FOUCHÉ (1759-1820)

DEUXIÈME PARTIE. — LE MINISTRE FOUCHÉ (1799-1810)

 

CHAPITRE XII. — PREMIÈRE DISGRÂCE.

 

 

Apogée du Premier Consul : progrès du parti réacteur. — La conspiration de Bernadotte. Fouché favorise les républicains. Son rôle dans la question du consulat à vie. Il y est compromis. — Bonaparte accorde à ses frères le renvoi de Fouché. — Le ministère de la Police est supprimé. Disgrâce dorée : grands ménagements. Fouché, nominé sénateur, reste employé secrètement par le Premier Consul. Sa retraite est saluée par les regrets généraux. Son œuvre sous le Consulat justifie ces regrets. — Vie de famille ; grande affectation de modestie, mœurs patriarcales. Jeanne Fouché ; les enfants. Le salon des Fouché ; boston et causeries du soir : les vieux amis. Un intérieur paisible. Il n'est plus question de Fouché. — Fouché au Sénat : la médiation helvétique. Influence que garde Fouché aux Tuileries. — Anarchie de la police. Incapacité des nouveaux chefs. Police officieuse de Fouché. Fouché en rapport avec les partis d'opposition. Quelle part a eue Fouché dans la conspiration Moreau. — Maladresses que commettent ses successeurs. — Le procès Moreau ; l'exécution du duc d'Enghien. — Fouché signale les fautes commises. Bonaparte a recoure à lui. — L'Empire. — Fouché mène au Sénat la campagne pour la proclamation de l'Empire. — liaison qu'il a de faire voter l'Empire après avoir combattu le consulat à vie. — Fouché s'impose. — Fête au château de la Houssaye. Fouché confère avec Napoléon et sort ministre. — Il se réinstalle le 2 messidor au ministère de la Police générale.

 

A l'époque où nous sommes arrivés, Bonaparte est parvenu à l'apogée de sa popularité. La paix d'Amiens, venant après tant d'autres actes réparateurs, semble disposer l'opinion publique à accorder à l'auteur de tant de bienfaits l'investiture de cette magistrature viagère, héréditaire même, que depuis trois ans une active coterie désire pour lui et l'excite à demander. Fouché lutte de toute son influence contre cette restauration du pouvoir personnel. Question de principes ? Non, mais question de politique. A quoi bon ? Les royalistes semblent calmés : leur fidélité au roi s'accommode du pouvoir consulaire, qu'ils peuvent croire passager et transitoire : en proclamant Bonaparte dictateur à vie, on va surexciter de ce côté plus d'une fureur, le désigner plus sûrement aux coups de Georges et de ses sicaires, que précisément Fouché sait prêts à agir. Que dire des républicains ? Verront-ils sans effervescence ce dernier coup porté à la République ? Du reste, c'est toujours la réaction que Fouché redoute en cette aventure, avec ses suites impossibles à prévoir. Et il a raison de craindre personnellement ces fatales conséquences. Il les connaît bien depuis nivôse, les gens qui dirigeront le nouveau gouvernement monarchique : il les déteste, ils le haïssent ; Rœderer, Lucien, Talleyrand, quelques nobles exaspérés contre le jacobin[1]. Le consulat à vie, c'est le triomphe de ces réacteurs, ses ennemis personnels. C'en est assez pour le lui faire redouter.

Il le combat donc de toute son énergie tenace[2] ; la crainte que lui inspire l'événement qui se prépare et qu'il veut empêcher est telle qu'il a essayé de faire échouer, dit-on, lui le pacifique, la paix d'Amiens, œuvre de Talleyrand, acheminement vers l'apothéose de Bonaparte[3], telle aussi qu'il est fortement soupçonné d'avoir poussé Bernadotte à l'échauffourée, la fameuse conspiration de Rennes, sur laquelle on ferma les yeux, mais dont le ministre resta responsable aux yeux des conseillers du Premier Consul[4]. Rapprochée d'autres circonstances encore, la conduite du ministre de la Police devenait singulièrement suspecte. Les républicains, les jacobins étaient plus que jamais au ministère bien reçus et flattés. Fouché entretenait avec soin sa popularité dans les milieux révolutionnaires, s'excusant d'avoir dû sacrifier quelques coreligionnaires, mais préservant par cela même le reste du parti de la déportation. Je suis bien obligé de laisser passer quelques individus, mais je sauve les masses : les masses se relèvent quelques jours plus tôt ou plus tard, et elles font justice[5]. Les pamphlets républicains circulaient librement[6]. Bonaparte s'en irritait, et il s'irritait encore de certains ménagements pour les chouans, qu'on ne poursuit plus, disait-il, qu'on relâche trop tôt[7].

Tous les jours le Premier Consul assiégé par ses frères, ses ministres, ses amis, sollicité par sa propre ambition, trouve plus encombrant ce ministre qui seul résiste à l'entraînement général, précipitant la France à la servitude. Il l'estime gênant : de là à le trouver suspect il n'y a qu'un pas. Contre les Lucien, les Talleyrand, les Rœderer, Fouché n'a qu'un recours : Joséphine. C'est une alliée, nous avons dit pourquoi. Elle ne vent pas du Consulat à vie, prélude sans doute du divorce. Fouché lui apparaît sou seul vrai ami : Talleyrand veut marier Bonaparte à une Badoise, Lucien à une infante. Mais elle est précisément trop intéressée dans cette affaire, trop compromise même par l'amitié qui la lie à Fouché pour peser beaucoup[8]. Dès lors le consulat à vie est fait.

Fouché alors, toujours mystificateur et roué, veut essayer d'un suprême moyen. Il ruse, trompe. Par Sieyès et Grégoire il a ses entrées au Sénat : il se donne au Luxembourg pour le confident des consuls : jamais, à l'entendre, le Premier Consul n'a voulu autre chose qu'une simple prolongation de pouvoirs : ce serait même le gêner, l'embarrasser que de lui offrir ou de lui décerner le consulat à vie. En vain Rœderer lutte, accourt au Sénat contredire Fouché. A ce moment celui-ci vient d'enlever le vote[9].

On sait les incidents qui suivirent : le Sénat, berné, se croit habile et généreux en offrant dix ans de pouvoir au Premier Consul : celui-ci, furieux, s'attendant à mieux, répond froidement, éconduit l'ambassade et se fait décerner par un plébiscite le titre rêvé. Mais il n'ignore pas qui a dirigé le Sénat en cette circonstance. Fouché va payer pour tous. Il paraît s'en préoccuper peu, plaisante Bonaparte au moment où députés et tribuns viennent le féliciter, semble aller au-devant de la disgrâce, qu'il pressent. Peut-être, au fond, cette disgrâce ne lui est-elle pas désagréable. Il a déjà mesuré son pouvoir sur Bonaparte, cette sorte de fascination dont. on remarque dès lors le singulier caractère, et le Premier Consul, déjà si absolu, si autoritaire, prend pour parler au ministre de son éloignement d'infinies précautions. C'est le ministère de la Police, inutile, déclare Bonaparte, après la paix avec l'Angleterre, qu'il faut abolir : Fouché approuve ; mais il faut s'acheminer doucement à cette suppression : on la fixe à l'an XII : le ministre ne résiste pas, tombe d'accord sur ce point avec une bonhomie affectée. Un dernier assaut est alors tenté près du Premier Consul. Le 26 fructidor, Bonaparte part pour Mortefontaine, où il est convié par Joseph ; il y trouve Lucien, et c'est devant les vives instances des deux frères, appuyés par Talleyrand et Lebrun, qu'il se décide à signer l'arrêté de suppression. Mais telle est sa timidité — incroyable pour ceux qui connaissent ses façons — que lorsque le lendemain, Fouché se présente à la Malmaison, pour y travailler avec le Premier Consul, celui-ci n'ose pas l'informer de l'événement. A son retour au quai Voltaire, le ministre reçoit la visite du consul Cambacérès, qui, avec embarras, lui annonce que le Conseil a résolu la suppression du Ministère[10].

Jamais, il est vrai, disgrâce ne fut enveloppée de plus de formes, de compensations et d'hommages.

Le ministre n'était pas personnellement disgracié : on n'avait pas à lui retirer un portefeuille qui cessait d'exister : si jamais on rétablissait ce ministère, nul que lui ne le recevrait. D'autre part, le Premier Consul croit habile de faire savoir à Fouché que ce sont ses frères qui lui ont arraché cette décision. Il redoute le mécontentement qu'elle peut causer au ministre, si puissant, si influent, si populaire que l'opinion publique se prononce vivement contre sa disgrâce, une opinion publique qui a pour organes aussi bien les nobles amies de Mine de Vaudémont que les Thibaudeau et les Réal. Dès lors Bonaparte, désireux de ménager l'homme, l'accable de prévenances, de richesses et de titres.

L'ex-ministre est nommé membre du Sénat, pourvu plus tard d'une riche sénatorerie, la sénatorerie d'Aix, grosse prébende, haut titre. Et Bonaparte, en l'envoyant au Sénat, écrit à ses membres dans un message du 28 fructidor : Le citoyen Fouché, ministre de la Police dans des circonstances difficiles, a répondu par ses talents et par son activité, par son attachement au gouvernement, à tout ce que les circonstances exigeaient de lui. Placé dans le sein du Sénat, si d'autres circonstances redemandaient encore un ministre de la Police, le gouvernement n'en trouverait point un qui fit plus digne de sa confiance[11]. Ce n'est pas seulement enterrer le ministre sous des fleurs, c'est lui laisser entrevoir la résurrection, prudente précaution peut-être, si l'on considère que les gouvernements meurent des disgrâces trop éclatantes de Fouché, mais imprudente promesse, puisqu'elle intéresse aussi dès lors l'homme aux embarras et aux disgrâces du gouvernement consulaire.

Enfin comme pour assouvir du moins une des ambitions de Fouché, Bonaparte, en attendant la superbe rente viagère de vingt à vingt-cinq mille livres qu'il lui assurera avant peu sous forme de sénatorerie[12], lui fait un royal don... S'étant présenté le 28 fructidor à la Malmaison pour remettre au Premier Consul, avec son dernier rapport, le reliquat des fonds de la police, deux millions quatre cent mille francs, il reçoit du chef du gouvernement la moitié de cette somme à titre de gratification[13]. Le Premier Consul ajoute qu'il lui conserve estime, affection et reconnaissance, qu'il recevra avec plaisir ses conseils et ses informations. C'est autoriser Fouché à tout entreprendre et à tout oser. Il va devenir, contre ses successeurs, un de ces pouvoirs occultes employés officieusement par Bonaparte et contre lesquels il s'est lui-même heurté. En somme, tout lui vient grâce à cette fructueuse disgrâce, honneurs, titre fort prisé — les sénateurs étaient après les consuls les plus hauts personnages de l'État —, gros revenus, capital important, pouvoir occulte sans responsabilité, influence secrète sur les affaires de l'État, hommage public de reconnaissance de la part du Premier Consul, témoignages de confiance et de regrets de la part des hommes d'État du régime comme des partis opposants[14].

De fait, l'opinion publique était pour lui. Pour ne s'être pas manifestée avec autant d'unanimité et d'énergie qu'elle le fera en 1810, lors de la seconde et la plus éclatante disgrâce de Fouché, elle se montre anxieuse. Thibaudeau n'est pas seul à constater que Fouché ci emportait beaucoup de regrets n A bien des gens il parut que le gouvernement venait de s'amputer d'un membre précieux ; et quoique la tranquillité publique, œuvre du ministre déchu, parût grande tant du côté des royalistes que du côté des jacobins, la sécurité le sembla moins. On s'était habitué à compter sur Fouché non seulement pour protéger le gouvernement contre les entreprises fâcheuses, mais aussi les particuliers contre les emportements du Premier Consul[15]. On lui était reconnaissant, plus que dans la suite, de l'œuvre accomplie. Il avait eu une part considérable, parfois prépondérante, dans la tâche de pacification intérieure. Ministre du Directoire, il avait écrasé la démagogie, préparé l'avènement du gouvernement réparateur, ménagé toutes les transitions avant Brumaire, empêché toutes les réactions après ; ministre du Consulat, il avait su contenir par son seul ascendant le parti jacobin, réprimer sans violence le parti royaliste, pacifier l'Ouest et le Midi, diminuer le brigandage dans toute la France, organiser la police, rendre la sécurité à tous ; il s'était efforcé de rallier au nouveau pouvoir tous les bons citoyens de droite et de gauche, de façon à en faire un gouvernement national incapable de réaction contre aucune opinion. Pour les éléments de droite, il avait, en dehors de certaines relations courtoises, le mérite, qui alors ne lui était pas contesté, d'avoir ouvert aux neuf dixièmes des émigrés rentrés les portes de la patrie, le mérite plus grand encore d'avoir voulu les ouvrir à cent cinquante mille exilés. Pour les partisans du gouvernement fort, il avait celui, sinon d'avoir fait Brumaire, du moins de l'avoir complété, d'avoir fait accepter et triompher partout le nouveau gouvernement. de l'avoir assis sur des bases solides d'une police alors sans précédent. Les républicains et les libéraux devaient reconnaître que nul n'avait travaillé plus opiniâtrement que lui à faire respecter le principe républicain, à lier le nouveau gouvernement à la Révolution, à écarter une restauration monarchique et une réaction contre-révolutionnaire, à faire ajourner la dictature césarienne instituée sous le nom de consulat à vie et le retour à l'ultramontanisme romain, conséquence possible du Concordat. Les jacobins, frappés ou plutôt abandonnés parfois aux colères du Premier Consul, n'ignoraient pas que l'ancien conventionnel les avait sans cesse préservés de plus amples proscriptions. Le clergé enfin devait rendre et rendait hommage à la tolérance de sa police et à la modération d'une politique sans faiblesse, mais sans rigueur[16].

Et, par une rare habileté, il avait su faire plus clairement apparaître à chacun ses services que ses torts.

On était donc fort naturellement disposé à reconnaître qu'il avait brillamment accompli la tâche d'un homme d'État. Sa personnalité, lavée des anciennes souillures, avait grandi de cent coudées, et le monde politique ne pouvait se décider à croire finie cette carrière, à détourner ses yeux de cc ministre si apprécié et si redouté qu'il avait fallu pour l'éconduire faire crouler son ministère. Lui seul sembla croire tout d'abord sa carrière active terminée.

***

Jamais homme, en effet, n'afficha un si grand amour du repos, un si grand dédain des honneurs et du pouvoir que Joseph Fouché, toutes les fois que les circonstances l'obligèrent à la retraite. À l'entendre, il était un homme simple, sans ambition, sans prétentions, sans besoins, un bon citoyen — assurément fort capable, — mais qui se trouvait toujours avec un plaisir indicible soulagé des responsabilités et des honneurs. Il s'était fait petit en 1795, lorsque, la Convention l'ayant condamné, il s'était retiré dans son taudis de la rue Saint-Honoré. Nous le verrons prendre en 1810, en 1814, en 1815, ces attitudes de Cincinnatus regagnant son foyer, le devoir civique rempli. Cette attitude faisait illusion : ses ennemis se rassuraient, persuadés qu'il allait s'enterrer lui-même dans le repos ; tous le croyaient d'autant plus volontiers qu'il était réellement homme de foyer, mari amoureux, père tendre, de goûts simples. Dans l'habit de velours bleu du ministre, comme sous le panache rouge du représentant en mission, l'ex-principal du collège de Nantes avait conservé en effet cette simplicité de vie et cette austérité de mœurs qui frappaient ses contemporains et forçaient l'estime des plus hostiles. Et il n'avait guère à changer sa vie d'intérieur lorsque, le 28 fructidor an X (15 septembre 1802), il quitta l'hôtel de Juigné — résidence au quai Voltaire du ministre de la Police — pour aller habiter avec les siens une petite maison située au n° 333 de la rue Basse-du-Rempart, qu'il abandonna quelques mois après pour le n° 264 de la rue du Bac[17]. Il aspirait au repos, assurait-il : les conditions dans lesquelles on le lui accordait remplissaient son cœur de joie et de reconnaissance. On le vit affecter le détachement des affaires publiques, se consacrer aux siens.

Fouché avait alors quarante-trois ans, sa femme trente-huit. Jeanne Fouché, dont le peu galant Barras nous a dessiné un portrait caricatural, ne parait pas, à dire vrai, avoir jamais réalisé le type de la parfaite beauté. Sa réputation, sous ce rapport, était fâcheuse. À l'époque même où Barras nous la peint dans son horrible laideur, Vincenzo Monti, la rencontrant à Milan, la qualifiait laconiquement de brutta (vilaine)[18]. Elle était du reste femme de mérite, bonne ménagère et mère exemplaire.

Fouché, qui l'aima tendrement, ne perdit jamais une occasion de faire d'elle un éloge sans restriction : Elle était le modèle et l'exemple de son sexe, écrivait-il le 12 mars 1817, et il ajoute à cette occasion qu'il souhaite à ses enfants de se pénétrer des rares vertus de leur mère[19]. Elle avait, dira-t-il encore, l'esprit éclairé[20] ; son mari, en effet, la consultait souvent, la mêlait intimement à sa vie, quoiqu'elle parût peu en public[21]. Elle l'avait cependant suivi partout. De Nantes, où son père le procureur François Coiquaud était en 1792 président du district, elle avait accompagné son mari à Paris. à Nevers, où elle avait — on s'en souvient — donné le jour à une fille, à Lyon où on la voit réquisitionner à son usage soie et dentelle, dans le grenier de la rue Saint-Honoré, où elle partagea les chagrins du père et la misère du proscrit, à Milan où elle avait fait à Monti une si triste impression, partout en un mot. Fouché, de mœurs très pures — on le disait même amoureux —, n'était pas seulement un époux fidèle, il était aussi un ami intime et dévoué : Mon travail, mes lectures, mes promenades, mon repos, mon sommeil, tout était en commun avec elles, écrira-t-il au lendemain de la mort de sa femme[22].

Ils avaient perdu aux heures noires de leur vie, de 1704 à 1706, trois enfants en bas âge et les pleuraient. D'autres étaient venus : Joseph, alors âgé de cinq ans ; Armand, de deux ans et Athanase — le futur grand veneur de la cour de Suède —, de quelques mois seulement. Une fille, Joséphine, allait naître de cet heureux ménage, le 25 juin 1803, neuf mois après la disgrâce de son père.

Au ministère, la vie avait été modeste. Jeanne Fouché, passionnée d'amour pour son mari, au dire d'une contemporaine, jalouse comme s'il avait vingt ans, préférait cette existence retirée[23]. Une vieille parente de Coiquaud, le secrétaire du ministre, Maillochau, son âme damnée, quelques vieux oratoriens comme Gaillard et Le Comte, quelques anciens collègues de la Convention, Thibaudeau et Daunou, Réal, le secrétaire général du ministère, Lombard, formaient l'unique société de la famille. Les soirées se passaient en famille : on faisait un boston. Les enfants couraient dans la chambre : on leur débitait des bêtises qui faisaient rire le père aux larmes. Fouché s'approchait des joueurs, regardait les jeux — lui ne jouait jamais que dans de plus hautes parties —, faisait tricher l'un des joueurs et s'allait coucher à dix heures dans la même chambre que sa femme et ses trois fils. C'est cette vie qu'on transporta rue Basse-du-Rempart, puis rue du Bac[24]. Fouché avait, en 1803, confié l'éducation de ses fils à son ancien élève de Vendôme, le jeune publiciste Antoine Jay, plus tard célèbre comme orateur et journaliste, futur membre de la Chambre des députés et de l'Académie française[25]. Celui-ci vint compléter cette réunion familiale. On voyait revenir des amis restés fidèles : on élargissait pour eux le cercle. C'était alors une société composite. A côté de ce que la seconde femme de Fouché, née de Castellane, appellera avec dédain les Brutus de son mari[26], vieux conventionnels comme Barère, Thibaudeau, Réal, on rencontrait maintenant chez lui les deux fidèles amies : la marquise de Vaudémont[27], la marquise de Custine[28], Mme de Châtenay[29], Mme de Clermont-Tonnerre[30], Mme de Saint-Aubin, familière de la maison[31], quelques amis de l'Oratoire d'opinions fort différentes comme Malouet et Daunou, quelques émigrés rentrés grâce au ministre comme Cazalès et Chênedollé. Toutes les opinions étaient représentées dans ce petit salon où, du reste, le maître de la maison, accueillant, courtois, ne parlait guère politique ; il se jetait par contre dans des discussions morales ou scientifiques où apparaissaient une intelligence nourrie, un esprit paradoxal, facilement taquin, et une disposition, étonnante chez cet homme discret, au bavardage sans limites. Rien ne faisait plus utilement illusion à tous que ces réunions familières où l'on ne parlait pas politique[32]. L'ex-ministre semblait s'ensevelir dans l'oubli.

Il n'est plus question de Fouché, écrit-on de Paris à Londres, et l'agent ajoute, pris aux grands airs de dédain de Fouché : Il a déclaré qu'il ne voulait pas être le drapeau rouge de la France qu'on ne déployait que dans les moments les plus dangereux[33].

On se trompait : ceux qui le voyaient de très près étaient au contraire frappés de sa foi absolue dans son prochain retour au ministère. Bourrienne, encore secrétaire de Bonaparte, visitant souvent l'ex-ministre soit rue du Bac, soit à sa terre de Pont-Carré récemment acquise, en Seine-et-Marne, et où il passait l'été, le trouva toujours convaincu de son prompt rappel au ministère. Le secrétaire du Premier Consul, qui entendait Fouché parler des circonstances qui le ramèneraient au pouvoir, en arrivait à le soupçonner de les préparer. On voyait chez lui, certains jours, des agents politiques appartenant à tous les partis de désordre[34].

Au surplus, il était venu occuper sa place au Sénat, et il y avait vite pris une réelle influence, y retrouvant des amis et des alliés. Quoiqu'il y affectât un mutisme systématique[35], une action personnelle, qui devait avant deux ans s'exercer au Luxembourg dans une circonstance mémorable, en faisait un des membres les plus en vue de l'assemblée Il n'y a donc pas lieu de s'étonner de le voir chargé avec trois de ses collègues d'une mission extraordinaire d'ordre particulier. Le 13 frimaire an XI (3 décembre 1803), il fut désigné comme un des sénateurs qu'on chargea de conférer avec les députés du peuple suisse, convoqués à Paris en vertu de la médiation du Premier Consul, réclamée par la République helvétique et consentie par lui[36].

On le revit aux cercles des Tuileries, à la table du Premier Consul, où l'accompagnait Jeanne Fouché[37]. Il jouait du reste dans les coulisses du pouvoir un râle qui, pour être peu visible, n'en était pas moins actif ni moins important.

Bonaparte se décidait rarement à disgracier complètement un de ses serviteurs, encore moins à se priver des services d'un homme qu'il jugeait utile et compétent. On l'avait vu pour Lucien qui, privé de son portefeuille, avait cependant gardé aux Tuileries une influence suffisante pour faire pièce au ministre de la Police. On devait le voir pour Talleyrand, privé en 1807 du portefeuille des Relations extérieures, mais restant jusqu'en 1809 le vrai directeur de la politique étrangère de l'Empire. On le vit de 1802 à 1804 pour Fouché. Laisser un talent improductif paraissait au Premier Consul un des plus impardonnables gaspillages, et il ne les aimait pas. Trop défiant, trop autoritaire pour abandonner entre les mains d'un homme ambitieux, entreprenant et indépendant, le ministère, tous les jours plus redoutable, qu'il venait de supprimer si brusquement, Bonaparte, du jour où il eut plongé Fouché dans sa disgrâce dorée, crut pouvoir derechef exploiter sans danger ses talents de policier, sa sagacité et son influence. Au surplus, la chose s'expliquait : la police était maintenant dans une rare anarchie, chacun s'en occupant, sauf le ministre qui en était chargé, l'incapable Régnier, ministre de la Justice. Le directeur officiel, actif, capable du reste, de la police sous ce chef incapable était Réal : c'était un policier parfois audacieux, mais dont l'autorité était médiocre : excellent sous-ordre, employé plus tard avec un réel succès par Fouché, il ne jouissait d'aucune influence personnelle. Aussi bien, ses subordonnés se croyaient les droits de rivaux : le préfet de police Dubois se prenait depuis fructidor an X pour un petit ministre, indépendant de la chancellerie comme du quai Voltaire, et agissait fort à son aise : or, on ne pouvait être plus maladroit que ce médiocre magistrat ; le chef de la sûreté Desmarest, fin renard, fort au courant de la police secrète, était pour lui une puissance rivale qui se croyait également indépendante, tandis qu'à des titres divers, Savary, chef de la gendarmerie d'élite, police militaire du général Bonaparte, violent et brutal soldat ; Bourrienne, secrétaire du Premier Consul, personnage taré ; Duroc et Junot, bons soldats, mal faits pour ce métier de policiers, avaient chacun sa police, ses agents, ses renseignements. A l'époque où Fouché était ministre, il s'était heurté à ces polices personnelles de Bonaparte, mais il se plaisait à les confondre et au besoin à les discréditer aux yeux du maitre ; or, ni Réal, ni Dubois, ni Desmarets n'avaient, après 1802, de titre pour lutter contre. Tous, policiers officiels ou officieux, se heurtaient, du reste, à une police singulièrement mieux renseignée que la leur, celle de l'ex-ministre Fouché. Celui-ci avait gardé tous les fils : personnellement en relations avec tous les partis, trempant dans leurs intrigues, il avait beau jeu de les dénoncer avec une précision qui faisait pâlir les rapports de Réal, Dubois, Savary et Bourrienne.

Dès les premiers mois de la disgrâce de Fouché, des bulletins quotidiens arrivèrent mystérieusement aux Tuileries et à la Malmaison, émanant du ministre déchu : les fautes de la police y étaient complaisamment soulignées, ses renseignements contredits avec d'autant plus de précision qu'il y avait certainement au quai Voltaire des adents restés en relations avec le maitre de la veille... et du lendemain[38]. Réal lui-même n'était pas sûr dans la main de Régnier. Dans l'entourage immédiat du Premier Consul, on n'ignorait pas que Fouché conseillait encore le maître : l'ambassadeur anglais Withworth le déplorait dès mars 1803[39].

Cependant, tant que la police n'eut en face d'elle que la situation calme que lui avait léguée Fouché, on ne put constater l'incapacité de ses chefs. Il fallait de graves événements pour faire éclater aux yeux de tous l'inertie, la médiocrité ou, pour parler plus exactement, la disparition de toute police, de toute direction politique depuis la retraite de Fouché[40]. Ce fut la conspiration Moreau, Pichegru et Georges, et, sa suite, l'affaire du duc d'Enghien.

Fouché, qui devait tant profiter de cette série d'affaires maladroitement conduites, tragiquement terminées, en fut-il un des fauteurs ? On l'a insinué sans preuves. Il connaissait beaucoup Moreau, son compatriote, Breton comme lui, l'avait, on s'en souvient, employé en 1800, pour obtenir le renvoi de Lucien. Depuis, le vainqueur de Hohenlinden, tout à fait brouillé avec le Premier Consul, fréquentait assez assidûment son ministre disgracié ou censé tel, toujours accueillant à toutes les oppositions. En 1804, il était, au su de tous, un de ses amis, puisqu'on devait user de l'influence personnelle de Fouché pour décider le général condamné à s'embarquer pour l'Amérique sans résistance. En 1813, cette amitié persistait : Fouché l'avouait[41].

Pas d'apparence cependant qu'il ait jamais songé à faire de ce personnage le successeur de Bonaparte. Rien ne lui eût paru plus maladroit que de se donner comme maître cet officier froid, entêté, d'esprit politique médiocre, mais de ces médiocrités pleines de morgue plus difficiles à mener que certaines supériorités.

Si réellement Fouché poussa, au dire de Savary, Moreau à intriguer, ce ne peut être que dans le vague espoir de créer les circonstances qui devaient amener le rétablissement du ministère de la Police et de son titulaire obligé.

***

On connaît les événements ; tandis qu'au dehors les agents anglais enveloppaient la France d'un tissu d'intrigues, et qu'on préparait une nouvelle Vendée, les agents royalistes pénétraient jusqu'à Moreau, réputé bon républicain, exploitant sa haine contre le Premier Consul et le compromettaient plus encore qu'ils ne l'entraînaient dans une conspiration dont l'objet semblait être, après s'être débarrassé de Bonaparte, de faire jouer au général le rôle du Monk tant cherché : le terrible Georges, seul capable d'exécuter la première partie, lei plus sinistre, de ce programme, avait pu rentrer impunément en France, rester deux mois à Paris et y préparer l'assassinat du Premier Consul. Il y avait eu des rapports entre Georges et Moreau par l'entremise du secrétaire de celui-ci, Fresnière[42], un ami de Fouché, puis entre Moreau et Pichegru depuis longtemps conquis au parti royaliste : Moreau, sans s'engager à trahir la République, avait laissé entendre qu'il travaillerait volontiers à détruire Bonaparte ; mais son ancien aide de camp Lajolais, encore un ami de Fouché, gagné par les royalistes, s'était attaché au général pour l'entraîner dans la cause des princes. L'entreprise semblant en bonne voie, Pichegru avait appelé à Paris toute une bande d'émigrés de haute volée, les de Polignac, de Rivière et autres, pour se tenir prêts à agir Ils avaient trouvé Moreau hésitant, timoré, peu disposé à coopérer à l'œuvre de restauration monarchique. Tout ceci se passait en décembre 1803 et janvier 1804.

Averti par Fouché peut-être, ce fut le Premier Consul qui donna l'éveil à sa propre police. Nous n'avons pas à dire longuement comment fut éventé le complot. Arrêté après plusieurs agents royalistes, l'un des complices de Georges, Bouvet de Lozier, avoua tout le 14 février, et dévoila la conspiration qui se tramait depuis six mois entre le plus redoutable chef royaliste, toute une bande d'émigrés importants et deux des plus illustres généraux de la République.

Dès le 14, Bonaparte convoqua aux Tuileries un conseil intime où, à côté des deux consuls et des ministres, on vit paraître, comme si les dangers signalés faisaient d'eux-mêmes renaître de ses cendres le ministère de la Police, l'homme qui l'avait si longtemps dirigé[43]. Il assista donc de très près, impassible, à la série des maladresses que ses successeurs allaient commettre : Moreau, populaire encore, cher aux républicains, à beaucoup d'officiers et à tous les fonctionnaires d'origine révolutionnaire, déféré au tribunal criminel de la Seine avec suspension du jury, cela au milieu de la désapprobation du Sénat, du Tribunat et du Corps législatif, au grand et bruyant mécontentement de certains états-majors ; Pichegru et Georges poursuivis à travers Paris, d'abord sans succès au milieu d'une terreur universelle, saisis enfin, ainsi que les de Polignac et les de Rivière et condamnés à mort ; l'arrestation illégale et inique du duc d'Enghien à Ettenheim décidée sur des rapports de police en partie faux, et l'exécution à tout jamais abominable du jeune prince dans les fossés de Vincennes le 20 mars, catastrophe dont la responsabilité incombait à la féroce précipitation de Savary et à l'incompréhensible négligence de Réal ; le suicide de Pichegru, le quasi-acquittement du général Moreau au milieu d'une agitation réelle[44] et après une vibrante plaidoirie de l'illustre Bonnet applaudie par tout le barreau ; enfin la mort courageuse de Georges sur l'échafaud devaient compléter la série des événements marqués à la fois par tant d'incurie et de violence.

Le fait était qu'il n'y avait plus de faute à commettre. On avait, en toute cette affaire, entassé erreurs sur maladresses, crimes sur sottises : tout y était, imprévoyance rare, suivie d'une précipitation maladroite, ignorance, aveuglement, mauvaise surveillance des frontières, des côtes, de Paris même où Moreau avait pu recevoir, sans que la police en fùt avertie, les plus compromettantes visites, où Georges avait pu se promener impunément deux mois, où Pichegru avait pu intriguer à son aise avec sa bande d'émigrés ; renseignements faux ou incomplets, puisque la police avait persuadé au Premier Consul que Dumouriez était installé près du duc d'Enghien ; brutalité et maladresses nouvelles dans la répression, puisque l'exécution illégale d'un petit-fils de saint Louis devait exaspérer les royalistes, au moment même où les républicains, incrédules au crime de Moreau, s'irritaient de l'arrestation du général. Voilà quels étaient, après un an d'un pitoyable gouvernement, les résultats obtenus par la police de Régnier, de Réal, de Savary.

Certes. Bonaparte as-ait sa pari dans les fautes commises : mais il n'avait jamais été ni si faussement renseigné, ni si mal conseillé, ni si peu énergiquement contenu. Il s'en rendait compte[45] ; la maladresse des successeurs de Fouché eût suffi à remettre celui-ci au pinacle. Mais lui-même avait pris, d'autre part, dans ces événements, une attitude qui contrastait d'une façon saisissante avec celle des chefs de la police officielle. Dès les premiers jours, au moment où la police de Régnier ne savait, ne prévoyait rien, l'ex-ministre avait écrit à Bonaparte : L'air est plein de poignards[46]. En relation avec Fresnière et Lajolais, il n'ignorait rien, avertissait sans dénoncer. Lorsque, passant de la confiance sans bornes à l'affolement sans raison, on avait opéré arrestation sur arrestation, Fouché avait déconseillé la violence. En ce qui concerne Moreau, la rupture si précipitamment, si maladroitement consommée entre lui et Bonaparte lui avait paru la chose la plus impolitique du monde : il l'avait blâmée, essaya plus tard, trop tard, de les réconcilier : Fouché ne m'eût pas mis dans cet embarras, dira Bonaparte après le quasi-acquittement de Moreau[47]. On a dit qu'il avait poussé à l'exécution du duc d'Enghien, mais il y a là une simple hypothèse[48]. Il est clair qu'elle présentait pour lui un singulier avantage : Bonaparte ne pouvait plus lui reprocher, comme il ne s'en faisait guère faute, le 21 janvier, et l'ancien régicide semblait du coup rassuré sur les intentions de Bonaparte â l'égard de ce rôle de Monk qu'on lui avait un instant prêté[49]. Ce meurtre lui était profitable, on en conclut malgré certains témoignages qu'il le conseilla. Il n'y parut guère en tout cas le lendemain : C'est plus qu'un crime, c'est une faute, dira-t-il, d'après la légende. C'est un coup de fusil inutilement lâché, lui fait dire le publiciste royaliste Lewis Goldsmith à cette époque[50]. Seul peut-être cependant il avait au fend quelque raison de le trouver utile.

On crut, au lendemain de ces événements, le ministère de la Police rétabli. C'était à Fouché que Bonaparte renvoyait ouvertement les hommes de sa police officielle : Voyez Fouché, écrira-t-il à Réal dès mars 1804[51], et l'avis se réitère. On avait vu l'ex-ministre reparaître aux conseils de la Malmaison au milieu de ses anciens collègues, prendre part aux conciliabules. Le Premier Consul ne dissimulait guère ce retour en grâce.

Un dernier service rendu par Fouché à Bonaparte vint mettre le comble à cette faveur nouvelle.

La réponse à la conspiration redoutable, destiné à supprimer le Premier Consul pour lui substituer soit Moreau, soit Louis XVIII, parut aux partisans de Bonaparte, aux amis du gouvernement consulaire s'imposer alors. C'était une nouvelle transformation des pouvoirs qui lui avaient été confiés en l'an VIII, confirmés et fortifiés en l'an X. L'empire ! C'était peu de choses évidemment, après le consulat à vie, dictature viagère et, pour une de ses prérogatives, réellement héréditaire. Mais le consulat à vie, c'était bien encore la République pour beaucoup de gens qui se payaient de mots. On redoutait sillon une résistance aussi forte que celle qu'avait rencontrée le consulat à vie, du moins des oppositions gênantes de la part de certains républicains précisément fort excités en ce moment par l'arrestation de Moreau. li fallait cependant que cette nouvelle institution, fondant définitivement le pouvoir césarien, obtint, sinon l'approbation entière, du moins l'apparente soumission des éléments de gauche.

On ne pouvait les entraîner que si l'on voyait certains revenants de la Révolution prendre l'initiative de cette grande mesure. Fouché se trouva là, très précieux[52]. Qui pouvait donner à celle nouvelle institution un caractère très net de défense contre les entreprises de la contre-révolution, plus que ce revenant de la Convention, ce ministre jacobin qui avait, disait-on, payé de son portefeuille sa résistance à l'institution du consulat à vie ?

Or précisément Fouché, qui, en 1802, s'était montré si hostile à l'institution du pouvoir personnel, était manifestement disposé à donner cette fois son appui à la motion qui l'allait consommer. Y avait-il là une évolution explicable par le seul désir de plaire au maître et de reconquérir, par ce dernier et capital service, le ministère jadis sacrifié à d'autres idées ? Nous ne le croyons pas. Sans doute la fidélité aux principes n'avait jamais gêné l'ex-ministre de la Police. Mais l'intérêt personnel la lui avait parfois inspirée. Or à cette heure, il lui apparaissait qu'il ne violait en rien ses principes tout en servant ses intérêts. Il ne poussait pas dans tous les cas le respect des principes jusqu'à celui des étiquettes. Or l'étiquette républicaine seule subsistait. Fouché, allant au fond des choses et ne se payant pas de mots, devait admettre que, depuis 1802, l'Empire existait de fait. Il s'était fait contre son gré à lui et malgré ses efforts ; mais il s'était fait. Pourquoi refuser le titre à la chose ? Il avait, à son sens, suffisamment affiché en 1802 sa réprobation. Le temps avait passé : il rendait au fait accompli l'hommage qu'il ne lui refusa jamais[53]. Aussi bien, il pouvait se rassurer d'une considération. En 1802, il avait craint que l'institution du consulat à vie, œuvre du parti contre-révolutionnaire, n'eût comme conséquence l'arrivée au pouvoir de cette coterie et ne fût aussi le signal de la réaction. Pareille crainte ne l'assiégeait plus. Le meurtre du duc d'Enghien, l'arrestation et l'internement sous menace de mort des représentants des plus nobles familles de France, semblaient creuser entre le parti contre-révolutionnaire et Bonaparte ce fossé infranchissable qu'un ministre intelligent, installé au sein du gouvernement, ayant en main la direction de la politique intérieure de l'Empire, pouvait encore agrandir : certaines démissions retentissantes qui avaient suivi l'exécution de Vincennes lui faisaient croire très valable cette considération et le déterminaient à prêter son appui à un régime auquel M. René de Chateaubriand tournait le dos.

Comme il était habitué, une fois sa résolution prise, à pousser vivement l'exécution, l'ancien ministre étonna le Sénat par l'ardeur de son prosélytisme. Nul ne fit plus pour soutenir non seulement dans l'Assemblée, à laquelle l'initiative de la mesure était réservée, mais encore dans les milieux révolutionnaires, la nécessité d'une restauration monarchique, qui n'était pas sans rencontrer quelque résistance, même chez des fonctionnaires comme Réal et Thibaudeau. Aussi bien son zèle se fit jour d'une façon plus officielle. Lorsque la commission sénatoriale dont il faisait partie se réunit, résolue, dit Pelet, à ne proposer au Sénat qu'une adresse de félicitations au Premier Consul, ce fut l'ancien proconsul jacobin qui réclama avec énergie des institutions qui détruisissent l'espérance des conspirateurs en assurant l'existence du gouvernement au delà de la vie de son chef, et se fit ainsi publiquement l'inspirateur de la fameuse démarche du 6 germinal an XII, faite par le Sénat près de Bonaparte, auquel on demandait d'achever son ouvrage en le rendant immortel[54]. Il y a mieux. Bonaparte ayant convoqué le 3 floréal un conseil privé pour délibérer du vœu émis dans la journée par le tribun Curée et visant à l'établissement de l'Empire, Fouché y fut appelé et, taudis qu'on vit Talleyrand, Fontanes, Portalis, Regnaud de Saint-Jean d'Angély et autres, insister, au grand mécontentement du Premier Consul, sur le caractère libéral et parlementaire que devait avoir la nouvelle monarchie, seuls Fouché et Regnier parurent adhérer sans réserves à l'idée d'un pouvoir césarien[55]. L'ancien ministre entra donc presque de droit dans la commission des dix qui demanda et fit voter ce sénatus-consulte du 28 floréal an XII fondant en France la monarchie impériale[56]. Alors que Grégoire, Lambrechts et Garat se prononçaient seuls contre, ainsi que Carnot au Tribunat, ce fut presque sous la signature et dans tous les cas avec l'adhésion ouverte, officielle et active de Fouché de Nantes, déjà très loin de Nantes, mais très près d'Otrante, que le 28 mai 1804, le trône fut redressé aux Tuileries. Mais telle était l'évolution qui avait conduit ce pays du 10 août 1792 au 18 mai 1804, que Fouché parut à bien peu de gens trahir ses anciens principes, en assurant une couronne à l'homme qui venait, en quelque sorte, de s'associer, par l'exécution de Vincennes, au régicide de la place de la Révolution.

Dès lors Fouché était ministre. La dernière conspiration faisait souhaiter universellement le rétablissement du ministère de la Police : l'institution de l'Empire, qui pouvait rencontrer peut-être quelque résistance, entraînait, disait-on, cette restauration. Or le ministère rétabli, c'était, aux termes mêmes de la lettre au Sénat du 28 fructidor an X, Fouché ministre. L'opinion le poussait. Le Il juillet 1804, le correspondant de d'Antraigues lui écrivait que l'Empereur e était jeté fatalement dans les bras de Fouché ; Bourrienne, Savary, Pasquier, tous fort hostiles à Fouché, constatent que nul autre ministre de la Police n'était possible[57]. Les royalistes eux-mêmes le désiraient : ils eussent tous signé la lettre de leur coreligionnaire le chevalier de Larue, félicitant Fouché de reprendre un ministère e qu'avec tant de regrets on avait vu quitter à Son Excellence e, espérant qu'elle reprendrait les principes de justice qui l'avaient dirigée[58]. La politique du premier ministère portait ses fruits. L'engouement était tel que déjà le titre de ministre de la Police paraissait trop modeste : à la monarchie restaurée, on voulait un premier ministre, et ce n'était ni Cambacérès, ni Talleyrand qu'on nommait, c'était le ministre disgracié en fructidor an X. On désigne toujours dans le public M. le sénateur Fouché comme devant être premier ministre, écrivait, peut-être dans une intention perfide, le préfet de police de l'Empereur, le 17 messidor an XII[59].

Trouvant sans doute trop longues les hésitations du maitre, Fouché s'offrait. Peut-être les dernières résistances à son rappel venaient-elles des frères de l'Empereur, puisque c'est à Joseph qu'il adressait une lettre où il semblait vouloir le prendre comme patron de sa candidature. Il la posait nettement à la première place de l'Empire en l'enveloppant d'une formule heureuse de respectueux dévouement. On a souvent parlé durant son dernier ministère, disait-il, de son ambition personnelle — c'était précisément l'accusation portée en fructidor an X par Lucien et Joseph — ; il n'en a pas eu d'autre que de servir avec éclat le Premier Consul et de le voir béni de tous les partis... Cette ambition, ajoutait-il, je la conserverai toujours. Je désire le premier rang non dans l'Empire, mais dans les dangers où l'Empereur pourra être exposé et dans les complots qui menaceront la dynastie que nous venons d'établir[60].

Cette lettre écrite, l'ancien ministre avait quitté Paris pour Pont-Carré, assez près pour accourir au premier appel, assez loin pour souligner à tous les yeux la démarche qu'on tenterait et faire de tout appel un rappel.

L'Empereur était encore fort hésitant — Fiévée l'assaillait de lettres hostiles —. On était arrivé aux derniers jours de messidor an XII. Le 21, l'Empereur se rendit chez le maréchal Augereau, au château de la Houssaye. La veille, le nouveau souverain avait fait convier l'ancien ministre de la Police aux fêtes qui se préparaient chez le maréchal. En descendant de voiture, l'Empereur avisa Fouché et, sans perdre un instant, très brusquement l'entraîna dans l'appartement qui lui était réservé. Il y conféra longuement avec lui. Avant la nuit, on disait publiquement au château que Fouché reprenait décidément le portefeuille. Celui-ci sortit fort tard de l'entretien, demanda sa voiture et repartit pour Pont-Carré ; il était ministre de la Police. Le bruit de sa nomination l'avait précédé. Il trouva chez lui le préfet de Seine-et-Marne qui, en bon fonctionnaire, avait tenu à venir saluer le premier l'astre qui reparaissait ainsi à l'horizon politique[61]. Le lendemain, le Moniteur apprenait, far un décret impérial. à Paris, à la France, à l'Europe, que le ministère de la Police de l'Empire était rétabli, et que M. le sénateur Fouché y était appelé[62]. Son Excellence Monseigneur le Sénateur-Ministre qui dès le 22 au matin avait prêté au nouvel Empereur son cinquième serment de fidélité, parut au quai Voltaire le jour même, en face des Tuileries, où, réédifiée par ses soins, la monarchie revivait dans le palais de Louis XVI. Le grand ministère de Fouché allait commencer.

 

 

 



[1] S'il faut en croire les correspondants de Peltier, on essayait de faire agir Lucien revenu à Paris pour faire remplacer Fouché par Bourrienne. PELTIER, 30 novembre 1801 (10 frimaire an X).

[2] Il usait de tous les moyens pour détourner le Premier Consul de la dictature à vie. L'agent du comte de Lille à Paris racontait en 1803 que le ministre de la police ayant, en 1802, intercepté un mémoire destiné à Louis XVIII et démontrant que la meilleure conduite qu'il eût à tenir était de se faire oublier et de laisser agir Bonaparte, qui n'ajouterait aucun degré à son trône qui ne ddt servir de marche au roi pour y parvenir, le communiqua à Bonaparte, qui se mit eu fureur : Non, cela n'est pas vrai, se serait écrié Bonaparte, vous n'avez point intercepté cet écrit, vous l'avez fabriqué vous-même pour me porter à recourir aux jacobins. (9 août 1803, REMACLE, 373.)

[3] DE MARTEL, le Traité d'Amiens, 18.

[4] DESMAREST, ch. V (nouv. édit., 83, 86) ; général DE MARBOT, I, 162 ; Mme DE STAËL, Dix ans d'exil. On verra (ch. XVIII) les relations intimes entre Bernadotte et Fouché. Dès cette époque, Fouché était fort bien avec Moreau, qu'il tenta de réconcilier avec Bonaparte, toujours dans le but de retenir celui-ci du côté républicain. (DESMAREST.) Mais dans le même temps Fouché essaya de sauver deux autres officiers compromis dans des propos contre la dictature qui se préparait, Donnadieu et Fournier-Sarlovèze. PASQUIER, I, 158 ; SAVARY, I, 428, 437 ; FOUCHÉ, I, et GUILLON, Conspirations militaires, 25, 26.

[5] BARRAS, IV, 140.

[6] Duchesse D'ABRANTÈS, IV, 74.

[7] Bonaparte à Fouché, 24 février 1,302. Corresp., VII, 5973.

[8] BOURRIENNE, V, 39. MASSON, Napoléon et sa famille, II, 117, 120.

[9] THIBAUDEAU, 261 ; MASSON, Napoléon à sa famille, II, 166 ; AULARD, L'établissement du Consulat à vie (Rév fr., XXVIII, 320).

[10] THIBAUDEAU, Hist. du Consulat, III, 47 ; BOURRIENNE, V, 35-38 ; L'agent royaliste à Louis XVIII. REMACLE, p. 129, 139.

[11] Message au Sénat conservateur, 28 fructidor an IX (15 septembre 1802). Corresp., VIII, 6326. Remarquons l'embarras que décèle cette phrase, si imprudente dans le fond et d'autre part si incorrecte dans la forme.

[12] Correspondance inédite entre Thibaudeau et Fouché, gracieusement communiquée par M. Étienne CHARAVAY. Fouché, le 27 frimaire an XII, entretient son ami, devenu préfet des Bouches-du-Rhône, des revenus de sa sénatorerie d'Aix. Fouché à Thibaudeau, 27 frimaire an XII.

[13] Mém. de Fouché, I, 287, 288. THIBAUDEAU, qui est ici l'écho de Fouché, son ami, dit également (Histoire, III, 7) que le Premier Consul a fait don à son ministre disgracié d'une somme de 1.200.000 livres, reliquat de la caisse des jeux.

[14] Joséphine s'en lamentait près de Bourrienne (BOURRIENNE, p. 30), et tandis que THIBAUDEAU (Histoire, III, 7) se fait l'organe des regrets exprimés par les hommes de la Révolution, l'agent du comte de Lille ne dissimule pas les craintes et la peine du monde bien pensant. L'agent à Louis XVIII, 4 et 14 août 1802. REMACLE, 88 et 100 ; Mme DE CHÂTENAY constate aussi cette crainte générale, II, 44.

[15] On prétend qu'il avait la vigueur de se refuser à des actes arbitraires, et que Dubois ne s'opposera à rien, écrit, le 14 avril, l'agent royaliste, cependant hostile à Fouché (REMACLE, 100), et le 1er octobre 1802 : On ne croit pas que les émigrés gagnent au change, car les constitutionnels (Rœderer et autres) ont pour eux bien plus d'aversion que les jacobins. REMACLE, 129.

[16] Lui-même, dans une note retrouvée dans les papiers confiés à Gaillard, faisait valoir les résultats heureux de sa politique vis-à-vis des jacobins, dont quelques sacrifices légers entretiennent la confiance, et auxquels on offrit les moyens de mourir avec grâce, tandis que le même ministre forçait les chouans et les émigrés d'espérer en lui ; et plus d'une fois, ajoute la note, Bourmont et Méhée se sont frôlés l'un contre l'autre dans les défilés de son hôtel..... Enfin, en se prononçant pour les prêtres constitutionnels, il a entretenu un zèle qui était nécessaire encore, tranquillisé ces prêtres sur la rentrée de leurs ennemis et préparé pour le gouvernement le moment où il sera possible de fondre les uns et les autres dans une même constitution.

[17] Almanach national, an XI et an XII. Il avait avant l'hôtel de Juigné lt l'aria la rue de la Convention, puis la rue Saint-Honoré ; ce ne fut que sous l'Empire qu'il acquit l'hôtel de la rue Cerutti (rue Laffitte), devenu en 1809 l'hôtel d'Otrante, et qu'il conserva jusqu'en 1819.

[18] BARRAS, III, 71 (cf. notre ch. VIII), et MONTI, Lettres, t. I, p. 798 (cf. notre ch. VIII).

[19] Fouché à Gaillard, 12 mars 1817.

[20] Fouché à Gaillard, 28 août 1820 (Papiers de Gaillard).

[21] On ne la voit guère apparaitre dans la vie publique de son mari. Je relève dans le carton F7, 6356, une lettre d'un détenu politique à Mme Fouché pour implorer sa mise en liberté. Fouché et sa femme paraissent avoir été en cette circonstance peu disposés à encourager ce genre de requête. Celle-là fut transmise par voie officielle au préfet de police, non appuyée par la femme du ministre et rejetée finalement. Elle parut peu dans le inonde, étant très éprouvée par la naissance assez précipitée de sept enfants. Eu 1808, Fouché dit dans une note à l'Empereur que lui-même n'allait pas dans le monde à ce moment en raison de la mauvaise santé de sa femme. A FIV, 1503.

[22] Fouché à Thibaudeau, 8 nov. 1812 ; Corr. inéd., communiquée gracieusement par M. Étienne Charavay.

[23] Mme DE CHÂTENAY, II, 40.

[24] Mme DE CHÂTENAY, II, 40.

[25] Antoine Jay, né en 1770, avait été l'élève de Fouché à Niort ; revenu en France en 1803 après un long séjour en Amérique, il accepta de devenir le précepteur des fils de Fouché et son secrétaire. Il resta à son modeste poste jusqu'en 1810, époque où nous le verrons solliciter du duc de Rovigo un poste à la police qui lui permit probablement d'instruire son ancien patron de ce qui se passait à Paris. Il se mit alors à écrire... Devenu, en mai 1815, député de Bordeaux à la Chambre, il y fut avec Manuel l'homme du duc d'Otrante. Il prit la direction de l'Indépendant, organe officieux du ministre, puis du Constitutionnel, et y mena, durant la Restauration, une campagne violente an nom du parti libéral, restant en relation avec Fouché exilé.

[26] Fouché à Gaillard, 25 avril 1818 (Papiers inéd. de Gaillard).

[27] L'amie de la maison, suivant les termes de Mme DE CHÂTENAY, II, 51.

[28] BARDOUX, Madame de Custine.

[29] Mme DE CHÂTENAY, passim.

[30] Elle avait été mise en relation avec les Fouché par Joséphine.

[31] Bulletin de police, 20 juillet 1814, F7, 3763.

[32] Mme DE CHÂTENAY, II, 40.

[33] Note l'un agent anglais, citée par DE MARTEL, Historiens fantaisistes ; Conspiration de Georges, p. 27. On ne parle plus de Fouché, écrivait encore un agent du comte de Lille le 3 novembre 1802 ; REMACLE, 166.

[34] Nous allons voir qu'il était l'ami des Fresnière et des Lajolais, sous-ordres de Moreau ; rn juillet 1803, le bruit courait qu'il avait conçu un projet de révolution républicaine de complicité avec Sieyès et Masséna (Note de l'agent royaliste, 16 juillet 1803). En même temps, il affichait une vive indignation de l'exil de l'abbé de Montesquiou, un des représentants de Louis XVIII (8 octobre 1803, REMACLE, 354 et 416), et, allant plus loin, accueillait en mars 1803 avec bienveillance la visite singulière des deux chouans d'Andigné et Suzannet, échappés des prisons où, ministre, il les avait fait enfermer (Note du 30 mars 1803). REMACLE, 281 et d'ANDIGNÉ, Mém., II, 121-2.

[35] Mém. de Fouché, I, 279. Procès-verbaux du Sénat, A. N., C C 2-3. Il n'y est fait mention de Fouché entre la séance du 29 fructidor où il prend séance jusqu'au 2 germinal an XII qu'à la séance du 5 complémentaire an XI, où il est désigné au scrutin comme candidat à une sénatorerie. (Note de la 2e édition.)

[36] Acte constitutif de la commission, 13 frimaire an XI (3 décembre 1802) : A. N., A FIV, 78, pl. 448. Sur cette négociation assez compliquée, cf. les longues pages de Rœderer, collègue de Fouché dans la commission (Œuvres, III, 454, 469), et les Mém. de Fouché, 290, 296.

[37] Registre des invitations. Bibl. nationale, Mss. N. A., FIII 98.

[38] BOURRIENNE, 37 ; DE MARTEL, Conspiration de Georges, 46, 49. HUON DE PENANSTER (p. 21), qui a cependant exagéré la part que Fouché put avoir aux événements de 1803-1804, montre bien, d'autre part, à quel point la police officielle elle-même avec les Chépy et autres agents restait dans les mains de l'ex-ministre. Quant à l'existence de la police officieuse de Fouché pour le compte de Bonaparte, FAURIEL (p. 165) affirme qu'elle n'avait rien de gratuit : il recevait, dit-il, 12.000 francs par mois. Fauriel ne fait qu'exagérer. L'agent royaliste savait que Fouché recevais 25.000 francs pour une police particulière. (Note du 18 mars 1804). REMACLE, 319.

[39] Lord Withworth à son gouvernement, mars 1803, cité par DE MARTEL, d'après les documents diplomatiques anglais : Conspiration de Georges, p. 25. Il est bien vrai que son influence était même assez grande : l'agent royaliste, qui en signalait l'importance, en citait çà et là quelques exemples : c'est ainsi que Régnier ayant voulu faire révoquer les chefs du bureau jacobins du quai Voltaire, Fouché consulté par Bonaparte les fit maintenir (l'agent royaliste, 28 décembre 1802 ; REMACLE, 213). Il profitait de cette influence pour dénoncer des projets d'attentat, dans le but de s'emparer de son maitre et de le dominer à son gré. (1er juillet 1803 ; REMACLE, 336.)

[40] Dès la nouvelle d'une guerre avec l'Angleterre, on avait parlé du rétablissement probable et désirable du ministère de la Police et du rappel de Fouché (Note de l'agent royaliste, 9 mai 1803 ; REMACLE, 311.)

[41] Mém. d'une contemporaine. 282-283.

[42] On ne peut admettre la théorie qui fait le fond du livre de M. Huon de Penanster, Une conspiration en l'an XI et XII, d'après laquelle Fouché eût forgé de toutes pièces le complot Moreau-Cadoudal-Pichegru. Aucun document sérieux ne permet de partager une pareille opinion. Bourrienne, qui l'a le premier propagée, est très haineux contre Fouché ; on sait, du reste, ce qu'il faut penser de ses Mémoires. Dans une étude récente et très consciencieuse sur Le Complot de l'an XII (Rev. hist. 1901-1902), M. Gaudrillier se rallie à notre opinion. Il est réduit aux hypothèses sur la participation de Fouché et ne voit rien qui permette d'éclairer le rôle de Méhée, agent de Fouché, au dire de M. Huon de Penanster. (Note de la 2e édition.)

[43] BOURRIENNE, V, 308. Il fut également admis, s'il faut en croire Gaillard (Papiers inédits), dans le conseil privé qui, par la suite, décida la grâce de plusieurs complices de Moreau.

[44] SAVARY (II, 96) prétend que Fouché fit tout pour amener ce dénouement. Sur l'agitation en faveur de Moreau, cf. ch. XIV.

[45] PASQUIER (I, 173) dit tenir de Cambacérès (cf. ch. XIV) que dans certains moments Régnier avait jeté dans l'âme de Bonaparte une réelle terreur : Fouché en profitait.

[46] BOURIENNE, V, 274 ; PASQUIER, I, 173.

[47] Propos rapportés par Gaillard (Papiers inédits), d'après Duroc. De fait, d'après l'amie de d'Antraigues (lettre du 11 juillet 1804), Fouché avait manifesté l'avis que Moreau et ses complices ne devaient pas être jugés à Paris et de la façon dont ils le furent. (PINGAUD, 202, 283.)

[48] Balzac, qui se faisait de Fouché une idée particulièrement odieuse, l'a admise : mais lui qui est souvent bien renseigné l'est bien mal sur ces circonstances, puisqu'il nous apprend que Fouché avait en 1802 été remplacé par Cochon de Lapparent (Ténébreuse affaire, p. 55).

[49] WELSCHINGER, Le duc d'Enghien, p. 265.

[50] Lewis GOLDSMITH, Histoire secrète du cabinet de Napoléon Bonaparte ; Londres, 1814.

[51] Bonaparte à Réal, 12 ventôse an XII ; Corr., IX, 7584. En outre, au Sénat où jusque-là il n'avait joué qu'un rôle occulte et où on semblait l'éloigner des commissions. il est à la séance du 2 germinal an XII élu à la commission chargée d'examiner les pièces relatives à l'affaire soumises par le Grand juge au Sénat (A. N., C C 3). (Note de la 2e édition.)

[52] BOURRIENNE, V, 303.

[53] Les temps avaient changé, et tout change avec eux, écrira-t-il en 1819 à Molé. (Fouché à Molé, 1er janvier 1819.) Papiers Gaillard.

[54] SAVARY, II, 103 ; PELET DE LA LOZÈRE, Opinion sur Napoléon, 51.

[55] M. AULARD a découvert et déchiffré de concert avec le regretté Étienne Charavay un brouillon tout à fait intéressant de la délibération dont il est ici question (A. N., A FIV, 1227). Ce brouillon a été écrit par Maret pendant la délibération. M. Aulard qui, nous l'espérons, publiera sous peu in extenso cette pièce d'un intérêt capital, en donne un court résumé dans son Histoire politique de la Révolution, p. 772. Je renvoie pour tout cet épisode aux pages à la fois si neuves, et si claires qu'il consacre à l'institution de l'Empire, p. 770-773. (Note de la 2e édition.)

[56] A. N., C C 3, séance du Sénat du 6 floréal.

[57] BOURRIENNE, VI, 174 ; FAUCHE-BOREL, III, 219, 223. Fiévée à l'Empereur, août 1804, II, 35 ; BOURRIENNE (II, 279) dit de son côté que l'opinion publique était favorable à Fouché jusqu'à l'exagération. Joséphine s'en fit l'organe en suppliant l'Empereur de reprendre Fouché (SAVARY, IV, 238).

[58] Le chevalier de Larue à Fouché, 25 messidor an XII ; A. N., F7 6251.

[59] Rapport du préfet de police, 17 messidor an XII ; A. N., F7, 3832.

[60] Fouché à Joseph Bonaparte, mai 1804. (Revue des autographes, mai 1874).

[61] GAILLARD, Mém. inéd. Gaillard, alors encore président à Melun, étant venu saluer son précieux ami, recueillit de sa bouche les détails qui précèdent.

[62] Moniteur du 22 messidor an XII (11 juin 1804). Le 21 au soir, le secrétaire d'État Maret informait Fouché de sa nomination officielle et lui signifia, au nom de l'Empereur qu'il eût à prendre, dès le lendemain 22, possession de son portefeuille et à prêter serment de fidélité entre ses mains. Maret à Fouché 24 messidor an XII (LUMBROSO, Miscellanea, série IV).