Chute imminente de la monarchie. — Fouché pense encore à s'imposer comme sauveur. Entrevues avec Blacas et avec Dambray. Dambray offre le ministère à Fouché au nom du roi. — Le duc d'Otrante atermoie, puis refuse. Il désespère des Bourbons pour le moment, et veut, avant tout, les éloigner pour éviter tout conflit. Démarche inouïe du comte d'Artois qui provoque aine entrevue ; attitude des deus hommes. Fouché refuse encore le pouvoir. — On donne l'ordre d'arrêter le duc d'Otrante : singulière aventure ; évasion romanesque ; vaudeville en plein drame. Protestations de Fouché. — Chute de la monarchie légitime. Résurrection du régime impérial. — On est à peu près unanime pour imposer Fouché à l'Empereur. — Sentiments personnels de Napoléon. — qui militent pour la rentrée de Fouché. Laissez entrer M. Fouillé. Entrevue du duc d'Otrante et de l'Empereur. — Scène curieuse le matin du 21 mars entre Fouché et Gaillard. — Napoléon reste très défiant vis-à-vis de Fouché pendant les Cent-Jours. — Fouché engage dès le 20 mars des négociations avec le cabinet anglais et les poursuit pendant les Cent-Jours. — L'empire libéral. Réorganisation de la police. Instructions libérales du 31 mars de Fouché à ses subordonnés ; une nouvelle police. — Fouché et la liberté de la presse. — Il prêche à Napoléon le libéralisme et la modération, et s'oppose dans la pratique à tout acte de rigueur et de despotisme. Il y gagne des amis. — Les royalistes restés en France n'espèrent qu'en lui. Il applique à l'Ouest cette politique de ménagements ; la nouvelle Vendée : l'Empereur, qui redoute une insurrection pour d'autres motifs que Fouché, a recours à lui ; Fouché et le comte de Malartic ; pacification de l'Ouest presque sans coup férir. — Le duc d'Otrante jouit dès lors d'un crédit incontesté. Il s'occupe activement des élections de mai 1815 ; il fait élire une chambre libérale. — Situation excellente de Fouché à l'intérieur au moment de l'ouverture des Chambres et du commencement des hostilités.La monarchie allait sombrer, le gouvernement royal passer, dès le 10, de la plus naïve confiance en son indestructible prestige à un effarement plus préjudiciable encore. Le duc d'Otrante attendait, depuis de longues semailles, le moment où le vaisseau désemparé, sans pilote sûr au milieu d'écueils sans nombre qu'on ne voulait point voir, se sentirait soudain touché, près de couler. L'homme qui n'avait cessé de signaler et Charybde et Scylla devait prendre dès lors, aux yeux des passagers comme des étranges pilotes du bâtiment menacé, une singulière autorité. Ce fils de marin était, nous le savons et on le disait, l'homme qu'il fallait aux tempêtes extrêmes. Que lui réservait celle-là ? Serait-il le sauveur, le capitaine qui, d'une main ferme et expérimentée, reprendrait le gouvernail et tirerait le bâtiment de la dangereuse passe où il était engagé ? Serait-il au contraire celui qui, laissant s'échouer le navire, essayerait de reconstruire de ses débris un autre bâtiment, pavoisé d'autres couleurs et dont il semblerait, dès lors, le pilote incontesté ? Telle était la question qui se posait pour lui, et, pendant ces jours de crise, il ne sembla pas pressé de la résoudre. Il lui importait surtout qu'elle s'imposât à d'autres. C'est pourquoi, depuis longtemps, il tentait d'effrayer l'équipage sans y réussir. La conspiration du Nord ne semblait pas avoir suffi a tirer cet étrange gouvernement de son imperturbable confiance en ces incapables serviteurs qu'étaient Blacas, Dambray, d'André et autres. Le duc d'Otrante entendait cependant qu'on prit peur enfin. J'admire la patience du monarque qui se résigne à vivre dans les ténèbres, écrivait il le 9 mars, à la marquise de Custine, dans la visible intention de se faire entendre plus haut, et l'homme qui, quatre jours avant, envoyait, par Lallemand, à Drouet d'Erlon le signal de l'insurrection militaire, ajoutait avec une incomparable duplicité : S'est-on assuré l'esprit des chefs ? Ce sont les vraies influences d'aujourd'hui[1]. Craignant avant tout de passer pour complice, il affectait la plus complète ignorance sur les faits et gestes de Bonaparte : il n'avait appris que des choses vagues. Quoi qu'en pense le biographe de Mme de Custine, il la trompait autant que personne au monde, se créant pour un avenir prochain ou lointain une sorte d'alibi. Il allait même plus loin. Ce complice des Maret et des Thibaudeau approuvait, toujours dans l'espoir de voir ses lettres communiquées aux Tuileries, la conduite du roi, qui enfin venait de convoquer les Chambres, de solliciter l'appui du parti de 89, ajoutant que, tout le monde voulant le repos avec la liberté, Bonaparte ne paraîtrait à personne un moyen d'arriver à ce but[2]. II espérait bien que, entrée dans cette nouvelle voie de concessions aux personnes jadis honnies et aux principes, la monarchie se laisserait emporter plus loin, et que, acceptant l'appui des Benjamin Constant et des La Fayette, elle ne reculerait plus longtemps devant les services plus utiles encore d'un Fouché. Le duc d'Otrante savait que l'abbé de Montesquiou, un conseiller écouté du roi, engageait nettement Louis XVIII à appeler un ministère libéral dont le personnel serait pris parmi les hommes de la Révolution[3]. La camarilla du comte d'Artois, d'autre part, prônait plus spécialement le rappel du duc d'Otrante ; l'heure n'était plus aux rancunes, aux préjugés ; l'homme avait voté trois fois la mort de Louis XVI et mitraillé dix mille royalistes, mais il était celui qu'il fallait aux jours de crises, le complice actif de Thermidor et de Bru maire ; on allait venir à lui. Mais lui, à son tour, hésitait fort, flairait le vent. Était-il habile, pour un enjeu si problématique, de perdre le bénéfice qu'il pourrait tirer aux veux du Gouvernement de demain de la disgrâce où l'avaient tenu la défiance et le dédain de Louis XVIII ? La reine Hortense, Mairet, Thibaudeau lui garantissaient déjà le ministère sous Bonaparte. Attendre encore, reculer, fût-ce de quelques heures, la solution semblait maintenant la seule politique qui lui convint. On ignorait encore la marche triomphale de l'Empereur ; à tout hasard, le souple politicien écrivait à la marquise de Custine, après un pompeux éloge du roi, que si la situation politique ne lui avait pas permis de le servir, il était prêt cependant à lui être utile dans le malheur. Pour désarmer les défiances, il ajoutait, avec une rare audace, que depuis vingt-cinq ans il n'avait manqué de fidélité à personne, traitant, du reste, d'ennemi l'Empereur, dont huit jours après il allait devenir le principal ministre[4]. Il avait raison de se défendre, car la défiance restait grande à son égard dans certains milieux ; on le tenait pour complice de Drouet carton et probablement de Bonaparte. Il niait, affectant le dédain pour l'opinion qui attribuait des complices à un mouvement purement militaire, et, quelques jours après, disait encore qu'il y avait bien de la niaiserie à chercher dans Paris les complices de la conspiration de Bonaparte qui était tout entière aujourd'hui dans les soldats , ajoutant que les bonapartistes eux-mêmes n'étaient pas dans le secret du complot. La lettre est du 14[5]. Dès le 12, Blacas l'avait appelé en consultation, sans songer encore évidemment à lui passer son portefeuille ; le favori de Louis XVIII avait provoqué une entrevue chez le duc de Dalberg[6], et, le lendemain 13, le chancelier Dambray, à son tour, sollicita une conférence[7]. Fouché avait semblé vouloir semer la plus vive appréhension dans rame du débonnaire ministre ; il avait peint la situation fort en noir, voyant cependant une lueur d'espoir au cas où le roi constituerait un ministère donnant confiance à la nation. L'insinuation parut claire ; mais elle sembla sans doute encore trop osée, car la soirée s'écoula sans que le duc d'Otrante fût appelé aux Tuileries. Il en éprouva à coup sûr une déception qu'il ne dissimula pas à la marquise de Custine[8]. Le lendemain, la situation s'était encore aggravée ; on avait sans doute appris l'entrée à Lyon de l'Ogre de Corse. Le chancelier se rendit, le 14, à l'hôtel d'Otrante, porteur, semble-t-il, offre ferme ; le duc était-il disposé à constituer un ministère, avec la liberté de choisir, comme il l'entendait, ses collaborateurs ? L'offre fut-elle aussi large, aussi ferme, et surtout était-elle sincère ? Fouché, qui rapportait le fait à Gaillard, n'exagérait-il pas l'importance de cette entrevue ? La proposition elle-même n'était-elle pas un piège ? N'était-elle pas destinée à compromettre Fouché, s'il l'acceptait, ou à sonder simplement son dévouement éventuel ? Quoi qu'il en soit, celui-ci, flairant le piège ou simplement instruit des succès désormais peu douteux de Napoléon, se déroba derrière des raisons spécieuses et de tardifs scrupules ; il conseillait de prendre comme président du conseil le duc de Richelieu. Mais quelques heures après le duc d'Otrante recevait du directeur de la police d'André avis de ne pas quitter son hôtel, où il reçut une troisième visite de l'infatigable chancelier. Celui-ci parut disposé à mettre son souple interlocuteur au pied du mur. Fouché consentirait-il a entrer dans un ministère présidé par le duc de Richelieu ? L'ancien ministre répondit par un nouveau refus : le roi, déclara-t-il au surplus, devait voir dans ce refus même une preuve de son dévouement — Fouché était seul capable de ces trouvailles — ; d'après les nouvelles de Lyon, Bonaparte semblait avoir conquis le parti jacobin ; dès lors, à quoi servait sa présence à lui, Fouché, dans le ministère ? Son entrée dans le conseil du roi passerait pour une trahison, aux yeux des hommes sur lesquels, un mois plus tôt, il aurait peut-être exercé une influence utile ; mais son acceptation, à l'heure présente, ne serait que nuisible aux intérêts du roi. En conséquence, il refusait. C'était le jam fœtet dont en 1829 Lamennais devait accueillir les avances de la monarchie menacée, le trop tard de Laffitte, en juillet 1830. D'après deux contemporains, se faisant l'écho du chancelier, Fouché n'aurait pas dissimulé à Dambray qu'il croyait pour le moment la situation irrémédiablement compromise : il conseillait au roi de quitter Paris, non la France ; il ne fallait pas cependant qu'il allât dans l'Ouest, ne devant sous aucun prétexte devenir le roi de la Vendée ; il indiquait Toulouse comme le meilleur refuge ; enfin, il insinua que, dans une autre situation, lui, Fouché, pourrait servir d'une façon précieuse le roi proscrit[9]. Le vrai était qu'a l'heure ou, par les proclamations et décrets de Lyon, Napoléon se représentait au pays comme l'homme de la Révolution, obéissant ainsi tardivement aux conseils que lui avait, quinze ans durant, prodigués Fouché lui-même, à l'heure où, en pleine place Bellecour, évocation de vieux souvenirs pour l'ex-collègue de Collot d'Herbois, retentissaient comme en 93 les cris de : A bas les prêtres ! Mort aux royalistes ! A l'échafaud ! il eût été par trop paradoxal de voir l'ancien proconsul ministre du roi, et le duc d'Otrante opposé au souverain auquel, de ce fait mène, Fouché de Nantes s'imposait plus que jamais[10]. On ne renonçait point toutefois à le conquérir. C'était toujours le parti ultra qui poussait Louis XVIII à prendre le jacobin comme sauveur. A en croire B. Constant, les libéraux étaient hostiles à ce choix, ne comprenant pas qu'on pût concevoir l'un des hommes qui avaient condamné Louis XVI au nombre des conseillers de Louis XVIII[11]. Mais, par contre, les Malartic, les Des Cars, les de Vitrolles, amis du comte d'Artois, jugeaient le rappel de Fouché au quai Voltaire un coup de maitre qui mettait ces illustres hommes d'État à la hauteur de leur protégé. En conséquence, Fouché reçut, le 15, avis du duc Des Cars que le frère du roi serait aise de l'entretenir. D'un commun accord, on choisit, pour cette singulière entrevue, l'hôtel de la princesse de Vaudémont[12]. M. de Malartic y conduisit le comte d'Artois à dix heures du soir. Le frère de Louis
XVI conféra, deux heures pleines, avec le régicide et ne se retira qu'a
minuit. Que se dit-on en cette étrange rencontre ? On a prétendu qu'elle fut
close par ces mots de Fouché, conclusion de l'entretien : Monseigneur, sauvez le roi, je me charge de sauver la
monarchie[13]. A le bien
entendre, le propos eût été l'indice d'une singulière duplicité ou d'une
trahison préméditée. Le duc d'Otrante, semblant dès lors résolu à accepter un
portefeuille de celui que la veille il appelait encore l'ennemi, eût délibéré dès cette époque et promis
de le trahir au profit du roi émigré. Le 12, il avait bien écrit que le gouvernement militaire ne serait pas de longue
durée[14],
prédiction, promesse ou menace. Méditait-il réellement. cette trahison ? Tout
au plus l'entrevoyait-il comme possible, rie projetant saris doute rien de
très net à ce moment et vivant au jour le jour. Il paraissait surtout
important d'éviter tout conflit qui, mettant aux prises serviteurs de Louis
XVIII et partisans de Bonaparte, obligerait le duc d'Otrante à prendre parti
sans retour, ou. rendant définitivement vainqueur l'un des deux partis,
ferait échouer la médiation qu'il entrevoyait dans l'avenir. Louis XVIII lui
paraissait donc fort encombrant à Paris depuis que „Napoléon était à Lyon ;
les plans de résistance devaient lui sembler absurdes, dangereux et
désastreux. s Sauvez le roi eût été dès lors une formule heureuse pour
insinuer qu'il le fallait faire sauver. Gaillard proteste, du reste, au nom
de Fouché, contre ce mot qui, dit-il, ne fut, jamais prononcé. Dans tous les
cas, le comte d'Artois se sépara de l'ancien conventionnel sous une
impression favorable[15]. Fouché avait
sans doute protesté de son dévouement ; un mois plus tôt, il ne se fût pas
dérobé, disait-il à Vitrolles, heureux qu'il eût été d'être près de Louis
XVIII le défenseur des principes et des intérêts de
la Révolution : et, pour nous en tenir aux termes assez cyniques d'une
note remise au confident du comte d'Artois, pour
éviter d'être sous la roue du char, il avouait avoir caressé l'espoir de se placer dans le brancard[16]. Si adouci qu'il fût par les formules flatteuses et les protestations émues, ce refus parut confirmer les soupçons du gouvernement ou trancher ses doutes. Fouché était de ceux qu'il fallait, dans les moments de crise, au ministère ou à la Conciergerie ; du reste, si l'ancien ministre comptait dans le personnel gouvernemental des amis et des partisans, il y avait des adversaires déterminés. L'un d'eux, un ancien ami, le pire ennemi, Bourrienne, devenait préfet de police, à l'heure même où le duc d'Otrante conférait avec le frère du roi. S'il ne provoqua pas, il dut accueillir avec plaisir et se plut à exécuter sans délai un ordre qui parvint rue de Jérusalem quelques heures après l'entrevue du prince et du régicide[17]. A peine installé à la préfecture, Bourrienne reçut avis, en effet, d'arrêter, avec quelques bonapartistes et jacobins de marque, comme Davout, Savary, La Valette, Maret, etc., non seulement le duc d'Otrante, jugé décidément dangereux, mais encore Gaillard, considéré comme le confident de ses plans, et l'ex-oratorien Le Comte, dépositaire de sa fortune. Bourrienne se mit aussitôt en mesure d'exécuter l'ordre reçu et le communiqua sans plus tarder au policier Fondras, vieux fonctionnaire de la police de Fouché. Ce dernier était sans défiance ; son entrevue avec le frère du roi avait été suivie d'une autre avec le directeur de la police lui-même, supérieur hiérarchique du nouveau préfet. S'il faut en croire Gaillard, fort au courant des faits et gestes du duc d'Otrante en ces curieuses journées, celui-ci sortit en voiture à onze heures du matin de son hôtel de la rue Cérutti. Il avait à peine atteint le boulevard que les agents, qui l'avaient suivi, firent arrêter la voiture et exhibèrent un mandat d'arrêt, signé : Bourrienne, préfet de police. Le duc d'Otrante paya d'audace : il haussa les épaules. On n'arrête pas, déclara-t-il très haut, un ancien ministre, un ancien sénateur au milieu d'une rue. Et se penchant vers son cocher, il cria : A l'hôtel ! Les agents se jetèrent sur la trace de la voiture et pénétrèrent dans l'hôtel en même temps. Le duc d'Otrante protesta derechef avec la plus grande énergie. Il y avait là un grossier malentendu ; depuis quand Bourrienne était-il préfet ? Du reste, le mandat était irrégulier ; le prévenu voulait qu'on allât chercher la garde nationale. L'ex-ministre avait toujours été en coquetterie avec elle ; le poste le plus voisin était celui de la rue Lepelletier, on y alla querir les deux commandants Gilbert des Voisins et Tourton-Havel ; les deux hommes accoururent avec vingt-cinq-hommes. Foudras dut exhiber de nouveau le fameux mandat. Ce mandat est faux, déclara de nouveau l'ancien ministre ; quelle vraisemblance, ajoutait-il, y avait-il que ce préfet improvisé pût avoir reçu l'ordre de faire arrêter un homme qui avait conféré toute la nuit avec le frère du roi et le directeur de la police ? On était fort embarrassé. Les officiers de la garde nationale avaient une fort médiocre envie de s'aliéner ce personnage redoutable, bien vu, du reste, de leurs congénères ; quant aux agents de Fondras, ils avaient pour l'ancien ministre, suivant une heureuse expression, le respect des vieux grenadiers pour Napoléon. L'important pour Fouché était de gagner du temps ; il n'entendait nullement passer sous les verrous les journées qui allaient s'écouler, pleines de péripéties imprévues, en prévision desquelles il voulait au contraire garder la plus grande liberté d'action : il continuait donc à récriminer. Un des officiers de la garde nationale, homme de loi de son métier, affirma, en bon avocat, qu'il voyait une notoire irrégularité dans ce mandat ; le commandant Tourton aussitôt de dépêcher un homme au pavillon de Marsan on habitait le comte d'Artois, un autre au cabinet du roi. Le frère du roi se montra fort surpris et dit qu'il n'avait pas connaissance d'un mandat d'arrêt, mais Louis XVIII parut en d'autres dispositions : J'ai connaissance du mandat, dit-il — toujours d'après le récit de Gaillard — ; qu'on l'exécute. Le messager revint, mais trouva tout le monde, policiers et gardes nationaux, dans le plus grand embarras. Le duc d'Otrante venait de tromper de la plus singulière façon la surveillance de l'excellent commandant Tourton et de lui fausser compagnie. Son goût pour la mystification lui avait suggéré un tour de sa façon ; il avait, en affectant la plus grande sécurité au sujet des réponses des Tuileries, promené le commandant dans son hôtel et, s'appuyant contre une cloison, s'y était soudain enfoncé, grâce à une porte dérobée, et avait disparu. Son naïf surveillant l'avait quelque temps attendu, ne pouvant croire à une aussi forte mystification, puis, impatienté, avait fait sauter la cloison ; il n'avait naturellement plus trouvé personne derrière. Après quelques recherches, vraisemblablement faites sans grande conviction, policiers et gardes nationaux se retirèrent leurrés... et au fond très satisfaits sans doute que cc bon tour leur eût épargné une dangereuse mission. Fouché s'était en effet évadé comme un vulgaire Latude ; sautant par la fenêtre dans son jardin, il avait rapidement gagné le mur mitoyen avec le parc de la reine Hortense, contre lequel, en homme prévoyant ou prévenu, il avait fait appliquer depuis peu une échelle. Avec la dextérité que lui donnait la crainte, le vieux policier avait escaladé la muraille, passé dans l'hôtel de la reine de Hollande et gagné la rue Taitbout. Il s'était jeté dans une voiture et fait conduire chez son vieil ami Lombard, ex-secrétaire général de la Police, où il demeura, malgré les offres obligeantes de son ami Gaillard et de son ancien élève, le royaliste Pardessus. Le côté plaisant de l'aventure est qu'il parut plus tard prouvé que l'arrestation avait été combinée entre Bourrienne, le préfet de police du roi, et Savary, désireux d'écarter quelques jours de la scène un vieux rival dont il prévoyait, sous peu, la concurrence lors de la distribution des portefeuilles ministériels. Cette scène de vaudeville eu plein draine devait quelques jours après égayer la cour et la ville[18]. Le héros de l'histoire ne parut pas cependant prendre la chose en plaisantant. La méfiance, dont le mandat d'arrêt lui paraissait l'indice fort clair, lui pesait, le rendait soucieux sinon pour le présent, du moins pour un avenir plus ou moins éloigné. On ne croyait pas à ses protestations de dévouement, il s'en montrait ému. De sa mystérieuse retraite, il adressait aux Chambres une protestation indignée[19] et à Mme de Custine d'amères récriminations : Nous avons affaire à des gens bien passionnés, bien hypocrites et bien aveugles pour l'avenir ; le roi, à son insu, est entre les mains des insensés, car on persécute, en sou nom, les hommes qui ont lutté contre Bonaparte et qui, seuls, lutteraient encore, s'ils obtenaient le pouvoir... Quel intérêt a-t-on donc de persuader à la France que des hommes qu'elle estime sont des partisans de Bonaparte ?[20] Et, pour se préserver sans doute d'une seconde tentative d'arrestation, il disait encore à l'amie de Louis XVIII son dégoût des affaires, son dédain des grandeurs, son désir de quitter l'ingrate patrie. En attendant, il ne sortait pas ; c'est de sa cachette, qui le ramenait aux beaux temps de Thermidor an II, que Fouché apprit, le 18 et le 19, les événements importants qui se succédaient : le maréchal Ney, suprême espoir de la dynastie aux abois, passant à l'ennemi avec toute son armée le 17 à Auxerre, la bourgeoisie libérale trop tard ralliée au trône impuissante à le couvrir, les délibérations affolées des Tuileries le 17 et le 18, les princes se dispersant en vain pour organiser la résistance en province, enfin le roi partant le 19 mars pour un second exil, au moment où Napoléon s'installait à Fontainebleau, prêt à aller coucher dès le lendemain dans les Tuileries abandonnées[21]. Le 20, à neuf heures du matin, le château déserté fut occupé par Exelmans ; à deux heures, on arbora le drapeau tricolore sur l'Hôtel de Ville ; en même temps, on voyait, timidement d'abord, puis ouvertement, reparaître aux Tuileries tout le personnel de l'ancienne cour impériale. Chacun de nos lecteurs a présentes les charmantes pages qu'un historien contemporain a consacrées à cette curieuse résurrection, subite, spontanée, amusante comme un conte de fées, de toute une cour, de tout un gouvernement, de tout un régime, grands dignitaires, anciens ministres, chambellans, maréchaux, dames d'honneur, hauts fonctionnaires reprenant possession, après onze mois d'un trop long cauchemar, des salons et des bureaux. Or, à travers ce public, un nom revenait sur toutes les lèvres, presque aussi souvent que celui de l'Empereur, c'était celui de Fouché. Ces salons l'avaient entendu prononcer, ce nom fameux, quelques jours avant par les Des Cars et les de Vitrolles avec le même accent d'anxiété, de doute, d'espoir et de crainte. Oit était le duc d'Otrante ? Que demandait-il ? Que voulait-il ? Pas un parti cette fois, dans une réunion, qui ne le voulût rendre aux fonctions si importantes pour lesquelles le ciel semblait l'avoir fait, comme devait l'écrire quelques jours après le bon archevêque de Besançon[22]. Aux amis de l'Empereur, partisans de l'Empire autoritaire ou de l'Empire libéral, a ceux qui prônaient la politique de Lyon, l'Empire révolutionnaire, l'alliance avec les jacobins, comme à ceux qui prêchaient la modération envers les royalistes vaincus, l'homme apparaissait utile, nécessaire, indispensable. Le bruit avait couru que, plus hardi que Savary, il s'était à deux heures installé de sa propre autorité au quai Voltaire comme La Valette à l'hôtel des Postes[23] ; ce bruit était faux. On se racontait la curieuse et romanesque aventure de son arrestation, cette providentielle arrestation qui faisait du ministre disgracié de l'Empire, du conseiller secret. du comte d'Artois et de Blacas, un martyr de la cause bonapartiste ; on admirait, en en riant, sa présence d'esprit, l'escamotage si preste de sa propre personne, le bon tour joué aux agents du roi et de ce misérable Bourrienne. Ce nom du duc d'Otrante fut donc à premier qu'entendit l'Empereur au moment où, après sa triomphale entrée aux Tuileries, il appela dans son cabinet et consulta ses fidèles. Tous, le duc de Bassano, Réal, Regnaud, jadis hostile à Fouché, conseillèrent son rappel ; Davout, peu tendre à l'ordinaire pour le duc d'Otrante, déclara qu'il avait une immense réputation d'habileté, et que l'on disait bien du mal du duc de Rovigo, car c'était entre les deux anciens ministres de la Police qu'hésitait l'Empereur, peu désireux de confier à des mains novices un ministère à reconstituer et à diriger immédiatement en de telles circonstances. A la déclaration du duc d'Auerstædt, l'Empereur avait répondu qu'il ne voyait pas dans l'impopularité de Savary un inconvénient pour un ministre de la Police[24]. De fait, Napoléon était, à cette heure, aux Tuileries, l'homme le moins disposé à rappeler Fouché. Un agent, que le duc d'Otrante lui avait dépêché en Bourgogne, avait trouvé l'Empereur encore hostile à son ancien collaborateur, sur lequel, d'après le rapport de l'agent, les ennemis du ministre lui avaient apparemment donné de fausses notions. Au récit de la tentative d'arrestation du 16, l'Empereur avait cependant ri de bon cœur, et s'était écrié : Il est décidément plus malin qu'eux tous[25]. Réal, Regnaud, Maret, Davout le trouvaient toutefois très défiant encore dans la soirée du 20 mars. Et cependant Fouché s'imposait : Napoléon, toujours prêt à s'éclairer, dut bientôt le reconnaitre. L'opinion publique était pour lui ; elle installait le duc d'Otrante au quai Voltaire avant le choix de l'Empereur ; dans ces conditions, ne pas le prendre équivalait déjà presque à le renvoyer : c'était se faire un dangereux ennemi. Au reste, qui prendre ? Réal se dérobait, n'acceptant que la préfecture de police, prônant son ancien ministre ; La Valette avait repris les Postes ; Savary avait, dans la dernière crise, accumulé fautes sur fautes ; La Valette, si hostile à Fouché, déclarait lui-même le duc de Rovigo usé, alors qu'il fallait plus que jamais à la Police un homme habile et ferme[26]. Fouché avait, en maintes circonstances, depuis sa disgrâce de 1810 comme avant, fait ses preuves d'habileté, de fermeté, de sang-froid audacieux. D'autre part, l'Empereur lui-même devait reconnaître le sens gouvernemental de son ancien ministre, car toutes les prédictions du due d'Otrante s'étaient réalisées : le mariage autrichien, combattu par lui, avait préparé la rupture avec la Russie, sans empêcher Metternich de l'accabler en 1813 ; la campagne de Russie, déconseillée par lui, avait en effet mal tourné ; la police, arrachée de ses mains en 1810, s'était promptement désorganisée ; les ralliés de droite, qu'il avait toujours, on s'en souvient, conseillé en vain de n'accueillir qu'avec défiance, avaient presque tous trahi en 1814 ; la politique enfin que l'ex-citoyen Fouché de Nantes avait toujours prônée, l'Empire héritier, continuateur, protecteur de la Révolution, venait de triompher à Lyon et semblait devoir prévaloir à Paris. On faisait tout ce que Fouché avait jadis conseillé ; ayant été à la tache, il semblait logique qu'il fût à l'honneur : qui pouvait mieux que lui appliquer les idées qu'il avait toujours recommandées et qui maintenant prévalaient ? Enfin, il représentait, comme toujours, une clientèle disparate, bizarre et redoutable, n'étant pas seulement pour l'heure le candidat du parti bonapartiste, tout entier pour lui. Il avait d'autres partisans : les jacobins, jadis protégés par lui, persécutés ensuite par le duc de Rovigo, s'étaient, depuis 1814 plus encore qu'auparavant, groupés derrière lui, en avaient fait leur avocat et leur palladium : quelques-uns d'entre eux qui, de 1799 à 1814, avaient quelque peu fait à du renégat, s'étaient, durant la première Restauration, rapprochés de lui sous l'empire d'une crainte commune. A l'autre extrémité du parti de la Révolution, les libéraux, qui, avec Benjamin Constant, eussent vu d'un mauvais œil l'ex-conventionnel ministre de Louis XVIII le 15 mars, souhaitaient presque tous qu'il devint celui de Napoléon le 20. On disait que Fouché, en relations cordiales avec le groupe, pouvait rallier au nouveau gouvernement ces modérés un peu flottants, qui quelques jours avant avaient mis, tardivement, mais spontanément, au service du roi contre l'usurpateur revenu, qui sa plume comme Benjamin Constant, qui sa vieille épée comme Georges de La Fayette : on disait le duc d'Otrante lié avec l'un et l'autre, et le fait est qu'il les avait jadis, notamment en 1808, protégés contre l'antipathie de l'Empereur : il était également en fort bons termes avec Lanjuinais, chef reconnu de ce tiers parti hésitant : il devait effectivement agir puissamment pour rattacher tout ce monde à l'Empire libéral... et plus tard pour l'en détacher. Enfin, chose moins croyable encore, la présence de l'ancien jacobin au pouvoir semblait à bien des gens, fort conservateurs, parfois royalistes fervents, l'indice et la garantie d'une politique de modération, de résistance à la réaction bonapartiste, de clémence et de ménagement envers les vaincus du 20 mars. Or, les amis de l'Empereur semblaient à peu près d'accord pour lui conseiller cette triple politique de sympathie déclarée pour la Révolution, de concessions an libéralisme et de modération envers les royalistes. propre a lui rallier trois groupes fort disparates dont. chose étrange, le duc d'Otrante semblait seul capable de lui amener les leaders importants ; Barère, Constant et Pasquier, pour ne citer que trois représentants illustres de ces trois nuances de l'opinion, s'ils avaient eu voix au chapitre le soir du '.2u mars aux Tuileries, eussent vraisemblablement prôné le retour du duc d'Otrante aux affaires comme le faisaient à cette heure le bonapartiste autoritaire qu'était Maret, le bonapartiste jacobin qu'était Iléal. Ajoutons enfin que les égards témoignés par les souverains et ministres alliés au duc d'Otrante semblaient faire de lui un agent fort utile, à l'heure où l'on prévoyait de difficiles négociations, et que ses relations avec les plénipotentiaires français à Vienne, avec Talleyrand notamment, en faisaient, de ce chef encore, un homme fort précieux[27] ; il était même si féru de sa spéciale valeur en cc chapitre qu'il ambitionnait à cette heure non plus la Police. mais les Relations extérieures, portefeuille pour lequel il se croyait des mieux préparé. De quelque côté donc qu'on se tournât, tout militait pour le rappel de Fouché, et son absence même, en inquiétant fort, le faisait, le soir du 20 mars, d'autant plus désirer. L'émotion fut donc grande quand, quelques heures après la réapparition de l'Empereur au château, on apprit dans les salons encore pleins que le duc d'Otrante venait de se présenter aux Tuileries. Fouché ! laissez entrer Monsieur Fouché, c'est l'homme qu'il importe le plus à l'Empereur de voir en ce moment ! fut le cri général. L'ancien ministre parut, traversa les antichambres et fut admis dans le cabinet du maitre[28]. Il se trouvait ainsi, cinq jours après son entrevue avec le comte d'Artois, en présence de l'homme qu'il conseillait depuis onze mois à tous de déporter au loin et auquel l'année précédente il adressait dans son exil de si hautains conseils. Napoléon, convaincu maintenant de l'inéluctable nécessité qu'il y avait d'employer Fouché, parut disposé à tout oublier, à étouffer pour le moment rancunes, défiances et colères ; le duc, de son côté, n'était pas homme à s'embarrasser d'une situation fausse : l'entrevue fut donc cordiale. Fouché représenta comme son œuvre la conspiration utilitaire du Nord, mais en ajoutant qu'elle était destinée à hâter la proclamation de l'Empereur débarqué au golfe de Jouan : il fit valoir sa récente arrestation, étant de ceux qui se parent d'une persécution comme d'un mérite. Enfin, tranquillement, il s'offrit, sollicita le portefeuille des Relations extérieures, à son défaut celui de la Police, eut mie longue conférence avec l'Empereur sur mille sujets divers et sortit bien avant dans la nuit des Tuileries, ministre pour la quatrième fois de la Police générale[29]. On doutait si peu de son retour aux affaires, que le lendemain matin, à cinq heures, ce fut de confiance que Gaillard se présenta à l'hôtel du ministère. Fouché s'y était effectivement réinstallé à deux heures, pour être, dès les premières minutes du 21 mars, en mesure d'agir en ministre. Dès l'aube, l'ami fidèle dut déjà traverser une foule de solliciteurs, força la porte des appartements privés, pénétra jusqu'à la chambre du ministre ou celui-ci dormait harassé. Gaillard, devenu depuis 1814 un royaliste très fervent, était désolé que son ami se compromit dans la cause de l'usurpateur, et résolu, s'il en était temps encore, à l'arracher à ce danger ; car la fréquentation de Fouché n'avait pas corrigé son ancien confrère d'une certaine candeur. Gaillard savait de source sûre que le Corse comptait se débarrasser, un besoin de la façon la plus tragique, d'un ministre qu'il considérait comme son plus dangereux ennemi ; l'excellent homme voulait effrayer le ministre, te réveilla, lui dit ses craintes : il courait, à coup sûr, même danger qu'en Thermidor. Vous rappelez-vous, ajouta Gaillard, ce mot de Robespierre aux jacobins : Il faut qu'avant quinze jours la tête de Fouché ou la mienne tombe sur l'échafaud ? — Sans doute, riposta vivement le duc d'Otrante, mais vous ne sauriez avoir oublié ma réponse : Je ramasse le gant. Et, quinze jours après, Robespierre était mort. Et froidement d'abord, puis en s'arrimant, le curieux personnage parla fort longuement à Gaillard de Napoléon, de sa haine pour lui Fouché, qu'il n'ignorait pas, de ses plans ; sans doute, Bonaparte revenait plus despote que jamais, au fond, très irrité coutre les amis des princes, ne respirant que haine et vengeance ; il eût voulu semer la terreur ; mais il paraissait précisément utile à l'ancien ministre d'être près de ce fou furieux le pondérateur, le modérateur qu'il avait toujours voulu être. On parviendrait sûrement à le mater. Avant trois mois, je serai plus puissant que lui, et, s'il ne me fait pas tuer, il sera à mes genoux. Il espérait servir dans tous les cas ses amis, en même temps que la Patrie, la Liberté et la Révolution, et en se levant il conclut : Fidélité au souverain, dévouement entier à la nation, courage et liberté de mes appréciations autour du tapis sert, courage et liberté dans le cabinet de l'Empereur. Tel est le programme ministériel que, sans rire, le 21 mars à six heures du matin, S. E. le duc d'Otrante formulait à Gaillard, au saut du lit. Et ce programme, après tout, n'était pas plus menteur que la plupart des déclarations ministérielles. L'ami fidèle se retira stupéfait de cet esprit infatigablement fécond en combinaisons, en intrigues et en voltes-faces[30]. Le Moniteur du jour confirma la nouvelle, qui s'était, du reste, rapidement répandue : le duc d'Otrante était, par décret du 20, nommé ministre de la Police générale[31] ; il vint s'asseoir le jour même à côté de Maret, Davout, Decrès, Caulaincourt, Gandin, Mollien et Cambacérès, devant ce tapis vert que lui avait fait quitter, cinq ans avant, la colère de l'Empereur, encouragée par la malveillance de presque tous ses nouveaux collègues. Le matin même, pour prévenir tout retour de méfiance de la part du maitre, Fouché lui avait adressé une longue lettre, où, résumant leurs conversations de la veille, il avait une fois de plus affirmé son dévouement à l'Empire, garanti par la persécution bourbonienne[32]. Il n'avait pas tort de tant insister, car Napoléon restait au fond très défiant et, connue le pensait Gaillard, plein d'une rancune amère, ruai étouffée, mal guérie, contre le ministre disgracié en 1810. Il estimait, peut-être plus encore qu'alors, sa capacité, sa clairvoyance, son utilité et beaucoup moins sa fidélité. Pendant les trois mois qui allaient suivre, l'Empereur ne cessa d'accepter comme une hypothèse fort plausible, parfois comme une opinion indiscutable, que Fouché le trahissait, d'intention toujours, parfois de fait. Il savait maintenant que le succès seul rattachait l'homme à sa cause, que la première défaite l'en détacherait ; qui sait pleine si, dans l'ombre, pour servir quelque obscure combinaison, le duc d'Otrante ne préparait pas ce final insuccès ? Chose étrange, ce despote, qu'on avait connu si violent dans les moindres froissements, parut prendre sou parti de cette odieuse situation ; tantôt tournant le cas en plaisanterie, tantôt se laissant aller à des scènes sans lendemain, il fit toujours voir qu'il supposait, savait son ministre capable, peut-être coupable de toutes les trahisons, et ne le frappa point. Louis XVIII, dit-on près de lui, a constitué un ministère in partibus à Gand, on en énumère les membres : Beugnot, Louis, Clarke, Chateaubriand ; qui donc a la police ? Fouché, sans doute, ricane l'Empereur[33]. Mais parfois sa haine, sa colère éclatent en ternies violents, surtout lorsque, sûr de la trahison, il rencontre chez Fouché tantôt d'hypocrites protestations et tantôt ce flegme irritant qui lui est propre. Ce sont alors, en plein conseil, des apostrophes folles d'un souverain à un ministre : Vous me trahissez, monsieur le duc d'Otrante, j'en ai les preuves, et saisissant un couteau d'ivoire : Prenez plutôt ce couteau et enfoncez-le-moi dans la poitrine, ce sera plus loyal que de faire ce que vous faites ; il ne tiendrait qu'à moi de vous faire fusiller, et tout le monde applaudirait a un tel acte de justice. Vous me demandez peut-être pourquoi je ne le l'ais pas : c'est que je vous méprise, c'est que vous ne pesez pas une once dans ma balance[34]. Ces excès de langage font lever les épaules au froid politicien ; un souverain qui se livre, à l'égard d'un ministre, à de pareilles scènes avoue sa faiblesse ou sa servitude, puisqu'il le garde. Et c'est qu'en effet le duc d'Otrante est alors nécessaire à l'Empereur. Celui-ci traite de faiblesse de trahison, les actes d'adroite modération du ministre ; mais ces actes concourent à la politique générale, qui s'impose inéluctablement au gouvernement restauré ; l'Empereur s'emporte contre les relations clandestines du duc d'Otrante avec les cours de l'Europe, mais il les utilise et, partant, se désarme ; il sourit amèrement, se plaint avec vivacité des bons rapports de l'ex-conventionnel avec les chefs vendéens ; mais il conquiert par lui leur neutralité provisoire ; il constate en tremblant l'influence du ministre sur les Chambres, mais il semble, à certaines heures, l'encourager et l'exploiter[35]. Ce sont, dès lors, suivant les sautes d'humeur ou les nécessités de la politique, d'étranges revirements[36] ; à une confiance en apparence sans bornes en un collaborateur intelligent, actif, influent, succède inopinément une méfiance vraiment si affichée qu'elle fait tout craindre au duc d'Otrante le jour où ses services cesseraient d'être utiles. Avant de m'occuper de lui, j'ai besoin d'une victoire, dira d'un ton menaçant l'Empereur à Carnot[37], et quand Fabre de l'Aude lui conseillera, en mai 1815, de laver la tête à Fouché[38] : Oh ! il y a mieux à faire, répondra brusquement le maître. Il est clair, dès lors, que, si le ministre n'attend qu'un insuccès pour trahir le souverain, celui-ci n'attend peut-être qu'une victoire pour le faire pendre. Fouché n'en ignore rien ; il a pris ses précautions. Il n'est pas ministre depuis un mois, qu'il a sollicité de Wellington un asile en Angleterre, le cas échéant[39]. La situation doit dès lors excuser, s'il en est besoin aux yeux de Fouché, toutes les traitrises, et le pousser à toutes les audaces ; car c'est la lutte pour la vie. Il ne se cache guère de prévoir, parfois de désirer la fin du régime qu'il sert, causant et traitant à voix basse, dira Guizot[40], qui le vit de fort près à l'œuvre, de la fin du régime avec tous les héritiers possibles, comme un médecin indifférent au lit d'un malade désespéré. Il affecte, pour couvrir les trahisons, de dire partout, dès le mois de mai, que Bonaparte l'a trompé, et qu'il s'est dit, le 20 mars, d'accord avec certaines puissances depuis l'île d'Elbe ; affirme que, mieux instruit, il l'a plus tard engagé à abdiquer et à se retirer en Amérique, conseils que le despote a fort mal accueillis[41]. Dès lors, il se lave les mains de ce qui peut lui arriver ; aussi bien, il ne s'en cache pas ; à des amis de Louis XVIII, comme Pasquier ; à des fidèles de Napoléon, commue Méneval et d'autres[42], il déclare l'Empereur un fou dangereux, dont il faut empêcher les écarts, en attendant le moment de l'interner. S'il reste son ministre, à l'entendre, c'est dans ce but de salut commun ; il le fait dire à Talleyrand à Gand, à Metternich à Vienne, à Wellington à Londres[43]. Mais, du reste, peu désireux de pousser l'Empereur à bout, il se couvre vis-à-vis de lui du prétexte excellent qu'il force les portes de l'Europe, perce le mur impénétrable dont la coalition entoure obstinément la France. Napoléon cède, ferme les yeux, l'autorise à négocier, l'y convie même, forcé à cette heure de faire flèche de tout bois. C'est sans doute avec un singulier sentiment de triomphant
orgueil que le duc d'Otrante, auquel l'Empereur avait, le 20 mars, refusé le
portefeuille des Relations extérieures, se trouva autorisé dès le 21 à
négocier avec l'extérieur, et avec quel cabinet Ce cabinet de Saint-James,
dont la bienveillante attention lui avait précisément valu, en juin 1810,
l'éclatante disgrâce que l'on sait. Il avait, du reste, prévenu
l'autorisation impériale. Dès le 20 mars, en effet, il avait mandé un des
agents à Paris du ministère britannique, Marshall, l'avait entretenu des
chances que Napoléon avait de se maintenir et sondé les dispositions que
l'Angleterre pouvait nourrir vis-à-vis de l'Empire restauré. Marshall avait
hésité, puis s'était chargé du succès de toute
négociation honorable aux deux pays, pourvu que quelqu'un lui envoyât des
pouvoirs et du crédit[44]. Cette assurance
avait pu influer sur la décision très prompte qu'avait prise l'habile homme
d'entrer, le soir du 20 mars, dans le gouvernement de Bonaparte, qu'après
tout on parviendrait peut-titre à faire reconnaitre à l'Europe fatiguée. Il
avait dû parler, dès le soir, à l'Empereur de son entrevue avec l'Anglais,
car il fut officiellement chargé d'en provoquer une seconde le 21, première
et fort grave imprudence du souverain, qui eut dit, à tout prix, et dès le
début, enfermer le ministre de la Police dans sa tâche de politique
intérieure. Sur l'ordre du maitre, le duc d'Otrante avait alors communiqué à
l'agent anglais une note, on il était, dit que l'Empereur
était arrivé à Paris aux acclamations de toute la population des départements
qu'il avait parcourus, que les Bourbons ne pouvaient convenir à la France
nouvelle, que l'Empereur pouvait seul rattacher à lui toutes les grandes
masses d'intérêts de la nation et garantir tontes les existences, toutes les
situations nées de la Révolution. Jamais Fouché n'avait été aussi
franc : il se disait autorisé à déclarer à l'agent que l'Empereur était disposé à recevoir du gouvernement
anglais toute proposition qui serait honorable aux deux pays, et qui leur
assurerait une paix solide et durable[45]. Il ne semble
pas qu'il v ait en de réponse à ces ouvertures. Fouché voulut-il les
renouveler au profit du gouvernement, ou s'assurer personnellement des
sentiments de l'Angleterre dont il avait a toute époque fait le plus grand
cas ? Le fait est que l'examen de ses papiers met sur la trace d'une mission
confiée, vraisemblablement, à la fin d'avril 1815, à un agent à lui près de
lord Lansdowne, et qui dut le convaincre que jamais la vieille ennemie ne
reconnaitrait le gouvernement, de Bonaparte : aussi bien, précieux
encouragement aux projets personnels de Fouché, le lord avait déclaré-regretter
fort qu'on n'eut pu amener l'Empereur à se sacrifier au profit d'un
gouvernement national, car l'Angleterre n'aurait vu alors aucun avantage à
rétablir les bourbons plus que toute autre dynastie[46]. C'est peut-être
à la suite de cette réponse que le duc d'Otrante avait cru devoir insister
près de l'Empereur pour l'amener à abdiquer et, sur son refus, pris
décidément la résolution de séparer, aux yeux de l'Europe, son sort de celui
du gouvernement irrémédiablement condamné. Dès les premiers jours, il avait pu jouer son personnage devant les représentants de l'Europe à Paris ; il ressort des pièces du ministère des Affaires étrangères que c'est a lui que les ambassadeurs s'adressèrent pour obtenir leurs passeports ; et s'il les renvoya au duc de Vicence, il est fort vraisemblable qu'il dut les entretenir de la situation[47]. Il se réservait, du reste, d'agir avant peu, à Vienne comme à Londres, satisfait pour le moment d'avoir affirmé, aux yeux de l'Empereur et de ses adversaires, sa résolution de ne pas se laisser murer au quai Voltaire et de reprendre, en dehors des limites de son ministère, les incursions hardies qui l'avaient fait disgracier par le maître en juin 1810. Ces sentiments, du reste, ne le détournaient nullement des affaires qui lui étaient officiellement confiées. Comme en 1804, c'était un ministère à reconstruire qu'on lui avait attribué ; il n'y succédait a personne : la Restauration avait désorganisé, démembré et énervé la Police générale. Il rappela au ministère presque tous ses anciens collaborateurs, et, tout en mettant à l'étude un plan de réorganisation générale, songea a créer immédiatement une nouvelle administration provisoire : dés le 22 mars, il faisait signer à l'Empereur un décret nommant deux inspecteurs généraux de police, exclusivement chargés des faits de haute police et de toutes les opérations qui y sont relatives , et nommant à ces postes deux policiers expérimentés : Pasques, qu'il avait longtemps employé, et ce Foudras même, qui, chargé de l'arrêter le 16 mars, l'avait si naïvement... ou si habilement laissé échapper. Les deux hommes devaient être, jusqu'à nouvel ordre, les chefs de la police secrète[48]. D'autre part, la police administrative était également réorganisée : un décret du 28 divisait la France en sept arrondissements de police, ayant chacun à sa tête un lieutenant de police, dont le rôle parut devoir être celui des commissaires généraux, disparus en 1814[49]. Il complétait cette organisation eu faisant supprimer, sous couleur de libéralisme, la direction générale de l'imprimerie, mesure qui rendait tout simplement à la police une prérogative qui lui avait été enlevée en février 1810[50]. Le ministre sembla remettre à une époque moins troublée et moins incertaine le remaniement complet de cette grosse machine, dont il avait jadis, avec tant d'amour, agencé les rouages maintenant rouillés, faussés et brisés. Déchargé sur des collaborateurs, dont il se croyait sûr, de ce qu'on peut appeler la partie technique de la police, il parut disposé à donner une grande attention à la politique intérieure de l'Empire. Le pays était étrangement troublé, désorienté, divisé : c'était une confuse mêlée de partis surexcités, aigris par onze mois d'une odieuse et maladroite réaction ; les rancunes, accumulées d'un côté, n'attendaient qu'un signal du gouvernement pour se donner carrière contre les royalistes qui n'avaient pas quitté la France : des actes de rigueur, de la part du gouvernement ou de ses agents en province, eussent été assurément suivis sans tarder d'une effroyable réaction révolutionnaire et anticléricale, justifiant d'avance toutes les représailles du parti adverse, le jour où l'insuccès probable de l'Empereur aurait remis Louis XVIII au pouvoir. Sur ce point, les meilleurs serviteurs de Napoléon partageaient les idées du duc d'Otrante ; mais il fallait la fermeté du ministre de la Police pour maintenir le maître et le peuple dans la politique de modération et de clémence qui s'imposait. Une autre tendance se manifestait dans les milieux officiels : le nouveau régime ne devait plus être celui de l'absolutisme et de l'arbitraire : c'était l'Empire libéral auquel B. Constant, amené par Fouché à l'Empereur, allait dicter avec une imperturbable gravité sa Constitution parlementaire. C'était donc, de la part du ministre de la Police, entrer dans l'esprit dit nouveau gouvernement et de la situation, que de désavouer hautement les actes de violence et d'arbitraire qui avaient rendu trop célèbre la police impériale, surtout sous le duc de -Rovigo, de représenter, plus encore que par le passé, la police comme la protectrice, la gardienne, la providence des citoyens, la sauvegarde de leur sécurité et de leur liberté. Fouché trouvait, on le pense, dans cette double politique de modération dans la victoire et de libéralisme dans le pouvoir son profit personnel. Dans la crise où il était appelé à jouer un rôle fort difficile, et dont la solution semblait si incertaine encore, il lui importait plus que jamais de se faire, à tout hasard, des amis dans tous les camps, de ménager, de protéger, de sauver les vaincus d'hier, triomphateurs probables du lendemain, d'éviter tout conflit, de décourager toute résistance qui les eût fait naitre. C'est de ces pensées que devaient s'inspirer les premières instructions, attendues avec curiosité, du ministre de la Police générale à ses agents. Le 31 mars, le duc d'Otrante adressait deux circulaires, l'une aux préfets, l'autre aux lieutenants de police. Ces deux pièces constituaient en quelque sorte la charte de la police dite libérale. Après avoir complaisamment flétri la police de la Restauration, ce gouvernement né de la trahison, dont les actes avaient dû porter l'empreinte de cette origine , écrivait le futur ministre de Louis XVIII, sa politique de violence et de réaction, d'espionnage, de délation et d'arbitraire, il déclarait une semblable politique incompatible avec un gouvernement dont les intérêts se confondaient avec ceux des citoyens. Il annonçait l'avènement d'une autre police chargée de maintenir l'ordre public, de veiller à la sûreté de l'État et à celle des individus ; la police avec des formes différentes ne peut avoir d'autres règles que celles de la justice ; elle en est le flambeau, mais elle n'en est pas le glaive, etc. La surveillance des agents de la police ne devait donc pas s'étendre au delà de ce qu'exigeait la sûreté publique ou particulière, ni s'embarrasser dans les détails minutieux d'une curiosité sans objet utile, ni gêner le libre exercice des facultés humaines et des droits civils, par un système violent de précautions que les lois n'autorisent pas, ni se laisser entrainer par des préoccupations vagues et des conjectures hasardées à la poursuite de chimères qui s'évanouissent au milieu de l'effroi qu'elles occasionnent. Il ne voulait plus dans la correspondance la routine des rapports périodiques, ni le vague des aperçus artificiels et purement moraux. Après avoir prôné cette police idyllique, le ministre ajoutait : Le gouvernement trouvant dans la réunion de tous les intérêts, dans l'assentiment de toutes les classes, une force réelle à laquelle les ressources artificielles de l'autorité ne peuvent rien ajouter, il fallait abandonner les errements de la police d'attaque qui, sans cesse agitée par le soupçon, sans cesse inquiète et turbulente, menace sans garantir et tourmente sans protéger, s'enfermer dans les limites d'une police libérale et positive, de cette police d'observation qui, calme dans sa marche, mesurée dans ses recherches, active dans ses poursuites, partout présente et toujours protectrice, veille pour le bonheur du peuple, pour les travaux de l'industrie, pour le repos de tous[51]. C'était parler d'or. Cette police idéale, il la recommandait également aux lieutenants de police. Une police personnelle et tracassière irrite, inquiète et désaffectionne, leur écrivait-il[52] ; celle qui veille pour tous sans acception de personne, sans violence comme sans faiblesse, est la seule qui rassure et rattache ; c'est celle que vous devez faire. A dire vrai et pour rendre justice à Fouché, rappelons que ces circulaires ne constituaient pas une nouveauté sous la plume du ministre. Si les principes qui s'y manifestaient n'avaient pas toujours été mis eu pratique par lui de thermidor an VII à juin 1810, ils avaient été, nous avons eu l'occasion de le constater, constamment prônés et recommandés, soit dans ses rapports à l'Empereur, soit dans les circulaires adressées par lui à ses subordonnés. Ces recommandations empruntaient simplement aux événements, qui les inspiraient derechef une précision et une véhémence particulières. L'insertion au Moniteur leur donnait en outre une haute et éclatante consécration. Elles devaient avoir pour effet de rassurer les royalistes
sur la magnanimité du nouveau gouvernement, les libéraux sur sa largeur de
vues, tous sur sa modération. Fouché achevait l'œuvre en inspirant la
nouvelle loi qui consacrait la liberté de la presse et l'abolition de la
censure. Dans one note, que nous trouvons dans ses papiers et dont la copie
fut probablement remise à l'Empereur, le duc d'Otrante examinait dans quelle
mesure la liberté pouvait être accordée à la presse. La question n'allait pas
sans lui causer de grosses appréhensions : nous avons dit ailleurs quels
sentiments peu bienveillants il nourrissait pour la presse. C'était pour lui,
comme pour Napoléon, un fort gros sacrifice aux circonstances que de lui
accorder une redoutable émancipation. Il conseillait donc de ne pas adopter une tolérance excessive, mais de faire quelque chose de régulier, un seul acte arbitraire devant à son sens faire douter des
promesses de l'Empereur. Il fallait assurément, pour répondre aux
accusations de dictature, établir la liberté
politique et civile étendue et mieux garantie que celle de l'Angleterre,
partant la liberté de la presse[53]. Toujours
partisan, au reste, des mesures personnelles et des négociations secrètes, il
ne se décida à laisser paraitre le décret abolissant la censure qu'après
avoir négocié avec les journaux eux-mêmes un arrangement qui dotait chacun
d'eux d'un rédacteur censeur désigné par le gouvernement : c'était un paratonnerre[54]. La presse
accepta avec reconnaissance ce qui lui parut en somme une mesure
préservatrice : Fouché faisait ainsi coup double,
passant aux yeux des journalistes qu'il détestait pour un protecteur, à ceux
de l'Empereur, qu'il abusait parfois encore, pour un fort utile surveillant.
A dire vrai, les censeurs nommés par le duc d'Otrante se montrèrent fort
indulgents, aussi bien pour les articles de polémique que pour l'insertion
des proclamations et actes de Louis XVIII, faite sous couleur d'informations
; Fouché prétendait volontiers qu'une telle attitude enlevait à ces documents
toute l'importance que leur clandestinité leur eût assurée. On vit. donc les
journaux mêmes qui se publiaient sous l'influence tacite du ministre répandre
les proclamations du roi de Gand, en les accompagnant, il est vrai, de
commentaires ironiques et malveillants[55] : le journal qui
passait il juste titre pour l'organe officieux de Fouché se permettait même
de publier de longs extraits de la Gazette universelle, rédigée à
Gand, qu'il appelait par persiflage le Moniteur Chateaubriand[56]. En outre, une
assez vive opposition fut permise aux journaux de toutes nuances contre le
gouvernement impérial et son chef, même aux organes les plus dévoués au
nouveau régime. Ces concessions valaient au duc d'Otrante de bonnes relations
avec la presse : il était de ceux qui ménagent toute puissance, et celle-là
se révélait. Il alla plus loin et se la voulut asservir. Prompt à se faire à
son nouveau rôle de ministre parlementaire, il conçut immédiatement l'idée de
se créer un organe spécial. Ce fut l'Indépendant, qui parut le 1er mai
1815. Le journal se proclamait aussi hostile aux Bourbons qu'à l'ancien
régime césarien, et se déclarait le défenseur de la patrie et de la liberté :
dirigé par un des anciens membres du jury révolutionnaire qui avait condamné
Marie-Antoinette, Gémond, il n'avait guère pour rédacteurs que des amis
personnels du ministre de la Police, Antoine Jay, Jullien de Paris,
Lanjuinais et l'aller ego de Fouché durant les Cent-Jours, le député Manuel[57] ; le ministre,
ayant, comme nous le verrons, cru bon de pousser son journal dans la voie
radicale[58],
y faisait dès le premier jour attaquer les jésuites, lui faisait recommander
aux électeurs d'anciens conventionnels régicides, ne perdait pas une occasion
d'y combattre tantôt les prétentions de la cour de Gand et tantôt les
intentions secrètes de l'Empereur, mystérieusement révélées au journal et de
fait entravées avant de s'être publiquement manifestées[59]. Nul ne mit en
doute le patronage spécial dont le chef de la police couvrait cette gazette,
qui prêchait d'ailleurs, avec la haine du despotisme, la modération envers
les vaincus[60]. C'était bien en effet la politique qu'il prônait partout ; il avait voulu y conquérir tout d'abord le maître lui-même, lui avait, le 3 avril, adressé une de ces lettres on il savait mêler d'assez dures vérités aux formules d'un respect allant parfois jusqu'à l'adulation : il y plaidait la cause de la clémence et de l'oubli et y développait, à cette occasion. une de ses thèses favorites, l'irresponsabilité des hommes dans les révolutions ; car il affectait parfois une sorte de fatalisme historique très favorable aux gens compromis, lui tout le premier, dans les crises qui se succédaient depuis 1789. En conséquence, il prêchait à l'Empereur l'oubli, l'indulgence, la recherche d'une popularité, principe et but de tout gouvernement d'opinion. Il était, à son sens, impolitique d'intéresser une nation généreuse aux vaincus par d'oiseuses persécutions ; si une indulgence excessive, une trop générale impunité pouvaient enhardir les partisans du roi proscrit, il lui paraissait suffisant de les éloigner de Paris, foyer de toute intrigue, et de les mettre en surveillance, sans recourir à ce que le maitre avait un jour appelé les remèdes vifs. Il fallait aussi, à l'entendre, ménager, dès l'abord, les ambitieux qui avaient adhéré aux Bourbons parce qu'ils n'avaient que de l'adresse et pas de caractère, disait-il audacieusement, car la versatilité des opinions et du langage n'est point aujourd'hui traitée comme une lâcheté criminelle. On l'admire comme un art profitable, comme le fruit d'une expérience consommée. Il fallait laisser à ces gens habiles le temps de venir au gouvernement, au fait accompli, et, par conséquent, ne les point rejeter par la persécution dans le parti où ils s'étaient un jour compromis[61]. Passant de la théorie à la pratique, le ministre de la Police parut disposé à ménager, jusqu'aux dernières limites, toutes gens touchant de près ou de loin au gouvernement déchu[62]. Les contemporains sont unanimes sur ce point, et la correspondance de l'Empereur nous en donne d'incontestables preuves. Il faudrait citer les quarante à cinquante lettres adressées par le maître au ministre : toutes prescrivent une, deux, dix, vingt arrestations, destitutions et exécutions. Le duc d'Otrante avait pu, plus heureux qu'en 1810, garder par devers lui en 1815 et conservé dans ses papiers les originaux des ordres reçus ; nous les y avons retrouvés, dossier suffisant pour décharger le ministre de toute responsabilité ; mais le vrai est que la plupart de ces ordres, réitérés souvent trois et quatre fois, ne reçurent point d'exécution : nous sommes édifiés sur ce point, non seulement par les témoignages contemporains, mais par les cris d'impatience irritée qu'arrache à Napoléon la faiblesse, il n'ose dire l'insubordination du ministre de la Police[63]. Les préfets signalés, menacés par le maitre ne furent point frappés ; les anciens conseillers du roi Ferrand, Dambray, d'André, Séguier[64], préservés de tout dommage malgré des ordres formels ; les biens de Jaucourt, ministre du roi et grand ami de Fouché, mis à l'abri du séquestre prescrit[65] ; des groupes entiers de royalistes de Normandie, de Gascogne et de Provence, protégés contre les colères du maitre[66]. Le ministre joue la bienfaisance universelle : il ménage le clergé, fait rassurer par Gaillard l'abbé Hamon, supérieur général des sœurs de la Charité. qui, enfermé sous le ministère de Savary à Fenestrelles, s'apprêtait, le 20 mars, à en reprendre docilement le chemin ; tranquillise l'abbé Dullin, supérieur de Saint-Sulpice, car il veut se réconcilier avec la compagnie qu'il a, en 1809, assez malmenée[67]. Aux ordres du maitre il oppose la force d'inertie, ne se donnant même plus la peine, comme jadis, de discuter avec ce fou, trainant les affaires en longueur jusqu'à la catastrophe prévue ou la victoire, si improbable soit-elle. Pontécoulant. si malveillant cependant pour Fouché, déclare, non sans raison, que cette politique eut au moins son avantage pour la gloire de Napoléon ; éludés ou adoucis dans leur application, les ordres rigoureux que l'extrême irascibilité du maitre lui faisait dicter ne pesèrent pas sur sa mémoire. Cette révolution du 30 mars, ajoute l'ancien sénateur, qui allait attirer tant de malheurs sur la France, fut exempte du moins de tout caractère de persécution. Pontécoulant n'hésite pas à reconnaitre que le duc d'Otrante fut pour beaucoup dans cette honorable et adroite politique[68]. Il s'en vantait ; nul ne l'ignorait, surtout dans le camp des obligés. Pas un ordre rigoureux de l'Empereur, pas un acte de clémence du ministre, qui ne fut promptement connu et vivement commenté. On pense quelle popularité, tous les jours grandissante, une telle attitude assurait au ministre parmi les ennemis du régime. Ils étaient rares, les intransigeants comme Lainé, qui repoussaient avec une fierté outrageante les avances du suc d'Otrante, se donnant ainsi le droit d'être, six mois plus tard, ses implacables adversaires[69]. Le parti royaliste, au sein duquel Fouché comptait déjà avant le 20 mars tant de bons amis, se laissait tout entier conquérir : on rencontrait dans le salon du ministre un pêle-mêle de royalistes et de jacobins, sans parler des mystérieux visiteurs, comme la baronne de Vitrolles, reçus au fond de son cabinet[70]. Cette universelle bienveillance était commentée, mais fort discrètement ; les jacobins osaient à peine ricaner des bonnes relations du citoyen Fouché de Nantes avec le noble faubourg[71] ; les bonapartistes hésitaient à l'en blâmer. On entrevoyait sa manœuvre, dira Mme de Châtenay[72], comme des travaux d'abeilles dans une ruche, qu'on n'ose pourtant épier de trop près dans la peur de quelque piqûre. Napoléon lui-même semblait craindre l'aiguillon et préférait fermer les yeux, pensant tirer parti de cette popularité pour empêcher tout mouvement royaliste, au moment où il s'apprêtait à jeter toute son armée en Belgique. Du reste, l'indulgence intéressée du ministre allait rarement jusqu'à la faiblesse ; il semblait prêt à étouffer dans et très énergiquement, toute tentative factieuse, mais plus désireux encore de la prévenir ; il n'hésitait pas à dénoncer les faits séditieux qui se produisaient dans l'Ouest et le Midi ; mais peu soucieux d'assumer la responsabilité de la répression, il se contentait de réclamer plus de rigueur dans les arrêts des tribunaux[73]. C'est cette politique de fermeté et de modération que le duc d'Otrante appliquait, notamment à la pacification de la Vendée, derechef agitée. Et cette politique allait y porter tous ses fruits. Dès la fin de mars, le duc de Bourbon avait essayé de soulever l'Ouest sans y réussir ; il sen était précipitamment retiré sous le coup d'une arrestation imminente, suivi de son principal lieutenant, le prince de la Trémouille. Il avait cependant laissé derrière lui des ferments de révolte ; des bruits incessants de prochain soulèvement s'étaient mis à circuler, troublant la Bretagne, l'Anjou et le Maine ; malheureusement l'Empereur, désireux avant tout de rassembler le gros de ses forces sur la frontière du Nord, dégarnissait l'Ouest, en dépit des avertissements arrivant de Nantes, Rennes et Angers. A mesure que diminuaient les garnisons, les bandes d'insurgés grandissaient, et au commencement de mai les chouans commençaient à paraitre partout, dangereux dans un pays désormais privé de troupes. L'état-major vendéen, un instant incertain, semblait maintenant disposé à agir. Le li mai, en effet, d'Autichamp, Suzannet, Auguste de Larochejacquelein, réunis à la Chapelle-Basse-Mer, avaient, sur l'ordre exprès expédié de Gand par Louis de Larochejacquelein, désigné comme généralissime, fixé au 15 la date de l'insurrection générale ; elle s'était immédiatement propagée. Les officiers effrayés avaient, sur-le-champ, transmis à Paris des rapports un peu exagérés on les rebelles étaient représentés connue disposant de 40.000 hommes, sans compter 10.000 Anglais prêts à débarquer ; Rennes, Nantes, Angers semblaient menacés ; les généraux réclamaient au moins 10.000 hommes de renfort. Cette insurrection prenait Davout au dépourvu ; il n'en était pas de même du duc d'Otrante. Connaissant à fond l'Ouest, car il en avait vu en 93 et suivi, depuis, tous les mouvements, il savait à quel point le soi était miné, combien la plaie était mal cicatrisée. Dés le mois de mars, il avait prévu, prédit l'insurrection. Au surplus, il en était aussi contrarié que l'Empereur, quoique pour d'autres raisons. Si Napoléon y voyait une attaque gênante sur ses derrières, une fâcheuse diversion qui, compromettant son autorité à l'intérieur, son prestige à l'extérieur, le forçait en outre à enlever à son armée du Nord une ou deux brigades, Fouché apercevait en ces événements un bien autre danger. Ce conflit, qu'il avait cherché si diplomatiquement à éviter en mars 1815, allait éclater, rompant tout l'équilibre si difficilement maintenu ; la Vendée, cela ne faisait guère de doute, serait écrasée par les 10.000 hommes détachés de l'armée du Nord ; Fouché ne pourrait empêcher des représailles, une répression, un dur châtiment. Ministre de la Police, il en serait chargé, ne pourrait s'y dérober. Il lui apparaissait cependant peu opportun, a la veille du retour du roi, d'ajouter les noms d'un Larochejacquelein, d'un Suzaunet et d'un d'Autichamp au martyrologe, déjà fort compromettant pour lui, qui commençait à Louis XVI pour finir a Armand de Chateaubriand. Si, par le plus grand des hasards, la Vendée mal corn-battue était victorieuse, c'était un bien autre inconvénient : le roi restauré, fût-ce à Nantes, a Rennes ou au Mans, par ses fidèles chouans restait redevable à eux seuls de cette restauration ; or ces Larochejacquelein n'aimaient guère Fouché de Nantes ; mauvaise affaire pour celui-ci. De toutes les façons, Fin-surrection contrariait ses plans ; il entendait bien combattre au service de Louis XVIII, sans que les chouans s'en chargeassent ; il voyait d'autre part l'Empereur rendu très soucieux par cette menaçante explosion ; excellente occasion, en l'étouffant sans coup férir, de regagner une confiance tous les jours décroissante. Aussi bien, il aimait les remèdes doux, se plaisait aux intrigues, aux négociations, aux tours de passe-passe. Il fit part à Napoléon d'un plan de pacification, avant même que l'insurrection eût eu le temps de se propager bien loin. Dès le 15 mai, il avait carte blanche ; l'Empereur l'autorisait à négocier avec les chas vendéens, qui, ajoutait-il, peut-être avec une ironie secrète, vous connaissent et ont en tous affaire à vous[74]. Le duc d'Otrante savait depuis longtemps à qui parler en cette circonstance. S'il possédait son groupe de jacobins dévoilés, il avait aussi sous la main toute une petite société de chouans apprivoisés. Le comte de Malartic était du nombre. Ancien chef d'état-major de l'armée du Maine, en 1793 et 1794, il faisait en 1813 partie du groupe ultra-royaliste, mais de ceux qui avaient, dès mars 1813, voulu pousser le duc d'Otrante dans les conseils du roi : c'était, on se le rappelle, lui qui avait conduit le comte d'Artois à Fouché. En reconnaissance de cette flatteuse bienveillance, celui-ci lui avait, après le 20 mars, et non sans dessein, permis de restera Paris, d'où l'ancien chef vendéen s'apprêtait, en mai, à regagner l'Anjou pour se joindre aux autres. Le ministre le manda incontinent au quai Voltaire et, tout de suite, lui parla avec dédain de cette insurrection prématurée, préjudiciable à la cause même qu'elle prétendait servir, puisque, écrasée sous peu par des forces militaires considérables, elle allait causer la perte des meilleurs serviteurs du roi et autoriser Bonaparte aux mesures violentes. C'est dans le Nord que le sort de la France va se décider, aurait-il déclaré ; les hostilités ne commenceront que le 13 juin. D'ici là, la Vendée sera écrasée. Aidez-moi donc à arrêter l'inutile effusion du sang français. Tous les chefs vendéens licencient leurs paysans et rentrent tranquillement chez eux. Je leur garantis toutes les suretés... Acceptez la mission que je vous offre, c'est le seul moyen d'empêcher le départ des troupes et la mise hors la loi des départements insurgés. Après quelques hésitations, Malartic accepta, sollicita deux autres chefs royalistes de se joindre à lui et partit avec eux, le 26 mai, de Paris, muni de passeports et de lettres de Fouché[75]. Ils trouvèrent les circonstances favorables à leurs projets ; comme le disait avec raison Fouché, l'insurrection était prématurée, on manquait d'armes et de munitions ; le général Travot avait remporté, le 19 mai, un succès facile à Aizenay, qui avait découragé la masse. Enfin, les chefs, jaloux du titre de généralissime donné à Larochejacquelein, se soumettaient mal à sa direction. Après une première entrevue à Mortagne-sur-Sèvre avec d'Autichamp, les envoyés de Fouché, qui l'avaient conquis à l'idée d'un armistice, gagnèrent les autres chefs, qui, en dépit des protestations du généralissime, signifiaient à celui-ci, le 31 mai, leur résolution de mettre bas les armes jusqu'à nouvel ordre. Larochejacquelein, ayant refusé d'admettre ce qu'il appelait un lâche abandon et voulu engager la lutte sans ses lieutenants, fut tué le 3 juin ; sa mort désorganisa complètement l'insurrection, qui, du reste, avortait grâce à la diplomatie du duc d'Otrante. Celui-ci avait inondé l'Ouest d'agents moins honorables que Malartic, comme ce Sauquaire-Souligné, chouan vendu à la police, qui paralysèrent toute action. Au surplus, le duc d'Otrante était homme à ne rien négliger et à ne se fier jamais à un seul procédé ; excité, du reste, par l'Empereur, il adressait des instructions très fermes aux préfets de l'Ouest, qu'il mettait en garde contre l'insouciance aussi bien que contre la peur. Dans sa circulaire du 28 mai, il annonçait la formation de colonnes mobiles auxquelles les préfets devaient prêter appui, et prescrivait un certain nombre de mesures qui, signées duc d'Otrante, n'étaient autres que celles jadis dictées, en mars 93, par le citoyen Fouché, proconsul à Nantes[76]. Enfin, il prescrivait le 1er juin aux préfets du Midi et de l'Ouest de faire surveiller de très près tous les anciens agents royalistes capables de se faire les chefs ou fauteurs de nouveaux troubles, et, au premier indice de conspiration, de les faire arrêter. Pour couper, du reste, toute espèce de communication entre le Midi et l'Ouest — ce qu'il avait toujours avant tout redouté — il encourageait la formation des fédérations, associations dans lesquelles venaient se concerter et s'armer les patriotes hostiles aux chouans de tout crin[77]. De fait, au moment où Fouché prenait ces précautions, l'insurrection était étouffée ; les chefs vendéens acceptaient tout au moins une trêve ; le 7 juin, le duc d'Otrante transmettait au général Lamarque l'autorisation de signer avec eux une convention qui consacrait cette paix provisoire[78]. C'était à la fois un très gros soulagement pour Fouché et un très brillant succès pour sa politique. Les deux partis lui en devaient une reconnaissance qu'il sut exploiter. Le vrai est qu'il eût été assez difficile de savoir qui, en cette circonstance, il avait réellement le mieux servi, de Louis XVIII ou de Napoléon[79]. Celui-ci s'en rendait compte sans doute : car il ne paraît pas avoir adressé au duc d'Otrante les félicitations auxquelles semblait avoir droit un homme qui, par sa seule politique, lui avait épargné le souci de distraire 20.000 hommes de son armée du Nord et l'horreur d'une répression sanglante. Au surplus, l'Empereur, à certains égards, pouvait se dispenser de toute reconnaissance envers son ministre, car au moment où celui-ci venait d'écarter de sa route un contrariant obstacle, il lui en opposait un autre singulièrement dangereux, bâti de ses propres mains. Fouché venait, en effet, de faire élire la Chambre de 1815. Ces élections de mai 1815 jouent un grand rôle dans l'histoire des Cent-Jours : elles présentent un bien autre intérêt pour le biographe de Fouché. Ce singulier personnage, qui pendant trente ans apparaît sur la scène politique avec tous les rôles, en inaugure un en cette circonstance, car il donne ici la mesure de ce qu'il eût été comme ministre parlementaire, si l'avènement d'un d'Orléans, par exemple, en 1815, lui eût permis de jouer ce rôle d'une façon plus continue et plus complète. Du premier coup, l'ancien ministre du gouvernement absolu se trouve à la hauteur du nouveau rôle, précurseur de cette longue lignée de ministres chargés successivement sous tous les régimes depuis 1815 de guider le suffrage, restreint ou universel, dans les voies de la sagesse... et de l'intérêt ministériel. Il était mûr pour cette nouvelle incarnation, celle du ministre à poigne qui fait les élections, pour employer la barbare, mais réaliste langue de la politique contemporaine. Il avait du régime parlementaire un mépris sans limites, nous l'avons vu, ne pouvant, par conséquent, concevoir un instant le scrupule de peser sur le choix des électeurs et la conduite des élus. Pendant que Carnot, devenu ministre de l'Intérieur et auquel ressortissait la surveillance des élections, s'enfermait dans une neutralité légale et constitutionnelle[80], Fouché, moins entiché de libéralisme, travaillait de tous ses moyens à faire élire la Chambre qu'il jugeait le mieux convenir, sinon à la situation telle qu'elle était, du moins à la situation qu'il prévoyait et voulait pour un prochain avenir[81]. Au moment où, ministre de l'Empereur, il cultivait l'amitié des royalistes, il trouvait utile et plaisant de diriger les élections dans le sens de l'ultra-libéralisme et de faire entrer au Palais-Bourbon ce pêle-mêle de jacobins, de libéraux, de conventionnels de la veille, d'orléanistes du lendemain, de républicains et de constitutionnels, le plus propre à constituer un Corps législatif fort peu favorable à l'Empereur personnellement, au césarisme et à toute restauration du pouvoir personnel. Il s'en vantait, au reste, à la veille des élections. On lui prépare une Chambre des représentants où il aura de tout, ma foi. Je ne lui épargnerai même pas Barère et Cambon, ni, comme vous le jugez, La Fayette. Cela forme le caractère. Le temps des exclusions est passé, et aujourd'hui de pareils hommes sont une garantie pour nous autres hommes avancés de la Révolution[82]. Il avait, en effet, fidèle à son programme, réalisé ce rêve toujours caressé depuis 1804 d'être le ministre de l'opposition. Affectant de suivre l'Empereur dans la voie qu'il avait impudemment ouverte par les proclamations de Lyon, le ministre de la Police jeta les électeurs bourgeois sur lesquels il exerçait une grande influence dans la concentration révolutionnaire, qu'on me permette ce néologisme : 1789 fraternisa avec 1793 sous les auspices du citoyen Fouché de Nantes, ministre d'un César et demain du Roi Très-Chrétien[83]. Cette manifestation électorale allait, semblait-il à Fouché, donner, aux veux et du souverain de Paris et de celui de Gand, un singulier prestige au ministre issu du jacobinisme, au représentant des idées et des hommes de la Révolution. Dès le 4 mai, le journal officieux écrivait qu'aucun souvenir du passé, aucune prévention suggérée par l'esprit de parti ne devaient donner lieu à des exclusions injustes, encouragement à choisir des conventionnels régicides comme des libéraux de la Constituante[84]. C'est dans cet esprit, en effet, que votèrent les collèges ; on vit entrer au Palais-Bourbon, grâce à l'influence active de l'ancien proconsul révolutionnaire, des terroristes extrêmes, des conventionnels, oubliés depuis vingt ans et dont beaucoup ne s'étaient jamais ralliés à l'Empire, Félix Lepelletier, Cambon, Merlin, Drouet (de Sainte-Menehould), Poulain-Grandpré, Garai, Garnier de Saintes, Barère, etc.[85] ; des libéraux jeunes et vieux, très peu sympathiques au césarisme et au souverain, comme La Fayette, Lanjuinais, Dupont de l'Eure, Durbach et autres : il faut y ajouter une catégorie d'hommes auprès desquels le duc d'Otrante était persona grata, gens par contre fort hostiles à l'Empereur, les financiers, qu'il fit élire à Paris, Roy, Laffitte, Perrégaux, Hottinguer ; il ne lui épargna qu'Ouvrard et Hinguerlot. Lui-même put se croire revenu un instant à l'époque, combien lointaine ! où il allait siéger dans la salle du Manège à côté des Cambon, des Barère et des Lanjuinais ; le département de la Loire-Inférieure, entrant dans l'esprit des circonstances et oublieux de vieilles trahisons, retrouvait pour S. E. le duc d'Otrante les suffrages dont il avait honoré vingt-trois ans le principal du collège de Nantes. Prévoyant, du reste, que sa grandeur ministérielle l'enchaînerait sans doute au rivage, et ne songeant pas à jouer un rôle actif à la tribune, il avait pris soin, toujours en ministre parlementaire avisé, de faire entrer dans la nouvelle Assemblée de véritables comparses, des créatures personnelles : son ancien élève, longtemps son aller ego Antoine Jay, publiciste distingué qui devait jouer un rôle si important dans la crise de juin 1815, était élu à Bordeaux ; à Aix, qu'il considérait comme un fief électoral, il imposait son propre secrétaire Fabri, agent dévoué, sinon brillant, surveillant commode au Palais-Bourbon ; enfin et surtout il faisait envoyer à la Chambre, par un obscur collège des Basses-Alpes, ce jeune Manuel, éloquent, intelligent et sympathique, sur lequel il avait pris jadis à Aix et gardait une influence sans limites et sans prix : médiocre orateur et assez plat écrivain, le duc trouvait chez ce jeune leader, avec l'ardeur d'une foi neuve, le crédit moral que Fouché n'avait plus et la parole de feu qui lui avait toujours fait défaut[86]. Le jeune avocat provençal, élu par les soins de Fouché, alla jusqu'à accepter à l'hôtel d'Otrante une compromettante hospitalité[87], qui fit du futur leader libéral le familier, l'organe du vieux ministre jacobin, le rédacteur de ses circulaires, disait-on, et presque son secrétaire[88]. Entre les mains du froid Nantais, ce fougueux. Méridional, comme jadis Murat et Bernadotte, devenait un instrument de règne ; il était sa voix et son geste. Et lorsqu'on vit, en une célèbre séance, Manuel se prononcer coutre le régime impérial essayant de renaître de ses cendres, nul ne mit en doute, au dire d'un contemporain, que sa parole ne fût la pensée du duc d'Otrante assis immobile et muet au banc des ministres[89]. Avec Barère, devenu la chose de Fouché, avec des députés plus obscurs, Lacoste, Gourlay, Clément du Doubs, en relations étroites avec lui, les Jay et les Manuel allaient précisément être en cette courte session les maîtres de la tribune : c'est dire que Fouché allait y régner. Fouché, on le voit, n'avait pas perdu les trois mois qui séparèrent le retour de l'Empereur de l'ouverture de la session parlementaire à Paris et des hostilités sur la frontière. Il pouvait se rendre cette justice qu'à l'intérieur — nous verrons tout à l'heure ce qu'il faut penser de son action extérieure —, il avait accompli point par point le programme qu'il s'était tracé. Il avait, tantôt avec l'appui de l'Empereur, tantôt contre son gré, épargné à la France toute réaction et paralyse toute résistance ; par ses circulaires, ses propos et ses actes, il avait travaillé avec succès ti un apaisement relatif, succès inespéré au lendemain du 20 mars, service capital rendu a l'Empereur et au pays. Il avait en outre, par la, gagné dans le camp royaliste d'utiles amitiés en vue d'éventualités prochaines. Il avait cependant su paralyser dans le Midi toute action royaliste, l'avait étouffée en Vendée, mais de telle façon qu'il pouvait se prévaloir de ce service à Gand autant qu'à Paris, et que son crédit avait paru grandir, en effet, de ce fait autour du roi proscrit ; et pendant qu'à Paris le bruit courait qu'il était, au quai Voltaire, autant que le ministre de l'Empereur, celui du Roi Très-Chrétien, il trouvait utile de grouper derrière lui, Fouché, une Chambre de tendances révolutionnaires qui, élue sous son inspiration, peuplée de vieux amis, surveillée par des agents à lui, dirigée par des créatures remarquablement choisies, devait être sous la main du ministre un instrument commode et contre l'Empereur et contre le Roi. La Chambre des pairs, dont le principal orateur était son vieil ami Thibaudeau, et dont il allait faire lui-même partie, semblait également soumise à son action. Enfin, malgré les efforts tardifs de Bonaparte pour lui enlever, le 19 mai, la surveillance de la presse, il restait le maitre exclusif et le meilleur allié de cette autre puissance. Il se croyait donc très fort, se vantait à La Valette d'avoir pour lui l'opinion[90], et, fort de ce crédit universel, il agissait avec toute l'audace et l'omnipotence d'un homme d'État sans maitre, à Londres, à Gand, à Vienne, partout où sou esprit délié pouvait glisser un émissaire, partout où il cherchait la solution de ce redoutable et bien singulier problème : Quel serait avant deux mois le successeur du maitre qu'il servait et le souverain du lendemain ? |
[1] Le duc d'Otrante à Mme de Custine, 9 mars 1815.
[2] Le duc d'Otrante à Mme de Custine, 10 mars 1815.
[3] VITROLLES, II, 328. Fouché avouait plus tard à Vitrolles qu'il avait la certitude, dès le commencement de 1815, d'être appelé au ministère avec l'abbé de Montesquiou.
[4] Le duc d'Otrante à Mme de Custine, 12 mars 1815. BARDOUX, 218.
[5] Le duc d'Otrante à Mme de Custine, 14 mars 1815. BARDOUX, 222.
[6] PASQUIER, III, 147.
[7] FERRAND, 126 : Mme DE CHÂTENAY, II, 484, qui sont ici l'écho du chancelier, et GAILLARD, confident de Fouché, Mém. inédits. Celui-ci écrit : Je voyais tous les jours le duc d'Otrante, de qui j'apprenais tous ces détails ; j'en prenais note, mes enfants peuvent ajouter foi aux récits.
[8] Le duc d'Otrante à Mme de Custine, 14 mars. BARDOUX, 222.
[9] FERRAND, 126. Mme DE CHÂTENAY, II, 484. GAILLARD, Mém. inédits.
[10] Cf. sur les prodromes du 20 mars les admirables pages de Henry HOUSSAYE. Le caractère révolutionnaire du retour de l'aigle y est très nettement indiqué.
[11] Benjamin CONSTANT, Mém. sur les Cent-Jours, p. 96.
[12] BARDOUX, Mme de Custine, 225. — Matériaux pour servir..., p. 277.
[13] Mémoires de Fouché, II, 309-310. Le mot est répété dans presque tous les mémoires de l'époque, et les historiens s'en sont fait l'écho.
[14] Le duc d'Otrante à Mme de Custine, 12 mars 1815, déjà citée.
[15] Mémoires de Fouché, II, 309-310. GAILLARD, Mém. inédits. BARDOUX, Mme de Custine. H. HOUSSAYE, 1815.
[16] Notes autographes du duc d'Otrante au baron de Vitrolles, 1815 (gracieusement communiquées par MM. Charavay).
[17] BOURRIENNE, X, 276. — Mémoires de Fouché, II, 310-312.
[18] Nous empruntons les détails de ce curieux épisode, sur lesquels, du reste, les mémorialistes sont à peu près tous d'accord, aux Mém. inédits de Gaillard, à BOURRIENNE, X, 270, 270, à DE BARANTE, Lettre du 15 mars 1815, II, 10 ; aux Mém. de Fouché, II, 310, 312. Cr. aussi le récit succinct qu'en fait M. Henry HOUSSAYE, 1815.
[19] DE BARANTE, 15 mars, II, 10.
[20] Le duc d'Otrante à Mme de Custine, 16 et 18 mars 1815. BARDOUX, 225, 227.
[21] H. HOUSSAYE, 1815.
[22] L'archevêque de Besançon, Le Coz, au duc d'Otrante, 27 mars 1815, F7, 6232.
[23] LAMOTHE-LANGON, le Retour de l'île d'Elbe, p. 407.
[24] LA VALETTE, II, 180. — LAS CASES, suite du Mémorial. — DE CHÉNIER, Davout. — Mém. de Fouché, II, 314-315.
[25] Lettres de l'agent T. Y. au duc d'Otrante. 25 mars 1815 (Papiers confiés à GAILLARD). Ces lettres inédites sont fort curieuses en général. Le chargé d'affaires d'Autriche, LEFEBVRE DE RECHTEMBOURG, croyait savoir que Napoléon avait, dès Lyon, composé son ministère, où le duc de Rovigo prenait la police. Rapport du 3 avril 1815, Arch. de Vienne, cité par WERTHEIMER, 189.
[26] LA VALETTE, II, 180.
[27] FLEURY DE CHABOULON, II, 352.
[28] H. HOUSSAYE, 1815.
[29] FLEURY DE CHABOULON, I, 266.
[30] GAILLARD, Mém. inédits.
[31] Moniteur du 21 mars 1815.
[32] FLEURY DE CHABOULON, II, 1.
[33] BOURRIENNE, X, 432.
[34] CARNOT, Mém. sur Carnot, II, 461.
[35] Il faudrait citer toutes les lettres de l'Empereur au duc d'Otrante, du 30 mars au 3 juin. Corr., Lettres inédites, t. II, et les cinquante-neuf lettres conservées dans les papiers de GAILLARD.
[36] FLEURY et BEUGNOT parlent encore en ces circonstances de l'étrange fascination que Fouché paraissait exercer sur l'Empereur et que Méneval avait remarquée en 1809. (Cf. ch. XIII.)
[37] CARNOT, II, 462.
[38] LAMOTHE-LANGON, les Après-midi de M. de Cambacérès, III, 307.
[39] POZZO DI BORGO, 3 mars, 17 avril, I, 93, 99.
[40] GUIZOT, I, 73.
[41] Note autobiographique (Papiers confiés à GAILLARD).
[42] PASQUIER, III, 169, 173. Curieuse et longue conversation entre Fouché et Pasquier. — MÉNEVAL, II, 339.
[43] Cf. chapitre XXV.
[44] Note du 20 mars, négociation Marshall. Arch. aff. étr., France, 1801, pièce 13.
[45] Note du 20 mars, négociation Marshall. Arch. aff. étr., France, 1801, pièce 13.
[46] Notes des 21, 24 mars, 7 mai. Arch. aff. étr., France, 1801 et 1802.
[47] Décret du 22 mars 1815. Arch. nat., F7, 4379.
[48] Note manuscrite relative à cette mission. Papiers confiés à GAILLARD.
[49] Décret du 28 mars 1815, Moniteur du 30 mars.
[50] Décret du 25 mars 1815.
[51] Le duc d'Otrante aux préfets, 31 mars 1815 (Manuscrit, A. N., F7, 6549). Moniteur du 4 avril.
[52] Le duc d'Otrante aux lieutenants de police. Arch. aff. étr., France, 1801, pièce 60.
[53] Note manuscrite à l'Empereur (Papiers confiés à GAILLARD).
[54] Cf. ces nominations des rédacteurs, 21 mars 1815, A. N., F7, 4779.
[55] L'Indépendant osait, le 5 mai, vanter la liberté qui régnait en France, où les émissaires royalistes se répandaient sans crainte dans tous les coins de Paris... Vos proclamations, vos déclarations circulent partout, et partout on les méprise. Le 11 mai, le journal du duc d'Otrante offrait ironiquement à la cour de Gand de publier ses actes officiels.
[56] Collection de l'Indépendant, mai-juin 1815.
[57] HATIN, Bibl. de la presse.
[58] Il se montrait notamment assez aigre pour te clergé, jusqu'à provoquer une protestation du ministre des Cultes Bigot à Fouché, contre l'attitude du journal rédigé dans le même style que les journaux de 1793. (JAUFRET, Mém., III, 54-59.)
[59] Collection de l'Indépendant, mai-juin 1815.
[60] Vous savez que l'Indépendant est le journal de Fouché. LA FAYETTE, 9 juin 1815, Mém., V, 509, et DUVERGIER DE HAUBANNE, II, 532. L'Indépendant fut la première forme du Constitutionnel, devenu si célèbre sous la Restauration et la monarchie de Juillet.
[61] Rapport (inédit) à l'Empereur, 3 avril 1815 (Papiers confiés à GAILLARD).
[62] Esquisses des Cent-Jours.
[63] Corr. de l'Empereur ; Lettres publiées par LECESTRE ; Lettres publiées par DE BROTONNE ; Lettres publiées par LUMBROSO.
[64] Lettres citées, et BEUGNOT, II, 240.
[65] GAILLARD, Papiers inédits.
[66] Lettres publiées par LUMBROSO.
[67] GAILLARD, Papiers inédits.
[68] PONTÉCOULANT, III, 323.
[69] Déclaration de Lainé, Journal universel (de Gand), avril 1815. Comme le duc d'Otrante, se disant ministre de la Police, m'outrage assez pour me faire dire pie je peux rester en captivité, à Bordeaux et vaquer aux travaux de ma profession, je déclare que si son maitre et ses odieux agents ne me respectent pas assez pour me faire mourir pour mon pays, je les méprise trop pour recevoir leurs outrageants avis...
[70] Mme DE CHÂTENAY, II, 502, 504.
[71] Le Patriote de 89, 9 mai 1815.
[72] Mme DE CHÂTENAY, II, 515.
[73] Rapport (inédit) à l'Empereur, 7 mai 1815 (Papiers confiés à GAILLARD).
[74] Napoléon au duc d'Otrante, 15 mai 1815. Corr., 21913.
[75] Relation de Malartic (Arch. du minist. de la Guerre, armée de l'Ouest, 26 juin 1815, mise en œuvre par H. HOUSSAYE, 1815, p. 370. Pour tout cet incident, cf. HOUSSAYE, 569-580, et DAUDET, la Police et les Chouans, p. 329-359. Nous avons en recours aux mêmes sources et avons cru devoir résumer ici ces deux excellents récits.
[76] Le duc d'Otrante aux préfets de l'Ouest, 28 mai. Moniteur du 4 juin.
[77] Bulletin de police, 1er juin 1815, F7, 3785. L'Empereur préconisait des moyens plus violents, parlant d'attribuer au général Delaborde, en Vendée, les pouvoirs de haute police, comme foyer en 1807, à Henry en 1809. Napoléon au duc d'Otrante, 17, 20 mai. Corr., 21921, 21936.
[78] Le duc d'Otrante au général Lamarque, 7 juin 1815. CANUEL, Mém. de la guerre de Vendée en 1815, Paris, 1817.
[79] C'était le sentiment général (Mme DE CHÂTENAY, II, 578).
[80] CARNOT, II, 463-464.
[81] Esquisses des Cent-Jours. L'auteur dit que c'est en voyant l'influence que Fouché voulait prendre sur les élections que Napoléon lui retira la direction des journaux.
[82] VILLEMAIN, les Cent-Jours, ch. IX.
[83] BONNAL, Manuel et son temps, ch. IV.
[84] Indépendant du 4 mai.
[85] Il faut y ajouter Desmarest, un des hauts agents de Fouché, qu'il fit élire dans l'Oise. C'était, on s'en souvient, un homme de 93 (ch. XV).
[86] Biographie Michaud, art. JAY et MANUEL. BARÈRE, Mém., IV, 315, 317. BÉRENGER, Ma Biographie. BONNAL, Manuel et son temps, ch. IV. DE LA CROISELTE, Manuel.
[87] BARDOUX, Mme de Custine.
[88] DE BARANTE, II, 157. BARÈRE, IV, 315, 317, et chapitre XXVII.
[89] THIERS, Histoire de l'Empire. BONNAL, Manuel et son temps.
[90] LA VALETTE, II, 184.