FOUCHÉ (1759-1820)

DEUXIÈME PARTIE. — LE MINISTRE FOUCHÉ (1799-1810) (suite)

 

CHAPITRE XVIII. — 1809.

 

 

Situation troublée de l'Empire en avril 1809. — Napoléon ne laisse pas sans inquiétude Fouché derrière lui. — Défaite d'Essling. Troubles de l'Empire : factions diverses, esprit de sédition en France. Haine de l'Europe. Hostilité du Pape dépossédé. — Situation prépondérante de Fouché en ces circonstances. — Il joint au ministère de la Police celui de l'Intérieur. — Le ministère de l'Intérieur sous Fouché : grande activité. — Fouché en face des périls de l'Empire : il arrête la baisse du marché financier ; il impose silence aux factions ; il tient le clergé sous une très lourde oppression ; il met l'Ouest en état de siège. — L'Empereur, vainqueur à Wagram, n'a qu'à se féliciter de l'activité du ministre. — Le 15 août, Napoléon nomme Fouché duc d'Otrante. Apogée du ministre de la Police. — L'affaire de Walcheren. Descente des Anglais aux bouches de l'Escaut. On peut craindre une insurrection de la Belgique. Émoi du gouvernement. Lutte au sein du conseil. — Fouché pousse. Decrès contre Cambacérès et Clarke. Malgré l'avis de ses collègues, Fouché prend sur lui de lever les gardes nationales. — Bernadotte et Fouché. Situation du maréchal vis-à-vis de Napoléon : il est en pleine disgrâce. — Les ministres irrités en appellent à l'Empereur. Celui-ci donne pleinement raison à Fouché qui donne au mouvement une grande extension : agitation extrême, rigueur du ministre envers les récalcitrants. — C'est surtout à Paris que la mesure provoque l'émotion ; sévère réponse de Fouché aux maires ; le ministre compose à sa guise l'état-major de la garde parisienne. Inquiétudes de certains amis du régime et exaspération du maréchal Clarke. Plaintes adressées de Paris à l'Empereur ; récriminations de Clarke. L'attitude proconsulaire au maréchal Bernadotte à Anvers augmente les craintes. Relations étroites entre Fouché et le prince de Pontecorvo ; le groupe réuni à Anvers est en somme hostile à l'Empire. — Plans hypothétiques du nouveau duc d'Otrante. L'Empereur commence à s'inquiéter. Il se plaint de la levée générale des gardes nationales, la restreint, reforme l'état-major de la garde parisienne, affirme des craintes sur le sens da mouvement et, après avoir fait surveiller Bernadotte, le remplace par Bessières. — Dissolution de la garde parisienne. — On annonce la disgrâce certaine du ministre. — Le ministère de l'Intérieur lui est retiré ; il affecte d'en être peu ému ; l'Empereur, du reste, le rassure. — Rentrée de Napoléon à Fontainebleau. — Scène violente à Fouché. Étrange entretien du duc d'Otrante et du colonel de Ségur dans la forêt de Fontainebleau. On annonce partout le renvoi de Fouché (octobre 1809).

 

Cette année 1809, qui vit en quelque sorte le complet épanouissement de la politique de Fouché, devenu bientôt duc d'Otrante, fut une des années critiques du règne de Napoléon. L'Empereur eut alors à traverser une crise où, après Essling surtout, faillit sombrer sa fortune, et qui montra aux amis et aux ennemis l'incroyable fragilité de cet homme, de cette dynastie, de ce gouvernement, au sein du plus formidable pouvoir.

Essling cependant ne fit que précipiter la crise et la compliquer. En partant en campagne, le 13 avril 1809, l'Empereur ne pouvait se dissimuler le malaise général de la France, l'exaspération de l'Espagne soulevée, le sourd mécontentement de l'Europe, les résolutions de résistance à outrance de l'Autriche, et par-dessus tout cela la haine active et bientôt tout à fait entreprenante de l'Angleterre. Dans ces circonstances, le moindre échec devait déterminer une crise qui pouvait être d'ordre intérieur autant qu'extérieur, et le ministre (le la Police, du fait de ses fonctions comme de sa situation personnelle, devait jouer, quoi qu'il arrivât, un rôle important dans ces événements.

Napoléon n'avait pas dû voir sans défiance Fouché, d'ordinaire pacifique et lié avec le ministre autrichien, pousser instamment à la guerre. Il ne parvenait pas à s'en défaire : il voulait du moins le surveiller et, avant de partir, avait exigé une correspondance quotidienne, l'envoi de bulletins détaillés, qu'il contrôlait par ceux de ses correspondants et policiers personnels, tous fort hostiles au ministre.

A peine en campagne, il le stimulait, l'engageait à la fermeté, ce qui était une façon détournée de le maintenir dans le loyalisme, et, le sachant l'homme du succès, l'entretenait, sur le ton le plus optimiste, de sa belle campagne d'Allemagne[1]. Or, l'optimisme n'était pas de mise, même devant ces succès. Arrivé le 16 avril à Stuttgard, l'Empereur avait aussitôt pris la tête de ses armées ; les victoires d'Abensberg le 20, d'Eckmühl le 22, la prise de Ratisbonne le 23, et celle de Vienne enfin le 12 mai, avaient permis toutes les espérances à ceux qui s'en tenaient aux bulletins officiels de victoire. Mais ces événements étaient, pour qui sapait aller au fond des choses, gros d'avertissements sinistres. Les combats avaient été acharnés, sanglants et meurtriers ; ils avaient eu, en France, de douloureux échos, et réveillé en Europe, malgré le succès final en Allemagne, l'espoir que les Romains pouvaient avoir après les victoires de Pyrrhus. Un autre incident très grave assombrissait les amis de l'Empereur : à Ratisbonne, Napoléon avait été atteint d'une balle morte et n'avait pu dissimuler la blessure reçue. Quelques années avant, le comte de Lille, échappé par miracle a un attentat, avait tranquillement répondu à ceux qui s'exclamaient sur les suites qu'eût pu avoir l'assassinat : Eh bien, mon ami, le roi de France se fût appelé Charles X, et ici le prétendant était plus puissant que [Empereur, de la force des dynasties bien assises et riches d'héritiers. Après Ratisbonne, Napoléon eût-il pu dire si, la blessure avant été mortelle, l'Empereur se fût appelé Joseph, Louis, Jérôme ou Joachim ? Eût-il pu jurer qu'il y aurait eu un empereur après lui ? Le sort de la France tenait ainsi à quelque fusil plus ou moins bien braqué. Fouché n'avait pas attendu l'incident pour examiner cette hypothèse, nous le savons ; mais la balle de Ratisbonne confirmait ses appréhensions. Elles prirent soudain une grande gravité, quand il apprit un des premiers à Paris que l'Empereur, ayant voulu passer sur la rive gauche du Danube, avait été repoussé le 22 mai à Essling- avec des pertes considérables, et avait dû s'enfermer dans l'ile de Lobau, où il allait préparer sa revanche dans une position fort critique, défaite réelle, que d'audacieux bulletins transformaient en victoires. Fouché ne croyait pas aux bulletins ; il apprenait, d'autre part, la mort de son ami le maréchal Lannes, tombé à Essling, les jambes emportées par un obus qui, après tout, eût pu enlever l'Empereur comme son lieutenant, terrible et nouvel avertissement. Ce fut une commotion générale.

Où qu'il regardât, le ministre, qui, en communication avec l'Europe entière, pouvait envisager toutes les faces d'une situation, ne voyait que troubles ou sujets d'inquiétude. A Paris, l'opposition grandissait, le marché financier se maintenait très bas, les agents de change se décourageaient et s'irritaient ; le faubourg Saint-Germain raillait l'échec de l'Empereur ; le ralliement eut un moment d'arrêt devant cette infortune. Le pire est que l'armée, grande force de ce gouvernement militaire, semblait, elle aussi, animée d'un souffle d'indiscipline et de révolte. En Portugal, le maréchal Soult avait voulu, sans l'aveu de l'Empereur, se faire proclamer roi à Oporto, et, à côté de cette conspiration formée en haut, une autre s'était machinée plus bas, un capitaine, d'Argenton, avant comploté de livrer l'armée désunie par les prétentions du maréchal au général anglais Wellington, en face duquel elle se trouvait. En Espagne, où (les défaites humiliantes alternaient avec des succès chèrement achetés, le maréchal Jourdan, de tout temps hostile à Bonaparte, maltraité par lui, se répandait en propos, en menaces, que le roi Joseph lui-même, aigri par les critiques amères de l'Empereur, n'était pas loin d'approuver. Enfin, au sein même de la grande armée, en Allemagne, Fouché, instruit de tout, ne pouvait ignorer que Malet avait des émules, qu'une association secrète, républicaine et militaire, celle des Philadelphes, travaillait contre le despote ; son chef, le colonel Oudet, n'était pas encore tombé dans le guet-apens que lui tendit probablement Savary à Wagram.

Si le trouble était grand, si la sédition grondait en France et à l'armée, que dire de l'Europe ? L'Espagne soulevée fait école, ayant donné le signal de la résistance des peuples à la tyrannie napoléonienne ; le Tyrol, insurgé par Andréas Hoffner, offre les mêmes dangers que la Péninsule, guerre de bandits et de moines. Le Piémont et le royaume de Naples sont agités par les agents autrichiens, ainsi que la Belgique et les bords du Rhin, tandis que l'Allemagne, parcourue par les bandes insurgées de Schill et de Brunswick, frémit de haine. Jérôme apeuré fait entendre à Paris des cris de détresse que Fouché entend mieux que personne. La solennelle excommunication dont le chef de l'Empire vient d'être frappé par Pie VII dépossédé, sert de prétextes à de nouveaux troubles. En France, bien que la noblesse semble, en général, indifférente aux protestations du Pape, elles servent de prétexte à l'agitation politico-religieuse, à la tête de laquelle se met le bouillant Alexis de Noailles, à la résistance, toute nouvelle, d'évêques, jusque-là très soumis, et aux déclamations des prédicateurs. Mais ce sont surtout les populations soulevées du Tyrol, de Naples et de l'Espagne, qui s'emparent de l'oppression du Saint-Père, comme d'un nouveau prétexte au fanatisme ; elle émeut aussi la catholique Belgique, la religieuse Vendée[2] ; tandis que les Autrichiens exploitent, sur les bords de la Meuse, cette agitation contre l'Antéchrist, les Anglais semblent disposés à tenter, enfin, la fameuse descente en Vendée, puisqu'en avril 1807 leur escadre a voulu forcer le port de Rochefort ; Fouché sait qu'on prépare dans les ports anglais une nouvelle expédition dont le but reste mystérieux[3]. Il ne faudrait qu'un revers pour changer entièrement l'état actuel des choses, disait Barras en avril 1809[4]. Fouché, qui recueille ce propos, n'est pas loin de lui donner raison.

Le revers, c'est Essling ; là où le mécontentement n'éclate pas, l'inquiétude est extrême. En apprenant que l'Empereur a été battu, on va jusqu'à dire fait prisonnier, les habitants du Limbourg ont fait éclater une joie indécente[5], et au fond c'est le sentiment de plusieurs provinces ; les chouans, qu'on croyait soumis, reprennent sournoisement les armes en Vendée ; Bordeaux royaliste s'agite ; les marquis de Versailles, foudres de guerre du faubourg, parlent haut[6]. De Paris à Rome, de Brest à Bruxelles, l'Empire tressaille au milieu d'une Europe attentive et hostile. Il faut se rendre compte de cette situation, pour comprendre le rôle que prend soudain le ministre de la Police générale de l'Empire.

Au centre de cet Empire troublé, à cent lieues de ce souverain captif du Danube, il a toute liberté morale et matérielle d'action. Que peut-il penser ? Que va-t-il faire ?

L'Empereur est atteint, mais peut se relever. L'étoile a pâli ; si elle allait s'éteindre ! Défaite, captivité, blessure grave, obus autrichien ou poignard allemand, tout est à craindre ; ce n'est plus là hypothèse de ministre très prévoyant, c'est supposition permise à tous, discutée partout.

A-t-il désiré la catastrophe ? Nous ne croyons pas. L'a-t-il voulu hâter alors ? Pas plus.

La légende veut qu'après Essling il ait récriminé contre la faiblesse des mécontents de l'armée, vraies poules mouillées : On vous le fourre clans un sac, on le noie dans le Danube, et puis tout s'arrange facilement et partout. Rien ne vient accréditer ce racontar. Fouché attendait beaucoup des événements, mais il était de l'école des hommes politiques qui professent qu'on ne crée pas les mouvements, mais qu'on les dérive. Ses relations avec Talleyrand, Murat, les aristocrates du noble faubourg, les sénateurs républicains ou royalistes, les vieux jacobins et quelques agents de Londres, avec ceux de Metternich, bientôt de Wellesley et de Ferdinand VII, lui permettaient d'espérer tout d'une déconfiture. Mais s'il y eut des projets formés, aucun ne perça.

La politique de loyalisme pouvait encore être bonne. Napoléon venait de témoigner au ministre un renouveau de confiance, en lui remettant, par intérim, le portefeuille de l'Intérieur. Premier ministre, il l'est à coup sûr, maintenant. Ministre de la Police, son titre lui met entre les mains la mystérieuse et nombreuse cohorte des agents secrets, les forces de la police et de la gendarmerie, le fait maitre de l'opinion par la presse et le théâtre, maitre du clergé, plus que le ministre des Cultes, lui permet des rapports plus suivis avec l'étranger que ceux du ministre des Relations extérieures, lui donne sur la Bourse une influence que n'a pas le ministre du Trésor ; entre ses mains, la gendarmerie est une armée qui échappe au contrôle du ministre de la Guerre, et la surveillance des ports et des côtes lui permet d'entretenir une petite flottille à lui qui excite même la jalousie du ministre de la Marine. A ces attributions formidables, il en joint soudain d'autres, celles du ministre de l'Intérieur.

Cretet, tombé malade, venait d'abandonner, provisoirement, du moins, le portefeuille. Le 29 juin, l'Empereur confia l'intérim de l'Intérieur au ministre de la Police, lui prouvant de fait qu'il était loin de la disgrâce, et l'intéressant ainsi d'une manière plus étroite à l'avenir et à la fortune de l'Empire[7]. Jeu hasardeux, car voilà du coup Fouché maître des préfets et dont il devient, cette fois, le chef exclusif à un double titre, maître des travaux publics, du commerce, de l'industrie, des œuvres hospitalières, toutes administrations mises sous la surveillance du ministère de l'Intérieur. Voilà à sa disposition l'octroi des licences, grosse source d'influence, grand moyen de gagner l'un et de tenir l'autre ; voilà enfin la garde nationale entre ses mains, force embryonnaire, mais qui, à un signal parti du ministère, peut prendre un développement inattendu et, nous le verrons bientôt, constituer une immense armée à l'intérieur, une armée civique à laquelle Malet voulait faire appel, à laquelle Fouché a toujours songé.

Avec ces deux portefeuilles, Fouché est le vrai premier ministre. Cambacérès peut bien se proclamer le second personnage de l'Empire. Sou rival en sourit. Second personnage de l'Empire ! Que le Danube déborde un peu trop, emportant les ponts ; que l'archiduc Charles ose, et Fouché sera du jour au lendemain le vrai chef du pouvoir exécutif.

Du reste, comme il était homme à s'occuper activement de ce dont on le chargeait, il n'accepta pas ce nouveau portefeuille comme une sinécure. Jugeant utile la fusion des deux ministères, il voulut justifier son opinion et obtenir peut-être la transformation du provisoire en définitif. Jamais ministre de l'Intérieur, sous l'Empire, ne déploya une plus grande activité. Ce ministère hybride, qu'on lui confiait provisoirement, lui inspira un assez vif intérêt ; il essaya, en quelques semaines, d'y résoudre les problèmes administratifs qui s'y posaient. Non seulement il conçut une nouvelle organisation du ministère lui-même, sa division en deux administrations, celle des arts et des sciences, celle du commerce et de l'industrie[8] ; mais, se tenant à ce qu'était le ministère, on le vit y déployer une activité fébrile : comptabilité communale et départementale mieux surveillée[9] ; réformes à l'École des arts et métiers[10] ; surveillance plus approfondie des travaux publics entrepris, an sujet desquels il se fait adresser nombre de notes et éclaircissements[11] ; travail sur le commerce extérieur[12], sur l'exportation et l'importation des céréales ; relations actives avec les chambres de commerce[13] ; règlement des licences[14] ; organisation de la garde nationale, etc., pas un article qui ne soit l'objet d'une étude sérieuse et dans laquelle on ne voie se révéler avec surprise une spéciale compétence. Fouché se fera économiste avec les chambres de commerce jusqu'à agacer l'Empereur, dissertant des blés, s'en faisant instruire par des gens compétents ; nous le verrons aussi prendre au sérieux son titre de chef de la garde nationale, la passer en revue, l'habiller et l'équiper. Là, comme ailleurs, il fait preuve d'un assez rare talent d'assimilation. Il ne se résigne jamais à être un titulaire sans emploi et veut être partout l'homme qu'il faut dans la place qu'il faut. La grosse question était celle des licences, tempérament au blocus, moyen accordé aux commerçants et industriels de continuer avec l'Angleterre les relations forcées ; la question fit l'objet le 17 août d'un long rapport à l'Empereur, où le nouveau ministre entrait dans des explications d'ordre technique dont on nous fera grâce ; il se prononçait pour une très grande extension des licences, en réclamant au moins deux cents et s'en réservant la distribution ; il affirmait qu'il n'y avait que ce moyen de sauver la marine marchande, végétant misérablement plus encore que le commerce lui-même, sans activité et sans débouchés. Les licences excitent des spéculations toujours salutaires ; elles rendent l'activité aux chantiers maritimes, en faisant réparer et mettre en mer des navires qui pourriraient dans nos ports ; elles feront rentrer en France des bâtiments que la mesure du séquestre tenait éloignés dans les ports du Nord[15]. Du reste, comme toujours, le ministre entendait bien faire tourner la mesure à son avantage ; la distribution des licences par simple décision ministérielle, contre laquelle l'Empereur protesta plus tard, devait gagner à Fouché plus d'un industriel[16] ; il profitait de ces licences, pour entrer en relation avec l'Angleterre et organiser, d'autre part, de nouveaux moyens de haute police dans la Méditerranée[17]. C'est par cet ensemble de vues que le personnage sortait de la classe des simples politiciens ou des bons administrateurs, pour entrer sans conteste dans celle des véritables hommes d'État.

Aussi bien l'administration technique ou politique du ministère de l'Intérieur ne l'absorbe pas. Au quai Voltaire, son activité est grande ; elle emporte même son caractère, qui, en face de trop de combinaisons, d'affaires et d'oppositions, s'échauffe jusqu'à l'explosion d'août 1809. C'est chez lui une mégalomanie extrême, qui se traduit par une hauteur de ton et d'allures qu'on ne lui a guère connue depuis 1793. Les fonctionnaires de ses deux départements ministériels sont rappelés à l'ordre, les préfets et les maires à la fermeté, les évêques à la soumission, les agents de la marine et des douanes à la docilité vis-à-vis de la police, comme si celle-ci, dominant les autres ministères, s'attribuait une incontestable et universelle suzeraineté[18].

Cette souveraineté s'étend à tout, mais il faut avouer qu'elle s'exerce pour le rétablissement de l'ordre et le bien de l'Empire.

Le premier danger à conjurer après Essling, c'est l'effrayante baisse des effets sur le marché. C'est Fouché, usurpation flagrante aux dépens de l'inactif ministre du Trésor, qui prend en main l'entreprise, fort de son influence personnelle sur les boursiers. C'est lui qui, pendant tout le mois de juin et de juillet, travaille à rétablir le crédit ; on le voit convoquer les agents de change au ministère, leur représenter que leur intérêt personnel est d'empêcher la baisse, et donner l'ordre d'acheter en son nom 20.000 livres de rentes. Cet ordre est devenu public en un instant et a produit son effet, écrivait le ministre[19]. Ce qu'il ne dit pas, c'est qu'il ne s'est décidé à cette intervention personnelle que lorsque la nouvelle de la victoire de Wagram, connue de lui seul, lui a permis de faire coup double, et de mener de front une belle action ministérielle et une fort heureuse spéculation.

On avait attribué la baisse des fonds aux propos des salons. Fouché sembla vouloir les étouffer. Si le faubourg Saint-Germain est encore ménagé[20], il n'en n'est pas de même des cercles aristocratiques de province, qui sont frappés, fermés et dissous[21]. On voit même sa vigueur s'étendre aux républicains, chose plus rare ; le 24 juin, il fait arrêter le nommé Bazin, qui a formé des liaisons avec les restes des jacobins, et surveiller ces incorrigibles[22].

Même attitude très sévère vis-à-vis du clergé ; celui-ci, pris, nous avons dit pourquoi, d'une recrudescence d'opposition, est sévèrement rappelé à l'ordre. Certes, Fouché témoigne toujours une certaine aversion pour les mesures violentes, s'efforce d'exécuter avec une relative courtoisie les ordres de l'Empereur, d'une brutalité parfois inouïe ; il semble même assez disposé à tolérer les protestations en faveur de Pie VII ; mais en revanche il semble infiniment moins prêt à se relâcher de sa vigueur au sujet des attentats contre la liberté de conscience et l'égalité des cultes.

L'évêque de Mayence ordonne-t-il aux curés d'interdire l'approche des sacrements aux pères et mères qui négligeront d'envoyer au service divin leurs enfants, leurs ouvriers et leurs domestiques, le ministre dénonce le fait comme un retour aux excès de pouvoir du moyen âge[23]. En juillet 1809, ce sont MM. de Cambacérès, y archevêque de Rouen, et de Broglie, évêque de Gand, que le ministre de la Police signale à son collègue des Cultes, comme encourageant l'intolérance[24]. Les commissaires généraux de police dénoncent sans cesse les prêtres fanatiques que le ministre fait mettre en surveillance spéciale, interner dans les séminaires, blâmant les préfets trop doux qui caressent les adversaires[25]. Mais ce qu'il poursuit surtout, prévenant, imposant ou suivant les ordres du maitre, du reste, ce sont les Missions[26].

En juin 1809, malgré l'avis favorable du préfet de Toulouse, il y interdit formellement une mission en cours de prédication, faisant arrêter les missionnaires et prohibant toute espèce de prédication extraordinaire dans une région voisine de Montauban, cité protestante[27]. En octobre, il refusera de même à l'évêque de Limoges la permission de laisser prêcher une mission à Aubusson, et généralise la mesure[28]. Le parti clérical proteste, s'insurge, d'autant que les Pères de la Foi sont de nouveau frappés, pourchassés[29]. Le cardinal Fesch, chef avoué maintenant du clergé opposant, s'indigne contre le ministre, le combat près de l'Empereur, au sujet des interdictions de missions, et autres mesures d'un caractère anticlérical, affectant de voir en Fouché le conseiller trop écouté de l'Empereur. On se dit que le ministre de la Police a su profiter des circonstances pour gagner son procès, écrira l'oncle de l'Empereur le 30 septembre[30]. Fouché répond hardiment à cette haute intervention, par une lettre circulaire à tous les commissaires généraux et préfets, du 1er octobre 1809, interdisant toute mission, frappant tout missionnaire[31].

Fouché ne s'en tient pas là : l'agitation politico-religieuse qu'Alexis de Noailles a voulu créer est étouffée ; Lyon, cité cléricale, Bordeaux, cité royaliste, où se sont formées des associations de jeunes gens bien pensants, pour qui de pieux exercices paraissent servir de prétexte à des conciliabules politiques, sont spécialement surveillées : ces congrégations naissantes, qui ont des ramifications, une correspondance avec le groupe que réunit à Saint-Sulpice l'abbé Frayssinous, sont dissoutes, et enfin leur chef Alexis de Noailles arrêté et jeté en prison[32].

L'infatigable ministre a d'autres préoccupations. L'Ouest, qu'il a cru soumis, semble de nouveau remué, grâce à l'agitation générale ; l'Anjou, cette fois, ramasse les armes que la Bretagne, terrifiée par t'exécution de Prigent et celle de Château Briand, et la Normandie, intimidée par l'échec des complots d'Aché, avaient laissées tomber. Le bruit court que l'un des derniers survivants de tant d'hécatombes, le chouan Bertrand Saint-Hubert, prépare une insurrection en Vendée, et l'Angleterre semble y compter. Réal s'inquiétait, pressentait une nouvelle agitation ; il eût voulu qu'on organisât une sorte de proconsulat provisoire en Anjou et Vendée, qu'on nommât un commissaire aux pouvoirs discrétionnaires pour en finir. La conception plaisait à Fouché. L'agitation se propageait, on se remettait à enlever des fonctionnaires, à piller des diligences, à délivrer les prisonniers et à rançonner les acquéreurs nationaux. Le ministre résolut d'agir vigoureusement. En attendant l'organisation du proconsulat rêvé par Réal, il fit confier au colonel Henry, commandant la gendarmerie, la disposition des détachements d'infanterie dans les départements agités. Fouché le faisait renforcer de troupes passant ainsi sous l'autorité de la police, au grand dépit du ministre de la Guerre. Henry se mit en chasse en avril ; le 4 juin, il rendait compte au ministre de la Police de nombreuses arrestations de brigands et d'interrogatoires, qui avaient procuré, comme résultats, des renseignements fort utiles. Fouché le 9 juin l'encourageait, assurant qu'on entravait ainsi, qu'on empêchait des troubles plus graves[33]. C'est pour la même raison qu'il lançait, à travers la Bretagne, ses agents à la recherche de Bertrand Saint-Hubert, et que, craignant autant la propagation des troubles au sud qu'au nord de l'Anjou, il faisait faire, le 2 juin, une enquête sur les royalistes de Bordeaux. Il fallait, dans tout l'Ouest, arrêter les gens jadis relâchés ou acquittés par les tribunaux, faire surveiller les Larochejacquelein et les Lescure, ainsi que les autres chefs possibles de la future insurrection ; les investigations ordonnées par le ministre allaient jusqu'à Bayonne, point de communications avec l'Espagne soulevée et le Portugal occupé par les Anglais. Ce fut une rafle générale, de Saint-Malo à Bordeaux, de ceux qui, à un titre quelconque, s'étaient trouvés compromis, depuis quinze ans, dans les soulèvements, troubles et conspirations de l'Ouest. Dans les instructions données au colonel Henry, exécuteur galonné aux ordres de Fouché, éclate le génie policier du ministre ; tout est prévu, combiné, rien n'échappe à son coup Henry exécute avec rudesse[34] ; en juillet et en août, la terreur règne en Anjou ; la commission militaire de Beaupréau condamne, fait fusiller ; mais cette fois l'Ouest est bien soumis[35] ; les Anglais, toujours menaçants, peuvent débarquer, ils ne trouveront plus à leur disposition les éléments de cette insurrection que le maréchal Moncey déclarait avoir été sérieuse[36]. Ce système de répression a paru si bon que, quand l'Est, à son tour, voudra se soulever, c'est le même colonel Henry qu'on promènera de la Sarre à l'Ourthe sous la direction du policier Réal.

En somme, en juillet t809, l'activité du ministre s'était déjà déployée avec tant de bonheur, qu'il était apparu comme le meilleur défenseur du gouvernement qu'on l'accusait de desservir en dessous. Une fois de plus, les circonstances donnaient raison au ministre contre ses accusateurs, et il devait s'en féliciter. L'Empereur, en effet, vainqueur à Wagram, le 6 juillet, avait conclu, le 11, un armistice, prodrome d'une paix définitive, qui allait, pensait-on, le ramener avant un mois dans sa capitale, triomphant et tout-puissant. En réalité, ces négociations allaient le retenir, jusqu'en octobre 1809, en Autriche.

En attendant son retour, l'Empereur semblait considérer avec une réelle reconnaissance la rare fermeté avec laquelle Fouché avait su tenir ses deux portefeuilles ; il ne dissimula pas son contentement. Mais le plus haut satisfecit auquel jamais Fouché pût prétendre allait mettre le comble à son crédit et à son bonheur. Le 15 août 1809, par un décret daté de Scho2nbrunn, Joseph Fouché, ministre de la Police générale, qui avait été fait comte par lettres patentes du 24 avril 1808 et avait, par décret du 10 mars 1808, reçu 20.000 livres de rentes, et la même somme par celui du 20 août, était fait duc d'Otrante, autorisé de charger, du chef des ducs de l'Empire, son écu d'azur à colonne d'oraccolée d'un serpent du même, l'écu semé de 5 mouchetures d'hermine d'argent, 2, 2, 1, et doté par suite de 60.000 nouvelles livres de rente, sur les biens de l'ancien royaume des Deux-Siciles[37]. Quelques jours après, le roi Murat le félicitait avec chaleur, et il était bientôt suivi par la cohorte empressée des courtisans du succès. Sénateur, deux fois ministre, duc d'Otrante, Fouché put se croire au pinacle, si haut que le citoyen Fouché de Nantes pouvait lui paraître de ces très anciens amis compromettants qu'on aime mieux ne plus rencontrer : Nantes, Nevers, Lyon, les sombres jours de l'an III, le grenier de la rue Saint-Honoré se perdaient dans le lointain. Mais la roche Tarpéienne était toute proche.

***

De graves événements, qui constituent un des curieux épisodes de la vie de Fouché, allaient en effet, au lendemain de cette promotion, éclatante reconnaissance des services du ministre, lui préparer une disgrâce plus éclatante encore. La vie de ce singulier personnage est pleine de ces hauts et de ces bas de la destinée.

On a vu qu'en avril 1809 les Anglais avaient tenté sinon une descente, du moins une démonstration navale en vue des côtes de Vendée. Elle ne pouvait rester isolée ; on préparait dans les ports d'Angleterre une expédition que les rapports faisaient luger comme devant être formidable. Le but était inconnu : Belgique ou Hollande sans doute. Fouché avait songé à l'île de Walcheren, l'Empereur aussi ; pendant que le maître en entretenait le général Clarke[38], le ministre de la Police prescrivait au commissaire général d'Anvers d'empêcher tout mauvais esprit dans cette région[39].

Le 8 juillet, Fouché fut avisé par le commissaire général, sentinelle avancée du côté de l'Angleterre, de l'imminence et de l'importance de l'expédition[40].

Fouché était prévenu, se tenait prêt à toutes les surprises. Dans les derniers jours de juillet, on apprit à Paris que la flotte anglaise avait mis à la voile le 25 ; le 29, elle était en vue des côtes de Zélande, prête à remonter l'Escaut, menaçant Anvers, et plus directement les îles de Walcheren et de Cadzand, la ville de Flessingue et la flotte française enfermée dans l'Escaut. Decrès avait soutenu qu'il n'y avait là qu'une démonstration analogue à celle de Rochefort ; Clarke, de son côté, n'osait prendre sur lui, en bon ministre de Napoléon, trembleur et sans initiative, de diriger vers le point gravement menacé les bataillons qu'il envoyait encore en Allemagne. Les deux ministres de la défense nationale restaient donc inactifs. Le général Monnet, gouverneur de Flessingue, à la tête seulement de 3.000 hommes, de recrutement hétéroclite, ne put s'opposer au débarquement. Walcheren fut envahi, Anvers menacé. Heureusement, la résistance intelligente et vigoureuse du général Rousseau dans Cadzand préserva provisoirement le grand port d'un complet investissement, et permit à l'amiral Misiessy de couvrir provisoirement Anvers avec sa petite flotte. Mais la situation était fort critique.

La nouvelle de l'occupation de Walcheren arriva à Paris le 29 au soir. Le ministre de la Police y était préparé, mais il en fut ou en parut fort ému. L'expédition, constituant un danger, une menace directe pour la Hollande, la Belgique, le nord de la France, devait préoccuper le gouvernement tout entier ; niais le ministre de la Police savait, en outre, mieux que personne, dans quel état (le surexcitation fiévreuse et séditieuse la politique anti-romaine de l'Empereur avait jeté la Belgique, avec quelle joie y avait été reçue la nouvelle d'Essling ; il avait sous les yeux ce rapport du préfet de l'Ourthe du G juillet, où ce fonctionnaire écrivait que, dans toute la Belgique, grâce aux affaires romaines, l'insurrection serait prompte en cas de revers[41] ; il possédait d'autres témoignages reçus le 12 juillet, confirmant ces prédictions pessimistes[42]. Dans ces conditions, l'apparition des Anglais pouvait déchaîner l'insurrection parmi ces anciens sujets de l'Autriche, circonstance fâcheuse au moment où les négociations étaient à peine entamées à Schœnbrunn. C'était une grave préoccupation : elle suffirait à expliquer la singulière et audacieuse activité dont le ministre de la Police allait donner le spectacle à la France effarée. Y avait-il des desseins plus personnels et moins avouables sous ce déploiement de zèle patriotique ? Voulut-il, une fois de plus, profiter des circonstances pour mener son double jeu, afficher le dévouement le plus ardent aux intérêts de l'Empire, déployer l'activité la plus bruyante, aux dépens de ses collègues, et s'assurer ainsi, avec un surcroît d'importance et (l'influence aux yeux du pays et de l'Europe, la confiance, l'estime et la reconnaissance du maître ? Mais pensait-il tout préparer aussi pour que les moyens mis en œuvre au service de l'Empereur pussent au besoin tourner contre lui, employés pour le présent ou l'avenir à réveiller en France l'esprit d'initiative, d'indépendance et de liberté, démontrer que le pays pouvait se passer de maître, et non le maitre du pays, et, grâce à ces événements, se préparer à lui, Fouché, une force nouvelle, avec une popularité précieuse, en vue de la crise toujours redoutée... ou souhaitée ?

Il est possible que l'un et l'autre but fussent présents à la pensée de Fouché, quand il parut le 31 juillet, très animé, au conseil des ministres, véritable conseil de régence en l'absence de l'Empereur. Son plan, dans tous les cas, était net. Puisque ni la Guerre ni la Marine n'avaient su trouver une armée, il fallait, à son sens, provoquer une levée de la garde nationale dans toute la région menacée : cette garde nationale, dont il avait la disposition comme ministre de l'Intérieur, remplaçant dans les garnisons les troupes régulières et la gendarmerie, permettrait d'utiliser contre les Anglais ce qu'on avait sous la main de soldats du métier ; au besoin même, cette armée civique pourrait, une fois exercée, être employée à grossir les troupes qu'on opposait à l'ennemi. Mais ce n'était là qu'un commencement ; à cette attaque violente, tentée par l'Anglais à quelques lieues de la capitale de l'Empire, il fallait opposer non pas seulement des forces matérielles, capables de la préserver, mais une force morale qui fût la réponse éclatante à cette humiliante manifestation. Il fallait étendre le mouvement, le rendre national, provoquer un soulèvement de l'opinion, lever partout, du nord au sud, les gardes nationales, et, en groupant tous les citoyens pour la défense du territoire, raffermir ainsi l'esprit des provinces chancelantes et en occuper les hommes valides. Constituer ainsi une véritable armée de l'intérieur — elle serait vite montée à un million de soldats —, qui fût entre les mains du ministre de la Police générale et de l'Intérieur ; mettre à la tête de cette immense force civique quelque cher ami, d'un prestige incontesté et d'une indépendance assurée ; faire ainsi d'une mesure de défense nationale une manœuvre d'intérêt personnel et peut-être d'habile tactique politique, humilier par surcroît le pouvoir militaire et diminuer l'Empereur lui-même aux yeux de la nation ; subsidiairement, faire échec à l'archichancelier, qui le détestait, au ministre de la Guerre, qui lui était hostile ; prendre, à tout jamais, une place prépondérante dans le conseil, telles étaient certainement les pensées inavouées qui s'ajoutaient chez Fouché à celles du patriote, du ministre éclairé, et qui, peut-être, les primaient quelque peu.

Le ministre de la Police, qui jusque-là s'était trouvé assez isolé au conseil, allait rencontrer un allié dans un ennemi de la veille, l'amiral Decrès. Le ministre de la Marine était d'autant plus ému du débarquement des Anglais, qu'il ne l'avait pas su prévoir. Il se montrait donc fort partisan d'une levée de la garde nationale, dont l'organisation serait confiée au ministre de la Police et le commandement à un haut chef militaire, le tout sous la responsabilité du conseil et sans attendre les ordres du maitre.

C'est dans ces dispositions que Decrès se rendit au conseil du 31 juillet. L'archichancelier en était alors président. Fouché était sûr de rencontrer chez lui une vive opposition à toute mesure qu'il proposerait, car Cambacérès se défiait fort de cet intrigant. Le ministre de la Police était donc décidé à laisser parler Decrès. Celui-ci s'exprima avec vivacité. Faisons ce que l'Empereur ferait lui-même, s'il était ici. A défaut de troupes, il porterait la masse des citoyens sur les bords du fleuve. L'amiral voulait aussi une proclamation soudaine qui appelât sous les murs d'Anvers tout ce que les départements ont d'anciens militaires, la levée de 10.000 ouvriers de Paris, et la désignation de Bernadotte au commandement en chef. Clarke, fort jaloux de son autorité, fort hostile, lui aussi, à Fouché, pour lequel il voyait travailler l'amiral, répliqua que la levée de la garde nationale serait vraisemblablement très mal vue de l'Empereur, plus encore sans doute la désignation du maréchal Bernadotte, alors en pleine disgrâce, et que lui, du reste, ministre de la Guerre, pouvait disposer contre les Anglais de 30.000 hommes environ, ce qui était suffisant. Cambacérès, timide et toujours effrayé par l'évocation du grand absent, déconseilla aussi les mesures extraordinaires et spontanées[43]. Fouché provoqua cependant un second conseil, où furent admis, outre les ministres, l'archi-trésorier Lebrun et le prince de Bénévent ; les mesures proposées par Decrès y furent également désapprouvées. Il parait que dans l'un et l'autre conseil le ministre de la Police resta silencieux : à l'issue du second, il déclara qu'il fallait agir, ce qui lui attira la réponse significative de l'archichancelier : Monsieur Fouché, je ne veux pas me faire décoller, moi[44]. Ces trembleurs, ces discuteurs faisaient pitié à Fouché : il souriait de ces délibérations, bien résolu à n'agir qu'à sa guise. A l'issue du premier conseil, il avait pris Decrès dans l'embrasure d'une fenêtre, le félicitant de son initiative. Comment, répliqua l'amiral, n'avez-vous pas soutenu davantage mon opinion dans le conseil ? Fouché répondit qu'il allait agir de son autorité propre, en sa double qualité de ministre de l'intérieur et de la Police[45].

Laissant, en effet, le maréchal Clarke organiser sa petite armée de pièces et de morceaux, Fouché écrit, dès le 2, aux préfets des quinze départements septentrionaux pour les inviter au nom de l'Empereur à lever les gardes nationales. Cette circulaire sortait du style administratif : réellement ému ou feignant de l'être, l'ex-proconsul retrouvait un peu du style dont il haranguait, sur les places publiques, les populations de Troyes et de Dijon. Ces braves, disait-il en parlant des gardes nationaux, ces braves rivaliseront entre eux, et tous ensemble le disputeront à l'armée, en discipline, en ardeur guerrière, pour le service du héros qui a confié à notre courage et à notre affection la garde du territoire de son Empire. Peuples de ces contrées maritimes, dès ce moment, l'attention est fixée sur vous. Vous ne vous bornerez pas à la gloire de chasser l'Anglais : il faut les empêcher de rejoindre leurs vaisseaux ; s'ils débarquent, il serait honteux que cette poignée d'insulaires pût se dérober à votre valeur et à vos nombreux bataillons... En m'instruisant, ajoutait-il, chaque jour très exactement de la suite des opérations, vous me ferez connaître les hommes dont le zèle et la valeur civique mériteront d'être mis particulièrement sous les yeux de l'Empereur[46]. C'était le prendre sur un ton très haut[47]. D'autre part, des instructions adressées à chaque préfet stimulaient son zèle, que devaient réchauffer et seconder encore les commissaires généraux et particuliers, devenus les grands surveillants de cette levée d'armes. Le ministre, d'ordinaire fort modéré dans le ton, semblait disposé à aller très loin contre les récalcitrants : le préfet de Bruxelles ayant fait des difficultés, Fouché le rappela rudement à l'obéissance, le menaçant de le relever immédiatement de ses fonctions et de le remplacer par un commissaire spécial, chargé de pleins pouvoirs[48]. Devant cette attitude, les préfets rivalisèrent de zèle ; la Lys fournit 6.000 hommes ; le Nord, 8.500 ; le Pas-de-Calais, 6.400 ; l'Oise, 1.800 ; l'Escaut, 3.000 ; puis, se multipliant, les préfets doublèrent leurs effectifs, allèrent au delà de ce qu'on leur demandait. La fièvre s'emparait de toute la région du Nord-Est. C'est bien ce que voulait le ministre, qui lui-même semblait la proie d'une ardeur fébrile, multipliant les circulaires, avis, lettres confidentielles : il en lança le 3, le 4, le 5 et le 6 août[49]. Il allait plus loin : comme investi d'une dictature qui lui donnait prééminence et autorité sur tous, il semblait vouloir parler de haut à ses collègues. Clarke s'était insurgé le premier contre les prétentions stupéfiantes de Fouché ; il lui avait adressé des observations d'une raideur toute militaire, se plaignant de n'avoir pas été informé par son collègue de ses desseins et de ses actes, rappelant au ministre qu'aucun rassemblement armé ne devait avoir lieu à l'insu des commandants d'armes et des officiers généraux commandant les départements et les divisions militaires, exprimant le désir de régulariser, cette mesure, blâmant les levées en masse, contraires aux idées de l'Empereur. Fouché avait répondu sur un ton assez narquois aux observations de son collègue de la Guerre : Je connais les abus des levées en masse ; j'en ai beaucoup fait qui m'ont embarrassé. Je m'en souviens. Je n'en ai point parlé dans ma circulaire, parce que rien ne refroidit le zèle et le patriotisme comme les sermons. Et, après certains avertissements aigres-doux, il priait le maréchal de croire à son amour pour l'ordre, comme à son attachement pour lui. En meule temps, il continuait à lier partie avec Decrès, et il allait adresser à son autre collègue, le grand juge, ministre de la Justice, une invitation à concourir à la mesure, en chargeant les procureurs généraux de requérir l'application des lois : 1° aux malveillants qui chercheraient à entraver la levée ; 2° aux gardes nationaux qui refuseraient de satisfaire aux réquisitions[50].

Le conseil des ministres était resté un instant stupéfait devant l'acte d'audacieuse indépendance dont l'un de ses membres venait de se rendre coupable envers le conseil lui-même et l'Empereur. Le général Clarke était hors de lui, bougonnant déjà de vagues menaces contre ces s...  jacobins de 93[51] ; il s'adressa à Napoléon. Le ministre Fouché, en sa double qualité de ministre de la Police et de l'Intérieur, écrivait-il à l'Empereur, avait jugé convenable, sans en avertir l'archichancelier ni lui, d'écrire à dix préfets, dont il ne connaissait pas la nomenclature, une lettre qu'il transmettait. Le général affirmait sa crainte des levées en masse qui portent la terreur dans les provinces qui y sont soumises et paralysent tout. Il avait cru devoir témoigner ce sentiment au ministre de la Police. On sait comment l'avis avait été reçu. Cambacérès et Clarke étaient consternés ; ils le furent bien plus quand, le 3, le ministre de la Guerre vit arriver chez lui le maréchal Bernadotte, qui venait offrir son épée au gouvernement.

Ce personnage était alors retiré dans sa maison de campagne de Lieursaint, récemment renvoyé de l'armée d'Allemagne et en pleine disgrâce. A toute époque, il avait montré une certaine indépendance vis-à-vis de l'Empereur. Jacobin en 1799, il avait accepté le 18 Brumaire qui le vengeait des avocats du Luxembourg ; il n'avait cependant jamais admis franchement la domination d'un soldat, dont il se considérait modestement comme l'émule. Ami de Moreau, M'avait beaucoup fréquenté, avait partagé ses sentiments et ses rancunes. Il avait, lui aussi, conspiré en 1802, et peut-être n'avait-il été sauvé que grâce à la bienveillance de Fouché. Bavard, très fanfaron, d'une extrême affabilité et d'une grande vanité, mais brave officier et chef distingué, il avait, grâce à ces qualités, su s'imposer à l'Empereur, qui l'avait décoré, avant tous les autres, du titre ronflant de prince de Pontecorvo. Le Gascon avait accepté sans désarmer. A Iéna, son hostilité à l'Empereur l'avait presque conduit à la trahison. Napoléon avait alors, dans un court accès de fureur, parlé de le faire fusiller[52], puis lui avait accordé un pardon que le maréchal n'avait ni sollicité ni accepté, car il avait continué à observer une attitude frondeuse, d'autant plus dangereuse que, au dire de ses contemporains, c'était son habileté et son habitude de chercher à jeter des racines dans les cœurs et de se créer partout des partisans. Gracieux, d'abord facile et d'esprit brillant, il séduisait, était populaire[53]. Comme, en outre, beaucoup d'officiers, et non des moindres, le considéraient comme le meilleur stratégiste après Bonaparte, qu'il était resté sympathique aux soldats de Moreau et à certains républicains, on lui prédisait, si les circonstances s'y prêtaient, un fort brillant avenir. Il se mettait en avant, détestant rester dans le rang derrière le maitre, à côté d'un Junot ou d'un Duroc, soldats domestiques. C'est ce qui venait de lui valoir une éclatante disgrâce. Au lendemain de Wagram, où il commandait le corps saxon, il avait cru pouvoir adresser à ses soldats un ordre du jour où il leur attribuait une grande partie de la victoire. Cet acte était tellement insolite que Napoléon en était resté suffoqué. Il avait aigrement repris le maréchal, avait blâmé son geste, réfuté tous ses dires, humilié ses soldats, rabaissé son orgueil dans un ordre du jour qui fut personnellement adressé à chacun des autres maréchaux[54]. Puis il lui avait retiré le commandement du neuvième corps et l'avait renvoyé en France, ce qui n'empêchait pas le Publiciste du 22 juillet d'attribuer au prince de Pontecorvo une grande partie de la victoire[55]. Comme le Publiciste paraissait sous la surveillance et parfois l'inspiration du ministre de la Police, on en concluait que Fouché et Bernadotte n'étaient pas loin de s'entendre, ce qui n'était pas sans causer certaines inquiétudes à beaucoup de gens.

Fouché avait, en effet, dès le premier jour d'alerte, lancé la candidature du prince de Pontecorvo au commandement de la nouvelle armée. Cambacérès et Clarke avaient esquivé toute réponse. Mais le maréchal, dont l'humilité n'était pas la qualité maitresse, vint s'offrir, de concert sans doute avec le ministre de la Police. Le 3 août, il se rendit chez Clarke et lui offrit ses services ; à Cambacérès, chez qui il apparut ensuite, il déclare que n'y eût-il qu'une compagnie de vétérans pour combattre les Anglais, il n'hésiterait pas à se charger du commandement. Malgré les réponses dilatoires des deux hommes, le maréchal annonça que, dévoré du plus pur patriotisme, il renonçait à se rendre aux eaux et s'installait pour quinze jours à Paris. Cambacérès et les ministres étaient fort embarrassés ; que faire de ce compromettant personnage dont les devait garer la récente rancune de Napoléon ? On attendait avec impatience l'avis de l'Empereur sur la situation, ou plutôt les bons commis qui se réunissaient aux Tuileries le devinaient à coup sûr. La levée en masse allait être contremandée avec reproches, le ministre de la Police tancé, peut-être disgracié ; enfin Bernadotte renvoyé aux eaux et les gardes nationaux à leurs foyers.

Les ministres pensèrent tomber de leur haut, quand, le 12, ils reçurent les lettres de l'Empereur. Napoléon était lui-même trop l'homme d'action, l'homme aux résolutions promptes et opportunes, pour ne pas admirer, partout où il la rencontrait, cette qualité maîtresse de l'homme d'État : la décision. Or, Fouché seul venait de faire preuve de décision, comme de sang-froid et d'intelligence. Beaucoup de gens, du reste, gomme d'Hauterive et Talleyrand, avaient approuvé la mesure[56] ; l'Empereur y adhérait pleinement. Son mécontentement se tournait, tout entier contre les ministres, dont l'effarement ridicule, la timidité étroite et la médiocre perspicacité avaient paralysé la défense au lieu de l'organiser. Le 3 août, instruit de ce qui se passait, il avait signé un décret venant confirmer et régulariser la mesure de Fouché ; il ordonnait la levée de 30.000 gardes nationaux et il nommait au commandement de cette armée le maréchal Bernadotte[57]. Ces mesures étaient une confirmation suffisante et impliquaient une approbation complète de l'attitude de Fouché, mais elles étaient, par surcroît, accompagnées d'un commentaire qui ne laissait pas de doute sur les sentiments de l'Empereur à cet égard. Il adressait à Clarke et à Cambacérès de vifs reproches sur leur inertie. Je suis fâché, écrivait-il à l'archichancelier[58], que dans le conseil du 1er vous n'ayez pas pris sur vous d'appeler les gardes nationales : c'est se méfier à tort d'elles... Il faut voir sur-le-champ, en première ligne, 80.000 hommes, et imprimer un mouvement à la nation pour qu'elle se montre, d'abord pour dégoûter les Anglais de ces expéditions et leur faire voir la nation toujours prête à prendre es armes, ensuite pour reprendre l'île de Walcheren... Ainsi donc, tous les moyens d'influencer l'opinion publique doivent être pris ; les gardes nationales de chaque département doivent être désignées et réunies. A Clarke, il se contentait d'abord de communiquer le décret[59] ; mais ayant reçu, quelques heures après, les plaintes du ministre de la Guerre contre Fouché, il donnait tort à Clarke, de la façon la plus formelle, dans une lettre en date du 10. M. Fouché s'est mis en mesure de faire ce que vous ne faisiez pas vous-même. Sans doute, c'était au département de la Guerre à provoquer ces mesures et à les régulariser ; mais il est tout simple que le ministre de la Police, convaincu que l'expédition anglaise étant de 25.000 hommes, on doit lui opposer 60 à 80.000 hommes de troupe, ait ordonné des préparatifs dans ce sens. J'ignore ce que vous, vous avez fait ; mais il eût été bien ri à désirer que vous eussiez donné le commandement d'Anvers au prince de Pontecorvo...[60] Dans une lettre à Cambacérès, le maitre s'exprimait plus vertement : Je suis fâché que vous ayez fait si peu d'usage des pouvoirs que je vous ai donnés dans ces circonstances extraordinaires. Réunissez fréquemment le conseil des ministres. Ne laissez pas les Anglais vous prendre dans votre lit. Au premier bruit d'une descente, vous auriez dû lever 20.000, 40.000, 60.000 gardes nationaux ; autoriser le ministre de la Guerre à envoyer le prince de Pontecorvo et le maréchal Moncey pour réunir et commander toutes les troupes. L'attitude qui a été prise dans cette occasion est humiliante et honteuse, et excitera les Anglais à recommencer de pareilles expéditions[61]. — Je ne vois que M. Fouché qui ait fait ce qu'il a pu, et qui ait senti l'inconvénient de rester dans une inaction dangereuse et déshonorante, écrivait-il encore le 11 à Clarke[62]. Ne voulant pas, toutefois, surexciter outre mesure l'orgueil d son ministre de la Police, il lui adressait un témoignage plu bref de sa satisfaction : Vous avez bien fait de préparer les préfets à fournir des gardes nationales[63]. Mais l'homme qui avait imprimé un mouvement à la nation, qui l'avait montrée toujours prête à prendre les armes, qui avait pris tous les moyens d'influencer l'opinion publique, levé, avant le décret du 8 août, 30.000 gardes nationaux, prôné l'envoi de Moncey et de Bernadotte, et réalisé, en un mot, d'avance le programme conçu par Napoléon, devait se tenir assuré de sa grande satisfaction. Il triompha, et c'est sans doute alors que germa en son cerveau l'idée d'étendre à la France entière la mesure qui avait reçu une si complète approbation, et de prendre l'empereur au mot en imprimant un mouvement non plus à quinze départements flamands, mais à la nation.

***

Au surplus, le prétexte était là, excellent. Puisqu'il fallait effrayer et repousser les Anglais, il était facile de prouver que ceux-ci ne menaçaient pas seulement Anvers, mais que leurs vaisseaux croisaient continuellement en vue de Boulogne, Brest, Rochefort, Marseille, Toulon et Gênes. Fouché pouvait, du reste, s'appuyer sur des autorités. Le comte d'Hauterive écrivait qu'à ce système patent et constant d'hostilités imminentes, il n'y avait pas un homme qui ne dût reconnaître qu'il faut opposer un système également patent et constant de défense.

Pour justifier le plan qu'il formait dès lors, Fouché s'était appliqué à transmettre fidèlement et consciencieusement les rapports de ses agents dans lesquels les croisières anglaises étaient représentées comme menaçant les côtes de la Méditerranée autant que celles de la mer du Nord. Le commissaire général de Marseille, notamment, signalait, dès les premiers jours d'août, des démonstrations navales qui semblaient nécessiter de grandes mesures[64]. Fouché se décida. Le 30 août, il écrivait au préfet de Marseille de préparer les cadres de la garde nationale, de manière à pouvoir la lever dans les vingt-quatre heures, si l'ennemi faisait une descente[65]. Le préfet lui-même organisait une garde nationale qui se déclara prête à partir, et, en outre, une garde bourgeoise, prise parmi tous les célibataires de vingt à quarante ans. C'était un premier pas.

Le ministre de la Police ne s'arrêta pas là. Le 7 septembre, il prenait sur lui de généraliser la mesure. Le conseiller d'État du 3e arrondissement — le Midi — recevait ordre de préparer dans les départements qui lui étaient confiés l'organisation de la garde nationale pour la défense des côtes de la Méditerranée. Il estimait à quatre millions (sic) le nombre des hommes valides de cette région, et déclarait qu'il en fallait employer le dixième. Douze départements devaient être appelés d'abord sous les armes[66]. Le Languedoc, la Provence, le Piémont allaient se lever, pendant que de la Flandre et de l'Artois le mouvement se propageait vers la Normandie et la Bretagne. Le ministre, suivant l'expression de Balzac, organisait ainsi cette angoisse générale qui pesa sur toute la France et ranima l'énergie républicaine de 1793[67]. Il ne doutait plus de rien, et, sans intervention possible de ses collègues humiliés, il brisait les résistances. A Gand, par exemple, vingt-quatre jeunes gens de familles riches ayant refusé de partir, le ministre, d'ordinaire hostile à ces mesures violentes, demanda la liste de ces poltrons, afin de les placer de manière à leur inspirer de l'honneur et l'amour de la patrie[68]. Le Fouché de 93 se réveillait décidément. Le préfet des Ardennes, ayant fait observer au ministre que son département n'était pas compris dans le décret impérial du 8, fut rudement rabroué[69] ; dans la Côte-d'Or, l'agitation des ouvriers contre la levée fut immédiatement étouffée[70], ainsi que dans le Calvados et la Sarre, le ministre prescrivant aux préfets de sévères mesures contre les rebelles[71] ; c'était une nouvelle conscription. On commençait à se demander partout si Fouché avait passé du quai Voltaire aux Tuileries.

Mais c'était à Paris que la mesure avait mis toutes les têtes à l'envers. La levée avait provoqué la plus vive irritation chez les uns, chez les autres le plus grand enthousiasme. C'était remonter au delà de 93, à ce que Fouché, en 1804, appelait en souriant les beaux jours de la prise de la Bastille et du cheval blanc, regrettés dans les arrière-comptoirs[72]. Soit reste de faveur pour ce hochet jadis si heureusement manié par La Fayette, soit malin plaisir d'aider le ministre, que banquiers, avocats et notaires estimaient fort et opposaient volontiers à l'Empereur lui-même, la bourgeoisie parut sensible à la confiance qu'on lui témoignait. Par contre, les hauts fonctionnaires parisiens, vivant sons l'influence des autres ministres et inspirés par trois hommes hostiles à Fouché, Frochot, Hulin et Dubois, se montrèrent fort défiants et peu empressés. Le préfet Frochot ayant convoqué les maires, ceux-ci soulevèrent mille difficultés, formulèrent des objections, qu'on jugeait péremptoires, et que le préfet transmit au ministre le 16 août. C'était le mal connaître : on revit un Fouché que les fonctionnaires de l'Empire ne connaissaient pas. Apre, hautain, menaçant, le ministre de la Police répondit an préfet qu'il n'avait pas à entrer en discussion avec les maires ; que si, dans la journée même, ces fonctionnaires ne s'occupaient pas sans désemparer de l'organisation de la garde nationale Son Excellence la laverait elle-même au son du tambour. Derrière le nouveau duc d'Otrante, c'était bien le proconsul de Troyes qui se montrait. On trembla : Les maires, écrivait le ministre lui-même, ont été tellement échauffés — il faut lire terrifiés — par cette réponse, qu'ils ont promis de ne prendre de repos que lorsque les mesures ordonnées par le ministre seraient entièrement exécutées. — Les maires, ajoutait Fouché dans un bref post-scriptum[73], les maires tiendront leur parole, parce qu'ils savent que je tiendrai la mienne. En réalité, les fonctionnaires terrorisés agissaient avec une extrême mauvaise volonté, se faisaient l'écho des réclamations contre une mesure impopulaire. Le ministre protesta contre cette allégation : Il est impossible, écrivait-il le 23 aux deux préfets, que Paris reste immobile dans le mouvement général qui anime les départements ; il est impossible qu'il veuille se déshonorer gratuitement aux yeux de son prince et aux yeux de la nation. Quant à moi, je ne souffrirai pas que la première ville du monde soit exposée à subir une telle ignominie... Et en termes véhéments il excitait le zèle des magistrats municipaux[74]. A en croire un correspondant de l'Empereur, adversaire, il est vrai, de Fouché, celui-ci avait, dans une assemblée des maires de Paris, laissé percer son dessein subsidiaire, d'aucuns disaient principal, déclarant qu'un accident pouvait avoir lieu en Allemagne, qu'il était bien aise d'avoir une garde nationale à Paris[75].

Paris fut bientôt dans l'effervescence. A ne pas voir Fouché désavoué, on commençait, malgré la mauvaise humeur des autres ministres, à le croire réellement inspiré par le maitre, et on avait peur. Mais l'inquiétude du gouvernement était grande ; on soupçonnait maintenant tout du ministre, et point n'était besoin des paroles qu'on lui prêtait à l'Hôtel de ville. Devant la composition des cadres de cette armée civique, beaucoup d'amis du gouvernement impérial s'alarmaient fort. Hardiment, Fouché s'arrogeait le droit de peupler à sa guise l'état-major de la garde nationale, et qu'y mettait-il ? des banquiers, des avocats, des notaires, quelques nobles fort peu ralliés au régime, tous gens qu'on savait hostiles à l'Empereur, encore qu'en fort bons termes avec son ministre. Le banquier Thornton, connu par son opposition à l'Empire, ami de Moreau et d'Ouvrard, avait été appelé au quai Voltaire, et chargé d'organiser la cavalerie, au nom de la nation[76]. Or, le premier acte de-cette nouvelle troupe, où, par surcroît, Talleyrand, très hostile à l'Empereur, avait poussé toute sa brillante parenté, fut de réclamer comme colonel Stanislas de Girardin, un des opposants au faubourg, aristocrate libéral, esprit indépendant ; et Fouché l'avait accordé[77]. Tout ce qui, depuis dix ans, dans le barreau, à la Bourse, dans le haut commerce, dans la noblesse, faisait à l'Empire une sourde opposition, peupla bientôt les rangs et surtout les états-majors de cette armée à tout faire[78]. Le pire était que le ministre s'affichait, s'occupait de tout, voulait qu'on s'en rapportât en tout à lui. Il avait fait confectionner 12.000 habillements et équipements, en prélevant les frais sur les fonds du ministère de l'Intérieur[79] ; la garde nationale parisienne portée à 6.000, à 12.000, puis à 24.000, atteignait bientôt le chiffre de 30.000 hommes[80]. Fouché s'en attribuait la gloire : il n'était pas éloigné de passer des revues et paradait. On le vit se rendre aux courses, escorté d'un escadron de chevau-légers, prérogative inconnue des ministres de l'Empire ; l'ancien mitrailleur de Lyon parut ainsi dans une sorte d'apothéose, se rendant, dans son carrosse armorié, du quai Voltaire au Champ de Mars, en plein midi, avec la duchesse et ses enfants, et accompagné officiellement de la fine fleur de l'aristocratie parisienne : Stanislas de Girardin, Archambaud de Périgord, les de Brégy, les de Sourdis, etc. Ce qui donnait à celle manifestation, insolite sous l'Empire, un caractère particulièrement grave, c'est qu'elle s'était produite en dépit des protestations et des formelles oppositions du gouverneur militaire de Paris et du ministre de la Guerre. Hulin, indigné de ce manquement, écrivait à Clarke : Je ne peux attribuer ce défaut d'ordre qu'à l'ignorance où se trouvaient la garde nationale et les chevau-légers des ordonnances et règlements de police, et le ministre de la Guerre, de son côté, dans un rapport fort aigre à l'Empereur, remarquait qu'il serait dangereux que l'autorité civile se crût en droit de donner des ordres à une troupe armée quelconque, sans l'aveu de l'autorité militaire[81]. En réalité, cette garde nationale appelée, réunie, équipée, pourvue de ses officiers, et à tout instant convoquée par le ministre de la Police, échappait complètement à l'autorité militaire. Le général Hulin, exaspéré, menaçait de faire tirer par ses sentinelles sur les patrouilles de l'armée civique[82].

On pense si l'aigreur qui éclatait dans les lettres de Clarke à l'Empereur s'était fait jour plus violemment encore au conseil. En présence de l'archichancelier, que la crainte de l'Empereur rendait muet, encore que fort inquiet, le maréchal interpella violemment Fouché, jurant, sacrant, disant que ce n'était qu'un s... jacobin de 1793 qui avait pu avoir l'idée de lever et d'armer une garde nationale à Paris. Clarke était de famille aristocratique, détestait la Révolution — on le vit bien lors de la première Restauration —. Il était d'origine anglaise ; Fouché, décidément revenu à 93, y compris Pitt et Cobourg, répondit en accusant le ministre d'être de connivence avec ses anciens compatriotes. Que faire après les semonces de l'Empereur ? Clarke était désolé, furieux. Vous voyez ce qui se passe, disait-il à M. de Ségur[83], Fouché vient de lever à Paris 30.000 hommes. Il arme le peuple et les domestiques mêmes. C'est une levée de 93 qu'il veut avoir sous sa main. Il se prépare à jouer un grand rôle dans des cas prévus, tels que celui d'un mal plus grave dont l'Empereur vient d'être atteint, ou d'une blessure plus sérieuse que celle de Ratisbonne, ou d'un revers plus complet que celui d'Essling. Trente mille hommes armés dans Paris ! Mais il faudrait une armée pour nous garder de cette garde. Et il continue, en dépit de nous, l'organisation, il en a nommé les officiers... Son but est évident, c'est une trahison, mais je le surveille.

Soutenus en dessous, les maires se reprenaient à protester. On écrivait à l'Empereur : Il faut que Votre Majesté sache que si plusieurs maires tiennent encore à la chose publique, c'est plus par reconnaissance pour Votre Majesté que par la crainte des menaces du ministre. On parlait de 1793. Depuis longtemps, on a cherché à persuader que la Révolution était finie. Se serait-on fait illusion ? ou une nouvelle recommencerait-elle ? Et l'on soutenait que le ministre avait été plus loin que ses instructions. Dès le 26 août, on avait écrit à l'Empereur : La formation de la garde nationale occupe les esprits, elle les agite, et quoiqu'elle ne se présente ni comme en 1789, ni comme en 1793, elle n'inquiète pas moins les plus fort imposés et les pères de famille...[84] C'était une erreur ; la bourgeoisie ne vovait pas d'un aussi mauvais œil que les fonctionnaires cette levée civique, puisqu'elle protesta quelques semaines après contre la dissolution de la garde nationale. C'est bien cette popularité qui faisait peur. Fiévée avait repris la plume pour en faire craindre les effets : La levée de la garde nationale, écrivait-il à l'Empereur, était une mesure toute révolutionnaire dont l'unique résultat était de faire rétrograder le peu d'esprit monarchique qui restait en France ; elle faisait frémir lorsqu'on voyait un tel mouvement donné par une tête trop imbue des idées de la Révolution pour être capable de sentir ce que les institutions nouvelles ont mis de différence entre le passé et le présent[85]. Clarke devait renchérir encore, dire que l'esprit de faction pouvait se glisser facilement dans la garde nationale. — Il n'y a rien dont on puisse abuser plus vite, écrira-t-il[86], pour causer une sédition et même une division dans l'État. Il faudrait n'avoir pas lu les Mémoires du cardinal de Retz pour ignorer qu'on peut agiter Paris en un clin d'œil, toutes les fois qu'il y aura des centres de ralliement organisés et hors de la main du gouvernement. L'Empereur fut bientôt assiégé de plaintes et de protestations[87]. De fait, la mesure dégénérait de son but primitif ; ni les beaux fils, les chevau-légers de Stanislas de Girardin, ni les agents de change s'enrôlant derrière Thornton n'avaient l'idée d'aller défendre Anvers. Qu'en voulait-on faire, dès lors ?

Mais ce qui, d'autre part, augmentait l'inquiétude, c'était l'attitude qu'avait prise, avec la connivence de Fouché, le prince de Ponte-Corvo. Il était arrivé le 15 août à Anvers et s'y était immédiatement posé en sauveur, en homme nécessaire, en proconsul. Il y avait bien loin du rôle, en somme assez modeste, que lui destinait l'Empereur à la dictature régionale que l'entreprenant maréchal s'était spontanément attribuée. Il avait, en conformité des ordres reçus, groupé sous son suprême commandement troupes de terre et de mer, marins, soldats, gendarmes, douaniers et gardes nationaux, sans oublier, naturellement, de lancer des ordres du jour retentissants[88]. Mais il ne s'en était pas tenu là. Le futur roi de Suède avait cru devoir faire là son apprentissage d'homme d'État[89]. Le commissaire général de police d'Anvers, mis à sa disposition par le ministre, était devenu pour lui une sorte de ministre de l'Intérieur, en même temps que le représentant de Fouché, conseiller et contrôleur à la fois, près du maréchal. Les agents de la police semblaient avoir passé sous les ordres du prince. On voyait celui-ci se prononcer contre l'ultramontanisme des prêtres de la Belgique, régler en ces contrées les relations de l'Église et de l'État ; le préfet, ayant paru étonné de cette ingérence, fut sermonné et dut se soumettre[90]. Le maréchal s'organisait une police à lui, qu'il étendait de la Belgique à la Hollande. Par contre, le commandant en chef se faisant administrateur, c'est au ministre de la Police qu'il adresse ses plans et ses réflexions sur l'état des troupes, par l'entremise du commissaire général, le maréchal se reposant sur celui-ci du soin de correspondre avec le gouvernement central[91]. Dès lors c'est le ministre de la Police qui vient communiquer au ministre de la guerre les desiderata de ce singulier commandant de corps[92]. Le 21 août, le commissaire général décerne au nom de Bernadotte le blâme au génie et à l'artillerie, la louange à l'amiral Missiessy et au préfet maritime Malouet[93]. A Paris, Fouché est le seul représentant, au conseil des ministres, de l'inquiétant soldat[94]. Comme si le ministre ne se trouvait pas en communication assez étroite avec lui, il lui dépêche un agent secret, le fidèle Jullian, accueilli à bras ouverts par le prince de Pontecorvo, qu'il est chargé de diriger... et d'espionner[95]. Il va sans dire que ces relations étroites du maréchal avec Fouché étaient signalées à Napoléon. Le 11 septembre, l'Empereur fit savoir qu'il connaissait les correspondances de Bernadotte avec les intrigants de Paris[96].

Hâtons-nous d'ajouter que le maréchal eu chef, militaire intelligent et actif, s'était occupé de la défense avec une extrême diligence. En dépit des prévisions optimistes de l'Empereur, Flessingue avait capitulé le 16 ; avec un corps d'armée assez hétéroclite, le maréchal avait en face de lui un ennemi maintenant en bonne position pour menacer Anvers. Bernadotte avait achevé de couvrir la grande ville, organisait son armée, la fondait en une troupe homogène, lui communiquait sa belle confiance, toujours souriant, accessible et populaire. Il avait fait illusion aux Anglais, qui se croyaient, grâce à certains artifices, en face de plus de 40.000 hommes[97]. Devant cette défense, les Anglais, qui avaient cru surprendre, se démoralisaient, d'autant que la peste éclatait à Flessingue. C'était une alliée précieuse pour Bernadotte. Celui-ci, toujours satisfait de lui-même, affirma qu'il avait intimidé l'ennemi, et, ne comptant plus sur les éloges de l'Empereur, s'en décerna lui-même de fort Grands, dans un ordre du jour conçu dans le style qui lui avait si mal réussi après Wagram.

Anvers, cependant, était devenu un foyer d'intrigues ; le préfet, M. d'Argenson, disgracié peu après, était assez hostile à l'Empire, fonctionnaire libéral, peu fait pour servir Bonaparte[98] ; le préfet maritime Malouet, ami personnel de Fouché, comme lui ancien oratorien, était un royaliste, disgracié trois ans après par Napoléon et plus tard ministre de Louis XVIII[99] ; ils n'étaient pas hommes à se scandaliser du rôle indépendant que s'arrogeait l'aimable prince. Fouché avait par là d'autres agents plus louches : outre Jullian, deux hommes dont le rôle est encore mal défini, Montrond et Sarrasin ; le premier, aventurier aristocratique qui servait alors d'intermédiaire entre Fouché et Talleyrand, fut soupçonné véhémentement d'avoir appelé les Anglais à Anvers ; cela permettait de croire, de la part de Fouché, à un plan grandiose... s'il avait connaissance de cette trahison, ce qui est douteux[100]. Ce ne fut cependant qu'après la disgrâce du ministre que Montrond fut enfermé à Ham. Le protégeait-il ? En tout cas, Fouché sembla vouloir couvrir le général Sarrasin, un antre traître, alors à Boulogne, soupçonné également d'avoir appelé l'ennemi et qui ne se réfugia en Angleterre que lorsqu'il apprit, en 1810, la chute du ministre de la Police[101].

Dans tous les cas, la situation devenait inquiétante ; le ministre de la Police, provoquant des Alpes au Pas-de-Calais et de Mayence à Brest une levée générale des gardes nationaux, donne comme chefs à celle de Paris des ennemis du régime, royalistes et républicains pêle-mêle ; il se tient en relations étroites avec un maréchal qui semble disposé à jouer à Anvers un rôle plus grandiose et que quelques-uns voient déjà aux Tuileries ; il est, dit-on, en correspondance secrète peut-être avec l'ennemi, semble exploiter une situation qu'on va jusqu'à l'accuser d'avoir créée, et profite de l'approbation arrachée à l'Empereur, pour se dérober au contrôle du conseil des ministres ; tout cela, s'ajoutant à la haute situation dont Fouché dispose depuis plusieurs années et que la réunion de deux portefeuilles a rendue décidément trop dangereuse, rend songeurs les adversaires du ministre ou simplement les amis du régime. On a dit que Fouché était alors en relations avec Metternich par Esmenard. Ce fait n'est pas prouvé. Mais il est certain qu'il était mieux instruit que personne de la marche des négociations à Vienne. Le plan eût été celui-ci : faire traîner en Autriche les négociations et au besoin les faire rompre — il en prédisait à Murat la rupture probable, le 4 octobre —, ce qui eût retenu l'Empereur en Autriche ; profiter de son absence, ou, en cas de malheur, de sa mort, pour s'emparer du gouvernement ; la chose est maintenant très aisée ; on a déjà deux grands ministères importants, la disposition par conséquent sans contrôle des préfets, des commissaires généraux, de la gendarmerie et de la garde nationale ; on a le clergé, Grosse force ; il est fort mal avec le maitre, mieux avec son ministre ; on a les assemblées sans doute, l'appoint des oppositions les plus diverses qu'on vient d'armer, amis de Moreau et de Malet, amis de Mme de Vaudémont et de M. de Talleyrand ; on a une armée à Paris à la dévotion du ministre qui l'a réunie, commandée par des Girardin, des Talleyrand, des Thornton, des Montrond [il a été un des premiers à s'enrôler[102]] ; on a surtout une armée dans le Nord, à quelques journées de marche de Paris, alors que la grande armée est à Vienne et à Madrid ; on a enfin un chef tout trouvé, ce brillant, audacieux, populaire prince de Pontecorvo qui, chef d'une armée de -volontaires et de citoyens, peut paraître un vrai sauveur, en face de celui qui a entraîné si loin les fils et les frères enrôlés dans son armée prétorienne. On est en relation avec Vienne, avec Londres ; tout est facile.

Rien n'est plus douteux que cette conspiration, du moins au début. Des contemporains y ont cru, Fauche-Borel dans le camp royaliste, Savary près de l'Empereur[103]. Peut-être, après tout, ce plan s'échafauda-t-il peu à peu, à mesure que les événements se déroulaient. Il est cependant peu croyable que les ennemis mêmes du ministre, à Paris, aient été aussi loin dans leurs soupçons. Ils voyaient simplement avec jalousie le duc d'Otrante — le décret était connu à Paris le 18 — grandir outre mesure, et leur dévouement réel à l'Empereur s'effrayait, d'instinct, de cette puissance. On n'avait pas besoin, pour s'adresser à l'Empereur, de soupçonner le ministre de trahison et de complot ; abus de pouvoir, usurpation de fonctions, excès d'omnipotence, c'en était assez pour amener le maître à changer d'avis en peu de jours sur l'attitude de Fouché.

***

Dès le début d'août, tout en louant l'esprit de décision du ministre, l'Empereur avait apporté quelques restrictions dans ses éloges. Le 16 août déjà, il avait essayé de calmer le zèle de Fouché et de diminuer son importance, en lui démontrant l'ineptie et le fatal insuccès de l'expédition anglaise ; il l'avait même prié d'insérer ces réflexions au Moniteur. Le 22, il affichait une absolue confiance que Flessingue ne pouvait pas être prise ; elle l'était, du reste, à ce moment-là même. Malgré ce factieux démenti à son optimisme affecté, il avait continué à insister sur le peu d'importance d'une expédition qu'un de ses lieutenants repoussait seul. Il oubliait tout à fait ses récriminations du premier jour, la triste vision de Clarke et de Cambacérès, pris dans leur lit par les soldats de l'amiral Ottway et du marquis de Huntley. Il avait montré le plus vif mécontentement pour le désordre qui régnait dans la levée de la garde nationale, insistant sur ce que le ministre devait ne rien faire sans se concerter avec son collègue de la Guerre. Il s'était ensuite montré stupéfait de voir la levée étendue jusqu'en Piémont, et l'Empire alarmé sans raison, oubliant que, deux jours avant, il avait lui-même conçu le projet que son ministre n'avait fait que prévenir[104]. Bientôt l'aigreur du despote blessé de tant d'indépendance, et du souverain inquiet de tant d'agitations, perce dans ses lettres à Fouché[105]. Le 24 septembre, il lui écrit : Je reçois votre lettre dans laquelle vous me rendez compte que partout les cadres des gardes nationales sont fournis. Je le sais, et je n'en suis pas content. Une pareille mesure ne peut être prise sans mon ordre. Mettez tous vos soins à tranquilliser les citoyens et à ce que le peuple ne soit pas dérangé dans ses occupations habituelles[106]. L'Empereur, on le voit, ne songeait plus guère à imprimer un mouvement à la nation. Mais, avant tout, la garde nationale de Paris l'inquiétait[107]. Le ministre n'avait nullement le droit d'en désigner les chefs ; Girardin fut rayé, et, sur le refus du comte de Ségur, le maréchal Sérurier nommé commandant en chef de la garde nationale de Paris[108].

C'est à ce moment que les plaintes affluèrent à Schœnbrunn[109]. L'Empereur s'inquiétait vraiment : Une espèce de vertige tourne les têtes en France, écrivait-il le 26 à Fouché. Tous les rapports que je reçois m'annoncent qu'on lève des gardes nationales en Piémont, en Languedoc, en Provence, en Dauphiné ! Que diable veut-on faire de tout cela lorsqu'il n'y a pas d'urgence et que cela ne pouvait se faire sans mon ordre ? Comme ces mesures passent le pouvoir ministériel, elles devaient être autorisées par le conseil des ministres ; on ne m'en a pas envoyé le procès-verbal... Le moindre incident peut faire naître une crise. On lui avait écrit que dans les environs de Paris toutes les petites communes montent la garde comme pendant une révolution. L'Empereur n'en revenait pas. Tout devait rester dans le statu quo. Je ne veux pas de gardes nationales autres que celles que j'ai requises, et, en y pensant mûrement, je ne veux pas d'officiers que je ne connais pas. Les préfets, qui sont des têtes médiocres pour la plupart, sont loin d'avoir ma confiance pour un objet de cette importance. Et laissant parler toute sa défiance, il ajoutait : On aurait donné au peuple des chefs qui auraient un intérêt différent du sien — l'Empereur eût pu dire du mien —, surtout s'il y avait eu crise. Napoléon engageait son ministre à se renfermer dans ses attributions. Il ordonnait que tout rentrât dans l'ordre à Paris ; qu'on ne gardât que les cinq divisions de gardes nationales des départements où il les avait appelées ; qu'on fit revenir la gendarmerie et qu'on ne mit plus la France en combustion. Il allait jusqu'à déclarer qu'il renonçait à l'idée d'organiser la garde nationale sédentaire avant quinze ans de règne[110]. Puis son mécontentement éclatait plus vif, dans ses lettres du 30 septembre et du 2 octobre, contre un ministre qui ne mettait jamais de légalité dans sa conduite[111].

L'Empereur n'avait pas attendu cette époque pour retirer à Bernadotte le commandement de l'armée du Nord. Il avait tout d'abord essayé de lui donner des surveillants : le général d'Hastrel, qu'il lui envoyait de Schœnbrunn comme chef d'état-major, et l'adjudant Shée[112]. L'un et l'autre, conquis très vite par la bonne grâce du maréchal, ne semblèrent pas disposés longtemps à le contrôler[113]. Exaspéré contre le prince par des rapports reçus de Paris et par l'ordre du jour où Bernadotte chantait sa propre gloire, l'Empereur sentait lui revenir toute sa rancune contre la vanité et l'outrecuidance de Bernadotte[114]. Ses lettres étaient de véritables réquisitoires laissant prévoir une prompte destitution[115]. Le maréchal Bessières fut en effet envoyé à Anvers[116], le prince de Pontecorvo renvoyé à Paris et de là aux eaux. a Je suis fatigué, écrivait l'Empereur, des intrigues, et je suis scandalisé qu'un homme que j'ai comblé de bienfaits prête l'oreille à des misérables qu'il connaît et qu'il apprécie[117].

Bessières était arrivé à Anvers le 16 et avait reçu le commandement des mains de Bernadotte, qui, d'abord narquois et ensuite furieux, se rendit à Paris ; il y vit Fouché, qui ne dut pas calmer sa colère[118]. Quant à Bessières il n'eut qu'a se croiser les bras, attendant le départ des Anglais, qui, décimés par la fièvre, reprirent la mer le 22 novembre.

Restait la fameuse garde nationale de Paris. Napoléon en ordonna le désarmement et la dissolution. Le 30 septembre, Clarke signifiait à Fouché, sur un ton triomphant, que l'Empereur ayant décidé cette dissolution, le lendemain à midi le général Hulin ferait relever par la troupe de ligne tous les postes de la garde nationale[119]. C'était une éclatante revanche. Il fut donc fort offusqué de voir les gazettes du lendemain accueillir une invitation du préfet de la Seine pour qu'on pressât la formation des contrôles de la garde nationale[120]. Allait-on voir le ministre pousser l'indépendance jusqu'à la révolte ? C'était pour lui la disgrâce. Cette fois, disait-on dans les salons de l'archichancelier, cette fois nous le tenons[121].

En réalité, Fouché voulait tout simplement couvrir sa retraite. Le licenciement, du reste, présentait, du moins pour lui, un avantage : il soulevait le mécontentement très marqué de la classe moyenne contre l'Empereur, au grand bénéfice du ministre[122]. Les ennemis mêmes de Fouché devaient signaler au maitre ce mécontentement, dû à un trop brusque licenciement[123]. Aussi bien, Fouché ne semblait ni humilié ni alarmé des mesures prises depuis quelques jours. Il affectait au contraire de se féliciter vivement de sa conduite. Le résultat de l'expédition anglaise avait été, à l'entendre, de créer une nouvelle armée, de familiariser le peuple avec l'institution de la garde nationale, d'avoir proclamé de la façon la plus éclatante à l'Europe entière l'attachement des Français à leur souverain et les ressources de la monarchie[124]. Le 21 octobre, dans une nouvelle note à l'Empereur, le ministre insistait sur les résultats acquis : Cette opération, en constatant l'attachement des Français pour leur empereur, annonce à tous les cabinets de l'Europe, qui semblaient en douter, l'énergie dont la nation est capable quand il faut le servir[125]. C'était presque une bravade à ses adversaires que cette phrase : L'ordre et la tranquillité qui l'ont accompagnée prouvent la sagesse et la mesure de ceux qui l'ont faite[126]. Partout le ministre proclamait qu'il avait rendu à l'Empereur un service immense. Dès le 4 octobre il avait écrit à Murat : On est confondu à Londres du mouvement qui vient de se manifester en France. La levée des gardes nationales a d'autant plus étonné les Anglais qu'ils disaient et publiaient partout que notre empereur n'avait de force que dans ses armées, qu'il avait épuisé le reste du phlogistique (sic) de la Révolution. Nous avons donné un démenti à leurs calomnies, et nous avons prouvé que l'Empereur avait la France entière comme armée[127]. Fouché promenait dans les salons cette satisfaction feinte ou réelle. La levée des gardes nationales, lui entendait-on dire, a mieux consolidé l'Empereur que le couronnement ; alors il était empereur par la seule puissance militaire, et c'est la puissance civile qui vient de le reconnaître[128]. Ce loyalisme éclatant surprenait. Mais le secret de Fouché était dans ces voltes-faces audacieuses qui parfois en imposaient à l'opinion et à l'Empereur.

Les adversaires espérèrent cependant qu'il ne viendrait pas cette fois au bout de l'entreprise. Dans les salons de l'archichancelier, au ministère de la Guerre, à la préfecture de police, on parlait de la disgrâce certaine du ministre de la Police[129]. On lui nommait un successeur. Savary, du quartier général, faisait connaître les nombreux sujets de mécontentement qui s'ajoutaient pour l'Empereur à l'affaire des gardes nationales. L'Empereur s'était montré irrité, d'autre part, des coquetteries de Fouché envers le parti royaliste, de ses relations avec M. de Pradt, son plus grand ennemi[130] ; du meurtre mystérieux du comte d'Aché, supprimé plus qu'exécuté, comme si l'on eût craint des révélations[131] ; enfin de la duplicité avec laquelle le ministre lui avait envoyé à Schœnbrunn, en suppliantes, les filles de Mme de Combray lui demander la grâce de leur mère condamnée, comme pour rejeter sur l'Empereur seul l'odieux de l'exécution. Savary fut le témoin réjoui des colères du maître à ce sujet[132].

On ne fut donc pas étonné lorsqu'on apprit à Paris qu'une première disgrâce frappait le nouveau duc d'Otrante. Le 7 octobre, le ministère de l'intérieur, dont il n'avait, du reste, que l'intérim, lui fut brusquement retiré[133]. Il y était remplacé par de Montalivet, directeur des ponts et chaussées. Fouché, avec son impudence ordinaire, affecta d'être enchanté de l'événement. Il y avait longtemps, à l'entendre, que ce portefeuille lui pesait. Molé, nommé directeur des ponts, étant allé rendre visite au duc d'Otrante, lui trouva l'air fort dégagé devant cette disgrâce ; il parla longuement du ministère qu'il abandonnait, des réformes qu'il y fallait faire, de l'incapacité de son prédécesseur Cretet, qui craignait toujours de compromettre son repos en faisant des choses nouvelles. M. de Montalivet, ajoutait-il, jugeant de haut, n'est pas assez actif ; il ne croit pas aux fripons, mais il est honnête, il a de la dignité et de la noblesse, est un serviteur dévoué. C'est un bon choix. e Molé, qui avait cru trouver un homme frappé, sortit fort étonné[134].

De fait, juger les hommes du gouvernement avec cette liberté semblait indiquer chez cet homme la plus grande tranquillité. Ce n'était pas une attitude ; il n'était réellement pas inquiet, ne regrettait rien. Les événements lui avaient valu l'amitié désormais fidèle du maréchal Bernadotte, quoique, la jugeant compromettante aux yeux du maitre, il essayât de s'en défendre. Sa popularité avait redoublé dans certaines classes et dans certains partis d'opposition, en même temps que sa réputation en Europe : ses collègues le haïssaient davantage, niais ils le redoutaient. L'Empereur lui-même semblait peu disposé à le frapper encore, et à sa justification passionnée répondait le 21 octobre[135] : Vous êtes comme don Quichotte : vous vous battez contre des moulins à vent. Je n'ai entendu dire partout que du bien de vous. Les reproches que je vous ai faits venaient de mes observations, puisque j'aime que toutes les opérations de mes ministres soient légales... mais cela est loin d'effacer le mérite de tout ce que vous avez fait pour mon service.

Fouché avait donc quelque raison d'envisager sans crainte le retour de l'Empereur et de répondre ironiquement aux prédictions sinistres de ses adversaires. Mais ceux-ci n'étaient pas gens à lâcher prise. Lorsque, le 26 octobre, l'Empereur arriva à Fontainebleau, la première personne qu'il vit fut l'archichancelier, auquel il exprima son mécontentement pour tout ce qui s'était passé depuis six mois[136]. On pense si Cambacérès se fit un plaisir de charger le ministre de la Police des péchés d'Israël : comment expliquer autrement le changement d'humeur que l'on constate du 21, date de la dernière lettre, au 27, jour où Fouché allait essuyer une des plus effroyables scènes de sa carrière ministérielle ? Ce que l'on sait, c'est que l'Empereur fit incontinent mander à Fontainebleau le général de Ségur, fort mêlé en septembre aux négociations auxquelles avait donné lieu la formation des gardes nationales. M. de Ségur était de ces ralliés sincères, mais que des principes restés très aristocratiques ne rendaient pas favorable au ministre des jacobins. Il ne dissimula pas l'étonnement dans lequel les serviteurs les plus dévoués de l'Empire avaient été jetés devant le singulier recrutement de la garde nationale. L'Empereur ne put dissimuler sa vive irritation, et c'est dans ces conditions que, le 27, il reçut Fouché à Fontainebleau. Par surcroît, Napoléon venait de donner audience à Clarke, encore très irrité, que Fouché croisa dans l'antichambre du souverain. Presque rien ne transpira de la scène fort longue et, dit-on, très violente que Napoléon fit au ministre de la Police. Il dut mêler à sep reproches sur la situation présente de ces allusions cruelles aux événements de 1793 dont il se plaisait à l'accabler. Ce fut du moins l'avis de Ségur quand il vit le nouveau duc d'Otrante sortir dans une visible agitation du cabinet du souverain. Ayant aperçu le général, qu'il se savait hostile, il alla droit à lui et l'entraîna, au grand étonnement de ce noble personnage, dans une fantastique promenade à travers la forêt de Fontainebleau. Là, dans un long monologue, poignant, terrifiant, le ministre, répondant sans doute en son esprit aux reproches de l'Empereur, repassa, devant de Ségur stupéfait et ému, sa terrible existence, essayant de tout justifier, son adhésion à la révolution de 1789, à la République en 92, son vote de janvier 93, ses odieuses missions de l'an II, rappelant la part qu'il avait prise au 9 Thermidor, à la ruine des jacobins sous le Directoire, au coup d'État de Brumaire et à l'établissement de l'Empire, le tout sur un ton de si véhémente défense que son confident dut en conclure que le ministre avait dû, dans le cabinet de l'Empereur, rester paralysé devant de trop cruelles récriminations[137].

En rentrant à Paris, le général de Ségur dut être persuadé que Fouché touchait à ses derniers jours ministériels. — Les lettres patentes qui, le 14 octobre, décernaient à l'ancien conventionnel le titre de duc d'Otrante allaient-elles constituer non plus une récompense, mais une consolation ? Pour avoir un moment réveillé le souvenir du proconsul de 1793, le nouveau duc allait-il succomber sous cette trop accablante évocation ? On le crut dans le monde politique, et chacun attendis cette inévitable disgrâce avec des sentiments divers, mais une égale curiosité.

 

 

 



[1] Napoléon à Fouché, 25 mai 1809 (Corr., XIX, 15253).

[2] Cf. Bulletins de mai et juin 1809. L'agitation religieuse est extrême. F7, 3709 et 3763, et AFIV, 1506.

[3] On voit d'après les Bulletins de mai à quel point, depuis la tentative devant Rochefort, les commissaires généraux des côtes, de Marseille à Brest et de Brest à Anvers, sont sur le qui-vive (F7, 3719, 3763).

[4] Bulletin du 28 juillet 1809, F7, 3764.

[5] Le préfet de l'Ourthe à Fouché (Bulletin du 3 août 1809, F7, 3764).

[6] Bulletin du 30 juin 1809, AFIV, 1508 ; et Mém. de Fouché, I, 388.

[7] Fouché fut ministre de l'intérieur du 29 juin au 7 octobre 1809.

[8] MOLÉ, Journal (Rev. de la Rév., mai-août 1888, p. 19).

[9] Réal au duc d'Otrante, 22 novembre 1809, F7, 6540.

[10] Fouché au directeur de l'École, 7 juillet 1809.

[11] Corr. Travaux publics, AFIV, 1056.

[12] Fouché à Napoléon, 4 octobre 1809, A. N. Ministère de l'Intérieur, AFIV, 1060.

[13] Napoléon à Fouché, 28 juillet 1809, Lettres, I, 335.

[14] Lettres et rapporte de Fouché, comme ministre de l'Intérieur, à l'Empereur (ministère de l'Intérieur, A. N. AFIV, 1060).

[15] Fouché à l'Empereur, 17 août 1809, et Rapport du ministre (Intérieur, AFIV, 1060).

[16] Napoléon à Fouché, 29 septembre 1809, Corr., XIX, 15881.

[17] Fouché à l'Empereur, 22 septembre 1809 (Intérieur, AFIV, 1060).

[18] Bulletins de police, juin-octobre 1809, passim, F7, 3719, 3720, 3763, AFIV, 1506.

[19] Note ministérielle, 13 juillet 1809, AFIV, 1506.

[20] Napoléon s'en plaint. Napoléon à Fouché, 16 juillet 1809, Lettres, I, 325.

[21] Bulletins des 16 et 26 mai 1809, F7, 3719.

[22] Bulletin du 24 juin 1809, AF1v, 1508. En même temps il convoqua au ministère, le 30 juillet 1809, les journalistes et les intimida par sa raideur (Note du 1er août 1809, AFIV, 1506).

[23] Bulletin du 13 février 1809, AFIV, 1506.

[24] Bulletins des 20 et 27 juillet 1809, AFIV, 1506.

[25] Bulletin du 9 septembre 1809, AFIV, 1506.

[26] Napoléon à Bigot, 12 septembre ; à Fouché, 15, 23, 24. septembre 1809. Corr., XIX, 15807, 15820, 15842, 15854.

[27] Bulletins des 8 juin (F7, 3763) et 7 juillet 1809 (AFIV, 1506).

[28] Bulletin du 18 octobre 1609, F7, 3765.

[29] Bulletin du 14 octobre 1809, F7, 3765.

[30] Le cardinal Fesch à l'Empereur, 30 septembre 1809, A. N. Cultes, AFIV, 1046.

[31] Circulaire aux préfets et commissaires généraux, 1er octobre 1809, AFIV, 1046.

[32] Napoléon à Fouetté, 26 septembre 1809, Lettres, I, 366 : Je reçois votre Bulletin. Je vois qu'il (Noailles) est très coupable.

[33] Bulletin du 9 juin 1809 (F7, 3763). Bulletins de juin et dossiers Troubles de l'Ouest en 1809, F7, 6356. Cf. pour plus de détails chapitre XV.

[34] Bulletins des 8 et 9 juin, F7, 3763.

[35] Bulletins de juillet-août 1809, F7, 3764, et Dossiers, F7, 6356.

[36] Bulletin du 19 mars 1809, F7, 3719.

[37] Décret du 15 août 1809, Bulletin des lois, IV, 247, n° 4767. Décrets manuscrits. AFIV, 299, pl. 238, 324, pl. 2363, 325, pl. 2364, 2365, 341, pl. 2489, 342, pl. 2490, 2491. Corr., XIX, 15658.

[38] Napoléon à Clarke, 18 juin 1808. Corr., XVII, 14112. Napoléon à Louis, 22 février 1809, XVIII, 14801.

[39] Fouché au commissaire général d'Anvers, 3 juillet. Bulletin, 3-4 juillet 1808. AFIV, 1503.

[40] Le commissaire général d'Anvers au ministre, d'après une lettre de Londres du 1er juillet. Bulletin du 8 juillet 1809, F7, 3764.

[41] Le préfet de l'Ourthe à Fouché, 6 juillet. Bulletin du 6 juillet 1809, F7, 3764.

[42] Lettre d'un ancien législateur de Gand sur la Belgique, Bulletin 12 juillet, F7, 3764.

[43] DE MARTEL, Walkeren, 326-330, d'après une lettre de Decrès à l'Empereur (20 août 1809), AFIV, 1198.

[44] DESMAREST, ch. XV. (N. éd., p. 220.)

[45] Pour tout cet épisode de la descente anglaise et de la levée des cardes nationales, cf. Bulletins d'août et de septembre 1809, F7, 3764, et AFIV, 1505. Lettres de Napoléon d'août et septembre 1806. Corr., XIX, et Lettres, I, 342-363. Corr. de Clarke, AFIV, 1095, 1096 ; de Decrès, AFIV, 1192. DE MARTEL, la Destitution de Fouché, 262-271, et Walkeren, 137, 434, et THIERS, Hist. de l'Empire, livre XVIII.

[46] Prouvons à l'Europe que si le génie de Napoléon peut donner de l'éclata la France, sa présence n'est pas nécessaire pour repousser les ennemis, eût écrit l'audacieux ministre dans une proclamation aux maires de Paris. (Mém. de Fouché, I, 392.)

[47] C'est alors (le 31 juillet) que, désireux de s'assurer la presse, il avait convoqué tous les rédacteurs des journaux de Paris an quai Voltaire et les avait terrifiés par des menaces qu'on le savait fort capable d'exécuter. Note ministérielle du 1er août 1809. AFIV, 1506.

[48] Bulletin du 12 août 1809, F7, 3764.

[49] Bulletin du 12 août 1809 et suivants, F7, 3764.

[50] Bulletin du 21 août 1809, F7, 3764.

[51] DE SÉGUR, III, 406.

[52] SAVARY, II, 293.

[53] Pour le caractère de Bernadotte, cf. l'intéressant volume de M. Ch. Schefer, Bernadotte roi, et le dernier ouvrage de M. C. Pingaud, Bernadotte, Bonaparte et les Bourbons, 1901. (Note de la 2e édition.)

[54] Ordre du jour de l'Empereur, 5 août 1809. Corr., XIX, 15614.

[55] Publiciste du 22 juillet, Napoléon à Fouché, 28 juillet. Lettres, I, 335.

[56] Rapport du comte d'Hauterive favorable à la levée des gardes nationales. ARTAUD, D'Hauterive. — DESMAREST (n. éd. 222 montre que la mesure était indispensable.)

[57] Napoléon à Cambacérès, à Clarke, 8 août. Corr., XIX, 15619, 15620.

[58] Napoléon à Cambacérès, 8 août. Corr., XIX, 15619.

[59] Napoléon à Clarke, 8 août. Corr., XIX, 15620.

[60] Napoléon à Clarke, 10 août 1809. Corr., XIX, 15635.

[61] Napoléon à Cambacérès, 11 août 1809. Corr., XIX, 15633.

[62] Napoléon à Clarke, 11 août. 15636.

[63] Napoléon à Fouché, 9 août 1800. Lettres, I, 342.

[64] Bulletin du 30 août 1809, F7, 3764.

[65] Note ministérielle, 1er septembre 1809. AFIV, 1506.

[66] Bulletin du 7 septembre 1809, F7, 3764.

[67] BALZAC, Une ténébreuse affaire.

[68] Bulletin du 24 août 1809, AFIV, 1506.

[69] Bulletin du 1er septembre 1809, F7, 3764.

[70] Bulletin du 12 septembre 1809, F7, 3764.

[71] Bulletin du 10 septembre 1809, F9, 3764.

[72] Note de l'opposition (Papiers confiés à Gaillard).

[73] Note ministérielle, 17 août 1809, AFIV, 1506.

[74] Fouché au préfet de la Seine et au préfet de police, 20 août 1809. Bulletin du 21 août, AFIV, 1506.

[75] Lettres d'Héliodore, 1798-1814. Le Mans, 1833. Lettre du 20 juillet 1810. Ce mystérieux correspondant de l'Empereur publia ces lettres qui parurent suspectes d'avoir été forgées après coup, encore qu'elles rentrassent assez dans l'esprit et la manière des correspondants secrets de Napoléon : nous sommes en mesure d'en affirmer l'authenticité, car nous en avons retrouvé des copies de l'époque dans les papiers de la secrétairerie d'État.

[76] Bulletin de police du 25 août, F7, 3764, qui vient corroborer un récit de la duchesse d'Abrantès, t. IX, ch. XXI. DESMAREST, 222.

[77] Bulletin du 25 août, F7, 3764, et duchesse D'ABRANTÈS, IX, ch. XXI.

[78] Clarke citait Archambaud de Périgord, de Girardin, de Brégy, de Sourdis, etc. (Clarke à l'Empereur, 26 septembre, AFIV, 1092.)

[79] Fouché à Napoléon, septembre 1809. Ministère de l'Intérieur, A. N., AFIV, 1066.

[80] Clarke à Napoléon, 25 septembre 1809. Ministère de la Guerre, A. N., AFIV, 1095.

[81] Note du préfet de la Seine à Hulin, 23 septembre. Rapport de Hulin à Clarke, 24 septembre. Clarke à Napoléon, 25 septembre, AFIV, 1095.

[82] DE SÉGUR, III, 406-407.

[83] DE SÉGUR, III, 406-407.

[84] Lettres d'Héliodore. Lettre du 30 août 1809, t. II, p. 64 (se trouve manuscrite à la secrétairerie d'État, AFIV, 1506).

[85] Fiévée à l'Empereur, septembre 1809, II, 390.

[86] Clarke a l'Empereur, 7 octobre 1809, AFIV, 1096.

[87] Note ministérielle du 11 octobre 1809 rapportant des propos de Mme de Genlis, AFIV, 1509.

[88] Note ministérielle, 9 octobre 1809, AFIV, 1507.

[89] Bulletins de police, 18 août-20 septembre 1809, F7, 3764.

[90] Le commissaire général d'Anvers à Fouché, 5 septembre. Bulletin du septembre 1809, F7, 3764.

[91] Bulletin du 17 août 1809, F7, 3764.

[92] Bulletin du 17 août, F7, 3764.

[93] Bulletin du 23 août 1809, F7, 3764.

[94] Cf. dans les bulletins du 20 avril au 20 septembre la correspondance quotidienne du commissaire général d'Anvers avec Fouché. Très intéressants pour ces curieux évènements. F7, 3764.

[95] JULLIAN, Mém., 282. Cf. tout le récit de sa mission à Anvers.

[96] Napoléon à Fouché, 4 septembre 1809. Corr., XIX, 15747.

[97] Tout cela était fait avec une ostentation, une mise en scène chère de tout temps à Bernadotte. Certaines scènes racontées par Jullian font sourire. JULLIAN, 282 et suivantes.

[98] DE LABORIE, Un préfet libéral.

[99] Cf. chapitre XXIII.

[100] M. de Lanzac de Laborie, qui est un des travailleurs les plus consciencieux et sait peser toutes choses avec impartialité, doute de la trahison de Montrond et, dans tous les cas, de la connivence de Fouché. M. Sorel croyait Montrond agent de l'Angleterre. M. Masson, qui est prévenu contre Fouché, affirme que le ministre était de connivence avec l'aventurier, d'accord avec Bernadotte. M. de Martel, qui déteste Fouché, croit aussi à sa complicité avec Montrond. La question reste douteuse (DE LABORIE, La Belgique... Appendice XXIV, II, 401, 405). — Un curieux témoignage a été jusqu'ici négligé, c'est celui de d'Aubignosc, à qui ses anciennes fonctions de commissaire général de Police à Hambourg donnent une certaine autorité ; il croyait à la connivence de Fouché et des Anglais ayant pour but la déposition de Buonaparte. Cela est pour lui hors de doute. D'A... (Aubignosc), Conjuration de Malet, 1824. (Note de la 2e édition.)

[101] A. DELACOUR, le général Sarrasin, Revue bleue, 6 juillet 1895.

[102] Note ministérielle, 9 octobre 1809, AFIV, 1507.

[103] FAUCHE-BOREL, IV, 75, ajoute que Fouché était d'accord avec Bernadotte, une partie du Sénat et de l'armée. SAVARY, IV,  203.

[104] Napoléon à Fouché, 16, 17, 22 août, 10, 14, 18 septembre 1809. Corr., IX, 15668, 15670, 15811. Lettres, I, 352, 363.

[105] ARTAUD, le Comte d'Hauterive.

[106] Napoléon à Fouché, 27 septembre 1809. Corr., XIX, 15855.

[107] Napoléon à Cambacérès, le septembre 1809, Corr., XIX, 157.

[108] DE SÉGUR, III, 405. Le maréchal Sérurier s'empressa d'aller présenter l'état-major reformé à Clarke, comme pour rétablir la discipline. Clarke à Napoléon, 26 septembre, AFIV, 1095.

[109] SAVARY, IV, 203. Propos de Mme de Genlis rapportés par Fouché lui-même. Note ministérielle, 11 octobre 1809, AFIV, 1517.

[110] Napoléon à Fouché, 26 septembre 1809. Corr., XIX, 15866.

[111] Napoléon à Fouché, 30 septembre, 2 octobre 1809. Corr., XIX, 15883, 15892.

[112] Napoléon à Clarke, septembre 1809. Corr., XIX, 15713.

[113] JULLIAN, Souvenirs.

[114] Napoléon à Fouché, 4 septembre 1809. Corr., XIX, 15747. L'Empereur dans cette lettre se montrait exaspéré notamment des éloges décernés au maréchal par les agents de la police.

[115] Dans la lettre du 11 septembre (Corr., XIX, 15787), Napoléon revenait en termes amers sur le passé du maréchal, sa conduite à Iéna, à Austerlitz, à Eylau, ses intrigues à Paris.

[116] Napoléon à Clarke, 11 septembre 1809 (Corr., XIX, 15785).

[117] Napoléon à Fouché, 12 septembre (Lettres, I, 361).

[118] JULLIAN, 282.

[119] Clarke â Fouché, 30 septembre 1809. Ministère de la Guerre, A. N., AFIV, 1096.

[120] Clarke a Napoléon, 7 octobre 1809, Ministère de la Guerre, A. N., AFIV, 1096.

[121] Propos attribué par le duc d'Otrante à Mme de Genlis. Note ministérielle du 11 octobre 1809. AFIV, 1507.

[122] Note ministérielle du 11 octobre 1809, AFIV, 1507. SÉGUR, III, 408.

[123] Lettres d'Héliodore. Lettre du 6 octobre, II, 65.

[124] Note ministérielle, 26 septembre 1809, F7, 3764.

[125] Note au Bulletin du 21 octobre 1809, AFIV, 1506.

[126] Note au Bulletin du 21 octobre 1809, AFIV, 1506.

[127] Le duc d'Otrante au roi Joachim, 4 octobre 1809. (CHARAVAY, Catalogue, 21 mai 1892.)

[128] Propos rapporté par Mme DE CHÂTENAY, II, 97, 98.

[129] Note ministérielle, 11 octobre 1809, AFIV, 1507.

[130] Napoléon à Fouché, 5 septembre 1809. Corr., 13753.

[131] E. DAUDET, 270-279.

[132] SAVARY, IV, 240.

[133] Napoléon à Cambacérès, 12 septembre 1809. Corr., XIX, 15790. L'Empereur affectait, du reste, de n'avoir jamais songé à confier définitivement à Fouché le portefeuille de l'Intérieur.

[134] MOLÉ, Journal (Revue de la Révolution française, mai-août 1888, p. 19).

[135] Napoléon au duc d'Otrante, 21 octobre 1809. Corr., XX, 15964.

[136] THIERS, d'après CAMBACÉRÈS, Hist. de l'Empire.

[137] DE SÉGUR, III, 411.