FOUCHÉ (1759-1820)

DEUXIÈME PARTIE. — LE MINISTRE FOUCHÉ (1799-1810) (suite)

 

CHAPITRE XVI. — LA RÉVOLUTION DANS L'EMPIRE.

 

 

Fouché se réinstalle. Nouvelle allure des affaires. Fouché met fin à l'agitation en faveur de Moreau. — Première lutte contre les nobles rentrés. Premiers dissentiments à ce sujet entre le ministre et l'Empereur. — Activité de Fouché dans l'Ouest : l'Agence anglaise de Bordeaux ; répression des agents royalistes dans le Midi. — Fouché prend vis-à-vis du clergé une attitude hautaine ; il impose la tolérance et poursuit la contre-révolution. Mécontentement extrême du parti réacteur. Lutte de Fouché contre les publicistes du parti. — Fouché terrifie les agents anglo-royalistes à l'étranger. — Il bat ainsi la contre-révolution sur tous les terrains. — L'Empereur est partagé entre l'estime et l'inquiétude. — Fouché continue la lutte ; il déjoue une importante intrigue royaliste dans le Midi, — L'Empereur soupçonne Fouché d'intelligence avec les royalistes ; ceux-ci commencent à désirer l'appui de Fouché. — Autres motifs du mécontentement de l'Empereur ; Fouché et la haute finance ; Fouché mène la campagne en faveur de la paix après Austerlitz ; extrême irritation de l'Empereur contre son ministre. — Fouché la fait éclater sur le faubourg Saint-Germain. Il fait au contraire le silence sur un complot républicain. — Fouché entraine l'Empereur dans sa campagne contre les éléments de droite. — Nouvelle agitation dans l'Ouest ; hauts faits du brigand Lahaie Saint-Hilaire ; organisation du camp volant de Pontivy. Fouché paralyse ainsi une nouvelle insurrection au moment où l'Empereur est en Prusse. — Les chouans tentent un nouveau coup. — Armand Le Chevalier à Paris ; il prépare un soulèvement de la Normandie. — Rôle de d'Aché. — Fouché est absorbé par l'agitation de la Bretagne. Échec des projets de l'agent Prigent. Prise et exécution de La Haie Saint-Hilaire. — Fouché se retourne vers la Normandie ; arrestation et exécution de Le Chevalier et de ses complices. Fuite de d'Ache. — Arrestation d'agents royalistes en Italie et sur le Rhin. — Il frappe Fiévée et Geoffroy et rappelle à l'ordre les préfets favorables au ralliement de droite. — Les royalistes terrorisés essayent une autre tactique ; on veut gagner Fouché ; singulière intrigue l'affaire Perlet ; piège tendu au ministre par le préfet de police ; Fouché évite le piège, s'empare de l'affaire et l'étouffe. — Fouché mène une nouvelle campagne pour la paix. — Napoléon reparaît à Saint-Cloud. — Crédit de Fouché. Il devient le ministre le plus important. Lutte contre les jésuites, rigueurs contre des sermonneurs inconsidérés. Prigent reparaît en Bretagne ; nouvelle poursuite ; prise importante du redoutable agent. — Le triomphe de la politique de Fouché semble complet.

 

Le 22 messidor an XII (11 juillet 1804), le Moniteur publiait le double décret suivant :

M. le sénateur Fouché est nommé ministre de la Police générale.

Le ministère de la Police générale est rétabli[1].

 

Dès le 22, Fouché avait reparu à l'hôtel de Juigne, où jadis, il y avait alors cinq ans, l'avait introduit la confiance de Barras et de Sieyès. Il s'y réinstallait, cette fois, bien résolu à s'y maintenir envers et contre tous, et il allait, de ce cabinet retrouvé, tenir pendant six ans dans sa main nerveuse, ferme et souple, les fils de la police et fort souvent de la poli - tique intérieure de l'Empire.

La réorganisation de la Police générale, de sa police secrète et des services divers de son département aurait suffi à absorber l'activité d'un homme d'État ; s'il avait entre les mains tous les éléments de cette reconstruction, elle n'en restait pas moins à faire[2]. Elle ne l'absorba pas : la machine fonctionnait, avant même que tous les rouages en fussent adaptés et perfectionnés. Dès les premiers jours, on put voir que ce n'était décidément pas un simple policier qui s'était réinstallé au quai Voltaire, mais le ministre politique de l'Empire. A lire simplement les bulletins de police, on sent à cette date même de messidor an XII qu'un changement considérable vient de se produire. Le bulletin devient en quelques jours plus considérable, embrassant du coup toutes les affaires intérieures de l'Empire, touchant à toutes les branches de l'industrie nationale ; on y sent aussi revivre, dans la coordination des articles et dans les rapprochements qui en sont faits, l'esprit net, précis, méthodique et ingénieux de Joseph Fouché.

Sa première mesure put, du reste, tranquilliser les esprits. Elle était toute de pacification et de tact. Le préfet de police Dubois ayant pris, en vertu d'un ordre de Régnier, un arrêté astreignant les individus rayés de la liste des émigrés à se présenter toutes les semaines, à jour fixe, rue de Jérusalem, pour y signer sur un registre ouvert à cet effet, Fouché, jugeant l'arrêté inutile, vexatoire et blessant, le révoqua purement et simplement[3]. C'était à la fois réprimer d'un seul coup les velléités d'indépendance du préfet de police, satisfaire les victimes de l'arrêté et faire éclater dans une première décision son désir de calmer les esprits encore fort agités. Il se faisait, d'autre part, communiquer les listes de prisonniers et transformait en mises en surveillance nombre de détentions arbitraires[4] ; on voyait descendre en un mois de près de quatre cents le nombre des seuls prisonniers détenus au Temple[5]. Mais pour faire bien entendre qu'il ne voulait pas être dupe de ces mesures d'indulgence ou de justice, il organisait entre les préfets des départements et la préfecture de police une correspondance destinée à rendre étroite et méthodique la surveillance des amnistiés[6]. Il profitait, d'autre part, de toutes les occasions pour faire sentir aux préfets de l'Empire qu'ils devaient dorénavant en toute chose recevoir le mot d'ordre de quai Voltaire, et que l'anarchie policière était close[7].

Il fallait en effet, dès le début, opposer cette politique, habilement faite de fermeté et de modération, aux dernières agitations que provoquaient dans le pays les suites de la terrible affaire, fruit de l'incurie et de l'affolement de ses prédécesseurs. Moreau était encore en France, en butte aux espérances, aux sollicitations des partis opposants, et l'aristocratie semblait moins reconnaissante à l'Empereur de la clémence témoignée aux Polignac qu'irritée de l'avoir vu s'arrêter en chemin, car Napoléon avait prescrit à l'égard des nobles complices de Georges, restés captifs, la rigueur la plus étroite[8].

Fouché était l'ami de Moreau : cette amitié allait lui servir pour terminer sans rigueur toute cette malheureuse affaire. Il le vit, lui persuada de dédaigner une popularité d'assez mauvais aloi, puisque les amis du prétendant semblaient disposés à faire du soldat de la Révolution leur homme à tout faire, le poussa à quitter promptement la France, lui facilitant ce départ en faisant acheter ses biens et lui laissant espérer un avenir meilleur, s'il savait se résigner et patienter[9]. Moreau décidé à partir, restaient ses partisans moins résolus à désarmer. Le ministre paralysa les efforts de la propagande : il vit le tribun Moreau, frère du général, le décida à s'opposer à la réimpression du superbe et dangereux plaidoyer de Bonnet, et lui fit signer une lettre où il désavouait l'agitation faite sur le nom de son frère[10]. Ce fut un coup droit porté à ce mouvement[11].

Il calmait de même et désarmait le faubourg Saint-Germain en prenant, vis-à-vis des Polignac, des mesures qui, sans être en contradiction formelle avec les ordres rigoureux de Napoléon et de Moncey, devaient singulièrement adoucir la détention des amis du comte d'Artois : la princesse de Polignac prit, dès lors, l'habitude d'aller confier au ministre ses requêtes et ses chagrins[12].

Acte de pure gracieuseté, du reste, que cette mesure, et témoignage d'un simple désir d'apaisement, car, à la même heure, Fouché s'occupait fort activement à faire prévaloir sa politique contre-réactionnaire. Il en trouva facilement l'occasion. Les rapports des préfets qu'il avait trouvés au quai Voltaire ne lui laissaient rien ignorer de l'influence tons les jours grandissante que prenaient depuis deux ans en province les nobles rentrés : cette influence fut visible, quand, appelés à désigner des représentants au sacre, certains collèges électoraux élurent la fine fleur de l'aristocratie à peine rentrée, mal ralliée, ouvertement hostile, sinon à l'Empire, du moins à la Révolution, adversaire de ses principes, de ses institutions et de ses hommes, des d'Andigné, des Contades, des Labourdonnaie : d'autres nobles étaient envoyés dans les conseils généraux, tout prêts à y faire triompher la réaction. Et le pire était que l'Empereur paraissait flatté et satisfait de ces choix. Fouché parut peu se soucier de consulter les goûts du souverain : de son autorité privée, il ordonna aux préfets de casser ces choix et d'en prévenir d'analogues, sous prétexte que les amnistiés étant sous la surveillance de la haute police, la plupart de ces nobles personnages ne pouvaient accepter de fonctions ni de missions sans l'autorisation du ministre[13]. L'Empereur parut fort irrité de cette mesure, en fit l'objet d'une lettre où il soutenait qu'on ne pouvait priver les amnistiés de leurs droits politiques, puisqu'il s'en trouvait déjà dans le Sénat, au conseil d'État et dans les autres fonctions publiques[14]. C'était bien là ce que le ministre entendait désapprouver et enrayer, ce ralliement trop hâtif, à son sens, des ennemis de la veille, et, dès les premières semaines, il se faisait signaler par les préfets, dont les rapports figuraient par leurs extraits les plus édifiants dans le bulletin transmis à l'Empereur, les anciens nobles comme des ennemis incorrigibles, quoique parfois hypocrites, des institutions existantes, les adversaires des acquéreurs des biens nationaux et des meilleurs serviteurs de l'Empire[15]. C'était tenir en éveil les défiances du maître[16].

Aussi bien, des incidents qu'il savait exploiter montraient, en dépit des idées de l'Empereur, le péril à droite. A Paris même, Fouché n'hésitait pas à poursuivre et frapper une association royaliste, enfermant à la Force les chefs de la société, en exilant les membres[17]. Mais c'était surtout dans l'Ouest qu'il croyait nécessaire de frapper vite et fort. Son premier coup de main avait été heureux. Quelques jours après son retour au pouvoir, il offrait, en guise de don de joyeux avènement, à l'Empereur la tête d'un des plus redoutables lieutenants de Georges, le brigand Carfort, capturé en Bretagne[18], et le jour n'était pas loin où il allait atteindre et saisir un autre lieutenant du grand chef disparu, Guillemot, près de Vannes[19]. Il savait que ces captures sans doute fructueuses décapiteraient certaines bandes, mais ne suffiraient pas à pacifier l'Ouest. Il fallait prendre le mal à sa racine, extirper le germe de l'ulcère, et il s'y appliquait. Ce fut une grande entreprise que la reconstitution au ministère de cette topographie chouannique, de cette biographie chouannique dont il a été parlé ailleurs[20]. Le ministre avait exigé qu'on reprit les vieux rapports, qu'on lui en fit un fort long, fort détaillé de tous les faits qui s'étaient produits dans l'Ouest, depuis le jour où Cathelineau avait levé l'étendard de la révolte jusqu'aux derniers exploits de Georges[21]. Son infatigable mémoire aidant alors sa naturelle sagacité, il lui arrivait de prévoir quels germes d'agitation restaient à étouffer dans ces restes terrassés de l'ancienne Vendée. Or, à son arrivée même au ministère, il trouvait mystérieusement organisée une redoutable conspiration qui devait attirer son attention et lui permettre d'agir.

Le récit de cette conspiration dite de l'Agence anglaise de Bordeaux a été fait ailleurs[22]. Le secret s'en trouve en de volumineux cartons, qui, par l'abondance des pièces qui les composent, prouvent quelle attention la police de l'Empire apporta à la réprimer.

Une série de révélations partielles, habilement rapprochées, avaient mis, dès août 1804, la police sur la trace d'une conspiration qui, encore dans l'œuf, semblait néanmoins destinée à prendre promptement un grand développement. Toute une bande hétéroclite d'agents obscurs semblait avoir préparé tous les moyens nécessaires à un soulèvement, armes, argent, cadres du commandement, listes de mobilisation. Des arrestations, frappant juste, avaient jeté entre les mains de la police les principaux meneurs, dont quelques-uns avaient trahi leurs complices, si bien qu'en septembre 1804, le ministre de la Police se trouvait en présence d'une agence royaliste dont le siège semblait être à Bordeaux, la ville incorrigible, centre de toute action contre-révolutionnaire, entretenant une correspondance active avec une sous-agence de Nantes et plusieurs points de la Vendée, où se préparait par ce moyen une insurrection nouvelle. Les fonds étaient roumis par l'Angleterre, 1.500.000 francs par mois. Au moment où l'Empereur, que menaçait la guerre étrangère, serait loin de France, le comte d'Artois débarquerait, ou quelque autre prince, et l'on verrait les anciens chefs de la Vendée, Suzannet et d'Autichamp notamment, diriger une armée dont la concentration devait se faire aux Sables-d'Olonne. Les fonds destinés à payer armes, enrôlements, transports, parvenaient à Bordeaux par Madrid, où un banquier, Diego Carrera, ancien émigré français, disposait de sommes importantes de provenance anglaise. Le mystère dont on avait pu s'envelopper, dénotait une assez rare et dangereuse habileté. Au surplus, au-dessus de sous-ordres qui avaient déployé de rares qualités de dissimulation et de discipline, on trouvait des chefs que la police connaissait bien, Henri Forestier, l'ancien commandant de la cavalerie vendéenne, un lieutenant de Stofflet, Puisaye, et Georges, qui s'était enfui, en 1800, de Lyon, où il conspirait, en Espagne ou en Portugal, et le chevalier de Céris, dangereux chouan, condamné à mort par contumace en l'an VIII et qui avait reçu probablement en 1802 et 1804 la mission d'assassiner Bonaparte. Les deux hommes, profitant de l'incroyable incurie de la police avant messidor an XII, avaient pu vivre impunément à Bordeaux, se livrant aux démarches les plus graves pour embaucher les de L orges et les Larochejacquelein, correspondant avec l'Angleterre, recevant leur argent de Madrid, intriguant dans l'Ouest et le Midi. Ils avaient, du reste, à Bordeaux, un agent actif, moins compromis qu'eux, un certain Élie Papin, qui, de concert avec les chefs chouans, Bertrand Saint-Hubert, Daniaud-Duperat et autres, avait semé dans le Bocage les premiers germes de la future insurrection[23].

La police n'était pas outillée comme elle le fut depuis. On laissa échapper les chefs de l'association, personnages qu'on retrouva plus tard en d'autres affaires : ils avaient eu le temps de s'enfuir. Mais l'agence était éventée, le soulèvement projeté impossible. C'était pour le moment la chose importante. Fouché n'était pas homme à négliger de pareilles circonstances : son rapport à l'Empereur sut faire ressortir ce qu'avait d'audacieux une pareille tentative quelques semaines après l'exécution de Georges, et persuada une fois de plus au maitre que, souverain de la Révolution, il avait en ses ennemis d'irréconciliables adversaires que ni les avances ni les concessions ne rattacheraient sincèrement à son gouvernement[24].

L'alerte, au surplus, avait été chaude, et elle était justifiée. La région même où l'agence avait établi son centre d'action et d'agitation préoccupait fort le ministre. L'intrigue s'était étendue de Nantes à Bayonne, paraissant préparer ce que Fouché devait toujours redouter, la jonction des révoltés de l'Ouest et de ceux du Midi[25]. Or le Midi, à cette heure, ne l'occupait pas moins que l'Ouest. Dès le 22 thermidor, il avait appliqué à la vallée du Rhône les mêmes mesures qu'à la Vendée : les anciens émigrés de Toulon, les anciens barbets, les soldats de Willot avaient été sur son ordre l'objet d'une surveillance spéciale, quelques-uns expulsés, les suspects arrêtés[26], et, à l'heure même où Carfort était pris en Bretagne, l'un des plus actifs agents de Willot, Francoul, était saisi en Provence[27], si bien que, cinq mois après son avènement, les centres d'agitation royaliste semblaient, sinon définitivement pacifiés, du moins si étroitement surveillés dans l'Ouest et le Midi qu'aucune conspiration comparable à celle de Bordeaux ne devait désormais y éclore.

Ces actes valaient mieux que des paroles pour affirmer la politique très ferme et parfois sévère qui allait être celle de Fouché vis-à-vis des conspirateurs royalistes.

Il avait également tenu à manifester ses intentions vis-à-vis du clergé et à établir très nettement les principes de sa politique religieuse. Une circulaire d'un style assez hautain avait été adressée aux évêques par le nouveau ministre. Cette lettre, qui débutait par ces mots singulièrement insolents : Il y a plus d'un rapport entre vos fonctions et les miennes, était peut-être le premier et le plus cynique aveu de la singulière conception que nombre d'hommes d'État conservateurs se sont faite du clergé catholique en ce siècle : Notre but commun est de répandre une morale qui, si elle est suivie, serait, elle seule, le meilleur ordre social. Il insistait sur l'obligation stricte où se trouvait le clergé concordataire de s'appuyer sur le gouvernement et de le servir contre les prêtres réfractaires, dévoués aux Bourbons et hostiles à l'Empire, contre lesquels son indignation et sa verve se dépensaient en termes véhéments. Prétendraient-ils, disait notamment le futur ministre de Louis XVIII, que la vraie religion n'est pas rentrée dans nos temples parce que les Bourbons ne sont pas remontés sur le trône ? Mais quel autre trône que celui du Souverain Pontife a pu avoir avec la religion catholique une alliance nécessaire ? Dans quel symbole de la foi et dans quelle tradition révérée pourraient-ils nous indiquer la moindre liaison entre la dynastie des Bourbons et l'existence pure et sans tache de l'Église gallicane ?[28]

C'était prêcher des convertis, puisque la circulaire s'adressait à un Fesch, à un Cambacérès, à un Pancemont et à un Bernier ; mais le ministre croyait devoir insister plus longuement sur un autre point. Il savait l'Église prête à accepter le nouveau pouvoir, il était moins persuadé qu'elle le fût à respecter et pratiquer la liberté et l'égalité des cultes, en un mot les principes religieux de la Révolution. La liberté des cultes, disait, à ce sujet, l'ancien ami de Chaumette, est une loi de l'Empire ; elle est aussi sacrée que la religion. Elle est promulguée aujourd'hui par toutes les nations éclairées : il ne vous est plus possible d'étendre les conquêtes du culte dont vous êtes les ministres que par vos talents et par vos vertus évangéliques. Dans la société où nous sommes, la meilleure de toutes les religions paraîtra toujours celle qui prêtera le plus d'appui à la moral des hommes et à leurs lois. Le sceau divin d'un culte est d'être bienfaisant comme la divinité même. Le gouvernement reconnaîtra que vous avez rempli sa confiance, lorsque, sous l'influence de vos prédications, il verra les préjugés et la superstition se dissiper, l'amour de toutes les choses utiles à la patrie se nourrir dans les temples, devant les images de la divinité, et les prospérités de l'Empire devenir pour tous ceux dont vous gouvernez les consciences le gage le plus certain des titres qu'ils auront acquis aux récompenses que la religion leur promet[29].

Quelques mois après cette circulaire, où, sous une phraséologie autoritaire, on sentait au fond un scepticisme presque railleur, Fouché adressait aux prélats une seconde lettre pour leur enjoindre d'affermir de plus en plus la paix intérieure, d'éteindre les derniers germes de toutes les discordes, de resserrer les liens de la fraternité commune, d'étendre enfin les bienfaits de cette sage et douce tolérance hors de laquelle il n'y a point de charité[30].

Les évêques avaient répondu à la première circulaire en protestant avec vivacité de leurs intentions formelles de faire respecter par tous la Constitution et le Concordat. Mais le ministre, que ne satisfaisaient pas les mots, faisait observer à l'Empereur que les actes n'étaient pas à la hauteur des paroles, les évêques violant ou laissant violer à tout moment Constitution et Concordat, favorisant l'établissement des congrégations interdites, se livrant à des manifestations suspectes, célébrant les fêtes abolies, souffrant de leurs subordonnés les plus graves atteintes à la tolérance et à la liberté de conscience[31]. Lui ne se laissait pas intimider ; il avait, quinze jours après son avènement aux affaires, fait dissoudre pour l'exemple trois communautés religieuses à Blois[32], et surveillait d'un œil attentif et malveillant les efforts des Pères de la foi pour s'installer dans la vallée du Rhône[33].

On pense si une pareille attitude vis-à-vis de ce qu'on peut appeler les éléments de droite, devait concilier à l'ancien proconsul les sentiments de la coterie réactrice. Le principal organe de ce petit groupe était Fiévée, qui, dans le Mercure, se faisait l'adversaire parfois violent de la Révolution, des républicains et des philosophes[34]. Le pire était que le publiciste réacteur était un des correspondants secrets de l'Empereur, qui le tenait en estime, lui et beaucoup de ses idées. Fouché n'ignorait pas que les attaques de Fiévée n'avaient pas peu contribué à le faire éloigner, en 1802, et la persistante animosité du correspondant de l'Empereur pouvait l'effrayer à très juste titre. Il engagea délibérément la lutte avec lui, frappa le Mercure et son rédacteur à la suite d'un article sur Bailly et Mirabeau, des plus hostiles à la Révolution, et essaya de ruiner dans l'esprit de Napoléon le publiciste qui traînait dans la boue, déclarait le ministre, tous ceux qui ont pris une part quelconque à la chute des Bourbons et proclamait la légitimité de l'ancien régime[35]. Croyant avoir gagné l'Empereur, le ministre frappait de nouveau le Mercure, ainsi que le Journal des Débats, rédigé dans le même esprit[36].

C'était, en somme, affirmer sur tous les terrains, contre les royalistes, contre les prêtres mal disposés ou intolérants, contre les réacteurs ralliés à Napoléon, que l'institution de l'Empire, né de la Révolution, ne pouvait, ne devait entrainer contre ses principes aucune réaction, et que le jacobin, devenu Excellence, ne se croyait pas tenu, en déposant le bonnet rouge, d'abdiquer toutes les idées qu'il avait jadis abritées[37].

Son activité ne s'arrêtait pas là. Mi dehors, les agents anglais soutenus, inspirés, renseignés et entourés par les agents royalistes, se livraient à toutes les intrigues ; Hambourg, peuplé d'émigrés, en était devenu le centre. L'agent Rumbold y représentait autant le comte de Lille que le roi George, et dans un milieu d'émigrés aigris, de chouans vagabonds et de royalistes exaspérés, se faisait le syndic de toutes les haines et l'inspirateur de toutes les intrigues. Fouché s'en plaignit, provoqua la mesure à laquelle se décida l'Empereur en vendémiaire an XIII. On faisait, à cette date, enlever Rumbold par un hardi coup de main, qui amenait à Paris l'agent anglo-royaliste, pieds et poings liés. Fouché n'aimait pas qu'on poussât, trop loin la violence ; il interrogea l'agent, atterré par le souvenir du duc d'Enghien, en tira des renseignements, et, le 11 novembre suivant, lui donna la clef des champs, ayant obtenu ce qu'il voulait, car la société royaliste de Hambourg, trouvant désormais le lieu peu sûr, sembla renoncer à agiter l'Allemagne contre l'Empire et se dispersa[38]. La déconfiture de la contre-Révolution parut dès lors complète. Il n'avait fallu que quatre mois au ministre (messidor an XII, brumaire an XIII) pour la battre sur tous ses champs de bataille.

Il semblait moins pressé ou moins décidé à agir contre les républicains. Leurs violentes manifestations, leurs placards contre l'Empire et en faveur de Moreau restèrent sans suites, Fouché faisant observer qu'on avait, en provoquant le départ du général, suffisamment paralysé le mouvement. Seul, sur l'avis du ministre, le général Malet paya pour tous les autres ; cet officier républicain fut destitué de son commandement en thermidor an XII, et cet exemple parut suffisant[39].

Toutes ces mesures n'avaient pas été sans provoquer parfois, chez l'Empereur, un mécontentement ou une inquiétude mal dissimulée[40]. Mais le ministre ayant parfois passé outre, les résultats étaient venus justifier ses actes. Dès le commencement de 1805, la confiance de Napoléon parut de nouveau entière en son ministre. Nommé le 23 pluviôse an XIII (11 février 1805) grand aigle de la Légion d'honneur[41], Fouché recevait du maître les témoignages réitérés d'une éclatante confiance pour son zèle et son attachement à sa personne[42].

Aussi bien l'Empereur sentait le besoin de bien affirmer derechef cette confiance, pour les mêmes motifs qu'à la veille de Marengo. Napoléon allait quitter Paris et la France, et croyait bon de rassurer le ministre, dès lors fort puissant, et partant plus dangereux, sur le crédit dont il jouissait. Pendant qu'à Londres, à Vienne et à Saint-Pétersbourg, se préparait la coalition qui allait, à la fin de 1805, entraîner en Allemagne le nouvel empereur, celui-ci se rendait en Italie, où, couronné à Milan roi d'Italie, il passait les mois d'avril, mai et juin 1805. Il n'était de retour à Fontainebleau que le 11 juillet. Il eût eu quelque raison de renouveler alors à son ministre les témoignages de sa satisfaction, car, durant cette absence, celui-ci venait de démasquer une nouvelle intrigue anglaise et d'étouffer dans l'œuf une nouvelle tentative de conspiration royaliste. En floréal an XIII (avril-mai 1805) il avait, grâce à une surveillance étroite, à des informations de ses agents secrets de Londres et à une patiente recherche, saisi deux agents du trop fameux baron d'Imbert, envoyés par ce dangereux personnage en France pour essayer de provoquer dans la vallée du Rhône un soulèvement royaliste, à l'heure ou l'Empereur serait occupé en Allemagne par la coalition menaçante. Ces deux malheureux, anciens officiers de la marine, Dubuc et Rossolin, qui, s'il faut en croire le rapport du conseiller d'État Pelet de la Lozère à Fouché, avaient pour mission non seulement l'espionnage au profit de l'Angleterre des forces françaises, mais un changement dans la forme du gouvernement, furent arrêtés, traduits en justice, sur l'ordre de l'Empereur du 26 floréal an XIII, et fusillés le 11 prairial. Un autre agent d'Imbert, Laa, envoyé à la recherche de ces émissaires, fut à son tour signalé, grâce aux correspondants de Fouché à Londres, suivi à la poste, saisi et exécuté en messidor an XIII (juin-juillet 1805)[43]. Ce triple exemple fut salutaire ; le baron d'Imbert renonça, pour le moment, à agiter le Midi, et la tranquillité imposée à cette région ne sembla méprisable à personne, et le parut moins encore à ceux qui, plus tard, constatèrent avec quelle fureur les passions royalistes, après avoir couvé pendant ces dix aimées d'Empire, se réveillèrent, en 1814 et 1815, dans la vallée du Rhône.

***

Napoléon cependant se montra assez peu sensible à cc résultat. Fouché lui donnait du souci ; il ne s'en cachait pas. Les royalistes de l'Ouest et du Midi paralysés dans leurs efforts, il lui paraissait que le ministre, satisfait d'avoir ainsi étouffé dans l'œuf les conspirations naissantes, semblait plus disposé à ménager le parti comprimé qu'à l'achever. Le maitre se répandait en plaintes amères sur la faiblesse de la police[44]. Un vague soupçon de trahison perçait déjà dans la lettre du 29 août[45]. Peut-être l'Empereur n'avait-il qu'à moitié tort. Les efforts de Fouché pour lutter partout contre les royalistes semblaient réellement une raison en plus pour l'ex-conventionnel de redoubler d'obligeance envers le faubourg Saint-Germain, et tels étaient ses ménagements, que, de ce côté, on commençait à se faire illusion et à fonder quelques espérances sur ce singulier et énigmatique politicien. Peut-être Napoléon, servi par sa police personnelle, notamment par le préfet de police Dubois, n'ignorait-il rien de ces compromettantes espérances. Quoi qu'il en fût, c'est à cette époque qu'on voit un des agents les plus actifs de Louis XVIII, Fauche-Borel, écrire à lord Grenville qu'il conseillait aux royalistes d'épauler le parti de Fouché[46]. Il est vrai que ce Fauche-Borel, esprit trouble et fumeux, citait comme pouvant un jour entrer dans une conspiration contre l'Empire, avec Lanjuinais, Boissy d'Anglas, Brune, Lecourbe et Jourdan, des gens d'une fidélité plus éprouvée, comme Pontécoulant, Lebrun, Macdonald. C'était de ces éléments que l'agent forgeait une conspiration dont Fouché &il, eu la direction. Son concours semblait indispensable. Comme Fiévée, dans ses lettres à l'Empereur, Fauche-Borel, dans son rapport au ministre anglais, présentait le ministre de la Police comme disposant des deux partis d'opposition, royaliste et jacobin. Fouché connaît, ajoutait alors l'agent royaliste, les intentions du roy, et c'est lui, malgré que les apparences soient contraires, qui a sauvé et sauve encore les vrais amis de la cause du roy. Et il citait des cas où l'habile indulgence du ministre pouvait passer, en effet, pour un calcul profond ou une systématique bienveillance[47]. A quels incidents, à quelle démarche pouvait faire allusion l'agent royaliste quand il écrivait ces mots si affirmatifs : Il connaît les intentions du roy ? Les papiers de d'Antraigues et les Mémoires de d'Andigné peuvent peut-être nous en livrer le secret. Il paraît certain que dans le courant de l'année 1803, Suzannet et d'Andigné étaient venus frapper à la porte de d'Antraigues et lui avaient assuré que, de relations récentes avec Fouché, il s'était formé chez eux la conviction qu'il n'était pas besoin d'une ingérence étrangère pour renverser le gouvernement impérial, donnant à entendre que Fouché lui-même pouvait servir de promoteur à ce mouvement[48]. C'était, dans tous les cas, une opinion qui commençait à faire son chemin à Londres dans les milieux royalistes et au sein même du cabinet de Saint-James[49].

Ces racontars étaient-ils de pure fantaisie ? Fouché avait-il été pressenti ? Réellement pressenti, avait-il prêté une oreille attentive aux offres de service des agents royalistes ? On sait qu'il était abordable, peu scrupuleux sur les devoirs d'un ministre loyaliste ; mais on sait aussi qu'il était fort probablement sceptique sur l'avantage qu'il pouvait trouver personnellement à renverser Bonaparte au profit du frère de Louis XVI, et, dans tous les cas, trop habile pour avoir répondu catégoriquement. Il avait sans doute écouté et souri : c'était dans ses habitudes. Les partis proscrits, toujours battus, ayant l'illusion tenace, il n'en fallut sans doute pas plus pour faire naître dans l'esprit des Fauche et des d'Andigné l'idée singulière de transformer hypothétiquement l'homme de Lyon en restaurateur de la monarchie légitime. Quant à Bonaparte, il ne savait que penser devant certaines bienveillances, certaines indulgences incompréhensibles de l'ancien conventionnel envers l'aristocratie non ralliée. Et peut-être étaient-ce les seuls et mêmes faits qui éveillaient les espérances des agents de Louis XVIII et les défiances de Napoléon.

Désir de combattre ces défiances ou de compromettre le maitre, Fouché continuait, il est vrai, à prêcher à l'Empereur la rigueur envers le parti royaliste en masse. Tandis qu'à la fin de 1805, il persistait, au dire de d'Hauterive, à tirer bon parti des jacobins qu'il avait réconciliés[50], il dénonçait aux sévérités de l'Empereur et les salons de Mme de Lusignan, foyer de propos malveillants[51], et les exploits de certains brigands dans les landes bretonnes[52].

Malheureusement Napoléon, alors absent de Paris, avait d'autres motifs de défiance. Son ministre de la Police, après un an de pouvoir, lui paraissait avoir pris une place vraiment trop prépondérante non seulement dans le gouvernement, mais encore dans la société parisienne la moins orthodoxe. En décembre 1805 et janvier 1806, les relations amicales de Fouché avec les opposants, royalistes et républicains, l'irritaient peut-être moins que les liens qui l'unissaient au monde des affaires[53]. Les opérations des Négociants réunis avaient exaspéré la haine de l'Empereur contre les gens des finances, et Fouché ne perdait pas une occasion de les défendre. Il vivait d'eux, ne laissant pas dormir ses capitaux, et les ménageait d'autre part en vue d'éventualités possibles[54] ; car, aux veilles de grandes batailles, le ministre, toujours prêt à recevoir de mauvaises nouvelles, défaite ou mort, entendait avoir en main tous les atouts. Ce fut le cas en décembre 1805. Ses collègues le trouvaient bien puissant, se plaignaient de ses usurpations ; il les voulait tous contrôler, prétendant à une certaine suprématie et, en l'absence de l'Empereur, à une sorte de dictature de salut public. Les conflits étaient fréquents : la Marine, l'Intérieur, les Finances, les Relations extérieures s'insurgeaient contre les abus des agents de la police, et Talleyrand, notamment, souffrait difficilement les articles inspirés à la presse par le ministre de la Police réclamant la paix à cor et à cri. C'était gêner les Relations extérieures[55].

Le fait est que sans paraître craindre le courroux de l'incorrigible guerrier son maître, Fouché parlait de paix avec audace. Avant Austerlitz il avait prôné la paix : la grande victoire ne lui paraissait qu'une occasion de la faire belle, mais immédiate. L'épouvantable crise financière où se débattait son collègue Barbé-Marbois n'avait pas d'autre cause que la guerre[56]. Il fallait qu'elle cessât. Le ministre de la Police ne cachait pas son sentiment à cet endroit[57]. On entendit sur la scène des couplets en faveur de la paix, et la même antienne dans la presse officieuse. Et certes, écrivait Fiévée à l'Empereur, nous ne jouissons pas d'une liberté d'opinion assez Grande pour qu'on se soit permis une pareille inconvenance sans y être autorisé[58]. Les ennemis du ministre cherchaient les motifs de tant de zèle pour la paix. Il craignait que par ses victoires l'Empereur ne sortit brusquement de la tutelle où le parti révolutionnaire prétend le tenir, insinuait Fiévée toujours venimeux[59]. Il voulait rendre service à ses amis les financiers, les boursiers ruinés par la guerre, disait-il encore, insinuations qui devaient exaspérer contre le ministre l'Empereur, que les bruits venus de Paris irritaient fort. Tout conspirait donc à aigrir l'Empereur contre Fouché. Fiévée répandait à ce sujet tout son fiel contre un ministre qui devait être suspect à plus d'un titre, faisant et défaisant l'opinion du jour, ayant le département des conjurations et des conspirations, de l'argent dont il ne rendait pas compte, et se vantant de répondre du parti révolutionnaire, ce qui était avouer qu'il en disposait[60].

C'est dans ces circonstances et au milieu d'un effroi, du reste, général que l'Empereur reparut aux Tuileries le 2ti janvier. Fouché dut affronter la colère du maitre. Heureusement elle avait trouvé un dérivatif : Barbé-Marbois, rendu responsable du crack de la Bourse, le payait de son portefeuille. Celui dd ministre de la Police, qui paraissait également menacé, lui fut maintenu. Il s'était défendu sans doute et à toute fin avait chargé le faubourg Saint-Germain : ses clabaudages avaient ton fait : l'hostilité qui s'était manifestée contre les actes de l'Empereur venait de là[61] ; et Fouché se retira ayant fait coup double : car s'il s'excusait, il allait en outre provoquer contre l'aristocratie des mesures dont tout l'odieux retomberait sur César, excellent moyen de reculer d'un an ou deux le ralliement des amis du roi à César. Le 2 février, en exécution des ordres de Sa Majesté, avait soin de déclarer Fouché, le ministre ordonnait l'arrestation d'une douzaine d'aristocrates de marque[62], et leur signifiait, toujours en exécution des ordres de Sa Majesté, qu'ils étaient exilés à cent lieues de la capitale[63]. La même mesure frappait quelques jours après les abbés de Damas et de Dillon[64]. Ces exils, déclarait complaisamment le ministre, ont jeté l'épouvante parmi les partisans des Bourbons[65]. La veille même de l'arrivée de l'Empereur, il avait fait arrêter quatorze bourboniens dont les propos exaspérés contre l'Empereur prenaient un caractère plus positif[66]. Mais en même temps il compatissait à la peine et à l'irritation des victimes de Bonaparte, se faisait solliciter chez Mmes de Custine et de Vaudémont, obtenait quelques rémissions de peines, s'en faisait gloire, en retirait grand profit au faubourg et jouait impudemment l'aristocratie consternée et l'Empereur compromis, presque revenu, aux yeux du faubourg, aux fossés de Vincennes et aux marches de Saint-Roch.

Le parti réacteur avait ainsi payé pour Fouché ; celui-ci s'en était tiré par un exaspérant tour de passe-passe, Fiévée ne s'en remit pas de quelques mois. Le pire était que le ministre continuait à braver la coterie, en protégeant ouvertement les jacobins contre le préfet de police Dubois, décidément passé à droite. En mai 1806, il avait fait délivrer des anarchistes arrêtés sur le bruit d'un complot ridicule[67]. En octobre 1806, le cas fut plus grave, car un complot républicain découvert à Roanne parut plus réel ; le ministre fit tout pour l'étouffer, puis, prenant le parti d'arrêter les auteurs du complot Chazot et Augereau, personnages du reste obscurs, les enleva à l'autorité judiciaire, qui eût peut-être recherché ailleurs des complices, et assoupit tout ce bruit. En revanche, il recommandait au préfet de la Loire d'étouffer la réaction, à laquelle toute cette affaire avait donné prétexte, car sous le voile de l'attachement à la personne de Sa Majesté et à la sûreté de l'État, déclarait le ministre, se cachent les passions les plus haineuses[68]. Le plus curieux est qu'il parvenait à faire partager à l'Empereur, d'ordinaire fort défiant des complots terroristes, son scepticisme sur ces plans d'insurrection de 93[69].

Le fait est qu'il semblait avoir engagé à sa suite le souverain dans la politique d'hostilité aux éléments contre-révolutionnaires ; c'était avec l'approbation du maitre qu'il avait fait arrêter et incarcérer un prêtre qui, en chaire, avait voué à l'exécration les régicides de la Convention et attaqué les acquéreurs des biens nationaux[70] : c'était également avec son approbation qu'il faisait saisir et mettre au pilon un ouvrage de de Varenne, La chute de Louis XVI, un autre d'Ogier, Louis XVI dans sa prison, et, un peu plus tard, un troisième, L'athéisme et le jacobinisme, tous trois suspects d'irrévérence envers la Révolution et ses souvenirs[71].

Le faubourg cependant vivait dans la terreur ; M. de Narbonne était exilé, puis Mme de Balbi, toujours en exécution des ordres de Sa Majesté[72]. Le clergé continuait à être rigoureusement surveillé. Les prêtres réfractaires sont traqués ; le 19 août 1806, le ministre a ordonné l'arrestation d'un des plus intrigants à Rodez[73], et quelques semaines après a blâmé des gendarmes qui n'en ont pas arrêté un autre dans les Deux-Sèvres se préparant à dire devant des paysans une messe clandestine[74]. D'autres prêtres, ceux-là concordataires, sont dénoncés au ministre des Cultes par son collègue de la Police pour actes d'intolérance, et le parti clérical tancé en la personne de M. de Bonald pour un article du Mercure[75]. Partout Fouché fait triompher et prévaloir ces principes au nom de Sa Majesté[76]. Lorsque l'Empereur semble faiblir, un fait survient heureusement qui justifie tous les dires de Fouché et, une fois de plus, montre le péril à droite. Ce fut le cas lorsqu'en août 1806 Fouché vint annoncer à 1-Empereur le curieux et bizarre incident qui venait de se produire en Bretagne. On avait pu espérer que l'exécution du chef chouan Guillemot, le 4 janvier 1805, aurait mis fin aux exploits de ses congénères ; mais un autre audacieux brigand, Lahaie Saint-Hilaire, tenait maintenant la lande au nom du Roi et du comte d'Artoi, groupant autour de lui divers chouans de moindre importance[77]. Le 23 août, ce hardi brigand couronnait ses exploits par un incroyable attentat. En plein jour il enlevait l'évêque de Vannes, M. de Pancemont, en tournée de confirmation, ne le délivrait que sur le payement d'une rançon et, après avoir ainsi humilié un prélat que son attachement à l'Empereur signalait entre tous, le persiflait audacieusement[78]. Fouché réclama immédiatement des mesures énergiques, qu'il n'eut pas de peine à obtenir de la colère du Maitre exaspéré[79]. On organisa un camp volant de 1.500 hommes à Pontivy, sous le commandement du général Boyer. Le général, placé sous les ordres de la Police générale, se livra avec ses indications et grâce à des fonds qui lui furent fournis à une chasse aux chouans qui fut, en octobre, novembre et décembre 1806, la grosse affaire du ministère de la Police. Le général fouilla 220 villages, arrêta 50 conscrits réfractaires, traqua un des complices de Lahaie Saint-Hilaire, Bertin, qui fut condamné et exécuté : celui-ci ayant révélé un plan d'insurrection Générale de l'Ouest, Fouché paralysa toute cette entreprise en faisant arrêter les chefs désignés, Du Bouays, Policarro et Cécilion[80]. En même temps la police pourchassait Lahaie Saint-Hilaire, qui ne pouvait tarder à tomber entre ses mains[81]. Le ministre avait, du reste, recours à d'autres moyens que les battues du général Boyer : il expédiait dans l'Ouest deux amnistiés fidèles et intelligents, pour parler plus vrai, deux espions, destinés à pénétrer, une fois pour toutes, les desseins des conspirateurs, grands et petits, et à compléter, par des sollicitations et des promesses, l'œuvre que le général Boyer menait à bien par la terreur[82]. Lahaie Saint-Hilaire ne devait être pris qu'en septembre 1807, et l'examen de ses papiers allait prouver qu'en mettant l'Ouest eu état de siège, le ministre de la Police avait paralysé une insurrection réellement dangereuse ; l'enlèvement de l'évêque de Vannes en était le prélude, et le cabinet de Saint-James, qui l'avait préparée, y comptait pour entraîner le Tsar à continuer la guerre et pour permettre aux Anglais une descente en Bretagne, au moment où l'Empereur guerroierait en Allemagne contre la Prusse.

***

Depuis septembre 1806, en effet, Napoléon n'était plus à Paris, et la police se trouvait, pour dix mois, la régente de l'Empire[83]. L'Empereur ne devait rentrer à Paris qu'en juillet 1807, après la définitive dissolution de la coalition russo-prussienne. Cette absence devait singulièrement encourager les tentatives séditieuses qui, ayant été paralysées en une province, semblaient toujours prêtes à se reproduire ailleurs. Fouché redoublait de vigilance, mais il avait affaire à des gens d'une audace assez rare.

Napoléon avait en effet à peine quitté Paris qu'on y vit arriver un jeune chouan ardent et téméraire, Armand Le Chevalier. Il avait une mission dont ses révélations postérieures livrèrent le secret. Il était de ces royalistes qui prônaient l'alliance avec les républicains, et il avait espéré trouver à Paris les éléments de cette coalition politique. On combinerait une insurrection, un coup d'État, dans tous les cas, la chute du tyran, l'appel à la nation ; il frappa à la porte des jacobins, en trouva qui consentirent à la réunion des deux partis opposants pour une action plus vive et une réaction moins forte. Mais le parti jacobin n'était rien : Le Chevalier s'en aperçut vite et, trouvant d'autre part les royalistes de Paris sans foi ni ardeur, il renonça à son projet et repartit aussi mystérieusement qu'il était arrivé[84].

Il n'avait fait que changer de plans, le but restant le même. Si le coup d'État était impossible à Paris, l'insurrection provinciale restait peut-être un plus sûr moyen : le Midi, privé de ses correspondances avec le baron d'Imbert, ne bougeait plus ; la Bretagne, occupée militairement, sillonnée par les patrouilles de Boyer et les émissaires de Fouché, semblait momentanément paralysée. Restait la Normandie, province jadis agitée, assez hostile à la Révolution, à portée des secours anglais et à quelques journées de Paris. On ne s'en défiait pas : les préfets y sommeillaient, les ennemis de l'Empire y avaient leurs coudées franches. Le préfet du Calvados, Caffarelli, excellent homme, administrateur paternel, ne gênait pas, ne signalant rien au ministère, et l'agent même de la police, le commissaire Vincent, avait été, dit-on, au préalable, gagné par les royalistes. Pendant que, par apathie ou trahison, les représentants de Fouché le laissaient dans l'ignorance, Armand Le Chevalier s'abouchait avec un royaliste audacieux, intrigant, grand ami (les princes, le vicomte d'Aché. Les deux hommes s'étaient mis au travail, avaient gagné plusieurs propriétaires, émigrée rentrés qui avaient repris grande influence sur leurs paysans, notamment cette famille de Combray à laquelle le jeune et séduisant Le Chevalier était uni par de tendres liens. Elle offrait en ses châteaux de Donnai et de Tournebut aux conspirateurs un asile sûr d'où ils sortaient pour nouer des intrigues retournant parfois en Angleterre chercher des instructions, des renseignements et de l'argent. Au château de Donnai, on tirait avec une presse clandestine des proclamations de Louis XVIII et des manifestes promettant l'amnistie générale, le dégrèvement des impôts, l'abolition de la conscription. C'était essayer de gagner le peuple : on achetait aussi, on conquérait des fonctionnaires. Tout était prêt, mais il se trouva qu'on manquait de fonds. D'Aché repartit pour Londres, peut-être afin d'en quérir ; mais Le Chevalier, se défiant des promesses britanniques, voulut se pourvoir lui-même, méditant de battre l'ennemi avec ses propres deniers[85]. En conséquence, la bande se mit à piller des diligences, grosse maladresse qui attira l'attention de Fouché et de l'Empereur (novembre 1806)[86].

Mais à ce moment Fouché avait d'autres soucis. Le camp de Pontivy terrorisait la Bretagne, mais ne décourageait pas les agents royalistes. Ceux-ci étaient maintenant lancés sur les côtes septentrionales par l'agence de Jersey, que rien n'arrêtait : on avait revu dans la région des Côtes-du-Nord le brigand Prigent, aventurier qu'employait Puisaye, et son lieutenant Bouchard : ils se faisaient transporter à la côte par Goyon-Vaucouleurs et Armand de Chateaubriand, autres employés de l'agence. Fouché les guettait précisément en novembre 1806, les signalait au préfet d'Ille-et-Vilaine ; des amis de Londres l'ayant confirmé clans l'idée que les Anglais préparaient un coup de main en Bretagne, il espérait y voir apparaître Puisaye lui-même, c'est-à-dire le vrai chef. Pendant les premiers mois de 1807, au moment où le général Boyer achevait de battre les buissons, le ministre faisait activement rechercher Puisaye et ses agents. Le 30 mars, il stimulait le zèle du préfet d'Ille-et-Vilaine, dénonçait la faiblesse, peut-être la trahison des autorités locales, exigeait une sévère surveillance sur les marins, notamment sur la côte avoisinant Saint-Malo et sur la lisière du département de la Mayenne, et se tenait prêt à faire cueillir Puisaye ou à son défaut Prigent, qu'il jugeait de bonne prise. Fouché donnait lui-même des ordres minutieux au préfet, forcé de constater que le ministre connaissait mieux que lui son département. Les prévisions de Fouché étaient justifiées : les renseignements venus de Hambourg et de Londres étaient exacts : si Puisaye n'avait pas débarqué, Prigent était parvenu à pénétrer en Bretagne. Le 5 avril, le commissaire de police de Brest annonçait son débarquement à Saint-Brieuc, et en même temps Fouché recevait avis que Bertrand Saint-Hubert venait de paraître en Morbihan, où il avait fait sa jonction avec l'insaisissable Lahaie Saint-Hilaire. Comme par surcroît, des bandes reparaissaient dans la Mayenne, la Loire-Inférieure, la Sarthe, l'Orne, le Maine-et-Loire. Fouché, sur l'avis de Réal, conclut qu'il y avait là un nouveau commencement d'insurrection qu'il fallait déconcerter par la prise ou tout au moins la fuite de Prigent. On déploya une rare activité : toutes les caches furent fouillées, tous les moyens d'action que pouvait employer l'agent de Puisaye d'avance paralysés, les prêtres avertis pat- voie hiérarchique qu'ils devaient concourir à cette poursuite[87]. On ne put saisir Prigent ; mais, ce qui était l'important, on le découragea momentanément : il quitta précipitamment le pays, parvint à s'embarquer pour Jersey, permettant à toute la police de se retourner contre Lahaie Saint-Hilaire, qui, bientôt atteint, blessé, fut saisi en septembre 1807 et exécuté le 7 octobre 1807 avec un autre brigand, Jean Billy[88].

Fouché n'avait pas attendu ces événements pour s'occuper de la Normandie. Le Chevalier, depuis la fin de 1806, y complotait à son aise : il préparait le grand coup qui devait, grâce à l'enlèvement de l'argent public, lui procurer les fonds nécessaires à l'insurrection. Il avait embauché pour cette exécution un chef de bande redoutable, Alain, dit le général Antonio, et dans les premiers mois de 1807 avait cherché à surexciter les esprits en semant le bruit faux de défaites de l'Empereur en Pologne. Le coup eut lieu le 7 juin. Antonio enleva la voiture des contributions chargée de 33.000 francs et partie d'Alençon, repoussa la gendarmerie avec sa bande et disparut mystérieusement. L'aventure parut grave au quai Voltaire. Fouché déclara que les chouans avaient fait le coup : Réal précisa, ce devait être Le Chevalier, déjà suspect d'un exploit tout pareil en 1801. Pour donner le change, le hardi chouan était reparti la veille pour Paris, où il se montrait fort. Fouché n'était pas homme à se laisser imposer : il fit entourer le téméraire d'une surveillance active et étroite, pendant que la Normandie tout entière était enveloppée du même réseau. Lorsqu'il eut ses preuves, le ministre donna ordre d'arrêter le beau chouan, qui fut pris le 20 juillet : un de ses agents, Fiévée, saisi en Normandie et expédié à Paris, devint entre les mains des policiers du ministre le grand dénonciateur de la conspiration normande. Les arrestations se multiplièrent : toute la bande fut saisie, sauf d'Aché, qu'on se mit à pourchasser. Le Chevalier et ses complices payèrent de leur tête leurs complots et leurs tentatives[89]. La Normandie parut à son tour pacifiée.

Bretagne et Normandie avaient ainsi été contenues pendant que les campagnes de Prusse et de Pologne retenaient l'Empereur et l'armée loin de Paris. Fouché ne s'arrêtait pas là. Il poursuivait partout les agents anglo-royalistes. Le 7 avril, sa police était parvenue à saisir à Milan un ancien agent de Willot, Selliard, devenu le correspondant de l'Angleterre, et qui semblait se proposer d'agiter le Midi[90], et sur la frontière de l'Est, à Schutterwald, Fouché faisait enlever un autre agent actif des princes et de l'Angleterre, aventurier et intrigant dangereux, le baron d'Awerweck (juillet 1807)[91].

Si, partout, il paralysait l'action royaliste et décourageait toute opposition antidynastique, le ministre ne semblait pas moins disposé à tenir tête à toute réaction à l'intérieur. Fiévée continuait à être l'objet de ses sévérités ; il s'apprêtait à témoigner derechef sa malveillance au publiciste réacteur en frappant le Journal de l'Empire où il écrivait[92] ; peut-être, d'autre part, le ministre n'était-il pas étranger à ces articles du Courrier que Napoléon lisait d'un assez mauvais œil, qu'il reprochait même à son ministre de tolérer, et dans lesquels, suivant l'expression même de l'Empereur, la dynastie paraissait ne s'appuyer que sur un parti — c'était le parti révolutionnaire et libre penseur —[93]. D'autre part, le ministre continuait à pratiquer avec une persévérance imperturbable la politique de duplicité qui devait éloigner le faubourg Saint-Germain de l'Empereur et l'Empereur du faubourg, transmettant au souverain les plus petits actes hostiles, les moindres paroles blessantes de l'aristocratie[94], dénonçant les préfets qui, comme celui d'Indre-et-Loire, favorisaient les royalistes aux dépens des républicains[95] et se faisaient investir à plusieurs reprises par le maître exaspéré du droit de chasser en son nom ou de mettre en surveillance dans leurs terres les nobles malveillants[96]. Cette politique machiavélique pratiquée par le ministre avec un flegme de pince-sans-rire rejetait dans une opposition irritée, mais impuissante, contre le souverain, l'aristocratie mystifiée, mais ne nuisait en rien à la bienveillance stupéfiante dont le souple politicien jouissait dans les milieux les plus royalistes.

Cette popularité bizarre avait, nous l'avons vu, franchi le détroit, et, sur certains indices, on continuait dans les cercles royalistes de Londres à faire fond sur l'homme de Lyon ; l'Empereur fut sur ce point édifié, non moins que Fouché lui-même, à l'époque où nous sommes arrivés, c'est-à-dire pendant le printemps et l'été de 1807. Le préfet de police Dubois avait, à cette époque, engagé une obscure intrigue que Fouché sembla désireux d'interrompre par un coup d'éclat. En mars 1807, il fit arrêter un jeune homme venu de Londres à Paris et qui n'était autre que le neveu du fameux Fauche-Borel : ce malheureux, nommé Vuitel, avait été réellement attiré dans un guet-apens. Un agent secret du préfet de police, Perlet, était entré, avec une grande affectation de zèle royaliste, eu relation avec Fauche-Borel. Flattant la manie de cet intrigant, il s'était fait passer, lui Perlet, pour l'agent d'un comité royal où maréchaux, sénateurs, anciens ministres seraient venus fraterniser[97], dans le but de préparer par un coup d'État une restauration bourbonienne ; Fouché, à l'entendre, désigné dans leur correspondance sous le nom de Maradan, était l'âme de ce fameux comité, ou se trouvait, dans tous les cas, fort disposé à entrer en négociations[98]. La nouvelle avait rencontré du crédit ; communiquée au cabinet britannique, elle avait été accueillie par lui avec faveur[99]. Perlet, instrument de Dubois, essayait-il de se rendre compte du degré de confiance que le ministre de la Police inspirait aux royalistes ? Comptait-il être payé de confidences compromettantes sur les intrigues peut-être plus réelles que les ennemis de Fouché lui attribuaient avec les ennemis de l'Empire ? Quoi qu'il en soit, il fut résolu que le jeune Vuitel, muni d'une lettre pour le ministre de la Police, partirait pour Paris. La lettre réclamait de Fouché, comme si la demande (levait nécessairement rencontrer bon accueil, deux passeports en blanc pour deux personnes que le cabinet anglais voulait adresser au ministre. Fouché n'attendit pas que la demande se produisît : il fit arrêter l'émissaire, peu désireux de laisser à Dubois le soin de l'interroger. Vuitel avoua qu'il était au service de l'Angleterre, ajoutant qu'il était envoyé à Paris pour solliciter auprès du ministre l'autorisation pour la famille Fauche-Borel de résider à Neufchâtel, dont elle était originaire ; mais dans un second interrogatoire il avoua que sa mission avait pour but le rétablissement des Bourbons, raconta l'histoire du comité royal, confessa qu'il était porteur d'une lettre qu'il devait personnellement remettre au ministre de la Police : en foi de quoi il tira cette lettre d'une canne creuse qu'il portait. On y sollicitait du ministre des passeports, et on l'engageait à envoyer à Londres un émissaire[100]. Fouché avec une grande apparence de dédain transmit un rapport sur tout cet incident à l'Empereur, traitant légèrement certains plans de la famille Fauche où on faisait jouer un rôle au ministre de la Police, ce qui, à son sens, frappait d'insanité, et Fauche-Borel, et ses projets[101].

Napoléon, déliant, ne prit pas les choses aussi légèrement : il donna l'ordre de fusiller le jeune homme, ce qui fut fait[102] : puis, l'intrigue Perlet n'ayant pas été dévoilée à Londres, l'Empereur songea à attirer par le même moyen Fauche-Borel lui-même à Paris. Fouché s'opposa énergiquement à ce guet-apens, couvrant son refus d'y participer de considérations humanitaires[103]. Que se cachait-il sous cette humanité ? Crainte d'être à tort ou à raison compromis par l'agent royaliste ? désir de conserver à Londres près des princes un homme qui paraissait répugner si peu à l'employer au rétablissement du trône ? simple intention de faire échouer un projet qui venait de Dubois ? On peut tout supposer. De fait, Fauche-Borel, toujours leurré par Pellet, continuait à entretenir le misérable mouchard de son idée fixe de gagner Fouché. La correspondance se poursuivait durant l'été de 1807. Fauche écrivait que le roy avait grande confiance dans les moyens de Fouché, désirait son concours, mais entendait qu'on le sondât sans s'exposer à faire une école avec lui[104]. Dubois n'avait pu compromettre Fouché, le coup avait échoué, puisque le ministre, ayant pénétré l'intrigue, l'avait traitée de grossière mystification et s'en était dégagé, exila dénonçant. Dès lors, il sembla qu'on voulût du moins enlever à Fauche-Borel toutes ses illusions sur le concours du ministre. Cet homme n'a rien à désirer, écrivait Perlet à Fauche[105] ; il est comblé d'honneurs et de biens, et il a une façon de penser qui rie peut aller avec nous. Perlet était l'agent direct de Napoléon : celui-ci, pris de peur, semblait maintenant vouloir préserver Fouché de toute tentation ou détruire chez les royalistes toute envie de l'employer. L'Empereur était donc édifié sur la popularité étrange dont jouissait son ministre à Londres : mais si Dubois et ses amis avaient compté sur cette intrigue pour faire tomber Fouché, ils se trompaient. De plus en plus, entre l'Empereur et son ministre, s'établissaient ces rapports étranges où la confiance jouait moins de rôle qu'une sorte de respect réciproque : et l'Empereur ne pouvait ressentir de ces incidents qu'un redoublement d'estime pour l'habileté d'un homme d'État qui, ancien jacobin, proconsul révolutionnaire et conventionnel régicide, avait su se faire considérer comme un agent acceptable de la cause royale. Et il était de fait que ce n'était pas là seulement l'idée d'un maniaque isolé : nous avons vu que d'Andigné, dès 1803, avait prôné l'alliance de Fouché, et ses coreligionnaires politiques y croyaient, puisque Malouet, royaliste avéré et grand ami de Fouché, écrivant à de Gérando, en août 1808, taisait allusion aux rapports du ministre avec les amis des princes[106]. Or, Napoléon, au dire de Gourgaud, faisait précisément ouvrir cette correspondance de Malouet, où on espérait trouver des révélations compromettantes pour son ami Fouché[107].

Si celui-ci était réellement en relation avec les royalistes, il ne s'en croyait que plus fort, car il parlait au maître sur un ton que personne ne se permettait autour de lui et sur un sujet particulièrement désagréable à l'Empereur. C'était toujours à propos de la paix. La guerre devenait terrible en Pologne : Eylau avait été une victoire disputée, contestée, chèrement achetée. Les craintes du ministre s'étaient alors toutes réveillées pour la solidité de l'Empire et la vie de l'Empereur ; les hypothèses menaçantes s'étaient représentées à son esprit[108]. La France d'ailleurs, murmurait ; Fouché savait par les rapports de ses agents, qu'à Bordeaux, à Marseille, à Lyon, les ennemis de l'Empire exploitaient ce mécontentement, ce malaise sourd[109]. Le ministre se faisait l'écho de ces plaintes, arrachant à l'Empereur des cris d'impatience[110]. Mais il avait fait plus. Une députation du Sénat était venue à Berlin supplier l'Empereur de faire la paix : point de doute que si Fouché, sénateur, très écouté au Luxembourg, n'était pas l'instigateur même de la démarche, il l'avait approuvée ou, dans l'hypothèse la plus favorable, l'avait laissée se produire. C'était mettre l'Empereur dans l'embarras, faire de lui, Fouché, le champion de la paix, se tailler ainsi aux dépens du souverain, incorrigible guerrier, une facile popularité. L'Empereur vit clair dans cette manœuvre et se l'exagéra. Son exaspération fut telle que, s'il faut en croire Savary, on crut le ministre à terre. C'était se réjouir trop tôt. Fouché avait dans l'état-major des amis fidèles ; Murat et Lannes intervinrent près de l'Empereur, qui se calma[111]. Au surplus, Fouché, qui ne dut rien ignorer de ces incidents, parut peu s'en soucier. Il payait d'audace, continuait à écrire à l'Empereur des lettres en faveur de la paix, parfois d'une témérité extrême. Il est évident pour celui qui observe attentivement les nuances de l'opinion, y lisait-on notamment, que l'Empereur est plus ou moins béni de toutes les classes selon qu'on croit que son glaive est plus ou moins enfoncé dans le fourreau[112]. Adressées à l'homme dont le fourreau resta toujours vide, ces paroles constituaient presque une insolence. L'entourage de l'Empereur, peu habitué à ces audaces, crut Fouché devenu fou ; on prédisait sa chute lorsque Napoléon, la paix conclue à Tilsit, s'achemina vers Paris[113].

Il reparut à Saint-Cloud le 27 juillet. Mais il était de belle humeur, l'alliance russe portant à l'apogée son système. Fouché l'avait conseillée[114]. Certes, les rapports ne manquèrent pas sur les intrigues de Fouché. Mais, à tout prendre, pendant ces dix mois d'absence, le ministre avait, d'autre part, bien mérité de l'Empire[115]. La disgrâce eût été injuste : elle eût été plus impolitique encore, étant donné le crédit qu'avait conquis l'habile homme près de l'opinion publique. Après tout, le ministre avait étouffé dans l'œuf, paralysé deux soulèvements, en Bretagne et en Normandie. L'intrigue Perlet-Fauche-Borel l'avait plutôt fortifié, loin de le compromettre, dans l'esprit de l'Empereur, en lui donnant une nouvelle importance ! Le retour de juillet 1807  fut le seul qui ne fut pas marqué par une scène violente du maître au ministre[116]. Fiévée, Dubois, Savary, Aime de Genlis en furent pour leurs rapports.

Le maintien de Fouché aux affaires parut même d'autant plus significatif qu'au lendemain du retour de l'Empereur un mouvement ministériel fort important se produisait : Talleyrand abandonnait les Relations extérieures, Berthier la Guerre, Champagny l'Intérieur pour remplacer Talleyrand. Cretet devenait ministre de l'Intérieur ; Clarke, ministre de la Guerre ; Portalis, mort, était remplacé aux Cultes par Bigot de Préameneu, tandis que Regnaud, Defermont et Lacuée de Cessac devenaient ministres d'État. Ce mouvement dans le haut personnel, complété par la nomination d'un ami de Cambacérès, Jaubert, à la direction de la Banque de France, et du général Hulin au gouvernement militaire de Paris, devait avoir une certaine influence sur la vie de Fouché ; il se trouvait que tous les personnages nouvellement promus et qui allaient entourer l'Empereur étaient ou devaient devenir les adversaires et parfois les ennemis résolus du ministre de la Police[117]. Mais, pour l'heure, ce mouvement, qui faisait de Fouché un des plus anciens ministres, le mettait fort en vue ; il devenait ainsi l'homme d'État prépondérant du conseil des ministres, puisque Talleyrand, Berthier et Portalis en avaient disparu.

Les huit mois qui suivirent ces événements, d'août 1807 h avril 1808, marquent réellement l'apogée sous l'Empire de la carrière ministérielle de Fouché, de sa faveur et de sa puissance.

Dans l'Ouest, la tranquillité semble assurée après tant d'efforts : Prigent est rembarqué, Lahaie Saint-Hilaire fusillé, d'Aché disparu, et cependant qu'il paralysait ainsi en France le mouvement royaliste, Fouché savait, par les derniers incidents, qu'à Londres certains royalistes le considéraient comme un allié possible, ce qui lui ouvrait sur l'avenir, en toute hypothèse, de riants aperçus. L'Empereur, comme vaincu par son audace autant que persuadé de sa capacité, montrait en lui une grande confiance. Au ministère de la Police, il agissait en maître de l'intérieur, venait de réduire la presse provinciale à ne plus livrer à ses lecteurs que des extraits du Moniteur, que lui-même inspirait[118]. La presse parisienne lui semblait soumise, depuis qu'il avait retiré à Fiévée le Journal de l'Empire. Celui-ci, désarmé ou découragé, cessa pendant six mois ses attaques contre le ministre près de l'Empereur : le parti de la réaction sembla abandonner l'espérance d'abattre ce personnage vraiment trop fort[119].

Ce n'est pas qu'il lui donnât des gages. Il continuait au contraire d'appliquer avec une certaine rigueur sa politique de défense de la Révolution, saisissant et livrant au pilon pendant l'hiver de 1807-1808 les ouvrages hostiles à un titre ou à un autre à la Révolution, à ses hommes, à ses institutions[120], reprenant véhémentement les fonctionnaires qui, comme M. de Carné, donnaient par leurs relations et leurs propos ombrage aux acquéreurs de biens nationaux et aux anciens prêtres mariés[121], et résistant avec une rare énergie à toute tentative d'envahissement clérical. A ce moment, son gros souci, au moins en apparence, semblait être d'empêcher les Jésuites de rentrer en France. C'étaient eux, assurait-on, qui se glissaient à Lyon sous le nom de Pères de la Foi, et leur influence renaissante inquiétait également le maître et, le ministre[122]. Celui-ci donnait carrière à sa vieille haine contre les Jésuites, faisant dissoudre dans l'Ain, en novembre, la congrégation renaissante[123], la faisant expulser de Roanne et de toute la vallée du Rhône, malgré les vives protestations de son puissant protecteur, le cardinal Fesch, dès lors fort hostile au ministre[124]. On voit, durant les derniers mois de 1807, le ministre, que, le 19 octobre, l'Empereur a fait entrer dans le conseil des affaires ecclésiastiques[125], adresser à son collègue Bigot, au directeur des cultes Portalis des rapports extrêmement hostiles à ces Jésuites déguisés. La Compagnie essaya de conquérir l'ancien oratorien. Le Père Varin, directeur des Pères de la Foi, sollicita une audience : on avait, à cette époque, inspiré à l'Empereur un singulier projet. Toujours favorable aux fusions, suivant son expression, Napoléon ne pensait à rien moins qu'à agréger la Compagnie à l'Université et, ne pouvant détruire les Jésuites, à utiliser à son profit, à celui de l'enseignement et du pays leur activité et leur expérience. Le ministre, fort hostile précisément à ces fusions, se montrait très peu disposé à approuver une pareille pensée. L'entrevue entre le supérieur de ces Jésuites déguisés et l'ancien oratorien fut cependant courtoise, Fouché n'étant pas homme à rompre violemment. On chercha de part et d'autre à se jouer : mais le Père Varin n'avait pas quitté le ministère que Fouché adressait à l'Empereur une lettre où il le sollicitait de ne pas introduire l'ennemi dans la place[126]. Le Père Varin continuant à organiser maisons et collèges, Fouché devait l'année suivante, le 8 novembre 1808, se décider à le faire purement et simplement arrêter et expulser[127].

Le ministre ne s'en tenait pas là. A côté de la vieille antipathie de l'ex-oratorien, il y avait la moins ancienne sévérité de l'ex-conventionnel, et les actes d'intolérance du clergé furent, pendant l'hiver de 1807-1808, particulièrement signalés par la police aux cultes[128]. Les évêques furent tancés, les prêtres enlevés à leurs cures, un vicaire qui avait prêché dans un sens hostile au Concordat, arrêté par ordre de Fouché : à cette occasion il chargeait les préfets de faire connaître à tous que le gouvernement protégeait de toute son autorité les prêtres qui professaient la morale de l'Évangile, niais qu'il poursuivait avec sévérité ceux qui abusaient de leur ministère pour inspirer des sentiments de haine et de vengeance, et se faisaient hommes de parti au moment où lui, ministre de la Police, s'efforçait d'effacer jusqu'aux moindres traces des anciennes divisions[129]. Fouché continuait à témoigner au clergé, individuellement parlant, une habile déférence, d'autant plus désireux de se le gagner qu'il voyait le maitre s'en faire tous les jours un ennemi plus irréconciliable[130]. L'occupation de Rome (2 avril 1808) allait être le signal de la rupture et de cette politique de persécution, de vexation et de violence dont Fouché s'efforça, dès lors, de modérer plus que de surexciter l'esprit[131].

Dans l'Ouest, l'affaire d'Aché-Le-Chevalier prenait fin. Le Chevalier avait été exécuté le 9 janvier 1808 : la noblesse normande était dans la terreur. Mais la Bretagne attirait de nouveau l'attention de l'infatigable ministre. On n'avait pas désespéré d'y saisir Puisaye ou tout au moins Prigent s'il y reparaissait. Or, grâce à une suite d'habiles observations, d'ingénieux rapprochements et de surveillances actives, un modèle de campagne policière, la police avait acquis la preuve que l'audacieux agent royaliste était de nouveau en Bretagne : les révélations du marquis de Puisaye des Joncherets, le frère du grand agitateur royaliste, dont Fouché s'était assuré, permettaient de croire que Prigent ne venait dans l'Ouest qu'avec tout un plan d'insurrection combiné en vue de complications extérieures déjà prévues à Londres[132]. Il était vrai que l'agent de Puisaye avait débarqué, le 20 janvier, venant de Jersey, et tenait la lande avec Bouchard, son second. La police se jeta avec une singulière ardeur à leur poursuite. Fouché sembla vouloir y mettre toute son habileté : l'Empereur lui-même, fort alléché par les révélations curieuses que le ministre lui faisait attendre si l'on capturait l'agent des princes, s'intéressa passionnément de cette poursuite. Il avait grand intérêt à ce qu'on empêchât tout soulèvement, car il allait quitter Paris pour Bayonne, où l'appelait le règlement des affaires d'Espagne.

Pendant que Napoléon s'établissait pour six mois dans les Pyrénées, le ministre s'acharnait à la poursuite en y employant toutes les forces de son esprit et de sa police, signalant les caches, dirigeant réellement, du quai Voltaire, préfets, commissaires, évêques, gendarmes, douaniers et soldats, traquant de son cabinet les misérables qu'il prenait dans une souricière, car la côte scrupuleusement surveillée ne se prêtait plus à un rembarquement. Sans gîtes, sans ressources, les deux brigands succombèrent. Le 5 juin, Houchard vint se livrer à la gendarmerie de Dinan, auquel il offrit misérablement de livrer son compagnon en train de dormir ; celui-ci fut, en effet, saisi après une courte et violente résistance. Fouché triomphant se fit amener, pieds et poings liés, à Paris l'agent de Puisaye, dont il espérait tirer sur le parti royaliste des renseignements intéressants et précieux[133].

Cette prise était fort importante : ce dangereux Prigent devait réellement être le dernier type de l'audacieux brigand ; son arrestation et son exécution allaient avoir dans l'Ouest un salutaire retentissement, et ses révélations sur l'agence de Jersey permettre au ministre de désorganiser à tout jamais l'entreprise anglo-royaliste. L'événement tant désiré depuis dix-huit mois par l'Empereur et Fouché semblait clore l'ère du royalisme actif et couronner la politique suivie depuis quatre ans par l'impitoyable adversaire de la contre-révolution.

 

 

 



[1] Moniteur du 22 messidor an XII.

[2] Cf. chapitre XV.

[3] Décision du 9 fructidor an XII. Bulletin du jour. A. N., AFIV, 1490.

[4] Pour n'en citer qu'un cas, on voit au bulletin du 2 thermidor an XII le ministre décider le renvoi dans les départements de plusieurs royalistes marquants détenus, F7, 3704.

[5] Bulletins de thermidor, fructidor an XII, F7, 3704.

[6] Décision du 1er complémentaire an XII, F7, 3704.

[7] Bulletins de police de thermidor, fructidor au XII, vendémiaire, frimaire an XIII, F7, 3704-3705.

[8] Cf. chapitre XIV.

[9] Notice autobiographique. Papiers inédits de Gaillard. — Mme DE CHÂTENAY, Mém., I, 478. — Napoléon à Fouché, 1er janvier 1804. — Fouché au ministre des Finances, sur les scellés à lever à Grosbois, 12 thermidor an XII. Bulletin d'autographes de Charavay, 1849.

[10] Bulletin du 30 thermidor an XII. F7, 3704.

[11] Bulletins de fructidor an XII, vendémiaire et frimaire an XIII. A. N., F7, 3704.

[12] Mme DE CHÂTENAY, I, 482. — Le ministre au commandant de Ham. 20 fructidor an XII. Dossier des Polignac, F7, 6403. Napoléon se montrait au contraire assez dur. (Napoléon à Fouché, 10 avril 1805. Lettres, I, 54. — Cf. aussi dans les Mémoires de d'Andigné l'entrevue amicale entre Fouché et d'Autichamp au sujet de Bourmont et de d'Andigné (I, 171). — (Note de la 2e édition.)

[13] Bulletin du 25 vendémiaire an XIII, F7, 3704.

[14] Napoléon à Fouché, 7 octobre 1804, Correspondance, X, 1097.

[15] Bulletins des premiers mois de l'an XIII, F7, 3704, En revanche, les républicains y sont représentés comme résignés, soumis, ou même dévoués au régime impérial.

[16] Napoléon à Fouché, 11 vendémiaire an XIII. Corresp., X, 8082.

[17] Bulletin du 13 ventôse an XIII, F7, 3707.

[18] Bulletin au 12 thermidor an XII, F7, 3704.

[19] Il fut pris le 25 frimaire an XIII, près de Vannes. Moniteur du 16 nivôse an XIII.

[20] Chapitre XV.

[21] Bulletins de fructidor an XII ; AFIV, 1490.

[22] E. DAUDET, La police et les chouans. L'agence anglaise de Bordeaux, 141-165.

[23] Dossiers de l'agence de Bordeaux. Dossiers Céris, Forestier, Cogné, etc. F7, 6356. 6357, 6338. Bulletins de police, fructidor an XII à floréal an XIII, 3704 à 3706 et 3748, et DAUDET, ouvrage cité.

[24] Bulletin du 12 fructidor an XII, par exemple, et bien d'autres. F7, 3704.

[25] Rapport du duc d'Otrante à l'Empereur, imprimé par ordre de la Chambre, juin 1815.

[26] Bulletin du 23 thermidor an XII, F7, 3704.

[27] Bulletin du 3 fructidor an XII, F7, 3704.

[28] Le ministre aux évêques, thermidor an XII. (Minute, Papiers Gaillard.)

[29] Le ministre aux évêques, thermidor an XII. (Minute, Papiers Gaillard.)

[30] Le ministre aux évêques, 1805. (Papiers Gaillard.)

[31] Bulletin du 9 vendémiaire an XIII et suivants. F7, 3704. Quelques jours après le 14 vendémiaire, le ministre se montrait très hostile aux prétentions ecclésiastiques dans un rapport à l'Empereur, refusant la mise en liberté d'un prêtre du diocèse d'Arras réclamée par l'évêque. F7, 3704. Quelques jours après, la prétention du ministre de faire lire en chaire les bulletins de la grande armée entraîne de nombreux conflits entre lui et certains prélats. (Bulletin du 26 frimaire an XIV, F7, 3709, et tous les bulletins de la fin de l'an XIII.)

[32] Bulletin de thermidor an XII. F7, 3704.

[33] FLOURENS, Napoléon et les jésuites. — Napoléon à Fouché, 7 octobre 1804. Corresp., X, 8099.

[34] Mercure, année 1804.

[35] Bulletin du 14 vendémiaire an XIII. F7, 3704. — Correspondance de Fiévée, II, 50.

[36] Bulletin du 14 vendémiaire an XIII. F7, 3704.

[37] N'est-elle pas symbolique, cette dérision du ministre de la Police de l'Empire faisant replanter les arbres de la liberté partout où la réaction les avait fait couper ? (Bulletin du 29 germinal an XIII. F7, 3749.)

[38] Dossiers Rumbold. F7, 6448, 6453. Bulletins de police de vendémiaire à frimaire an XIII, F7, 3704, et lettres de Napoléon du 7 octobre et du 11 novembre 1804, X, 8100, 8176.

[39] Bulletin du 14 thermidor an XII. F7, 3704.

[40] Corresp. de l'Empereur, 1804-1805. Passim.

[41] Décret du 23 pluviôse an XIII. Il avait été à la même époque nommé grand dignitaire des Loges du Grand Orient, en même temps que Cambacérès, Murat et autres (Rapport du préfet de police du 15 frimaire an XIII, F7, 3833.)

[42] Napoléon à Fouché, 15 germinal, 4 floréal. Corresp., X, 3528, 8623.

[43] Dossiers Dubuc, Rossolin, Laa, F7, 6549. Dossier du baron d'Imbert, F7, 6459. — Bulletins de police de prairial an XIII, F7, 3707, et de messidor an XIII, F7, 3708. — Rapport du conseiller d'État Pelet sur Dubuc et Rossolin. Moniteur du 13 prairial an XIII. Rapport sur Laa. Moniteur du 10 thermidor. — Corresp. de Napoléon. Lettres du 10 prairial an XIII, du 26 floréal an XIII, X, 8710, 8742.

[44] Napoléon à Fouché, 15 prairial, 20 prairial an XIII, 1.41 messidor an XIII, 3 thermidor an XIII. Corresp., X, 8682, 8693, 8922, 8999.

[45] Napoléon à Fouché, 29 août 1805. Lettres publiées par L. LECESTRE, I, 57.

[46] Lettre de Fauche-Borel à lord Grenville. FAUCHE-BOREL, Mém., III, 249-255.

[47] Fauche-Borel à lord Grenville. FAUCHE-BOREL, Mém., III, 249, 255.

[48] PINGAUD, le Comte d'Antraigues, 339.

[49] FAUCHE-BOREL, 255. Ajoutons que Fouché rencontrait fort souvent chez la marquise de Custine, entre autres royalistes de marque, un des agents les plus actifs, Bertin ; il y voyait aussi Chateaubriand, Chênedollé et autres. BARDOUX, Mme de Custine.

[50] Le comte d'Hauterive à Talleyrand, 7 nivôse an XIV (Arch. Aff. étr., Fr. 660).

[51] Bulletin du 10 prairial an XIII, par exemple (F7, 3707). Dès cette époque, les bulletins commencent à être rédigés sur un ton très malveillant pour la noblesse et le clergé.

[52] Bulletins de prairial, messidor et thermidor an XIII, F7, 3707-3708. Certains royalistes étaient loin de partager, surtout les émigrés, l'enthousiasme de leurs coreligionnaires pour l'ex-terroriste. Cf. Lettres de Mme de Neuilly à sa fille, 8 août 1805 ; comte DE NEUILLY, Souvenirs.

[53] Fiévée à l'Empereur, février 1806, II, 181.

[54] Cf. chapitre XIV.

[55] D'Hauterive à Talleyrand, 14 janvier 1806 (Arch. Aff. étr., Fr. 860)

[56] Cf. au sujet de cette crise les Lettres de d'Hauterive à Talleyrand, vendémiaire et brumaire an XIV (Arch. Aff. étr., Fr. 660), et le lumineux exposé de THIERS, Histoire de l'Empire, Livre VI.

[57] Le 4 pluviôse an XIII, il annonçait que les idées de paix étaient accueillie& avec joie à Paris et, repoussant d'avance les venimeuses attaques de Fiévée, ajoutait que les financiers ne la désiraient pas, ce qui était peut-être le moyen le mieux trouvé d'y pousser le maitre. (Bulletin du 4 pluviôse an XIII, AFIV, 1492.)

[58] Fiévée à l'Empereur, février 1806, II, 180.

[59] Fiévée à l'Empereur, février 1806, II, 180.

[60] Fiévée à l'Empereur, février 1806, II, 180.

[61] SAVARY, II, 243-244.

[62] C'étaient le prince et la princesse de Léon, la marquise de Tourzelle, son fils et sa bru, le comte et la comtesse de Charost, la marquise du Coetlusquet, le comte O. de Vérac, Mme de Croy, la duchesse des Cars.

[63] Bulletins des 3, 5, 10, 14 février 1806, F7, 3752.

[64] Bulletin du 14 février 1806, F7, 3752.

[65] Bulletin du 5 février 1806, F7, 3752. Les exilés s'empressèrent, du reste, de faire agir près de l'Empereur des parents et amis plus ou moins ralliés, qui obtinrent vite des grâces. Fouché lui-même, fidèle au système que nous avons caractérisé plus haut, s'offrit à en solliciter. Cf. Corresp. de Napoléon, XII, 10234, et Bulletins cités, F7, 3752.

[66] Bulletin du 25 janvier 1806, F7, 3752.

[67] Affaire Marcelin, Houx, Malet, Moisson, Massai et Guérin. Bulletin de police du 13 mai 1806, F7, 3756.

[68] Affaire Chazot et Augereau (Bulletins des 14, 15, 16, 18, 19, 20 octobre 1806, F7, 3711). — Fouché à Regnaud de Saint-Jean-d'Angély (CHARAVAY. Vente du 12 mars 1889). Cette affaire, écrit Fouché à Regnaud avec dédain, est du ressort du tribunal de Bicêtre. Augereau est un misérable, ainsi que tous les imbéciles qu'il a dupés. Il y a de la niaiserie à donner de l'importance à leurs folies.

[69] Napoléon à Fouché, 26 octobre 1806 (Corresp., XII, 11087).

[70] Bulletins des 4 et 12 avril 1806, F7, 3752. Quelques mois avant, en messidor an XIII, il avait fait arrêter un avocat marseillais qui, plaidant contre le maire Cranet, ex-conventionnel régicide, avait évoqué les mânes de Louis XVI (Bulletin du 29 messidor an XIII, AFIV, 1494).

[71] Bulletins des 5 juillet 1806 (F7, 3710), 3 novembre 1807 (F7, 3714) et 12 mai 1908 (F7, 3715). Le 28 janvier, il avait fait interdire au Vaudeville la représentation de la pièce Le château et la chaumière, comme pouvant renfermer des allusions insultantes aux acquéreurs des biens nationaux. F7, 3712.

[72] Napoléon à Fouché, 14 août 1806 (Corresp., XIII, 10643).

[73] Bulletin du 19 avril 1806, F7, 3752.

[74] Bulletin du 4 juin 1806, F7, 3753.

[75] Matériaux pour servir à la vie de Fouché, p. 169.

[76] Napoléon continue à se montrer, sous l'inspiration de l'ex-oratorien, fort hostile aux jésuites. Napoléon à Fouché, 14 sept. 1806 (Corresp., XIII, 10779).

[77] Dossier Lahaie Saint-Hilaire, F7, 6467.

[78] Sur les détails de cette curieuse affaire, cf. E. DAUDET, La police et les chouans, L'enlèvement de l'évêque de Vannes, p. 165. Ce chapitre est tout entier tiré du dossier F7, 6467.

[79] Mgr de Pancemont était un des grands amis de Fouché et un des plus zélés partisans du régime. Cf. chapitre XIV.

[80] Dossier F7, 6467, et Bulletins de police, octobre 1806 à mars 1807, F7, 3711-3712.

[81] Dossier F7, 6467, et Bulletins de police, octobre 1806 à mars 1807, F7, 3711-3712.

[82] Analyse des papiers de Lahaie Saint-Hilaire. Bulletins des 9 et 11 décembre 1807, F7, 3714.

[83] DESMAREST, Témoignages.

[84] Déclaration d'Armand Le Chevalier. Bulletin du 5 octobre 1807, AFIV. 1561.

[85] Projets de soulèvement dans l'Ouest. Bulletin du 10 août 1807, F7, 3713 ; et E. DAUDET, la Police et les Chouans ; l'Affaire Daché-de Combrai, 191-289.

[86] Napoléon à Fouché, 12 novembre 1806 (Corresp., XIII, 11234).

[87] Sur toute cette première poursuite de Prigent, cf. dossier Prigent et Puisaye, F7, 6480, et Bulletins de police d'avril à juillet 1807 (F7, 3712-3713).

[88] Bulletins des 28 septembre et 13 octobre 1807, F7, 3714.

[89] Bulletins, novembre-décembre 1807, F7, 3711 ; janvier 1808, F7, 3758 ; E. DAUDET, 191-289 et le récent volume de M. Lenôtre-Tournebut.

[90] Bulletin du 3 juin 1817, AFIV, 1500.

[91] Bulletin du 1er août 1807, AFIV, 1500.

[92] Fiévée à l'Empereur, juillet 1817. II, 262.

[93] Napoléon à Fouché, 4 avril 1807 (Corresp., XV, 12285).

[94] Bulletins de juillet-septembre 1807. AFIV 1500.

[95] Renseignements sur le département d'Indre-et-Loire. Note de décembre 1807, AFIV, 1501.

[96] Napoléon et Fouché, 19 avril 1807 (Corresp., XV, 1248).

[97] Interrogatoire de Vuitel. Bulletin de police du 4 mars 1807, F7, 3712.

[98] On trouve dans un lot de papiers de la police (dossier Dumouriez, F7, 648) une lettre datée du 21 novembre 1806 saisie par la police et adressée par un agent royaliste à un autre alors à Paris (Perlet sans doute), où il est dit : Mais si dans cette affaire vous n'avez pas essentiellement M. Fouché, vous pourriez encore être déjoué, et ce serait un grand malheur. Il faut que ce magistrat, reconnu comme un des meilleurs administrateurs, facilite l'opération et trompe la surveillance de ceux établis par l'usurpateur pour l'observer lui-même, car on sait qu'il voudrait pouvoir et savoir comment le remplacer dans sa place. Les 500.000 livres et les fonds qu'une entreprise de ce genre nécessitera seront mis à sa disposition si on traite avec franchise et loyauté.

[99] FAUCHE-BOREL, III, 339.

[100] Bulletin du 4 mars 1807, F7, 3712, et FAUCHE-BOREL, III, 339. Le récit de Fauche-Borel est ici très exactement corroboré par les pièces de cette affaire.

[101] Bulletin du 4 mars 1807, F7, 3712.

[102] Napoléon à Fouché, 2-4 mars 1807 (Corresp., XIV, 12140).

[103] FAUCHE-BOREL, III, 339.

[104] Fauche-Borel à Perlet, 24 octobre 1807 ; Bulletin du 13 janvier 1808 ; F7, 3758.

[105] FAUCHE-BOREL, IX, 13, 16.

[106] Malouet à de Gérando, 23 avril 1808. (Mém. et Corr. de Malouet, II, 535.)

[107] GOURGAUD, t. I. On sait que Mahmut était resté fort lié avec son ex-confrère Fouché et passait pour dépositaire de ses secrets.

[108] L'Empereur n'ignorait rien de ces craintes et de ces hypothèses. Napoléon à Fouché, 29 avril 1801. Lettres, I, 93.

[109] Bulletin des 27 juillet 1806 ; F7, 3710.

[110] Napoléon à Fouché, 15 avril 1807. Corr., XV, 12832.

[111] SAVARY, II, 325 ; III, 67. BOURRIENNE, VII, 263.

[112] Note au bulletin du 20-21 septembre 1807, AFIV, 1601.

[113] A cette époque, l'Empereur met presque de l'affectation à parler des traces hideuses des groupes de 1793. Napoléon à Fouché, 20 juin 1807, XV, 12775.

[114] Dans les bulletins de 1807, il se montre très favorable à l'alliance. AFIV, 1501.

[115] Napoléon lui-même l'avait reconnu dès février 1807. (Napoléon à Fouché, 21 février 1807. Corr., XIV, 11848.) D'autre part, il s'était associé en mai 1807 à sa politique de résistance à la réaction. (Napoléon à Fouché, 20 mai 1807, XV, 12612.)

[116] SAVARY, III, 145-146.

[117] Cf. plus bas, chapitres XVII-XX.

[118] Le ministre aux préfets, 6 novembre 1807, F7, 8350.

[119] L'Empereur, aux termes d'une de ses lettres, s'en rapportait entièrement à. lui pour toutes les affaires intérieures. Napoléon à Fouché, 17 juillet 1806. Corr., XV, 12927.

[120] Le 8 février 1808, il devait faire arrêter un prêtre, l'abbé Proyart, auteur da Louis XVI et ses vertus aux prises pet : la perversité du siècle, ouvrage royaliste, 1808. AFIV, 1502. Mais il frappait ailleurs encore, atteignait le parti réacteur rallié non plus dans la personne de Fiévée, mais dans celle de Geoffroi, ce qui lui valait de la part de l'Empereur une sévère admonestation. Napoléon à Fouché, 17 juin 1808. Corr., XVII, 14069.

[121] Bulletin de septembre 1807, AFIV, 1501. Le 7 juillet 1807, il avait encore transmis complaisamment à l'Empereur des lettres où les aristocrates étaient représentés comme des intrigants hostiles au régime et les patriotes exagérés comme ayant repris leurs anciens états et ne paraissant plus s'occuper de leurs chimères politiques. Bulletin du 7 juillet 1807, F7, 3713. Il se plaisait à associer l'Empereur à ses rancunes, et, constatant, le 22 janvier 1808, le deuil qu'affichait le faubourg à chaque 21 janvier, il ajoutait : Il en est de même pour le jour anniversaire de la mort du duc d'Enghien. Bulletin du 22 janvier 1808, AFIV, 1502.

[122] Napoléon à Fouché, 7 novembre, 17 décembre 1807 (Corr., XVI, 13335, et Lettres, I, 129). En ce qui concerne le clergé séculier, son attitude continue à être très rigide, témoin la circulaire aux préfets et commissaires généraux pour les prier d'empêcher la célébration des fêtes non concordataires, prétention que l'évêque de la Rochelle trouve avec raison très extraordinaire. (Bulletin du 18 juillet 1807, F7, 3713.) Ce qui provoque une nouvelle circulaire cette fois aux évêques pour les rappeler au respect du Concordat (19 octobre 1807). F7, 3713.

[123] Bulletin du 21 janvier 1819, F7, 3758.

[124] Bulletin du 29 juin, du 22 septembre 1808, F7, 3716, 3717.

[125] NAPOLÉON, Ordre du 19 octobre 1807. Corr., XVI, 13272.

[126] FLOURENS, Napoléon et les Jésuites.

[127] Bulletin du 9 novembre 1808. AFIV, 1504.

[128] Le 22 juin 1807, il signalait notamment l'abbé Frayssinous comme ayant flétri en chaire, à Saint-Sulpice, la Révolution. A FIV, 1500, et aussi la note au bulletin du 24 février 1803. A FIV, 1502.

[129] Bulletin du 11 mai 1808, F7, 3715.

[130] Dès septembre 1807, on voit Fouché parler avec une extrême modération à l'Empereur de ce clergé de France qui est dévoué et a de bonnes mœurs, mais qui manque de discernement et de lumières... Il a besoin, ajoutait-il, d'être détaché de la spiritualité pour s'attacher davantage à la pratique des vertus utiles à la marche du gouvernement. A FIV, 1501.

[131] Bulletin du 5 mars 1808. A FIV, 1502.

[132] Dossier Prigent, F7, 6480.

[133] Dossier Prigent, F7, 6480. Bulletins de police, 8, 15, puis 1808, F7, 3715. — E. DAUDET, la Police et les Chouans, l'Agence de Jersey, 289, 329. — DE CONTADES, Émigrés et Chouans.