Observations sur l’histoire des Grecs

 

LIVRE DEUXIÈME

 

Rivalité entre Athènes et Lacédémone. Examen de l’administration de Cimon et de Périclès. De la guerre du Péloponnèse. Décadence des Spartiates. L’empire qu’ils ont acquis sur la Grèce est détruit par les Thébains.

 

 

Les Grecs uniquement bornés à eux-mêmes avant la guerre de Xerxès, n’eurent presque aucune liaison avec leurs colonies, ni aucune alarme de la part des étrangers. Leur repos n’avait encore été troublé que par quelques différends qui s’étaient élevés quelquefois entre deux villes voisines ; n’ayant eu par conséquent occasion que d’employer leurs forces de terre, ils faisaient peu de cas des vaisseaux et des matelots qui n’avaient servi qu’aux affaires du commerce. Mais à peine eurent-ils échappé au danger que leur avait fait courir la cour de Perse, qu’ils craignirent qu’elle ne voulût se venger de ses défaites, et regardèrent comme l’objet le plus intéressant pour eux de s’unir avec leurs colonies des îles et de l’Asie mineure, de les protéger, et de s’en faire en un mot une barrière qui les couvrît.

Dès lors les forces de mer dont la bataille de Salamine avait déjà fait connaître l’importance, durent être infiniment plus considérées que celles de terre. Non seulement elles formaient un boulevard formidable aux barbares, et étaient propres à étendre la réputation de la Grèce, elles servaient même de lien nécessaire pour la tenir unie à ses colonies, et ne faire qu’un corps d’une foule de peuples séparés par la mer.

On s’aperçoit sans doute que cette nouvelle manière de penser portait atteinte à la constitution fondamentale des Grecs, puisque Sparte se trouvait dégradée par la seule raison qu’elle n’avait ni vaisseaux, ni matelots, ni fonds nécessaires à l’entretien d’une marine ; tandis qu’Athènes, à la faveur de ses flottes nombreuses attirait au contraire sur elle tous les regards, et semblait avoir déjà usurpé la prééminence dont sa rivale était en possession.

Lacédémone aurait évité la chute dont elle était menacée, si elle se fût conduite selon ses vrais intérêts, mais l’orgueil des Athéniens l’aigrit, et elle ne consulta que ses passions. Les Spartiates avaient été assez jaloux de l’éclat que jeta Athènes après l’exil des Pisistrates, pour tenter de lui donner un maître en rétablissant Hippias ; de-là il est aisé de juger qu’ils ne purent lui pardonner la bataille de Salamine, et de leur avoir dérobé la gloire de délivrer la Grèce. Ils virent avec une joie secrète la ruine de cette république, et quand ses citoyens y ramenèrent de Salamine et de Tresene leurs femmes et leurs enfants, on voulut les empêcher de relever leurs murailles. Les Lacédémoniens, au rapport de Diodore, prétendaient qu’il était de l’intérêt des Grecs qu’Athènes ne fût pas fortifiée. Si Xerxès, disaient-ils, nous fait une seconde fois la guerre, les Athéniens seront encore obligés d’abandonner leur ville ; mais les Perses instruits par l’expérience, ne manqueront pas de s’en saisir et d’en faire une place d’armes, qu’il sera impossible de leur arracher ; et d’où ils tiendront toute la Grèce en échec. Athènes en effet pour fruit de la générosité avec laquelle elle s’était dévouée au salut des Grecs, n’aurait été qu’une place ouverte et sans considération, si Thémistocle, comme tout le monde le sait, n’eût réussi à rétablir sa patrie en trompant les Lacédémoniens.

Loin de montrer une jalousie inquiète, c’était en inspirant une confiance générale, que Sparte devait affermir les fondements d’une union dont elle retirait le principal avantage. Le premier soin d’une puissance qui tient le premier rang dans une confédération telle que celle des Grecs, c’est de lui inspirer ses sentiments ou d’adopter les siens, afin de paraître toujours à la tête des affaires. Il fallait qu’attentifs à tous les mouvements de la Grèce, les Lacédémoniens se hâtassent de prendre le parti vers lequel ses nouveaux intérêts l’inclinaient. En effet s’ils eussent recherché les premiers l’alliance des colonies, qui pour la plupart étaient puissantes sur mer, ils auraient imposé à Athènes ; cette république orgueilleuse se serait contentée de la seconde place. Mais profitant de cette lenteur, ou plutôt de cette espèce d’engourdissement, que l’histoire reproche à sa rivale, elle offrit son alliance et sa protection aux Grecs établis dans les îles et sur les côtes de l’Asie mineure, et avec leur secours, elle parvint à partager l’empire de la Grèce, c’est-à-dire à commander sur mer comme les Spartiates commandaient les armées sur terre.

Tandis que tout favorisait l’ambition des Athéniens, Lacédémone par une imprudence nouvelle, hâta elle-même sa décadence. Elle avait chargé Pausanias du commandement de l’armée destinée à faire la guerre en Asie ; et ce général qui s’était laissé corrompre par les lieutenants de Xerxès, se comportant avec autant de dureté à l’égard des Grecs que de ménagement envers les ennemis, excita un soulèvement universel contre lui. Les Spartiates crurent qu’il fallait appesantir leur joug à mesure qu’on essayait de le secouer, et ils rejetèrent les plaintes qu’on leur porta. Cette conduite fut comparée à celle d’Athènes où Aristide et Cimon avaient alors la principale influence, et dont ils faisaient respecter le gouvernement par leur justice et leur générosité. Tous les Grecs, à l’exception de ceux du Péloponnèse, implorèrent la protection des Athéniens, et pour se délivrer de la tyrannie de Pausanias, leur offrirent de ne plus aller à la guerre que sous leurs ordres.

Je n’ai parlé que de l’abaissement de Sparte : mais on doit sentir que portant atteinte au gouvernement général des Grecs, il annonçait leur ruine entière. Une révolution aussi subite est toujours accompagnée d’une confusion extrême ; les lois, les mœurs, les usages, les intérêts, tout alors le contredit ; et la Grèce dans ce chaos devait recevoir des secousses d’autant plus violentes que ses villes étaient plus maîtresses de leur conduite. Quand Athènes aurait été plus propre que sa rivale même à être à la tête d’une confédération, les Grecs et leurs colonies n’auraient-ils pas fait une faute énorme, en la retirant par leur alliance du rang subalterne où elle devait être ? Il était impossible que Lacédémone toujours attachée à ses anciens principes, et qui avait augmenté sa réputation, s’accoutumât à n’être plus la capitale de la Grèce ; elle était trop fière pour consentir à déchoir. Cependant Athènes enflée de ses succès, dévorée, comme je l’ai dit, d’ambition, disposée à tout oser, qui aime les projets hardis, qui se lasse de ce qu’elle possède pour courir après ce qu’elle n’a pas, et que ses alliés mettaient en état de faire partout la loi, ne devait-elle pas défendre son empire naissant et l’affermir par toutes sortes de voies ? Dès que la guerre serait allumée entre ces deux républiques, la Grèce se retrouvait exposée à tous les désordres dont elle avait été autrefois agitée. N’était-il pas à craindre qu’elle fût opprimée par le vainqueur ; puisque enfin c’était l’ambition qui lui aurait mis les armes à la main ? D’un autre côté il n’y avait plus de sûreté pour les colonies, et les divisions de leurs métropoles les exposaient à toutes les injures des Perses.

Malgré la diversité d’intérêts qui divisait Athènes et Sparte, l’ancien esprit du gouvernement leur faisait faire par habitude mille efforts pour n’en pas venir à une rupture où la force des circonstances et des soupçons toujours renaissants les conduisaient nécessairement. Elles se bornaient à s’observer et à s’inquiéter, parce qu’à l’exemple des autres villes, elles étaient accoutumées à s’appeler elles-mêmes les deux pieds, les deux bras, ou les deux yeux de la Grèce. Ces expressions imposaient à l’imagination des Athéniens et des Spartiates, et ils en concluaient que si l’une ou l’autre des deux républiques eût péri, la Grèce aurait été boiteuse, manchote ou borgne.

Lacédémone avait raison de ne pas s’abandonner aux mouvements que lui inspirait sa jalousie. Elle était trop faible pour abaisser un ennemi qui serait secondé des forces de toute la Grèce, qui était encore gouvernée par les hommes extraordinaires que lui avait formés la guerre des Perses, et dont les succès avaient augmenté la confiance et le courage. Elle devait recouvrer l’empire par les mêmes voies qui le lui avaient autrefois donné. C’est-à-dire, que si elle se fût renfermée dans son ancienne modération, Athènes corrompue par sa prospérité lui aurait bientôt fourni une occasion favorable de l’accabler.

En effet le fondement de toute grandeur, c’est un gouvernement dont la sagesse unisse tous les citoyens, qui fasse respecter les lois, qui force le particulier à chercher son avantage personnel dans le bien public, qui déploie les talents par l’émulation, et fournisse de son propre fond tout ce qui est nécessaire pour mettre à profit les faveurs de la fortune, ou pour la dompter en résistant courageusement à ses premiers caprices. Il s’en fallait bien que le gouvernement des Athéniens fût tel. Si la tyrannie des Pisistrates et la crainte de Xerxès leur donnèrent des vertus, la prospérité devait leur rendre leurs vices. La pure démocratie est le plus mauvais des gouvernements ; et c’est la pure démocratie qui régnait à Athènes.

Quel avantage la république retirait-elle de ses magistrats,puisqu’elle n’avait aucune jurisprudence certaine, et que le peuple qu’il est si aisé de gagner ou de tromper, était le maître de réformer leurs sentences, et portait en effet souvent des jugements contradictoires ? Solon n’avait pu raisonnablement se flatter de fixer ses concitoyens à de certaines maximes, quoiqu’il eût créé un sénat qu’il chargea de préparer les matières qu’on devait porter aux assemblées du peuple. Il avait ruiné son ouvrage en permettant à tout citoyen âgé de cinquante ans de haranguer dans la place publique. L’éloquence devait se former une sorte de magistrature supérieure à celle des magistrats ; et à la faveur d’une transition familière à son art, l’orateur égarait les esprits sur des objets étrangers, et dictait les décrets auxquels le sénat était assujetti. L’aréopage rétabli dans ses anciens droits par Solon, exerçait une censure inutile dans la république. Comment eût-il été possible de régler les mœurs d’un peuple accoutumé par la faute des lois, à un libertinage d’esprit qui avait enfin formé le fond de son caractère, et le rendit incapable de toute tenue. De là vient que les Athéniens eurent tour à tour toutes les vertus et tous les vices, et même dans ce degré éminent où ils devraient mutuellement s’exclure. Ce peuple auquel on reproche les injustices les plus criantes, est quelquefois juste comme Aristide. Après s’être élevé jusqu’aux vues sublimes de Thémistocle, il est la dupe des intrigues de Périclès qui le subjugue. Il est brave avec Cimon, timide avec Nicias, insolent avec Cléon, et téméraire avec Alcibiade.

Les mêmes factions qui avaient autrefois troublé Athènes, devaient nécessairement encore la diviser. La loi d’Aristide par laquelle il était permis à tout citoyen d’aspirer aux magistratures, inspirait un orgueil immodéré au peuple, et l’exhortait à secouer le joug des grands, qui de leur côté s’étant accoutumés à gouverner depuis le bannissement des Pisistrates, regardaient leur possession comme un titre légitime et incontestable de leur autorité.

Si l’espérance de voir bientôt reprendre aux vices des Athéniens leur cours ordinaire, devait tempérer la jalousie de Lacédémone ; les désordres qui menaçaient sa rivale étaient au contraire un motif bien puissant pour la porter à une prompte rupture. Il fallait que les Athéniens se hâtassent de faire la guerre pour n’avoir pas à la fois sur les bras deux ennemis aussi redoutables que leur corruption et les Spartiates. Indépendamment de cette observation, que l’orgueil d’Athènes ne lui permettait pas de faire, elle devait sentir qu’elle ne pouvait conserver sa nouvelle grandeur sans l’accroître ; ni affermir son empire sur la Grèce qu’autant que les Spartiates seraient assez humiliés pour renoncer à leurs prétentions et perdre le souvenir de leur gloire passée.

Dans une conjoncture aussi critique, ce ne fut point un homme capable de les conduire qui manqua aux Athéniens. Jamais politique ne sut mieux que Thémistocle démêler les différences les moins sensibles d’un intérêt politique, ni prévoir l’issue des évènements ; et quand les lumières lui auraient manqué, la haine seule qu’il portait aux Lacédémoniens, lui en auraient tenu lieu. Mais il paraissait déjà un commencement de corruption dans Athènes. Méconnaissant la cause de sa prospérité, cette république ne voulait pas des conseils, mais des flatteries ; et Thémistocle avait trop d’élévation dans l’âme pour se réduire à faire le rôle de courtisan auprès d’une multitude capricieuse. On compara sa conduite austère et réservée aux manières populaires de Cimon ; les profusions de celui-ci firent passer l’économie de l’autre pour une avarice sordide. En un mot les Athéniens abandonnèrent Thémistocle, qui n’avait que sauvé la république pour s’attacher à Cimon qui la vengeait, en portant ses armes jusques chez les Perses. Afin de se déguiser leur ingratitude, ou de la justifier, ils écoutèrent les cabales de ses ennemis, feignirent de le craindre, et l’exilèrent.

Cimon avait toutes les vertus d’un bon citoyen, et les talents les plus rares et les plus nécessaires à la guerre. Actif, vigilant, infatigable, il eut l’avantage singulier de remporter le même jour deux victoires, l’une sur mer et l’autre sur terre. Mais quoi qu’en dise Plutarque, peu juge dans cette partie, il s’en fallait beaucoup qu’il égalât Thémistocle dans la science du gouvernement. S’il eut raison de porter la république à délivrer les colonies grecques des garnisons que les barbares tenaient dans leurs villes, il eut tort dans la suite de s’être laissé entraîner par le préjugé général, qui faisait regarder les Perses comme les plus grands ennemis de sa patrie. Peut-être que sans se rendre raison à lui-même de sa conduite, il s’opiniâtra à porter la guerre en Asie, parce qu’elle procurait à Athènes un butin considérable, et à ses armées une gloire aisée à acquérir.

Cependant si ce n’était pas une imprudence de la part des Athéniens, que d’irriter et pousser à bout une puissance telle que la Perse, qui n’était faible que par la stupidité de son roi, et parce que la crainte engourdissait ses forces ; c’était du moins une chose inutile à leur fortune, que de poursuivre dans l’Asie et dans l’Égypte les ennemis communs de la Grèce, et de négliger leurs ennemis particuliers qui étaient à leurs portes. Qu’importait-il à cette république de gagner des batailles qui ne la rendaient plus puissante ni sur mer ni sur terre, et qui en donnant une trop grande sécurité à ses nouveaux alliés, leur rendait au contraire son alliance moins nécessaire ?

On ne peut s’empêcher de blâmer l’administration de Cimon ; car s’il jugeait que la haine d’Athènes et de Sparte était irréconciliable, et qu’on ne ferait que de vains efforts pour empêcher une rupture inévitable, pourquoi n’a-t-il pas profité des circonstances les plus favorables pour abaisser les Lacédémoniens ? Au lieu d’aigrir les Grecs contre ce peuple, et de les préparer à un coup d’éclat, il n’entretient même pas les sentiments d’indignation où ils étaient contre Sparte et Pausanias, quand il parvint à la tête des affaires. La Laconie essuya un tremblement de terre qui y fit périr plus de vingt mille hommes ; et Cimon ne songea pas à profiter de cet avantage. Les hilotes secondés des Messéniens, se révoltèrent : et Cimon se tût tandis que l’orateur Éphialtes voulait qu’on laissât succomber Lacédémone. Un politique plus ferme et plus adroit eût même prétendu qu’il fallait encourager et aider ces esclaves rebelles, et il n’aurait pas manqué de donner à cette entreprise les couleurs les plus avantageuses, en représentant les Spartiates comme des tyrans barbares qui foulaient aux pieds l’humanité et contre lesquels tous les hommes devaient également se soulever. Cimon, loin d’ouvrir les yeux sur les intérêts de sa patrie, se déclara le protecteur de Lacédémone, dont il aimait et respectait les vertus. Il engagea les Athéniens à lui donner du secours et à lui pardonner l’injure dont elle paya leur zèle, en les soupçonnant d’être des amis secrets de ses esclaves.

Si ce général pensait qu’on pût rétablir l’ancienne liaison des deux républiques, et éteindre leur jalousie, en laissant à l’une l’empire de la terre, et en donnant à l’autre l’empire de la mer ; que ne travaillait-il conformément à ce plan ? Mais il n’y songea jamais. Il se comporta comme si les intérêts de sa patrie n’avaient point changé ; et c’est ce qui doit le faire regarder comme un homme qui se laissant entraîner au fil des affaires courantes, fit la guerre en grand capitaine, mais en politique médiocre.

Les absences fréquentes de Cimon ébranlèrent d’autant plus aisément son crédit qu’il osait quelquefois dire des vérités dures au peuple, et s’opposer à ses desseins. Attaché secrètement au parti des grands dont il favorisait les prétentions, il tâchait de rappeler à eux la principale autorité, et ne négligeait aucune occasion de soutenir la dignité des magistratures. Périclès, peut-être plus ennemi que lui de la démocratie, flatta la multitude, pour lui rendre suspect un homme dont la ruine devait faire son élévation. Capable d’emprunter les sentiments qui lui étaient les plus étrangers, d’embrasser à la fois plusieurs objets, et de les combiner avec une précision extrême, une justesse exquise d’esprit lui fournissait toujours les moyens les plus sûrs pour parvenir à son but. Grand capitaine, grand homme d’état, plus grand orateur encore, Athènes n’avait point encore eu de citoyen qui eut réuni plus de talents ; mais toutes ces qualités employées à servir son ambition, devinrent funestes à sa patrie.

Périclès avait remarqué que par un mélange de désintéressement et de cupidité, de fermeté et de faiblesse, ses prédécesseurs dans le gouvernement de la république, avaient toujours été eux-mêmes la cause de leur ruine. Au lieu de suivre leur exemple, d’être à demi vertueux ou méchant, de s’occuper tantôt du seul bien public et tantôt de sa fortune particulière, d’irriter le peuple d’un côté, et de lui faire de l’autre une cour servile ; il se fit une loi constante de toujours tout sacrifier aux intérêts de son ambition. Comme il s’agissait de rendre moins frappantes les prodigalités de Cimon en les égalant, et qu’il ne jouissait cependant que d’une fortune médiocre, il imagina d’être prodigue des richesses de l’état. Il fit donner au peuple des rétributions pour assister aux spectacles et aux jugements. La multitude dont la fureur de juger s’empara, ne quitta plus la place publique que pour courir aux spectacles. Elle voulut connaître de tous les jugements des tribunaux, et ne s’occupant que des différends des particuliers, elle laissa une autorité sans bornes à Périclès dans l’administration des affaires générales.

Ce maître du peuple était trop habile pour compter sur sa faveur, s’il ne travaillait continuellement à s’affermir. Il était l’âme de la république, il tenait les grands asservis par l’avilissement où il avait jeté l’aréopage et toutes les magistratures, rien ne se décidait que par son inspiration : mais quelque puissante que fût son éloquence, un revers pouvait démentir l’orateur, donner un mouvement convulsif aux Athéniens en les retirant de leur ivresse, et renverser enfin leur idole.

Périclès le sentit, et le grand art de ce politique adroit consista à n’embarquer la république que dans des entreprises dont le succès parût certain. Dès lors il fut incapable de réparer la faute que j’ai reprochée à Cimon. Loin de songer à attaquer Lacédémone, il vit au contraire avec chagrin que la jalousie de cette république contre les Athéniens s’augmentait de jour en jour. Il jugea que si les Lacédémoniens, secondés des forces du Péloponnèse, en venaient à une rupture ouverte, la qualité de chef d’Athènes deviendrait un fardeau trop pesant, et qu’il succomberait peut-être sous les embarras d’une guerre contre un peuple qu’on croyait invincible.

Périclès n’eut d’autre ressource que d’introduire la corruption chez les Lacédémoniens. Il s’y fit des pensionnaires qui, à force de louer la modération de leurs pères, les lois de Lycurgue, l’amour du bien public, et de déclamer contre les maux et les dangers de la guerre, réussirent à entretenir la paix. Mais cette paix elle-même devenait un nouvel inconvénient. D’un côté la guerre contre les Perses commençait à passer de mode, et c’était dommage, car elle offrait des victoires faciles et un butin considérable, ce qui satisfaisait à la fois le double goût des Athéniens pour la gloire et pour la magnificence. De l’autre côté, il était dangereux de laisser la république dans une trop grande oisiveté. Applaudir ou critiquer une pièce de théâtre, un tableau, une statue, un édifice, ce n’était pas assez pour y occuper les esprits. Il fallait aux Athéniens des ennemis, des armées en campagne et des succès ; ou leur inquiétude naturelle, excitée par les intrigues et les cabales qui recommençaient à se montrer avec chaleur, les rendait trop difficiles à conduire.

Heureusement pour Périclès, les alliés d’Athènes n’étaient pas aussi contents de son administration que les Athéniens. Ils ne blâmaient ni le luxe ni les plaisirs auxquels la république se livrait : mais ils trouvaient mauvais de payer les frais de ses fêtes et de ses spectacles, et que Périclès leur demandât plus de six cens talents de contribution pour ne procurer que des amusements frivoles à ses citoyens, tandis que Cimon s’était contenté de soixante pour faire la guerre aux barbares. Périclès se fit un art de réduire au désespoir des peuples qui ne pouvaient se soulever contre Athènes sans se perdre. Outre qu’il n’y avait aucune liaison entre eux, et qu’il leur était par conséquent impossible d’agir de concert, ils n’avaient jamais eu d’ambition, et contents de recouvrer leur liberté, ils avaient obtenu de Cimon de ne contribuer qu’en argent et en vaisseaux à la guerre que la Grèce avait faite en leur faveur au roi de Perse. Les colonies accoutumées par là au repos et à toutes les douceurs d’une vie tranquille, avaient perdu l’usage de manier les armes, et selon la judicieuse remarque de Thucydide, se trouvant même épuisées par les charges auxquelles elles s’étaient soumises, elles ne pouvaient se dérober au joug des Athéniens, s’ils voulaient les traiter plutôt en sujets qu’en alliés. En représentant les murmures de ces peuples malheureux, comme un attentat intolérable, et propre à ruiner toute espèce de subordination, Périclès les rendit facilement odieux, et engagea les Athéniens dans une guerre qui devait affermir son crédit, parce qu’elle devait leur procurer sans cesse des succès certains ; et que leur république contente de gagner des batailles et de prendre des villes, n’importe à quel prix, ignorait trop ses intérêts pour s’apercevoir que les avantages qu’elle remportait sur ses alliés, annonçaient sa décadence, et que leur révolte la ramenait au même point de faiblesse ou elle s’était vue avant la guerre médique.

Si l’empire des Athéniens penchait vers sa ruine, celui de Périclès paraissait au contraire inébranlable : mais le temps arriva enfin où il devait rendre compte de son administration. Cette opération était délicate ; ce n’est pas qu’il se fût enrichi aux dépens de l’état : mais soit négligence de sa part, soit infidélité dans les subalternes qu’il avait employés au maniement des deniers publics ; on ne trouvait point l’emploi de plusieurs sommes considérables. D’ailleurs il était fâcheux de montrer aux Athéniens que leurs finances étaient épuisées et c’était prodigieusement décrier les prodigalités, les fêtes, les jeux, les spectacles, que d’avouer qu’ils n’avaient enfin abouti qu’à ruiner la république et ses alliés. La plaisanterie si connue d’Alcibiade servit dans cette extrémité de conseil à Périclès. Au lieu de songer à rendre ses comptes, il ne pensa qu’à ne les pas rendre.

Il fallait pour cela distraire les Athéniens de leurs affaires domestiques, et les occuper au dehors d’un objet important. Mais aucun allié n’osait remuer : intimidés par la sévérité d’Athènes, ils renfermaient tous en eux-mêmes leur ressentiment, en attendant une occasion favorable d’éclater. Périclès ne fait donc plus passer d’argent à Lacédémone, et ses pensionnaires qui se seraient vengés en parlant d’une manière propre à conserver la paix, se turent malhabilement. Dès lors cette république dont la haine aigrie par les plaintes des ennemis d’Athènes, n’avait plus d’obstacle qui l’empêchât de se livrer à ses mouvements, porta un décret par lequel elle prenait sous sa protection, Corinthe, Potidée, Égine et Mégare. Périclès à qui tout réussissait, profita de ce décret pour irriter l’orgueil des Athéniens : il ne s’agit point, leur dit-il, de montrer une lâche condescendance aux volontés des Lacédémoniens... etc.

La république, quoique beaucoup déchue, n’était pas cependant, dans une situation assez fâcheuse, pour qu’il fût impossible à Périclès de mettre enfin les Athéniens sur la bonne voie, et de former un plan de guerre qui tendît à agrandir leur puissance, et à l’affermir en ruinant les Lacédémoniens. Ce général avait les talents nécessaires au succès d’une pareille entreprise : mais toujours attentif au seul avantage de gouverner sa patrie et d’y dominer, il craignait de se mettre des entraves en formant un projet trop grand et trop étendu. Qu’Athènes en effet eût adressé directement tous ses coups à Sparte même, et voulu en exterminer les citoyens, la guerre devenait très difficile ; et Périclès obligé d’aller en avant, ne pouvait plus renoncer à son entreprise sans se déshonorer et perdre son crédit. En ne proposant au contraire aux Athéniens qu’un objet vague de défensive, et bornant tous leurs exploits à faire le dégât dans la Laconie, il n’était borné par rien, et se laissait le maître de se conduire au jour le jour, de reculer ou d’avancer, de changer de vue selon les évènements, et de prendre toujours le parti le plus favorable à ses intérêts particuliers.

Si les Athéniens commençaient les hostilités sous un point de vue si faux, les Lacédémoniens ne se rendaient pas de leur côté un compte plus sage de leur entreprise. On aurait dit qu’à l’exemple de leurs ennemis, donnant toute leur attention au seul évènement qui servait de prétexte à la rupture, ils le regardaient comme l’unique cause et la dernière fin de la guerre. Ils ne soupçonnaient point que l’ambition les armât ; aussi s’écartèrent-ils du but qu’ils devaient se proposer.

Puisque c’est par jalousie de la grandeur d’Athènes, et par conséquent pour recouvrer leur ancienne supériorité dans la Grèce, que les Lacédémoniens prirent les armes ; il fallait ramener les Athéniens au point où ils avaient été avant leur élévation et même au-dessous. Le moyen le plus sûr d’y réussir, c’était de rendre la liberté à leurs tributaires, de débaucher leurs alliés en profitant de leur mécontentement, et de ne rien faire en un mot qui n’inspirât une extrême confiance à toute la Grèce. Sparte cependant se conduisit par des principes tout opposés. Elle recherche l’amitié des Perses et leur abandonne les colonies d’Asie. Elle n’accorde qu’avec peine sa protection aux villes qui attendaient son secours pour secouer le joug, et au lieu de ne traiter en ennemis que les alliés de sa rivale qui étaient fidèles à leurs premiers engagements, elle étend également sa sévérité sur tous.

Si les Athéniens avaient compris leur situation, ils se seraient contentés d’avoir une marine assez puissante pour imposer à leurs alliés, et assurer leurs revenus. Loin de multiplier inutilement le nombre de leurs vaisseaux, ils n’auraient travaillé qu’à augmenter leurs forces de terre ; ils ne gagnaient rien à battre les flottes du Péloponnèse, les pertes ne retombaient que sur les alliés de Lacédémone, et c’était à cette république même qu’il fallait adresser directement ses coups.

On voit dans l’histoire, peu de guerres conduites avec moins d’intelligence que celle dont je parle. Les deux puissances ennemies se perdent continuellement de vue : toutes leurs entreprises sont en quelque sorte des diversions. Tandis qu’Archidamus attaque les Platéens et se jette sur l’Acarnanie, les Athéniens font une irruption dans la Calcide et dans la Bottiée. Si quelqu’un de leurs alliés se révolte, toute l’attention est portée de ce côté-là. Tantôt le théâtre de la guerre est dans l’île de Lesbos, sur le territoire de Mégare, dans l’île de Corcyre, tantôt chez les Étoliens, dans la Béotie ou dans la Thrace. À force d’entamer des entreprises différentes, les deux républiques se mettent dans l’impuissance de rien faire de décisif. On est heureux d’un côté, malheureux de l’autre, on n’a que des avantages balancés par des pertes à peu près égales. Athènes et Lacédémone s’affaiblissent infructueusement, et toujours moins en état de s’imposer la loi l’une à l’autre, elles s’éloignent toujours davantage du but auquel elles devaient aspirer. Il y avait déjà dix ans que la guerre était commencée, chacune des deux républiques s’était fait à elle-même plus de mal qu’elle n’en avait reçu de ses ennemis ; lorsque toujours plus envenimées l’une contre l’autre, mais épuisées, elles signèrent par nécessité une trêve, et continuèrent par animosité à se faire la guerre par leurs alliés.

Quoique Cimon et Périclès n’eussent pas conduit les Athéniens suivant leurs vrais intérêts ; l’un n’avait point dégradé la république, ses vues étant toujours de quelque utilité ; et l’autre lui avait conservé sa réputation, parce que ses entreprises, malgré le mal qu’elles faisaient à l’état, s’exécutaient avec succès, et répandaient un éclat propre à éblouir les personnes qui ne jugent que sur les apparences. Mais après la mort de ce dernier, qui avait toujours écarté le mérite pour n’appeler à l’administration des affaires que des hommes incapables de lui faire ombrage, il était naturel qu’Athènes fût en proie à une foule de petits ambitieux, qui, sans talents, sans connaissances, sans droiture dans l’âme, sans élévation dans l’esprit, croyaient qu’il suffisait de savoir faire une cour servile au peuple, pour être en état de gouverner une république.

Les Athéniens qui n’avaient trouvé de moyen plus sûr que l’ostracisme, pour assurer la liberté que leur avait rendu l’exil des Pisistrates, auraient été plutôt gouvernés par des hommes obscurs et méprisables, si plusieurs de leurs institutions, aussi propres à inspirer le goût de la gloire que l’amour de la patrie, n’avaient excité les talents, et éloigné, comme malgré eux, de la vie privée, des citoyens de mérite qui devaient y être retenus par la crainte de l’exil et l’ingratitude de leur république. Tant qu’il fallut être homme d’état pour avoir de la considération à Athènes, on s’étourdit en quelque sorte sur l’ostracisme : mais la république, pendant la régence de Périclès, s’étant passionnée pour la philosophie et pour tous les beaux arts, au point d’accorder à ceux qui s’y distinguaient, la même estime et la même considération qu’aux magistrats et aux généraux, les gens sensés à qui on ouvrait des voies moins dangereuses pour acquérir de la gloire, se tournèrent de ce côté, et les sciences et les arts commencèrent à enlever à la politique plusieurs excellents génies.

Quoi qu’il en soit, Athènes, à la mort de Périclès, se trouva assez dépourvue de mérite pour que Cléon, cet homme dont tous les historiens parlent avec un extrême mépris, eût pris un espèce d’ascendant sur ses rivaux. Sa fortune donna de la confiance à tous les intrigants. Pour s’élever ou pour ruiner son adversaire, on n’employa plus que la fourberie, la calomnie et tous ces moyens bas et odieux qui ruinent presque toujours ceux qui y ont recours. Le peuple remué par les cabales et les partis, se défit de cette sorte de paresse qui le livrait au citoyen qui avait gagné sa confiance. Il se défia de tout le monde, se tint sur ses gardes, voulut être libre, et dès lors éprouva ces agitations tumultueuses qui devaient le pousser à sa perte.

Cléon avait la principale influence dans les affaires de la république, et il était prêt à perdre les Athéniens, lorsque les citoyens les plus considérables, dont il s’était déclaré l’ennemi pour gagner la faveur de la multitude, lui suscitèrent un concurrent : mais ils n’eurent rien de mieux à lui opposer que Nicias à qui une timidité excessive faisait craindre la présence du peuple. On peut juger par là combien il était propre au rôle qu’on lui destinait. Il avait des vertus, de la générosité, de l’éloquence : mais par je ne sais quelle défiance pusillanime de lui-même, il n’osait être vertueux publiquement. Avec son insolence bruyante, Cléon écrasait la modestie de Nicias : on pardonne à l’un ses rapines : on ne s’aperçoit pas du désintéressement de l’autre. Brave soldat, mais capitaine irrésolu, toute entreprise paraît impossible à Nicias. Quand il commence enfin à agir, le moment le plus favorable est déjà passé. Il ne fait que douter, délibérer ; et à peine a-t-il fait l’effort de se décider, qu’il croit entrevoir un meilleur parti qu’il abandonne encore pour un autre. Cléon au contraire ne doute de rien ; entreprise sage ou téméraire, moyens raisonnables ou insensés, tout lui est égal. Enfin toute Athènes indécise et partagée entre les vertus et les talents timides de Nicias, et les vices et l’ineptie effrontée de Cléon, n’ose prendre une résolution, ou prend un mauvais parti si elle agit.

Alcibiade se mit bientôt sur les rangs. Ce n’était pas un ambitieux, mais un homme vain qui voulait faire du bruit et occuper les Athéniens. Sa valeur, son éloquence, tout dans lui était embelli par des grâces. Abandonné aux voluptés de la table et de l’amour, jaloux des agréments et d’une certaine élégance de mœurs, qui en annonce presque toujours la ruine, il semblait ne se mêler des affaires de la république que pour se délasser des plaisirs. Il avait l’esprit d’un grand homme : mais son âme dont les ressorts amollis étaient devenus incapables d’une application constante, ne pouvait s’élever au grand que par boutade. J’ai bien de la peine à croire qu’un homme assez souple pour être à Sparte aussi dur et aussi sévère qu’un Spartiate, dans l’Ionie aussi recherché dans ses plaisirs qu’un ionien, qui donnait en Thrace des exemples de rusticité, et qui dans l’Asie faisait envier son luxe élégant, par les satrapes du roi de Perse, fût propre à faire un grand homme. Quoiqu’il eût fréquenté l’école de Socrate, il n’était guère persuadé qu’il y eût dans le monde d’autre bien ni d’autre mal que ce qui l’intéressait personnellement. On sait le mot de Timon Le Misanthrope : courage mon cher ami, lui dit-il en lui touchant dans la main, je te sais gré du crédit... etc. Tout est perdu en effet quand un homme du caractère d’Alcibiade parvient à la tête des affaires. Les grâces accréditent les vices ; la décadence des mœurs entraîne celle des lois ; les talents agréables sont seuls honorés et protégés et le gouvernement sans principes ne se conduit que par saillies.

Avec de tels administrateurs les forces d’Athènes étaient engourdies, et cette république paraissait comme accablée de la guerre qu’elle soutenait contre les Lacédémoniens ; lorsque frappée d’une espèce de vertige, elle fait tout à coup un effort sur elle-même, et lève une armée formidable pour s’emparer de la Sicile. Il y avait déjà longtemps que cette conquête flattait l’ambition des Athéniens, et Périclès, malgré son crédit, avait eu beaucoup de peine à les détourner de l’entreprendre. Les plaintes que les léontins et les Égestains leur portèrent contre Syracuse, réveillèrent leurs anciennes idées. Ils croient avoir déjà soumis la Sicile, ils ne la regardent que comme une place d’armes d’où ils doivent étendre leur empire sur l’Italie et sur l’Afrique même. Leur projet, ainsi que Thucydide le met dans la bouche d’Alcibiade, était de retomber sur le Péloponnèse avec les forces de ces provinces soumises.

Comment les Athéniens ignoraient-ils que des possessions éloignées ne sont d’aucune avantage, et qu’il en coûte pour les conserver plus qu’elles ne rapportent ? Pouvaient-ils ne pas voir qu’il n’y avait aucune proportion entre leurs forces et celles des provinces qu’ils voulaient conquérir ?

Quand leurs armées auraient inspiré une terreur subite à la Sicile, et que la crainte l’eût précipitée au-devant du joug, cette domination aurait été bien mal affermie. Les Siciliens se seraient bientôt aperçus de la faiblesse de leurs vainqueurs, et la confiance en succédant au découragement, les aurait portés à la révolte. Comment Athènes ne comprenait-elle pas que son expédition irriterait les Lacédémoniens, et deviendrait pour eux la diversion la plus avantageuse ? En partageant ses forces, il est sensible qu’elle s’exposait à échouer à la fois en Sicile et dans le Péloponnèse. En un mot puisque les Athéniens pouvaient encore rassembler assez de troupes pour faire le siége d’une ville aussi considérable que Syracuse, n’était-il pas plus raisonnable d’entreprendre celui de Sparte même, et de menacer les provinces étrangères des forces réunies de la Grèce, que de vouloir asservir les Grecs en triomphant des étrangers ?

Autant que le projet contre Syracuse était insensé en lui-même, autant les moyens qu’on choisit pour l’exécuter, furent-ils extravagants. Avant le départ de leur flotte, les Athéniens portèrent un décret par lequel il était ordonné qu’après avoir détruit Syracuse et Sélinonte, on en vendrait les habitants, et qu’on exigerait un tribut de toutes les autres villes de Sicile. C’était inviter les Syracusains et les Sélinontains à se défendre jusqu’à la dernière extrémité ; et en les réduisant au désespoir, les rendre invincibles, s’il leur restait quelque moyen de l’être. C’était aliéner le cœur des Siciliens, se priver de leurs secours contre Sélinonte et Syracuse, et ne leur donner avec ces deux villes qu’un même intérêt et une même cause à défendre.

Puisque les Athéniens n’avaient point un Thémistocle qui pût à force de sagesse et de talents réparer la folie d’une entreprise commencée sous de si mauvais auspices ; cette guerre ne laissait quelque faible espérance de succès, qu’autant qu’elle serait conduite par Alcibiade, dont le courage et le génie étaient propres à faire naître de ces évènements bizarres, de ces coups inattendus de la fortune qui confondent quelquefois la raison, et changent la nature des choses. Mais à peine ce capitaine eut-il abordé en Sicile, que ses ennemis conjurèrent sa perte, et mettant dans leurs intérêts les prêtres et la religion, réussirent à le faire rappeler et à lui intenter une action criminelle devant le peuple. Nicias qui avait regardé cette guerre comme une espèce de délire de la part de ses concitoyens, partagea le commandement avec Lamachus, soldat entreprenant qui croyait qu’un courage opiniâtre vient à bout de tout, et que la circonstance la plus favorable pour agir, était toujours celle où il se trouvait.

Ce général ayant été tué, Nicias fut effrayé de se trouver seul à la tête de l’armée : toujours opposé à un collègue aussi ardent que Lamachus, il avait été obligé d’avoir un sentiment ; il n’en eut plus quand tout roula sur lui. Il demande des secours et des collègues, et en les attendant il demeure dans l’inaction, ou ne s’occupe que de projets de retraite. Démosthène et Eurymédon lui furent envoyés, et ces généraux d’un caractère trop opposé pour être unis et penser de concert, auraient fait avorter une entreprise aisée.

En se rappelant les pertes considérables des Athéniens en Sicile, on comprendra aisément qu’il était impossible à leur république de se relever. Ses finances étaient entièrement épuisées. Sans vaisseaux, sans matelots, à peine pouvait-elle tirer quelques subsistances par mer : et l’Attique cependant n’était point cultivée depuis que les Lacédémoniens, suivant le conseil d’Alcibiade qui s’était réfugié chez eux, avaient fortifié Décalie, d’où ils ravageaient impunément tout le pays. Les Athéniens hors d’état d’imposer à leurs alliés, éprouvaient tous les jours la défection de quelques uns d’entre eux. Lacédémone au contraire se trouvait fortifiée par l’alliance de toutes les villes que l’orgueil des Athéniens avait aigries. Cette république à qui les syracusains prêtaient, pour se venger, une nombreuse flotte, avait l’empire de la mer ; et les ambassadeurs de Tissapherne, satrape des provinces maritimes d’Asie, lui offraient des secours, et la sollicitaient de ruiner Athènes de fond en comble.

C’en était fait de cette ville, si les Spartiates eussent attaqué le Pirée. La confusion qui régnait dans son gouvernement, dit Thucydide, en eût été plus grande. Les Athéniens auraient succombé avant que d’avoir pris un parti ; et leur empire eût infailliblement été borné à l’enceinte de leurs murailles. Mais, poursuit le même historien, ce n’est pas la première fois que la lenteur naturelle des Lacédémoniens leur a fait perdre leurs avantages. En effet il ne pouvait y avoir de circonstance décisive pour un peuple qui ne s’était fait aucun objet fixe dans le cours de la guerre, et Lacédémone se trouva comme embarrassée de ses forces. Sa supériorité s’évanouit bientôt.

Les Syracusains rappelèrent leurs troupes pour se défendre contre les Carthaginois, et Alcibiade qui avait éprouvé des mépris depuis l’abaissement de sa patrie, et qui craignit d’être écrasé sous ses ruines, si elle succombait, éclaira Tissapherne sur les intérêts de la Perse. Il lui fit sentir que bien loin de mettre fin à la guerre qui désolait la Grèce, et de prêter des secours aux Spartiates contre les Athéniens, il devait tenir en équilibre les deux républiques, balancer leurs avantages, les consumer l’une par l’autre, et nourrir leur rivalité pour les obliger également à rechercher la protection du roi de Perse, qui par-là deviendrait le médiateur, ou plutôt l’arbitre de la Grèce.

Le retour d’Alcibiade à Athènes dans ces circonstances, lui rendit en quelque sorte tout son courage. Ce capitaine remporta même une victoire assez considérable sur les Lacédémoniens, pour les contraindre à demander la paix. Les deux républiques avaient éprouvé tous les maux de la guerre, elles s’étaient épuisées sans succès. La faiblesse des Athéniens devait les guérir de leur ambition, et ne plus laisser de jalousie aux Spartiates. Cependant il fut impossible de convenir de quelque article essentiel ; et Athènes eût bientôt lieu de se repentir d’avoir rejeté les conditions avantageuses qu’on lui avait proposées. Alcibiade était heureux, il est vrai, dans ses entreprises : mais ses entreprises n’étant faites que pour faire briller le général qui les conduisait, étaient inutiles au bien de la patrie. D’ailleurs ce capitaine qui par une conduite inconsidérée fournissait toujours à ses ennemis des moyens de le perdre, fut disgracié une seconde fois, et précisément dans le temps que la Perse, renonçant à la politique adoptée par Tissapherne, se déclarait ouvertement en faveur des peuples du Péloponnèse.

La guerre conduite par des hommes corrompus qui trahissaient les intérêts de leur patrie, ou par des hommes médiocres qui ne les connaissaient pas, semblait ne pouvoir se terminer que par la ruine entière de la Grèce ; lorsque Lysandre parut à la tête des Lacédémoniens. Tout changea de face sous un chef ambitieux, et dont le génie dégagé des préjugés et des maximes de son temps, était fait pour s’ouvrir une route nouvelle, et tracer à sa république un plan dont elle était incapable de sentir l’importance.

Quoique dépouillés de la prééminence dont ils avaient joui, aigris par une longue guerre, et sollicités à la fois par les Grecs et les barbares de ruiner Athènes, les Spartiates étaient toujours attachés à leurs anciens principes de modération ; et rien ne prouve mieux la sagesse des institutions de Lycurgue. Comme s’ils se fussent flattés d’étouffer l’orgueil de leur rivale, et de la contraindre à reprendre d’elle-même la place subalterne qu’elle devait occuper, ils ne pensaient point à la détruire. Mais Lysandre leur fit comprendre qu’après une guerre aussi longue et aussi opiniâtre, il n’y avait qu’un parti extrême qui fut sûr et prudent que la paix, quelle qu’elle fut, ne serait qu’une trêve passagère si on laissait aux Athéniens l’espérance de se relever, et qu’il fallait profiter des avantages présents pour terminer une querelle qui pourrait se réveiller dans des circonstances moins favorables. Ce général ne regarde donc chaque succès que comme un pas qui le conduit à la destruction de ses ennemis. S’il défait le reste de leurs forces maritimes, c’est dans la vue de les bloquer par mer, tandis qu’Agis et Pausanias les assiégeraient par terre.

Le moment fatal pour Athènes arriva : réduite aux abois, elle mendie la paix, consent à démolir ses fortifications et les murailles du Pirée, affranchit les villes qui lui payaient tribut, rappelle ses bannis, livre toutes ses galères à la réserve de douze, et s’engage à ne plus faire la guerre que sous les ordres des Lacédémoniens. Enfin Lysandre mit le dernier sceau à l’abaissement de cette république en changeant son gouvernement, il détruisit la démocratie, et confia toute l’autorité à trente citoyens.

Rien n’empêchait de rétablir l’ancien système de politique, et vraisemblablement Lacédémone se serait contentée de recouvrer l’empire qu’elle avait eu dans la Grèce, s’il lui eût été permis de se livrer à ses mouvements naturels. Mais dans le moment qu’elle triomphait, et que sa prospérité la rendait moins attentive sur elle-même, elle fut trompée par le général auquel elle devait sa fortune, et qui était assez lâche pour sacrifier sa patrie à ses intérêts particuliers.

Jamais Spartiate n’avait eu moins les mœurs de Sparte que Lysandre. Serments, traités, amour de la patrie, honneur, perfidie, ce n’était que de vains noms pour lui ; et il ne mettait de différence entre les vertus et les vices, qu’autant qu’ils étaient plus ou moins propres à servir son ambition. La qualité de citoyen lui parut trop basse, et il aspirait à la couronne, non pas en tyran qui veut subjuguer sa patrie, mais en politique adroit, et sous prétexte de corriger le gouvernement de ses abus. Son projet, disent les historiens, était de décrier l’hérédité au trône comme un usage barbare qui confiait souvent les rênes de l’état à un enfant, ou à un homme capable à peine d’être citoyen, tandis que le bonheur des peuples exige que la royauté soit le prix du mérite : mais pour préparer les esprits à une révolution aussi importante, il fallait ébranler la constitution générale de l’état, affaiblir l’autorité des lois, flatter les passions, et surtout donner aux Spartiates du goût pour les nouveautés. Ce n’était pas encore assez, que ce politique habile, sous prétexte de mettre sa patrie en état de soutenir sa puissance en faisant de nouvelles entreprises, y eût introduit l’usage de l’or et de l’argent dans la vue de corrompre ses citoyens, et de les associer plus facilement à ses desseins. Pour mieux leur imposer, il voulait que toute la Grèce concourût à son élévation, et il y réussit en ruinant dans toutes les villes le gouvernement populaire, et en y établissant des régents, qui furent autant d’hommes vendus à ses volontés, parce qu’ils ne pouvaient se soutenir que par sa protection.

La mort de Lysandre sauva les Spartiates du coup dont il les menaçait ; mais elle les laissait avec une autorité qu’il leur était impossible de conserver. Bien loin en effet d’avoir préparé leur élévation avec cette adresse que je développerai dans le livre suivant, en examinant la politique de Philippe, c’est-à-dire de cacher leur ambition, d’inspirer de la confiance, et d’intéresser leurs voisins à leur fortune ; trompés par Lysandre, ils s’étaient conduits avec autant de hauteur et de dureté que les Athéniens. Toute la Grèce ne respirait que la vengeance, et Lacédémone n’avait pour amis que les tyrans établis par Lysandre, et dont la chute était préparée par la mort de leur protecteur.

Quelques louanges que j’aie données jusqu’ici au gouvernement de Lycurgue, il était incapable de conserver à sa république la sorte d’empire qu’elle devait à la politique de Lysandre. Le législateur l’avait faite pour dominer par cet ascendant que donne la supériorité du mérite et de la vertu ; et l’autre ne lui avait établi qu’une domination qu’il fallait défendre et appuyer par la force. Rien n’étant en effet plus contraire à l’esprit des lois de Lycurgue que l’ambition à laquelle les Spartiates se livraient : cette ambition qui ne faisait point, pour ainsi dire, corps avec le reste de leur caractère, devait les faire échouer dès qu’ils deviendraient conquérants. Dans toutes nos actions, dit un des plus célèbres politiques,... etc. Depuis que Lysandre avait apporté dans sa patrie les dépouilles des vaincus, et qu’il établit des tributs réglés sur les alliés, il est vrai que la pauvreté de Sparte ne fut plus un obstacle à son élévation, qu’elle put porter la guerre loin de son territoire, et former en un mot des entreprises considérables. Mais en donnant des richesses aux Lacédémoniens, ce général leur donna-t-il le talent de les employer, et de les rendre utiles à la république avant qu’elles en bannissent les mœurs et les lois de Lycurgue, c’est-à-dire, avant que la corruption qui devait les accompagner, devînt une nouvelle cause de sa décadence ?

Une observation qu’il est encore plus important de faire sur la situation des Spartiates, c’est que ce ne fut pas avec leurs propres forces, mais avec les secours que leur donna la Perse, qu’ils asservirent les Athéniens. Et ces secours ils ne les devaient pas à Artaxerxés Mnémon, mais à Cyrus son frère, dont ils avaient favorisé les vues, et qui, s’étant révolté pour s’emparer du trône, fut vaincu, et perdit la vie dans sa défaite.

Lacédémone privée de la protection du prince à qui elle devait sa grandeur, s’était donc rendue extrêmement odieuse à la cour de Perse, en même temps que toute la Grèce ne songeait qu’à secouer le joug. L’histoire offre peu de situations aussi fâcheuses que celle-là. Je ne blâme pas les Spartiates d’avoir succombé ; mais de n’avoir rien fait de ce qu’ils devaient pour tenter de prévenir leur ruine. Ils devaient se faire un boulevard de la Grèce contre les barbares, c’est-à-dire, la traiter avec humanité, rendre aux villes leurs lois et leur gouvernement, et se renfermer en un mot dans les bornes de l’empire qu’ils avaient autrefois possédé. Si ce parti paraissait trop dur, il fallait rechercher l’amitié d’Artaxerxés, désavouer Cyrus et les Grecs qui l’avaient suivi dans son expédition, et surtout gagner les satrapes de l’Asie mineure. La république de Sparte traita au contraire les Grecs avec plus de dureté que jamais, et tandis que le roi de Perse n’étendait sa vengeance que sur les colonies grecques de l’Asie mineure, elle se piqua d’une folle générosité, et voulut leur rendre la liberté.

Dès qu’Agésilas commença à se rendre redoutable en Asie, Artaxerxés arma une flotte considérable dont il donna le commandement à Conon, Athénien qui s’était réfugié dans ses états. Il dépêcha le rhodien Timocrate dans la Grèce, et cet émissaire chargé de répandre des sommes considérables, gagna les principaux citoyens de Thèbes, de Corinthe, d’Argos, etc. Qui formèrent une ligue assez puissante pour intimider les Spartiates, et les forcer à rappeler Agésilas. Dès lors l’empire de Lacédémone fut ébranlé dans ses fondements, et bientôt les thébains ruinèrent cette république.

Depuis qu’elle s’était saisie de Cadmée, et y tenait garnison, quelques nobles jouissaient de toute l’autorité dans Thèbes. On peut voir dans les historiens à quels excès ces tyrans se portèrent, et avec combien de courage et d’art, Pélopidas les extermina, et reprit la citadelle de Cadmée avant que les Lacédémoniens pussent la secourir. Cet acte d’hostilité fut l’origine d’une petite guerre dans laquelle les thébains eurent de fréquents avantages. La manière dont Agésilas se conduisit, ferait conjecturer que les succès qu’il avait eus en Asie, étaient moins l’ouvrage de sa capacité que de l’ascendant des Grecs sur les Perses, si on ne pouvait accuser son grand âge d’avoir éteint ce feu, cette activité, cette prévoyance dont Xénophon nous a laissé un bel éloge. Ce prince n’entreprit rien de grand ni de décisif, et on lui reproche avec raison que ses courses sur le territoire des Thébains, n’étaient propres qu’à essayer leur courage et leur apprendre la guerre.

Polybe témoigne un juste mépris pour le gouvernement de Thèbes : et c’est en effet aux talents seuls et aux qualités personnelles de Pélopidas et d’Épaminondas que cette république, décriée dans toute la Grèce par la stupidité de ses citoyens et par son alliance avec Xerxès dut la grandeur où elle parvint. Il était naturel que ces deux hommes fussent rivaux : mais leur vertu égale à leurs talents, ne leur donna qu’un même intérêt. Pélopidas méprisait les richesses au milieu desquelles il était né ; Épaminondas eût craint que la fortune ne troublât sa pauvreté philosophique. Le premier impétueux, ardent à la guerre, et savant dans toutes ses parties, aimait moins sa réputation que sa patrie. Éloge rare ! Il sut gré au second d’être plus utile que lui aux thébains. Épaminondas de son côté semblait ignorer la supériorité de ses talents. Il avait passé malgré lui des écoles de la philosophie au gouvernement de l’état : aux lumières, au courage, à la prudence de Thémistocle, il joignait les vertus de Socrate.

Pélopidas gagna la bataille de Tegyre, et ce fut, dit Plutarque, un essai de la journée de Leuctres, qui dévoila la faiblesse des Lacédémoniens, et mit fin à leur empire. Épaminondas fit voir dans cette action toutes les ressources de son génie, c’est-à-dire tous les talents différents qui font le grand homme de guerre. Mais c’est en homme d’état qu’il travailla à conserver à sa patrie la supériorité qu’elle venait d’acquérir. Pour confirmer l’abaissement des Lacédémoniens, il plaça à leurs portes deux ennemis implacables ; il rétablit Messène et bâtit Mégalopolis. Sa conduite fut aussi humaine, aussi juste, que celle des Athéniens et des Spartiates avait été dure et tyrannique. Au lieu de détruire les villes qu’il prend, d’en vendre les habitants, ou de changer leurs lois, il les traite en alliées : tel fut le sort d’Orchomène, et des villes de la Phocide, de la Locride, et de l’Étolie.

Comme toutes les provinces de la Grèce touchaient à la mer, et ne faisaient qu’un même corps avec les îles voisines et les colonies établies sur les côtes de l’Asie mineure ; Épaminondas jugea que tant qu’une république, contente d’avoir la supériorité ou sur terre ou sur mer, ne réunirait pas les deux empires, elle ne jouirait que d’une fortune chancelante. Il voulut donc engager les thébains à se faire une marine puissante. Il leur représentait que s’ils se contentaient d’occuper la place de Lacédémone, il se trouverait bientôt quelque nouvelle Athènes qui, fière de ses vaisseaux et de ses matelots, les ruinerait peut-être, ou du moins leur ferait acheter chèrement sa défaite. En un mot toutes les vues, toutes les entreprises d’Épaminondas faisaient partie d’un même tout, et partant du même principe, tendaient à une même fin.

Les Lacédémoniens défaits à Mantinée, restèrent sans ressources, et perdirent jusqu’à l’espérance de se relever. Cette bataille devait mettre le comble à la puissance des thébains victorieux : mais Épaminondas y fut tué, et sur le champ, dit Xénophon, son armée crut être vaincue. L’infanterie devient immobile, et la cavalerie déjà au milieu des fuyards n’ose les poursuivre. Thèbes restait avec une réputation qu’elle était incapable de conserver. Pour sa puissance, elle tomba avec le grand homme qui l’avait formée, qui la soutenait, mais qui n’avait pu l’établir sur des fondements solides.

Quoique les thébains, stupidement attachés à leurs usages, ne se fussent prêtés à aucune des réformes qu’Épaminondas leur avait proposées, ils étaient assez peu éclairés pour croire qu’ils ne devaient rien qu’à eux-mêmes, et qu’ils conserveraient leur empire. Mais cet orgueil devait hâter leur ruine, en leur faisant faire des entreprises au-dessus de leurs forces. Athènes est humiliée,  disait aux Thessaliens Jason, tyran de Pheres,... etc. Rien ne prouve mieux combien les vainqueurs de Lacédémone étaient inférieurs à leur fortune, qu’un fait rapporté par Xénophon. La veille même, dit ce sage historien, que devait se donner la bataille de Leuctres, Épaminondas craignait que les villes de la Béotie inclinées à la révolte, n’attaquassent Thèbes qui n’était pas en état de se défendre dans le moment qu’elle touchait à l’empire de la Grèce.