FOUCHÉ (1759-1820)

DEUXIÈME PARTIE. — LE MINISTRE FOUCHÉ (1799-1810)

 

CHAPITRE XIII. — FOUCHÉ.

 

 

Qu'est-ce que Fouché ? — Le Fouché de 1804 : précoce vieillesse. — Une physionomie saisissante : figure effrayante. Tenue modeste. Mépris des titres. Amour de la fortune. Richesse énorme de Fouché : son origine. — Esprit de famille : amour conjugal, tendresse et fierté paternelles. — Vie simple. Indulgence aux vices d'autrui — Labeur incessant, grande puissance de travail, facultés puissantes et exercées. — Grande sociabilité ; les amitiés de Fouché : fidélité relative. Générosité et charité. Obligeance et clémence instinctives. Modération adroite. — Insensibilité à l'outrage et aux mauvais services. — Mépris de l'espèce humaine. Scepticisme justifié. Causticité mordante. Bavardage habile et habitude de fronde. — Énergie parfois violente, tempérée par l'habileté et la modération. — Vues assez larges. — L'homme d'État. — Le sang-froid est sa qualité maitresse : l'imbroglio. — Tout est subordonné chez lui à sa fortune ; simplicité de sa politique : l'art de se faire partout des amis. Ténacité et persévérance. — Absence de préjugés. Indifférence en matière de constitution. Jugement de Guizot. — Fouché a un dessein déterminé. — Le régicide oriente sa vie. — Fouché cultivé par tous les mondes. Relations avec le parti républicain, rallié ou non. — Les trois faubourgs. — Grand crédit du ministre parmi les amis du régime. Relations avec la famille impériale. — La conquête du faubourg Saint-Germain ; amitiés inattendues et popularité paradoxale ; les amis de Fouché. Bonnes relations avec l'épiscopat, la haute banque et les gens de lettres. — Fouché et Napoléon. Association étrange. — Sentiments de Napoléon sur Fouché ; il estime sa capacité et ne doute pas de sa fidélité. — Il le croit simplement intrigant. Attitude  très fantasque du souverain. — Sentiments de Fouché sur Napoléon : il le traite assez mal. — Situation de Fouché en 1804.

 

Chaque fois que l'ancien professeur de l'Oratoire reparaissait sur la scène politique, c'était à son endroit, dans la société qui l'allait voir agir, un très vif mouvement de curiosité : Qu'est-ce que Fouché, au fond ? Que pense-t-il ? Que veut-il ? Qu'aime-t-il ? Les réponses à ces questions ne sont pas toujours les mêmes à Paris ou à Londres, au faubourg Saint-Germain et aux Tuileries. Car c'est un homme souple, double, impénétrable, difficile à déchiffrer.

Cette figure énigmatique se dresse maintenant derechef au seuil d'une nouvelle carrière. Ce n'est plus le citoyen Fouché de Nantes ; il s'achemine au manteau ducal et a la couronne fermée.

Mûri par ces douze ans de vie publique, de 1792 à 1804, qui pour les auteurs du drame valent un siècle, Fouché est certainement arrivé, en 1804, à la pleine possession de son talent et de ses idées : au physique et au moral, homme privé et public, le personnage ne changera plus. Une précoce vieillesse, fruit d'une dévorante vie intérieure, a déjà flétri ses traits, mûri ses idées et fixé ses plans. Onze ans de direction professorale et douze de vie politique ont fait de lui, à quarante-cinq ans, un homme d'État sans illusions et de sens très rassis : deux ans de disgrâce, de repos et de méditation sont venus consommer cette grande expérience des hommes et des choses ; car il a pu, en sa retraite, réfléchir mûrement sur lui et sur les autres. Imprudemment, ses adversaires lui ont ainsi fourni le moyen d'étudier, clans le calme de la vie privée, les fautes commises par lui au cours de sa carrière politique et celles que désormais il s'agit d'éviter. Il est ainsi dans la plénitude de ses facultés et a la vision très claire des voies par lesquelles il les peut exercer. C'est donc à ce moment qu'il le faut présenter à ceux qui, pareils aux contemporains de Fouché, se posent la question : Qu'est-ce que Fouché ?

Ceux qui le voyaient restaient saisis : jamais physique ne s'accorda mieux avec le caractère ambigu et indéchiffrable qui était le sien. Nul ne lui ressembla jamais. Ce physique peut nous arrêter un instant : il eut une grande influence sur sa réputation. Il avait alors quarante-cinq ans. Grand, maigre, osseux et un peu voûté, il était d'une pâleur étrange, qui étonnait et parfois terrifiait ; cette face exsangue ne pouvait ni rougir ni pâlir. Avec ses cheveux plats et rares, d'un blond fade, prématurément gris, et que d'ailleurs il poudrait, avec ses sourcils et ses cils incolores, d'une nuance fort analogue à celle de son teint et de ses lèvres blêmes, ce visage apparaissait comme fermé, mort, impénétrable, lorsque ses yeux gris, un peu injectés de sang, se dérobaient, car ils se faisaient alors à volonté vagues, fuyants et ternes. On se rappelle à ce sujet la célèbre et bizarre apostrophe de Robespierre exaspéré, sur ces veux que la nature avait cachés pour permettre à cet homme de dérober son âme derrière son impénétrable voile[1]. Tous ceux qui l'ont connu de près ou de loin sont restés frappés de cette singulière et impénétrable physionomie, et tous signalent ce trait caractéristique, l'uniformité morne de cette face blême[2]. Soudain, cette physionomie fermée s'ouvrait, l'œil lançait une flamme courte, un regard perçant, rapide et investigateur, qui d'un coup pénétrait et fouillait au fond de l'âme ; la bouche se crispait en un sourire ironique. Parfois aussi, sur ses traits détendus une certaine bonhomie se peignait ; c'était le Fouché du foyer de famille, le Fouché sans doute de Juilly et d'Arras.

Fort laid, en somme, mais d'une laideur sans banalité, il en plaisantait lui-même, laissant dire que cette physionomie, parfois étudiée et exagérée à dessein, le servait autant que son esprit[3]. Sa main était sèche, nerveuse, très musclée, avec une contraction constante, froide et enveloppante[4]. Au physique comme au moral, cet homme a deux faces : aux uns, il inspire, par l'effet de sa sinistre personne, de son expression ou froide ou ironique, une terreur qui déconcerte ou fascine ; aux autres, avec une physionomie de pédant de séminaire, il semble insignifiant dans une bonhomie sans faste et en apparence sans prétention.

Le fait est qu'il avait conservé de l'Oratoire des goûts simples et une tenue modeste. Vêtu presque toujours de couleurs sombres et de coupes surannées, il poussait la simplicité jusqu'à la négligence, et les mauvaises langues disaient qu'il la poussait plus loin encore. Le pire était que pour ne point perdre une heure, il avait pris l'habitude de donner certaines audiences urgentes, soit dans son lit, où il ne dormait guère, soit en vaquant aux soins de sa toilette, ce qui faisait paraître aux yeux de tous que cette toilette était peu raffinée[5]. Il reçut notamment, un jour, la cour d'appel de Rome, drapée de rouge, en se faisant la barbe ; Norvins, témoin de l'entrevue, n'était pas revenu, vingt ans après, de son étonnement et de son dégoût. Comme il était toujours, même dans les petites choses, l'homme des circonstances, il savait passer de cette tenue modeste et négligée au plus pompeux apparat, lorsqu'il fallait frapper les esprits, relever son prestige et, en imposer : sous l'écharpe du représentant en mission, dans le costume brodé de ministre, il ne répugne pas au tremplin, à l'estrade, qui cependant vont mal à cette nature. Il fait battre les tambours à Troyes, tirer des salves à Nevers, sonner les cloches à Trieste et à Laybach, et galoper, à Paris, les escadrons autour de sa voiture[6] ; rien là d'un simple goût de parvenu ; s'il s'entoure de pompe, c'est qu'il y a nécessité, intention secrète ou obligation de métier. Il garde à l'ordinaire, dans les grandeurs, l'allure discrète et effacée d'un surveillant d'étude. Aussi raille-t-il sans pitié Cambacérès, se promenant dès le matin sous les galeries du Palais-Royal en grand costume de dignitaire, et sourit-il, volontiers, des pompes de ce Franconi de l'armée, le fastueux Murat[7]. Lui aussi, on l'a accablé de plaques, de croix et de cordons ; il en ignore le nom, le nombre, estimant très bas toutes ces chamarrures. Il deviendra comte de l'Empire, grand aigle de la Légion d'honneur et duc d'Otrante. Mais, se tenant pour une personnalité, il n'a besoin d'aucun titre pour se recrépir ; il ne se parera jamais du titre de comte[8], il affectera même au début, en dépit de la légende, un certain dédain pour ce fantastique duché d'Otrante, qu'il ne prisa très haut, que le jour où ce titre confirmé l'installa à la cour du Roi Très-Chrétien, sur la même ligne qu'un Richelieu ou qu'un Doudeauville[9].

Il estimait, plus haut que la vanité des titres, les espèces sonnantes qu'ils rapportaient. Cet homme sans faste désira la richesse. Il n'était pas avare, encore moins dépensier. Mais il avait mesuré la puissance de l'argent, avait pressenti le siècle des affaires et, ayant résolu d'être grand, avait voulu être très riche, d'une richesse solide et respectable, la richesse foncière[10]. Il n'était pas pauvre au début de la Révolution, mais avait tout perdu, ou peu s'en faut, par la révolte des noirs à Saint-Domingue et des blancs en Vendée ; il n'avait, dit-on, que 2.000 livres de revenu en 1793[11]. Sous le Directoire, sa fructueuse association avec Hinguerlot et autres avait été le point de départ d'une fortune qui avait crû rapidement, au cours de ses missions diplomatiques et de son premier ministère[12]. Nous avons vu que sa disgrâce même l'avait fait décidément riche. Le don royal de Bonaparte reste sujet à contestation, mais sa sénatorerie d'Aix, opulente prébende, lui valait 20 à 25.000 livres de revenu, et il n'en laissa rien distraire[13]. Le titre de ministre porta, en 1804, cette somme de 35.000 à 100.000 livres[14]. Puis vinrent les gratifications, car il ne fut pas oublié dans la curée de l'Europe. En mars 1808, il recevra 20.000 livres de rentes en Hanovre, puis 2.000 en Westphalie, et, quelques mois après, 20,038 nouvelles livres de rente, comme comte de l'Empire ; l'année suivante, outre un supplément de 2.358 livres en Hanovre, le titre de duc d'Otrante lui en vaudra 60.000 dans le royaume de Naples, revenus de fermes, propriétés, métairies, jardins et immeubles, dépouilles de monastères et églises, de la terre d'Otrante, si bien que cet ex-religieux vit encore de l'autel. Tous ces dons et traitements portaient à 223.000 livres ses revenus officiels[15]. Mais il avait fait de grandes économies et réalisé de fructueux bénéfices, car dès 1810, au dire de Savary, il avait, du fait de sa propre fortune, 20.000 livres de rente. Tout le monde le savait très riche. Naturellement, on exagéra par malveillance ; en 1815, on lui donnait 30 millions, l'imagination des pamphlétaires se donnant carrière avec leur désir de flétrir le parvenu[16]. Il avait certainement moins. Des renseignements tirés de sa correspondance avec ses hommes d'affaires de 1815 à 1830 permettent de fixer à une somme de 12 à 15 millions le chiffre de cette grosse fortune[17]. Dès l'Empire, il avait, rue Cérutti, en pleine chaussée d'Antin, un hôtel qu'il habitait lorsqu'il n'occupait pas l'hôtel de Juigné, siège du ministère. Il passait tous les étés dans le royal domaine de Ferrière et de Pont-Carré, qu'il avait constitué de pièces et de morceaux pour en faire un des plus considérables de France[18].

On le disait, en 1815, le second capitaliste du pays, mais le premier propriétaire foncier[19]. Il avait acheté prés, champs et bois autour du domaine primitif, dont il s'était assuré la possession incontestée en le payant deux fois, à bas prix du reste, car il a pris, dès le Consulat, la précaution de dédommager l'ancien propriétaire de ces biens nationaux, émigré en 1793[20]. A la porte de Paris, cet immense domaine n'avait pas de valeur appréciable. Si bien que l'ex-proconsul communiste de Nantes — Du pain, du fer et quarante écus de rente suffisent aux républicains ! — et de Nevers — Avilissons l'or et l'argent, traînons dans la boue ces dieux de la monarchie ! — paraissait revenu à des idées plus sages, ayant château en province et hôtel à Paris, un domaine princier, vingt fermes, grands bois, chasses, prés, champs, galerie de tableaux, collections précieuses, équipages et vaisselle plate, deux paroisses entières en Champagne, dont il payait les curés, tout comme un grand seigneur de l'ancien régime[21] ; des biens aussi en Provence, les Coussons de l'Oule et Maugrasset, les domaines du Village et des Autorches, près d'Arles, le domaine des Cordelières, la madrague de l'Estaque près de Marseille, le domaine des Pêcheries d'Hyères près de Toulon, la madrague de Saint-Hospice près de Villefranche, et à Nice le propre hôtel de l'ancien gouvernement sarde, des biens aussi en Hanovre et des biens en Westphalie, sur le Rhin et l'Oder, des biens encore en terre d'Otrante et en Basilicate, métairies immenses de Sternaria, de Saligrano, de Paradisi en Soleta, de Bianchini-Galatina, couvents de Sternaria et Saella, grands enclos d'oliviers sis à Soleta, grands jardins de Cingi et de Bambacari, etc. Cela vaut bien le petit domaine vendéen du Pellerin et les plantations de Saint-Domingue[22]. Nous ne parlons pas des solides valeurs grossissant tous les jours le portefeuille de Fouché sur le modèle de celui de Talleyrand, car ce sont capitalistes haut cotés sur le marché. On avait décidément relevé les dieux de la Monarchie.

La fortune considérable, qu'indépendamment des dotations impériales, le duc d'Otrante devait amasser avait d'autres origines que des économies cependant appréciables. Écartons le reproche de malversations ; Napoléon n'était pas homme à les souffrir, surveillant de très près l'emploi de 15 à 16 millions de livres inscrits chaque année au budget de la police et des 800.000 de fonds secrets. Mais la gestion des jeux restait ; les fermiers, désireux de conquérir ou de conserver les bonnes grâces du ministre, lui servaient, semble-t-il, sur leur gain, un énorme tribut : 3.000 livres par jour, assure-t-on, plus d'un million par an[23]. Il était, d'autre part, une source de revenus dont l'existence ne pouvait échapper à personne : la bourse ; car plus qu'aucun autre ministre d'aucun autre régime — et l'on sait s'ils s'en font faute —, Fouché, le premier au fait des nouvelles de l'Empire, spéculait sur une vaste échelle, l'ami, du reste, ne l'oublions pas, d'Hinguerlot dès 1797, de Perregaux sous l'Empire, de Laffite dès 1813[24]. En 1809, nous le verrons se vanter lui-même à l'Empereur d'une spéculation sur Wagram (3). Les victoires de Napoléon, connues du ministre avant tout Paris, s'apprenaient par les achats du duc d'Otrante sur le marché.

Il était donc riche, et cette fortune s'augmentait chaque jour, car il était économe[25]. Naturellement simple et de goûts honnêtes, il n'aimait ni la bonne chère ni les femmes, sauf la sienne. Nous avons dit d'ailleurs quelle fidélité affectueuse, et d'ailleurs réciproque, il lui avait gardée[26]. C'était, du reste, une de ses grandes qualités et celle qui lui fut le moins contestée, que cet esprit de famille qui en faisait non seulement un mari très tendre et un père excellent, mais un parent plein de sollicitude, toujours affectueux et délicat pour sa sœur, trouvant le temps en 1805, 1807, 1815, 1816, au milieu de mille soucis, de donner à ses neveux et nièces, avec des témoignages plus palpables de sa généreuse et utile bienveillance, des conseils empreints d'une morale grave, austère, un peu pédante parfois, mais toujours de bon aloi[27]. Il puise dans l'amour de sa femme une force réelle, non seulement parce qu'elle est de bon conseil, mais parce que ce sentiment le préserve des intrigues de femmes, où sombrent parfois les hommes d'État par ailleurs les plus avisés. Ils avaient vécu d'une façon si intimement familiale qu'on en souriait à cette époque de mœurs libres ; il se montrera très tendre, paternellement bon pour sa seconde femme, Gabrielle de Castellane, beaucoup plus jeune que lui, se préoccupant de son sort futur, lui assurant un douaire et allant parfois jusqu'à l'expansion amoureuse : Faites comme moi, écrira-t-il à Gaillard[28], dictez à votre femme ; il est si agréable de pouvoir embrasser son secrétaire !

Et cependant c'était bien à ses enfants qu'il réservait le meilleur de ses sentiments. Avec quel accent ému, sollicité cependant par de terribles soucis personnels, il parle, en 1794, de sa petite agonisante et, deux ans après, à ce sceptique Barras, des enfants qu'il a perdus[29] ! Celui-ci le connaissait bien, lorsqu'il nous le montre en 1796 disposé à tout pour nourrir son marcassin. Quand ses quatre enfants grandissent, s'élèvent, avec quelle fierté il en parle ! On vous a peut-être dit qu'ils sont gâtés, écrira-t-il en 1814 à Mme de Custine[30] ; c'est possible, mais ils sont aimables, ils font le charme de ma vie. Toutefois leur esprit n'est pas sans substance, surtout leur cœur n'est point vide. L'âge des vices ne les surprendra pas dans le dénuement. C'est le premier vice que je crains, parce que là commence la chaîne de tous les autres. Même orgueil quand, en 1820, il vante les qualités physiques et morales de ses enfants, la taille superbe de l'un, la grande intelligence de l'autre. Mais sa joie, sa grande fierté, c'est sa fille, cette enfant qu'il promènera par la main dans les rues de Laybach en bon père qui bavarde et s'amuse aux saillies de la petite, et à quel moment ! à l'heure où, en pleine crise, il était assailli de préoccupations de tout ordre. Plus tard, il la voit avec un indicible plaisir fêtée et admirée : il songe au mariage de cette enfant, aux carrières de ses fils : sa dernière parole sera l'écho de ses soucis paternels[31].

Il est de vie simple et de tempérament sobre, mangeant et buvant fort peu, restant quelques instants à peine à table, prisant par simple contenance ; une fois par semaine, après 1804, les parties de bésigue des vieux oratoriens et des parentes pauvres sont interrompues ; il y a tous les mercredis réception officielle au ministère. C'est la seule concession à la vie d'apparat ; Jeanne Fouché ne va jamais dans le monde : parfois, pour le ministre, une promenade à cheval au bois, une soirée au concert, car il aime la musique[32]. C'est toute la vie de cet homme public, dix fois millionnaire. Il affecte, du reste, n'ayant pas de vice, une certaine indulgence aux vices d'autrui, sauf quand il s'agit des siens, fils ou neveux, sauf aussi quand il trouve matière à petites vengeances ; ce sont alors des sévérités de circonstance : les festins succulents et les aventures galantes de l'archichancelier Cambacérès, l'immoralité du prince de Talleyrand, la vie déréglée du ministre Decrès, l'improbité du ménage du préfet de police Dubois, etc., donnent lieu à des remarques que peut se permettre l'homme privé extraordinairement moral qu'est en somme ce si immoral politicien[33].

Laborieux et infatigable, il se lève tôt, malgré une santé qu'on dit débile et qui lui sert, dit-on, autant que sa laideur, car il en fait parfois le prétexte de certaines abstentions et de certaines retraites. Il est toujours le premier et le dernier au travail dans les bureaux du quai Voltaire, labeur méthodique, exact, méticuleux, sans à-coups ni lacunes, qui lui donne vite une connaissance si complète de la matière ministérielle qu'il consulte rarement ses fiches, connaissant admirablement son personnel de policiers et de suspects[34] ; il donnerait des détails, dit-on, sur la plus petite commune de France[35], car il a, comme le dit Retz de Richelieu, le faible de ne point mépriser les petites choses. Il exige, du reste, sur toute affaire, un travail consciencieux et détaillé de ses subordonnés, déteste les a aperçus vagues et moraux, et fait ses agents à son image. Il est servi par une bonne mémoire, qui, comme toutes ses facultés, a été admirablement exercée à l'étude politique par le professorat ; il n'a pas, comme Mirabeau et Talleyrand, badiné avec les violons avant de monter sur la scène ; il sait son rôle, ce qui ne l'empêche pas de l'étudier sans cesse. Il a, du reste, un immense besoin d'activité, n'accepte jamais une place, ministère, gouvernement ou mission comme une sinécure, mais comme un nouveau champ offert à son action ; chez lui l'action n'est pas apaisante, elle le surexcite et le soutient[36].

Cette vie de travail acharné et de joie familiale ne le retranche pas du commerce social ; il le goûte fort, cultive l'amitié[37]. Il l'exploitait, mais sans qu'elle fût toujours dans son principe subordonnée à l'intérêt ; c'était la tournure de sou caractère que de ne rien laisser autour de lui d'inutile et d'improductif. Jamais homme ne se servit autant de l'amitié, mais il y montrait une réelle fidélité. Nous avons déjà eu l'occasion de parler des relations fidèlement conservées à travers les orages et les honneurs avec ses anciens confrères et élèves de l'Oratoire, Daunou, Gaillard, Perrier, Malouet, Jay, Chênedollé, Pardessus et bien d'autres ; on pourrait en dire autant des amitiés contractées sur les bancs de la Convention. Il n'aimait pas rompre ; quoi qu'en dise Barras, Fouché se résigna difficilement à ne le pas réconcilier avec Bonaparte[38], et il garde à Thibaudeau une amitié qui résiste à de grosses épreuves[39]. Cette fidélité à de vieilles amitiés va très loin : on le vit sous l'Empire assurer une pension à Charlotte Robespierre[40] que jadis il avait connue à Arras et dont il n'avait pas peu contribué à faire guillotiner les frères ; mais c'était Maximilien qui avait le premier dénoncé le pacte d'amitié ; au surplus, Robespierre avait menacé sa carrière et sa tête, et l'amitié de Fouché s'arrêtait au renoncement. On le savait, on ne lui tenait pas rancune de certaines petites trahisons ; Thibaudeau et Réal, après 1815, continuèrent à parler de lui avec une certaine sympathie, proscrits par le duc d'Otrante et restés en bonnes relations avec lui. L'amitié qu'on avait pour lui résistait à ces singulières voltes-faces ; deux grandes dames, la princesse de Vaudémont et la marquise de Custine, que tout semblait éloigner de lui, prisaient si fort son cordial et familier commerce, que son exil de 1816, œuvre de leurs coreligionnaires politiques, ne paraît pas avoir refroidi un instant leur fervente amitié. Envers d'anciens amis malheureux et persécutés, il prouva vingt fois qu'il n'oubliait pas le passé[41]. Cette disposition enlevait à cette physionomie toute allure de parvenu.

Quand on lui a rendu service, il ne lésine pas sur la récompense ; il est, du reste, naturellement charitable : un pamphlétaire qui l'a violemment attaqué surprend par un aveu : Fouché consacrait, dit-il, cent louis par mois à des œuvres de bienfaisance[42]. On le voit en effet du fond de son exil, si aigri cependant par l'ingratitude des hommes, recommander à ses amis, à ses hommes d'affaires, les vieillards de Ferrière qu'il a coutume d'entretenir. Le curé du lieu est autorisé à signer ad libitum des bons de bois, de pain et de viande à la charge des châtelains ; le médecin de la famille est tenu de soigner les pauvres du domaine, et l'on donne une bonne paye à quiconque veut aller travailler dans les bois de Maulny dépendant de Ferrières[43]. Peut-être, après tout, les tirades sentimentales, les arrêtés humanitaires réglant le sort des pauvres et des vieillards à Nevers, Moulins et Lyon ne sont-ils pas toujours formules hypocrites et creuses, inspirées par les seules circonstances. Fouché affirmait plus tard qu'il connut l'enthousiasme et l'attendrissement ; certains actes permettent de le croire.

Il était, du reste, volontiers obligeant lorsque sa bonne grâce ne le compromettait pas[44] ; on ne compte pas les services rendus par lui sans apparence d'intérêt. Cette obligeance contribuait à le rendre bienveillant, moins cependant qu'une autre disposition qui, refrénée en 1793, avait vite reparu, une tolérance naturelle, faite de bon sens et de scepticisme. Le fanatisme lui fait hausser les épaules ; il ne s'en indigne jamais, il en rit[45]. Il n'y a qu'entre les extrêmes, écrira-t-il plus tard[46], que se trouve le bien politique comme le bien moral. Il avait une aversion naturelle pour les excès ; au fond, les mitraillades de Lyon lui restèrent toute sa vie sur le cœur. Il est donc naturellement clément ; il y a là encore une légende à détruire ; à feuilleter les bulletins de police, on voit s'exercer fort efficacement cette heureuse disposition. Nous y reviendrons. Aussi bien, comme toutes ses qualités et tous ses défauts, cette instinctive clémence concorde avec sa politique et avec ses intérêts, modération adroite, écrira Metternich[47], et le mot est exact ; Bonaparte ne la comprend pas toujours, cette souriante indulgence qui l'exaspère, la correspondance de l'Empereur est sur ce point plus concluante encore que celle de Fouché. Le maître reprochera au ministre sa faiblesse, son indifférence : simple indulgence transportée dans la vie publique, érigée en système[48]. J'excuse toutes les faiblesses, écrira-t-il[49]. Rien ne le pousse à la violence ; son âme n'a pas été aigrie à l'aurore de la vie comme celle d'un avocat incompris, comme Robespierre, d'un médecin sans malades, comme Marat, d'un professeur chassé de son collège, comme Lebon ; assez fortuné dans sa jeunesse, il a passé au séminaire et dans les maisons de l'Oratoire des années heureuses et sans amertume. Il lui en reste une grande bienveillance qui ne cherche qu'à se dépenser, qui, même en 1793 et 1794, fait sauter parfois le masque grimaçant du terroriste d'occasion[50]. Il n'est même pas vindicatif[51], il se laisse écrire par un détenu, un ancien adversaire politique, qu'assurément le ministre de la Police ne vengera pas les injures de Fouché, et le fait mettre en liberté[52]. En 1815, il sauve de la proscription Fleury de Chaboulon qui lui a joué de vilains tours, essaye de faire échapper La Valette qu'il sait avoir été son constant ennemi[53]. Il se vante lui-même de rester indifférent à l'injure, attribuant complaisamment cette disposition à son élévation d'idées, à l'instinct de sa supériorité et au souvenir de la morale de l'Évangile[54]. Il pardonne tout, torts anciens, vieilles rivalités, injures, blessures ; mais il ne pardonne à personne, dans le moment, de lui faire obstacle. Malheur alors à celui qui le gêne : à des degrés divers, Robespierre, Barras, Bonaparte, Sieyès, Savary, Carnot, La Fayette, Talleyrand l'apprendront à leurs dépens. Il ne se sent, du reste, pas plus enchaîné par le bienfait qu'irrité par l'injure. Il ne s'en souvient pas, les néglige l'un et l'autre. C'était, dit-on, la grande force de Mazarin, cette opportune insensibilité aux services bons ou mauvais ; ce fut celle de Fouché. Si jamais homme eut l'âme affranchie, ce fut le ministre de la Police de Barras, de Bonaparte et de Louis XVIII.

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Au fond, bienveillance, tolérance, insensibilité à l'injure et au bienfait, modération et clémence, tout cela venait d'un immense et tranquille mépris de ses semblables. Ce mépris tient, disait insolemment Talleyrand, à ce que M. Fouché s'est beaucoup étudié. Il avait aussi étudié ses voisins ; il avait vu de près les capitulations honteuses de gens qu'il avait crus honnêtes, les débauches de ceux qui avaient jadis flétri celles des tyrans... Ministre de la Police, il avait touché du doigt toutes les ignominies et exploré les pires dessous de l'humanité. Il avait connu, mieux qu'homme au monde, le marchandage et le trafic de la conscience humaine. Il avait acheté lui-même trop de consciences réputées droites, trompé trop d'esprits qu'on disait avisés, pour n'en avoir pas tiré la conclusion qu'à quelques exceptions près, le monde se composait de scélérats plus ou moins hypocrites et d'imbéciles plus ou moins heureux. Il en avait gardé une impression fâcheuse, une idée peu favorable à la vertu humaine, que parfois, il traitait, au dire de Mme de Staël, comme un conte de vieille femme[55]. A parcourir les seuls papiers de la police impériale, tout scepticisme s'excuse chez celui qui ne sortit des excès de la Terreur que pour tomber dans ce bas-fond malsain de la police secrète : Je connais les hommes et les passions honteuses qui les animent, écrira-t-il en 1817[56]. Dès lors, fort logiquement, sa clémence se fait presque toujours ironique, son amitié narquoise, et amer parfois son sourire[57]. Pour rien, après 1799, il ne laisserait croire de sa part à de l'attendrissement ou à de l'enthousiasme ; il ne pleure pas. Il lui importe de ne jamais paraitre dupe de son cœur[58]. Mille anecdotes sont là pour prouver cette curieuse disposition.

Ce scepticisme, tantôt amer, tantôt joyeux, donne à sa conversation une singulière causticité, qui perce même dans les rapports officiels où il est parfois très mordant, et dans sa correspondance privée. Il se venge de ses ennemis par des traits parfois acérés[59]. Avec ses amis, il est volontiers taquin avec sa verve, capable tour à tour de coups d'épingle et de boutoir ; on le voit paradoxer à l'infini, comme exaspéré de la sottise et de l'hypocrisie des formules reçues, se plaisant à la controverse autant qu'homme au monde, à la contradiction et à la discussion, parlant parfois des choses et des gens avec une insouciance audacieuse qui étonne, éblouit, fait croire à ses interlocuteurs, suivant un témoignage contemporain, qu'ils sortent de son cabinet initiés aux secrets de l'État[60]. Il parlait, du reste, beaucoup, étant de cette école d'hommes d'État qui jugent le verbiage un voile plus commode que le plus mystérieux mutisme ; le prince de Bismark fut de ce genre, et Talleyrand n'affirmait-il pas que la parole fut donnée à l'homme pour cacher sa pensée ? Il bavarde donc jusqu'à scandaliser son entourage ; ce sont des sorties audacieuses, car il fronde, raille, blâme jusqu'aux régimes et jusqu'aux souverains qu'il sert, parfois si violemment qu'on arrive à lui reprocher une certaine rudesse[61]. On est fort habitué à lui croire l'échine souple, et il est parfois, à la vérité, flatteur raffiné et délicat ; mais sa flatterie enveloppe parfois de dures vérités. Il fronde comme un vrai Breton les opérations qui ne sont pas les siennes, dira une contemporaine[62], et, comparable sous cc rapport comme sous d'autres I l'un de ses successeurs, Adolphe Thiers, traite volontiers de fous et de sots les gens qui ne pensent pas comme lui, adversaires, ennemis, collègues, successeurs surtout[63]. Régnier après 1802, Savary après 1810, Decazes après 1815 l'apprendront à leur tour : pas une raillerie qu'il ne leur décoche. Cet esprit de fronde est un des traits trop peu connus de ce caractère[64]. Cet homme de gouvernement était, dira de lui un de ceux qui l'ont le plus fréquenté, E mieux fait pour être factieux que courtisan[65]. Et, de fait, il n'intrigue pas toujours obscurément ; il va jusqu'à braver tous les gouvernements et leurs chefs, ne se laissant pas facilement intimider ; il combat Robespierre la veille de Thermidor, Tallien le lendemain, fronde le Directoire deux mois avant Brumaire, Bonaparte deux mois après, l'Empereur encore sous les Cent-Jours et les royalistes de la future Chambre introuvable. S'il prétend avoir été proscrit de tous les partis pour avoir eu la simplicité de leur dire leurs vérités[66], il exagère, mais il est de fait qu'il n'est pas toujours du côté du plus fort. Guizot, qui gardait de cet homme une impression très vive, affirmait qu'il avait conservé de sa vie de proconsul une certaine indépendance audacieuse[67], et aux yeux de certaines gens cette audace allait parfois jusqu'à la folie.

C'est là encore un des côtés méconnus de ce singulier caractère. A plusieurs reprises nous voyons l'Empereur traiter de cerveau brûlé cet homme qu'on se représente comme avant tout circonspect et cauteleux. En réalité, il manifesta parfois une énergie violente, audacieuse, téméraire, qui stupéfiait : en 1809, l'affaire de Walcheren nous en fournira un exemple[68], mais la vie de Fouché est pleine de traits semblables. A la vérité, rien qui ne soit pesé, calculé, mûri, car cette témérité est au fond fort méthodique ; coups de tète et coups de théâtre sont étudiés et voulus ; mais une fois la résolution prise de sang-froid, Fouché ne connaît pas d'obstacle. Réal dira que c'est l'habitude que les conventionnels ont tous conservée de savoir dans les moments du danger prendre leur parti[69]. Il prend énergiquement le sien et surtout le poursuit en brisant tout ce qui fait obstacle à ses projets. Sous le politicien, le proconsul se retrouve à certaines heures de crise. Dans le gant de velours on sent une main musclée qui broie soudain d'une étreinte d'abord faible, puis plus puissante, bientôt irrésistible, les régimes et les gouvernements. Aux heures critiques, cette main de fer serre, conduit, retient, pousse, écrase. II va jusqu'au bout de sa volonté, car il estime avec Retz, auquel il ressemble, que les extrêmes sont toujours fâcheux, mais que ce sont des moyens sages quand ils sont nécessaires. Cette fermeté qui, dans les crises, va jusqu'à la dureté est, du reste, constante[70]. Il nous en donne lui-même la raison. Les factions, écrit-il[71], ne se montrent que là où il y a de l'hésitation et de l'impunité. Et c'est en vérité qu'il ajoute : J'ai la manie de vouloir être le maitre quand je gouverne[72].

Mais si la main de fer se fait sentir d'une façon continue, le gant de velours est là pour en adoucir généralement l'étreinte. Là où ne suffirait pas la modération naturelle que nous lui connaissons, intervient la souveraine habileté de l'homme d'État éprouvé, l'habileté qui, a-t-il écrit dans son rapport aux consuls en l'an IX, obtient les mêmes hommages que la puissance parce qu'elle en est une[73], cette modération qui, dira-t-il encore aux préfets de la Restauration en juillet 1815, est peut-être moins une vertu qu'une politique[74]. Il faudrait renvoyer à toutes les pages de cette biographie, constant commentaire de cette doctrine.

Il ne s'agit pas toujours de petites habiletés : si l'œil de Fouché va aux moindres détails, il ne s'y attarde pas : il sait prévoir, envisager une situation dans son ensemble et planer très haut. Abandonnant soudain le terre à terre de son métier quotidien, il passe volontiers aux considérations les plus hautes, aux vues les plus larges, aux dissertations de philosophie politique, à l'exposé parfois éloquent, toujours net, des grands principes du gouvernement : ainsi apparaît, au-dessus du policier avisé et du politicien habile, l'homme d'État aux conceptions fortes auquel ses adversaires mêmes rendent parfois hommage[75].

Homme d'État cependant, il l'est bien plus encore que par l'intelligence claire des situations, par le sang-froid qu'il déploie à les résoudre[76]. Ce sang-froid est à la vérité imperturbable. Jamais homme ne fut plus constamment maître de lui. Cette physionomie fermée et impassible n'est pas seulement un masque : c'est l'indice d'une égale impassibilité morale. Il se connaît, s'étudie, prévoit le faux pas, se tient en garde et ne parait jamais surpris par l'événement. Jamais non plus, malgré de dévorantes affaires, il n'est complètement absorbé, même quand il est le plus occupé. Ce sang-froid ne se dément guère qu'une ou deux fois, en 1810, en 1818, dans vingt-cinq ans de crises si diverses, de convulsions politiques et de révolutions imprévues qui eussent même déconcerté un Mazarin ou un Richelieu, qui détraquent et affolent les plus sages. Ce flegme, qui lui permet des décisions rapides et nettes, le rend notamment très fort dans la discussion. Il lasse par son calme imperturbable, soit que ce calme se traduise par un silence opportun, soit qu'il lui inspire la réponse déconcertante qui va chercher le défaut à la cuirasse : c'est un grand avantage lorsqu'il discute avec des hommes que trouble la passion comme Robespierre, la colère comme Napoléon, que surexcite l'indignation comme Carnot en 1815 ; ce calme même exaspère l'adversaire, le livre à son interlocuteur toujours flegmatique, parfois ironique, tantôt enfermé dans une infatigable hypocrisie, tantôt fort du plus décontenançant cynisme.

C'est la conscience de ce remarquable sang-froid et c'est aussi une confiance en ses moyens, allant jusqu'à l'outrecuidance, qui l'engage à se jeter à cœur-joie et sans hésiter dans les imbroglios les plus affolants. Comme le marin, il arrive à aimer, à rechercher la tempête, à frôler l'écueil pour savoir mieux l'éviter dans la suite ; il crée des complications pour le plaisir de s'y jouer, comme un acteur se fait faire des pièces à sa taille. C'est pourquoi il se plaît à ces parties où l'adversaire est redoutable, et il n'est jamais aussi satisfait qu'après la magnifique intrigue de juin-juillet 1815 où il a sa tour à tour jouer Bonaparte un jour, La Fayette le lendemain, Carnot le surlendemain, puis Wellington, puis Talleyrand, puis le comte d'Artois, la garde nationale, le peuple de Paris, l'armée de Davoust, la cour de Louis XVIII et le roi lui-même. Dans ces luttes parfois sourdes où se manifeste, avec un génie d'intrigue resté sans rival, un goût bizarre et constant pour la mystification ; il exerce surtout, développe et emploie, pour la consommation de sa fortune politique, le flegme souverain qui en est l'instrument le plus précieux de la plus rigoureuse loi.

Sa fortune politique ! Au fond, chez cet homme doué de tant de qualités naturelles et de talents acquis, tout cela a été détourné des œuvres utiles, employé, cultivé ou dénaturé pour assurer cette fortune, suprême pensée et unique but de cette existence aventureuse. Les sentiments de famille mis à part, ne peut-on pas dire qu'il n'est pas un acte, pas une parole, pas une pensée qui ait été subordonnée à ce souci d'arriver ou de se maintenir ? Si les électeurs de Nantes ont été en 1793 trahis par le député modéré qu'ils avaient choisi, si le 16 janvier 1793 l'ami de Daunou a apporté à la tribune de la Convention son vote et son discours régicides, si trois départements du Centre ont été bouleversés, si la propriété y a été menacée, la religion écrasée, si Lyon a été terrorisé et mitraillé, c'est que Fouché de Nantes a cru réaliser par la Révolution c( intégrale sa fort une politique. Si Robespierre a succombé en thermidor an II, si Barras s'est écroulé en brumaire an VIII, c'est que l'un menaçait la vie, c'est que l'autre gênait la carrière de l'apprenti politicien. Si le club du Manège a été fermé en thermidor an VII, si le général Bonaparte a été soutenu en brumaire an VIII, si le ministre l'a poussé ensuite dans les voies tantôt de la réparation et tantôt de la contre-réaction, c'est qu'en ce régime conservateur de la Révolution, le ministre entrevoyait, avec l'impunité du régicide, la fortune assurée, car ii n'avait souvent, sous couleur de politique gouvernementale, qu'une unique affaire, celle de son portefeuille. Nous le verrons ensuite ériger en système, bientôt en principe politique, son intérêt privé. Les âmes sèches puisent en effet d'infinies ressources dans la claire vue de leur intérêt. Il se trouvera qu'au cours de cette carrière il aidera généreusement des amis, servira efficacement les principes de liberté ou d'autorité, protégera des faibles et combattra des puissants, contribuera à la prospérité, à la grandeur, un jour au salut de sa patrie. C'est qu'alors ces actes profitent à sa politique, collaborent à sa fortune, ou, simplement, ne la contrarient pas. Il sert ses amis, mais s'en fait puissamment servir ; et quand il le faut, il les sacrifie en soupirant, en s'excusant, en essayant d'en imposer, pratiquant avec des protestations de regret la triste politique de la mort dans l'âme. Il est même peu probable qu'il ait jamais connu de ces combats intérieurs où luttent l'intérêt et la conscience. A. la longue, il était réellement arrivé à faire de sa fortune une politique, de ses intérêts des principes, soutenant presque de bonne foi qu'il sacrifiait ses meilleurs amis au triomphe des principes qu'ils servaient à côté de lui et que lui, au fond, ne servait pas. Les alliés d'occasion pèsent naturellement moins encore à ses yeux que les amis personnels, l'alliance devenue infructueuse ou compromettante ; Collot d'Herbois en 1794, Babeuf en 1795, Barras et Sieyès en 1799, Talleyrand en 1808, Bernadotte en 1809, La Fayette et Carnot en 1815 feront l'expérience de ces prompts désaveux et de ces brusques abandons. Car il ne s'entête pas plus dans une alliance gênante que dans une politique qui menace de faire long feu : pour plus de sûreté, il s'applique à pratiquer de front deux politiques, se prévalant ensuite de celle qui a triomphé. Jamais le mot de duplicité ne sera mieux appliqué qu'à un semblable maintien. Il distingue, du reste, plus judicieusement qu'homme au monde entre le mal et le pire, entre le bien et le mieux, comparable ainsi, dit-on, au cardinal de Richelieu[77]. Grâce à cette constante duplicité, on est mal fixé sur la chronologie de ses évolutions : lui-même s'y trompait, ses opinions diverses ayant été parallèlement servies. Ses mesures sont toujours assez élastiques pour qu'il puisse, avec quelque artificieux sophisme, prouver à ceux qu'il a proscrits qu'il les a sauvés, à ceux qu'il a opprimés qu'il les a préservés. N'hésitant, du reste, jamais à faire des avances à ses victimes de la veille, il compte que si, suivant le mot de Guizot, le temps ne console pas, il efface vite ; il admet qu'il n'y a en politique ni indécence ni impossibilité. Il n'a, du reste, qu'un souci, celui de se rendre toujours nécessaire, et la plupart du temps il y réussit pleinement. Là est le secret de sa fortune sous tous les régimes. Il est toujours, sous le gouvernement du jour, l'homme du gouvernement du lendemain.

Dans cette lutte pour la fortune, il déploie de si rares qua-. lités de souplesse à la fois et de ténacité que, toute morale mise à part, on est tenté de l'en admirer. Toute la vie de cet homme est un calcul, une tension de volonté ; il ne se détend jamais. Il n'a pas toujours réussi : il a connu les heures noires, disgrâce, misère, la haine des uns, l'indifférence dédaigneuse des autres ; il est parfois tombé très bas et de haut : mais patient, tenace dans ses espérances, il sait, suivant son propre aveu[78], attendre du temps ce que la fortune lui refuse. Il ne se laisse jamais terrasser : J'ai l'habitude d'espérer dans les disgrâces et de conserver le courage dans les événements les plus fâcheux, écrira-t-il en 1816[79]. Et toute sa vie, pleine de coups de raccroc, justifie et augmente sa confiance. Obscur professeur, il veut être grand savant, y travaille assidûment, y arriverait peut-être, si les événements ne changeaient le cours de sa vie ; député sans notoriété et sans voix, il veut être un des hommes marquants de la nouvelle assemblée, il intrigue, tâte les différents groupes, s'y rallie et les abandonne, se jette dans les missions tapageuses, fait acclamer son nom à la Convention. Menacé par Robespierre, accusé par le club dont il était la veille le président, abandonné un instant par ses alliés, accablé par la maladie de son enfant, il travaille, s'acharne, lutte, intrigue désespérément et triomphe au 9 Thermidor. Vaincu avec les derniers montagnards, proscrit par la Convention, sous le coup du mépris général, se heurtant à l'indifférence hostile du Directoire et du monde politique, il lutte contre l'oubli qui enlise, contre le mépris, contre l'impopularité, tente mille voies et, en 1797, se relève et reparaît. En 1802 il a quitté le pouvoir sans protestations, le sourire aux lèvres, ses batteries déjà dressées sans doute pour une éclatante revanche. Si, en 1810, il se sent un instant étourdi d'une disgrâce inattendue, il retrouvera bien vite pied, s'effacera, se tiendra coi ; mais on peut être sûr qu'il reparaîtra, et il reparaît en 1813 l'homme de confiance du souverain qui, trois ans avant, l'a chassé et menacé. En 1814 tout semble fini : un frère de Louis XVI arrive au trône, que peut espérer cet ancien conventionnel régicide ? Il espère cependant et il a raison, on parle de lui pour un portefeuille autour du roi dès 1814, on le lui propose en mars 1815. II faudra cependant deux révolutions encore, une sanglante campagne, une seconde invasion ; mais il sera, en juillet 1815, le ministre le plus en vue du frère de Louis XVI. Fort de ces précédents, il ne pourra en octobre 1815 se résigner à croire définitive sa suprême disgrâce ; nous le verrons du fond de son exil intriguer avec tous les partis qui, sous la Restauration, se disputent le pouvoir. Quand, en 1820, on le voit se résigner au repos, c'est que sa mort est proche et que, décidément, la lame a fini par user le fourreau. Dans ces disgrâces de 1794, 1795, 1802, 1810, 1814 et 1815 il cache, nous l'avons déjà constaté, ses espérances de retour sous les apparences d'un immense dédain du pouvoir désormais sans attrait. Je quitte le pouvoir sans regrets... mon ambition n'est pas de commander. Les gouvernements se font tous illusion devant cette artificieuse attitude, le surveillent peu, le font bénéficier parfois de l'amnistie du mépris ; ils ont tort : l'opinion, moins crédule, à chaque disgrâce déclare : Il reviendra, et cela est aussi une force. Suivant un mot fort juste, sa résignation passagère n'est que le sentiment de son impuissance momentanée[80]. Homme du Nord, il n'a pas du Méridional, comme Murat par exemple, les élans fougueux ni les affaissements complets, pas même, comme Talleyrand, cette sereine et paresseuse confiance dans le destin : il ne se décourage ni se résigne ; il ne rebondit pas du fond de sa chute, parce qu'en vérité il ne tombe jamais au fond. C'est ainsi que, dans le succès comme dans l'adversité, cet homme, que n'abattirent jamais ni les mécomptes ni les déceptions, crut toujours à sa fortune, mais y travailla sans se lasser.

Il n'avait pas de préjugés, ce qui facilitait sa tâche, à laquelle concouraient ses qualités natives, ses facultés d'adaptation et sa connaissance des hommes. Il était aussi indifférent que possible à la forme du gouvernement et à l'éclat impressionnant des sonores formules, démocratie, aristocratie, ordre, liberté, représentation nationale. On a dit de Richelieu qu'il ne considérait l'État que pour sa vie. Le mot s'applique à Fouché : il ne se préoccupa jamais, comme un Sully ou un Guizot, de ce que serait le gouvernement de ses arrière-neveux.

Il faut être partout, disait Thiers : Fouché avait formulé la même pensée, avant lui. Il faut avant tout avoir la main à la pâte, déclarait-il à Pasquier, que ce cynisme étonnait[81]. On ne sert bien ses idées qu'au pouvoir, surtout quand les idées recouvrent des intérêts. Trahir ses secrets principes pour avancer au pouvoir et s'y maintenir, c'est se donner le moyen de les servir utilement dans la suite, maxime large, excellent sophisme dont il leurra tour à tour amis de la Révolution et de la Restauration, partisans de l'ordre et partisans de la liberté : lui n'avait, du reste, pas besoin de considérations si subtiles, servant le pouvoir qui l'employait, suivant le mot d'un contemporain, tant qu'il trouvait plus de sûreté ou d'avantage à le servir qu'à le trahir[82]. Guizot, qui, de 1815 à 1848,a connu de très près cent de nos plus éminents politiciens, ajoute : Nul homme ne m'a plus complètement donné l'idée d'une indifférence hardie, ironique, cynique, d'un sang-froid imperturbable, dans un besoin immodéré de mouvement et dans un parti pris de tout faire pour réussir, non dans un dessein déterminé, mais dans le dessein et selon la chance du moment[83].

Juste par certains côtés et précieux à recueillir sous la plume d'un Guizot, ce jugement pèche cependant par la conclusion. Si Fouché parut ondoyant et divers, disposé à servir tous les gouvernements et à les trahir, on ne peut, à notre sens, dire qu'il n'eut pas dans sa vie un dessein déterminé. Son intérêt lui avait imposé des principes, un principe tout au moins, et il y resta fidèle, même lorsqu'il avait toute l'apparence de le desservir. Ce principe, qu'il faut bien connaître pour comprendre cette vie, c'est le maintien sous les régimes des idées et des institutions essentielles de la Révolution.

Il est régicide ; c'est le vote du 17 janvier qui oriente sa vie et pèse d'un poids très lourd sur toutes les décisions, tous les projets, tous les actes de Fouché. Il lui parut, proconsul, représentant, ministre, que son existence, pouvoir, fortune, crédit, que sa vie elle-même était indissolublement liée au sort des principes de la Révolution, et il n'avait pas tort, puisque du jour seulement où parut au Palais-Bourbon l'Assemblée qui prit pour programme la destruction totale de l'œuvre révolutionnaire, Fouché, que la faveur du roi semblait rendre sacré, sombra pour ne plus revenir. Cette peur lui inspira un principe qui fut constant et qu'il servit successivement par sa politique ultra-révolutionnaire et par sa politique conservatrice, qu'il servait encore le jour où il favorisait Brumaire, qu'il servait toujours à l'heure où de laborieuses intrigues le faisaient ministre de Louis XVIII. On ne comprend rien à cette vie si on ne la considère pas sous cet angle. Dès mars 1793, on le voit à Nantes hanté par cette crainte de représailles qui le poursuit à Nevers, s'exagère après les mitraillades de Lyon : Si nous tombons entre les mains des despotes, tous les supplices qui rendent la mort horrible nous sont réservés. Cette idée ne s'exprime plus, mais elle a dû se fortifier à la lecture des feuilles contre-révolutionnaires qui se publient à Londres et à Hambourg, où son nom est exécré, objet de mépris et de haine. A cette idée, il subordonne désormais toutes choses, principes, opinions, affections, sentiments et projets. Il a pensé quelque temps que l'extrême terreur serait la seule garantie de la Révolution ; c'est pourquoi on l'a vu non seulement avant, mais longtemps après Thermidor, lutter pour le triomphe du parti jacobin[84]. En 1799, il a entrevu une autre voie aboutissant au même but ; car, nous l'avons vu, s'il est ministre conservateur, il l'est surtout de la Révolution à laquelle il veut donner la sanction, la garantie d'un gouvernement solide et durable : d'où Brumaire, d'où la motion de 1804 au Sénat, visant à l'établissement de l'Empire[85]. Lorsqu'il voit se dessiner sous ce régime une réaction, dont il est la première victime, après avoir essayé en vain de l'étouffer, il se détache de l'Empire, et, certaines ouvertures lui permettant d'entrevoir, en cas de restauration bourbonnienne, le pardon, l'oubli, la vie sauve, peut-être le pouvoir, il ne songe dès lors qu'à ce troisième essai, le plus audacieux de tous : faire de Louis XVIII lui-même le protecteur des principes, des institutions et des hommes de la Révolution[86] ; devenu ministre du frère de Louis XVI, il ne cesse de lutter contre la réaction, sous laquelle enfin il succombe, après une lutte qui aura donné en somme à sa vie une unité qui a trop souvent échappé aux historiens comme aux contemporains. Pour quiconque a, du premier au dernier jour, étudié ce Protée politique, rien de plus aisé que de dégager des fluctuations apparentes de sa politique et de l'obscur imbroglio de ses intrigues compliquées le principe directeur de sa vie publique.

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La constante préoccupation de s'assurer contre toute représaille, l'ambition d'être toujours l'homme du gouvernement du lendemain, sa propension à la fronde et au paradoxe, un penchant inavoué pour la mystification et le tour de force lui avaient toujours fait rechercher avec le pouvoir la faveur de l'opposition, quelle qu'elle fût. Sa politique d'équilibre, ne désespérant personne, l'avait puissamment servi dans la réalisation de ce rêve ; il était, du reste, accueillant ; sa faveur savait se faire valoir, car il assaisonnait admirablement les bienfaits ; il faisait, du reste, refuser par autrui, réservant ainsi à ceux dont il était le ministre la mauvaise grâce qu'il esquivait ainsi[87] résultait de cette tactique que, dès 1804, Fouché avait dans tous les mondes, dans toutes les sociétés et dans tous les partis des amis que Bonaparte n'eut jamais[88]. La disgrâce de 1802 n'avait pas peu contribué à justifier, à fortifier la faveur dont il jouissait dans les groupes d'opposition, et son retour aux affaires l'augmenta de tout l'intérêt que chacun y porta. a Je fréquente les deux faubourgs h, écrivait avec orgueil Mme de Rémusat. L'éclectisme du ministre de l'Empereur va plus loin, car il fraye avec trois faubourgs. Les ex-conventionnels, avec lesquels il garde des relations, somme toute amicales, le maintiennent en relation avec les derniers jacobins du faubourg Saint-Antoine ; les révolutionnaires ralliés à la couronne impériale l'introduisent dans les groupes libéraux du Sénat et du conseil d'État, car il est en bons termes avec Sieyès, Garat, Lanjuinais, Grégoire, qui représentent au Luxembourg sinon les principes, du moins des souvenirs républicains, en relations étroites avec Thibaudeau, Boulay, Réal et autres jacobins du conseil d'État ; il est en bons termes avec La Fayette, avec Barère, avec Carnot, avec Tallien, avec Daunou, avec Méhée[89], continue, en dépit des ordres de l'Empereur, sa bienveillance à la fille de Necker et à ses amis libéraux, Benjamin-Constant et autres. De ce chef, toutes les nuances de la gauche ont pour lui quelque faiblesse, beaucoup d'indulgence. Le monde officiel qui peuple le faubourg Saint-Honoré lui est naturellement acquis, les maréchaux les plus rudes et les plus souples chambellans : on le croit nécessaire au régime qu'il sait faire respecter, au maitre qu'il garde et aux serviteurs qu'au besoin il protège coutre les vivacités du souverain : quelques-uns sont tenus par de mystérieux services, d'autres par de compromettants secrets ; il a des jaloux, ce sont ses collègues du ministère ; mais les événements de nivôse an IX, en prouvant la capacité du ministre de la Police, les déplorables incidents de 1803 et 1804, en la faisant regretter, lui valent même chez eux un regain de considération : la disgrâce l'a mieux servi ici que le pouvoir. Ajoutons, du reste, qu'à de rares exceptions près, il reste pour tous poli, courtois, souvent obligeant, et ferme la bouche aux plus hostiles tantôt par un service et tantôt par une volte-face. On le voit dans tous les salons du monde impérial[90]. Il s'est rapproché des frères et sœurs de l'Empereur sans s'éloigner de l'Impératrice, qui le croit encore son homme lige ; son mortel ennemi Lucien est définitivement écarté ; s'il reste en termes assez tièdes avec Joseph, il est souvent le conseiller de Louis, vit sur le pied d'une intimité familière avec Élisa Bacciochi[91], et fraye sur un ton de supériorité bienveillante avec cet écervelé de Jérôme. Il tient toute la famille par des services dont le principal consiste à taire des frasques qui souvent mettraient l'Empereur fort en colère. On lui en tient si grand compte que le ministre se trouve parfois en termes plus cordiaux avec la famille impériale qu'avec Napoléon lui-même.

Mais le prodige, le chef-d'œuvre de la politique de Fouché, c'est la conquête du faubourg Saint-Germain. Qu'ancien conventionnel régicide, qu'ancien proconsul jacobin, qu'adversaire décidé de la réaction, qu'ami personnel de plusieurs révolutionnaires ralliés ou non au régime impérial, il tienne encore dans la main la clientèle républicaine ; que ministre influent, précieux à connaître et bon à ménager, il soit accueilli sans déplaisir dans la société panachée qui constitue le monde impérial, rien de tout cela ne peut étonner. Mais que cet oratorien défroqué — n'oublions pas qu'on le croit même prêtre apostat dans beaucoup de milieux —, que ce conventionnel à opinions extrêmes, que ce persécuteur des prêtres, que ce mitrailleur de nobles, que ce représentant aux Tuileries du parti jacobin, de ses principes, de ses espérances et de ses méfiances, soit précisément avec Talleyrand le seul ministre de l'usurpateur admis, accueilli, fêté au faubourg Saint-Germain, favori, ami, tour à tour protecteur et protégé des salons les moins ralliés, voilà ce qui défie toute vraisemblance et dépasse toute croyance[92]. Dans cette forteresse, que toute sa vie Bonaparte Fève de conquérir sans jamais y parvenir complètement, Fouché a, nous le savons, deux amies fidèles, intimes, familières, la princesse de Vaudémont et la marquise de Custine, sans parler de relations de moins bon aloi avec Mme de Châtenay[93], Mme de Saint-Aubin[94], et autres aristocrates de réputation douteuse. La princesse de Vaudémont, née de Montmorency, sœur de ce prince de Lambesc qui, en 1789, s'apprêtait à sabrer les premiers révolutionnaires et veuve du prince de Vaudémont, descendant des ducs de Lorraine, se rattache ainsi à deux des plus illustres familles de la vieille noblesse ; elle réunit dans sou salon l'élite de l'aristocratie et, malgré quelques liens avec les Tuileries, ne se ralliera jamais au régime napoléonien : Caulaincourt et Talleyrand — gens nés — en sont, du reste, avec Fouché, les seuls représentants admis dans son cercle d'irréductibles. Mais c'est le citoyen Fouché de Nantes qui y joue le grand rôle : on le voit sans cesse à l'hôtel de la rue de Provence ou à la villa de Suresnes, et il n'y apparait pas avec les allures d'un intrus qui s'excuse ou d'un parvenu qui s'étale ; il est à son aise avec tact, familier, narquois, abordant chacun d'un bon mut, d'une adroite flatterie ou d'un utile conseil[95]. Et ce salon est signalé par le préfet de police, dès 1804, pour un de ceux où le régime impérial est battu en brèche[96]. Chez la marquise de Custine, née de Sabran, une ancienne amie de Joséphine de Beauharnais, qui a rompu avec elle depuis l'exécution du duc d'Enghien, Fouché est plus qu'un ami cordialement reçu, c'est un confident et un conseiller. Dans ce salon encore, Fouché rencontre des sommités du parti royaliste, René de Chateaubriand notamment, moins arrogant alors avec le régicide qu'il le devait être en 1815[97]. On voyait aussi le ministre chez les de Luynes[98], ralliés, il est vrai, au régime impérial, mais mal ralliés, car, dès 1808, ils encourent, par une rupture éclatante, la furieuse colère de l'Empereur : les gracieusetés du duc d'Otrante envers la duchesse de Chevreuse devaient, dit-on, plus tard contribuer à sa disgrâce de 1810[99]. Le ministre est, dès 1802, l'ami de Narbonne et de Calonne, deux anciens ministres de Louis XVI : il recherche ces nobles amitiés, en conquiert de nouvelles en toutes circonstances, surprend celle d'Adrien de Montmorency-Laval en faisant chaque matin avec lui sa promenade à cheval à travers le Bois[100]. Fouché le rencontre, du reste, chez Mme Récamier, une opposante encore à l'Empire, ainsi que d'autres royalistes de marque : Mathieu de Montmorency, le duc de Guignes[101]. Sa présence est désirée : Quand vous aurez du mal à dire de l'Empereur et du gouvernement, a déclaré en souriant le ministre, attendez que je sois chez vous. Mon arrivée fait fuir les mouchards[102]. La réputation de Fouché est telle au faubourg que c'est à lui que s'adressera la famille du duc de Coigny pour provoquer son rappel[103] ; on voit les de Polignac, les de Rivière, les de Bourmont, cultiver sa bienveillance, utile à un mari, à un frère, à un fils détenu du tyran, de l'usurpateur[104]. Le faubourg se réjouit, en 1804, de le voir réinstallé au quai Voltaire[105], et lui restera si fidèle qu'après avoir gémi de sa disgrâce en 1810, il l'imposera littéralement en 1815 au roi Louis XVIII étonné[106].

Il est enfin l'homme de tous les mondes, il est l'ami des financiers Ouvrard, Hinguerlot, Perrégaux, qui saluent en lui un protecteur obligé, haut capitaliste et spéculateur coté sur le marché : ils sont mal avec l'Empereur, très bien avec le ministre[107]. Il est en termes gracieux avec l'immense majorité du haut clergé[108], oublieux des cérémonies sacrilèges de Nevers, Moulins et Lyon ; le cardinal du Belloy, archevêque de Paris, pieux et saint prélat, qui assurément n'a rien d'un Bernier et d'un Maury, vient rendre visite à la famille du ministre, bénit les enfants, promet de marier la petite[109]. Enfin il est l'ami des hommes de lettres, Chénier, Esmenard, Daunou, plus tard Jay, des publicistes, autre puissance, et non des moindres. Pas une société partant où son retour aux affaires ne soit accueilli avec joie, pas un parti politique non plus qui dès lors n'inscrive l'inévitable Fouché, tantôt à côté de La Fayette, de Carnot, de Sieyès et de Moreau, tantôt avec Alexis de Noailles et Mathieu de Montmorency sur les listes des futurs gouvernants de la République ou des futurs ministres de la monarchie. Fouché ne l'ignore pas, sourit et laisse dire[110].

Il y a à Paris un homme qui, en 1804, plus que tout autre, plus que le républicain Malet ou le royaliste Fauche-Borel, croit Fouché indispensable à sa politique, c'est Napoléon[111].

Qui pourrait analyser le sentiment complexe que cet homme étrange inspire à l'Empereur et celui que Fouché garde à Napoléon ? Paradoxale association que celle de ces deux hommes, l'officier de fortune et le professeur parvenu, l'homme de l'autorité et l'homme de la Révolution, le Corse passionné et. le froid Breton, le génie des conceptions rapides et des coups d'éclat et celui des combinaisons à longue échéance et des intrigues occultes ! Ils se sont connus et tout de suite jugés en Brumaire, et, pendant seize ans, ils vivent parfois côte à côte, le plus souvent face à face, s'étudiant tout en collaborant, et ne cessant de se mesurer tout en liant partie.

Napoléon n'ignore rien des relations de Fouché avec les opposants de toutes les coteries, rien non plus des espérances que fondent sur lui tous les partis. Mais l'Empereur croit que le sang de Louis XVI creuse entre les Bourbons et Fouché de Nantes un infranchissable fossé[112] : il se trompe. Il croit les régicides impopulaires[113] : lui-même les méprise, se plaît à les humilier de ce pénible souvenir. Vous avez voté la mort de Louis XVI, monsieur le duc d'Otrante ?Sans doute, Sire, répond le ministre froissé, contrarié, mais toujours flegmatique ; c'est même le premier service qu'il m'a été donné de rendre à Votre Majesté[114]. Fouché ne l'inquiète pas : il ne peut admettre que cet homme puisse devenir un jour ministre de Louis XVIII ; quant à la République, il en sait Fouché aussi revenu qu'aucun homme au monde.

Ce Fouché l'intéresse : il le considère comme un homme d'État fort distingué, ayant avec lui plus d'une idée commune, notamment, nous le verrons, le mépris absolu du régime parlementaire et la haine de la presse ; il trouve en lui un ministre intelligent, actif, laborieux, ingénieux et spirituel, un conseiller qui lui plaît, parfois en le contrariant et en le contredisant, ce qui le change, et un très commode et très obligeant factotum. Il lui sait gré de l'opposition même aux ordres exaspérés que lui-même dicte aux heures de colère[115] ; la souplesse du ministre l'amuse, et son habileté le fait rire[116].

Si parfois cependant il trouve encombrante cette personnalité tous les jours grandissante, il ne peut se défendre d'une estime réelle pour un homme qui se permet à ses côtés, audace incroyable, inouïe en ce temps, un système différent du sien, pour ce seul ministre, qui domine de cent coudées la bande de commis qu'il décore du même titre, Talleyrand mis à part[117]. L'initiative hardie de Fouché l'inquiète et le rassure tout à la fois, l'irrite et l'étonne, à certaines heures le satisfait et lui impose.

Que feriez-vous si je venais à mourir d'un coup de canon ou de tout autre accident ? demande brusquement l'Empereur à Fouché. — Sire, je prendrais du pouvoir autant que je pourrais pour ne pas être dominé par les événements. — A la bonne heure, s'écrie Napoléon, c'est le droit du jeu ![118] Si le dialogue est vrai, il est typique. Fouché ne biaise pas toujours avec l'Empereur et ne joue pas toujours au plus fin : Napoléon, de son côté, ne peut s'empêcher d'applaudir à de pareilles répliques.

Le coup de fortune de Fouché a été réellement son renvoi en fructidor an X, suivi des événements que l'on sait. Chose rare, l'Empereur a reconnu là une faute commise par lui et ne s'en consolera pas. Cela vaut à Fouché six ans de faveur persistante et stupéfiante. La police est nécessaire à l'Empire, Fouché est nécessaire à la police ; pendant six ans, personne ne fera sortir le maître de cette opinion, même aux heures de défiance où il fait ouvrir sa correspondance et espionner sa conduite[119], même aux heures de colère violente d'amère rancune.

C'est ce qui explique l'attitude fantasque et bizarre de l'Empereur vis-à-vis de son ministre. Un jour, ce sont des protestations de confiance qui étonnent chez un homme peu prodigue d'éloges, et le lendemain un accès de fureur qui terrifie tout le monde, sauf le ministre lui-même. Les retours de campagne sont presque toujours scabreux : 1800, 1805, 1806, 1808, 1809, seront marqués de scènes retentissantes : à ces moments, c'est un flot de paroles outrageantes qui accablent le misérable, évocation de souvenirs sinistres, accusation de lâcheté et de trahison, inculpations infamantes, défis et injures. Fouché en sort le sourire aux lèvres, avec le mépris de l'homme calme pour celui qui se met en colère. Et il a raison : le lendemain, Napoléon rendra au ministre si maltraité, avec la direction de sa politique intérieure et les rênes de la police générale, des missions plus intimes : la surveillance de sa famille[120], de ses fournisseurs[121], de son notaire[122] et de ses propriétés[123]. Il est vrai que ce sont hi des paix fourrées, comme eût dit Saint-Simon. Il se fera, en effet, une joie de désapprouver les décisions que Fouché prendra, les ordres qu'il donnera et les idées qu'il émettra, s'irritera soudain de le voir se mêler à ses affaires privées, de ses relations conjugales et extraconjugales, de ses maîtresses et de sa cassette. Mais quand, après plusieurs semaines d'irritation continue du souverain contre le ministre, quelque Fiévée ou quelque Savary, croyant le fruit mûr, tente d'insinuer qu'il serait temps de se débarrasser enfin d'un collaborateur si fâcheux, l'adversaire de Fouché rencontre soudain chez le maître une résistance imprévue. C'est un véritable charme, un pouvoir de fascination, affirme Méneval, et après lui Fleury de Chaboulon, une singulière suggestion exercée par le ministre sur le maître[124]. Méneval, dira un jour Napoléon à son secrétaire, qui, depuis quelque temps, le voit soucieux et agité, j'ai envie de disgracier Fouché. Et, Méneval l'y encourageant, il se lève lentement, fait quelques tours dans son cabinet, s'occupe d'autre chose, et Fouché reste ministre[125]. La scène se répète souvent : en 1815 nous verrons s'exagérer encore étrangement cette singulière situation[126]. L'ascendant de Fouché sur l'Empereur est si grand qu'il survit à la disgrâce qui les sépare, fait sans cesse rappeler Fouché à titre de conseiller privé quand il n'est plus ministre officiel. Ils avaient beau se rendre lettres et portraits, dira spirituellement la duchesse d'Abrantès[127], ils se raccommodaient toujours. L'attitude de Bonaparte envers son ancien ministre après la disgrâce de 1812 et celle de 1810, est la meilleure justification de cette fine parole. Le calme de Fouché lui impose : en 1815, Napoléon sait que son ministre le trahit ou y est réellement disposé : Duc d'Otrante, je devrais vous faire couper la tête. — Ce n'est pas mon avis, Sire[128]. Ce sont de ces réponses qui démontent l'Empereur en le faisant rire.

Pour Fouché, Napoléon est incontestablement un très grand homme, mais il parait le considérer comme un politique assez médiocre. Il n'en est pas ébloui, en parle avec un certain dédain comme d'un furieux, d'un fou, d'un homme léger incapable de garder un secret et de se contenir une heure[129]. Les colères de Bonaparte le font sourire, ses récriminations hausser le9, épaules. Alors que tout tremble devant Bonaparte, depuis l'archichancelier jusqu'au plus illustre maréchal, Fouché s'autorise de sa confiance, non seulement pour coqueter avec ses ennemis, jacobins ou royalistes, rappeler ceux qu'il exile, arrêter ceux qu'il protège, emprisonner ses agents, entraver les plans dont il n'a pas été le confident[130], lever les troupes[131], traiter de la paix à son insu[132], mais encore pour le faire surveiller par ses mouchards[133], soudoyer sa femme et son secrétaire[134], le brouiller avec l'Impératrice, lui chercher une autre femme[135], lui choisir des maîtresses[136], critiquer ses amours, encourager la zizanie entre lui et ses frères, contrôler les dépenses de Jérôme[137], les amants de Pauline, les frasques de Murat[138], la vie privée des ministres, des princes et du souverain lui-même. Comme la confiance de Joséphine est encore entière dans l'homme qui, deux ans après, travaillera au divorce, qu'elle a tout fait pour son rappel en 1804, qu'il est son confident et son conseiller, Fouché est tout-puissant aux Tuileries.

Tel est, en 1804, cet artificieux personnage. Sa tempérance, sa sobriété, son esprit de famille, son obligeance naturelle en font un honnête homme : ses amitiés profitables, sa clémence habile, sa fermeté sans rigueur, son inconcevable souplesse, sa ténacité dans la poursuite du succès, son intelligence claire des situations, son calme imperturbable, son scepticisme absolu et sa parfaite indifférence en matière politique, tout contribue, qualités et défauts, à faire de ce personnage à deux faces un adversaire redoutable et un serviteur précieux. Ses relations multiples et disparates avec tous les milieux, la confiance de tous les partis, l'amitié de l'Impératrice et de la famille impériale, l'ascendant qu'il possède sur l'Empereur, achèvent de donner dans l'État à ce personnage douteux une place prépondérante.

Il se trouve ainsi armé de toutes pièces pour traverser et braver les plus scabreuses, les plus périlleuses situations.

 

 

 



[1] Cf. chapitre VI.

[2] BARÈRE, IV, 208 ; Mme DE CHÂTENAY, II, 39 ; la duchesse DE REGGIO, p. 366 ; DE SÉGUR, III, 405 ; Ch. NODIER, II ; LAMOTHE-LANÇON, l'Empire, III, 23, 24 ; MÉNEVAL, etc., etc. Ce portrait a tenté bien des gens à cette époque.

[3] BARÈRE, IV, 208.

[4] Il existe aux estampes de la Bibliothèque nationale 26 gravures de portraits de Fouché. Le premier remonte à l'an VII : Fouché, ministre du Directoire, y parait encore jeune, très simplement vêtu ; le dernier est de 1815 : c'est le duc d'Otrante, ministre de Louis XVIII, en grand costume. Ils sont tous fort intéressants et absolument conformes aux portraits tracés par les auteurs de mémoires. Le portrait que nous avons placé en tète de cet ouvrage accentue fortement les traits du personnage, mais il s'agit d'un portrait à l'huile : les yeux ourlés de sang, trait caractéristique, apparaissent un peu sombres dans la reproduction photographie. (Note de la 2e édition.)

[5] Sans nous arrêter aux anecdotes de MARCO SAINT-HILAIRE, sur la malpropreté habituelle de Fouché (Souvenirs, I, 333), nous renvoyons au récit de NORVINS de 1813 (Fouché à Rome, 1813-1814. Revue de Paris, septembre-octobre 1838). Il reçut ainsi en déshabillé et Gaillard le 20 mars 1813, et Carnot et Caulaincourt le 20 juin 1815, etc. Il reçut aussi Fauche-Borel en juillet 1815, drapé, dit l'agent royaliste, dans une robe de chambre de piqué blanc. FAUCHE-BOREL, Mém., IV, 347.

[6] Chapitres III, IV, XVIII et XXI.

[7] Notes de police de 1808 et 1809.

[8] Mme DE CHÂTENAY, II, 42, 43.

[9] BOURRIENNE, IX, 30

[10] Les honneurs, les richesses n'ont été pour lui que les rognures du pouvoir, rognures qu'il n'a pas dédaignées, dira l'auteur avisé des Matériaux, p. 2, 3. Il aimait l'argent non pour le dépenser, mais pour faire fortune, écrira THIBAUDEAU (III, 44) qui avait été le correspondant de Fouché, particulièrement en matière financière.

[11] Chapitres I et VIII.

[12] Chapitre XII.

[13] Lettres de 1803 à Thibaudeau, déjà citées.

[14] Budgets du ministère de la Police. A. N., A FIV, 1244-1247.

[15] Décrets du 10 mars, du 20 août, du 21 novembre 1800, du 17 juillet 1810, du 22 novembre 1811. A. N., Décrets manuscrits, A FIV, 325, 341, 601. Rapport du comte Defermon, 22 novembre 1811. Détail des propriétés assurées au duc d'Otrante, A. N., A FIV, 681, 4752.

[16] Macédoine révolutionnaire, 1815, p. 48.

[17] En 1816, il protestait coutre les allégations des pamphlétaires, écrivant à ses bornoies d'affaires qu'il ne pouvait tromper. (Corresp. avec Gaillard.) Mais en 1818 on le voit diviser ses biens en cinq lots de 2.500.000 livres, ce qui fait monter sa fortune à 12.500.000 livres, mais il ne s'agit ici que de ses propriétés. (Corresp. avec Gaillard, 1S18 ; avec Thibaudeau, 1816.)

[18] On trouve de très intéressants détails sur ce domaine magnifique dans les Mémoires inédits de Gaillard qui fut à maintes reprises chargé de son administration.

[19] Macédoine révolutionnaire, 48.

[20] Mme DE CHÂTENAY, II, 43.

[21] ROBERDEAU, ancien secrétaire de Fouché à Hamel, 28 juin 1866 (HAMEL, Histoire de Juilly, 342).

[22] A. N., O 2-1361, sénatorerie d'Aix ; A FIV, 601-4752, Rapport du comte Defermon au sujet des 60.000 livres assurées au duc d'Otrante daims le royaume de Naples (Note de la 2e édition.)

[23] Dès 1815, la Macédoine révolutionnaire affirmait que les frères Perrin versaient 3.000 francs par jour (p. 48) ; PASQUIER, l'affirme aussi, et VÉRON, se faisant l'écho du fermier des jeux sous la Restauration, Benazet déclarait que Perrin remettait tous les matins au moins 50 louis à Fouché sans reçu. (Mém. d'un bourgeois de Paris, t. I.) Cf. pour autres détails ch. XV.

[24] Le ministre actuel passe pour avoir de grands capitaux et pour ne pas les laisser dormir, écrivait Fiévée à l'Empereur en 1806, II, 181.

[25] THIBAUDEAU, III, 44.

[26] Sur la première femme de Fouché, cf. ch. XII, et sur la seconde ch. XXIV. Il y a sur la seconde un dossier de police rassemblé sous la Restauration. A. N., F7, 6902, pièces de 1827 et 1828.

[27] A cet égard la courte correspondance de Fouché avec sa sœur, Mme Broband, est fort édifiante. Sachez que vous n'avez pas un meilleur ami au monde, écrit-il à sa sœur le 2 germinal an XIII ; il le lui a maintes fois prouvé. Il partage celte affection entre cette sœur, personne du reste peu ordinaire, et le mari de celle-ci, avec lequel il entretient constamment les rapports les plus cordiaux. Mais c'est surtout dans ses relations avec ses neveux et nièces que perce cette curieuse et affectueuse sollicitude. Il a casé, en bon oncle, son neveu Broband (Lettre du 11 juin 189i3) et, lui ayant promis en 1815 une nouvelle fonction sous le règne de Louis XVIII et étant tombé avant de la lui avoir obtenue, lui constitua une rente en dédommagement (Lettre du 24 mai 1817). Le 24 septembre 1817, il adresse des vœux d'une cordialité paternelle à ce même neveu qui vient de se marier : Rendez-vous heureux l'un et l'autre, vous, Broband, par des soins, par des égards assidus, et vous, Alexandrine, par une douceur inaltérable, par les vertus domestiques qui donnent tant de dignité dans un âge plus avancé... Occupez-vous de bonne heure à vous faire un capital de considération... Il ne se contente donc pas de placer son neveu ; en 1896 il écrit à sa sœur que le jeune homme devait se rendre à son poste directement : Vous lui défendrez de passer par Paris ; c'est un lieu de dissipation où il ne viendra qu'à un âge plus mûr... (Lettre du 11 juillet 1806.) Il s'occupe aussi de ses nièces ; il leur a abandonné généreusement les lambeaux du bien patrimonial du Pellerin ; le 28 mars 1807, il écrit à sa sœur : Je vous invite à me donner des nouvelles de mes nièces. Vous devez faire une grande attention aux sociétés qu'elles fréquentent : c'est une chose très importante pour elles dans cette circonstance et qui aura une grande influence sur leur avenir. Recommandez-leur beaucoup de réserve dans leurs discours et de sévérité dans leur maintien. Les femmes les plus recherchées sont celles qui accorderont moins aux hommes... Qu'elles sachent bien que l'empire d'une femme dans la société est établi sur la solidité de ses principes, de son esprit et de ses mœurs ; que cet empire est détruit le jour où elle oublie ses devoirs... Lettres de Fouché à sa sœur, 1783-1818, publiées par Dominique CAILLÉ.

[28] Fouché à Gaillard, 30 mai 1819. (Papiers Gaillard.)

[29] Cf. chapitre VIII.

[30] Fouché à Mme de Custine, 9 septembre 1814.

[31] Lettres de Fouché à Gaillard, 1815-1820, passim. Le mal qu'on fait à mes enfants remplit mon âme d'amertume, écrira-t-il encore à Gaillard ; et dans les derniers mois de sa vie : Je n'ai d'autre plaisir dans la vie que de la rendre douce à ma femme et à mes enfants. Ces documents justifient amplement le mot de Jullian (p. 261) : Nul n'est meilleur père et ne fut meilleur époux. Nous possédons sur les jeunes duc et comtes d'Otrante des notes de police de 1827, 1828, etc. (F7, 6902). On trouvera la généalogie des Fouché dans RÉVÉREND, Armorial de l'Empire. Joséphine Ludmille Fouché d'Otrante, née en 1503, mariée en 1827 au colonel comte de Thermes, n'est morte qu'en 1593, nonagénaire. M. le duc d'Otrante — chef actuel de nom et d'armes de la famille, — né en 1840, écuyer de S. M. le roi Oscar de Suède, est le fils d'Athanase Fouché, né en 1801, troisième fils de Fouché, dont le duc actuel est ainsi le petit-fils. (Note de la 2e édition.)

[32] Il dédaignait les distractions et les plaisirs, écrira THIBAUDEAU (III, 44), que nous nous plaisons à citer souvent dans ce chapitre, car nul ne connut plus particulièrement Fouché depuis 1793 jusqu'en 1818, époque où ils se brouillèrent. CAPRIN, I nostri nonni. Cf. aussi ses protestations en 1794 contre les excès et ses concussions qu'on loi reproche (ch. V).

[33] Notes à l'Empereur 1808-1809 (Cf. ch. XIX).

[34] JOHN CARR en 1802, Les Anglais en France, 1898, p. 244, en cite un exemple curieux.

[35] Détails empruntés à une pseudo-lettre du marquis de Jaucourt de juillet 1815, qui pourrait bien avoir été forgée par Fouché, niais qui n'en a que plus d'intérêt. BAUSSET (II, 181) insiste, du reste, sur la grande connaissance qu'il avait des mœurs, vœux et intérêts de tous, ce qui tenait, dit Jullian, à son extrême facilité de travail (p. 261).

[36] Cette activité ne se dément jamais. Il faudrait renvoyer à tous les chapitres de cette biographie. C'est donc avec raison qu'il écrivait en mai 1813 à Gaillard : Je ne suis pas homme à occuper une place sans en remplir les devoirs... Je me suis fait de bonne heure des habitudes de travail et de méditation qui m'ont occupé dans nia disgrâce après avoir assuré le succès de mon ministère. (Papiers de Gaillard.)

[37] JULLIAN, 201.

[38] BARRAS lui-même le reconnaît, IV, 167, et Appendice, IV, 438, 446.

[39] Chapitre XXVIII. On pourrait citer aussi sa fidélité et son empressement à rendre service sous l'Empire à tout Nantais. L'historien de Nantes, MELLINET, cependant si hostile au député de Nantes à la Convention, affirme qu'il fut pour tous ceux d'entre eux qui sollicitaient sa faveur un protecteur constant (t. XI, p. 221). — Après les Nantais, ses concitoyens et premiers électeurs, ce sont les conventionnels : Florent Culot, compromis et compromettant sous l'Empire, n'invoque pas en sain près de Fouché ce titre d'ancien collègue de la Convention et y gagne sa liberté. (Florent Guiot à Fouché, 1er janvier 1810 et 4 juin 1810 ; Dossier Mallet, F7, 6501.) On pourrait multiplier les exemples de fidélité aux vieux conventionnels. On pourrait également citer son obligeance vis-à-vis de Bourmont en reconnaissance des services rendus avant 1789 par l'ancien président Becdelièvre, son beau-père, à l'oratorien, et le cas analogue de Mlle de Rosières, bien reçue par Fouché en souvenir de certaines obligations contractées envers le comte de Rosières avant 1789. (DAUDET, la Police et les chouans, p. 74. Duchesse D'ARBANTÈS, II, 263-268). C'est à cette tournure d'esprit qu'est due cette fidélité à Juilly et à l'Oratoire sur laquelle nous nous sommes expliqué ailleurs (ch. I).

[40] BAUDOT, Notes sur la Convention, p. 36.

[41] Je ne connais pas, écrira le duc d'Otrante, de maxime plus dégoûtante que celle qui s'attache au présent. Elle suppose un vide de cœur qui est insupportable. (Fouché à Gaillard.)

[42] SAINTE-EDME, Dictionnaire des ministres de la police.

[43] Roberdeau, ancien secrétaire de Fouché, à Hamel, 28 juin 1866. HAMEL (Histoire de Juilly, p. 342) cite d'autres traits de bienfaisance de Fouché, auquel il est cependant généralement hostile.

[44] Quand il avait le choix, il aimait mieux être serviable (DUVERGIER DE HAURANNE), LOMBARD DE LANGRES (II, 48), quoique en assez mauvais termes avec Fouché, raconte de lui des traits d'obligeance assez caractéristiques. Cf. aussi Mme DE SAINTE-ELME, Mém. d'une contemporaine, p. 368, et Mme DE CHÂTENAY, II, 40 : Il n'était pas possible de le quitter sans être à peu près content de lui, sans en espérer infiniment, etc. Tout cela n'allait pas sans bonhomie. GAILLARD, dans ses Réfutations des Mémoires de Fouché et dans ses Mémoires inédits, en cite plus d'un trait amusant. LEVASSEUR DE LA SARTHE (IV, 229), oubliant qu'il a dit beaucoup de mal de Fouché, rend hommage à sa parfaite obligeance.

[45] Cf. Bulletin du 27 vendémiaire an XIII entre mille où il affiche une égale antipathie pour le fanatisme religieux et le fanatisme philosophique. A FIV, 1491.

[46] Fouché à Gaillard, 1817 (Papiers Gaillard).

[47] METTERNICH cite ici en l'approuvant une appréciation de Mme de Staël (Mém., 39 août 1821, IV, 476). Ils disaient vrai, puisque, dès l'an IX, Fouché conseillait une sage indulgence. (Compte rendu de l'an VIII). C'est sur cette modération qu'il parait surtout vouloir insister dans les apologies auxquelles il se livre après 1815. Cf. Notice des ZEITGENOSSEN et lettres à MOLÉ (janv. 1909, Papiers Gaillard) et à GAILLARD, dans les lettres de 1816 à 1819.

[48] ARTAUD, Le comte d'Hauterive, p. 267.

[49] Fouché à Gaillard : Vous connaissez mon extrême indulgence pour toutes les faiblesses humaines.

[50] Mme DE STAËL, p. 215 : Une sagacité remarquable le portait à choisir le bien comme une chose raisonnable, et Barère : Il eût préféré le bien. (II, 214.) Duvergier de Hauranne écrira : Ni méchant ni bon, quand il avait le choix il aimait mieux être serviable. Et lui-même écrit à propos de ses missions : La manière dont il s'est comporté dans les affaires où il était le maitre prouve que le bien est de lui, et que le mal appartient aux circonstances où il a vécu.

[51] Personne n'a été moins heureux et moins vindicatif, écrit GAILLARD (Réfutation.)

[52] Duperon à Fouché, 30 thermidor an X, A. N., F7, 6246.

[53] Cf. chapitre XXVII.

[54] Fouché au comte de Fleaux, novembre 1816. (Archives du ministère de l'Intérieur, à Vienne.)

[55] Mme DE STAËL, p. 215.

[56] Fouché à Brillaud-Laujardière, mai 1517 ; D. CAILLÉ (Lettres).

[57] Dans LAMOTHE-LANÇON, l'Empire, III, 236, on trouve un trait fort caractéristique de cette clémence narquoise.

[58] JULLIAN, 261.

[59] Fouché à Gaillard sur M. de Chabannes, 26 janv. 1819. Qu'il essaye enfin le métier d'honnête homme, sauf à redevenir fripon s'il ne réussit pas. Fouché à Gaillard sur Mme de Staël, 9 mars 1819 (Papiers de Gaillard) ; Fouché à Gaillard, d'Hauterive à Talleyrand, 28 frimaire an XIV ; A. A. E. ; Mme DE CHÂTENAY, II, 40.

[60] Mme DE CHÂTENAY, II, 40. Chose curieuse, ce bavard redevenait muet au conseil des ministres comme il avait été à la Convention. Il n'y parlait presque qu'à la cantonade (cf. notamment ch. XXVII, etc.).

[61] Lettres du marquis de Jaucourt, juillet 1815 (Papiers confiés à Gaillard).

[62] Mme DE CHÂTENAY, II, 443.

[63] Mme DE CHÂTENAY, I, 464.

[64] Cf. chapitres XII, XXI et XXXII.

[65] THIBAUDEAU, Histoire de l'Empire, III, 44. Il est, du reste, fort observateur. Vous savez que ma qualité dominante est celle de l'observation, écrira-t-il à Gaillard le 5 septembre 1820.

[66] Fouché à Gaillard, 17 mai 1817.

[67] GUIZOT, Mém., I, 73.

[68] Chapitre XVIII.

[69] Réal au duc d'Otrante, 4 décembre 1809 ; A. N., F7, 6540.

[70] Cf. chapitre XVIII, sa déclaration aux maires de Paris qui, en août 1809, ont hésité à exécuter ses ordres.

[71] Fouché à Gaillard, 7 mai 1817.

[72] Fouché à Gaillard, 25 mars 1818. On se rappelle son proconsulat de 1793 (ch. IV) et entre autres incidents on remarquera en 1809 son attitude lois de la convocation de la garde nationale. Chapitre XVIII.

[73] Compte rendu de l'an VIII.

[74] Le duc d'Otrante aux préfets du Midi, 25 août 1815, F7, 3786.

[75] Sans nous arrêter au jugement de Balzac, qui, lui trouvant un génie égal à celui de Pie II, de Tibère et de Borgia (sic), ajoute avec plus de raison que c'est le seul ministre que Napoléon ait eu (BALZAC, Une ténébreuse affaire, 280) ; il est de fait qu'on rendait hommage à ce génie. Fleury, très hostile, l'appelle un des premiers hommes d'État de la France (II, 39), et d'Hauterive eût souscrit à ce jugement (ARTAUD, 267). Fiévée, si haineux, reconnaissait qu'il voyait les choses d'assez haut et n'avait point de niaiseries dans l'esprit (Fiévée à Napoléon, août 1804, II, 36), et Musnier-Descloseaux, écho de Réal, admet comme Balzac qu'il a été positivement le seul ministre du Consulat et de l'Empire (I, 234, 240). BARRAS (IV, 33), très féru de sa propre valeur, contestait ce génie : Fouché en imposait, dit-il ; pour un homme d'État, il y a déjà là une bien grande qualité.

[76] Mme DE CHÂTENAY, II, 39.

[77] Il est, du reste, ennemi de tout mensonge inutile. A quoi bon mentir quand on ne trompe personne ? Mentir sans tromper, c'est la méprise d'un sot. Fouché à Gaillard, 30 mars 1816.

[78] Fouché à Gaillard, 13 septembre 1819.

[79] Fouché à Gaillard, 5 mai 1816.

[80] BARDOUX, Mme de Custine, 207.

[81] PASQUIER, III, 172.

[82] GUIZOT, I, 73 ; BOURRIENNE, IV, 179. On n'agit pas en politique par sentiment, écrit Fouché lui-même ; la politique des États ne se règle pas par des affections. Fouché à Gaillard, 12 mars 1817, et à Blacas en 1814.

[83] GUIZOT, I, 73.

[84] Chapitre VII.

[85] Chapitres IX et XIV.

[86] Chapitres XXIII et XXVII.

[87] THIBAUDEAU, III, 44. Nous aurons à plusieurs reprises à revenir sur cette ingénieuse politique.

[88] Il jouissait d'une considération immense, écrit Mme DE CHÂTENAY, II, 40, et THIBAUDEAU le reconnait, III, 44.

[89] On rencontre même chez lui Tallien, si honni de tous (Mme DE CHÂTENAY, II, 48), et quoi qu'en pense Barras, il épargne à l'ancien conventionnel plus d'une avanie. Il gardait, dit THIBAUDEAU, quelque prédilection pour les jacobins (III, 44). Ceux-ci dans tous les cas comptent sur lui. (Cf. Lettres de Florent Guios du 1er janvier et du 4 juin 1810, déjà citées, A. N. F., 6501.) C'est, du reste, le résultat d'une politique sur laquelle nous nous expliquons au chapitre XIV.

[90] Notamment ceux de la duchesse D'ABRANTÈS (Mém., passim) et de Mme de Rémusat, qui, fort liée avec lui, va lui faire souvent de petites visites pour entretenir l'amitié qu'il parait avoir pour nous, écrit la fille de Vergennes à son mari. (Mme de Rémusat à M. de Rémusat, 13 juin 1805. Corr. de Mme de Rémusat.)

[91] J'ai sous les yeux une correspondance entre Fouché et Elisa empreinte d'une très grande cordialité : elle est extraite de la collection d'autographes de M. le chevalier Fischer von Roslenstans, qu'il a mise gracieusement à ma disposition.

[92] PASQUIER, I, 242 ; SAVARY, IV, 399 ; Mme DE CHÂTENAY, III, 42 ; LAMOTHE-LANÇON, l'Empire, etc. ; BARDOUX, Mme de Custine.

[93] Cette jolie caillette était peu difficile sur le choix de ses amis : de fait, elle est fort liée avec Fouché ; on la voyait caqueter à la table du ministre et s'étaler dans sa loge des Français.

[94] Fille d'un noble guillotiné sous la Révolution, devenue l'intime de Fouché, dira une note de police de la Restauration, 20 juillet 1814 (F7, 3783.)

[95] BARDOUX, Mme de Custine.

[96] Rapports de police de l'an XII, F7 3832.

[97] BARDOUX, Mme de Custine, 205, 289.

[98] Peltier s'indignait des 1802 de ces relations de Fouché avec les de Luynes.

[99] Chapitres XVII et XX.

[100] L'anecdote, trop longue pour être racontée ici dans ses amusants détails, a paru typique de la façon dont Fouché s'insinuait, car nous la trouvons racontée d'une façon à peu près concordante par GAILLARD (Mém. inéd.) ; DE ROUGÉ (De Vérac et ses amis), Mme DE CHÂTENAY, II, 42.

[101] Mme RÉCAMIER, Souvenirs et Correspondance.

[102] MUSNIER-DESCLOSAUX, I, 350, 353.

[103] Dossier Coigny ; A. N., F7, 6250, et Mme DE CHÂTENAY, II, 44.

[104] Mme DE CHÂTENAY, dossier Polignac ; A. N., F7, 6403 ; Dossier Bourmont ; A. N., F7, 6232.

[105] Lettre du chevalier de Larue, déjà citée, où il salue avec joie le retour de Fouché aux affaires. De Larue à Fouché, 25 messidor an XII ; A. N., F7, 6251. De fait, sans attacher plus d'importance qu'on ne le doit à une lettre destinée à flatter le destinataire, il faut reconnaître que beaucoup de gens plus désintéressée que ce détenu y eussent souscrit. La popularité dont Fouché jouissait dès 1802 (cf. ch. XI) s'était évidemment accrue par la maladroite persécution organisée de 1802 à 1804 par Régnier et Savary contre les royalistes. (Cf. les lettres de l'agent de Louis XVIII publiées par le comte Remacle.) HYDE DE NEUVILLE (I, 385) ne dissimule pas la Laine que de pareils procédés avaient inspirée aux royalistes contre les successeurs intérimaires de Fouché. De là à voir d'un œil très favorable le rappel de celui-ci, il n'y avait qu'un pas.

[106] Cf. chapitre XX, et XXII.

[107] Cf. chapitre XIV. Fiévée constatait par contre en février 1806 l'influence des financiers sur Fouché, FIÉVÉE, Corr., II, 181, et Mém. de Fouché, I, 172.

[108] Cf. chapitre XIV.

[109] Mme DE CHÂTENAY, II, 44.

[110] Fiévée constatait en février 1806, que tous les partis d'opposition étaient entre les mains de Fouché, II, 151.

[111] Mém. de Fouché, I, 173, 174.

[112] BOURRIENNE, V, 135, 136 ; MÉNEVAL, II, 480.

[113] Mathieu DUMAS, Mém., III, 316.

[114] Mém. de Fouché, I, 385.

[115] Gaillard, qui est ici un écho de Fouché lui-même, dit que celui-ci résistait fort souvent à Napoléon ; nous en avons d'autres preuves (cf. ch. XIV), trait de courage dont l'orgueil de Napoléon pouvait être offensé, mais qu'il aimait assez et qu'il finissait toujours par approuver.

[116] La réputation même de Fouché lui était utile : DE SÉGUR (II, 289) prêtait à Napoléon ce propos que s'il avait repris Fouché en 1804, c'était moins pour tout savoir que pour avoir l'air de tout savoir.

[117] Il avait ses défauts, mais c'est le seul homme d'État que j'aie eu, dira, s'il faut en croire Decazes, l'Empereur à Jérôme et à Cambacérès, au lendemain de la disgrâce de Fouché (cf. ch. XX). Il est vrai que, d'après Gourgaud, il se montra plus dur pour le personnage à Sainte-Hélène ; mais il lui gardait alors une sombre rancune des événements de 1815.

[118] DESMAREST, Témoignages, ch. XV, Le ministère de Fouché. Nouv. éd., 219.

[119] Journal de Gourgaud, I.

[120] Il faudrait citer les lettres de l'Empereur à Fouché relatives à ses frères et sœurs, notamment à Jérôme. Il va plus loin, le prie de surveiller la belle-mère du chancelier Cambacérès. (Napoléon à Fouché, 13 octobre 1504. Correspondance, X, 5122.)

[121] Ordre de surveiller l'architecte, le tapissier, que l'Empereur soupçonne d'avoir enflé leurs notes. Napoléon à Fouché, 31 janvier 1806, XI, 9721.

[122] Ordre de rattraper l'argent de la famille Bonaparte volé par un clerc de Raguideau, 9 août 1807. Napoléon à Fouché ; Lettres, I, 100.

[123] Notamment les forêts domaniales.

[124] FLEURY DE CHABOULON, II, 21. MÉNEVAL, II, 490.

[125] MÉNEVAL, I, 400.

[126] Chapitre XXIV.

[127] Duchesse D'ABRANTÈS, VIII, 400.

[128] Chapitre XXIV.

[129] PASQUIER, III, 172 ; FLEURY DE CHABOULON, II, 21 ; Fouché à Gaillard, 13 janvier 1819.

[130] Lorsque Montlosier est appelé en France par Bonaparte, Fouché, qu'on n'a pas prévenu, affecte d'ignorer l'autorisation, fait arrêter à Calais et jeter au Temple celui auquel Bonaparte destine un rôle de surveillant secret. Renvoyé à Londres, il ne revient qu'avec l'autorisation de Fouché. Même conduite avec Montgaillard, employé par Napoléon et constamment persécuté par Fouché (Dossier Montgaillard, F7, 6279). On pourrait citer mille traits, à commencer par l'histoire de la duchesse de Guiche en 1801.

[131] Chapitre XVIII.

[132] Chapitre XX.

[133] On trouve dans les papiers de la police la preuve de cette constante surveillance.

[134] BOURRIENNE, passim et ch. IX.

[135] Chapitres XVII et XIX.

[136] La duchesse D'ABRANTÈS prétend que Fouché fit près de Mme Récamier une démarche dans ce genre.

[137] Napoléon à Fouché, 12 novembre 1807. Lettres, I, 125. Note de Fouché, 22 février 1809 ; A FIV 1502.

[138] Note du 17 juin 1807 ; B FIV 1500.