THIÉBAULT, V, 376.

[45] BÉRENGER, Ma Biographie. — Matériaux, p. 363. — FLEURY DE CHABOULON, II, 340.

[46] BARÈRE.

[47] Matériaux, 363. — FLEURY DE CHABOULON, II, 340.

[48] DE BARANTE, 3 juillet 1815, II, 164.

[49] FLEURY DE CHABOULON, II, 340.

[50] GAILLARD, Mémoires inédits.

[51] PASQUIER, III, 316.

[52] Indépendant du 30 juin.

[53] Le duc d'Otrante à Mme de Custine, 29 juin, BARDOUX, 243.

[54] FLEURY DE CHABOULON, II, 340. — MACIRONE, Mém. — Mme DE CHÂTENAY, II, 547.

[55] VITROLLES, III, 93. Chabannes écrivait à Blacas, dès le 8 avril 1815 : On regrette généralement que Fouché ait voté la mort du roi, on le regarde comme un homme qui pourrait être précieux. (Lettre de Chabannes à Blacas, avril 1815, impr.) C'était exprimer le sentiment général.

[56] BEUGNOT, II, 280.

[57] VITROLLES, III, 93. BARANTE, 4 juillet, II, 165. Le fait est que, de l'aveu de Wellington, les puissances pesèrent durant tout le printemps pour persuader à Louis XVIII de prendre Fouché à son service, comme un moyen de se concilier un grand nombre de personnes. Wellington à Dumouriez, 26 septembre 1815 ; GURWOOD, Despatches of Wellington, p. 935, n° 998.

[58] VITROLLES, III, 37. — DE CHÉNIER, Davout.

[59] THIERS, Hist. de l'Empire. — DE CHÉNIER, Davout.

[60] Séance du 30 juin (procès-verbaux manuscrits).

[61] MACIRONE, Mémoires.

[62] DE CHÉNIER, Davout, 596-603, d'après une note de Clément du Doubs déjà utilisée par Thiers.

[63] FLEURY DE CHABOULON, II, 352.

[64] Le duc d'Otrante au duc de Wellington. Arch. aff. étr., 346, f° 104, 143.

[65] Le duc d'Otrante à Gaillard, 21 mars 1820.

[66] VITROLLES, III, 54. PASQUIER, III, 523.

[67] Le duc d'Otrante à Mme de Custine, 4 juillet 1815 ; BARDOUX, 235.

[68] PASQUIER, III, 253.

[69] Mémoires inédits de GAILLARD.

[70] MACDONALD, Souvenirs, 392.

[71] Fouché rappelait lui-même à Wellington, quelques mois après, combien la lutte était impossible. (Le duc d'Otrante au duc de Wellington, 1816.) Cf. aussi CLAUSEWITZ, la Campagne de 1815.

[72] Fouché à Wellington et à Blücher, 1er juillet 1815. Remarques sur la négociation. Quelques idées sur notre situation (Papiers confiés à GAILLARD). Le duc d'Otrante aux négociateurs et Davout à Grouchy (vente Charavay, 26 avril 1888).

[73] D'après FLEURY DE CHABOULON, II, 350, Fouché se multiplia ce jour-là dans les couloirs du Palais-Bourbon pour faire accepter la capitulation et même l'idée maintenant avouée d'une restauration de Louis XVIII.

[74] Mémoires inédits de GAILLARD.

[75] Séances de la Commission du 4 juillet 1815 (procès-verbaux manuscrits).

[76] Moniteur du 5 juillet 1815.

[77] Séances de la Commission du 4 juillet 1815 (procès-verbaux manuscrits).

[78] Séances de la Commission du 4 juillet 1515 (procès-verbaux manuscrits).

[79] MÉNEVAL, II, 354. Il gardait et conserva longtemps une amère rancune contre Fouché. J'aurais dû faire fusiller Fouché après mon arrivée (après Waterloo), disait-il à Gourgaud, en 1818, à Sainte-Hélène, et plus loin : Non, ce que j'ai à me reprocher, c'est de n'avoir pas fait couper la tête à Fouché ; on peut dire qu'il l'a échappé belle, et encore, qu'il eût dû faire pendre sept ou huit députés, et pardessus tout Fouché. (GOURGAUD, Journal, t. II, 320.)

[80] Séance de la Commission du 5 juillet (procès-verbaux manuscrits).

[81] PASQUIER, III, 324.

[82] Le duc d'Otrante aux Chambres, Moniteur du 5 juillet 1815.

[83] Proclamation de la Commission aux citoyens français, 5 juillet. Moniteur du 6 juillet 1815.

[84] Séance de la Chambre des pairs, 5 juillet. Moniteur du 7 juillet 1815.

[85] FLEURY DE CHABOULON, II, 352.

[86] Séance de la Chambre des pairs, 6 juillet. Moniteur du 8.

[87] Moniteur du 7 juillet 1815.

[88] Le duc de Wellington au comte Bathurst, 8 juillet 1815 (GURWOOD, p. 915, n° 979), et MACIRONE, Mém.

[89] FLEURY DE CHABOULON, II, 352. — Le duc d'Otrante au comte Molé, janvier 1819 (Papiers confiés à GAILLARD).

[90] POZZO DI BORGO, 8 juillet 1815, I, 194. Wellington à Bathurst, 8 juillet 1815 (GURWOOD, p. 915, n° 979). Le duc d'Otrante à Wellington, septembre 1816 (cf. ch. XXVIII). Le duc d'Otrante à Molé, janvier 1819 (Papiers GAILLARD).

[91] PASQUIER, III, 315.

[92] Moniteur du 7 juillet 1815.

[93] CHATEAUBRIAND. — POZZO DI BORGO.

[94] Le duc de Wellington à Dumouriez. 26 septembre 1815 (GURWOOD, p. 935, n° 998).

[95] Le duc de Wellington à Dumouriez. 26 septembre 1815 (GURWOOD, p. 935, n° 998).

[96] Talleyrand écrivait que dès Cambrai il avait été question de l'entrée de Fouché au ministère. PASQUIER, III, 285.

[97] BEUGNOT. — CHATEAUBRIAND.

[98] CHATEAUBRIAND, Mém. et Monarchie suivant la Charte, 111.

[99] GAILLARD, Mém. inédits. — MONTGAILLARD, Souvenirs, 294.

[100] ROCHECHOUART, Mém., 395.

[101] GAILLARD, Réfutation (inédite) des Mémoires de Fouché.

[102] VITROLLES, III, 104. — PASQUIER, III, 331.

[103] GAILLARD (Réfutation) va jusqu'à prétendre que Vitrolles ayant été chargé de solliciter Fouché, le 7, d'entrer au ministère, celui-ci aurait décliné l'offre, ce qui, le fait accompli, aurait permis au baron de s'écrier, parlant à Louis XVIII : Du moins, Sire, ou ne dira pas que le duc d'Otrante l'ait désiré. ni que je l'aie demandé pour lui.

[104] GAILLARD (Réfutation) : Le duc a conservé des lettres où beaucoup de dames peignent, de la manière la plus touchante, l'importance qu'elles mettent à ce qu'il accepte le ministère... D'un autre côté, son hôtel était rempli pendant tout le jour des personnages les plus importants, qui ne lui parlaient que de leur reconnaissance, de leur éternel dévouement, car les expressions n'étaient pas toujours conformes à cette dignité, qui convient à toutes les circonstances, et tous le suppliaient de rester à la Police. Il y a peut-être un peu d'exagération à ce tableau, quoique d'autres témoignages le viennent corroborer.

[105] PASQUIER, III, 331.

[106] VITROLLES, III, 104.

[107] BARDOUX, Mme de Custine.

[108] BEUGNOT, II, 285.

[109] VITROLLES, III, 104. BARANTE, II, 168. BEUGNOT, II, 185. PASQUIER, III, 331. Mém. inédits de GAILLARD. Il est clair que ce petit incident parut capital aux contemporains.

[110] BEUGNOT, II, 285 ; CHATEAUBRIAND, Mém. ; VILLÈLE, I, 313; GUIZOT, I, 97 ; BARANTE, II, 68 ; VITROLLES, III, 108.

[111] GUIZOT, I, 97 ; BARRAS, IV, 329, et sources déjà citées.

[112] CHATEAUBRIAND, Mém.

[113] BEUGNOT, III, 289.

[114] VÉRON, II. 19. GUIZOT, I, 97.

[115] VITROLLES, III, 113.

[116] Wellington à Bathurst, 8 juillet, déjà citée. — POZZO DI BORGO, 8 juillet, II, 196. — GAILLARD, Réfutation des Mémoires.

[117] PASQUIER, III, 332. Le duc d'Otrante prétendait au contraire (Lettre à Wellington, déjà citée), avoir fait au roi les déclarations presque hautaines qu'il lui écrivait quelque, heures mirés. Cf. plus bas.

[118] Séance du 7 juillet, procès-verbaux manuscrits.

[119] CHATEAUBRIAND, la Monarchie suivant la Charte. POZZO DI BORGO, 8 juillet, I, 198.

[120] Le duc d'Otrante au roi Louis XVIII (Minute, papiers confiés à GAILLARD), imprimés dans les Matériaux pour servir, etc. p. 374.

[121] Carnot, Caulaincourt, Grenier et Quinette au duc d'Otrante, 8 juillet, autographe (Papiers GAILLARD). Le duc d'Otrante à ses collègues (Ibid.).

[122] Wellington à Bathurst, 8 juillet, déjà citée. POZZO DI BORGO, 8 juillet, I, 198.

[123] Ordre du duc d'Otrante au général Henry, 7 juillet, F7, 6549.

[124] Pour enlever à cette nomination toute couleur de marché, le décret, qui est du 8, ne parut qu'au Moniteur du 10.

[125] BEUGNOT, III, 289.

[126] CHATEAUBRIAND, Mém. — BOURRIENNE, X, 401, 403. — POZZO DI BORGO, 8 juillet, II, 196.

[127] L'Aristarque du 9 juillet.