LA FRANCE DU DIRECTOIRE

Conférences prononcées à la Société des Conférences en 1922

 

PRÉFACE.

 

 

Ce petit volume n'est que le recueil des cinq conférences que la Société des conférences avait bien voulu me demander pour l'hiver de 1922. Je n'ai rien entendu y changer. Je leur ai donc gardé le style forcément un peu familier ici, un peu oratoire là, qui est celui des conférences, et je veux m'en excuser.

En principe, une conférence ne devrait pas être publiée. Car rien ne doit être plus différent d'une page écrite qu'une page parlée. L'auditoire est là, devant vous ; il apporte ses préoccupations de l'heure, et ses désirs aimantent, si j'ose écrire, le conférencier. A quoi prétend celui-ci ? A l'instruire, mais aussi à le distraire, à l'intéresser, à l'émouvoir suivant les cas. Le conférencier, s'il veut que son auditoire soit tout à lui, doit être tout à son auditoire. S'il écrit sa conférence, il faut qu'il l'écrive pour les auditeurs qu'il attend ; et, devant eux, il en modifie encore forcément non point le fond, mais la forme. S'il en est autrement, il parle comme un livre et rien n'est plus ennuyeux.

Mais, par contre, quand l'impression a figé cette causerie, ceux qui ne l'ont pas entendue la trouvent parfois d'un style trop lâché ou trop grandiloquent ; le courant qui s'établit entre le conférencier et ses auditeurs est rompu. Le lecteur n'a pas les indulgences de l'auditeur qu'on entraîne avec soi.

Ce sont les auditeurs cependant qui, la plupart du temps, sollicitent le conférencier de commettre la faute à laquelle je me laisse aujourd'hui entraîner. Par un excès de bienveillance, ils veulent lire ce qu'ils ont entendu. Comme ils ont bien voulu parler à leurs amis du conférencier qui a eu la grande chance de leur plaire, ces amis entendent que la salle trop étroite, à peine fermée, se rouvre en s'élargissant. Une revue vous sollicite de leur livrer votre causerie : aussi sera-t-elle entendue de gens qui ne se plaindront jamais, ceux-là, d'être mal placés. On cède ; on publie la conférence en une revue. Mais alors d'autres gens vous écrivent. Ils ne sont pas abonnés à la revue ; ils n'en ont lu qu'un numéro ; ils voudraient avoir la suite des conférences. On cède encore et on publie un recueil. Ainsi glisse-t-on sur la pente fatale.

L'auteur ici s'en laisse peut-être accroire. Les sollicitations qui l'ont entraîné à la faute ne sont peut-être qu'une forme délicate de la politesse. Il serait fâcheux qu'il eût pris des amabilités pour des sollicitations et un vœu gracieusement exprimé pour un désir très vif. Mais quoi, nous sommes gens de lettres et le faible de l'homme de lettres est de croire trop facilement à de flatteuses paroles. Bref, voici des conférences qui, ayant paru dans la charmante Revue de la Semaine, voient le grand jour de la librairie. Que, sous ce grand jour, elles ne paraissent point trop déplacées.

Les transformer en articles, puis en chapitres, il n'y faut point songer. Elles y perdraient le peu de saveur qu'elles peuvent avoir. Non, les voici telles qu'elles ont été dites. Je supplie le lecteur de se faire l'âme d'un auditeur et, s'il y consent, je me sentirai plus rassuré.

Et cette publication aura au moins une conséquence heureuse. Elle me permet de remercier la Société des conférences qui, trois années de suite, a bien voulu faire appel à un ami. Chaque fois j'ai protesté, très sincèrement, du trouble où me jetait la perspective d'aborder cette table que de si grands maîtres de la parole et de la plume ont illustrée, devant un auditoire habitué à n'applaudir que l'élite de nos écrivains et de nos orateurs. Qu'il s'agît de retracer les étapes de la victoire, au lendemain de la guerre, d'évoquer la figure de Napoléon au centenaire de sa mort, d'ébaucher en une série de tableaux la peinture de la France du Directoire, j'ai toujours soumis à M. René Doumic des scrupules qu'il a vaincus. Car M. René Doumic, qui est un merveilleux directeur de conférences, est irrésistible. Le public de la Société des conférences m'a fait un accueil si indulgent qu'après chaque série, j'ai dû remercier M. René Doumic de m'avoir vaincu. Mais il me faut aussi remercier très chaudement mes auditeurs.

Les auditeurs instruisent souvent le conférencier plus qu'il ne les instruit. Ainsi les miens m'ont-ils appris qu'ils trouvaient à la France du Directoire quelques rapports avec celle qui s'agite, politique, s'amuse et souffre aux heures d'aujourd'hui. Ils soulignaient parfois des passages où, en toute bonne foi, je n'avais mis nulle allusion et où ils croyaient en découvrir. Je ne trouve pas que la France d'aujourd'hui ressemble à la France du Directoire. Elle est infiniment plus belle, plus saine, plus forte et nul n'y cherche de l'œil le chef de guerre qui sauvera l'État, parce que la France a vu qu'elle se pouvait sauver toute seule.

La seule préoccupation actuelle, que, personnellement, j'aie pu apporter à ces causeries, a été de montrer, très précisément, que si bas que paraisse notre pays, il arrive une heure où il se dégage, se relève, reprend sa marche et, à l'étonnement de ceux qui l'estimaient perdu, s'élève aux sommets quand, la veille encore, on le croyait à tout jamais sombré dans les bas-fonds.

Qu'il y ait par ailleurs des analogies, j'en conviens. Mais il y a bien longtemps qu'on dit qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil.

Mon maître et ami Albert Vandal, lorsqu'il eut publié son admirable ouvrage l'Avènement de Bonaparte, s'indignait devant moi que des gens, qui d'ailleurs le croyaient flatter, lui attribuassent l'intention d'avoir voulu faire des allusions. Il estimait que c'eût été ravaler l'histoire. Je partage cette façon de voir. L'historien écrit ce qu'il croit être la vérité : si le public se livre au petit jeu, toujours piquant, des rapprochements, c'est assez naturel. Et la chose pourrait même n'être pas sans avantage si, s'élevant au-dessus des analogies qui l'amusent, il cherchait à tirer de ce qu'il a lu une leçon. Il est certain que l'histoire serait une science un peu vaine si elle ne donnait que des renseignements. Peut-être peut-elle prétendre donner des enseignements. Elle en donne, — mais on ne les écoute pas. Ce qui ramène l'historien à la vraie sagesse, — c'est-à-dire à la modestie.

 

Louis MADELIN