FOUCHÉ (1759-1820)

DEUXIÈME PARTIE. — LE MINISTRE FOUCHÉ (1799-1810) (suite)

 

CHAPITRE XX. — SECONDE DISGRÂCE.

 

 

Immense orgueil du duc d'Otrante. — Il veut rapprocher l'Empereur de l'Angleterre. Ses idées à ce sujet. — L'affaire Kolli. — Fouché croit dès la fin de 1809 le moment venu d'agir. — La mission Fagan ; entrevue avec lord Wellesley ; échec définitif de cette mission. — Le duc d'Otrante, introduit dans une autre négociation, s'en empare. — Programme de cette négociation. Intervention du banquier Ouvrard. Il présente Labouchère. Ce négociant voit lord Wellesley et n'obtient rien. — Nouvelle mission donnée à Labouchère par l'Empereur. Fouché substitue ses instructions à celles du souverain ; clandestinité évidente de la négociation. — Nouvelles entrevues avec lord Wellesley. Celui-ci se montre favorable. — Napoléon découvre par hasard quelques indices de cette intrigue. — Colère de Napoléon, qui cependant se contient. — Imbroglio fantastique. — Fouché averti se rassure. — Le conseil des ministres du 2 juin. Violente interpellation de l'Empereur à Fouché. — Le 3, il annonce au conseil la destitution de Fouché. Celui-ci reçoit deux lettre. de Napoléon. — L'Empereur ménage encore son ancien ministre. Celui-ci est nommé gouverneur des États romains ; il obtient du duc de Rovigo de rester au ministère et s'y enferme avec Gaillard pour y brûler les papiers. — Émoi de Paris en apprenant la destitution du duc d'Otrante ; les gens compromis disparaissent. Senti-nient général d'inquiétude. Attitude de Fouché. Il obtient d'être nominé ministre d'État. — L'Empereur s'inquiète de la présence de Fouché au ministère. — Le duc d'Otrante se retire à Ferrières. L'affaire Ouvrard se découvre. — Découverte de la négociation Fagan. — Stupéfaction et colère de l'Empereur. Napoléon fait réclamer les papiers. — Fouché refuse à cinq reprises de les rendre. Ambassades successives ; l'Empereur exaspéré menace Fouché. — Celui-ci est définitivement disgracié et exilé. — Il s'enfuit en Italie, se réfugie à Florence, puis à Livourne, essaye de s'embarquer pour l'Amérique, puis rentre en France et reçoit l'ordre de se retirer à Aix. — Il affecte de s'y rendre avec plaisir. — On l'y oublie. — Le ministère de Fouché sous l'Empire. Services rendus ; grands talents déployés Il mérite la recoin des amis du régime.

 

Il est assez difficile de s'imaginer à quel degré d'infatuation et d'audace était arrivé le duc d'Otrante vers le mois de mai 1810. Ayant échappé aux conséquences de la crise d'août et de septembre 1809, sous lesquelles eût succombé tout autre ministre de Napoléon, puis aux effets de la réaction contre-révolutionnaire qui avait paru la suite logique du mariage de l'Empereur avec la petite-nièce de Louis XVI, il pensait désormais être à l'abri de toutes les surprises, de toutes les entreprises et de toutes les disgrâces. Les hommes politiques, plus que les autres, croient à leur étoile ; les moins superstitieux s'y laissent prendre, et peut-être le fils du marin croyait-il l'apercevoir briller au-dessus d'une nier qu'il avait connue si orageuse, et qui, maintenant, s'ouvrait, en apparence, calme et engageante à sa barque. A. dire vrai, plus outrecuidant que superstitieux, il avait foi surtout dans ses talents et dans son audace. Devant le maitre, despote désormais sans retenue, aux défiances éveillées et aux colères terribles, tout se courbe ou se brise, gentilshommes et bourgeois, anciens ministres de Louis XVI et anciens proconsuls de la Révolution, prêtres et princes. Fouché se fait cette illusion que, seul, il reste debout. Cette situation lui donne une haute estime pour son génie, qu'il a, du reste, toujours prisé très haut. Puisque ce système d'audace lui a réussi, plus qu'aux autres la platitude, pourquoi ne s'y pas engager plus avant ? Puisqu'il a pu, en août 1809, lever des bataillons et parler à la France le langage de 93, pourquoi, ayant fait la guerre, ne pas faire la paix, s'assurer ainsi la reconnaissance de la nation et s'imposer à l'Empereur consolidé et assuré de vivre ? La police l'occupe encore, mais, l'Ouest pacifié, les partis antidynastiques en apparence étouffés, à quoi est-il encore utile ? Il lui faut, pour rester nécessaire, un champ plus vaste, d'autres services et d'autres succès. C'est alors que l'idée s'empare de lui de couronner son œuvre de pacification en jetant l'Angleterre dans les bras de l'Empereur, que son union récente avec l'Autriche et son alliance encore inaltérée avec la Russie met à l'apogée de son système.

Il avait toujours, depuis 1804, ardemment désiré la paix avec l'Angleterre. Nulle guerre ne lui paraissait plus fatale. Ministre de l'Intérieur, il avait pu voir de très près de quelle épouvantable misère le blocus frappait le commerce national : ses lettres au sujet des licences sont, sur ce point, très édifiantes. En relations étroites avec le monde de la Bourse, il mesurait avec effroi la marche descendante du marché financier, la stagnation des affaires, la ruine des banques et des comptoirs. Ministre de la Police, enfin, il était las de lutter toujours et sans cesse contre l'incessante infiltration des agents anglais ; il ne se laissait pas prendre à la tranquillité de l'Ouest : Londres était encore plein de chouans, n'attendant qu'une nouvelle occasion pour se lancer en ces mystérieuses missions où avaient sombré les Lahaie les Prigent et les Chateaubriand, mais qui énervaient l'Ouest, y perpétuaient le malaise, en faisaient une terre minée, toujours prête à sauter au premier désastre de l'Empire. La Vendée, c'était — tant qu'on restait en guerre avec l'Anglais — le tonneau des Danaïdes. Il avait essayé d'une autre politique pour séparer le cabinet de Saint-James et la cour d'Hartwell, ayant voulu persuader aux ministres anglais qu'on s'abusait à Londres sur les chances d'une restauration, et, d'autre part, démontrer aux royalistes que l'Anglais les leurrait depuis quinze ans de promesses sans exécution. La tentative avait manqué. Londres continuait à rester le centre, l'asile, l'atelier d'imprimerie et le foyer d'agitation de l'opposition à la Révolution et à l'Empire. Fouché avait fermé les portes de la Bretagne et de la Normandie, mais il savait l'ennemi toujours en éveil, cherchant de l'œil l'anse inconnue, la falaise escarpée qui servirait de point au débarquement du chouan. Aussi bien, l'Angleterre avait paru disposée à aller plus loin : pendant que ses troupes opéraient avec succès en Portugal, pouvant, après tout, d'un hardi coup de main se porter sur les Pyrénées, le cabinet de Saint-James avait jeté sur la Belgique soldats et marins : Flessingue avait été pris. Fouché restait sons le coup de cette grande émotion. Si cette tentative eût été faite trois mois plus tôt, A l'heure où Essling faisait douter de la fortune de l'Empereur, qui sait jusqu'où eût pu aller l'audace des conquérants de Walcheren, aidée de cette immense démoralisation que nous avons vue se produire d'une extrémité à l'autre de l'Empire ? L'Anglais menaçant la France et Paris, quelle perspective ! Quelle catastrophe ! Jamais l'Angleterre n'a reconnu l'Empire : le reconnaitra-t-elle plus, lorsque, Napoléon guerroyant en quelque expédition lointaine, les généraux anglais seront à Bordeaux, à Anvers, à Paris ? Derrière les habits rouges, Fouché, mieux que personne, aperçoit les revenants de l'armée de Coudé, les chouans et barbets réfugiés, la cour d'Hartwell, la contre-révolution triomphante. Or le duc d'Otrante n'attend rien de bon encore de Louis XVIII.

Sa perspicacité d'homme d'État s'éclaire ici de ses intérêts de politicien, et il voit juste pour le pays et le régime en songeant à sa propre fortune.

Mais il désespérait de la paix si elle se faisait en dehors de lui. L'immense vanité qui, d'année en année, le portait à tout envahir, là encore l'inspirait bien. Persuadé pie rien ne réussirait sans qu'il s'en fût mêlé, plein de mépris pour l'incapacité, qu'il s'exagérait du reste, de ses collègues, peu confiant dans la diplomatie et la patience de Napoléon, il entrevoyait en dehors de lui, et non sans raison, l'échec certain de négociations longues, lentes et délicates : l'Empereur était trop absolu en ses exigences, M. de Champagny trop docile aux volontés impériales et trop inapte à en adoucir les rigueurs, à en pallier la morgue ; les Anglais trop méfiants, trop excités encore à la lutte, trop orgueilleux pour ne pas rompre immédiatement devant certaines exigences primordiales. Il fallait éviter aux cieux partis les premières rencontres, toujours pénibles pour l'orgueil de l'un et de l'autre : à l'Angleterre, il fallait représenter les résultats immenses, les avantages considérables obtenus par l'Empereur, mais sans que ces représenta-k fions parussent, venant directement du cabinet de Paris, une offensante prétention à avoir vaincu Albion ; il fallait aussi amener le cabinet de Saint-James aux concessions et aux bénévoles sacrifices, puis, la paix étant ainsi préparée, la présenter toute faite à l'Empereur, tous les débats préalables, gros de ruptures possibles, étant ainsi vidés, toutes les causes de conflits écartées[1]. Si une pareille tentative aboutissait à la paix générale, le duc d'Otrante ne voyait pas de bornes à son crédit et à sa fortune. Si ce grand service ne lui valait pas ce portefeuille des Relations extérieures qu'il aspirait maintenant a posséder, jugeant qu'il était temps pour lui de jouer les Richelieu après les Mazarin, ce succès lui assurerait définitivement la prépondérance qu'il rêvait depuis tant d'années dans le gouvernement et le pays, en faisant taire autour de Napoléon toutes les rancunes, toutes les jalousies qu'il savait ameutées, en imposant une fois de plus à la confiance de l'Empereur un ministre décidément précieux. Si même la tentative ne réussissait pas, il aurait, aux yeux de beaucoup, le mérite de l'avoir faite et verrait en augmenter dans certains milieux cette popularité à laquelle, en vue d'éventualités futures, il prétendait en ce moment presque autant qu'au pouvoir.

Il était vraisemblablement mû par ces idées, lorsqu'à maintes reprises, depuis 1804, il avait cherché à entrer en relation avec le gouvernement anglais. Il était un des rares hommes, même parmi les ministres de Napoléon, qui pussent aisément forcer le double mur qu'élevait à l'envi, entre l'Angleterre et la France, la haine réciproque des deux gouvernements. Les négociations qui, de temps à autre, s'engageaient avec les bateaux anglais parlementaires pour l'échange des prisonniers, négociations dont le ministre de la Police avait la surveillance, constituaient une première et précieuse ressource, moins précieuse cependant que l'entretien à Londres d'une police secrète dont les émissaires tenaient le ministre au courant des faits et gestes non seulement des émigrés, des chouans et des princes, mais encore du cabinet de Saint-James[2]. L'Empereur avait du se résigner à ces communications policières avec l'Angleterre, mais ne dissimulait pas, dès 1806, la défiance qu'elles lui inspiraient quand, après les événements de juin 1810, Napoléon fit faire par Savary une enquête sur les relations de Fouché avec Londres, il se trouva que le ministre de la Police avait singulièrement abusé de ses pouvoirs pour autoriser tel ou tel homme d'affaires a se rendre à Londres, pour le bien de sa fortune et parfois de celle du ministre, tel ce banquier lyonnais dont nous parle Thiébault[3], tels Fagan, Ouvrard et Labouchère dont il va être question. On savait le désir qu'il avait d'entrer en relations personnelles avec l'Angleterre, puisque, en 1809, un certain Liébault, avocat, demandant au ministre un passeport pour la Hollande, lui offrait de le mettre en relation avec le cabinet anglais, plusieurs membres du Parlement étant de ses amis. Fouché, craignant peut-être un piège, avait cependant refusé[4].

Très jaloux, du reste, de s'assurer aux yeux des hommes d'État anglais le monopole des négociations clandestines, il avait en l'audace de faire arrêter lord Landerdale, venu secrètement à Paris pour négocier de la paix, sous prétexte qu'il n'avait pas été avisé par Champagny de cette négociation[5]. En revanche, il avait toujours cherché à séduire le cabinet de Saint-James. Il y était en partie arrivé : on l'estimait nécessaire à toute négociation et à toute affaire[6]. Fauche-Borel avait entretenu les ministres anglais de la nécessité qu'il v avait de s'aboucher avec Monsieur Fouché, pour engager toute négociation sur l'échange des prisonniers, la restitution du Hanovre, la cession de Saint-Domingue, etc. Une de ces lettres avait été saisie en mars 1810, et Fouché avait dédaigneusement traité la chose de ‘c bavardages en la communiquant à l'Empereur[7]. Ce dédain était affecté. Le duc d'Otrante continuait à cultiver la sympathie anglaise : Napoléon lui-même put s'en apercevoir ; un aventurier, soi-disant baron de Kolli et répondant au nom de Colliroux, avant extorqué de la confiance du cabinet anglais la mission de délivrer et d'enlever Ferdinand VII à Valençay, avait été saisi par la police impériale en mars 1810 et jeté à Vincennes, à la suite d'aventures dans le détail desquelles il importe peu d'entrer : Ferdinand VII, craignant une machination provocatrice de la police, avait lui-même livré le personnage, qu'on trouva porteur, entre antres papiers compromettants, d'une lettre de lord Wellesley, alors ministre, et une autre du roi George[8]. Napoléon avait aussitôt conçu le projet d'exploiter l'aventure pour couvrir l'Angleterre de ridicule, et de publier un rapport où le noble lord eût été cruellement persiflé pour sa crédulité[9]. Rien ne pouvait être plus pénible art cabinet de Saint-James et plus préjudiciable aux négociations projetées et, nous l'allons voir, déjà clandestinement engagées. Fouché refusa avec de grands airs de dignité de se prêter à cette publication[10]. Napoléon n'avait pas insisté, mais le duc d'Otrante n'avait pas manqué de faire savoir au ministre anglais l'incident et sa moralité, méritant ainsi pour le présent la bienveillance de Wellesley et pour l'avenir celle de Wellington, son frère. Il avait d'autre part ménagé l'agent anglais. ce dont Kolli se montrait fort reconnaissant[11].

L'Empereur n'avait attaché aucune importance à cet incident qui en avait en beaucoup pour le duc d'Otrante. A cette époque. en effet, les négociations étaient secrètement engagées entre le ministre et l'Angleterre. Depuis l'expédition de Walcheren, sa résolution était prise : le général foyer, commandant la gendarmerie de l'Ouest, lui avait écrit que la pacification complète de ces régions était impossible si l'Angleterre continuait à y vomir à tout instant de nouveaux brigands[12]. D'autre part, en octobre 1809, un de ses agents qui arrivait d'Angleterre lui avait représenté le pays comme aspirant à la paix[13]. Fouché avait cru devoir aussi y préparer l'Empereur : il représentait la France comme y aspirant ; la Bourse avait subitement monté sur le seul bruit qu'une négociation était ouverte avec l'Angleterre[14] ; même hausse s'était produite sur d'autres marchés, à la nouvelle, fausse du reste, que le prince de Bénévent allait partir pour Londres[15]. Officiellement, il avait, en mai 1810, fait des efforts pour obtenir de Napoléon qu'un émissaire anglais, Mackensie, venu à Morlaix pour un simple échange de prisonniers, pût se rendre à Paris pour y traiter de matières plus importantes[16]. Cela pouvait tromper l'Empereur et couvrir la double négociation engagée à Londres. Car nous entrons en plein imbroglio.

Au commencement de novembre 1809, un ancien émigré, Fagan, autrefois capitaine au régiment de Dillon, et dont le père habitait Londres, reçut la visite d'un ami, M. Hennecart, qui, dans le cours de la conversation, lui proposa de le présenter à S. E. le duc d'Otrante, lui faisant espérer que cette entrevue pourrait avoir des suites fort appréciables pour l'ancien émigré. Ou ne faisait pas fi de ce genre d'ouverture. Fagan accepta, et, deux ou trois jours après, il fut introduit au quai Voltaire, près du ministre. Celui-ci parut le fort bien connaître. Il lui parla, d'un ton détaché, de la situation de son père à Londrès, du désir qu'il devait avoir de le revoir, des liens d'amitié qui l'unissaient à lord Yarmouth, alors ministre, puis rompit l'entretien en engageant l'ancien capitaine à le revenir voir. Fagan retourna à l'hôtel du ministre quelques jours après ; cette fois encore, Fouché le questionna curieusement sur l'Angleterre, déclarant qu'il serait peut-être possible d'établir une entente entre les cieux pays. Enfin, dans un troisième entretien, le duc se démasqua, demanda à Fagan s'il n'avait pas d'éloignement à se rendre en Angleterre. Celui-ci, loin d'y répugner, le désirait fort ; son père était âgé de quatre-vingt-quatre ans ; il était son seul héritier, il le voulait revoir ; Fouché se présentait comme la providence ; l'ancien capitaine accueillit avec joie l'ouverture. Le duc d'Otrante alors parla longuement et gravement ; étant donnés la puissance immense de Sa Majesté en Europe, ses moyens de réduire la nation ennemie, il était de l'intérêt de l'Angleterre de traiter incontinent ; si elle tardait, elle pourrait se trouver en face de circonstances moins avantageuses, et le ministre développa cette pensée. Il fallait que Fagan vit lord Wellesley, le sondât et rapportât la réponse au duc d'Otrante. Le 30 novembre, Engin], muni d'un passeport en règle, quittait Paris pour Boulogne, où le commissaire général du -Villiers du Terrage devait faciliter son embarquement clandestin. Après beaucoup d'aventures, l'agent parvint à Ostende, où il s'embarqua le 19 janvier 1810. Arrivé à Londres, il vit lord Yarmouth, qui lui donna une lettre pour Culling-Smith, sous-secrétaire d'État au Foreign Office et beau-frère du marquis de Wellesley. La famille Fagan avait, du reste, beaucoup connu celui-ci lors de son gouvernement dans les Indes. Le marquis reçut donc fort bien l'agent du duc d'Otrante, mais à cette époque — c'était avant l'affaire Kolli — il parut mal disposé pour Fouché lui-même, ou tout au moins déçu, car à la nouvelle que Fagan venait, non de la part de Champagny, mais de celle de Fouché, il dit en souriant : Vous n'êtes pas venu par une belle voie. C'est du moins ce que rapportait Fagan quelques mois plus tard. On parla de l'Espagne, que Fagan représentait comme une conquête de Napoléon, ce que contesta le ministre anglais : il répondit que l'Espagne était très loin d'être soumise ; qu'à sa connaissance, elle ne le serait jamais, et que, du reste, l'Angleterre était décidée à dépenser son dernier homme et son dernier sou pour la sauver : Si nous demandions à Napoléon sa première forteresse de France, qu'en dirait-il ? Dans une seconde entrevue, le noble lord déclara que tout arrangement serait impossible tant qu'on ne prendrait pas un parti à l'égard de l'Espagne ; il venait d'apprendre que Napoléon s'emparait d'une partie de la Hollande, ce qui faisait mal présager de ses intentions pacifiques. Cependant. Wellesley consentit fi signer une note dont Fagan prit copie, disant en substance que le gouvernement anglais était disposé à écouter toute proposition qui pourrait conduire à un rapprochement, pourvu qu'on v comprit ses alliés, et notamment l'Espagne. Le 10 mars, Fagan débarquait à Ostende, se rendait à Paris, voyait le ministre de la Police et lui remettait, avec le compte rendu de sa mission, les billets du sous-secrétaire d'État et la note de lord Wellesley. Fouché se montra satisfait, laissant toujours croire à l'ancien émigré qu'il n'avait cessé d'être l'organe officieux de l'Empereur. Eu réalité, le duc d'Otrante n'avait pas touché un mot de toute cette affaire au souverain, ce qui, dès le mois de mars 1810, constituait bel et bien ft l'actif du ministre un crime de lèse-majesté[17].

Il ne s'en était cependant pas tenu là. Que le marquis de Wellesley eût mis une intention réellement blessante pour le duc d'Otrante dans la phrase adressée à Pagan, cela est peu croyable ; le noble lord savait que cette phrase serait répétée à Fouché ; pourquoi s'en fût-il fait gratuitement un ennemi. Mais elle indiquait que le cabinet anglais ne pouvait accorder une grande autorité à un simple émissaire du ministre de la Police, et son intention semblait être de s'en tenir là, si un agent, accrédité directement ou indirectement par l'Empereur lui-même, ne reprenait la suite de la négociation. Fouché devait donc déterminer Napoléon à une démarche, mais sans perdre la direction de l'affaire, pour ne pas voir s'évanouir les bénéfices personnels qu'il espérait en tirer. Il y songeait, lorsqu'il apprit par Louis Bonaparte que le maitre semblait disposé à sonder le cabinet anglais. Le ministre s'était, à la fin de 1809, posé en médiateur entre l'Empereur et son frère, alors dans les plus mauvais termes. Il était arrivé à les réconcilier un instant, en faisant, du reste, si bien valoir ses services près du roi de Hollande, que celui-ci l'avait pris comme confident. Ce fut donc Louis qui révéla au duc d'Otrante qu'une des conséquences du nouvel accord entre les deux frères allait être une tentative de négociations officieuses et indirectes, mais autorisées par l'Empereur, en Angleterre. En effet, le roi Louis n'avait provoqué la colère de son frère qu'en se relâchant du blocus, dont la Hollande se mourait. Il y avait dès lors, pour le roi, un intérêt capital à obtenir un rapprochement des deux pays entre lesquels la Hollande,  dépendant économiquement de l'Angleterre, politiquement de la France, se débattait, à peu près ruinée. Du reste, l'Empereur, tout en se montrant favorable à une démarche des Hollandais à Londres, n'avait guère chargé le roi Louis que de menaces : si la paix ne se concluait, l'Empereur allait jeter à la mer les Anglais en Espagne, conquérir la Sicile, occuper la Hollande, etc.

C'était bien cette disposition peu diplomatique de l'Empereur à substituer des menaces aux propositions qui effrayait le ministre de la Police. Il fallait donc de toute nécessité pénétrer dans la négociation, pour en adoucir les termes, en surveiller la marche, en assurer le succès  et le capter à son profit. La difficulté résidait en ce que Napoléon, se croyant ou feignant de se croire d'immenses avantages sur l'Angleterre, était absolument décidé à ne rien céder de ce qu'il possédait et même de Ce qu'il convoitait. Fouché avait alors ù peu près adopté un plan assez chimérique où l'on faisait accorder par l'Empereur aux convoitises anglaises ce qu'il n'avait pas, c'est-à-dire l'Amérique ; Malte devait être abandonnée à l'Angleterre — qui occupait l'ile depuis dix ans — : les Bourbons d'Espagne, protégés du Foreign Office, seraient installés sur un trémie spécialement érigé pour eux au Mexique ; la France aiderait l'Angleterre à reconquérir l'Amérique du Nord ; enfin, en attendant la conclusion définitive de la paix, un accord préalable ouvrirait pendant un an au marché anglais les ports de l'Europe entière, ce qui eût amené, pensait-on, les Anglais à rendre la paix définitive pour continuer les affaires commencées. Le plan était dû à l'imagination féconde d'un financier avec lequel Fouché avait toujours entretenu de bonnes relations, le banquier Ouvrard. Ce personnage, enfermé le 15 juin 1809 à Sainte-Pélagie à la suite d'affaires financières, était l'objet d'une assez vieille antipathie de la part de l'Empereur et en avait été victime. Il en était marri, cherchait à plaire, s'y ingéniait et comptait fort pour y réussir sur le duc d'Otrante, qui, effectivement, avait, après quelque temps, obtenu sa mise en liberté[18]. Mais cela ne suffisait pas à Ouvrard, qui avait fondé de grands projets de spéculation financière et commerciale sur l'acceptation du beau plan soumis à Fouché. Était-ce en vue d'une négociation future que le financier avait, à la fin de 1809, présenté au duc d'Otrante un homme d'affaires d'Amsterdam, M. Labouchère, actif, intelligent, beaucoup plus considéré qu'Ouvrard, et qui avait l'inappréciable avantage d'être le gendre et l'associé de Baring, chef d'une des premières maisons de banque de l'Angleterre ? Au moment où le roi Louis cherchait un intermédiaire, Fouché, sachant Labouchère 'a Paris et ayant toujours l'homme qu'il fallait sous la main, le proposa au frère de l'Empereur et à l'Empereur lui-même, qui l'accepta. C'était accorder au ministre de la Police toute facilité pour surveiller, dénaturer et bientôt diriger la négociation. Quoi qu'il en soit, Labouchère repartit pour Amsterdam après avoir vu le due d'Otrante et s'embarqua clandestinement à Brielle pour l'Angleterre ; il était censé un agent des ministres hollandais et n'avait pour mission que de sonder le cabinet anglais sur son désir de paix, car on ignorait alors le résultat de la mission Fagan et la mission Fagan elle-même.

Labouchère n'eut pas de peine à obtenir accès près du marquis de Wellesley par son beau-père Baring, très lié avec le ministre anglais. Celui-ci accueillit avec une certaine bienveillance les ouvertures de Labouchère ; il se trouvait dans une situation difficile, car, s'il était personnellement disposé à la paix, l'opinion anglaise était hésitante, et certains ministres peu disposés à déposer les armes. De toute façon, il lui fallait une négociation sérieuse et ferme à présenter à son gouvernement. Or, la mission Fagan l'avait mis en défiance : venait-on au nom du cabinet français ? et à ce sujet il ne dissimula pas qu'il avait déjà reçu des ouvertures, ce qui dut étonner Labouchère. Il ne voulait pas de mission clandestine, et, devant la perspective de l'occupation de la Hollande par les Français que Labouchère lui faisait craindre en cas d'un échec de la négociation, le ministre anglais parut indifférent. Au surplus, un personnage officiel, venant au nom du gouvernement français, serait le bienvenu. Dans un entretien avec Baring, le marquis de Wellesley répéta ces assurances ; le sort. des Bourbons en France lui était indifférent, mais on se défiait de la sincérité de Napoléon. Le ministre anglais semblait croire qu'il y avait là un piège, un simple désir d'agiter l'opinion publique par une négociation simulée : du reste, il ajoutait que les Anglais n'abandonneraient jamais ni la Sicile à Murat, ni l'Espagne à Joseph. Le banquier anglais transmit à son gendre cet ultimatum. Eu conséquence, Labouchère repartit pour Amsterdam et, de là, fit parvenir au roi Louis, alors à Paris, le résultat de sa démarche. L'Empereur, instruit de ce résultat, dicta séance tenante une note au cabinet de Saint-James, où il déclarait que, la France pâtissant de la guerre moins que l'Angleterre, il ne voyait aucune raison de détrôner ses frères pour le bon plaisir du cabinet anglais : la Sicile et le Portugal seuls étaient en discussion ; ces deux pays, le Hanovre, les villes hanséatiques, les colonies espagnoles pouvaient être les éléments d'une nouvelle négociation. Labouchère fut chargé de faire remettre cette note par Baring à Wellesley et autorisé à un second voyage en Angleterre[19].

Fouché trouvait cette nouvelle mission insensée ; en somme, l'Empereur mettait l'Angleterre en face de propositions presque burlesques, lui offrant ce qu'il n'avait jamais en on ce qu'il avait perdu. Il était clair, d'autre part, qu'on ne pouvait aller contre les déclarations formelles de l'Empereur au sujet de l'Espagne. Alors ? Le duc d'Otrante reprit le projet Ouvrard, le remania. La guerre semblait imminente alors entre les États-Unis et l'Angleterre : c'était là un nouvel élément. On offrirait à l'Angleterre de l'aider à conquérir l'Amérique ; mais Fouché, voulant décidément se mettre à couvert vis-à-vis des princes, ou s'en débarrasser une fois pour toutes, pensait qu'on V pourrait tailler un royaume pour les Bourbon, de France, comme pour ceux d'Espagne.

Reprenant le plan d'Ouvrard, il revit le financier. Celui-ci . prétendit dans l'interrogatoire qu'il subit quelques semaines plus tard et a répété dans ses Mémoires, qu'avant été trouver Fouché pour obtenir l'autorisation de se rendre à Amsterdam, où il avait quelques affaires à terminer il en avait besoin, car il était depuis sa sortie de Sainte-Pélagie sous la surveillance de la police , le ministre l'avait entrepris, lui promettant de le réconcilier avec l'Empereur, s'il voulait se charger d'être près de Labouchère, dont il entendait diriger les négociations, son intermédiaire et son agent[20]. Il résulte, au contraire, de l'examen des papiers d'Ouvrard que, depuis longtemps, le financier était au courant des relations de Labouchère et du duc d'Otrante, et que le voyage à Amsterdam eut pour but unique de les rétablir. Le banquier prétendit aussi qu'il avait cru sincèrement l'Empereur instruit de toute cette intrigue, autre invraisemblance[21]. Si réellement, en mars 1810, Fouché communiqua à l'Empereur le fameux plan, il ne sollicitait nullement l'autorisation d'en employer l'auteur à son succès. Ouvrard lui-meule ne put douter de la clandestinité des négociations, puisque, avant son départ, il avait été convenu que le ministre et lui ne correspondraient pas directement, mais par l'intermédiaire d'un agent du banquier Hinguerlot, leur ami commun, un concitoyen de Fouché, un Nantais, nommé Vinet ; celui-ci recopia constamment, en effet, les notes de Fouché au financier, le duc d'Otrante préférant, en homme avisé, ne pas laisser entre les mains de l'intrigant financier des échantillons de son écriture ; il n'en était, du reste, jamais prodigue. D'autre part, Ouvrard n'adressait pas ses lettres à Fouché au ministère, mais à l'adresse de MM. Haurey et Cie, négociants, rue de l'Université, 50, sous une rubrique de commerce ; ces lettres étaient écrites à l'encre sympathique et parfois dans un style intentionnellement inintelligible[22]. Pourquoi cette accumulation de précautions, et comment n'eussent-elles pas donné l'éveil à Ouvrard, s'il eût pensé un instant que le duc d'Otrante l'employait au nom de l'Empereur et pour son service ? En tout cas, s'il ne le crut pas, il en persuada son ami Labouchère, près duquel le ministre accréditait le banquier par des lettres rédigées à cet effet. Très sincèrement, Labouchère put croire que l'Empereur, revenant sur sa réponse acerbe, désirait engager avec Wellesley des négociations de plus large envergure. Le banquier, du reste, tout à ses préoccupations financières, exagéra, dénatura les instructions de Fouché près de Labouchère et les dires du négociant près de Fouché, montrant un optimisme qu'il n'avait pas, probablement dans le but d'amener, ce qui était au fond le grand et unique objet de ses efforts, cette fameuse trêve commerciale d'un an, qui eût permis à l'agent le premier informé une gigantesque spéculation.

Labouchère, toujours persuadé qu'il était l'instrument indirect de l'Empereur. par l'entremise d'Ouvrard et du duc d'Otrante, écrivit à son beau-père, donnant à M. Baring, choisi comme intermédiaire entre lord Wellesley et lui, des instructions plus larges que quelques semaines avant, ce qui devait, de lavis des conjurés, empêcher le mauvais effet immédiat de la déclaration hautaine de l'Empereur et prolonger les pourparlers ; peut-être se produirait-il alors quelque circonstance, échec des Français en Espagne ou tout autre incident, qui rendrait l'Empereur plus favorable à la cession de l'Espagne ; peut-être aussi quelque autre événement dans le camp adverse, comme la rupture entre l'Angleterre el les États-Unis, qui amènerait le cabinet britannique a plus de condescendance. Fouché savait qu'il fallait beaucoup attendre des circonstances, et que l'important était sinon de les faire naître, du moins de les attendre, de les seconder et de les exploiter. On tramait donc. Lord Wellesley parut prendre au sérieux le mandat donné à Baring. Le 6 avril, il discutait avec son collègue Canning des conditions qu'on lui proposait. et pendant les huit jours qui suivirent il eut avec Baring des entretiens fréquents, longs et assez concluants ; il admettait tout au motus à la discussion deux questions : celle d'une coopération contre l'Amérique, et surtout celle du débouché spontané, si cher au cœur d'Ouvrard. Il est à noter que tout cela ne nous est connu que par les lettres du banquier, fort suspect de duperie, mime vis-à-vis de Fouché. Ouvrard fit alors parvenir au ministre anglais, par Labouchère et Baring, deux autres notes, le 15 avril. Dans l'une, on parlait d'ériger l'Amérique du Sud en empire pour Ferdinand VII : le noble lord y parut prêter attention. Dans l'autre était exposée l'affaire du baron de Molli dont il a été question plus liant. Le duc d'Otrante, qui croyait réellement cet aventurier l'agent très actif du cabinet anglais dont en réalité il avait surpris la confiance, attachait une grande importance à sa capture pour peser sur Wellesley ; il n'avait donc pas dissimulé qu'on avait été sur le point de publier les lettres dont Kolli avait été trouvé porteur et qu'on jugeait compromettantes pour l'Angleterre. ainsi que le récit d'une aventure dont l'issue donnait au cabinet britannique et à lord Wellesley un rôle ridicule. Celui-ci se montra touché du procédé généreux dont on avait usé, mais du reste indifférent à la publication de pièces pli ne pouvaient nullement lui nuire en Angleterre, où Ferdinand VII, prince malheureux et captif, était fort populaire. Sous la plume d'Ouvrard, cependant, tout prenait un caractère heureux et favorable ; la négociation semblait engagée. le ministre anglais la prenait au sérieux ; il y avait assez de questions à débattre pour traîner les relations jusqu'à l'incident souhaité ; Labouchère entrevoyait la reprise de ses affaires avec Londres ; Ouvrard, les bénéfices que lui procurait le débouché spontané, sans parler de sa réconciliation avec le souverain, le duc d'Otrante, le renouveau d'éclat que donnerait à son nom un événement aussi considérable que la paix avec l'Angleterre, on meule un simple rapprochement entre les deux pays, lorsque, soudain, le château en Espagne, si ingénieusement échafaudé, s'écroula sous le souffle puissant et irrité de l'Empereur.

D'après le récit généralement admis, c'est à la fin d'avril que Napoléon apprit inopinément et par un pur hasard la négociation conduite en grand mystère et destinée fi le jeter dans les bras de sa plus vieille ennemie. Le 27 avril, l'Empereur se trouvait a Anvers, au cours d'un voyage resté historique, fait aux côtés de Marie-Louise à travers les provinces belges. Le roi de Hollande vint le rejoindre ce jour-là et incidemment, ignorant ce qui se tramait exactement, lui apprit qu'il venait de rencontrer M. Ouvrard allant d'Amsterdam à Paris, où il allait chercher, près de qui de droit, de nouvelles instructions pour la grande négociation entre M. Labouchère et le cabinet anglais[23]. L'Empereur fut ou affecta d'être surpris ; que faisait Ouvrard, que faisait le duc d'Otrante lui-meule dans cette négociation, dont, au surplus, on ne lui donnait pas de nouvelles depuis un mois, et qu'il croyait peut-être enterrée ? Dès le 27, il faisait défendre à Labouchère toutes relations avec Ouvrard et lui réclamait toute la correspondance échangée entre Londres et Amsterdam depuis un mois. Labouchère, croyant toujours Ouvrard l'agent de l'Empereur et Napoléon au courant de tout, pensa que le souverain voulait un simple éclaircissement et livra tout ce qu'il savait sans difficulté. Il ne manquait an dossier que la correspondance entre le duc d'Otrante et Ouvrard. Ce qu'on avait était suffisant pour bien montrer à l'Empereur la trame qui se nouait. Le souverain le plus débonnaire en frit resté confondu ; mais ce despote, ce maître absolu, jaloux de ses moindres droits, que devait-il penser du ministre qui négociait sans son consentement, sans son avis, la paix et la guerre ? Sa colère fut terrible, éclata devant le roi Louis, qui, épouvanté pour Fouché, lui fit écrire par son ami Malouet, encore préfet maritime d'Anvers[24]. Il était du caractère de Napoléon, le premier accès de fureur passé, de dissimuler, pour que, toutes les preuves étant, dans ses mains, cette colère pût éclater plus implacable. Du reste, il entrait dans ses plans de ne pas disgracier Fouché en son absence, et il ne comptait revenir à Saint-Cloud que le 1er juin. Il se contenta d'écrire à Mollien de faire surveiller Ouvrard[25] ; il consultait en même temps le ministre du Trésor, qui, quoique fort hostile à son collègue de la Police, chercha à calmer le maître, palliant la faute du duc d'Otrante, excès de légèreté et d'assurance, habitude de semer partout des aventures pour tirer parti de celles que le hasard pourrait conduire à bien[26]. L'idée était juste, mais le fait restait là, et c'était, à le bien envisager, sinon un crime de lèse-majesté,- dans tous les cas un acte d'indépendance inouï. L'Empereur était maintenant bien résolu à se débarrasser du ministre qui se croyait autorisé à en user avec ce sans-gêne.

Ouvrard, qui soutient que la négociation était connue de l'Empereur, attribue à celui-ci un rôle fort machiavélique. A l'entendre, Napoléon, désireux depuis longtemps de se débarrasser de son ministre, notamment depuis le mariage, loin de se laisser duper par Fouché, aurait tendu à celui-ci un piège, et non seulement cherché dans la négociation un prétexte à le disgracier, mais machiné toute l'intrigue pour le perdre. Ouvrard affirme avoir communiqué son plan à l'Empereur[27] ; cette affirmation ne nous paraîtrait pas digne d'être citée, si, d'autre part, certains détails rie permettaient d'y attacher quelque crédit ; de fait, la négociation anglaise, qui avait paru attirer la fondre sur Fouché, se continua sur les mêmes bases quelque temps après sa chute[28], preuve que, le ministre écarté, les idées sur lesquelles il négociait paraissaient acceptables ; en outre, une parole de Desmarest donne à songer : parlant du banquier qu'il vient d'interroger, le chef de la sûreté reconnaissait qu'il était difficile de le frapper : Il s'est mis en règle mieux que le ministre, écrivait-il : parole ambiguë et facile à interpréter dans le sens qu'indique Ouvrard lui-même. Savary a aussi son explication ; elle emprunte une certaine autorité à ce que celui-ci se trouva mêlé fort intimement à toute cette affaire, qui allait lui valoir, avant un mois, le ministère de la Police. A l'entendre, l'Empereur, qui jusqu'au 14 juin parut ignorer l'autre négociation, celle de Fagan, en était parfaitement instruit ; l'homme qui avait présenté Fagan à Fouché, Hennecart, était un agent secret de Dubois ; le préfet de police avait vu là, enfin, l'occasion de perdre son ministre et, en satisfaisant sa haine, de gagner un portefeuille. Mais Hennecart, d'autre part, en aurait parlé à M. de Sémonville, intrigant dont l'ambition n'avait d'égale que sa souplesse. Savary va jusqu'à dire que de Sémonville poussa Hennecart à présenter au duc d'Otrante l'ancien capitaine émigré pour attirer le ministre dans un piège. Depuis quelque temps, Maret de Bassano destinait à Sémonville, son meilleur ami, ce portefeuille de la Police qui lui semblerait dès lors être dans ses mains[29]. Ces dires doivent être acceptés avec une grande réserve. Si Napoléon connaissait réellement, outre l'affaire Ouvrard-Labouchère, la négociation Faisan, il faut supposer que le 2 juin il tendait à son ministre disgracié un dernier piège ; en ne l'entretenant ni ne l'accablant de cette faute infiniment plus grave que l'autre, il lui faisait croire que la négociation Fagan lui était restée complètement inconnue, voulant sonder ainsi la profondeur de dissimulation qu'il pouvait y avoir en Fouché. Mais comment alors eût-il attendu du 2 au 17 juin pour l'écraser sous le témoignage de Fagan ?

A en croire tous ces acteurs divers de ce vaudeville d'État, l'imbroglio serait complet et la duperie générale ; Napoléon eût engagé son ministre très sciemment dans l'affaire Ouvrard pour le prendre en flagrant délit de lèse-majesté, puis lui eût laissé ignorer qu'il était instruit de l'affaire Pagan pour avoir ainsi par le silence de Fouché la preuve de sa duplicité ; dès lors, ses colères du 27 avril et du 14 juin seraient de pures comédies, ce qui ne serait pas pour surprendre quiconque a étudié de près ce tragediante comediante ; mais, incontestablement, Fouché jouait le maitre, fût-ce pour son bien, en affectant de parler au nom de l'Empereur à l'Angleterre, en traînant les négociations, dans l'espoir qu'un échec eu Espagne les rendrait plus faciles, et en attribuant, sans son consentement, un trône à Ferdinand Vil, un autre à Louis XVIII, de l'autre côté de l'Atlantique. Il va sans dire que l'un et l'autre dupaient l'Angleterre, l'Empereur en laissant négocier, alors qu'il ne voulait pas aboutir ; le ministre en laissant croire à Wellesley qu'il parlait au nom de l'Empereur. Ouvrard, joué par Fouché, qui, disait-il, l'entretenait dans l'idée qu'il était l'instrument de Napoléon, dupait le duc d'Otrante, beaucoup plus sûrement, en le leurrant sur les chances de l'affaire ; mais il s'entendait avec lui pour abuser Labouchère. Ce n'est pas tout : à la même heure Sémonville, s'il faut en croire Savary, trompait Fouché en lui tendant, de son côté, un piège on il devait tomber, leurrait Dubois en l'associant à sa campagne contre le ministre, par l'appât d'un portefeuille que lui, Sémonville, se réservait de connivence avec Maret[30]. Mais Maret et Sémonville allaient à leur tour être dupes de leurs intrigues, puisque Savary, leur instrument, devait leur enlever le portefeuille convoité. Tel était l'imbroglio fantastique qui allait se dénouer à la rentrée de l'Empereur à Saint-Cloud.

Fouché l'attendait sans trop d'inquiétude. Nous l'avons dit, sa confiance en lui-même était devenue immense. C'est à peine s'il faisait mystère de ses projets sur l'Angleterre. Dès la fin d'avril il les avait avoués à Mollien, qu'il désirait gagner à sa politique : Il faut que vous et moi nous parvenions à faire la paix avec l'Angleterre et que nous rendions ce service à l'Empereur et à la France... Dans ce moment même où je vous parle, on y entame peut-être une première négociation[31]. Depuis l'avis secret de Malouet, il avait dû payer d'audace, essayer d'embrouiller la négociation autorisée et la négociation occulte, et, persuadé que l'Empereur ne pouvait le disgracier, comptant évidemment bien étouffer l'affaire en se débarrassant d'Ouvrard. L'Empereur devait se douter de ce beau plan, il voulait frapper vite, pour frapper bien.

Napoléon rentra le 1er juin à Saint-Cloud ; le 2, le conseil était convoqué au château. S'il faut en croire certains récits, l'Empereur interpella vivement le duc d'Otrante. Vous faites maintenant la guerre et la paix ?[32] Le propos décelait la rancune profonde que l'Empereur gardait, moins peut-être des derniers événements que de ceux d'août 1809. Le duc l'Otrante répondit sur un ton fort détaché ; il avait, ainsi qu'il en était convenu avec Sa Majesté, cherché à sonder le nouveau cabinet anglais. L'Empereur jeta alors dans la discussion le nom d'Ouvrard. Était-ce avec une mission du duc que le banquier s'était rendu à Amsterdam ? Était-ce avec son consentement que le financier s'était livré à d'inqualifiables intrigues ? Le calme suprême du duc d'Otrante ne se démentit pas devant ses collègues attentifs, les uns terrifiés sans doute, les autres fort réjouis de l'événement ; devant l'Empereur non seulement irrité, outré, mais, ce qui était plus grave, d'aspect très résolu, il paya d'audace : d'un beau geste, il lâcha Ouvrard, un misérable, un intrigant, qui avait pu abuser de sa confiance. L'Empereur répondit que cela était fort bien, et qu'on allait arrêter Ouvrant et l'interroger. Fouché dut frémir : il se récria, refusa de procéder à cette arrestation[33]. Napoléon s'emporta, tempêta. Vous devriez porter votre tête sur l'échafaud, s'écria-t-il, et autres propos : le duc d'Otrante, qui devait être au comble de l'angoisse, se défendit encore, se débattit ; mais il perdait pied.

L'Empereur, en réalité, gagnait du temps, en retenant le conseil : il ne fallait pas que Fouché sortit de Saint-Cloud avant qu'Ouvrard fut sous les verrous. Savary, l'homme fi tout faire, venait de recevoir l'ordre de mettre la main sur le financier et sur ses papiers. Le duc de Rovigo, qui raconte fort longuement l'épisode, parvint à joindre le banquier chez Mme Hamelin, leur amie commune, et l'y fit cerner grâce à une petite trahison[34]. En quelques heures, Ouvrant était fi Vincennes, ses papiers saisis et, après un rapide examen, la preuve acquise grosso modo de la connivence réelle de Fouché en ses faits et gestes. Dans la soirée, se défiant des agents du ministère, même de Desmarest, l'Empereur chargeait Champagny de faire interroger le prévenu par d'Hauterive Le lendemain, 3 juin, il y avait grand lever à Saint-Cloud. Grands dignitaires et ministres v assistaient : le duc d'Otrante était absent. Après la messe, Napoléon réunit le conseil, le ministre de la Police flanquant à sa place. Mais, absent, il était présent à la pensée de tous. C'était bien en son honneur que l'Empereur assemblait, Talleyrand et Cambacérès en tête, ministres et dignitaires. Il voulait que l'exécution fût un exemple. L'Empereur, s'adressant brusquement au conseil, prononça ces mots qui laissaient tout supposer : Que penseriez-vous d'un ministre qui, abusant de sa position, aurait à l'insu de son souverain ouvert des communications avec l'étranger, entamé des négociations diplomatiques sur des bases imaginées par lui seul, et compromis ainsi la politique de l'État ? Quelle peine y a-t-il dans nos codes pour une pareille forfaiture ? Et l'Empereur regarda fixement chacun. Il fallait que le prestige de l'absent fût grand, ainsi que la confiance de tous en ses talents, car dans cette assemblée, composée en immense majorité de ses ennemis ou de ses adversaires, Cambacérès, Maret, Decrès, Clarke, Champagny, Gaudin, Mollien, Régnier, Bigot, Talleyrand lui-même, pas une voix ne s'éleva pour conseiller la disgrâce. Talleyrand souriait ; Cambacérès lui-même plaida les circonstances atténuantes. L'Empereur brusquement y coupa court : le ministre de la Police était disgracié, allait être remplacé. On resta saisi. Qui allait-on donner comme successeur à cet homme ? A cette question, l'embarras parut grand, ce qui était faire du ministre le meilleur éloge. Un successeur à Fouché ! Il fallait l'ambition de Sémonville, la fatuité de Dubois pour y prétendre. Talleyrand, comme toujours, trouva le mot de la situation, et, le mot fut plaisant : Sans doute, dit-il à mi-voix à son voisin, M. Fouché a eu grand tort, et moi, je lui donnerais un remplaçant, mais un seul : c'est M. Fouché lui-même. Dans cette réunion d'adversaires ; c'était cependant exprimer l'opinion générale, et nous verrons que le grand public devait s'y rallier. Irrité contre ces gens qui ne savaient pas prendre un parti, l'Empereur se leva alors brusquement et, prenant l'archichancelier par le bras, sortit avec lui en donnant un bref congé au conseil[35]. Napoléon déclara alors à Cambacérès qu'en réalité son choix était fait ; le duc de Rovigo allait recevoir le portefeuille. Celui-ci fut en effet mandé à Saint-Cloud dans la journée et reçut de l'Empereur avis de sa nomination, au grand désappointement de Sémonville, qui, sur l'avis de Maret que le poste était décidément vacant, était accouru de son côté, apportant son costume de sénateur pour prêter serment de ministre, si le cas échéait, en grande tenue. Savary le prêta en bottes, et c'était le symbole de la nouvelle ère[36].

A la même heure, Fouché recevait deux lettres, une publique et une privée. La première était destinée à donner le change à l'opinion publique. Les services que vous m'avez rendus dans les différentes circonstances nous portent, écrivait l'Empereur[37], à vous confier le gouvernement de Rome, jusqu'à ce que nous ayons pourvu à l'exécution de l'article 8 de l'acte des constitutions du 17 février 1810. Nous avons déterminé par un décret spécial les pouvoirs extraordinaires dont les circonstances particulières où se trouvent ces départements exigent que vous soyez investi. Nous attendons que vous continuerez dans ce nouveau poste à nous donner des preuves de votre zèle pour notre service et de votre attachement à notre personne. Cette lettre officielle, destinée à couvrir aux yeux du public la retraite du duc d'Otrante, était accompagnée d'une autre beaucoup plus longue. Après la faute réellement grave que le ministre avait commise et les scènes de Saint-Cloud, cette lettre décelait, malgré tout, chez le maitre, un grand besoin et un réel désir de ménager l'habile et dangereux homme d'État qu'il avait si longtemps hésité à disgracier. J'ai reçu votre lettre du 2 juin, écrivait l'Empereur ; je connais tous les services que vous m'avez rendus, et je crois à votre attachement à ma personne et à votre tic le pour mon service ; cependant, il m'est impossible, sans me manquer à moi-même, de vous laisser le portefeuille. La place de ministre de la Police exige une entière et absolue confiance, et cette confiance ne peut plus exister, puisque déjà, dans des circonstances importantes, vous avez compromis ma tranquillité et celle de l'État, ce que n'excuse pas à mes yeux même la légitimité des motifs. Une négociation a été ouverte avec l'Angleterre : des conférences ont eu lieu avec lord Wellesley. Ce ministre a su que c'était de votre part qu'on parlait : il a dû croire que c'était de la mienne : de là un bouleversement total dans toutes mes relations politiques et, si je le souffrais, une tache pour mon caractère que je ne puis ni ne veux souffrir. La singulière manière que vous avez de considérer les devoirs du ministre de la Police ne cadre pas avec le bien de l'État. Quoique je ne me défie pas de votre attachement et de votre fidélité, je suis cependant obligé à une surveillance perpétuelle qui me fatigue et à laquelle je ne peux être tenu. Cette surveillance est nécessitée par un nombre de choses que vous faites de votre chef, sans savoir si elles cadrent avec ma volonté et avec mes projets, et si elles ne contrarient pas ma politique générale. J'ai voulu vous faire connaître moi-même ce qui me portait à vous ôter le portefeuille de la Police. Je ne puis pas espérer que vous changiez de manière de faire, puisque, depuis plusieurs années, des exemples éclatants et des témoignages réitérés de mon mécontentement ne vous ont pas changé, et que, satisfait de la pureté de vos intentions, vous n'avez pas voulu comprendre qu'on pouvait faire beaucoup de mal en ayant l'intention de faire beaucoup de bien. Au reste, nia confiance en vos talents et voire fidélité est entière, et je désire trouver des occasions de vous le prouver et de les utiliser pour mon service[38].

Il faut lire toute cette lettre pour se rendre compte des sentiments d'estime encore, de crainte a coup sûr, qui animaient l'Empereur, pour comprendre aussi ceux que cette missive pouvait faire naître chez le ministre disgracié. Il était habitué à ne jamais désespérer de la fortune, depuis qu'il avait connu de pénibles et terribles heures et d'étranges revirements. Mais cette lettre, plus sévère qu'irritée, d'un ton presque paternel, étant donné l'homme qui la signait et les circonstances où elle était écrite, autorisait en outre bien des espérances.

L'important pour Fouché était de ne pas perdre une heure : une tâche s'imposent entre toutes. L'Empereur n'était pas si persuadé de la pureté des intentions du duc d'Otrante, qu'il se refusât à changer d'avis devant certains papiers de toute provenance accumulés au ministère. Sans pousser les choses au noir, on peut soupçonner que Fouché ne devait pas voir sans crainte le successeur qu'on lui donnait si brusquement s'installer dans ses archives et fouiller son portefeuille. Tout ministre de la Police, du reste, a des agents secrets, des créatures, des amis dont les compromettantes correspondances ne peuvent être, en conscience, livrées ni à un successeur qui parfois est un ennemi, ni même à un souverain qui a en souvent une autre politique et d'autres sympathies. Il fallait aussi soigneusement classer et conserver les pièces qui pourraient, le cas échéant, couvrir le ministre, le décharger de certaines responsabilités et lui éviter le rôle de bouc émissaire, dont les souverains les plus personnels n'hésitent pas cependant à charger leurs ministres. Fouché avait appris, le 3 juin, sa disgrâce définitive ; dans la soirée, Savary revint de Saint-Cloud. Il se présenta au quai Voltaire, un peu troublé des nouvelles et redoutables fonctions qu'il avait dit accepter. Il était, connue presque lent le monde, fort ébloui de la capacité de son prédécesseur, inquiet de la façon dont il le recevrait, soucieux de ne pas lui voir semer les embuches sous ses pas et très ignorant du maniement fort délicat de cet inquiétant service de la police dont Fouché avait, seul en France, le secret et l'expérience. Il trouva un homme souriant, un peu narquois, mais presque cordial, qui le félicita avec une nuance de pitié. L'Empereur avait si brusquement signifié à son ministre la disgrâce qui le frappait, déclara en substance Fouché à Savary, qu'il lui allait livrer un ministère dont le désordre forcé rendrait singulièrement plus difficile l'initiation du duc de Rovigo aux affaires déjà si compliquées de son département. Savary se montra fort inquiet. L'ex-ministre, sentant le poisson mordre à l'hameçon, offrit de classer les papiers : le duc de Rovigo accepta la chose comme un service. Le ministre déchu resterait au quai Voltaire le temps qu'il lui faudrait ; du reste, n'était-il pas courtois de laisser à la duchesse d'Otrante le temps de faire ses préparatifs de départ ? Le duc d'Otrante promit de tout préparer, et le pauvre Savary s'en alla, se félicitant fort de la façon dont son terrible prédécesseur prenait son remplacement[39].

Ce fut alors une scène qui eût pu tenter la plume d'un Balzac. On se mit au travail : le fidèle Gaillard, le confident, l'ami des mauvaises heures, était accouru. Un cabinet attenait aux appartements du ministre, bourré de dossiers, correspondances, notes, plans, projets, mémoires, documents, les uns compromettants pour le passé, les autres précieux pour l'avenir. Le ministre avait déjà brûlé beaucoup, en janvier 1809, lors de l'alerte qui avait suivi la disgrâce de Talleyrand. Mais il restait des monceaux de papiers. Gaillard passa plusieurs jours et plusieurs nuits à extraire, éparpiller les papiers, classer, trier, déchirer, brûler ; le ministre, assis, fiévreux, affairé, classait aussi, disant toujours qu'il fallait brûler. En ces journées de juin, on fit grand feu au quai Voltaire ; Gaillard se passionnait à ce travail, s'intéressait aux pièces, suppliait le duc de garder, d'emporter par devers lui. Le ministre, sans mot dire, prenait les paquets de lettres et documents, les jetant au feu. Il en garda, mais en quelques jours le cabinet des archives particulières était vide. Parfois, le ministre quittait Gaillard ; il fallait vaquer à des démarches, recevoir les amis et surtout entretenir la complaisance du pauvre duc de Rovigo, en le leurrant de racontars fantastiques, qui effrayaient cet infortuné gendarme, plus habitué aux mesures expéditives de la police militaire qu'aux roueries de la haute politique[40].

On avait appris dans la soirée du 3 juin la disgrâce du ministre. Dans cette ville de Paris, qui semblait cependant depuis six ans se désintéresser des affaires publiques, cet événement fut passionnément commenté. On s'en entretint pendant quinze jours comme d'un des incidents capitaux du règne. Un ministre ne tombe jamais sans entraîner dans sa chute subite bien des intérêts et bien des ambitions, bien des fortunes, bien des existences ; pour tout un groupe, la chute d'un ministre, si petit soit-il et n'eût-il exercé que six mois le pouvoir, est évidemment une catastrophe. Mais que devait être la déconfiture, lorsque l'homme qui tombait si inopinément était ce ministre de la Police générale, protecteur attitré ou spontané de tant d'intérêts, possesseur incontestable depuis six ans, on pouvait dire onze ans, de ce mystérieux et redoutable portefeuille, lorsque cet homme, qui avait été depuis quelques années le ministre principal de l'Empereur, s'était fait aussi l'homme de tous les partis d'opposition ? Que de services rendus par lesquels il tenait l'un ou l'autre ! que de secrets connus ! que de fautes couvertes ! On trembla_ presque dans tous les milieux. Pour personne, du reste, la chute du ministre ne pouvait être insignifiante ; il s'était depuis onze ans attiré tant de sympathie et de haine, de rancune et de reconnaissance ; il représentait tant d'intérêts, il en avait gêné tant d'autres, qu'à la cour et à la ville, sa disparition consternait les uns, réjouissait les autres, mais étonnait, désorientait, abasourdissait tout le monde[41].

Pour certains protégés, particulièrement suspects, ce fut un écroulement ; Ouvrard était sous les verrous, mais son ami Hinguerlot, sans cesse protégé par Fouché contre Napoléon, disparut mystérieusement le 4 juin[42], pendant que, précipitamment, le général Sarrasin prenait la mer et cinglait vers l'Angleterre[43]. Les autres, moins compromis, gémissaient et protestaient. L'opinion publique se montrait en général inquiète, même dans des milieux où Fouché n'était ni spécialement aimé, ni personnellement connu. On le disait le seul qui s'opposent encore aux décisions violentes de l'Empereur. Il ne le dissimulait à personne, exagérait sur ce point son rôle et son pouvoir. Qu'allait-on devenir ? M. de Schwarzenberg, ambassadeur d'Autriche, se faisait l'écho de cette impression. La disgrâce du duc d'Otrante a produit ici la plus forte sensation. Le public, qui en est consterné au dernier point, regarde cet événement comme le présage d'un système de terreur que personne ne saura mieux mettre en exécution que l'individu dont l'Empereur a fait choix pour lui succéder dans le ministère de la Police. Dans Fouché, il a éloigné le seul de ses ministres qui, après la retraite du prince de Bénévent, eût su mitiger la sévérité de ses ordres, en retarder l'exécution, quelquefois s'y opposer et user de l'influence de son esprit pour l'amener à des résolutions plus modérées. Pendant les derniers temps surtout, le ministère de M. Fouché était effectivement très peu oppressif. La grande habitude qu'il avait acquise de ses fonctions, aussi difficiles que pénibles, le portait à ne tenir compte que des faits graves... C'est vraiment une circonstance qui marque la bizarrerie du siècle, ajoutait le diplomate, de voir un des suppôts les plus abhorrés du Comité de salut public suivi dans sa disgrâce du regret général de toute la nation[44]. C'était fort bien interpréter l'opinion dominante[45], et le fait est que c'était bien au faubourg Saint-Germain que la chute de l'ex-proconsul jacobin causait le plus d'alarmes[46] ; on se crut perdu, le bruit courait que la disgrâce du ministre était chie a sa condescendance envers le duc et la duchesse de Chevreuse, ce qui donnait presque Fouché l'auréole du martyre. Le retentissement fut si grand qu'il eut, peu de temps après, son écho à Londres. On y était, du reste, dit Fauche-Borel[47], dans l'opinion que Bonaparte ne pouvait se passer d'un tel ministre. C'était l'avis général. Fiévée lui-même l'avouait : On concevait d'autant moins, écrivait le publiciste à l'Empereur quelques jours après, comment il serait possible de remplacer M. le duc d'Otrante, instruit par une longue habitude des affaires les plus secrètes, que, pour lui chercher un successeur, on n'avait jamais jeté les veux hors de la classe des administrateurs civils, et le premier essai (en 1802) avait été malheureux... On redoutait l'inexpérience d'un nouveau ministre, la sûreté de l'Empereur ne permettant pas de risquer les frais d'un apprentissage[48]. Il est bien vrai que les amis de l'Empereur évoquaient avec effroi le souvenir de ce qui s'était passé après la disgrâce de 1802 ; le choix du duc de Rovigo ne rassurait guère, il l'avoue lui-même[49] ; les ennemis du régime le disaient brutal, rappelaient sa participation à l'exécution du duc d'Enghien, à la chute des Bourbons d'Espagne, et autres affaires ; les amis de l'Empereur le disaient incapable, maladroit et sot[50]. On pense si ceux qui, la veille, avaient voulu démolir Fouché pour le remplacer, Sémonville et Maret, Dubois et Saulnier, devaient voir la situation d'un autre œil après la nomination de Savary. L'effroi fut général, écrit Mme de Châtenay[51], et le duc de Rovigo lui-même : Je crois que la nouvelle d'une peste n'aurait pas plus effrayé que ma nomination au ministère[52].

Dès le 4 juin, M. de Girardin, déplorant cette retraite, écrivait que Fouché s'en allait regretté de tous. Il ajoutait que la négociation anglaise n'avait été qu'un prétexte : Fouché a été contre le mariage que l'Empereur vient de contracter... il a voté la mort de Louis XVI, cela l'explique (sa disgrâce), et plus l'Empereur s'éloigne des principes de la Révolution, plus il écartera ceux qui passent pour en avoir été les auteurs. La note était fort juste. Aussi bien, chacun, naturellement, voulait (Ioniser son explication ; elle était toujours favorable au ministre. A entendre les amis de la famille Bonaparte, comme Decazes, Fouché tombait pour avoir voulu se mêler des querelles entre l'Empereur et ses frères, Napoléon l'accusant d'être plus le ministre de ses frères que le sien. Pour d'autres, comme Girardin et les libéraux de son école, l'ancien proconsul succombait sous la réaction triomphante ; mais, par contre, le faubourg attribuait sa disgrâce à ce fait qu'il avait permis à Mme de Chevreuse exilée de se rapprocher de Paris pour voir son mari ; cette touchante version était celle qu'adoptait le ministre tombé lui-même[53].

D'autres bruits circulaient : Fouché, en réalité, n'avait pas été révoqué, il avait très dignement offert sa démission par une lettre du 2 juin. Essuyant les reproches de l'Empereur, il lui avait répondu avec beaucoup de sang-froid que, s'apercevant que depuis quelque temps il avait le malheur de perdre sa confiance, il se voyait obligé de donner sa démission. C'était superbe ; on allait même jusqu'à dire que, si Fouché avait accepté le gouvernement de Rome, c'est que le duc de Bassano lui était venu représenter que par un refus, il irriterait l'Empereur et ferait le malheur de ses enfants[54].

Des amis de Napoléon, désireux de calmer l'opinion, assuraient que le souverain lui-même se montrait affligé de la disgrâce du ministre de la Police, rendant justice à ses services, à ses mérites, à ses talents, à son attachement ; la preuve en était dans les lettres du 3 juin. On lui prêtait certains propos dans ce sens : Il m'en a coûté de renvoyer Fouché, mais il m'était impossible de faire autrement. Il a de bonnes intentions, je n'en puis douter, mais il prend beaucoup trop sur loi ; il fait des choses trop importantes sans me consulter. Voyez-vous qu'il avait un budget secret sur lequel étaient portés pour 12.000, pour 18.000 francs, des sénateurs, des chambellans, des anciens tribuns de l'opposition ? La fameuse lettre écrite à l'impératrice Joséphine l'a été sans mon consentement et à mon insu. Cette lettre a contribué à me rendre malheureux dans mon intérieur pendant deux ans... Je ne puis avoir de confiance dans un ministre qui un jour fouille dans mon lit, et l'autre dans mon portefeuille, aurait encore dit le souverain[55]. Mais Decazes, se faisant l'écho d'autres propos encore, écrivait que l'Empereur, après avoir reçu la visite de Fouché et pris congé de lui, se tournant vers Jérôme et Cambacérès, leur avait dit simplement : Je ne remplacerai jamais cet homme-là. Il avait ses défauts, mais c'est le seul homme d'État que j'aie eu. Et quand le duc d'Otrante avait voulu prêter serment comme gouverneur de Rome, l'Empereur lui avait, disait-on, arrêté la main et, lui posant la sienne sur le cœur, lui avait dit : Je vous connais ; je n'ai pas besoin de vos serments[56]. Propos qui, peut-être, cachait une cruelle ironie, mais qui à cette époque était interprété favorablement dans les divers milieux où il se colportait. A la cour même régnait une réelle consternation. On prêtait à l'impératrice Marie-Louise un propos surprenant : elle s'était étonnée de cette disgrâce, le duc d'Otrante étant le seul homme dans lequel l'empereur d'Autriche eût engagé sa fille à placer sa confiance[57].

Vrais ou faux, ces cent propos se colportaient, s'amplifiaient et s'exagéraient, tous favorables au ministre tombé. Dans le camp des ennemis, on se taisait ; Cambacérès, essentiellement conservateur, dans le sens exact du mot, était rendu soucieux par tout changement ; Dubois avait soudain retrouvé pour Fouché des sentiments plus doux, et Réal en parlait avec de grands éloges. Fiévée piétinait le cadavre, mais sans enthousiasme. D'autres se bornaient à dire que Fouché n'était pas bien à plaindre, l'Empereur l'ayant comblé d'une fortune dont il allait jouir à son aise[58]. La nomination du duc d'Otrante au gouvernement général des États romains, rendue officielle dès le 3 juin, confirmait amis et ennemis dans la pensée qu'il n'y avait vraiment là qu'une demi-disgrâce dont le ministre allait se relever bien facilement ; le 5, on apprit que le duc d'Otrante était par surcroît nominé ministre d'État. Cet habile homme allait-il donc, comme à l'ordinaire, rétablir par un tour de force ses affaires compromises ? On crut à une journée des Dupes ; les amis parlaient haut, les ennemis n'osaient attaquer ni se réjouir ouvertement.

Que devenait pendant ce temps cet homme du jour ?

D'abord atterré, il commençait réellement à se rassurer. Grâce à la naïveté confiante de Savary, il s'était réinstallé à l'hôtel du quai Voltaire et ne semblait pas pressé d'en sortir. La duchesse d'Otrante déménageait lentement ; les appartements étaient sales, il les fallait approprier, mesure de politesse élémentaire vis-à-vis de la duchesse de Rovigo[59]. Pendant cc temps, Gaillard bridait et brûlait toujours dans le cabinet noir du premier étage. Quant à Fouché, il s'échappait souvent de cet autodafé pour aller recevoir félicitations et condoléances, car les salons du ministère ne désemplissaient pas.

Ou vit accourir tous les amis très courageusement... ou très habilement, puisqu'on commençait à croire la disgrâce passagère. M. de Talleyrand se montra un des premiers, puis M. de Narbonne. La visite de cet ancien ministre de Louis XVI fut d'autant plus remarquée qu'elle s'accompagnait de déclarations retentissantes du comte, faites en d'autres salons, en faveur de Fouché[60]. La foule des courtisans suivit avec cette persuasion, qui se trouva eu somme plus tard justifiée, que l'homme reviendrait. Jamais, depuis Choiseul, on n'avait vu tomber un ministre avec tant de grâce. Il restait souriant, très calme d'apparence, très digne, en homme qu'on méconnaît et persécute, parfois très gai, d'une gaieté un peu forcée, plaisantant sur sa mission à Rome : Vous savez qu'on me fait pape. — On peut dire que tout chemin mène à Rome[61]. Il prenait, du reste, au sérieux cette haute mission, voulait des pouvoirs extraordinaires, de l'argent et des instructions[62], rêvant déjà d'un proconsulat au bord du Tibre ; car il y avait chez cet homme un étrange besoin de domination et d'activi[63]. Il avait voulu engager un secrétaire italien, Luigi Angeloni, et commençait ainsi à se monter une maison ad hoc[64]. On faisait de grosses malles destinées à la ville éternelle. Mais plus désireux d'être second à Paris que premier à Rome, il avait un souci : il songeait à l'avenir, aux moyens de rentrer aux jours de crise à un titre ou à un autre dans les conseils de la nation. Grand dignitaire comme Talleyrand, tout au moins ministre d'État comme Cretet l'avait été en 1809 après son départ du ministère, voilà les titres qu'il lui fallait[65]. Cela effacerait décidément la disgrâce, lui donnerait, écrivait-il le 3 juin à l'Empereur, le prestige qu'il lui fallait pour aller gouverner à Rome : on lui devait le titre de ministre d'État et une belle liste civile. Je n'ai point la vanité d'être prince ni grand dignitaire, écrivait-il modestement[66], si l'Empereur croit que je doive mériter ces titres par de nouveaux services ; mais j'attacherais quelque prix à conserver un titre de ministre, parce que c'est un titre de confiance... Et comme il tenait à voir sa requête accueillie, il adressait le même jour une seconde lettre au duc de Bassano, où il passait des récriminations aux flatteries[67]. Sa joie dut être grande quand, le 4, il reçut du secrétaire d'État notification du décret le nommant ministre d'État[68]. Sa reconnaissance, dans tous les cas, débordait en termes dithyrambiques dans une lettre à Maret[69] : C'est de tous les titres celui que je porterai avec le plus d'orgueil et qui fait le plus de bien à mon cœur. C'est celui qui recommandera le plus mes enfants a la mémoire de tous les hommes qui sont attachés à l'Empereur. Napoléon, en réalité, s'était laissé attendrir ou effrayer : on avait donné le titre de ministre d'État comme une consolation à un vieux serviteur disgracié, comme une satisfaction à un homme qui, grâce à l'explosion de regrets dont on saluait son départ, pouvait se croire tout permis. Mais l'Empereur entendait qu'il partit aussitôt[70]. A cette invitation, le duc d'Otrante répondit, avec des larmes dans la voix, qu'il était triste et malheureux. — L'Empereur, qui connait si bien le cœur humain, ne connait pas le mien, s'il ne sait pas à quel point ma vie lui est dévouée[71].

En réalité, il ne partait pas, mordu du désir et de l'espérance de reprendre le dessus et de rester à Paris à un titre quelconque. Tout lui souriait : le souverain semblait réparer son erreur, l'opinion était pour lui. Il entendait lui donner le temps de se bien prononcer et restait. Au surplus, on n'avait pas fini de brûler au quai Voltaire ou de classer. Gaillard travaillait vite, mais il v avait vraiment trop de papiers. Le duc d'Otrante demeurait au ministère : on le voyait dans les bureaux comme dans les salons. Le duc de Rovigo acceptait tout[72].

L'Empereur se laissait jouer moins facilement. Sans savoir quelle singulière besogne faisait Gaillard en son cabinet noir, Napoléon n'apprit pas sans mécontentement là présence du duc d'Otrante au quai Voltaire, trois jours après sa destitution. Le duc avait son hôtel particulier à Paris ; que ne s'y retirait-il ? Le duc de Bassano fut chargé d'aller trouver son ancien collègue dans la journée même, de lui déclarer qu'il y avait nécessité à ce qu'il évacuât avant la fin de la semaine l'hôtel de la police, ce qui, déclarait l'Empereur, n'est d'aucun embarras pour lui, puisqu'il a sa maison , et de lui insinuer — ce terme est curieux sous la plume d'ordinaire si brutale de l'Empereur — que les affaires marchaient vivement à Rome, et que son absence pouvait y être préjudiciable. Le duc d'Otrante devrait être parti pour le 15 juin[73].

Napoléon commençait réellement à s'assombrir. Ce n'étaient pas seulement les regrets dont on saluait le départ du ministre, quoiqu'il ne fût pas homme à souffrir, en simple Louis XV, des manifestations à la Chanteloup ; mais il était réellement ému des nouveaux détails qui, tous les jours, lui parvenaient sur la fameuse négociation anglaise.

Interrogé successivement par le chef de la police secrète, Desmarest, puis par le conseiller d'État d'Hauterive, Ouvrard avait avoué à peu près tout : les papiers saisis chez lui, du reste, eussent suffi à tout dévoiler[74]. Le 2 juin, Napoléon ne faisait que soupçonner la vérité : à dire vrai, il s'était emparé d'un prétexte qu'il trouvait bon, mais il détestait Ouvrard, le savait intrigant, parfaitement capable d'avoir, en grande partie, forgé toute cette fausse négociation. Les réparations que, depuis trois jours, l'Empereur accordait au ministre disgracié semblaient peu cadrer avec l'accusation de lèse-majesté et de trahison qu'à tout hasard il avait lancée le 2 juin. Mais devant les réponses et surtout la correspondance d'Ouvrard, il fallait bien reconnaitre que ce personnage avait agi par ordre. On apprenait aussi en partie le rôle singulier que Fouché avait joué près de lord Wellesley depuis cinq mois : Cette affaire devient grave, écrivait le 5 juin l'Empereur à Savary[75]. Il faut la couler à fond. Le financier était conduit à Vincennes ; Napoléon, suspectant les gens de la police qu'il croyait encore des créatures de Fouché, et d'Hauterive lui-même, un ami de Fouché qui venait de conclure à l'étouffement de l'affaire[76], faisait interroger le banquier par son propre secrétaire de cabinet Monnier[77]. En outre, la saisie des papiers Ouvrard le mettant sur la voie d'une correspondance ministérielle, il songeait seulement alors à réclamer au duc d'Otrante les documents relatifs à cette affaire.

Fouché, auquel le duc de Bassano avait signifié les volontés de l'Empereur, était resté deux jours encore à l'hôtel de la police, qu'il quitta enfin le 7 juin, laissant avec beaucoup d'importance entre les mains de Savary ébahi un dossier volumineux et sans valeur, fruit des classements et quintessence, disait-il, des archives secrètes[78]. Puis, avec toute la dignité d'un Choiseul se retirant à Chanteloup, il partit en voiture pour Ferrières, ignorant de l'orage qui s'accumulait sur sa tête et probablement fort satisfait d'avoir aussi complètement mystifié son peu perspicace successeur. Emportait-il des documents importants ? les avait-il détruits ? Gaillard assure qu'il brûla tout ; mais cette affirmation est démentie par les circonstances : Fouché rendit plus tard des papiers à l'Empereur. Aussi bien, il en était qu'il avait le devoir de détruire, d'autres le droit strict de garder. Beaucoup de ses correspondants policiers se souciaient peu, nous en avons recueilli plus d'une preuve, de devenir ceux de Savary, et, quant aux lettres de l'Empereur, tous ceux qui les ont lues reconnaîtront que Fouché avait quelque raison d'en emporter par devers lui les originaux, étant connue surtout l'excellente habitude qu'avait le maitre de faire retomber sur les épaules de ses serviteurs le poids des responsabilités trop lourdes[79].

L'Empereur semblait pour l'heure peu préoccupé de cette question des lettres : il les croyait sans doute encore déposées aux archives du ministère. Mais il n'en était pas mieux disposé pour Fouché, car il venait, semble-t-il, d'avoir la révélation, disent les uns, la confirmation, prétendent les autres, de cette mission Fagan dont Fouché devait singulièrement phis redouter la divulgation que la découverte de la négociation Ouvrard. Labouchère avait été mandé à Paris : l'interrogatoire qu'il avait subi n'avait, du reste, prouvé que sa parfaite bonne foi ; mais il avait mis sur la piste de cette mystérieuse mission à laquelle Wellesley avait fait allusion, lors de ses premiers entretiens avec lui[80]. Savary, de son côté, s'était livré à de grandes recherches dans les registres des bureaux de la police (car l'ennemi était bien maintenant dans la place, usant des documents qui lui restaient), et avait relevé le passeport accordé à Fagan, le 30 novembre 1809[81]. L'ancien émigré, immédiatement arrêté, avait fait d'autant moins de difficultés pour tout avouer, que lui aussi, joué par Fouché, s'était cru dans sa main l'instrument indirect de l'Empereur. C'était fort grave ; Fagan, interrogé le 16, puis le 18, réitéra ses aveux, et l'examen de ses papiers les confirma pleinement. Il possédait encore son passeport d'un très particulier aspect, sorte de plein seing du ministre, la lettre du duc d'Otrante aux commissaires généraux destinée à frayer la voie à son émissaire. Il ajouta que Fouché devait avoir en sa possession la note de lord Wellesley dont lui-même, le 18, livra la copie[82].

Le 17, Fouché avait reçu ce court billet, qui dut quelque peu l'émouvoir : gi Monsieur le duc d'Otrante, je vous prie de m'envoyer la note que vous a communiquée le sieur Fagan, que vous avez envoyé à Londres pour sonder lord Wellesley, et qui vous a rapporté une réponse de ce lord, que je n'ai jamais connue. C'était froid, concis, mais gros de menaces. Fouché délibérait encore, quand, le lendemain, il reçut une missive singulièrement plus violente. Napoléon avait eu vent de la disparition, enfin constatée par Savary, des archives secrètes de la police : l'Empereur réclamait de l'ancien ministre tout le portefeuille du ministère. — Faites attention que j'ai droit et qu'il est important pour moi et pour vous, écrivait le maitre[83], que toutes les pièces sur ces affaires — celles de la négociation — et écrits de cette espèce me soient remis sans réserve ; en un mot, que vous me remettiez le portefeuille de votre ministère.

Le secrétaire du cabinet, Mounier, partit pour Ferrières avec mission de rapporter les papiers, et revint les mains vides. Fouché avait déclaré qu'il avait détruit les papiers. L'Empereur fut réellement alarmé. Fouché devenait-il fou ? Le duc de Bassano fut chargé d'adresser une nouvelle demande à l'audacieux personnage : celui-ci y fit la même réponse[84]. S'il faut en croire Gaillard, qui avait suivi le duc d'Otrante à Ferrières, cette réponse avait un caractère presque menaçant pour qui voulait comprendre. La première fois qu'il avait quitté le ministère, écrivait en substance l'ancien ministre, le Premier Consul n'a pas réclamé sa correspondance particulière ; pouvait-il s'attendre, dès lors, à la demande qui lui est faite aujourd'hui ? D'un autre côté, Sa Majesté l'honorait d'une telle confiance que, si l'un des princes, ses frères, excitait son mécontentement, elle le chargeait de le ramener à ses devoirs. Chacun des frères lui confiant alors ses griefs, le ministre n'avait pas cru devoir conserver ces lettres, les exposer à une publicité qui lui eut été attribuée. Les sœurs de Sa Majesté n'étaient pas, d'ailleurs, à l'abri de la calomnie ; l'Empereur avait daigné communiquer à son ministre les bruits qui parvenaient à sa connaissance et le charger de s'assurer si quelques imprudences avaient pu leur donner naissance, et, dans tous les cas, de faire savoir aux princesses combien il était mécontent de voir leur conduite donner si souvent sujet à la critique de tous les salons. Sa Majesté comptant sur sa discrétion, le ministre avait dû justifier cette confiance d'autant, que l'Empereur mettait tellement de chaleur dans ses expressions et ses plaintes, que si lui, Fouché, eût moins connu les princesses, il aurait été tenté de croire à de grandes imprudences de leur part. Il avait donc toujours brûlé toutes ces lettres, et rien au monde ne lui ferait regretter cet acte de prudence[85].

La perfidie doucereuse de cette réponse n'était pas faite pour calmer l'Empereur, qu'exaspéraient en ce moment mille révélations. L'affaire d'Angleterre, dans laquelle, grâce aux révélations de Fagan, le rôle de Fouché apparaissait tous les jours plus grave, créait maintenant de réels embarras au gouvernement : lord Wellesley s'était naturellement empressé de faire savoir au gouvernement américain les singulières propositions dont on l'avait entretenu ; le public américain, les Chambres, le gouvernement de Washington devaient s'en montrer fort émus[86]. De son côté, la Russie, en alliée défiante, prenait ombrage de la négociation clandestine entreprise sans son consentement ; il la fallait calmer, en lui assurant que ces menées n'avaient pas plus reçu l'approbation de l'Empereur, et que le duc d'Otrante avait payé de son portefeuille l'abus de pouvoir dont il s'était rendu coupable[87]. En outre, des détails se révélaient, bien faits pour exaspérer Napoléon ; il y avait notamment l'emploi d'Hinguerlot que l'Empereur détestait et qui était impliqué dans l'affaire, le rôle joué par Kolli dans la négociation, etc. On relevait aussi des irrégularités dans la comptabilité du ministre, et enfin les on dit hostiles se donnaient carrière depuis que s'affirmait la disgrâce de Fouché[88].

Ce refus de rendre les lettres mettait le comble à l'irritation de l'Empereur. Celui-ci ne pouvait accepter un pareil procédé. Il savait mieux que personne à quel point cette correspondance pouvait devenir entre les mains de Fouché bien plus qu'un moyen de défense, une ressource pour attaquer et nuire. Il y avait dans ces lettres la trace et la preuve d'une foule de services intimes qui rendaient cette correspondance aussi utile à recouvrer pour le maitre que précieuse à garder pour le ministre. S'il est vrai que, par surcroît, en refusant de la livrer, louché eût fait allusion aux aventures galantes de Pauline et de Caroline, rien ne pouvait plus mettre l'Empereur hors de lui. Cette fois, sa colère éclata d'une façon si bruyante que les ministres, habitués cependant à ces sorties, en restèrent saisis : les anciens adversaires de Fouché au conseil n'étaient point d'avis de poursuivre plus loin les hostilités contre lui ; le duc de Massa intervint, cherchant à calmer l'Empereur. Celui-ci fit faire par lettre une dernière sommation à Fouché par Maret : le duc de Bassano pria de nouveau son ancien collègue de remettre toutes les lettres qu'il avait reçues de l'Empereur pendant son ministère[89]. Imperturbable, le duc d'Otrante répondit que, ne s'attendant pas à cette demande, il les avait brûlées[90]. A son tour, le duc de Rovigo fut chargé d'intervenir près de son prédécesseur ; c'était une médiocre autorité ; il devait réclamer les lettres comme propriété du ministère[91]. Mais le lendemain le duc de Rovigo essuyait et transmettait à l'Empereur l'éternelle réponse du duc d'Otrante[92].

Napoléon, ayant sans doute peu de foi dans l'autorité de Savary, n'avait pas attendu la réponse de Fouché. Le même jour, le préfet de police Dubois fut mandé à Saint-Cloud, où il trouva l'Empereur dans la plus vive agitation. Napoléon, après avoir fait quelques pas de long en large dans son cabinet, se tournant vers Dubois, lui avait dit brusquement : Dubois, ce Fouché est un misérable, puis, reprenant sa promenade, il reprit : C'est un misérable ! un grand misérable ! Et après une sortie violente sur cette vie faite de trahisons : Qu'il ne compte pas faire de moi ce qu'il a fait de son Dieu, de sa Convention et de son Directoire, qu'il a bassement trahis et vendus ! J'ai la vue plus longue que Barras, et avec moi. ce ne sera pas si facile. Qu'il se tienne donc pour averti. Mais il a des notes, des instructions de moi, et j'entends qu'il me les rende. Puis, avec volubilité, il donna à Dubois l'ordre de se rendre à Ferrières pour réclamer les papiers : S'il refuse... s'il refuse, qu'on le mette dans les mains de dix gendarmes. Qu'il soit conduit à l'Abbaye, et, par Dieu, je lui ferai voir qu'un procès peut se faire promptement[93].

Dubois partit pour Ferrières et y arriva au moment où le baron Louis rendait visite au ministre disgracié. Le futur ministre de la Restauration donna même la note gaie en cette tragédie. Apprenant l'arrivée du préfet de police et craignant d'être compromis, le prudent personnage partit précipitamment, sous prétexte qu'il gênait. A dire vrai, le préfet ne semblait pas vouloir prendre les choses au tragique, étant fort radouci pour Fouché, depuis que Savary était ministre. Il accepta à déjeuner, et, ayant subi, après boire, les récriminations et protestations du duc et l'histoire des papiers brûlés, fort embarrassé de son retour, il s'avisa d'un procédé : Réunissez un certain nombre de papiers dans une commode ; laissez-y mettre les scellés. Je pourrai faire un procès-verbal à l'Empereur, ce qui lui donnera le temps de se ressaisir. Dubois mit les scellés, dîna et partit. Mais il n'avait pas dissimulé à son ancien chef l'extrême irritation de l'Empereur et ses menaces, et laissait, au dire de Gaillard[94], tout le château dans la plus grande inquiétude. Le lendemain matin, l'ex-ministre confiait à son ami qu'il se sentait agité par de sombres pressentiments : la duchesse d'Otrante lui avait conseillé la fuite. Gaillard pensait que ce serait provoquer les mesures que de les fuir ; si quelque messager devait venir de Paris, l'ancien ministre pouvait, à tout prendre, quitter au préalable le château sous quelque prétexte, celui, fort plausible par exemple, de visiter ses propriétés avant de les quitter. Si ce messager apportait des nouvelles menaçantes, le duc d'Otrante pouvait transformer cette tournée en fuite définitive. Il accepta cette idée : le fidèle Gaillard et lui partirent à cheval d'assez bon matin et, après une tournée dans l'immense domaine du duc, allèrent demander à dîner au château de Combreux, où habitait M. de Jaucourt, noble royaliste et futur membre du gouvernement provisoire de 1814, avec lequel l'ancien jacobin voisinait. C'est là qu'une estafette les vint prévenir que le duc pouvait rentrer sans danger[95]. L'Empereur s'était un peu calmé[96] ; sur la proposition de Dubois, fort aise de passer la main à quelque autre, Réal, dont les bonnes relations avec son ancien ministre éloignaient toute idée menaçante, fut chargé d'aller lever les scellés et saisir les papiers[97]. Le conseiller d'État, accompagné de sa fille, la baronne Lacuée, s'était présenté au château, avait attendu jusqu'à la nuit le duc d'Otrante et était reparti pour Paris les mains vides. Fouché n'en prit pas moins prétexte pour protester avec indignation près de l'Empereur contre les procédés qu'on employait à son égard[98]. Depuis un an, écrivait-il à Réal le jour même, je pressens l'orage dont je suis victime aujourd'hui. Mes ennemis ont voulu me compromettre à la fois par leurs éloges et par leurs calomnies. Je croyais l'Empereur plus en garde contre cette double intrigue, je me suis trompé. Il allait partir pour Rome afin d'obéir aux ordres de l'Empereur. On ne pouvait douter qu'il eût brûlé la correspondance qu'on lui voulait reprendre, et il l'avait fait par intérêt pour Sa Majesté : Je n'ai jamais cherché d'autre garantie, ajoutait-il[99], que dans le cœur de l'Empereur et ma conscience. Ces superbes sentiments se retrouvaient dans une lettre adressée le même jour au duc de Bassano ; il y jouait l'impatience et la mélancolie : Je croyais, après ma réponse à Votre Excellence relativement aux lettres de l'Empereur, qu'on ne m'en parlerait plus ; mais telle est la fatalité qui me poursuit que depuis quelques mois il m'a fallu subir tous les genres de dégoûts et d'humiliations. J'ai vu les scellés apposés chez moi par le préfet de police, au moment même où je vais remplir une mission pénible et pour le succès de laquelle j'ai essentiellement besoin de confiance et d'encouragement. Mes ennemis ont persuadé à l'Empereur que j'avais conservé des lettres et des notes secrètes ; il les croit peut-être. Ils disent même encore que j'ai la correspondance de l'Empereur, parce que le motif qui m'a porté à l'anéantir est trop élevé pour qu'ils le croient. Ce que je vous ai écrit à cet égard est la vérité ; je suis incapable de dire une chose qui n'est pas. J'ai pensé que les lettres de l'Empereur renfermant des mesures de haute police devaient rester secrètes entre lui et moi, que ces lettres n'étaient utiles que pour couvrir ma responsabilité. Néanmoins il avait tout brûlé, lettres d'éloges et de reproches. Et voilà qu'on le persécute. Les scellés sont levés sur mes papiers, mais ils pèsent encore sur mon cœur. Je ne comprends pas comment, après dix ans de services continuels, je peux être soupçonné d'intentions petites et personnelles. Qui me défendra contre mes ennemis, quand je serai à quatre cents lieues de Paris, si l'Empereur ne repousse pas leurs perfides insinuations ?... Et après des menaces mal dissimulées de défection, il ajoutait : Il n'est pas dans mon caractère de changer ; je servirai l'Empereur partout où je serai, avec chaleur et dévouement. On m'a accusé d'avoir la tête chaude ; mais le succès de diverses opérations dont j'ai été chargé prouve que cette tête chaude a de la mesure[100].

Réellement Fouché commençait à prendre peur, sentait le besoin de s'éloigner ; mais il était peu soucieux de laisser derrière lui ses ennemis maîtres du champ. Dans la plus grandi perplexité, il partit pour Paris avec le dessein peut-être de si rendre à Saint-Cloud ; il n'eut pas la peine de s'y transporter à peine arrivé à Paris, il apprit que l'Empereur, fatigué de cette lutte singulière, changeait en complète disgrâce la demi destitution du 3 juin[101].

Trop de gens avaient été témoins de la résistance de rancie : ministre, Maret, Savary, Régnier, Dubois, Réal ; on commençait à s'en indigner et à s'en amuser ; cet empereur qui avait détrôné des rois, petits-fils de Louis XIV et successeurs de Charles-Quint, qui avait vaincu dix peuples et qui venait d'arracher à Rome le successeur de Pierre, tenu en échec par ce pâle et chétif ministre ! la situation devenait ridicule. Il fallait un châtiment exemplaire : plus de ménagements, plus de titres honorifiques, plus de mission, plus d'exil doré, mais une disgrâce éclatante, l'exil lointain et sans honneur. Le 1er juillet le duc trouva à Paris Savary muni de la lettre qu'il venait de recevoir, véritable coup de massue pour l'ancien ministre : Monsieur le duc d'Otrante, vos services ne peuvent plus m'être agréables. Il est à propos que vous partiez sous vingt-quatre heures pour votre sénatorerie — Aix —. Cette lettre n'étant à autres fins, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde[102]..... Dans la lettre au duc de Rovigo, Napoléon ajoutait qu'il autorisait l'ancien ministre soit à voyager en Italie, soit à se retirer dans sa sénatorerie, Nice ou Aix. Il ne doit y exercer aucune influence ni recevoir aucun honneur, ajoutait l'impitoyable empereur. Vous aurez soin que mon ordre soit exécuté, et que les vingt-quatre heures ne se passent pas sans qu'il se soit mis en route[103].

Fouché n'avait pas besoin de ce dernier avertissement. La garde de Dieu ne lui paraissait pas suffisante, doublée de celle de Savary. Le soir même, pendant que le bruit se répandait à Paris que le duc était exilé à Milan[104], il se faisait délivrer par Desmarest un passeport pour le Simplon, Milan, Bologne et Florence[105]. Il avait peur, voulait mettre les Alpes entre Empereur et lui. Le lendemain, dans un état de surexcitation assez rare chez ce flegmatique, il se jetait dans une berline, accompagné de son fils aîné et du précepteur Antoine Jay, et, après avoir chargé la duchesse d'Otrante de plaider sa cause[106], il se mit en route, dans la direction du Midi, pour ne destination qu'on laissa mystérieuse[107].

Il allait réellement en Italie, quoique, pour dépister les espions de Savary, il eût parlé de Nice et de Marseille. Ce voyage en Italie le menait à Florence, où il avait une protectrice timide, mais dévouée, dans la personne d'Élisa ; à Naples, où il pensait trouver chez Joachim l'accueil reconnaissant auquel il avait droit ; peut-être à Rome, où il pourrait, car il se disait encore gouverneur général des États romains, étaler ce titre officiel. Songeait-il à de plus lointains exils, auxquels il pensait quelques jours après, l'Angleterre ou les États-Unis ?

Savary en était fort inquiet : il avait essayé de le devancer, dressant instructions sur instructions aux agents de la police qu'il savait plus disposés à aider leur ancien patron qu'à le surveiller et à l'entraver ; il envoyait ses ordres à Turin, Florence, Livourne ; dès le 7 juillet, le directeur général de police de Turin, M. d'Auzers, promettait d'attacher à l'ancien ministre un de ses meilleurs limiers : mais les fonctionnaires de Toscane semblaient moins disposés à agir, le prince Félix Bacciochi, époux d'Élisa, leur ayant parlé avec estime de M. le gouverneur de Rome[108].

Le duc d'Otrante, brûlant les routes de France, avait passé, le Simplon le 10, était à Parme le 12, à huit heures du soir, en repartait le lendemain à trois heures du matin, et, le 15 juillet, il apparaissait à Florence, au grand étonnement des fonctionnaires. Il affectait, avec une certaine bonhomie souriante, le désir de s'enfermer dans le plus strict incognito, se promenant avec son fils à travers la ville des Médicis, visitant en bon touriste musées et églises. Mais, dès le 19, il disparut : il avait annoncé qu'il allait à Pise prendre les eaux. Il ne s'y arrêta cependant que pour y coucher une nuit et, sous prétexte de montrer la mer à son fils, gagnait Livourne le 20 juillet. On ignorait à quel titre il paraissait en Italie : le préfet de Livourne vint donc le saluer : l'ex-ministre, fort résolu à dérouter les préfets de Savary, fit mille contes à celui-là ; il allait retourner à Pise, à Lucques, peut-être à Florence.

En réalité, il venait à Livourne prendre les conseils et invoquer la protection d'une de ses créatures, Oudet-Ducrouzet, un ancien professeur de l'Oratoire, qu'il y avait fait nommer naguère commissaire général. Venu au-devant du duc d'Otrante à Florence, le commissaire général l'avait entraîné à Livourne, où, descendu à l'hôtel de l'Aigle noir, le ministre disgracié passait ses journées chez le chef même de la police, laissant les agents de Savary se perdre en conjectures sur ses projets ultérieurs. Il recevait, du reste, à dîner le préfet, le général Franceschi et le capitaine de gendarmerie ; mais il attristait les convives par sa visible anxiété, les alarmant par une agitation fébrile mal dissimulée sous une bonhomie affectée. Il disparut de Livourne le 26, on le revit le 27 à Florence ; il en repartit le 28 pour Pise, disant qu'il s'en allait à Lucques ; mais le 29 il revenait chercher asile chez Oudet à Livourne. Le préfet, M. Capelle, apprenait le 30 avec surprise que le duc d'Otrante avait loué un petit bâtiment et fait des dispositions afin de s'embarquer pour Naples le lendemain matin avec son fils et trois domestiques. Cette circonstance intriguait fort ce sut fonctionnaire. Pourquoi l'ancien ministre prenait-il, pour se rendre à Naples, la voie de mer, incertaine, très dangereuse cause des croisières anglaises et des pirates, tandis que la voie de terre était plus prompte et plus sûre ? Le préfet commençait à soupçonner que le duc d'Otrante voulait quitter avec le continent les pays soumis à S. M. l'Empereur. Sans instructions, n'osant prendre sur lui d'empêcher l'embarquement, M. Capelle restait étonné et anxieux. Oudet répandait le bruit que le duc avait une mission secrète, qu'il allait aider Joachim à préparer une expédition en Sicile ; d'autres bruits circulaient : il était exilé à l'ile d'Elbe, il se rendait en Corse ; le préfet était très malheureux[109]. Le duc venait de prendre secrètement une lettre de crédit de deux cent mille livres sur Londres[110] : qu'est-ce que cela signifiait ? L'ex-ministre allait-se réfugier en Angleterre ou en Amérique ? L'exode lointaine amblait d'autant plus probable que, à croire le préfet, le duc s'exprimait presque ouvertement sur la personne la plus haute et les choses les plus secrètes du gouvernement. Le août, l'excellent baron Capelle apprit que cet hôte encombrant avait pris la mer. Il s'était embarqué à quatre heures du latin sur la galiote Élisa. Oudet affirmait qu'il cinglait sur Naples, en dépit des corsaires maltais, siciliens et gênois, des croisières anglaises et de la grosse mer. Le préfet avait fait observer du phare la direction de la goélette, qui semblait se diriger sur l'ile d'Elbe ; il avait constaté que des navires anglais croisaient, et, vers cinq heures du soir, on entendit du côté de la haute mer une forte canonnade[111].

Quelle ne fut pas la contrariété du préfet, quand, le 3 au matin, il apprit que le duc avait débarqué au sud de Livourne, à Castroviciello, n'ayant pu supporter, disait-il, la mer trop grosse et le malaise qui en était résulté ! Il s'était rendu chez Oudet, où le préfet, l'ayant rejoint le soir même, fut interrogé avec curiosité par l'ancien ministre sur les nouvelles de Paris. Celui-ci dit alors qu'il avait voulu se rendre par mer à Reggio de Calabre, mais qu'il y renonçait et allait gagner Naples par terre[112].

Quelles intentions tout cela cachait-il ? Avait-il réellement voulu se réfugier entre les bras de Murat ? On pourrait le croire. Le 16 juillet, il lui avait demandé asile, avait insisté le 18[113], se lamentant sur les calomnies dont on l'avait chargé près de l'Empereur[114]. Mais le 2 août, lors de son embarquement, il n'avait pas reçu l'autorisation sollicitée, puisque le 5 septembre seulement Murat se disposait à expédier à Fouché les passeports nécessaires et affirmait à l'Empereur qu'il n'avait reçu aucun avis d'un départ du duc d'Otrante pour Naples[115]. Le duc avait bien pris, le 28 juillet, une lettre de crédit pour Naples, mais il en avait pris une autre pour Londres. S'il allait à Naples, pourquoi avait-il pris la voie de mer, en dépit des prédictions du préfet, assurant qu'il était impossible de décrire (sic) ce trajet sans être pris par les Anglais ? Allait-il délibérément se jeter dans leurs bras ? Gaillard assure que, sollicité secrètement par un capitaine anglais de se réfugier à son bord, il avait refusé, craignant des représailles de l'Empereur sur sa femme et ses enfants. Fouché n'allait ni à Naples ni à Londres, il se rendait à New-York tout simplement, comptant sans doute gagner, de Livourne, quelque port intermédiaire. Une lettre de Jay, interceptée par Élisa, communiquée par elle à Fontanes et par Fontanes à Savary, corrobore ici l'opinion des Mémoires. Au moment où je t'écris, mandait à sa femme, le 2 août, le précepteur du jeune Fouché, je vois le navire qui va nous séparer du continent d'Europe[116]. Aussi bien, Fouché ne faisait plus, quelques jours après, mystère de ses intentions avortées : Je dois confier à Votre Altesse, écrivait-il le 6 août à Elisa[117], que, dans mon désespoir, j'ai eu le projet d'aller aux États-Unis chercher un asile inaccessible à mes ennemis, pour m'y établir avec ma femme et mes enfants ; j'aurais exécuté ce projet à Livourne si les Anglais ne couvraient les mers de leurs vaisseaux. Il semble que le mal de mer avait plus fait que les croisières anglaises pour rejeter ce fils de marins, quelque peu dégénéré, entre les mains de l'Empereur. Avait-il réellement voulu gagner les États-Unis ? Ce coup de tête ne lui ressemble guère. Menace plutôt. Son séjour là-bas ne saurait être sans danger, plus qu'à Londres même, car il peut être, de l'autre côté de l'Atlantique, le conseiller des mécontents de tous genres, Lucien, Moreau, les Paterson, Limoélan, Hyde de Neuville. Est-ce pour cela qu'il a voulu qu'à Paris comme à Florence, on crût à ce coup de tête ? Cela est possible, car c'est un grand comédien. Le mal de mer lui-même, dès lors, devient douteux. Le 4, il semble résolu à regagner Florence, où il reparaît le 5[118], et, après avoir derechef fait croire aux autorités qu'il partait pour Naples, il sortait le 9 à deux heures du matin de la capitale d'Elisa, par la porte qui mène à Bologne[119].

La preuve qu'il n'avait guère songé à New-York, c'est que, la veille de l'embarquement, il avait écrit à l'Empereur pour le fléchir. Élisa et Murat avaient été employés à la même œuvre. II insista près de la sœur de Napoléon, lui demandant d'inter : céder pour lui — elle était alors à Paris. Je n'ai jamais demandé aucune grâce à l'Empereur ; je lui en demande une aujourd'hui par votre organe. A l'époque de sa fête, que Sa Majesté oublie les torts qu'elle me reproche, et qu'il me soit permis de me réunir à ma femme et âmes enfants ; en quelque lieu que ce soit, j'en serai profondément reconnaissant[120]. La duchesse, de son côté, n'était pas restée inactive : elle avait tenté près de l'Empereur une démarche personnelle ; Jeanne Fouché avait pleuré, remis une partie des lettres réclamées et obtenu que le duc pût rentrer en France[121].

Il n'avait pas attendu la permission : pendant que les agents de Savary le croyaient à Naples, il gagnait Bologne, Milan, repassait les Alpes, l'âme agitée, et, inopinément, le 13 août, apparaissait à Lyon[122]. Là aussi, il trouva une autre créature, son ancien secrétaire, Maillocheau, commissaire général. Il s'installa chez lui, s'enfermant dans le plus strict incognito, en attendant sa femme. Le duc d'Otrante ne laissait, du reste, à personne le soin de prévenir son successeur de sa rentrée en France : il lui écrivait, le 16, une lettre fort courtoise, car il estimait que l'heure était aux ménagements. Je sens dans mon cœur, Monsieur le duc, de quoi vous convaincre que le sentiment de la reconnaissance chez moi n'est pas sans quelque prix[123]. A dire vrai, Savary parut moins sensible à de si nobles sentiments qu'irrité d'avoir été une fois de plus joué, puisque, sur la foi de ses agents, il avait annoncé partout le départ de son prédécesseur pour Naples. Mais il trouva chez l'Empereur, vis-à-vis de l'ex-ministre, une suprême indifférence[124] ; il semblait que la fuite apeurée, folle, incohérente de Fouché l'eût fait baisser dans la défiance comme dans l'estime du maître ; la duchesse d'Otrante avait donc trouvé le terrain préparé. L'Empereur fit transmettre par Savary, le 27 août, à Fouché, l'autorisation de résider à Aix. Le 28, au reçu de la lettre, le duc d'Otrante, qui avait vécu ces dix jours dans une retraite stricte, annonça qu'il allait partir sans tarder[125]. Le 31, à cinq heures du matin, il quittait Lyon accompagné des vœux de Maillocheau, se dirigeant sur Avignon, où il arriva le 4. De là il avisa son ami Thibaudeau, préfet des Bouches-du-Rhône, de sa prochaine visite[126]. Il affectait, comme toujours, en de semblables circonstances, un grand désir de calme, de repos et d'obscurité. C'était le mot d'ordre : Maillocheau avait déjà écrit à Paris que l'ancien ministre, au milieu de l'inquiétude que produit nécessairement dans une âme active le passage subit de très grandes préoccupations à un désœuvrement total, lui avait paru surtout occupé du désir de se faire oublier. Le 4 septembre, il écrivait de son côté à Thibaudeau qu'il se réjouissait de vivre obscur et tranquille[127] ; il avisait également le sous-préfet d'Aix, M. de d'Arbaud-Jouques, de sa prochaine arrivée, ce qui jetait ce jeune fonctionnaire dans la plus grande perplexité. Le duc avait été rejoint en route par la duchesse d'Otrante et ses enfants, et ce fut en famille qu'il arriva à Aix le 5 septembre. Thibaudeau, qui était venu l'y attendre, ne trouva pas chez lui la dignité calme et froide que semblait faire prévoir la lettre d'Avignon. Il le vit pâle, défait et montrant, par l'incohérence de ses idées et le désordre de ses discours, un moral profondément atteint[128]. Il dut recouvrer son sang-froid pour recevoir les fonctionnaires qui, en dépit des intentions de l'Empereur et de ses propres protestations d'humilité, le reçurent en grande cérémonie. Le 6, il accueillit, avec une grande dignité, les hommages de la Cour d'appel et du tribunal en robe, des administrateurs en grand costume, déclara d'un ton dégagé que, le séjour d'Italie ne lui ayant présenté aucun agrément, il avait demandé à l'Empereur la permission de se rendre dans le chef-lieu de sa sénatorerie et que Sa Majesté avait bien voulu la lui accorder[129]. C'était sauver les apparences. Mais à Paris on se fit, une fois de plus, l'illusion que Fouché était fini. L'Empereur n'en parlait plus, semblant aussi oublieux des défiances, des craintes, des colères d'antan que des talents, des mérites et des services de son ministre.

Il avait doublement tort : il fallait se défier, encore et toujours, de l'homme qui, ayant déjà connu trois disgrâces, savait comment on y échappe, et il fallait penser aussi avec une certaine reconnaissance à l'œuvre de Fouché pendant ces neuf ans de ministère. Certes, à nos yeux, cette œuvre paraît parfois inféconde et peut-être funeste. Un ministre de la Police, chef d'un département purement politique, ne peut laisser d'institutions durables et utiles. Celui-ci cependant avait entrepris deux grandes œuvres : il avait voulu étouffer dans l'œuf toute tentative de guerre civile, et, pour quiconque a vécu dans les dossiers de la police impériale, l'œuvre ne parait ni facile ni méprisable : on avait vu, en 1809, les Anglais passer des promesses aux actes et jeter leurs habits rouges sur les côtes de l'Empire. Si, de 1804 à 1809, Fouché n'eût su arrêter à temps les essais d'insurrection de l'Ouest, les réduire à des tentatives individuelles et frapper vite et juste pour n'avoir pas à frapper beaucoup, nul ne saurait dire si l'Ouest n'eût pas été le théâtre d'une nouvelle et redoutable chouannerie. Il avait, de ce chef, empêché toute guerre intestine. Il avait aussi, avec moins de bonheur, et dans sa sphère d'action, cherché en général à empêcher, prévenir, arrêter la guerre étrangère, mû sans doute par une politique d'intérêt, mais qui s'accordait alors avec le bien du pays, comme, du reste, avec celui de la dynastie qu'il servait. Ce sont en effet les partisans du régime impérial qui ont le moins de droits d'attaquer et de mépriser l'ancien ministre de la Police, surtout à cette date de 1810. A son arrivée, tous les partis étaient agités ; en 1810, il n'y a plus de partis. En 1804, on colportait partout encore, on accueillait avec faveur, en certains milieux, la proclamation de Louis XVIII ; en 1810, on ignorait où était, ce que faisait, parfois ce qu'était le comte de Lille. Il avait, en somme, à s'en tenir aux actes, servi fidèlement l'Empire, laissant peut-être trop complaisamment aux partis extrêmes leurs illusions à son sujet, aux Malet de la République, aux Fauche-Borel de la Royauté ; mais il avait su paralyser les républicains en les ménageant, contenir les royalistes en les surveillant ; ses tentatives pour la paix générale, pour le divorce, avaient été inspirées par un intérêt réel, sinon par une sympathie très vive, pour le régime impérial. Il avait désapprouvé les fautes principales du règne, avait essayé de les prévenir, la guerre d'Espagne, le mariage autrichien, la nouvelle lutte avec l'Angleterre, la rupture maintenant imminente de l'alliance russe. Il n'avait pas trahi, en servant son nouveau maître, les intérêts de la Révolution, avait défendu ses principes, ses institutions, son personnel et même ses enfants perdus autant qu'il lui était possible, ne l'avait jamais reniée ni desservie. Enfin il avait, à s'en rapporter aux contemporains les moins favorables au personnage, su mettre dans la police difficile, délicate, immense de l'Empire, non seulement beaucoup d'ordre, mais beaucoup de mesure, frappant peu, étouffant au lieu de réprimer, admonestant, prévenant, avertissant bien souvent avant de sévir et inspirant à ses agents, avec la fermeté inhérente à leur profession, un certain respect d'eux-mêmes et de l'humanité. Sa meilleure justification devait, du reste, se trouver dans les quatre années qui allaient suivre : tous, amis et adversaires de l'Empire, allaient voir la différence qui pouvait exister entre un homme, sans convictions peut-être, mais fin, perspicace et de main légère, et un gendarme plus rusé qu'habile, et dont le bras trop lourd allait frapper sans contenir et peser sans réprimer. Peut-être Fouché se promettait-il beaucoup de cette expérience pour provoquer chez l'Empereur un revirement en sa faveur, et faire éclater, aux yeux de tous, la valeur d'un homme qui avait su bien mériter de l'Empire sans trahir la Révolution, étouffer dix conspirations sans verser inutilement le sang, empêcher la guerre civile sans compression, et servir en somme, en ministre politique, la France qu'on lui donnait à servir.

 

 

 



[1] Il avait, du reste, suivant l'expression de Las Cases, un furieux penchant pour les opérations clandestines.

[2] Pour s'en convaincre, on n'a qu'à parcourir dans les Bulletins de police de 1804 à 1810 les correspondances des agents de Londres ; il y est sans cesse parlé des ministres anglais.

[3] THIÉBAULT, Mém., I, 40.

[4] Liébault à Fouché, 27 septembre 1809, dossier Malet, F7, 6501.

[5] Mme DE CHÂTENAY, II, 47.

[6] FAUCHE-BOREL cite, on s'en souvient (cf. ch. XXI), un mot fort caractéristique de lord Horvick au sujet de Fouché dès 1804.

[7] Lettre de Fauche-Borel et note du duc d'Otrante. Bulletin du 23 mars 1810, AFIV, 1508.

[8] Sur toute cette curieuse affaire : dossier Kolli, F7, 6540 : on y trouve notamment un rapport du ministre à l'Empereur sur toute cette bizarre aventure.

[9] Napoléon à Fouché, 14 avril 1810, Lettres, II, 24.

[10] GAILLARD, Mémoires inédits.

[11] Kolli au duc d'Otrante, 26 mars 1810 ; Kolli à Wellesley, 26 mars 1810. F7, 6540.

[12] Le général Boyer au duc d'Otrante, 11 Janvier 1810 ; Bulletin du 12, F7, 3766.

[13] Rapport du 9 octobre 1809, transmis par une note ministérielle du 16 octobre. AFIV, 1507.

[14] Bulletin du 9 décembre 1809, F7, 3765.

[15] Bulletin du 4 avril 1810, F7, 3720.

[16] Notes ministérielles de mai 1810, AFIV, 1308 ; dossier relatif aux négociations de Morlaix, AFIV, 1674, et GAILLARD, Papiers inédits.

[17] Tout ce récit est fait d'après les lettres, pièces et interrogatoire contenus au dossier de Fagan. Secrétairerie d'État, AFIV, 1674.

[18] OUVRARD, Mém., I, 149.

[19] Napoléon au roi Louis, 20 mars 1810 (Corr., XX, 16552), et Correspondance du roi de Hollande avec l'Empereur, AFIV, 1674.

[20] OUVRARD, Mém., I, 140. — Interrogatoires d'Ouvrard et Papiers saisi, AFIV, 1674.

[21] OUVRARD, Mém., I, 150, et interrogatoires, AFIV, 1674.

[22] Interrogatoire de Vinet du 18 juillet 1810, AFIV, 1674.

[23] OUVRARD, I, 152.

[24] GAILLARD, Papiers inédits.

[25] Napoléon à Mollien, 19 mai 1810, Lettres, II, 612. L'Empereur chargeait en outre Savary de faire surveiller Ouvrard par sa police particulière.

[26] MOLLIEN, III, 173.

[27] OUVRARD, I, 151.

[28] Napoléon à Champagny, 9 juin 1810, XX, 1654.

[29] SAVARY, IV, 300.

[30] BEUGNOT dit (I, 345-347), comme Savary, que la liaison de Maret et de Sémonville a beaucoup contribué à la chute de Fouché.

[31] MOLLIEN, III, 173.

[32] Mémoires de Fouché, I, 418.

[33] OUVRARD, I, 151. GAILLARD, Mém. inédits. — Mém. d'un pair de France (écho de Cambacérès). THIERS, Hist. de l'Empire (d'après les Mémoires de Cambacérès).

[34] SAVARY, IV, 303-305. — OUVRARD, I, 151.

[35] THIERS, Hist. de l'Empire, d'après Cambacérès.

[36] SAVARY, IV, 310. — ERNOUF, Maret de Bassano.

[37] Napoléon à Fouché, 3 juin 1810. Corr., XX, 16530.

[38] Napoléon à Fouché, 3 juin 1810. Corr., XX, 16529.

[39] SAVARY, IV, 312. — GAILLARD, Mém. inédits et Réfutation (inédite) des Mém. de Fouché.

[40] SAVARY, IV, 312. GAILLARD, Mémoires inédits.

[41] OUVRARD (I, 152) dit avec justesse que cette disgrâce eut l'éclat d'un coup d'Etat.

[42] Interrogatoire de Vinet et rapport de Savary, AFIV, 1674.

[43] DELACOUR, le Général Sarrasin, Revue bleue, 6 juillet 1895. Enfin l'agent Jullian, fort souvent employé par Fouché, s'apprêtait à gagner la frontière de Suisse quand Savary le fit rassurer (JULLIAN, p. 296).

[44] Le prince de Schwarzenberg à sa cour, juin 1810 (Arch. de Vienne), lettre gracieusement communiquée par M. Wertheimer.

[45] Mme DE CHÂTENAY, II, 123, exprime la même opinion presque dans les mêmes termes que le diplomate autrichien.

[46] LAMOTHE-LANGON, l'Empire, t. III, 233. MÉNEVAL, I, 400. SAVARY, IV, 310-314. GAILLARD, Mémoires inédits ; etc.

[47] FAUCHE-BOREL, IV, 91, 93.

[48] Fiévée à Napoléon, juin 1810, III, 63.

[49] SAVARY, IV, 310-312.

[50] FIÉVÉE lui-même, si favorable cependant à cette petite révolution ministérielle, n'était pas sans inquiétude au sujet de l'apprentissage de Savary, et conseillait qu'il se confiât aux quatre conseillers d'Etat (juin 1810, III, 63) ; Mme DE CHÂTENAY, II, 123. JULLIAN, Mém. GAILLARD, Mém. inédits.

[51] Mme DE CHÂTENAY, II, 123. LAMOTHE-LANGON, III, 233.

[52] SAVARY, IV, 310-312.

[53] DE GIRARDIN, Journal, 4 juin 1810, IV. 387. — E. DAUDET, le Duc Decazes (d'après les papiers de Decazes), p. 15. — Fouché au duc de Bassano, 3 juin 1810 (AF1v, 1302). — GAILLARD, Mémoires inédits et Réfutation.

[54] GAILLARD, Mémoires inédits.

[55] DE GIRARDIN, Journal, 4 juin 1810, IV, 387.

[56] E. DAUDET, le Duc Decazes, p. 15.

[57] GAILLARD, Mém. inédits. On a vu que le prince de Schwarzenberg n'était pas homme à le lui dissuader.

[58] Lettres d'Héliodore déjà citées.

[59] GAILLARD, Mém. inédits ; SAVARY, IV, 314, Il n'en était rien, car le 25 juin Savary se plaignait à Maret de l'état de singulière malpropreté où le duc d'Otrante avait laissé les appartements privés. (Le duc de Rovigo au duc de Bassano, 25 juin, AFIV, I314.)

[60] GAILLARD, Mémoires inédits.

[61] Mme DE CHÂTENAY, II, 124-125.

[62] Le duc d'Otrante au duc de Bassano, 3 juin 1810, AFIV, 1302.

[63] On crut à la réalité de cette nomination en Italie, où elle eut un grand retentissement (Giornale del Campidoglin, 13 giugno, 17 giugno, 19 giugno 1810).

[64] LUIGI ANCELONI, Dell' Italia. Paris, 1818. Préface.

[65] Le duc d'Otrante au duc de Bassano, 3 juin 1810, AFIV, 1302.

[66] Le duc d'Otrante au duc de Bassano, première lettre du 3 juin. AFIV, 1302.

[67] Le duc d'Otrante au duc de Bassano, deuxième lettre du 3 juin. AFIV, 1302.

[68] Décret (manuscrit) nommant le duc d'Otrante ministre d'État, Saint-Cloud, 4 juin 1810. AFIV, 455, pl. 3432. Suivi de cette note : Il parait que ce décret n'a été expédié qu'au duc d'Otrante.

[69] Le duc d'Otrante au duc de Bassano, 4 juin 1810. AFIV, 1302.

[70] Napoléon au duc de Bassano, 5 juin 1810. Correspondance, XX, 16532.

[71] Le duc d'Otrante au duc de Bassano, 6 juin 1810. AFIV, 1302.

[72] SAVARY, IV, 314, GAILLARD, Mém. inédits. Mém. de Fouché, II, 17. Je m'amusais à lui conter des sornettes.

[73] Napoléon au duc de Bassano, Correspondance, XX, 16532.

[74] Interrogatoire du 4 juin et papiers d'Ouvrard. AFIV, 1674, et F7, 655.

[75] Napoléon au duc de Rovigo, 5 juin 1810. Lettres, II, 625.

[76] ARTAUD, D'Hauterive, 316.

[77] Napoléon au duc de Rovigo, 5 juin 1810. Lettres, II, 625.

[78] Mém. de Fouché, II, 18, SAVARY, II, 314. GAILLARD, Mém. inédits.

[79] Nous avons retrouvé dans les Papiers confiés à Gaillard 59 lettres autographes de l'Empereur, de l'époque des Cent-Jours, que Fouché avait pu en 1815 garder par devers lui. Il y a vraisemblance qu'il eut le même dessein en 1810. Or nous ne trouvons pas trace des lettres antérieures à cette époque. Elles ont donc été ou détruites réellement ou rendues postérieurement à l'Empereur, hypothèse que nous accueillons plus volontiers. (Cf. même chapitre.)

[80] Interrogatoire de Labouchère et papiers du même. AFIV, 1674, et F7, 6554.

[81] Ces recherches continuèrent après cette première découverte. Napoléon au duc de Rovigo, 17 juin. Lettres, II, 40, 628.

[82] Interrogatoire de Fagan et papiers du même. F7, 6554.

[83] Napoléon au duc d'Otrante, 17 juin. Correspondance, XX, 14507. Le même au même, 18 juin, XX, 14568.

[84] GAILLARD, Mémoires inédits.

[85] GAILLARD, Réfutation (manuscrite) des Mém. de Fouché. C'est peut-être la lettre dont nous trouvons l'analyse au catalogue de la vente Charavay, 10 mars 1847. Après dix ans de ministère, je ne pouvais m'attendre à ce que Votre Majesté pût croire qu'il existait un secret pour elle. Je croyais lui avoir ouvert mon âme tout entière... Je n'ai jamais eu de portefeuille secret... Le duc d'Otrante à l'Empereur, 18 juin 1810.

[86] Note du 16 juillet 1810. Archives Aff. étr., France, 1786, et F7, 6554. (Lettres d'Amérique.)

[87] Napoléon à Champagny, 29 juin 1810. Lettres, II, 639.

[88] Notamment la lettre d'Héliodore de juillet 1810, qui certainement n'était pas la seule de ce style.

[89] Napoléon au duc de Bassano, 27 juin 1810.

[90] Le duc de Bassano à Napoléon, 27 juin. AFIV, 1302.

[91] Le duc de Bassano au duc de Rovigo, 27 juin 1810. AFIV, 1302.

[92] Le duc de Rovigo au duc de Bassano, 28 juin 1810. AFIV, 1302,

[93] Duchesse D'ABRANTÈS, VIII, ch. XVII, p. 396. Cette mémorialiste, souvent suspecte, l'est moins ici ; elle était fort liée avec Dubois ; elle affirme tenir de lui le récit de ce curieux épisode que l'ex-préfet de police, ajoutait-elle, lui faisait encore dernièrement.

[94] Duchesse D'ABRANTÈS, déjà citée. GAILLARD, Mém. inédits.

[95] GAILLARD, Réfutation des Mémoires.

[96] Napoléon au duc de Rovigo, 29 juin 1810. Lettres, II, n° 638.

[97] MUSNIER-DESCLOSEAUX (Réal), Indiscrétions, I, 241, 243 ; DESMAREST, Témoignages ; OUVRARD, Mémoires, I, 152 ; Mém. de Fouché ; GAILLARD, Mémoires et Réfutation.

[98] Le duc d'Otrante à l'Empereur, 29 juin 1810. AFIV, 1302.

[99] Le duc d'Otrante au comte Réal, 30 juin 1810 ; CHARAVAY, vente du 13 juin 1890.

[100] Le duc d'Otrante au duc de Bassano, 30 juin. AFIV, 1302.

[101] GAILLARD, Réfutation des Mém. de Fouché.

[102] Napoléon au duc d'Otrante, 1er juillet 1810. Lettres, II, 47, 641.

[103] Napoléon au duc de Rovigo, 1er juillet 1810. Lettres, II, 47, 642.

[104] Lettres d'Héliodore, juillet 1810.

[105] Passeport pour M. le duc d'Otrante.... Note de Savary à Desmarest, 4 juillet 1810. F7, 6549.

[106] Le duc d'Otrante au duc de Bassano, 11 juillet 1810. AFIV, 1302.

[107] Note de Savary à Desmarest. F7, 6549.

[108] Le duc de Rovigo au directeur de la police à Turin, au directeur de la police à Florence, 3 juillet 1510. Le directeur de la police de Turin au duc de Rovigo, 7 juillet 1810. Le directeur de la police de Toscane au même, 3 juillet 1810. F7, 6549.

[109] Le préfet de l'Arno Fauchet au duc de Rovigo, 19 juillet 1810. Le préfet de la Méditerranée Capelle au même, 20 juillet 1810. Le directeur de la police de Toscane au même, 21 juillet. Le préfet de la Méditerranée au même, 23 juillet 1810. F7, 6249.

[110] Il avait vendu pour une somme importante des valeurs à Paris. Note de police. F7, 6549.

[111] Rapport général sur le séjour du duc d'Otrante à Livourne, août 1810. F7, 6549.

[112] Le préfet de la Méditerranée au duc de Rovigo, 29 juillet. Le même au même, 30 juillet. Le même au même, 31 juillet. Le préfet de l'Arno au même, 1er août. Le préfet de la Méditerranée au même, 1er août. Le commissaire général de police de Livourne au même, 2 août, 4 août. F7, 6549.

[113] Le préfet de la Méditerranée au duc de Rovigo, 3 août. Le préfet de l'Arno au même, 4 août. Le préfet de la Méditerranée au même, 4 août. F7, 6549.

[114] Fouché à Murat, 18 juillet 1810. (CHARAVAY, vente du 12 mars 1888.)

[115] Murat à Napoléon, 5 septembre 1810. AFIV, 1714a.

[116] Note de police du 22 août 1810. Lettres de Jay à sa femme interceptées. F7, 6549.

[117] Le duc d'Otrante à la princesse Élisa, 6 août 1810, gracieusement communiquée par M le chevalier Fisher von Roslerstam et extraite de sa collection d'autographes.

[118] Le directeur de Toscane au duc de Rovigo, 6 août, 10 août Le préfet de l'Arno au même, 13 août. F7, 6549.

[119] Le directeur général de Toscane au duc de Rovigo, jar septembre 1810. F7, 6549.

[120] Le duc d'Otrante à Élisa, 8 août 1810 ; gracieusement communiquée par M. le chevalier Fisher von Roslerstam.

[121] Mme DE CHÂTENAY, II, 125. GAILLARD, Mém. inédits.

[122] Le directeur de la police de Toscane au duc de Rovigo, 6 août. Le même au même, 10 août. Le préfet de l'Arno au même, 10 août. Le commissaire général de police de Lyon au même, 16 août 1810. F7, 6549.

[123] Le duc d'Otrante au duc de Rovigo, 16 août. F7, 6549.

[124] Napoléon au duc de Rovigo, 21 août 1810. Lettres, II, 63. Le 15 juillet, l'Empereur était encore très irrité contre Fouché au sujet d'irrégularités constatées dans les anciens budgets de la police. Napoléon au duc de Rovigo, 15juillet 1810. Corresp., XX, 16658.

[125] Le commissaire général de Lyon au duc de Rovigo, 13 août, 16 août, 28 août, 29 août, 31 août 1810. F7, 6549. Le duc d'Otrante au directeur de la police de Toscane, 26 août 1810. F7, 6549.

[126] Le duc d'Otrante à Thibaudeau, 4 septembre 1810. Correspondance gracieusement communiquée par M. Étienne Charavay.

[127] De d'Arbaud-Jouques à Thibaudeau, 5 septembre 1810. Ibidem.

[128] THIBAUDEAU, V, 136.

[129] Le commissaire général de Marseille au duc de Rovigo, 7, 10 septembre. F7, 6549.