FOUCHÉ (1759-1820)

DEUXIÈME PARTIE. — LE MINISTRE FOUCHÉ (1799-1810)

 

CHAPITRE XV. — LA POLICE GÉNÉRALE DE L'EMPIRE.

 

 

L'institution primitive. Double origine de la Police générale. — L'ancienne lieutenance générale (1667-1759). — La police des Comités de salut public et de sûreté générale. — L'œuvre de Fouché, ministre de la police de la République (1799-1802). — Le nouveau ministère de la Police générale. — Le ministère : incessantes transformations. — Nouvel organisme. Les conseillers d'État de la police. — Le secrétaire général. — Les divisions et les bureaux. — La sûreté générale et la police secrète. — L'administration provinciale : les commissaires généraux ; leurs sous-ordres. — Les directeurs généraux. — Les préfets. Inconvénients que le ministère de la Police voit à leur emploi. Les maires : conflits d'attributions. — Le personnel : les conseillers d'État. Le chef de la sûreté Desmarest. — Les secrétaires généraux. — Personnel bigarré dans les bureaux de la police. — Le personnel de la police secrète. — Monde disparate. — Les agents de la société parisienne. La police secrète des préfets. — Police secrète à l'étranger. Bourrienne et ses mouchards. Polices et contre-polices. Quelques types. — La gendarmerie : liens qui la rattachent à la Police générale. — Le budget de la police : dépenses officielles et dépenses secrètes. — Ressources autorisées et ressources occultes. — La ferme des jeux. — Immense domaine ouvert à l'activité de la Police générale. — Surveillance de toutes les parties de l'ordre public. — Objets spéciaux de cette surveillance. — Conflits avec les autres administrations. — Le sénateur ministre : omnipotence du ministre ; idées personnelles de Fouché sur la police. — Sa défiance des mouchards. — Il essaye de donner de la respectabilité à la police. — La légende de la police provocatrice. — Méthode et procédés de la Police générale : marche d'une affaire. Les premiers indices. Le faisceau des informations. Travail du ministre. Nouvelles enquêtes. — La topographie chouannique. Campagne policière. — On achète et on terrorise. Fidélité aux promesses. La prise du conspirateur. Il est expédié à Paris. L'antre de Polyphème. Audaces incroyables. — Intervention directe du ministre. — La répression. Les camps volants. — Fouché devient grand inquisiteur et chef de troupes. — Sort des prévenus. — Commissions militaires et jurys d'assises. Les prisons d'État. Les mises en surveillance. — Le bulletin de la Police générale : ses éléments ; le bulletin de la préfecture. Confection du bulletin ministériel. — Les archives du ministère : on brûle des papiers. — Le ministère de la Police générale et Fouché.

 

Le ministère de la Police générale de l'Empire, institué par le décret du 21 messidor an XII, était rétabli dans les mêmes attributions dont avait joui, avant le 28 fructidor an X, ministère de la Police générale de la République. Ces attributions avaient été réglées en des termes assez brefs par la loi du 12. nivôse an IX, instituant un septième ministère sous le nom de Police générale de la République. Ces attributions étaient, on s'en souvient, l'exécution des lois relatives à la police, à la sûreté et à la tranquillité intérieure de la République, la garde nationale sédentaire, la légion de la police et le service de la gendarmerie pour tout ce qui était relatif au maintien de l'ordre public, la police des prisons, maisons d'arrêt, de justice et de réclusion, la répression de la mendicité et du vagabondage[1].

On voit que le ministère créé par la loi du 12 nivôse avait été, somme toute, enfermé dans un cercle restreint d'occupations assez humbles[2]. Les premiers ministres qui avaient reçu du Directoire le portefeuille de ce ministère n'avaient guère cherché à en élargir ou à en franchir les limites.

Il avait fallu l'activité du citoyen Fouché de Nantes, nommé, on s'en souvient, ministre de la Police générale par arrêté du 2 thermidor an VII, pour faire du ministère de la Police générale le grand rouage politique de la République et un précieux instrument de règne. Les décrets et lois du 17 ventôse an VIII et du 5 brumaire an IX instituant à Paris un préfet de police, en province les commissaires généraux de police, et en leur attribuant, dans l'ordre administratif, comme dans l'ordre politique, les fonctions les plus variées et les plus étendues, avaient donné une consécration officielle à ce surcroît d'influence et de pouvoir que, de son autorité privée, Fouché avait cru devoir, dès ses débuts, attribuer à son trop étroit ministère. Nous avons dit ailleurs quelles avaient été les réformes apportées par lui pendant l'année 1800 à l'administration de la Police générale et les résultats qu'il avait obtenus[3].

Pendant les trois ans qu'avait duré son premier ministère, il avait travaillé à vivifier, fortifier, étendre la Police générale, à lui faire confier, sous prétexte de surveillance générale, la direction de la vie nationale intérieure tout entière. Il avait voulu, remontant ainsi aux doubles origines du ministère, réunir dans sa main les pouvoirs, droits, prérogatives, règles et procédés de la vieille lieutenance de police du XVIIIe siècle et des Comités de salut public et de sûreté générale de l'an II.

De fait, la loi de nivôse an IV n'avait fait qu'organiser officiellement la police de la République. Mais cette police existait avant l'an IV, avant l'an II, avant 1789 ; les traditions de la police s'étaient transmises depuis La Reynie jusqu'à Fouché, en passant par Lenoir et Sartine, par Saint-Just, Vadier et leurs sous-ordres, par Barras et sa police secrète. On retrouvait encore, dans la tourbe des agents employés par les Sotin et les Cochon, des anciens mouchards de Sartine et des anciens observateurs de la sûreté générale. Il en résultait que si tout avait changé en France, les procédés de la police étaient restés les mêmes, en vertu d'une tradition soigneusement maintenue, les observateurs de l'esprit public de Saint-Just et Vadier n'ayant pu employer d'autres méthodes que les mouches du célèbre lieutenant de police Lenoir. A côté de la police administrative que Fouché devait confier au préfet de police, les lieutenants du avine siècle avaient fort rapidement organisé une police politique occulte très développée, mise au service de la Maison du roi ; doublant le personnel officiel et avoué du secrétariat et des huit bureaux de la lieutenance[4], aidant et guidant les vingt inspecteurs de police conseillers du roi, s'était instituée une armée irrégulière et honteuse d'espions employés tantôt à recueillir les bruits publics et les conversations privées[5], tantôt il jeter dans le public les nouvelles vraies dont la propagation importait au gouvernement du roi[6]. A lire le Journal du lieutenant de police Feydeau de Marville[7], les Notes du lieutenant de police René d'Argenson[8], le Journal des inspecteurs de M. de Sartine[9] et les Archives du savant Peuchet, écho des Notes du lieutenant de police Lenoir[10], on voit que ce système fonctionnait depuis le commencement du siècle. Lorsqu'on constate que ces mouches se recrutaient parmi des chevaliers de Saint-Louis, des auteurs, des avocats, des fils de famille ruinés par le jeu, et des filles publiques[11] ; que leurs rapports fournissaient, avec ceux des agents officiels, inspecteurs et exempts, et ceux des employés du cabinet noir, la matière d'un bulletin quotidien, adressé par le lieutenant de police au ministre de la maison du roi[12] ; que la police, dont les ressources régulières étaient restreintes, s'alimentait du produit des jeux (400.000 à 500.000 livres)[13], et autres détails caractéristiques, nous devons constater que, sous plus d'un rapport, Fouché fut, en matière policière, un restaurateur plus qu'un initiateur ; l'administration du quai Voltaire ne se distinguait guère en somme de celle de la rue Neuve-des-Capucines que par le caractère de grande régularité que Fouché lui avait donné, et surtout par l'extension considérable que le grand ministre de la Police donna aux idées des Berryer, des Lenoir et des Sartine, en les appliquant non plus à la seule ville de Paris, mais à la France, pour ne pas dire à l'Europe tout entière. Le ministre pouvait même prendre près de ses prédécesseurs de fructueuses leçons personnelles, car avant 1789 on faisait déjà fortune dans la police ; c'était le cas d'un inspecteur, M. Puissant, qui avec 4.000 livres de traitement avait su devenir plusieurs fois millionnaire[14].

La Révolution à son tour avait recruté un personnel plus dégradé encore d'observateurs dans la tourbe des déclassés que l'immense bouleversement de 1789 à 1793 avait jetés dans ses bras, nobles ruinés, prêtres défroqués, employés sans places et peut-être, comme Alphonse de Beauchamp, Lejeune et autres, gens désireux de se mettre ainsi personnellement à l'abri de l'inquisition de comités en s'enrôlant dans la police. C'était dans ce personnel fort mêlé des comités qu'après 1796 les Merlin et autres avaient recruté leur personnel officiel ou secret[15].

Pendant son séjour de trois ans au quai Voltaire, Fouché s'était appliqué, nous avons vu suivant quel principe, à épurer ce personnel bigarré, héritage de tontes les polices antérieures, à lui donner des cadres et des emplois, à tirer de chacun ce qu'il pouvait donner. Mais, si les décrets et lois de ventôse an VIII et de brumaire an IX avaient créé des cadres supérieurs à cette armée, le décret du 28 fructidor an X, qui avait aboli le ministère de la Police générale, l'avait privée de son état-major, avait désorganisé l'administration naissante et a peu près fait table rase de l'institution encore confuse qu'était restée malgré tout la Police générale à ses débuts.

Lorsqu'en messidor an XII, Fouché reprit la direction du ministère rétabli, il avait donc le champ libre ; il avait, pour bâtir de toutes pièces la puissante machine qu'il avait rêvée dès messidor au VII, le triple avantage d'une expérience personnelle exercée par trois ans de pouvoir et deux années de méditations, d'une parfaite connaissance du personnel où il comptait recruter ses agents, et d'une absolue liberté lui permettant de construire à sa fantaisie sur une place à peu près nette.

Le ministère de la Police avait été divisé en 1796 en quatre divisions, celle du commerce, de la salubrité et de la voie, celle de surveillance et sûreté, celle des mœurs et opinions et celle des dépêches. En 1707, on avait institué un secrétariat général dont le titulaire était chargé de l'ouverture, de l'analyse et de l'enregistrement de toutes les dépêches, de leur renvoi aux différents bureaux, de l'expédition des affaires sans département fixe, des comptes à rendre au ministre des affaires instantes, des renseignements à donner aux parties sur les affaires qui les concernaient, du règlement des mémoires et archives du ci-devant Comité de sûreté générale, de l'expédition et du départ des dépêches. Trois divisions avaient subsisté : la première avait conservé le commerce, la salubrité et la voie, y avait ajouté le faux monnayage et l'organisation des colonnes mobiles ; la seconde, celle de la sûreté, avait été divisée en deux sections, dont une pour les seuls départements environnant Paris, et enfin une troisième division avait été exclusivement destinée à la radiation des émigrés.

L'organisation de la Police générale en l'an XII différa assez profondément de l'ancienne. L'Empire français devenait considérable, s'agrandissant tous les jours ; le nombre des affaires s'en augmentait d'autant. Il fallait songer à diviser le travail non plus seulement au point de vue des attributions à partager, police administrative ou police secrète, surveillance de la presse et surveillance des émigrés, etc., mais au point de vue territorial. La création des commissaires généraux avait été un premier pas dans cette voie. Mais les hauts fonctionnaires de la police devaient résider bien loin de Paris ; il fallait centraliser leurs rapports, créer près du ministre des agents d'ordre supérieur qui fussent ses intermédiaires près des hauts employés de la police, ses collaborateurs dans l'écrasant travail de, la correspondance, au besoin ses suppléants et ses conseillers. Il est clair que de simples chefs de division ne pouvaient jouer ce rôle. En dehors de ces considérations, l'Empereur n'était sans doute pas fâché de placer aux côtés du ministre des hommes presque ses égaux, parfois ses rivaux, demain ses successeurs, qui pussent, tout en collaborant à sa tâche, contrôler ses actes et, tout en se formant à son école et en restant soumis à sa direction, ne se pas croire tenus à l'obéissance passive, à la discrète réserve et aux ménagements obligés qu'un simple fonctionnaire du ministère, s'appelât-il Desmarest, devait évidemment garder à l'égard du grand chef.

Quatre conseillers d'État furent donc institués qui, sous le nom de chargés du 1er, du 2e, du 3e, du 4e arrondissement de police, se partagèrent territorialement l'Empire ; le quatrième vécut peu[16]. Le premier conseiller d'État, le plus important, fut investi de la surveillance du Nord, de l'Ouest et de l'Est, en tout cinquante départements ; la charge était considérable, non seulement en raison du nombre, mais encore en considération de la qualité des régions soumises à son action et à sa police : la Normandie, la Bretagne, la Vendée, les côtes de la Manche, les bords du Rhin et la Belgique, souvent troublés, théâtres de fréquentes intrigues et de faits séditieux Cette fonction importante fut confiée à Réal, précédemment chef de la police sous le grand juge, et qui fut dès lors à juste titre considéré durant tout l'Empire, car il survécut à la disgrâce de Fouché, comme le vice-ministre de la Police. Le deuxième arrondissement de police comprenait tout le Midi et une petite partie de l'Est ; il fut donné au conseiller d'État Pelet de la Lozère. Le troisième arrondissement de police enfin n'était autre que Paris ; c'était sous un autre nom le ressort de la préfecture de police qui resta confié à Dubois[17]. Nous reviendrons sur ces trois importants personnages. Un quatrième arrondissement fut plus tard créé pour les départements au delà des Alpes, autrement dit l'Italie. Les conseillers d'État donnaient leurs audiences au ministère de la Police, sauf le préfet de police, qui continuait à résider rue de Jérusalem[18].

Le ministère restait en son ancien local, l'hôtel de Juigné, situé au quai Voltaire. Le ministre de la Police y habitait un hôtel annexe et y donnait ses audiences. Tous les mercredis, il y réunissait les trois ou quatre conseillers d'État qui formaient avec lui et le secrétaire général le conseil de la police générale[19].

La création des conseillers d'État chargés d'arrondissements n'enlevait cependant rien aux prérogatives du ministre. L'Empereur lui-même, si désireux qu'il fût de contrôler Fouché, déclarait qu'il n'avait nullement voulu établir quatre ministres de la Police, mais quatre chefs de division d'un rang élevé et pouvant offrir des garanties de tontes les parties pour arriver au ministre, n'admettant pas qu'ils correspondissent sur le pied d'égalité avec les ministres, et qu'ils ne le fissent, avec les préfets et autres magistrats, qu'au nom du ministre de la Police, ajoutant, enfin, que le bien ne pouvait se faire que par l'unité[20]. Aussi bien Fouché n'était pas homme à accepter une tutelle ; il n'avait pas attendu les observations de l'Empereur pour assurer contre toute usurpation ses prérogatives de chef. Il restait donc chargé de diriger, coordonner, surveiller et administrer d'une façon souveraine les diverses divisions de son département[21]. Nous aurons l'occasion de voir sur quelles matières s'exerçait cette direction centrale et de quelle façon l'actif homme d'État savait la comprendre. Disons, dès maintenant, qu'il s'était réservé de réunir dans sa main tous les fils de la police. Les conseillers d'État du ministère, personnages importants cependant, n'étaient que fort rarement initiés aux combinaisons auxquelles ils devaient fort souvent travailler, et aux affaires dont chacun d'eux instruisait une partie. Réal lui-même, quoique jouissant de la confiance du ministre, n'était pas toujours au courant de tout ; sa tâche et celle de ses collègues étaient achevées quand ils avaient communiqué à Fouché la correspondance qu'ils entretenaient avec les fonctionnaires de leurs arrondissements, et les rapports dont les chargeait leur chef sur telle ou telle affaire. Comme celui-ci continuait à conférer directement avec Desmarest, chef de la police secrète, il restait réellement le seul, au quai Voltaire, à connaître toutes les parties d'une affaire et à prendre les résolutions congrues. Les conseillers d'État, et, effet, ne pouvaient jamais prendre une décision sans en référer au ministre.

En 1809, l'Empire augmentant tous les jours, et le travail des conseillers d'État devenant accablant, on adjoignit à chacun d'eux quatre jeunes auditeurs qui devaient, suivant l'intention de l'Empereur, non seulement les aider et au besoin les suppléer dans les interrogatoires, les enquêtes et la visite des prisons, mais encore se former ainsi au maniement des affaires de haute police, matière délicate, spéciale, exigeant plus qu'aucune autre un préalable apprentissage[22].

Ministre, conseillers d'État et auditeurs constituent ce qu'on peut appeler l'état-major du ministère, où ils représentent la haute police. Mais des fonctionnaires de moins haute volée dirigent, sous la surveillance directe du ministre, les bureaux du quai Voltaire.

Le premier de ces agents est le secrétaire général. Comme jadis, ce personnage prépare et facilite la besogne au ministre. C'est lui qui surveille l'arrivée et le départ des dépêches, leur enregistrement et leur distribution aux bureaux, l'envoi aux conseillers d'État de la police des pièces qui les concernent. Il recueille et transcrit les décisions du ministre ; il les prépare aussi, se livrant au travail relatif à la présentation et au classement des candidats aux places de commissaires généraux, spéciaux et particuliers, aux mouvements du personnel de la police. C'est lui encore qui s'occupe de l'obtention des passeports, des renseignements à donner au public sur le résultat des réclamations adressées au ministre et, suivant la formule, de tous les objets généraux et urgents qui n'ont point de désignation fixe[23].

Les affaires de la presse, du théâtre, de l'imprimerie et de la librairie, rattachées jusqu'en 1809 au ministère de la Police, sont confiées au bureau des journaux, composé généralement de littérateurs stipendiés, attachés, par ce titre officiel, au ministère, mais restant hors des cadres, car ils ne relèvent que du ministre[24].

Le ministère lui-même se partage en six divisions. La première, que dirige le secrétaire intime du ministre, étudie les affaires dont celui-ci se réserve la connaissance exclusive, c'est-à-dire que cette division est fort occupée, car nul ne ressemble moins que Fouché aux rois fainéants. La seconde, toutefois, est considérée comme plus importante ; c'est cette redoutable division de sûreté générale et de police secrète, que dirige l'habile policier Desmarest. Elle est investie de toutes les affaires relatives à la sûreté générale et à la découverte des manœuvres qui tendent à y porter atteinte tant que ces affaires doivent rester secrètes ; elle est, en outre, chargée de tout ce qui est relatif à la police intérieure des prisons, notamment de l'organisation de l'espionnage des prisonniers par les trop fameux moutons[25]. Quant au personnel des prisonniers eux-mêmes, il diminue ou augmente selon le bon plaisir de la troisième division, car, chargée de la correspondance avec la commission sénatoriale de la liberté individuelle, elle est, en réalité, l'institution qui contrarie le plus cette liberté individuelle ; elle fait, en effet, preuve à l'égard de la commission sénatoriale d'une indépendance dont le Sénat ne se formalise pas, et qui lui est, du reste, inspirée par l'attitude du ministre de la Police vis-à-vis de cette illusoire sauvegarde hypocritement inscrite dans la constitution impériale ; même attitude envers la commission sénatoriale de la liberté de la presse, avec laquelle la troisième division correspond également. La quatrième division est celle des émigrés, radiation et surveillance ; la cinquième a pour département la comptabilité, et la sixième les archives ; la nature de leurs fonctions nous dispense d'y insister[26].

Telle est l'administration centrale de la Police générale, sise au quai Voltaire. C'est du cabinet du ministre, de ceux des conseillers d'État, des bureaux des divisions que partent ;as ordres adressés aux agents de la Police générale en France et à l'étranger, et c'est là qu'aboutissent tous leurs rapports.

Le personnel régulier et officiel de la police, en province, se compose des commissaires généraux de police, des préfets, des commissaires spéciaux et des commissaires particuliers.

Les commissaires généraux sont de petits proconsuls. Nous avons déjà eu l'occasion de dire dans quelles conditions ils avaient été institués et quelles étaient leurs attributions. Rappelons en deux mots que, établis dans les villes frontières, les ports ou les régions récemment agitées, ils y exercent, sous les ordres du ministre et des conseillers d'État dans l'arrondissement desquels ils se trouvent placés, les fonctions de police générale comme de police municipale[27].

Les commissaires généraux avaient sous leurs ordres, dans les villes où ils résidaient, les commissaires particuliers ; ils pouvaient requérir, pour l'exercice de la police, la garde nationale et la gendarmerie. Ils étaient payés aux dépens de la ville où ils exerçaient leurs fonctions sur les centimes additionnels aux contributions et sur les autres revenus de la commune[28].

On sait que le préfet de police jouissait, à Paris, exactement des mêmes prérogatives que les commissaires généraux. Son administration, encore que dépendant étroitement du ministère de la Police, constituait cependant un organisme trop particulier pour qu'il y ait lieu d'y insister dans une étude aussi sommaire sur la police générale[29].

Les commissaires généraux furent, en principe, établis à Nice, Toulon, Marseille, Cette, Perpignan, Toulouse, Bayonne, Bordeaux, Rochefort, Paimbœuf, Lorient, Brest, Morlaix, Saint-Malo, Cherbourg, le Havre, Boulogne, Ostende, Anvers, Clèves, Cologne, Mayence, Strasbourg, Huningue, Genève, Lyon et Turin. En réalité, les commissaires généraux furent moins nombreux, l'extrême impopularité à laquelle cette institution était en butte ayant empêché de lui donner l'extension qu'on avait tout d'abord projetée ; dès 1800, les seules villes de Toulon, Marseille, Bordeaux, Brest, Boulogne, Lyon et Gènes s'en trouvèrent dotées ; on y ajouta dans la suite Turin, Anvers, Livourne, Lorient, le Havre, Saint-Malo, la Rochelle, Strasbourg et Morlaix. Enfin, en 1810, on créa de nouveaux commissaires généraux à Wesel, Bayonne, Perpignan, à l'île d'Elbe et à Civita-Vecchia[30]. Si le décret d'organisation ne leur attribuait que des fonctions régulières et très déterminées dans la ville où ils résidaient, il va sans dire que, dans la pensée de la police et dans la réalité, ces hauts fonctionnaires avaient une tout autre situation ; leur influence réelle s'exerçait sur un rayon fort étendu ; placés en plein pays agité ou sur une côte suspecte, ils y centralisaient la police secrète, jetant à travers des régions entières leurs agents occultes, s'arrogeant vis-à-vis des fonctionnaires de tout ordre, douaniers, commandants de forts côtiers, capitaines de bâtiments maritimes, curés et maires, une singulière autorité ; le ministre prenait soin de décourager, en soutenant avec ténacité ses fonctionnaires attaqués, toutes réclamations et toutes protestations[31]. Ajoutons que dès 1809 une nouvelle charge fort analogue, encore que plus honorifique, avait dû être créée, celle des directeurs généraux de police ; ces hauts fonctionnaires étaient, dans les provinces lointaines et récemment réunies, représentants de la police générale. Le Piémont en reçut un pour le nord de l'Italie ; un autre fut installé à Florence pour le centre ; enfin, en 1811, on devait en nommer deux autres, l'un à Amsterdam pour la Hollande, l'autre à Rome. L'organisation de ces directeurs généraux fut réglée par le décret du 24 février 1808, titre V, qui instituait, avec le nouveau gouvernement général des départements au delà des Alpes, les directeurs généraux d'Italie[32]. Il n'y fut pas dérogé dans la suite.

Les commissaires généraux et les directeurs généraux se trouvaient, dans leur omnipotence, en conflit avec d'autres agents de la police générale, qui étaient les préfets des départements. Ceux-ci, relevant du ministère de l'Intérieur par leur nomination et la plus grande partie de leurs attributions, ressortissaient aussi au ministère de la Police générale ; le ministre avait la correspondance avec eux, ainsi que les conseillers d'État du quai Voltaire. Il en résultait que le ministre de l'Intérieur ne nommait jamais un préfet sans un accord préalable avec son collègue de la Police générale[33]. Napoléon reconnaissait, dès l'an XIII, à Fouché le droit d'être consulté non seulement sur la nomination de tout préfet, mais même sur toute demande de congé adressée par un préfet ou sous-préfet au ministre de l'Intérieur[34]. Quant à la nomination, il suffit de parcourir les papiers de la Police générale pour constater quelle part y avaient les bureaux du quai Voltaire, Desmarest lui-même étant sans cesse consulté à ce sujet.

Fouché eût voulu plus obtenir ; dans un mémoire dont on retrouve l'original dans ses papiers, il sollicitait le rattachement plus direct, et, partant, la nomination des préfets, au ministère de la Police : 1° parce que de toutes les fonctions déléguées à ces magistrats, celles de la police sont les plus graves, celles qui touchent de plus près au salut de l'Empire, à la conservation de l'Empereur, et qu'ici commue ailleurs, en morale comme en physique, le fort emporte le faible ; 2° parce que si ces officiers ne sont pas subordonnés au ministère de la Police, il n'a pas sur eux une action directe, absolue, et qu'il défaut de cette action, il ne peut plus répondre de rien. Il faisait observer qu'il y avait là pour le ministre une cause d'irresponsabilité grave, pour les commissaires généraux et les préfets eux-mêmes un élément d'anarchie et une source de conflits[35].

Il disait vrai ; les préfets, s'appuyant généralement sur le ministre de l'Intérieur, hostile la plupart du temps à celui de la Police, adressaient sous main au premier, s'il faut en croire l'un d'eux, les mêmes rapports de police qu'au second, recevaient peut-être des instructions d'ordre assez différent[36]. Cependant l'Empereur rendait son ministre de la Police responsable de la conduite d'agents qu'il ne pouvait avoir complètement sous la main[37].

Là où le préfet représentait seul la Police, il se contentait de servir ses deux ministres avec un zèle inégal, qui valait. à la plupart d'entre eux la rancune des hauts policiers. Mais la coexistence du commissaire général, agent direct et exclusif du quai Voltaire, et du préfet dans les grandes villes, Lyon, Bordeaux, Marseille, etc., entraînait des conflits dont les bulletins et rapports de police nous fournissent cent exemples.

Il en était de même entre les maires des grandes villes, qui y étaient, en somme, investis de la police municipale, et les commissaires généraux, chargés de diriger les commissaires particuliers[38]. Les conflits se multipliaient. Dès le 21 juin 1806, Fouché essayait de départager ces éternels belligérants en décidant que tout ce qui tenait à l'administration, revenus, charges, hospices, contributions, établissements publics, état civil, était de la compétence de l'autorité municipale, mais que tout ce qui tenait à la circulation des individus, à leurs opinions, à des machinations et autres faits analogues, appartenait au commissaire général de police. Les fonctions de maire, écrivait le ministre, doivent être paternelles et circonscrites à tout ce qui est relatif à l'administration ; s'il était en même temps chargé de la police, c'est-à-dire de la surveillance, il l'exécuterait mal. L'expérience a démontré que celui qui administre est un mauvais contrôleur, soit que les détails de son administration absorbent toute son attention, soit que, ayant besoin de ménagements, il craigne en censurant les autres d'appeler l'attention sur lui-même[39].

Ces arguments ne justifiaient pas seulement l'institution des commissaires généraux de police : ils dénotaient chez le vigilant ministre la pensée de supprimer d'une façon plus générale une partie des attributions municipales, celles qui ont trait à la police. La réforme resta sans exécution depuis lors, malgré les protestations et les requêtes de tous les chefs de la police depuis un siècle ; l'anomalie reste ce qu'elle était alors, et les officiers municipaux continuent à exercer des fonctions de police qui, la plupart du temps, pourraient être exercées contre eux. La création des commissaires généraux, abolis d'un trait de plume par le gouvernement provisoire de 1814, rétablis par Fouché en 1815 sous le nom de lieutenants de police et définitivement supprimés en 1817, était vraisemblablement le premier pas dans la voie des réformes. Les commissaires généraux avaient, du reste, un autre emploi ; Fouché considérait qu'on en pouvait établir exceptionnellement de provisoires, dans le cas d'une surveillance spéciale à exercer sur telle ou telle région pendant un court laps de temps.

A côté des commissaires généraux, des préfets et des maires, il y avait, à un rang un peu inférieur, des commissaires spéciaux qui précisément semblaient destinés, dans l'esprit du ministre, à ces fonctions de circonstance. Le plus célèbre fut celui de Boulogne, chargé de surveiller exclusivement les correspondances entre la France et l'Angleterre[40].

Enfin sous tous ces hauts fonctionnaires se trouvaient les commissaires particuliers de police, dont l'institution a survécu, puisque nous la voyons fonctionner tous les jours dans les villes quelque peu importantes de France, ayant sous leurs ordres les officiers de paix, les sergents de ville et les simples agents de police[41].

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Tout ce haut personnel de la Police générale, de 1801k à 1814, est forcément assez disparate, mais n'est pas, à beaucoup près, aussi mal composé qu'on le pourrait croire, d'après les idées généralement accréditées sur le recrutement de la police. Beaucoup de hauts fonctionnaires de la Police générale, administration régulièrement organisée, sont des hommes de carrière, les conseillers d'État, maitres de requêtes et les auditeurs eux-mêmes mis à part, d'anciens magistrats, d'anciens administrateurs ; quelques-uns sont de fort honnêtes gens, issus de familles et de milieux où se recrute rarement la police. Il est sûr que ces gens, dont quelques-uns sont même d'ancien régime, doivent se trouver quelque peu gênés par certains contacts, mortifiés de certaines subordinations ; mais Fouché s'est appliqué à tenir la balance égale dans l'organisation de son personnel, tant à Paris qu'en province, entre les éléments que lui fournit la Révolution et ceux que lui impose l'ambition, jadis exprimée aux consuls, de faire de la Police générale une administration respectable et digue d'égards. Comme, d'autre part, il n'a pas oublié certaines amitiés passées, certains milieux où il trouve des créatures dévouées à son service, l'Oratoire, le clergé défroqué, les épaves de la Convention, il y puise parfois des agents de tout ordre. C'est alors une assez singulière mixture. Nous allons le constater en jetant un coup d'œil rapide sur tout ce curieux personnel.

Les conseillers d'État, chefs d'arrondissement, représentent plutôt ici l'élément conservateur. Pelet de la Lozère, chargé du troisième arrondissement, a siégé à la Convention, à la vérité, mais dans les rangs modérés ; il a été un des thermidoriens du Marais, un ami de Boissy d'Anglas, a encouru le soupçon, non justifié du reste, d'avoir trempé dans le mouvement de Vendémiaire, a été jadis porté aux Cinq-Cents par une popularité inconcevable, car il y a été élu par soixante et onze départements de la République ; préfet du régime consulaire et conseiller d'État en 1802, ami intime de l'archichancelier Cambacérès, il est comme lui modéré, bienveillant et effacé, personnifiant fort peu le policier classique sombre, sévère et sans scrupules ; il en a beaucoup, ce qui ne l'empêchera pas de rester le sous-ordre impassible et terne du peu scrupuleux Fouché et du brutal Savary : car il demeura au ministère jusqu'en 1814[42]. Son collègue Miot, plus tard comte de Mélito, fit au quai Voltaire un séjour plus court[43]. Il en sortit en 1803, son arrondissement étant supprimé, pour suivre Joseph Bonaparte à Naples ; diplomate estimé, foncièrement antijacobin, il était devenu tribun en 1799, puis conseiller d'État ; ses fonctions de police ne lui allaient pas, car il était peu audacieux ; quoique aussi hostile au fond à Fouché que Pelet de la Lozère, il sut vivre en bons termes avec le ministre, qui les annihilait l'un et l'autre, les réduisant au rôle de comparses et de conseillers timides. Le maitre de requêtes Angles, que Fouché eut peu de temps sous ses ordres, était plus franchement un homme d'ancien régime rallié plus ou moins sincèrement au nouveau ; fils d'un ancien conseiller au Parlement, resté très royaliste, puisque sous la Restauration il devait siéger à la Chambre parmi les ultras, le collaborateur de Fouché et Savary retourna dès 1814 à ses premières amours, ministre de la Police de Talleyrand du 3 avril au 15 mai 1814 et préfet de police de Decazes et autres de 1815 à 1821, ardent réacteur, fort hostile aux principes et aux hommes de la Révolution ; il était, du reste, très actif, et s'occupait avec intelligence et fermeté de son arrondissement de police, les départements au delà des Alpes[44]. Il est vrai d'ajouter que ces trois hommes, dévoués, à des titres divers, aux idées de conservation et de contre-révolution, palissaient devant la personnalité de leur illustre collègue, François Réal ; elle est trop connue pour que nous ayons ici à retracer la carrière et la physionomie du personnage : il représentait au ministère, même sous Savary qui en avait peur, les souvenirs les plus terribles de la Révolution ; le fils du garde-chasse de Chatou avait été, on s'en souvient, accusateur public en 1792, substitut du procureur de la Commune Chaumette en 1793 ; enfermé comme ami de Danton au Luxembourg, thermidorien de gauche, il avait montré comme Fouché de 1794 à 1797 une tendance jacobine malgré tout persistante, défenseur officieux de Carrier en 1794, de Babeuf et de ses complices en 1796 ; au demeurant, quoiqu'il ne faille pas s'arrêter aux justifications passionnées de Mme de Châtenay, moins brutal et moins cruel que ne le voulait bien dire Pasquier, son sourd adversaire de 1810 à 1814 au ministère de la Police ; on le connut serviable et modéré, mais ses fonctions mêmes, l'obligeant à être dans l'Ouest le collaborateur de Fouché, l'entraînaient à la répression plus que Pelet ou Miot ne l'étaient par leurs charges respectives[45]. A certains égards, Dubois, encore qu'ayant été magistrat d'ancien régime, eût pu représenter dans le quatrième arrondissement de police les mêmes idées que Réal, car il n'était, en 1800, entré à la préfecture de police que comme créature de celui-ci et de Fouché ; mais ce sot personnage, vite conquis par la faction réactrice, nous dirons ailleurs pour quels motifs, avait été immédiatement réduit par ses anciens protecteurs au rôle de nullité prétentieuse, mais sans action ; on le verra bien à la façon dont se terminera, en 1808, la première affaire du général Malet[46].

En sous-ordre une seule personnalité attirait l'attention, le seul collaborateur que Fouché, après Réal, appréciât à sa hauteur, c'était Pierre-Marie Desmarest, qui, dans ses Mémoires, s'intitula chef de la haute police et qui portait en réalité le titre de chef de la division de la sûreté générale et de la police secrète ; ce Desmarest, la troisième puissance du quai Voltaire, après Fouché et Réal, représentait comme eux la Révolution dans la police[47]. C'était un ancien prêtre, celui-là fort authentiquement ordonné ; qu'il ait été chanoine de la cathédrale de Chartres, ce qui a été dit, mais est douteux, ou curé de Longueil-Sainte-Marie, comme cela est établi par son récent et ingénieux biographe, il était, dans tous les cas, de la tourbe déclassée des prêtres transfuges, car il avait, en 1792, abandonné l'Église conventionnelle elle-même : directeur des vivres et fourrages à l'armée du Nord, grand jacobin, sans-culotte violent, il avait déclamé contre les despotes avant de devenir le pourvoyeur du despotisme ; commissaire du pouvoir exécutif à Bordeaux, administrateur des hospices civils et militaires, employé de nouveau au service des vivres, mis en relation avec Fouché et Réal par les obscures spéculations de la Société de Saint-Ouen, il se promena ainsi en déclassé à travers toutes les carrières irrégulières qu'offrait une époque troublée, jusqu'au moment où, installé pour la première fois au quai Voltaire, Fouché l'appela à la direction de la fameuse division, qui n'eut dès lors pas d'autre chef. C'était un homme intelligent, discret, prudent et habile ; il dirigea d'une main sûre et ferme le plus formidable service de police de sûreté qu'on ait connu, puisque ses espions couraient alors de Londres à Naples et de Madrid à Saint-Pétersbourg. Mais c'était aussi et surtout un merveilleux interrogateur, expert, dira Ouvrard qu'il vit à Vincennes[48], dans l'art des longs et captieux interrogatoires ; il était sous ce rapport précieux à Fouché, qui, on le voit en parcourant les papiers de la police, le déléguait aux enquêtes délicates.

Sous un ministre aussi actif et aussi personnel que Fouché, le secrétaire général devait être nécessairement assez effacé. Thurot, qui remplit le premier près de Fouché ces fonctions importantes, était un fripon sans valeur, encore qu'il se vantât plus tard d'avoir eu sur son ministre une influence sans limites[49]. Lombard-Taradeau était un brave homme, ami personnel de Fouché[50], et, quoique Saulnier ait essayé en 1810 de s'émanciper de la tutelle du ministre[51], il avait dit, pendant ses dix ans de fonctions, garder une attitude de bureaucrate exact, mais effacé.

En revanche, le ministre avait dans les bureaux des agents actifs, presque tous de basse extraction et sans l'ombre d'un scrupule. Pasques, qui devint inspecteur général de la police, servait à sa manière aux interrogations difficiles : ce colosse, qui effrayait la duchesse d'Abrantès, était, de l'aveu de Fouché à Norvins, une sorte de tortionnaire[52], et quant à Fondras, il était le policier classique parti de bas, employé sous le policier Veyrat à la préfecture[53], le supplantant, disposé à servir le maître du jour, Dubois, Pasquier, Bourrienne., Decazes, Fouché ou Savary, limier de la maison dont Pasques était le molosse.

D'autres figures inquiétantes s'apercevaient dans les bureaux du quai Voltaire : cet Esménard, l'âme damnée de Fouché en matière de censure littéraire, l'espion des poètes et le poète des espions[54] ; l'ex-terroriste Tisset, sans-culotte lyonnais, qui avait jadis acclamé Fouché à Ville-Affranchie et, ayant écrit l'atroce Lettre de la guillotine de ci-devant Lyon à la guillotine de Paris, avait sans doute mérite par ce pamphlet ignoble la place d'inspecteur de la librairie[55] ; l'oratorien défroqué Babey, ancien professeur de Fouché[56], et les secrétaires du maitre, d'origines diverses, que nous retrouvons ailleurs : le ci-devant vicomte de Villiers du Terrage, Maillocheau et Jay, tous deux anciens élèves de l'Oratoire. Mais on eût retrouvé bien d'autres figures inattendues eu cet endroit, car l'ancien curé jacobin Desmarest et l'ex-terroriste Tisset n'y coudoyaient pas seulement le conservateur Miot et l'aristocratique Anglès, mais encore un fonctionnaire plus humble, Alphonse de Beauchamp, bourbonien fervent, publiciste catholique et royaliste, échoué un jour de misère dans le bureau du Comité de sûreté générale[57].

Ce mélange étonnant, parfois amusant, se retrouvait dans le personnel des commissaires généraux. Nous n'avons ni la prétention ni le loisir d'esquisser ici ces figures que dévisageaient avec effroi fonctionnaires impériaux et citoyens des grandes villes de l'Empire ; mais il importe cependant de faire remarquer là encore dans quel singulier esprit d'éclectisme Fouché avait recruté sa police. Les candidatures aux places de commissaires généraux étaient fort nombreuses : en 1806 Fouché, désireux d'en renouveler le personnel, présentait fi l'Empereur une liste de candidats acceptables ; or, parmi ces candidats à une place que nos idées actuelles nous font considérer comme entachée d'une véritable défaveur, on trouvait le maire de Toulouse, M. Picot-Lapeyrouse ; un ancien juge de paix, propriétaire aisé, actif et probe, disait la note, M. Brillaud-Laujardière ; un ancien capitaine du génie, Bayard ; le substitua du procureur impérial de Caen, M. Chantereyne : trois anciens membres du Corps législatif, un ancien tribun, un ancien conventionnel, un ex-membre des Anciens, un autre du conseil des Cinq-Cents, etc.[58]. Et ce sont ceux qui sont momentanément écartés. Les autres sont de genre assez différent ; l'Oratoire a fourni Oudet, l'ex-professeur de Nantes, commissaire général à Turin, puis à Livourne[59], et Maillocheau, passé du cabinet du ministre à l'important commissariat de Lyon[60], deux créatures de Fouché que Savary, d'un trait de plume, raya du personnel dès les premières semaines de son ministère[61]. L'aristocratie, après l'Église, fournit quelques représentants ; il y a l'excellent de Permon, qui, frère de la future duchesse d'Abrantès, prétend descendre des empereurs de Byzance, mais qui se contente de représenter dans le commissariat de Marseille cette illustre maison[62] ; il y a le comte d'Auzers, d'une noblesse moins fabuleuse et plus authentique, qui succède à Oudet à Turin[63] ; il y a le très aristocratique vicomte de Villiers du Terrage, noblesse de robe et de finance, qui, secrétaire de Fouché sous le Directoire et le Consulat, l'a poussé à la politique de réaction ; il est devenu commissaire général à Boulogne en 1804, sera nommé en 1810 directeur de la police de Hollande[64], tandis que M. de Norvins-Montbreton remplit la même place à Rome[65]. Mais la Révolution ne perd pas ses droits ; elle réclame avec Desmarest, Tisset, Réal à Paris, à Brest l'ex-terroriste Chépy, proconsul policier sur ces côtes bretonnes, jadis grand orateur de club et grand massacreur de nobles[66] ; elle réclame aussi Pierre Pierre, commissaire général à Bordeaux ; Mengaud, commissaire spécial à Boulogne, mon meilleur dogue, dira Fouché[67]. Et on retrouverait certainement dans les rangs inférieurs, parmi les commissaires de police, le même mélange, débris des vieilles classes ruinées et amoindries, anciens nobles, anciens prêtres, débris aussi des clubs, sociétés, comités jacobins, fonctionnaires de Saint-Just et de Vadier[68].

C'est là cependant le personnel officiel, régulier et avoué ; on pense ce qu'est l'autre. Car il y en a un autre, il y a la police secrète qui évolue ténébreusement sous les ordres de Desmarest, parfois même sous la surveillance immédiate du ministre lui-même. Il est plus difficile, à la vérité, de pénétrer et surtout d'exposer brièvement son organisation, car c'est un monde divers, fluctuant, insaisissable par nature, dont l'origine, le caractère, le mode de recrutement et d'action, les relations avec le ministère de la Police et la société ont quelque chose de si varié, que le tableau de ce monde intéressant nous mènerait trop loin de Fouché. Et cependant, cette police étant son œuvre, il s'y faut un peu arrêter.

On l'emploie surtout à Paris sous les ordres du ministre et de la préfecture, en province, à l'état exceptionnel, sous la direction des préfets et commissaires généraux, à l'étranger enfin où elle agit parfois successivement, parfois simultanément pour le compte de quiconque la paye.

Paris, le monde peu honorable des mouchards se trouve étagé du haut en bas de l'échelle sociale : il va de la dame du monde qui ouvre ses salons pour écouter ou faire écouter ce qui s'y dit, aux plus infimes marchands de vin qui recueillent des propos après boire et transforment même parfois leurs cabarets en souricières. La race n'en est pas perdue. Naturelle-nient les listes ne nous en ont pas été conservées ; Fouché en brûla beaucoup en quittant le ministère en juin 1810, nous verrons dans quelle circonstance ; la chronique scandaleuse y avait inscrit de nobles dames, d'anciens héros de la Convention, de vaillants officiers et de bons bourgeois. Une liste, antérieure, il est vrai, au retour de Fouché en 1804, mais la seule qui nous soit conservée, donne une idée assez nette de la composition générale de cette aimable cohorte. Cette liste communiquée à l'Agence anglaise de 1799, par l'agent de la police qui trahissait son administration au profit des royalistes, fut saisie dans les papiers de l'agence et se retrouve ainsi dans les dossiers de cette curieuse conspiration ; or Fouché en une note annexée à ces dossiers déclare généralement exacts les renseignements donnés. A en croire ce document, les mouchards étaient divisés en trois sections. La première comprenait beaucoup de cabaretiers, d'anciens valets de pied et domestiques, occasionnellement employés par la police sans qu'ils y fussent régulièrement attachés ; ce monde est déjà très varié, très bas du reste, inférieur à celui des agents reconnus. On y voit à côté des marchands de vin et valets un Gilbert Cordier, cireur au Palais-Royal ; un Joseph Jolie, chassé d'une maison de jeu, ancien terroriste subalterne ; un Letrône, bandit avéré, alors en prison pour faux — car ces intéressants personnages passent sans cesse des bureaux de la préfecture à ses prisons — ; un Lecompte, mouchardant les petits théâtres ; un Lecoup, ancien garde du corps de Louis XVI, à côté d'un ex-conventionnel, Lavicomterie. Les déclassés de tous les régimes se coudoyant en cet infâme milieu, on y voit un Morelli mouchardant les jeux, un Marné chargé de la banlieue, un Millé, huissier, utile par conséquent pour les perquisitions ; une dame Moclar espionnant les cercles et les grandes sociétés, une Mme de Neufgermain faisant jaser les détenus du Temple, Mme Saint-Huberti espionnant les maisons de filles, tandis que le nommé Simon surveille le public des cours d'assises et glue Sébastien, dit Jacotot, marchand de pommes et feignant d'être estropié, étudie avec intérêt les promeneurs du Palais-Royal. La seconde section comprend les individus attachés à la voirie de Paris, gens qui ne reçoivent pas du ministère un traitement fixe, mais une indemnité à chaque dénonciation, 100 francs en 1800, lorsqu'ils signalent un émigré rentré en fraude. La troisième section était, suivant l'agent, formée des individus aux dépenses secrète. C'étaient des gens régulièrement subventionnés, la vraie police secrète : en 1800, il y en avait quarante-deux seulement, les deux autres sections réunies en fournissant deux cent onze. Il y a dans cette troisième section des groupes bien distincts ; le beau monde y a plus d'un représentant : M. de Saint-Firmin, principalement chargé de moucharder la conduite des nobles. ; une baronne d'Ambzac, un marquis d'Abouville, un chevalier Dorival, attaché depuis quinze ans à la police, survivant de la police d'ancien régime ; un ancien capitaine de cavalerie, Gérard de Folville ; une baronne de Lauterbourg, fréquentant ce qu'on appelle les meilleures sociétés ; une dame de Lignières, employée déjà sous Robespierre, femme très dangereuse ; une dame de Neufcourt, femme très déliée ; un chevalier de Varignière, etc., l'armorial de la police secrète. Outre le chevalier Dorival, la police des lieutenants généraux avait légué quelques mouches à la police républicaine : un Robillard, qui mouchardait jadis au théâtre de Monsieur, un Petremier, qui existait sous M. de Sartine, tandis que la police de la Terreur avait passé au ministère un Ferrière-Sansbœuf, qui avait fait conduire un grand nombre de personnes à l'échafaud ; un Bréon, ancien membre du bureau central ; un Collin, ami intime de Couthon et de Robespierre ; l'ex-conventionnel Fréron, un ancien ami du directeur Moulin, Folk-barbe ; un ancien agent des Jacobins, Lemery, etc., etc.[69].

A la suite de la dénonciation qui nous vaut de connaitre cette liste bigarrée autant qu'édifiante, les agents brûlés avaient dît être en grande partie congédiés : Fouché en avait profité pour renouveler son personnel de police secrète. S'il faut en croire certains témoignages, il s'adressa très haut, puisque Joséphine de Beauharnais et Bourrienne en faisaient partie : la malignité publique y inscrivit pêle-mêle le duc Adrien de Montmorency-Laval, l'ex-conventionnel Barère, la baronne de Châtenay, l'ancien oratorien Gaillard, le jacobin Méhée de la Touche, la comtesse de Saint-Elme, bien d'autres encore, qui protestèrent depuis avec énergie, quelques-uns avec raison, contre cette infamante accusation. Savary cependant, privé par Fouché des listes d'informateurs, engloba de bonne foi dans la police tout ce monde d'amis de Fouché, étendant ses soupçons jusqu'à cette grande dame, la princesse de Vaudémont, qu'il fit mander au ministère pêle-mêle avec l'agent Jullian, espion plus authentique, et la baronne de Châtenay. Il essayait ainsi de reconstituer sa police secrète, qui, suivant l'expression d'un contemporain, resta néanmoins sous Savary de n moins bonne compagnie n que sous Fouché[70]. Ce qu'il y avait de vrai, c'est que les castes d'ancien régime n'y étaient guère représentées que par des gens tarés comme cette comtesse de Saint-Elme[71], comme ce prêtre défroqué Bassel, si longtemps employé ; on y trouvait d'anciens terroristes comme Méhée[72], d'anciens chouans comme ce Chappedelaine, dont la présence au service de la police nous est signalée par Pasquier, et quelques autres gens, déclassés de tous les mondes et aventuriers de tout poil[73].

En province, la police secrète était entre les mains des commissaires généraux et préfets : ces fonctionnaires en avaient le choix lorsqu'on ne leur en expédiait pas de Paris, et on gardait le secret. On y voyait aussi des gens de tout ordre comme ce brigand Lambert, pris avec une bande, et que le préfet du Mont-Tonnerre, le trouvant intelligent, attache à sa police[74] ; comme ce Liquet, modeste fonctionnaire de la mairie de Rouen, qui dans l'affaire d'Aché sut déployer tous les talents d'un policier de premier ordre ; comme cent autres dont la correspondance des préfets nous livre ou nous tait les noms[75].

Mais c'est surtout à l'étranger que fleurit l'agent secret. Au très grand mécontentement du ministère des Relations extérieures, Fouché a, dès les premiers jours, obtenu de l'Empereur l'autorisation d'entretenir des agents à l'étranger. Il se fût sans doute, du reste, passé de la permission. Il a donc des correspondants partout, à Hambourg, à Berlin, à Vienne, à Rome, à New-York, à Londres, derrière les armées de l'Empereur et à côté des ambassades[76]. A Hambourg, qui, nous l'avons vu, est le centre, le rendez-vous des agents anglo-royalistes, Bourrienne est bientôt, sous le couvert d'un titre diplomatique, un fonctionnaire de la Police générale bien plus que des Relations extérieures ; chef d'un universel espionnage dans l'Allemagne du Nord, il surveille surtout Altona, faubourg danois de Hambourg, devenu, d'après l'expression de Bourrienne lui-même, le rendez-vous de tous les brigands, de tous les voleurs, de tous les banqueroutiers et aussi de tous les émigrés aigris, de tous les agents actifs de George III et du comte de Lille[77]. Altona est surveillé par la police impériale, avec la même attention qu'aujourd'hui Londres et Genève par le service de la préfecture chargé des anarchistes[78]. Bourrienne est le grand directeur de cette surveillance : Fouché a, dans une note secrète, prié Desmarest de lui donner à son départ les renseignements propres à faciliter sa mission[79]. La correspondance très suivie entre le ministre à Hambourg et le quai Voltaire permet de voir comment Bourrienne sut s'acquitter de ses fonctions : il n'était pas seulement un surveillant local : en relation avec le port, les banques, les maisons de commerce, les agents internationaux, il était au centre des informations de l'Europe entière, dénonçait Stockholm, Saint-Pétersbourg, Berlin, Francfort et Londres[80].

En Allemagne, du reste, c'était un grand déploiement de police : on voit pendant deux ans filer par d'habiles agents tantôt La Ferronnays[81], tantôt d'Awerweck, tantôt le libraire Haas de Cologne, tantôt Dumouriez ; ici c'est une agence anglaise des bords du Rhin, là un groupe d'émigrés dont tous les propos, faits et gestes deviennent l'objet d'une savante surveillance. Le commissaire général de Livourne a, avant 1808, ses espions à Rome, qui y recueillent les secrets de l'Internationale catholique, tellement avisés qu'ils pénètrent et dénoncent les délibérations secrètes du Vatican, et de New-York on envoie au ministre des renseignements sur le monde des réfugiés, Moreau, Villot, Lajolais, Hyde de Neuville. Mais c'est surtout à Londres qu'en dépit d'une certaine interdiction de Napoléon, Fouché dirige les évolutions de son armée. Un agent y espionne le cabinet anglais, y dénonce et fait échouer les projets de descentes et de soulèvements de l'Ouest, parait très au courant des faits et gestes des ministres britanniques comme de ceux des agents du comte d'Artois[82]. L'Empereur lui-même avoue en 1807 qu'il ne peut guère être renseigné sur la politique anglaise que par Fouché et ses bulletins.

Comme il y a des contre-polices et des contre-agents, on les dépiste, on les trompe, on les perd, parfois on les enrôle ; les princes Bourbons sont espionnés par leur cuisinier dans leurs réceptions comme dans leurs prières ; les émigrés de marque, les chefs de l'ancienne Vendée, les aventuriers de la lande qui se réfugient à Londres sont suivis, pénétrés, dénoncés. Comme par surcroit Fouché est autorisé à employer à certaines surveillances les agents diplomatiques, on voit de quels savants réseaux il peut envelopper l'Europe. On le voit s'adresser du ministre à Florence pour la surveillance de treize agents du roi de Sardaigne, à l'ambassadeur à Madrid pour faire interroger le banquier Carrera, au ministre à Naples dès l'an XII pour faire arrêter tel ou tel : les exemples abondent. Pour faire filer d'Antraigues, c'est au ministère de Talleyrand qu'il a recours.

Les agents de cette police à l'extérieur échappent naturellement presque tous à notre connaissance. C'est un monde trouble, énorme : Fouetté travaille en une ample matière, car l'Europe est pleine d'aventuriers internationaux se vendant tantôt à la police impériale, tantôt aux agences anglo-royalistes. Ce n'est que par hasard qu'on connaît par Bourrienne le nom du mystérieux personnage qu'on voit avec tant de persévérance filer l'agent royaliste La Ferronnays à travers l'Allemagne : c'est l'agent Chefneux[83]. Nous connaissons par une lettre du comte Decazes, bien postérieure, le nom de l'agent de Fouché à Naples, Jullien[84]. Quelques noms encore et quelques physionomies qui mériteraient d'arrêter plus longtemps : ce Lacoudraye, qui, après avoir espionné les prince : Bourbons pour le compte de la France, passa au service de Dumouriez, actif agent de la contre-révolution[85] ; ce Vernègues, ancien liant agent du duc de Berry à Rome, qui, arrêté, conduit à Paris, non seulement dénonce l'organisation de la diplomatie in partibus de Louis XVIII, mais encore devient entre les mains du terrible Desmarest un agent d'information sur toutes choses[86] ; ce Butler, compromis dans la conspiration de 1800, réfugié en Angleterre, expulsé pour escroquerie, accueilli par Fouché, employé par Bourrienne, et dont on tire parti en ordonnant ostensiblement son expulsion de France pour faciliter le succès des missions secrètes dont il serait chargé[87] ; ce Bavard, passé du service de l'Angleterre à celui de Fouché, puis retourné aux agents anglais[88] ; ce Martelli, envoyé à Londres par Bourrienne, redevenu agent de Bertrand de Molleville, et que finalement Fouché refuse de réemployer[89] ; ce Leclerc de Noisy, ancien secrétaire d'un ministre anglais, passé au service de la police[90] ; ce Rivoire, ancien chouan employé par Fouché à Londres, puis incarcéré sur son ordre[91] ; ce Dubouchet, ancien agent royaliste en Provence, qui se fait passer aux yeux des Anglais pour le Georges du Midi, les mystifie, envoie à Fouché des correspondances de Londres, dénonce l'envoi des agents royalistes Dubuc et Rossolin qu'il fait saisir ; brûlé peut-être à Londres, il est employé à la police de l'Allemagne, de la Pologne[92]. On pourrait citer mille de ces aventuriers dont Fouché fait autant de rouages de sa formidable machine.

Agents secrets de Paris, des départements et de l'étranger, c'est l'armée ténébreuse, irrégulière et bigarrée que commande avec brio l'actif Desmarest, ancien curé de Longueuil, l'armée des dénonciations, des filatures et des guet-apens. Mais il faut à la police une autre armée, l'armée d'exécution : c'est la gendarmerie. Nous avons vu ailleurs quel rôle Fouché lui voulait faire jouer et comment, dès l'an VIII, il s'était fait donner la disposition de cette grosse force : le maréchal Moncey, commandant en chef la gendarmerie française, dut se concerter constamment avec le ministre de la Police et lui confier la direction des opérations qui s'étendirent à toute la France, mais eurent pour principaux théâtres les départements de l'Ouest et les bords du Rhin. Sans doute l'Empereur entendait que la gendarmerie parût bien plutôt l'alliée que l'instrument de la police générale ; il se plaint amèrement des expressions qu'a employées un des conseillers d'État de la police à l'égard de la gendarmerie, bras, a-t-il dit, instrument et dépendance de la police[93]. Mais de fait le gendarme est bien tout ce que dit là le conseiller d'État Miot : si Napoléon veut qu'on respecte les susceptibilités de soldats peu désireux d'être ostensiblement sous les ordres de Fouché, celui-ci n'en dirige pas moins très étroitement le colonel Henry, par exemple, qui sur les instructions du ministre promène ses gendarmes des bords de la Loire aux rives de l'Ourthe et de la Sarre[94]. Cette armée de l'ordre est tellement rattachée au ministère que c'est la Police générale qui sert son traitement à l'inspecteur général de la gendarmerie. Fouché en dispose, sauf autorisation de l'Empereur qui ne la refuse jamais, plutôt prêt à y ajouter même des régiments d'infanterie, au grand dépit du ministre de la Guerre.

Voilà donc du haut en bas de l'échelle le personnel dont dispose la police : un état-major, le ministère, avec son chef responsable et actif S. E. le ministre de la Police générale, son secrétaire général, ses quatre conseillers d'État, ses chefs de division et de bureau, parmi lesquels se distingue le chef de la police secrète ; en dessous, l'administration de la Police générale, directeurs, commissaires généraux, préfets, commissaires, officiers de paix et agents de police, la police secrète en France et à l'étranger, agents irréguliers, temporaires et occultes stipendiés pour dénoncer, surveiller, filer ; individus de classes diverses chargés d'espionner les milieux où ils vivent, ce que Fouché appelle les observateurs exacts et le bon public les mouchards de Fouché ; enfin, quand il s'agit de battues, d'exécutions, de répressions, la gendarmerie marchant sous les ordres de ses chefs spéciaux, mais d'après les instructions du ministre. Fouché, maitre des trois armées par les conseillers d'État qui ne font rien sans le consulter, par le chef de la sûreté Desmarest à la tête de la police secrète, par le maréchal Moncey à la tête de la gendarmerie, combine leurs mouvements et reste ainsi maître exclusif de toute affaire.

Nous verrons tout à l'heure l'usage qu'il fait de tout son monde disparate de hauts fonctionnaires et de bas mouchards, de soldats et d'aventuriers.

Ce monde coûte d'ordinaire assez cher à entretenir[95]. Une pareille organisation supposerait donc un budget considérable. Il n'en était en apparence rien : le budget officiel de la police générale se tint constamment entre un et deux millions. Au moment où Fouché avait pris en l'an VII possession de son portefeuille, le budget montait à 1.100.000 francs[96] ; avec le Consulat, il était monté à 1.500.000 francs, qui se répartissaient pour l'an IX en 79.999 livres, traitement du ministre ; 528,928 livres, traitements d'employés ; 57.638 livres de frais de bureau, 35.440 livres pour la gendarmerie et 674.007 livres de dépenses secrètes[97]. Ce furent ces dépenses secrètes qui peu à peu s'élevèrent, entraînant une élévation progressive dans le budget du ministère. En l'an X, ce budget fut de 1,645.000 francs, dont 800.000 de dépenses secrètes ; mais le ministère ayant été aboli peu après, on ne trouve plus inscrite pour la direction de la police au ministère de la justice qu'une somme de 808.362 fr. 64. Mais aussitôt réorganisé, le ministère retrouve son budget et l'augmente : 1.418.100 francs en 1806, un million en 1808, 1.200.000 francs en 1809, 1.530.000 francs en 1810, 2 millions en 1811, année où Fouché a déjà quitté le ministère. C'était peu. Le traitement du ministre était en 1806 de 140.000 francs ; les bureaux du ministère coûtaient 400.000 francs ; ceux des conseillers d'État, 180.000 francs ; les traitements des commissaires généraux étaient de 501.990 francs[98]. Ces budgets, dont les moindres détails nous sont fournis par les papiers de la Secrétairerie d'État, ne contenaient plus les dépenses secrètes. Elles parurent devoir échapper à la connaissance et au contrôle du conseil d'État. Les dépenses, disait sommairement Fouché, consistent dans le traitement des agents d'exécution et de surveillance attachés au ministère, employés à la recherche des hommes prévenus de crimes, dans les frais qu'occasionnent ces recherches, dans les fonds mis à la disposition des préfets et des commissaires généraux pour l'exécution des mesures de sûreté que nécessite la sûreté de l'État. Ces dépenses sont toutes ordonnancées par le ministère. Il n'accorde de fonds que sur les motifs qui lui sont présentés, et après avoir jugé de l'utilité de l'objet. n Cette comptabilité était considérable : elle remplit, avec celle de la préfecture de police et celle dos commissaires généraux, de volumineux cartons qui permettent de lever un coin du voile étendu sur l'organisation de la police secrète. Les sommes employées à cet usage devaient être considérables : nous voyons en 1810 71.000 francs mis à la disposition des seuls commissaires généraux pour quelques objets de police secrète[99]. Sur la grosse somme affectée, on prélevait un jour 50.000 francs pour la police du gouverneur de Paris, les frais de représentation de celui-ci, ceux du général Buquet, inspecteur de la gendarmerie[100] ; des pensions, de véritables gratifications, comme en 1809 à Daunou, Lemontey et Chénier, pour indemnités à des travaux sur l'histoire de France ; 9.000 francs pour l'inévitable Esmenard, 24.000 francs à des hommes de lettres[101], 41.730 francs à des journaux, un traitement à un inspecteur de la librairie de 4.666 francs[102], 12.000 francs de frais de voiture pour M. Bourrienne, fonctionnaire des Affaires étrangères[103]. L'examen des cartons de comptabilité offre bien d'autres exemples du singulier et disparate emploi de la caisse des fonds secrets[104]. On pense si tout cela dépasse les 170.000 francs inscrits au budget[105].

Sur quelles ressources dès lors sont pris ces fonds ? Il était assez rare qu'on versât dans les caisses de la police les sommes saisies sur les conspirateurs arrêtés ; on en faisait don soit aux délateurs, soit aux exécuteurs[106]. Il y avait des ressources fournies par le a droit de port d'armes y et le a droit de passeport[107]. Mais il y avait surtout la ferme des jeux. Cette administration des jeux était entre les mains du ministre de la Police. C'était pour les maisons de jeu une grande garantie de sécurité, la police étant intéressée à les voir prospérer. Dès l'an XII, les frères Perrin offraient de prendre la ferme à raison de 3.490.000 francs pendant la guerre, 4 millions à la paix, de 5 millions à la paix générale[108]. Or, si Napoléon attribuait une grande partie de ces ressources aux travaux publics, aux œuvres de bienfaisance, à l'administration des Beaux-Arts[109], il restait au ministre de la Police de très grosses sommes, ressources importantes dont l'emploi échappait à tout contrôle[110]. Il possède donc le nerf de la guerre, et, ainsi organisée, la Police générale est toute-puissante.

Elle l'est aussi par l'énorme compréhension qu'elle peut attribuer à ses fonctions. Le ministre de la Police, dira Talleyrand, est un homme qui se mêle de ce qui le regarde, et ensuite de ce qui ne le regarde pas[111]. Il a, d'après la définition même de Fouché, la surveillance de toutes les parties de l'ordre public[112]. Une pareille conception autorise toutes les ingérences. Cette surveillance s'exerce en effet sur les personnes, du plus haut au plus bas : l'Empereur est l'objet d'une constante police : les Tuileries, Saint-Cloud, Fontainebleau sont remplis d'agents de Fouché[113] ; ministères et corps constitués ne sont pas, on le pense, épargnés : il y a des a observateurs a dans les couloirs des assemblées, peut-être parmi leurs membres ; il y en a au faubourg Saint-Germain, dans les salons même où fréquente le ministre ; il y en a au faubourg Saint-Antoine, dans l'arrière-boutique des marchands de vin ; il y en a à la table des ministres et à celle des préfets. Il faut surveiller les royalistes, cela permet des investigations allant des salons du noble faubourg aux châteaux de la Vendée ; il faut surveiller le clergé : il y a toujours, dans les excellents paroissiens, au bas de la chaire de vérité, quelque bon observateur exact... ou inexact[114]. C'est dès lors le ministère qui fournit aux autres départements des renseignements sur tel ou tel candidat aux places dont ils disposent ; c'est le ministère qui fournit des agents pour espionner tel général suspect ou tel sénateur hésitant ; c'est le ministère qui réglemente la prostitution, car le Palais-Royal est sévèrement tenu par l'austère Fouché[115]. C'est le ministère aussi qui réglemente et surveille les jeux, qui recherche et poursuit les voleurs, qui fait régner l'ordre dans les prisons[116], dans les théâtres, et qui, en cette qualité, rétablit à son profit la censure dramatique ; c'est le ministère qui a la police de l'imprimerie et de la librairie[117], de la presse périodique[118], des chansons et des journaux ; il en supprime et il en imprime : la police défait et fait l'opinion, compose des couplets, des articles de journaux et des pièces de théâtre[119]. Chargée de surveiller les côtes de l'Océan et les immenses frontières de l'Empire[120], elle se trouve ainsi investie de la poursuite et de la répression de la contrebande, énorme tâche après le décret de blocus, du brigandage et de la désertion, constant souci, plus préoccupant à mesure que grandit la tyrannie de la conscription[121]. C'est le ministère qui veille sur les prisonniers de guerre enfermés à Verdun, sur les princes captifs en France, sur les diplomates dans leurs ambassades, se chargeant de trouver dans leurs faits et gestes l'indice de la paix et de la guerre ; rien d'amusant et d'édifiant comme la persévérante filature de l'excellent de Lucchesini, l'ambassadeur de Prusse, de M. de Cobenzel ou de M. de Metternich, des négociateurs anglais et russes en 180G, lord Yarmouth, lord Lauderdale et M. d'Oubril, pourchassés du théâtre à l'hôtel et de la salle à manger à la chambre à coucher[122] ; pas un pas du diplomate qui ne soit signalé, commenté, interprété : la police veut connaître sa fortune, ses distractions, ses relations, ses maitresses, et lui en fournit au besoin de son choix. Napoléon, en en blâmant l'excès, encourage cependant cette surveillance qui le rassure... et l'amuse. C'est encore la police qui a le département des grèves, coalitions, rassemblements d'ouvriers, qui organise et fait respecter la liberté du travail. C'est elle qui du haut en bas de l'échelle sociale épie, surveille, signale et réprime. Elle a la disposition des passeports[123]. Elle a le département des complots et des conspirations, et cela suffirait à en faire la grande puissance du moment, car la guerre anglaise qui dure de 1803 à 1814 n'est qu'une conspiration ininterrompue qui s'étend de Londres à Paris, de Bayonne à Rouen et de Cadix à Pétersbourg.

Il va sans dire qu'une pareille puissance met la police en conflit avec toutes les autres administrations, nous aurons lieu de le constater[124]. Il y faut donc un doigté singulièrement délicat. C'est le mérite de Fouché. Il a créé le ministère de la Police, et lui seul en connaîtra toutes les ressources ; il a fait mieux : il lui a fait cette réputation de formidable sollicitude et d'infatigable perspicacité qui à elle seule vaut dix mille agents : il n'a pas fait aimer la police, comme il en exprimait la prétention en 1800[125], mais il l'a fait admirer et craindre[126]. Il en est le deus ex machina, car son attention se porte des grandes aux petites choses, genre bien particulier, propre à ces fonctions délicates. Le ministre, à son sens, doit se mettre en contact avec les hommes marquants ou influents de toutes les opinions, de toutes les doctrines, de tontes les classes supérieures de la société[127]. On sait qu'il a su mettre en pratique cette judicieuse opinion, ce qui lui permet, ajoute-t-il, de juger sainement les dénonciations de ses agents[128]. Il a toujours ainsi ses renseignements particuliers. à opposer à ceux de ses mouchards, très souvent erronés. Du reste, il est toujours le mieux renseigné ; il est aussi le plus actif agent de son ministère, ne dédaignant nulle besogne ; ce sera lui qui, dans l'affaire des agents Dubuc et Rosselin, découvrira le secret de l'encre sympathique employée dans leur compromettante correspondance avec l'Angleterre[129]. D'autre part, il se plaît à interroger lui-même tel ou tel suspect, quoique ayant sous la main ce redoutable inquisiteur qu'est Réal et l'insinuant juge d'instruction qu'est Desmarest. Il n'a rien d'un ministre qui règne et ne gouverne pas. Dès 1800, l'agent de la contre-police royaliste écrivait qu'il ne pouvait connaître les secrets de la police, parce qu'il y en a, et le nombre en est considérable, qui ne se concertent qu'entre le ministre et son secrétaire particulier ou bien un inspecteur général. Encore le ministre souvent ne fait-il part de ses projets qu'au moment de l'exécution, ajoutait l'agent[130].

Cette action personnelle a un avantage : elle confirme fort à propos ce grand policier, trop sceptique pour prendre par le côté mélodramatique son redoutable métier, dans une singulière défiance des propos, rapports et confidences des agents et mouchards. Il les comparait, disait Réal, aux diligences qui doivent partir pleines ou vides. Un agent de police, ajoutait-il, doit tous les jours faire un rapport pour gagner son argent et donner preuve de zèle ; s'il ne sait rien, il invente ; si par hasard il découvre quelque chose, il croit se rendre important en amplifiant son sujet. Réal disait encore que si à aucune époque la police politique ne fut mieux faite en France que sous Fouché, jamais on n'employa moins d'agents, et cependant tous les jours Fouché remplissait deux ou trois corbeilles de rapports qu'il ne lisait pas[131].

Cette défiance des mouchards, malheureusement trop peu commune chez les chefs de la police, n'était pas une dei, moindres qualités du grand ministre du quai Voltaire. A étudier la masse énorme des bulletins quotidiens, on est étonné de voir si peu d'erreurs, si peu de malentendus. Fouché contrôle, compare, animé d'un assez rare esprit critique. Il se moque des conspirations de circonstance, des complots forgés, de la police de provocation, et n'en approuve rien.

Il a, du reste, ou du moins affecte sur la police des idées hautes et larges, en remplit ses notes aux fonctionnaires de son département, ses circulaires aux préfets, ses projets d'organisation et ses rapports à l'Empereur. De l'an VII, où il prend la tête du département qui lui est confié par Barras contre les jacobins, à juillet 1815, où il dirige, contre les ultra-royalistes surtout, la police de Louis XVIII, il ne change pas d'idées à ce sujet. La police, écrit-il en l'an VIII, est une surveillance continuelle de l'ordre de toutes les parties de la société... Le regard de la police est partout, et presque toujours son action se borne à voir...[132] La police, dit-il encore, n'est qu'une auxiliaire de la justice. Dans sa circulaire du 30 brumaire an VIII, le ministre de Bonaparte écrit : Parce qu'elle a été dans la main des rois, la police a passé généralement pour un instrument de despotisme ; la justice, parce qu'elle est rendue par les organes des lois, a paru souvent égarée dans leurs obscurités et dans leurs contradictions... Mais c'est la police qui, ayant partout des regards et des bras, peut faire arrêter les coupables partout où les crimes peuvent être commis ; c'est elle qui, disposant pour maintenir l'ordre public d'une force armée supérieure à toutes les forces qui peuvent la troubler, a tous les moyens de mettre les prévenus sous la main de la justice et d'écarter, de vaincre ce qui s'opposerait à l'exécution de ses arrêts[133]. Seulement la police ne doit jamais cesser d'être humaine et jusqu'à un certain point légale[134]. Ce que les ordres positifs dès lors vous commandent le plus impérieusement, c'est de ne tenir aucun citoyen sous la main de la police que le temps strictement nécessaire pour le mettre sous la main de la justice. Les lois font, elles-mêmes, quelques exceptions à cette loi, unique garantie de toutes les autres ; ces exceptions rares et bien déterminées, bien limitées, les lois les font comme à regret et presque avec effroi. Si nous en ajoutions une seule, nous ne serions plus les magistrats de la police, mais les agents de la tyrannie. Et enfin il recommande le respect des prévenus. Celui qui n'a pas encore entendu sa sentence n'est pas encore pour nous un ennemi de la société ; celui qui s'est entendu prononcer la peine qu'il va subir ne l'est plus ; il n'a rien à expier avant, après il a tout expié...[135] Ces bons sentiments persistent sous l'Empire ; il blâme sévèrement et dans des termes heureux la police de provocation. ... Ce genre d'opération ne peut être approuvé, écrit-il le 13 juin 1807 à propos d'un cas particulier. Ce n'est pas là faire la police, mais faire de la police. La véritable police écarte les moyens du crime et n'en fournit point les occasions ; elle prévient des délits et ne les provoque pas. Ces sortes de pièges exposent la force publique à des dangers qu'elle n'est pas toujours sûre de surmonter. Ils égarent l'opinion en ce qu'ils mettent au rang des moyens de l'administration des ruses que ne peuvent avouer ses véritables principes[136]. C'était encore la police provocatrice qu'il proscrivait dans sa circulaire du 31 mars 1815 que nous analyserons en son lieu, ainsi que l'espionnage inutile et les arrestations arbitraires[137]. Ces principes apparaissaient encore dans ses lettres aux préfets du Midi, en juillet et août 1815[138]. Il est clair qu'il n'admet pas la police comme ayant un but répressif, mais comme étant un moyen préventif[139].

C'est une légende assez accréditée que celle qui veut que la police en général, et la police de Fouché notamment, se soit toujours plu à inventer des complots pour se donner l'honneur de les découvrir et le plaisir de les réprimer. Le fait s'est assurément produit sous tous les régimes ; mais de tels complots sont bien plus souvent imposés par le gouvernement à ses policiers, que forgés par la police pour en faire accroire au gouvernement. En ce qui concerne la police impériale, nous avons en vain fouillé ses papiers, ses bulletins et dossiers sans arriver à trouver trace d'une conspiration forgée ; le cas du complot Arena-Ceracchi sous le Consulat reste isolé. Ce qu'on trouve au contraire plus abondamment qu'on ne le croit communément, ce sont de très réels complots, étouffés dans l'œuf grâce à la pratique de cette police préventive recommandée par le ministre, et dont les plus connus sont les cent épisodes de la constante conspiration de l'Ouest de 1799 à 1815, sur laquelle nous nous expliquons ailleurs. On y voit le ministre de la police déployer une activité sans affaissement et une certaine tendance à cette indulgence quelque peu sceptique que nous avons déjà eu l'occasion d'étudier.

***

Nous sommes dorénavant au courant des ressorts de la police et du grand moteur qui les met en mouvement. Il est maintenant intéressant de voir comment ils fonctionnent. C'est en feuilletant les quelques centaines de dossiers individuels de la police impériale qu'on se rend compte de l'extrême diversité des voies et moyens. Contentons-nous aujourd'hui de prendre un type assez commun d'affaire pour en suivre la marche. Généralement l'affaire est un drame en trois actes : la découverte, la poursuite et la répression.

Les Anglais, prévoyant une prochaine coalition, qui va entraîner loin de la France le chef de l'État et le meilleur de ses forces, projettent un mouvement dans les provinces de l'Ouest — le fait s'est produit dix fois sous l'Empire —. Ils jettent alors très secrètement un, deux, parfois dix émissaires jusque-là réfugiés à Londres ou à Jersey, anciens chouans, brigands royalistes qui, ayant jadis lutté en Bretagne, en Normandie, en Vendée pour le roi, y ont conservé de nombreuses relations et en connaissent les détours ; cet émissaire n'est pas chargé de soulever immédiatement le pays, mais, en l'enfiévrant, de préparer une insurrection. Comment Fouché sera-t-il instruit des noms, qualités, moyens d'action et de pénétration, allées et venues des agents anglo-royalistes ? De mille façons. A telle date, ;e ministre, qui sait que tel chouan a disparu de l'Ouest depuis un an ou deux, apprend que tel canton où il a jadis opéré avec sa bande s'agite ; préfets et sous-préfets, commissaires généraux et officiers de gendarmerie sont d'accord, écrivent à ce sujet au quai Voltaire ; des paysans jusque-là tranquilles ont proféré des menaces contre l'Empereur, le bruit court que les Anglais feront une descente, certains agents réduits à la misère deviennent subitement très aisés, on voit reparaître des bandes de brigands ; souvent des faits de plus mince importance sont signalés : tel chouan a laissé en partant il y a dix-huit mois sa femme en Bretagne ; cette femme est connue pour sa fidélité rigoureuse à son mari ; or cette femme se trouve enceinte, la police en tire une indication qui se trouvera plus tard justifiée[140] ; telle autre femme d'un chouan émigré, laissée à Paris, éprouve soudain l'envie de se rendre en Bretagne sans motifs appréciables : autre indice ; on ne lui refusera pas ses passeports, au contraire, mais on la fera surveiller[141]. Mille autres indices : tel personnage mal noté a acheté une considérable provision de plomb sous prétexte d'en faire commerce, et ce plomb a disparu[142] ; on signale de plus fréquents rendez-vous de chasse dans la contrée entre les anciens nobles, ex-officiers vendéens ; on revoit les curés réfractaires, la désertion devient plus considérable, le pillage des diligences, les menaces adressées aux acquéreurs de biens nationaux : un malaise général règne dans le pays ; mais quand il s'agit d'en expliquer la cause, préfets ou commissaires généraux ne le peuvent faire, l'attribuant à tel fait faux, racontars que souvent Fouché rétorque dédaigneusement. Il a ses motifs, car avant même que lui soit signalée l'agitation insolite de tel petit bourg de l3retagne ou de Vendée, Fouché l'a prévue. Quelques semaines avant, il a reçu et gardé précieusement une petite note très courte qui lui est arrivée de l'agent de Londres : Un tel est parti pour Jersey avec trois chouans, et à côté une autre note où il est dit que le cabinet de Londres prépare un coup[143] ; presque immanquablement Fouché reçoit un autre avis ; de Hambourg on écrit que les réfugiés d'Altona semblent s'attendre à quelque chose d'heureux[144].

Ce sont là des indices dont le faisceau devient important dans la main de Fouché, glanant une note dans telle correspondance de la police secrète, telle autre dans celle des préfets, une troisième dans les rapports de ses indicateurs personnels. S'il veut augmenter ce faisceau, cela est facile : il envoie un mot au directeur des postes La Valette : on saisit les lettres de l'Ouest, celles venant d'Angleterre ; on a la main faite au décachetage : un jour on examine au ministère de la Police plus de 4.000 lettres expédiées d'Amérique par le paquebot l'Orage[145]. Napoléon reprochera un jour à La Valette de n'avoir arrêté que 12.000 lettres[146]. On redouble, d'autre part, de surveillance à Paris même, au faubourg Saint-Germain. On introduit un agent dans la société de telle ancienne favorite du comte d'Artois ou d'un ami du prétendant[147]. Des rapports sont demandés aux préfets sur tel et tel point spécial ; on les excite à veiller sur les plus petits faits. Tel événement, en apparence peu remarquable dans la sphère d'un département, écrira plus tard Fouché aux préfets, peut avoir un grand intérêt dans l'ordre général par ses liaisons avec des analogues que vous n'avez pu connaître[148]. Tout le monde marche maintenant en vertu de ce principe, les officiers de la gendarmerie et les plus infimes agents de la police ; on en envoie au besoin un renfort de Paris aux préfets de l'Ouest ; on fait même agir les évêques, les curés concordataires, non seulement pour apaiser, mais pour signaler ; enfin le ministre prescrit une surveillance très exacte sur les marchés financiers et commerciaux de Rouen à Bordeaux pour savoir si l'on n'y négocie pas d'effets anglais, ce qui fournit parfois d'excellentes pistes[149]. Justement on en a négocié sur tel marché. Le ministre tient maintenant son faisceau d'informations ; il est, du reste, fort souvent le seul à le tenir : tel préfet se demandera toujours pourquoi on lui a prescrit de surveiller tel château suspect, et un agent de Bourrienne pourquoi il a filé tel émigré à travers l'Allemagne. Réal, Desmarest ignorent parfois des côtés entiers d'affaires. Fouché seul en a les fils. Très souvent, avant que l'idée en soit venue au préfet du département, le ministre affirme que c'est tel brigand, arrivé de Londres et de Jersey, depuis tant de mois, qui a provoqué le mouvement signalé. Or, Fouché a, au ministère, deux grands éléments fixes d'informations. Dans les premiers mois de son second ministère, il a fait rédiger ce qu'il appelle sa topographie chouannique[150], qu'il appelle par ailleurs son atlas[151] ; cette notice topographique renferme tous les documents relatifs aux localités et aux individus, les points de débarquement, les routes et les gîtes d'espions et de brigands, les lieux de rassemblements et d'attaques, les communes les plus adonnées ou favorables à la chouannerie[152]. A côté de cette topographie, il y a une biographie chouannique. Ce sont les 1.000 ou 1.200 fiches individuelles relatives aux anciens officiers ou sous-officiers de la Vendée, depuis 1793 jusqu'en 1799, aux anciens chefs de bandes, à leurs parents et amis, aux logeurs et matelots suspects[153]. Qui a chouanné chouannera, dirait volontiers le ministre ; il a raison, cc sont toujours les mêmes qui se font prendre, ce sont les mêmes marins qui passent les mêmes agents, et les mêmes logeurs qui les recueillent[154].

C'est alors que la campagne commence dans l'Ouest sur les indications précises du ministre. Tout d'abord on met derechef en mouvement les fonctionnaires de la police générale, de la justice, du clergé, les officiers de la gendarmerie et de la troupe. Chacun a une enquête à faire. Puis on use de promesses et de menaces ; promesses aux délateurs, promesses aux complices mêmes qui dénonceront le coupable ou le principal fauteur, promesses à tous ceux qui, à un titre ou à un autre, collaboreront à la prise[155]. Or, on sait Fouché fidèle à ce genre de promesses : on a toujours distribué l'argent entre les auteurs de l'arrestation, on l'a fait pour Prigent[156] comme pour Dubuc et Rossolin[157]. Et que les délateurs ne craignent pas les effets de l'indignation publique : la police couvrira la délation de mystère : on verra, par exemple, le 5 octobre 1807, le ministre donner l'ordre d'arrêter comme complice et d'emprisonner en apparence le jeune homme qui, après avoir suivi La Haie Saint-Hilaire, l'a livré, mais de lui servir une pension alimentaire de 1.000 écus qui lui a été promise. Du reste, Fouché a non seulement toutes les générosités, mais toutes les délicatesses. Lors de la poursuite de Prigent, il écrit au préfet des Côtes-du-Nord : Mon intention n'étant pas ici de punir, mais d'obtenir des lumières, vous ferez questionner ces individus avec douceur et circonspection ; qu'ils soient assurés de n'être compromis ni du côté de l'aristocratie, ni même de l'opinion. Si même vous jugez que l'intervention de l'autorité civile puisse inspirer des craintes à des gens simples, on peut employer l'intermédiaire des ecclésiastiques ou des propriétaires, qui recueilleront les informations sous le sceau de la confiance et vous les transmettront, etc.[158]

Ces promesses, faites avec tant de discrétion, préparent le terrain de trahison, mais ne suffisent pas toujours. On passe parfois aux menaces : on terrorise les logeurs. Le commissaire général de Saint-Malo écrira le 7 juin à Fouché : J'avais tellement jeté l'épouvante parmi tous les logeurs que Prigent n'a pas trouvé d'asile que dans les champs[159]. Entre la trahison et la terreur, l'agent royaliste égaré dans le pays est perdu : ses caches sont connues, grâce à la fameuse topographie ; ses logeurs terrorisés le repoussent, et il a à se méfier de tous, même de ses compagnons. Comme, d'autre part, il sait l'administration en éveil, l'Ouest surveillé, comprimé, le soulèvement avorté, il songe à regagner Jersey ; mais tout est prévu : les postes de douaniers prévenus, les passeurs aussi sous le coup de menaces et parfois les barques de la police croisent le long de la côte[160] ; autour du conspirateur qui erre au gré de ses craintes, des figures louches apparaissent ; il se sent perdu, tourbillonne et, dans un guet-apens final, se fait prendre ou tuer.

S'il est pris vif, il est dirigé pieds et poings liés vers le commissariat général le plus proche, et, s'il est de marque, dirigé immédiatement sur Paris[161]. Car Fouché, qui s'est réservé de diriger de loin la poursuite, entend personnellement mener l'instruction. Le conspirateur prisonnier ignore souvent où il est mené : de Vannes ou de Saint-Malo au quai Voltaire, il ne voit pas la lumière, et soudain on le débarque à l'hôtel de Juigné. On le précipite dans le ministère, on le pousse dans le bureau de Desmarest, de Réal ou même de Fouché[162]. Chacun a sa méthode : Desmarest le trompe, le désoriente, le déroute, le désarçonne par des questions insidieuses ; Réal le terrorise par sa froide rigueur ; Fouché le séduit : qu'il parle, qu'il avoue, qu'il renseigne surtout, car Fouché, très réellement, ne tient pas à une punition violente, ne veut pas la mort du pécheur. Ce qu'il veut, c'est être renseigné. Le malheureux, étourdi de sa course, affolé, séduit, refuse-t-il encore, on le laisse moisir en prison, on le démoralise par la réclusion : il parle, il dit ses projets, les fauteurs, les complices, ceux mêmes qui lui ont donné asile. Du coup, voilà toute la conspiration connue. Parfois Fouché, qui a toutes les audaces, va plus loin : Prigent, saisi, livré par son compagnon et complice Bouchard, a dévoilé tous les plans, l'organisation, la composition de l'agence de Jersey ; Bouchard, à qui on a promis la vie sauve et une bonne récompense, consent à se rendre à Jersey, feint de revenir y chercher du renfort, entraîne à terre d'autres agents, désorganise du coup toute l'agence[163]. Cette affaire Prigent, sur laquelle nous reviendrons, est, du reste, la plus intéressante de toutes : elle nous sert de type avec trois ou quatre autres, la poursuite de La Haie Saint-Hilaire[164], celle d'Armand de Chateaubriand[165]. Parfois, on n'attend pas que l'agent soit arrivé à destination pour tout étouffer : le 16 prairial an XIII, Fouché est averti par un agent de Londres que le baron d'Imbert, chargé de troubler le Midi, a envoyé un émissaire pour communiquer avec Dubuc et Rossolin, autres agents arrêtés dont on n'a en Angleterre aucune nouvelle : c'est un nommé Laa, on l'ignore : à tout hasard, on en donne le signalement entre beaucoup d'autres au maréchal Moncey, qui met la gendarmerie en mouvement ; pendant qu'elle bat la frontière du Nord, Laa a pu gagner Paris ; mais au moment où il prend le coche pour Bordeaux, il est, grâce au signalement donné par Fouché, reconnu par un agent secret ; car Fouché a deviné Laa, sur lequel le renseigne sa biographie, sous le pseudonyme de Michel ; le ministre expédie au commissaire général de Bordeaux un exprès qui dépasse le coche, si bien qu'on cueille l'agent royaliste entre Cubzac et Carbonblanc, le 23 prairial. On l'expédie à Paris, où Fouché a tenu à le confesser ; il lui arrache tout et, édifié sur l'organisation de l'agence dite du Midi, le livre à la commission militaire, qui le fait fusiller[166].

Lorsqu'on a obtenu des renseignements sur de nombreux complices dispersés, dans l'Ouest par exemple, on organise une nouvelle battue, on proclame une sorte d'état de siège pour toute une région. C'est le système des camps volants. On l'employa deux fois : en 1806-1807, avec le général Boyer, et en 1809, avec le colonel Henry. L'Empereur adresse ses ordres au ministre de la Guerre : ordres de détacher une brigade de troupes régulières ou de gendarmerie, d'établir un quartier général et de se mettre à battre le pays[167]. Mais c'est au ministre de la Police à correspondre avec les commandants, à envoyer tous les renseignements et quelques hommes qui connaissent bien le pays et qui puissent les guider dans leurs recherches. Outre l'argent que leur fournit le ministre de la Guerre, c'est le ministre de la Police qui leur enverra des fonds pour les dépenses secrètes[168] ; car c'est surtout par l'espionnage, écrira l'Empereur le 14 septembre 1806 à Fouché, qu'on peut arriver à de nombreux résultats. C'est à vous, ajoutera Napoléon, à diriger cette petite guerre ; c'est à vous à indiquer non seulement les localités à faire fouiller, mais encore les chemins à occuper. De fait, à étudier les dossiers de police relatifs aux camps volants, soit de 1806-1807, soit de 1809, on voit que réellement Généraux, colonels, gendarmes et soldats sont sous les ordres directs du chétif professeur. Celui-ci leur donne les instructions les plus détaillées et les plus impératives. C'est dans celles que Fouché adressait au colonel Henry en 1809 qu'éclata le génie policier du personnage. Après les interrogatoires, enquêtes, arrestations individuelles ; après avoir introduit au foyer des Larochejacquelein, suspects à chaque nouveau complot, un agent de police ; après avoir fait espionner la femme de l'agent Bertrand Saint-Hubert, qui continue à avoir des enfants ; après avoir tendu des pièges aux uns et aux autres, après avoir fait subir aux détenus de nouveaux interrogatoires, questionné les conscrits de chaque village sur les gens qui y avaient passé, Fouché fait arrêter et interroger tous les anciens chouans, chefs de bandes, intermédiaires compromis dans les conspirations depuis dix ans, les fait parler d'autorité ou de confiance, en les prévenant que le gouvernement jugerait avec sévérité une neutralité suspecte en ces circonstances. Après avoir envoyé le signalement de tous les brigands, fait ressaisir des gens relaxés après les autres affaires de l'Ouest, fait saisir les livres des banquiers pour y trouver trace de transactions financières avec l'étranger, et mis sur pied tous les agents de Bayonne à Saint-Malo, on voit le ministre prescrire, le 9 juin 1809, d'examiner dans les différentes communes suspectes de la Loire-Inférieure, Maine-et-Loire, etc., les gens qui auraient fait des absences avec ou sans passeports, et de scruter avec soin les motifs de ces absences, de surveiller les marins, les déserteurs des bords de la Loire qui par leurs habitudes locales et leur profession fournissaient aux bandits les moyens de passer furtivement d'un bord à l'autre ; d'établir des moyens de police sur les bateaux qui font le service de Nantes à Saumur. Impossible d'entrer dans le détail vraiment infini d'autres instructions supplémentaires, envoyées par Fouché à Henry pour la suite des interrogatoires et des recherches des bandits. Enquêtes de police, poursuites, recherches, rafles de la gendarmerie jettent dans les mains du ministre un pêle-mêle de complices des plus étranges : des agents de Louis XVIII et du cabinet de Saint-James et des matelots de la côte, des nobles, anciens chefs vendéens, et des paysans, des curés et des maires, d'obscurs chefs de brigands et des négociants de Nantes, Saumur et la Rochelle, parfois, grâce à de singulières ramifications, des gens arrêtés à Paris, complices lointains de cette immense conspiration chouanne[169].

Que va-t-on faire de tout ce monde ? La justice voudrait qu'ils passassent tous devant des tribunaux réguliers. Fouché, pas plus que Napoléon, n'aime les procès retentissants, longs et scandaleux ; la rébellion est contagieuse comme tout crime. S'il s'agit d'une conspiration obscure, le ministre de la Police se met d'accord avec son collègue de la chancellerie pour avoir recours à l'enquête administrative, c'est-à-dire que la justice se désintéresse, laissant le ministre de la Police étouffer ou sévir à sa guise, retenir souvent arbitrairement et sans jugement les coupables sous les verrous. A côté, il y a les cas susceptibles de jugement, jury criminel ou commission militaire. Les principaux coupables, six, huit, dix, parfois plus, sont condamnés à mort et passés par les armes ou guillotinés[170]. Parmi les autres, complices ou prévenus de complicité, le tribunal distingue deux classes : il en est qu'il met à la disposition de Son Excellence, autrement dit du ministre de la Police ; d'autres qu'il remet en liberté sous la surveillance de la police. Les premiers sont enfermés dans des prisons d'État, où le ministre sait les retrouver en cas de confrontation à faire, de révélations à provoquer au sujet de conspirations postérieures, motif qui lui fait préférer ce mode de pénalité à la mort, qui clôt toutes bouches et étouffe toutes révélations encore utiles. Ces prisons d'État sont sous la surveillance exclusive du ministre de la Police[171] : elles ne recèlent pas que des condamnés. Les acquittés auraient tort de se réjouir trop tôt ; il n'est pas rare que le ministre les garde en prison ou les y remette i( jusqu'à la paix[172]. On ne s'en cache pas au ministère : dans les états de détenus présentés à l'Empereur, on trouve une catégorie plus singulière encore, celle des détenus non jugés et non traduits en jugement, dans la crainte de les voir acquittés faute de preuves juridiques[173]. La Bastille était ainsi rétablie sous la haute direction de Fouché de Nantes : elle l'était si bien qu'on avouait encore une catégorie de détenus particuliers[174], individus détenus pour des scandales, que les familles avaient intérêt à cacher. Au surplus, sans entrer plus avant dans cette curieuse étude, en partie faite, disons que dans un rapport du 5 janvier 1808, Fouché divisait en six classes, toutes fort compréhensibles, les détenus par mesure de haute police[175] ; il y avait, en 1807, 544 détenus de cette sorte. Cette population était dans la main du ministre[176] ; mais ce n'était pas tout. Tout prévenu de conspiration, chouannerie, brigandage, les anciens émigrés, beaucoup de prêtres suspects d'ultramontanisme, beaucoup d'anciens membres des clubs jacobins sous le coup de déportations non exécutées, beaucoup d'officiers réformés, tons les gens qui avaient bénéficié d'un non-lieu ou d'un acquittement, souvent même des gens dénoncés calomnieusement et reconnus innocents étaient mis en surveillance ; beaucoup se voyaient assigner une résidence, ou interdire tout séjour à moins de quarante lieues de Paris ; tous devaient solliciter de la police la permission de se déplacer. On pourrait estimer à plusieurs milliers le nombre des individus ainsi placés sous la dépendance d'une police instruite de leurs moindres démarches. Napoléon accordait, sans compter ni examiner, à Fouché toute mise en surveillance.

Toutes les opérations de la police que ce résumé, encore succinct, permet de saisir, depuis les premières dénonciations jusqu'aux dernières exécutions, et dont plus de cent affaires de police pourraient multiplier les types, sont l'objet, en certains cas, de fort longs rapports de Fouché à l'Empereur. Mais, en outre, toute opération de police est quotidiennement signalée au souverain par le Bulletin du ministère.

Ce bulletin quotidien tenait Napoléon au courant de l'état intérieur de son empire. Ils forment une triple série très considérable, minutes corrigées de la main de Fouché, copies gardées dans les archives de la police et bulletins remis à la secrétairerie d'État. Le contenu de ces bulletins fera mieux saisir que de longues études la diversité incroyable des occupations, soucis et travaux de la police générale. Le bulletin se divisait généralement en quatre, cinq ou six parties, car son importance variait. Avant l'arrivée de Fouché au ministère, il était de quelques pages, rédigé sans cohérence et sans suite. C'est Fouché qui, là comme ailleurs, créa la tradition : le Bulletin lui servait à lui-même de mémorandum. On y trouvait : 1° la Correspondance ministérielle, extraits ou résumés de lettres et rapports adressés au ministre, concernant les étrangers de passage, les jugements des commissions militaires, la situation des différentes régions de l'Empire, le brigandage, les faits divers, les prisonniers anglais de Verdun, espagnols, russes, prussiens, la conscription, les incendies, les émigrés rentrés, les nouvelles des ambassades, la chronique mondaine, et, dans une partie confidentielle ajoutée souvent de la main de Fouché, les nouvelles du monde politique, du faubourg Saint-Germain, du Sénat, du clergé, la correspondance avec l'étranger, les agents de Londres, Hambourg, Berlin, Vienne, Varsovie, Rome, etc., des extraits des journaux anglais ; 2° les Bulletins des conseillers d'État, contenant les méfies faits en province, notamment les nouvelles du clergé, de la noblesse rentrée, des salons, des déserteurs, de la garde nationale, de l'esprit des départements ; 3° le Bulletin du 3° arrondissement de police (Paris), résumé du bulletin adressé journellement par le préfet de police au ministre, et dont nous parlerons sous peu ; 4° le Bulletin de l'extérieur, surveillance des cours et cabinets étrangers, des émigrés, des réfugiés politiques, des Bourbons et des agents anglo-royalistes en Europe ; 5° le Relevé des délits commis le mois précédent. On y trouvait enfin fort souvent annexés de fort longs rapports, des interrogatoires in extenso, des extraits ou copies de pièces saisies. On annexa longtemps aussi au Bulletin un ordre de police pour la nuit suivante. A partir de mars 1810, Fouché fit ajouter un bulletin de la librairie, et Savary, après juin 1810, une traduction de-principaux articles publiés dans les journaux étrangers.

Le Bulletin de la préfecture de police, annexé à ce bulletin ministériel, n'était lui-même qu'un résumé des bulletins adressés par Dubois à Fouché ; ce bulletin portait sur les étrangers (bruits des légations), les réunions publiques et privées, les salons, les royalistes et émigrés de Paris, les anarchistes et républicains exclusifs, les cultes et le clergé, le commerce, les militaires, les halles et marchés, les ouvriers, les spectacles, les journaux, les événements de la rivière, les faits divers, suicides, vols, assassinats, les arrestations, la Bourse, le cours des denrées alimentaires : on commençait par l'ambassadeur, on finissait par le boucher. Fouché prenait là dedans ce qu'il voulait, car le bulletin ministériel était fait sous sa haute direction.

Le rédacteur ordinaire en était l'actif Desmarest, à qui, dans la journée, les conseillers d'État adressaient des extraits intéressants de leur correspondance. Le chef de la police secrète y joignait les informations de son service[177]. Le bulletin achevé était remis dans la soirée au ministre, qui, parfois à l'insu de Desmarest, y ajoutait de sa main une note sur certains événements politiques ou mondains : nous reparlerons, ailleurs de ces curieuses notes, chronique fort peu impartiale de la cour et de la ville.

Le bulletin signé du ministre était alors adressé aux Tuileries ou à Saint-Cloud ; lorsque Napoléon était absent, il était joint au portefeuille qu'un courrier de cabinet portait chaque jour, fût-ce au fond de la Pologne ou de l'Espagne[178]. Il arrivait parfois que le secrétaire d'État Maret ajoutait aussi une note au bulletin avant de le transmettre. D'autre part, le ministre de la Police envoyait d'heure en heure au château les nouvelles intéressantes qui étaient alors rédigées par les employés de la secrétairerie d'État et remises à l'Empereur à une heure souvent fort avancée de la nuit[179].

Napoléon lisait le bulletin avec intérêt, le critiquait souvent avec sévérité, se plaignant volontiers qu'on lui fit des tableaux au lieu de lui citer des faits[180]. L'accusation était injuste, le bulletin était toujours bourré de matières. Ce qu'il y avait de vrai, c'est que Fouché y accumulait souvent des faits insignifiants, pour y passer sous silence des démarches qu'il avait intérêt à dissimuler à l'Empereur.

Les papiers qui servaient à rédiger le bulletin restaient classés en séries, mais la plupart étaient réunis en dossiers individuels, classés et étiquetés, chacun d'eux étant représenté par une fiche dont la collection est une partie intégrante et précieuse des archives de la Police générale.

Mais, comme en nul ministère on ne recevait plus de lettres inutiles, dénonciations calomnieuses ou vaines, offres de services, rapports faisant double emploi, on brûlait beaucoup de ces papiers : Fouché estimait à 200 le nombre des cartons qu'on détruisait par an, ce qui pouvait porter de 200.000 à 300.000 le nombre des feuilles supprimées chaque année. Fouché ajoutait, le 13 mars 1809, que tout ce qui était historique et traditionnel sur les choses et les individus était soigneusement conservé ; qu'il n'y avait pas de ministère mieux ordonné à cet égard ; mais que les lettres injurieuses, les calomnies, les faux rapports, les mensonges de tous genres qui attaquaient les plus honnêtes et souvent même les membres de la police impériale, toutes ces pièces, après avoir été examinées, étaient mises sous les yeux du ministre, qui en ordonnait l'annulation[181]. Les membres de la police impériale se trouvaient vraisemblablement fort bien de ces destructions, mais les travailleurs s'en trouvent fort mal et les regrettent.

***

Si, après avoir étudié la Police générale, d'une façon beaucoup plus complète que nous ne le saurions faire en ce simple chapitre, on se reporte aux documents qui nous instruisent de ce que devint la grande administration de Fouché sous les régimes suivants, on est contraint d'avouer que la décadence fut prompte après le démembrement de cette puissante machine. Qu'il s'agisse de la police de Decazes, le dernier ministre de la Police générale, de celle des Delavau et des Franchet d'Espéret, les grands policiers de la Restauration, de celle des hauts agents de Casimir Périer et de Thiers, ou bien encore de celle des MatipaA, des Piétri et autres, qu'on parcoure les mémoires des Vidocq, des Andrieux, des Macé et des Goron, on s'aperçoit que depuis cent ans, en France, on fait souvent une police ingénieuse ou formidable, perspicace ou violente ; que beaucoup de procédés sont restés les mêmes, que quelques rouages ont survécu, acquérant une autonomie singulière, comme la préfecture de police et la sûreté générale, mais qu'il n'y a plus, qu'il n'y aura vraisemblablement plus de Police générale ; sans citer certains faits qui rendent fort soucieux les policiers du régime actuel, on ne dissimule pas, soit à la préfecture de police, soit à la sûreté générale, le manque d'unité, parfois d'union, qui empêche toute action prompte et concordante ; on a des préfets de police plus ou moins fermes, des chefs de la sûreté plus ou moins habiles, mais il manque une tête à ces bras. A dire vrai, cette tête ne se trouva qu'une fois dans l'histoire : la Police générale n'existait pas avant Fouché, elle ne lui survécut pas[182]. Créé le 12 nivôse an IV (2 janvier 1796), momentanément aboli le 28 fructidor an X (15 septembre 1802) à la première disgrâce de Fouché, rétabli le 21 messidor an XII (10 juillet 1804) avec son retour aux affaires, aboli derechef le 15 mai 1814, rétabli pour le duc d'Otrante le 21 mars 1815 et définitivement supprimé le 29 décembre 1818[183] pour ne plus revivre que quelques mois sous le second Empire[184], ce ministère de la Police générale resta la chose, l'œuvre, la création de Fouché, De cette modeste administration où un obscur sous-ordre recevait et appliquait plus ou moins énergiquement les instructions de Barras ou de Rewbell, il avait fait cette formidable machine où tous les rouages s'adaptèrent avec une rare perfection, une administration régulière, énorme, mais ordonnée ; il avait choisi, dans des mondes divers, un personnel souvent taré, mais généralement fort bon pour l'œuvre projetée ; il avait, de son cabinet, su faire agir, d'une main ferme, sans maladresse ni faiblesse, sans lourdeur non plus ni brutalité, tous les ressorts pour prévenir tout mouvement, étouffer toute conspiration, et, s'il ne pouvait éteindre toujours l'incendie, sans cesse et furtivement allumé sur un point quelconque de l'Ouest, faire très petite la part du feu. Nous dirons, en son lieu, ce que fut, grâce à cette police, son œuvre politique. Lorsqu'en 1802 il avait été remplacé par Régnier, on avait pu constater qu'une fermeté parfois arbitraire entraîne souvent moins de malheurs qu'une faiblesse inintelligente ; mais lorsqu'en 1810 il aura, au quai Voltaire, Savary comme successeur, ce n'est pas, comme en 1802, à la fermeté du ministère déchu qu'on accordera un regret, mais à sa délicatesse et à son savoir-faire. Decazes lui-même montrera au ministère de la Police une autorité fort inégale et une contestable compétence jusqu'au jour où, se rendant compte qu'il n'y était pas A sa place, il abolit d'un trait de plume une administration d'ailleurs énervée. De fait, elle était morte depuis le 25 septembre 1815, à l'heure où le due d'Otrante avait abandonné pour la troisième et dernière fois à d'autres le ministère de la Police. Fouché en était l'âme, après en avoir été le créateur. C'est pourquoi il était impossible de n'en point parler, avant d'étudier de quelle façon il s'en servit pour sa fortune politique.

 

FIN DU TOME PREMIER

 

 

 



[1] Loi du 12 nivôse an IV. Bulletin des lois, II, 16, 394. Almanach national, an V, an VI, an VII.

[2] On avait dès le début combattu vivement une institution qui paraissait attentatoire à la liberté, et on avait dû faire la part aux craintes et aux défiances. Cf. la discussion du projet de loi : séance des Cinq-Cents, 11 nivôse an IV, Moniteur des 11, 12, 13, 14, 17 nivôse an IV.

[3] Cf. chapitre X.

[4] PEUCHET, reproduisant les notes du lieutenant de police Lenoir, IV, 12 et 14. Almanach royal, 1785-1789.

[5] PEUCHET, citant Lenoir, III, 17. — JACQUEMONT, La Reynie, 1901.

[6] PEUCHET, citant Lenoir, III, 14.

[7] Journal du lieutenant général de police FEYDEAU DE MARVILLE, 1743. (Nouv. Rev. rétrospective, n° 31), et DE BOISLISLE, Lettres de Marville, 1896.

[8] D'ARGENSON, Notes de police.

[9] Journal des inspecteurs de M. de Sartine.

[10] PEUCHET, Mémoires historiques, tirés des Archives de la police, 1838 ; pour la police de l'ancien régime, il se sert d'un Mémoire du lieutenant de police Lenoir.

[11] PEUCHET, III, 20, 24 ; FEYDEAU DE MARVILLE cite notamment le chevalier de Monthy, auteur de romans licencieux.

[12] Journal du lieutenant FEYDEAU DE MARVILLE ; Journal des inspecteurs de M. de Sartine.

[13] PEUCHET, III.

[14] PEUCHET, I.

[15] LECOQ, La police de sûreté sous la Révolution, 1815 ; LEJEUNE, Saint-Just et les bureaux de police ; SAINT-JUST, Rapport sur la police générale, an II ; TOURNIER, Vadier, 1894.

[16] Un quatrième arrondissement de police avait été créé en 1804, mais il ne dura que dix-huit mois, fut supprimé le 21 février 1806 et partagé entre les deux premiers.

[17] L'arrondissement comprenait la Seine, Meudon, Sèvres et le marché de Poissy.

[18] Pour l'organisation des arrondissements telle qu'elle vient d'être exposée, cf. Almanach impérial, 1804-1810.

[19] Almanach impérial, 1805.

[20] Napoléon à Fouché, 5 vendémiaire an XIII (27 septembre 1804). Corresp., IX, 8045.

[21] Mém. de Fouché, I, 320.

[22] Napoléon au comte Regnaud de Saint-Jean d'Angély (26 février 1809 ; Corresp., XVIII, 14813. L'empereur définit fort longuement en cette lettre le rôle que joueront ces auditeurs au ministère de la Police générale.

[23] Almanach national, cité.

[24] Almanach national, déjà cité.

[25] Ibid. Cf. aussi le Rapport de Desmarest sur sa division. A. N., F7, 3007. On en trouvera d'intéressants extrais dans la préface aux Témoignages de Desmarest, de M. Albert SAVINE, p. XL-XLIII.

[26] Almanach national, déjà cité.

[27] Cf. chapitre X.

[28] Arrêté du 5 brumaire an IX déterminant les fonctions des commissaires généraux de police. Bulletin des lois, n° 373 ; Moniteur du 8 brumaire an IX. DUVERGIER, Recueil des lois, III.

[29] Lois des 17 ventôse et 12 messidor an VIII instituant un préfet de police à Paris, et ch. X.

[30] F7, 3224 et suivants ; F7, 7015-7019. D'autre part, la Police générale, sous Savary comme sous Fouché, eut voulu qu'on instituât des commissaires généraux de police provisoires pour des régions momentanément troublées. En 1809, Fouché avait proposé une création de ce genre à Nantes. Savary reprit la même proposition en 1813. Rapport de Savary à l'Empereur, 18 mars 1813 ; A FIV, 1392, n° 80.

[31] 1° A. N., F7, 3221 et suivants. Papiers des commissaires généraux et leur comptabilité. 2° A. N., F7, 7015-7019. Discours des commissaires généraux. 3° A. N., F7, 6312-6333. Rapports des commissaires généraux. Enfin, dans les bulletins de police, les extraits des lettres de commissaires généraux.

[32] Décret du 24 février 1808.

[33] Loi du 28 pluviôse an VIII, instituant les préfectures, III, B. 77, n° 115.

[34] Napoléon à Fouché, 15 vendémiaire an XIII ; Corresp., X, 8098.

[35] Note sur l'organisation de la police Générale. Papiers confiés à Gaillard.

[36] DE VAUBLANC, III, 99.

[37] Napoléon à Fouché, 6 mars et 17 juillet 1807. Corresp., XIV, 11944, et XV, 12927. On trouve dans ces lettres de très vertes observations sur le rôle que s'arrogent les préfets, et dont évidemment Fouché est rendu responsable.

[38] Le 2 avril 1808, le ministre de la Police protestait énergiquement près du ministre de l'Intérieur au sujet de la réduction du traitement des simples commissaires de police qui dépendent des municipalités. Le ministre de la Police au ministre de l'Inférieur, 2 avril 1808. F7, 3224.

[39] Note ministérielle du 21 juin 1806, A FIV, 1497.

[40] Cf. F7, 6247, la corr. de Mingaud et le rapport de Fouché de messidor an VIII.

[41] Arrêtés portant désignation des communes où sera établi un commissaire de police : leurs fonctions, leur nomination et leur révocation, 19 vendémiaire an IV (DUVERGIER, Arrêts du 19 nivôse an VIII et 28 pluviôse an VIII). Nous ne parlons pas des inspecteurs généraux qui relevaient de la préfecture de police, dont l'organisation ne peut trouver place ici. Le ministre les employait souvent néanmoins à l'insu de leur chef hiérarchique

[42] Mém. de Fouché, I, 320.  PELET de la Lozère a laissé des Mémoires. Il devint en 1815, pendant que Fouché présidait la Commission de Gouvernement, ministre de la Police générale.

[43] MIOT DE MÉLITO, Mém. ; Mém. de Fouché, I, 320.

[44] Biographie Didot et Grande Encyclopédie, art. ANGLÈS. M. Firmin Didot a publié les notes d'Anglès sous la Restauration. On y constate à quel point était fragile l'impérialisme de ce rallié de droite.

[45] Sur Réal, cf. MASSON, Joséphine avant Bonaparte, Revue de Paris, 1er juin 1895 ; DESMAREST ; PASQUIER, II, 9, 126 ; BARRAS, III, 422, 430. Mme de Châtenay, qui lui était tendrement attachée, en parle dans cinquante passages de ses Mémoires. Les Souvenirs de Réal lui-même ont été partiellement détruits : quelques fragments en ont été publiés en 1833, sous le titre d'Indiscrétions, par MUSNIER-DESCLOSEAUX. Cet ouvrage est intéressant. Mais rien n'édifie plus sur le caractère ferme et l'intelligente activité du conseiller d'État Réal que sa correspondance avec Fouché d'octobre 1809 à janvier 1810. F7, 6340.

[46] Cf. sur Dubois, chapitre XVII.

[47] PASQUIER, II, 32 ; Mém. de Fouché, I, 320 ; OUVRARD, I, 162 ; SAINTE-BEUVE, le Globe, 20 avril 1833. Sur ce personnage, lire la très intéressante notice de 76 pages dont M. Albert SAVINE a fait précéder la réédition des Témoignages de Desmarest. Ces Souvenirs mêmes du chef de la sûreté, publiés pour la première fois en 1833 sous le titre : Quinze ans de haute police..., nous avaient fourni plus d'un détail curieux, quand a paru leur réédition par MM. Savine et Grasilier, remplie de notes intéressantes. Ou trouve dans la série F7 beaucoup de papiers sortant du cabinet de Desmarest, et on juge par là de la place qu'il tenait dans le ministère.

[48] OUVRARD, 162.

[49] Il fut condamné en 1810 comme escroc à douze ans de fers, ce qui justifiait largement l'éloignement où l'avait laissé Fouché (Bulletin du 28 mars 1810 ; AFIV, 1508). Mais il s'en plaignait amèrement. Mém. de Thurot, ex-secrétaire général de la police, F7, 6542, n° 1879.

[50] Cf. BARRAS, II et III, passim.

[51] Sur Saulnier, dossier F6, 4378, 6229, 6751 et 6851. Sur sa défection dès 1808, cf. bulletins de police... AFIV, 1505 ; Notes de Fouché. Le ministre dénonçait à l'Empereur une coalition formée contre lui dans sa propre administration entre Saulnier, Desmarest, Dubois, Lagarde, poussés sourdement par Savary et Thurot.

[52] Duchesse D'ABRANTÈS, IX, 3 ; NORVINS, Fouché à Rome, Revue de Paris.

[53] SAINT-EDME, Dictionnaire des ministres de la Police ; cf. FAUCHE-BOREL, III, 264, 269. Ce Veyrat était, avec le secrétaire général Piis, le gros personnage de la préfecture.

[54] Journal d'Edmond Guéraud, publié par Maurice ALBERT ; WELSCHINGER, la Censure sous l'Empire.

[55] GUILLON DE MONTLÉON.

[56] Dossier Babey, F7, 4229, 4363.

[57] Sur la composition des bureaux de la sûreté spécialement et sur les employés de Desmarest, Patrice, Perrent, etc., cf. préface des Témoignages de DESMAREST (éd. de 1900), p. XLIII, XLV.

[58] Liste des commissaires généraux proposés au choix, annexée au budget de 1806 ; AFIV, 1245.

[59] Dossiers concernant Oudet, F7, 6333, 6443 et 6523. Cf. aussi la lettre de Savary à l'Empereur, AFIV, 1302, demandant la révocation d'Oudet, créature du duc d'Otrante.

[60] Dossier concernant Maillocheau, F7, 9779, et Mém. de Le Révellière-Lépeaux, II, 592, 593.

[61] Savary à l'Empereur, 21 août 1810, AFIV, 1302.

[62] Duchesse D'ABRANTÈS, passim.

[63] Il était l'oncle du comte de Cavour, le futur ministre de Victor-Emmanuel. DE MAZADE, le Comte de Cavour : Revue des Deux Mondes, dit un mot de cet ancien agent supérieur de Fouché et de Savary.

[64] DE VILLIERS DU TERRAGE, Notice.

[65] Dossier de Norvins, F7, 6143, et préface du Mémorial de Norvins par L. DE LARZAC DE LABORIE.

[66] Cf. la curieuse notice consacrée à Chépy par R. DELACHENAL, 1890.

[67] Voyage de la duchesse de Guiche et Correspondance de Fouché et de Mengaud, F7, 6247. Cf. chapitre X.

[68] Il y a encore l'ex-prêtre Roux, ancien partisan de Marat l'ancien babouviste Parein, etc. Le contre-agent royaliste écrivait le 29 janvier 1800 : Un grand nombre des inspecteurs généraux sont des hommes qui, ayant donné des gages à la Révolution, y tiennent de toute leur force. F7, 6247. Comme type du recrutement de la police impériale, cf. la note sur le personnel de la police générale en Hollande ; AFIV, 1302, 23.

[69] L'agent qui renseignait Clément était lui-même aux bureaux de la police secrète. F7, 6247. La liste a été imprimée dans la Revue de la Révolution, janv.-avril 1883, p. 87.

[70] Mém. de Bourrienne, VIII, 385. HYDE DE NEUVILLE cite sans le nommer (I, 358, 359) un M. de X... de la haute noblesse qui, au service de la police secrète, s déshonorait onze siècles de gloire.

[71] L'éditeur de ses Mém., Napoléon Ney, semble admettre que la comtesse, à qui, du reste, en 1813, Fouché rappelle ses anciens rapports, a été de la police secrète.

[72] BOURRIENNE, VI, 207.

[73] FOUCHÉ (Mém., I, 371) parle de 300 régulateurs de l'opinion à Paris. Ces régulateurs étaient, cela va sans dire, des mouchards. On se rappelle que Balzac a immortalisé les deux types d'agents secrets, Peyrade et Corentin, l'un, le policier louche, sale et sombre ; l'autre, le muscadin beau parleur (Une ténébreuse affaire).

[74][74] Bulletin du 13 mars 1810 ; F7, 3720.

[75] DAUDET, La police et les chouans, 189-288, et le dossier de l'affaire d'Aché-Lechevalier.

[76] La lecture des bulletins de police où, nous le verrons, toute une partie est quotidiennement réservée aux correspondances de l'extérieur, est particulièrement édifiante à cet égard.

[77] Bourrienne à la police générale, 25 juillet 1806 ; F7, 6478, et en général, dans ce dossier F7, 6473, la corr. de Bourrienne avec le ministère.

[78] Bourrienne dans la lettre précitée nous raconte la façon dont il attira insidieusement à Hambourg les agents royalistes d'Altona pour les saisir : rien de plus romanesque.

[79] Note de Fouché à Desmarest, 27 floréal au XIII ; FT, 6368.

[80] Cf. toute la correspondance de Bourrienne avec la Police générale ; F7, 6478.

[81] Cf. dossier d'Auguste de la Ferronnays, FT, 6458, et Mémoires de Bourrienne.

[82] Bulletins de police, passim.

[83] Dossier d'Auguste de la Ferronnays, F7, 6458 ; Mémoires de Bourrienne, VII, 422.

[84] Decazes à Metternich, 15 octobre 1816 (Arch. de Vienne). Gracieusement copiée et communiquée par M. Wertheimer.

[85] Bulletin de police du 22 janvier 1808 : F7, 3758.

[86] Dossier Vernègues, F7, 6371.

[87] Dossier Butler, F7, 6240. Bourrienne au ministre, 23 janvier 1807 ; Mém. de Bourrienne, VI, 201-226.

[88] Bulletin du 19 décembre 1806 ; F7, 374.

[89] Dossier Martelli, F7, 6479.

[90] FAUCHE-BOREL, Mém., et bulletin du 30 juillet 1808 ; AFIV, 1503. Enquête sur M. Leclerc de Noisy.

[91] DE MARTEL, Historiens fantaisistes, II, 261.

[92] Carton relatif à Rumbold, F7, 6443. Note sur M. Dubouchet (note Desmarest) et autres pièces.

[93] Napoléon à Fouché, 1er mars 1805. Corr., X, 5275.

[94] Napoléon à Fouché, 8 mars 1809. Il (le colonel Henry) viendra prendre vos instructions avant de partir. Napoléon écrit à Fouché le 28 octobre 1809 : Donnez l'ordre au colonel Henry de se rendre en poste dans le département de la Savoie... Il vous fera un rapport tous les jours. Corr., XX, 15979.

[95] PEUCHET, VI, 272-308.

[96] Séance du Directoire du 4e complémentaire an VII. Registre des délibérations, A FIII*, 16.

[97] Compte des dépenses ordonnancées pour le service du ministère de la Police générale pendant l'an IX, sur les exercices des années V, VI, VII, VIII et IX. A. N., AFIV, 1244.

[98] Budgets du ministère de la Police, au XII-1810, AFIV, 1245-1247. Dépenses ordonnancées sur les fonds des budgets législatifs, novembre 1810, A. N., AFIV, 1302, n° 49. Comptabilité du ministère de la Police, A. N., F7, 3153-3167. Comptabilité de la préfecture de police, F7, 3173-3206 ; et lettres de Napoléon à Fouché, 28 fructidor an XIII (Corresp., IX, 8022), 18 octobre 1807 (Lettres publiées par Lecestre, I, p. 114), 21 octobre 1807 (Corresp., XVI, 13279) ; à Savary, 1er octobre 1810 (particulièrement importante) (Corresp., XXI, 16972) ; à Savary, 15 juillet 1810 (Corresp., XX, 16658) ; à Savary, 12 février 1811 (XXI, 17466).

[99] Cartons des commissaires généraux. Fixation de leurs dépenses secrètes, année 1810, F7, 3224. Pour le détail de leurs comptes, on pourrait citer celui du commissaire général d'Anvers, fort intéressant, F7, 3220. Dès l'an XIII, Napoléon se plaignait de ce que les commissaires généraux gaspillaient ces fonds (à Fouché, 14 brumaire an XIII ; Corresp., X, 8088). Mais dès l'an IX il engageait Fouché à mettre une somme considérable à la disposition du commissaire de police de Versailles pour établir une police en Seine-et-Oise (à Fouché, 23 germinal an IX, VI, 5529).

[100] Napoléon à Fouché, 16 décembre 1808 (Corresp., XVIII, 14574).

[101] Napoléon à Fouché, 9 janvier 1810 (Corresp., XX, 16120).

[102] Napoléon à Savary, 16 juillet 1810 (Corresp., XX, 16658).

[103] Napoléon à Fouché, 22 février 1805 (Corresp., XX, 9874).

[104] Entre autres emplois, on peut aussi signaler des fonds assez considérables donnés aux commandants des camps volants de l'Ouest (Napoléon à Fouché, mars 1809, XVIII, 14872).

[105] Dès l'ancien régime, le lieutenant de police Lenoir, cité par PEUCHET, 25, déclarait parfaitement dérisoire la somme mise officiellement à sa disposition pour l'espionnage et qu'il décuplait par le produit des jeux.

[106] Il y a sur ce point une lettre formelle de l'Empereur à Fouché, 14 juin 1808, X, 8891. Dans une note du 21 septembre, Fouché, d'autre part, fixais aux deux sixièmes de la valeur saisie la récompense de celui qui dénonçait la contrebande, AFIV, 1302, n° 47 ; et dans une note du 30 juin 1808, le ministre répartissait entièrement entre ceux qui avaient assuré la capture de l'agent Prigent la somme saisie sur ce malheureux (Bulletin du 30 juin 1808, AFIV, 1503). Nous pouvons citer de ce fait bien d'autres exemples.

[107] Napoléon à Fouché, 9 janvier 1810 (Corresp., XX, 16120).

[108] Note au Bulletin du 18 frimaire an XIII, AFIV, 1493.

[109] Napoléon à Fouché, 24 nivôse an XIII (Corresp., X, 8272), 5 vendémiaire an XIII (X, 8048), 4 août 1807 (XV, 12915), 1er septembre 1807 (Lettres, I, 103) ; à de Rémusat, 22 février 1806 (Corresp., XII, 9866).

[110] Sur le bénéfice personnel que tirait Fouché de ces ressources, cf. ch. XIII. VÉRON (Mém. d'un bourgeois de Paris) dit qu'outre le profit personnel, Fouché faisait payer de temps en temps, sur la caisse des jeux de Perrin, des bons de police de 10.000 à 20.000 francs. Cela pouvait mener loin.

[111] ARTAUD, le Comte d'Hauterive, p. 268.

[112] Note sur l'organisation de la Police générale. Papiers confiés à Gaillard.

[113] Mémoires de Bourrienne, III, 300.

[114] Bulletins de police, passim.

[115] Duchesse D'ABRANTÈS, II, 265, et Bulletins de police.

[116] Fouché est très sévère pour la bonne tenue des prisons. F7, 6403. — FAUCHE-BOREL, III, 25.

[117] WELSCHINGER, La censure sous le premier Empire. En 1807, Fouché réclamait le dépôt de tout livre au ministère de la Police, qui, à raison de ses attributions, a le plus grand intérêt de connaitre et d'examiner les ouvrages qui paraissent. (Note au Bulletin du 24 juin 1807, AFIV, 1500.) Ce ne fut qu'en février 1810 qu'on enleva à la police cette surveillance, en créant un directeur général de l'imprimerie relevant du ministère de l'intérieur.

[118] Il faudrait citer ici les quatre-vingts ou cent lettres écrites de 1804 à 1810 par l'Empereur à Fouché, pour l'inviter à surveiller, réprimander, supprimer, diriger la presse : Donnez une meilleure direction aux journaux... (24 juillet 1806, Lettres, I, 330.) ... La surveillance des journaux, cette partie si importante de vos fonctions.... (24 mars 1808, Corresp., XV, 13677.) Fouché obéit volontiers. On le voit le 22 avril 1806 rendre compte d'une entrevue avec les journalistes au ministère, où il leur a déclaré que chaque rédacteur sera désormais responsable de tous les articles de son journal (AFIV, 1496), et le 1er août 1809 d'une autre conférence entre les rédacteurs et lui, où il s'est montré d'une extrême raideur (AFIV, 1505). Tous les soirs, de sept à huit heures, le ministre de la Police recevait les numéros des journaux qui devaient paraitre la lendemain, nous dit MUSNIER-DESCLOSEAUX, écho de Réal (I, 127).

[119] On voit Napoléon ordonner assez souvent des articles à Fouché contre tel lit tel, par exemple le 22 mai 1805 (Lettres, I, 49), le 17 décembre 1807 (I, 129), le 28 août 1807 192), etc., etc. ; des caricatures (30 mai 1805, I, 50), et jusqu'à des noëls populaires (1er janvier 1809, I, 260). Napoléon va jusqu'à prescrire à son ministre d'insérer dans les journaux des notes comme venant d'un journal anglais : Vous en choisirez un dont le nom soit peu connu, ajoute prudemment l'Empereur, 10 fructidor an XII (Corresp., IX, 7967).

[120] Correspondance très volumineuse des commissaires généraux (F7 6, 342, 635), celle du commissaire spécial Mengaud, à Boulogne, et le rapport de Fouché de messidor an VIII sur cette surveillance qui s'étend à tout, contrebande, marine côtière, transports, pêche, etc. (F7, 6247).

[121] Napoléon à Fouché, 30 thermidor an XII, 24 avril 1805, 4 mai 1805, 28 août 1805, 29 septembre, 15 décembre 1806, 3 mai 1807, etc., 7941, 8623, 8882, 9147, 10889, 11475, 12518, etc.

[122] Bulletins de police, passim.

[123] Fouché exigeait pour les passeports une sévérité d'autant plus grande qu'il les avait rendus uniformes et faciles à obtenir.

[124] Il faudrait citer cinquante bulletins de police : ils sont pleins de ces conflits. Fouché les prévoyait comme une conséquence inévitable du rôle universel de la police (Instructions aux préfets et commissaires généraux sur les rapports du ministère de la Police avec les autres ministères. Papiers confiés à Gaillard).

[125] Compte rendu de l'an VIII.

[126] FABRE, de l'Aude, IV, 222, et JULLIAN vont jusqu'à dire qu'il la fait aimer, et MAURY écrit, en août 1815, avec une évidente exagération, à Fouché : Vous êtes le véritable créateur de votre ministère, et vous le faites aimer (Papiers confiés à Gaillard). Il est un fait, c'est qu'il tranquillisait et acquérait ainsi à la police une popularité qu'elle ne retrouva plus, et à ce sujet : JAL, Souvenirs, 1795-1873, ch. I : Mon père et le duc d'Orante, p. 96-111.

[127] Mém. de Fouché, I, 80.

[128] On le vit assez fréquemment opposer ses renseignement, personnels à ceux de ses agents ; citons an hasard le bulletin du 17 janvier 1810, à propos d'agitateurs qui sont, dit-on, en Vendée, et que le ministre sait personnellement à Paris et à Londres, AFIV, 1508. Cf. aussi ch. XIV et ch. XVII, son scepticisme en fars des dénonciations du préfet de police.

[129] Bulletin de police du 5 prairial an XIII. AFIV, 1493.

[130] Lettre du contre-agent du 20 janvier 1800. Dossiers du Comité anglais. Carton F7, 6247.

[131] MUSNIER-DESCLOZEAUX, Indiscrétion, t. III, p. 233. Cf. aussi les Confidences de Fouché à Lamothe-Langon, l'Empire, 1836, III, 121, sur le zèle exagéré des gens de police. Mêmes confidences à Gaillard en 1815. GAILLARD, Mém. inédits.

[132] Compte rendu de l'an VIII.

[133] Instructions du ministre de la Police générale aux préfets et commissaires généraux sur les devoirs de la police. (Papiers Gaillard.)

[134] Il dira de même en 1815 : Ma longue expérience dans les affaires et lus événements de la haute police m'a démontré avec évidence que lorsque la police veut ajouter à la force du gouvernement, elle n'a rien de mieux à faire qua d'ajouter à son respect pour les règles et de les suivre avec plus de religion. Le duc d'Otrante au préfet du Gard, 25 août (Papiers laissés à Gaillard).

[135] Instructions du ministre de la Police générale aux préfets, etc., déjà citées (Papiers Gaillard).

[136] Note à la police de Rouen, 13 juin 1807. Bulletin du 13 juin 1807, F7, 3713. Il menaçait de destitution tout agent qui aurait dorénavant recours à de pareils procédée. Il n'y a pas là une circulaire retentissante, mais, ce qui est plus intéressant, une note confidentielle ; ce qu'il y a de curieux, c'est qu'ici le ministre est en conflit avec l'Empereur, à qui plaît la police provocatrice. Lettre du 4e complémentaire an XII, à Fouché (Lettres, I, 45).

[137] Le duc d'Otrante aux préfets, 25 mars 1815. Cf. chapitre XXIV.

[138] Le duc d'Otrante aux préfets du Midi, 25 août 1815 : ... Si la police se dégage des fermes de la justice, c'est uniquement de celles qui, par leur nature, ont de la lenteur, c'est uniquement pour aller aussi vite que les coupables. (Papiers confiés à Gaillard.)

[139] Compte rendu de l'an VIII.

[140] La femme de La Haie Saint-Hilaire (dossier F7, 6467).

[141] C'est ainsi qu'on agit vis-à-vis de Mme de la Bourdonnaie. Réflexions du ministre sur une note secrète sur les La Bourdonnaie. Bulletin du 9 août 1806, F7, 3720.

[142] Affaire des plombs. Cf. chapitre XVI (dossiers F7, 6356 à 6358).

[143] C'est le cas pour Prigent : la note de Londres indiquant qu'il partait pour Jersey et le continent, vieille d'un mois, parvenait au ministère en même temps que l'avis des agents de l'Ouest, signalant les indices de troubles. Bulletin du 11 mars 1808, AFIV, 1502.

[144] En juin 1807, par exemple, Bourrienne avait, de Hambourg, signalé un propos du baron d'Hubert, rapporté à Altona, permettant de croire que Prigent allait partir pour le continent, ce qui donna l'éveil (Bulletin du 12 juin 1807, F7, 3713). Une note de Londres avait confirmé le fait, ainsi que le départ de La Haie Saint-Hilaire, qui fut pris en Bretagne trois mois après. En une autre circonstance, on voit le ministre, dans une note au Bulletin du 29 vendémiaire an XIV, se féliciter de la concordance des renseignements que lui fournissent le préfet de Rennes et le général Laborde avec ceux de ses agents de Londres, F7, 3709 : ce sont des avis secrets de Londres et de Hambourg qui, en mit 1806, font connaitre à Fouché l'existence des communications entre la France et Jersey. Le conseiller d'État Réal fut chargé de vérifier ces indications et de commencer la filature des agents qui, en effet, avaient débarqué. Août 1806, F7, 3710.

[145] Bulletin de police, 15 avril 1808, F7, 3715.

[146] Napoléon à La Valette, 14 novembre 1807 et 29 mars 1808 ; Lettres, I, p. 126, 172.

[147] C'est ce qu'on appelle dans la langue de la police établir des rapports utiles près de quelqu'un. S'agit-il du royaliste M. de la Goss : On a introduit près de lui, écrit le préfet de police, quelqu'un qui ne le perd pas de vue. Bulletin du préfet, 11 frimaire an XII ; F7, 3832.

[148] Le duc d'Otrante aux préfets. 25 mars 1815 (ch. XXIV).

[149] Ce moyen est d'un emploi fréquent. On s'en sert dans l'affaire des Plombs en 1804, 1805, F7, 6356-6358. En avril 1807, Fouché, qui soupçonne un nouveau complot, fait rechercher les effets de commerce tirés ou endossés à l'étranger à Nantes, Rennes, Saint-Malo, Laval et Bordeaux. Fouché au préfet de Nantes, 11 avril 1807, F7, 6480.

[150] L'exposé de ce travail se trouve dans une note autographe de Fouché au bulletin du 18 ventôse an XIII, AFIV, 1492, et aussi au bulletin du 27 octobre 1806, F7, 3711.

[151] Indiquer au préfet les maisons de ces endroits qui sont sur notre atlas. Note au dossier Prigent ; F7, 8480.

[152] Le sénateur ministre de la Police générale au général Boyer, 18 septembre 1896, F7, 6481.

[153] Une partie de cette biographie a été imprimée ; on voit le ministre envoyer au général Boyer des centaines d'imprimés renfermant le signalement de plus de cent des principaux brigands non soumis de ce pays, imprimés qui doivent être répartis entre les diverses patrouilles. Bulletin du 27 octobre 1806 ; F7, 3711.

[154] Dès 1805, Fouché faisait remarquer que ce sont les mêmes individus qui ont servi précédemment, qu'on trouve aujourd'hui dans les conspirations de l'Ouest, ajoutant : La Police générale a des listes complètes de tous ceux qui ont servi dans ces correspondances soit comme bateliers, gardes, logeurs, entreposeurs de paquets... Note au bulletin du 27 ventôse an XIII ; F7, 3707.

[155] Rapport de Fouché à l'Empereur, juin 1307 ; Note au bulletin du 30 juin 1807 ; AFIV, 1503.

[156] Compte des sommes saisies sur Dubuc ; F7, 6549.

[157] Ordre du ministre. Bulletin du 5 octobre 1307 ; AFIV, 1501.

[158] Fouché au préfet des Côtes-du-Nord ; F7, 6482.

[159] Le commissaire général de Saint-Malo au conseiller d'État Réal, 7 juin 1808 ; F7, 1482.

[160] La police a quatre barques dont les pilotes, agents de la police, peuvent circuler partout. Il y eut à ce sujet d'incessants démêlés entre Fouché et Decrès. Ces barques servaient aussi à assurer les communications avec Londres. Note de Fouché, 20 avril 1810 ; A FIV, 1508.

[161] C'est le cas de Prigent, de Chateaubriand.

[162] Le ministre inspire une grande terreur. C'est l'antre de Polyphème, écrit le contre-agent royaliste. Papiers du Comité anglais, F7, 6247.

[163] Rapport de Fouché à l'Empereur ; Affaire Prigent, F7, 6480-6482.

[164] Dossier, F7, C467.

[165] Dossier, F7, 6484.

[166] Affaire Dubuc, Rossolin, Laa, F7, 6549. Bulletin de police de prairial et messidor an XIII, F7, 3707. Rapport de Fouché à l'Empereur. Moniteur du 10 thermidor an XIII.

[167] Napoléon à Clarke, 8 mars 1809, XVIII, 14875. Napoléon à Dejean, 14 septembre 1806, XIII, 10782.

[168] Napoléon à Fouché, 14 septembre 1805, XIII, 10781.

[169] Mesures à prendre dans l'Ouest. Bulletin du 9 juin 1809, F7, 3763, et tout le dossier du camp volant de 1806-1807 ; F7, 6480, 6481.

[170] Ce jugement est toujours imprimé sous forme de placards qui sont affichés dans les départements de l'Ouest. Des exemplaires de ces placards se retrouvent dans tous les dossiers des affaires de l'Ouest.

[171] Rapport du comte Regnaud de Saint-Jean d'Angély à l'Empereur, s. d. ; AFIV, 1802, n° 10.

[172] C'est le cas pour onze complices de Prigent acquittés et retenus en prison par ordre du ministre. Bulletin du 4 novembre 1808, F7, 3717. Il y a mieux : le curé Jaguenean, remis légalement en liberté après l'affaire des Plombs en 1805, est, le 11 janvier 1807, remis en prison par ordre du ministre, jugeant que la sûreté publique exigeait que cet agent de l'ennemi gardât la prison jusqu'à la paix. Bulletin du 12 janvier 1807 ; F7, 3712.

[173] Rapport du ministre à l'Empereur du 5 janvier 1808 sur les individus détenus par mesure de haute police ; AFIV, 1314.

[174] SAVARY, IV, 405-406.

[175] Fouché a la surveillance et la direction des prisons d'État. Cf. les Lettres de Napoléon à Fouché (Corr., XII, 10437, etc.).

[176] AFIV, 1320, n° 20. État des détenus dans les prisons par mesure de haute police, 1807.

[177] DESMAREST, Témoignages... Introduction et aussi Rapport relatif à l'organisation du ministère de la Police générale ; AFIV, 1302.

[178] Ordre de service pendant l'absence de l'Empereur ; Corr., XIII, 14425.

[179] Souvenirs du duc de Bassano, p. 561.

[180] Napoléon à Fouché, 1er avril 1806, XII, 10062.

[181] Note de Fouché au Bulletin du 13 mars 1809, A FIV, 1505.

[182] FABRE (de l'Aude), IV, 2.22, écrit : La police n'a pas été faite depuis qu'il a cessé de la diriger.

[183] Cf. la diatribe de Chateaubriand contre le ministère de la Police, la Monarchie selon la Charte et un autre passage intéressant, Œuvres, t. XXII, Polémique, p. 111, 114.

[184] Cf. le rapport de M. Bonjean en 1852 sur le rétablissement du ministère de la Police, bon, disait le rapporteur, moins pour prévenir et réprimer les conspirations que pour mettre le souverain au courant de l'état de l'opinion et empêcher un désaccord.